Mécano-sensibilité active des cellules ciliées de l`oreille interne

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Mécano-sensibilité active des cellules ciliées de
l'oreille interne (Pascal Martin)
Conférence de la FIP du 30/09/2008
Rapporteur : Eric Vernier (L3)
Présentation du séminaire par Pascal Martin
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L'oreille doit travailler pour entendre. En mobilisant des ressources énergétiques d'origine biochimique, les cellules sensorielles ciliées de l'oreille interne
amplient mécaniquement les vibrations qui sont induites par le stimulus sonore,
atteignant ainsi une sensibilité et une sélectivité fréquentielle stupéantes. Nos
expériences visent à élucider, aux échelles de la cellule unique et de ses composants moléculaires, les mécanismes impliqués dans ce processus d'amplication.
Nos résultats sur les cellules ciliées de l'oreille interne de la grenouille taureau
(Rana catesbeiana) suggèrent que l'antenne mécano-sensible érigée à la surface
de chaque cellule ciliée, une toue de villosités remplies de laments d'actine,
est capable d'une activité mécanique lui permettant de se comporter comme une
sorte de micro-muscle pour produire des forces et même d'osciller spontanément.
En manipulant une toue ciliaire oscillante à l'aide d'une micro-bre de verre
exible, nous avons pu montrer que la cellule ciliée peut mettre à prot les mouvements rythmiques de sa toue ciliaire pour amplier de minuscules stimuli
sinusoïdaux à condition que leur fréquence soit proche de la fréquence caractéristique de l'oscillation spontanée. De plus, la toue ciliaire est plus sensible aux
faibles stimuli qu'aux stimuli plus intenses, présentant donc une non-linéarité de
compression. L'aptitude d'une toue ciliaire à vibrer ecacement en réponse à
un stimulus mécanique dépend en partie de sa rigidité. Curieusement, cette rigidité varie avec l'amplitude du mouvement ciliaire et peut même apparaître négative ! Cette propriété mécanique inhabituelle peut déstabiliser une assemblée de
moteurs moléculaires semblables à ceux que nous avons dans nos muscles et qui
dans la toue ciliaire mettent sous tension les canaux ioniques mécano-sensibles
responsable de la transduction mécano-électrique. Une description physique de
ces phénomènes ainsi que des simulations numériques démontrent que le couplage électro-mécanique entre canaux ioniques et moteurs moléculaires permet
d'expliquer l'ensemble de nos observations. Je nirai mon exposé en décrivant
brièvement quelques expériences récentes, cette fois ci à l'échelle moléculaire,
visant à caractériser in vitro les propriétés mécaniques de moteurs moléculaires.
Là encore, même si ce système biomimétique simplié ne comprend uniquement
que deux protéines (l'actine et la myosine), des oscillations spontanées peuvent
être observées. . .
1 Une
présentation complète des travaux de l'équipe de recherche devrait être mise à jour à
l'adresse http ://www.curie.fr/recherche/themes/detail_equipe.cfm/lang/_fr/id_equipe/323.htm,
mais celle-ci n'est pas encore disponible à l'heure où je rédige ce rapport.
1
Introduction
L'oreille des vertébrés détecte des stimuli sonores correspondant à des ondes
de pression se propageant dans l'air, et caractérisés par leur fréquence et leur
intensité. Après s'être propagée à travers le canal auditif, conduit dont les propriétés géométriques permettent d'identier l'origine du son perçu, une onde
de pression fait vibrer une membrane appelée tympan, qui excite à son tour le
marteau, l'enclume et l'étrier. Intervient alors le phénomène de
transduction,
qui transforme cette excitation mécanique en signal électrique se propageant
dans les nerfs jusqu'au cerveau.
La permière partie de cet exposé consiste à étudier ce phénomène de transduction, responsable en partie des excellentes propriétés réceptrices de l'oreille :
la rapidité de la conversion mécanique/électrique permet la détection de
fréquences très élevées (l'homme entend les fréquences allant de
20kHz , la
100kHz )
20Hz
à
baleine et la chauve-souris détectent les ultrasons de fréquence
l'oreille est sensible même aux perturbations sonores les plus faibles (amplitudes de l'ordre du nm)
4f
f est de l'ordre de 0, 5
la gamme dynamique de l'oreille humaine s'étend de
la discrimination fréquentielle
20µP a
à
20P a,
soit un intervalle de 6 ordres de grandeur (l'oreile n'est donc bien-sûr
pas un détecteur linéaire, et on représente usuellement la sensation auditive par une grandeur logarithmique, le décibel :
10 log
δE
δEref
, où
IdB = 20 log
δP
δPref
=
Patm = 105 P a, δPref = 20µP a, et δEref = 10−12 W/m2 )
Un problème se pose : les vibrations mécaniques qui ont lieu dans notre oreille
sont amorties par la viscosité du uide ambiant. Il doit donc exister une source
aditionnelle d'énergie pour amplier mécaniquement le son ; les signaux émis,
appelés
0dB ).
