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découragés de produire, et par appropriation du secteur industriel par l’État. Les entreprises publiques se sont
partout multipliées, inefficaces, protégées, puis surcapacitaires à la fin des belles années, évinçant un secteur
privé qui trouvait ses niches dans les activités commerciales et de transport, ou dans la fuite des capitaux.
L’accumulation de dettes, largement favorisée par le système bancaire du Nord (3) a servi à combler les
déficits. Avec le recul, le vrai problème des années 80, s’avère avoir été l’augmentation des prix des matières
premières, l’afflux soudain de devises, que les structures des États post-coloniaux n’avaient pas les moyens de
gérer (Collier, 1990).
Ces processus sont bien connus, et ont induit les mises en place des programmes de stabilisation et
d’ajustement structurel (PAS) étendus à la plupart des pays africains au début des années 80 (4). Le
soulagement financier (prêts ou dons) qu’ils représentent est assorti de conditionnalités, qui furent initialement
d’ordre économique et exprimées dans le seul langage économique. Le “package” de mesures est toujours à
peu près identique : contraction de la demande et réorientation de l’offre, réduction drastique des déficits de la
balance des paiements, des finances publiques, correction de la surévaluation des taux de change, élimination
des distorsions imposées par l’État en défaveur de l’agriculture, libéralisation du commerce et du marché du
travail, retrait de l’État des secteurs productifs (donc privatisations, liquidations, réduction des salaires des
fonctionnaires, compression des effectifs de la fonction publique). Ces conditionnalités justifiées par une aide
à la balance des paiements ont induit des flux financiers massifs vers les États (5), et une “intrusion majeure”
dans leurs politiques intérieures à laquelle n’ont cessé de résister les États suffisamment importants ou riches
pour en avoir les moyens (Oyejide, 1990). Les résultats sont mitigés et controversés quant à l’efficacité
respective des PAS et de l’injection de tels flux (cf. Killick, 1990), ce qui commence à être reconnu par la
Banque mondiale elle-même (Elbadawi, 1992) (6).
Le point à souligner ici est que ce bilan a introduit une nouvelle tonalité dans les analyses des bailleurs
de fonds, manifestement accélérée par les événements politiques survenus à l’Est et dans le continent à la fin
des années 80 : celle de la découverte de l’importance des institutions, de la nature de l’État et des
organisations socio-politiques. Avec la publication notamment du rapport de la Banque mondiale sur l’avenir
à long terme de l’Afrique (1989), de nouveaux éléments sont apparus dans le discours des agences d’aide
comme déterminants dans la croissance économique : les “ressources humaines”, le “renforcement des
institutions”, la “dimension sociale”, l’équité, les collectivités locales et l’“appropriation” par les destinataires
des mesures qui leur sont appliquées (ce dernier point fait, ce qui ne laisse pas de surprendre, figure
d’innovation). Surtout, sont entrées en scène la politique, la nature de l’administration, la “mauvaise gestion”
et la corruption, sujets auparavant tabous (7). Ces nouveaux “concepts” accèdent à la légitimité. Les
conditionnalités financières se muent progressivement en conditionnalités économiques et politiques,
notamment avec celle de l’instauration de la “démocratie” émergeant au début des année 90 : la “governance”
(terme typiquement anglo-saxon, désignation neutre d’institutions politiques pluralistes et respectées, cf.
Young 1991), la “gouvernementalité” sont désormais associées aux causes économiques externes et internes,
pour expliquer l’échec des politiques antérieures, celles de l’aide et celles des États africains.
L’apparition de cette nouvelle thématique n’est pas fortuite. Elle sanctionne aussi des situations qui
tiennent surtout à l’évolution des institutions d’aide : moindre intérêt des investissements en Afrique, constats
d’échec et effets de lassitude, renouvellement des élites, justification du retrait des protagonistes du Nord eu
égard à leur nouvel intérêt pour les pays de l’Est. A ceci s’ajoute la difficulté à gérer le paradoxe qu’affrontent
les prémisses libérales des programmes d’ajustement, tenus statutairement de transiter par des États pour
précisément amener ceux-ci à des politiques de désengagement de l’État. Récemment redécouverte, la
“faiblesse de l’administration” est pourtant un phénomène documenté pour les institutions d’aide depuis
longtemps, mais qui demeurait inaudible (8), autant qu’un aspect empirique de “terrain”, des projets et autres
aides budgétaires ou alimentaires souvent évaporés dans les structures impliquées, et par là-même anecdotique.
Le fait inédit tient à sa prise en compte comme candidat officiel à part entière à l’explication, des échecs de
politiques économiques.
En bonne logique libérale, les PAS ont soutenu que l’État en Afrique n’était pas, comme le croyaient
les décennies suivant les indépendances, un moteur de la croissance économique. Mais ensuite, l’échec d’une
décennie de mesures d’ajustement a conduit à une réflexion sur l’économie politique même de ces États et de
l’assistance financière dont ils sont les destinataires, muée en conditionnalité politique dont chacun admet que