émissions oto-acoustiques,
ont une intensité très faible (de l'ordre de
C'est ce phénomène d'amplication qui fera l'objet de la seconde partie
de cet exposé.
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Vibrations mécaniques et
phénomène de transduction
Premières observations
La dernière étape de la propagation d'un signal mécanique dans l'oreille
est associée au niveau cellulaire à la vibration de cellules spéciques, appelées
cellules ciliaires, qui engendrent un signal électrique à destination du cerveau.
La toue ciliaire est constituée d'un ensemble de
stéréocils
composés de la-
ments d'actine enracinés dans la cellule. Plus ns à la racine qu'au sommet, ces
cils peuvent pivoter autour de leur base et jouent le rôle d'antennes mécaniques :
c'est le cisaillement entre deux cils adjacents provoqué par une vibration de l'ensemble de la toue qui est responsable de la transduction méchano-électrique.
Schématiquement, on peut écrire :
SON =⇒CISAILLEMENT =⇒COURANT ELECTRIQUE
Description du processus de transduction :
Chaque cil d'une toue donnée a son sommet relié au anc du cil adjacent
par un lament long d'environ
200nm,
et qui joue lors des cisaillements le rôle
d'un ressort. Lorsque celui-ci est tendu, il permet l'ouverture d'un canal latéral
sur la paroi du deuxième cil :
3
Au repos, il existe entre l'extérieur et l'intérieur de la cellule une diérence de
potentiel
Vin − Vout = −60mV .
Lors du cisaillement, la cellule est dépolarisée
par le mouvement des cils, ce qui engendre un ux ionique de
Ca2+ et K + à
travers les canaux cellulaires.
A l'intérieur de la cellule, les ions
Ca2+ engendrent
un signal synaptique (li-
bération de neurotransmetteur), à l'origine d'une excitation électrique nerveuse
se propageant jusqu'au cerveau.
La connaissance de ce mécanisme permet de mettre en évidence certains
comportements :
Si les sons sont trop intenses, tous les canaux sont ouverts : il y a saturation
A l'inverse, pour un son d'intensité trop faible, aucun canal n'est ouvert
et aucun son n'est transmis
On voit donc que, pour qu'un petit stimulus puisse engendrer une réponse
électrique, c.à.d. fasse changer les canaux, il faut se situer dans la zone de forte
pente sur la courbe ci-dessus.
Etude statistique du nombre de canaux ouverts en fonction de l'excitation :
On déduit de ces modélisations l'enthalpie d'ouverture de canal :
4
4G = µ0 − µf + 12 k (xf + x − d)2 − (xf + x)2
Le nombre de canaux ouverts lors du cisaillement est donné par la statistique
de Boltzmann :
no
nf
= exp − 4G
kT
Proportion de canaux ouverts :
ρo =
5
no
no +nf
=
exp(− 4G
kT )
1+exp(− 4G
kT )
Un système actif :
l'amplicateur ciliaire
Outre les phénomènes décrits ci-dessus, on observe sur certaines cellules
oscillantes du cisaillement des toues ciliaires même en l'absence de stimulus
extérieur. Les oscillations spontanées ont le prol d'oscillations de relaxation, et
des expériences faites sur l'oreille interne de la grenouille ont permis de mesurer
25 à 80nm pour des spectres en fréquence d'allure gaus10Hz , centrés sur des fréquences
50Hz (facteur de qualité peu élevé, de l'ordre de 1)
des amplitudes allant de
sienne, de largeur caractéristique de l'ordre de
comprises entre
5
et
Ces oscillations spontanées sont-elles utiles, ou bien constituent-elles un épiphénomène parasite ?
Etude expérimentale de la réponse :
les cils sont excités par la pression d'une bre exible (cf. gure ci-dessous :
excitation expérimentale de cellules oscillantes). Pour palier au problème posé
par les oscillations spontanées de la toue ciliaire, on utilise un système d'asservissement assez rapide pour maintenir celle-ci immobile, et auquel on superpose
l'excitation extérieure.
En l'absence de stimulus, le signal est très bruité.
En présence d'un stimulus, le signal est très régulier, en phase avec ce dernier,
et d'amplitude double.
On dénit la sensibilité de la cellule en fonction de la fréquence imposée par
la relation :
χ(ω) =
X(ω)
F (ω) , où
X(ω)
est l'amplitude de la réponse à une force
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excitatrice
F (ω).
On obtient le graphe suivant :
Comparément aux autres cellules, on observe donc chez les cellules oscillantes un gain d'amplitude par rapport au stimulus, ainsi qu'une sélectivité en
fréquence (la sensibilité maximale a été dans cette expérience mesurée pour une
fréquence de
8Hz ).
D'autre part, des mesures de phase mettent en évidence à
haute fréquence une avance de phase de la réponse sur le stimulus, témoignage
du caractère non passif des cellules oscillantes.
Une autre preuve du caractère non linéaire de la réponse vient du désaccord des résultats expérimentaux avec le théorème de uctuation-dissipation,
normalement vérié par tous les systèmes linéaires. On remarque d'autre part
qu'à une fréquence de
8Hz ,
les petits stimuli sont davantages ampliés que les
stimuli plus intenses, comme en témoignent les courbes suivantes :
A titre indicatif, le gain entre la grande sensibilité vis à vis des petits stimuli et le niveau stationnaire de basse sensibilité vis à vis des grands stimuli a
été évalué à
10
pour la grenouille, et à
103
pour le chinchilla. La raison de cet
écart entre les deux espèces est que la grenouille ne possède qu'une cellule oscillante, tandis que chez le chinchilla, les nombreuses cellules oscillantes forment
un système d'oscillateurs couplés.
Explication : étude mécanique de la toue ciliaire :
On mesure, selon le même protocole que précédemment, les variations de la
force imposée en fonction de l'amplitude de déexion de la toue ciliaire ; on
obtient la courbe suivante :
7
On observe pour les grandes déexions un comportement linéaire qui s'identie au comportement d'un ressort.
Pour les petites déexions, le comportement du système est celui d'un ressort
de raideur négative : la déexion nulle est instable, le prol énergétique est un
prol à deux minima, correspondant à deux positions d'équilibre stable entre
lesquelles oscille la toue ciliaire.
Cette zone d'instabilité est due à l'ouverture et à la fermeture des canaux :
en eet, si on bloque l'ouverture des canaux par une technique biochimique, les
oscillations spontanées s'arrêtent. Le système toue ciliaire/canaux constitue un
système mécano-sensible : si on impose une force aux cils, les canaux s'ouvrent.
Réciproquement, lorsque les canaux s'ouvrent, le lament reliant entre eux les
diérents cils se détend, et on récupère une force au niveau de la toue ciliaire,
qui s'assimile à une raideur négative de l'ensemble.
L'expression de la force que nous imposons au système prend alors la forme :
F (X) = kX − N Po (X)F , où k est la raideur du lament lorsque les canaux
Po (X) est la probabilité d'ouverture d'un canal à la déexion X ,
et N est le nombre total de canaux. Cette formule nous montre donc qu'il est
possible pour la force F (X) de prendre une valeur négative pour une certaine
sont fermés,
plage de déexions.
Bien sûr, cette analyse purement mécanique ne permet pas, du point de
vue énergétique, de comprendre le caractère actif d'un tel système. Le travail
nécessaire aux oscillations spontanées est en fait d'origine biochimique, issu de
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l'énergie fournie par l'hydrolyse cellulaire de l'ATP.
2
La présence d'un système actif dans notre oreille permet donc de dénir
une fréquence de référence, pour laquelle la sensibilité des cellules ciliaires est
maximale.
2 Faute
de temps, les points suivants n'ont pas pu être plus longuement développés au cours
de l'exposé.
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Questions de l'assistance
Les bruits parasites connus sous le nom d 'acouphènes sont-ils dus
au phénomènes d'oscillations spontanées décrits précédemment ?
Non, les acouphènes ont une origine purement nerveuse, et c'est directement dans les neurones qu'ils prennent naissance. Chez un humain normalement constitué, il est impossible d'entendre le son produit par les oscillations
spontanées des toues ciliaires.
Si la présence dans notre oreille interne d'un système actif permet de
dénir une fréquence de référence, pourquoi entendons-nous sur une
si grande plage de fréquence ?
... Tout simplement parce que nous possédons un grand nombre de cellules
ciliaires actives, associées aux diérentes fréquences de notre plage d'audition
(
gradient tonotopique ).
Ainsi, les cellules hautes fréquences se caractérisent
par de nombreux cils courts et rigides, tandis que les cils sont moins nombreux,
mais plus longs et plus souples dans les cellules basses fréquences.
Notons aussi la présence le long de l'oreille interne de gradients chimiques,
qui jouent aussi un rôle dans la sélection des fréquences.
Comment s'eectue le couplage entre diérentes toues ciliaires ?
Les sommets des toues ciliaires sont en contact avec une membrane supercielle, qui permet entre eux une liaison physique et assure ainsi le couplage
mécanique.
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