REFLEXION Conseil aux patients qui demandent un profil génétique Un nouvel aspect de la relation médecin-patient n Les neurologues risquent d’avoir à faire face à une nouvelle demande de la part des patients et de leur famille : comment aborder les problèmes de conseils vis-à-vis de la littérature grandissante sur les susceptibilités génétiques aux maladies neurologiques et aux traitements. Ce problème devient particulièrement aigu aux Etats-Unis et commence à arriver en Europe. Un article récent publié dans Neurology Clinical Practice explicite la problématique rencontrée à partir d’un cas clinique. D ans cet exemple publié dans Neurology Clinical Practice, l’épouse souffre de céphalées chroniques, tandis que le mari présente une histoire familiale avec des AVC précoces. Ils souhaiteraient intégrer un programme de recherche durant le quel les profils génétiques de chacun seront établis, avec en toile de fond l’espoir d’obtenir une explication aux céphalées de Madame, et, d’autre part, estimer le risque de Monsieur de souffrir d’un AVC. Néanmoins, ayant consulté les offres des compagnies privées qui proposent ces analyses sur internet, ils consultent le neurologue de Madame pour avis. Ce type d’article soulève plusieurs problèmes : • d’une part la potentialité que de plus en plus de demandes pour avis génétiques puissent arriver auprès de médecins non spéciali*Conseillère génétique, Unité d’oncogénétique médicale, Centre Antoine Lacassagne, Nice 136 Marie Met-Domestici* sés en génétiques, comme les neurologues ; • d’autre part la distinction qui doit être faite entre l’étude du profil génétique dans le contexte d’un programme de recherche sur une anomalie identifiée ou pas, et dans le cadre d’une entreprise privée via internet. Des profils génétiques réalisés avec un encadrement médical Dans l’exemple donné, c’est un neurologue qui est sollicité par un couple de patients pour un avis qui concerne la sphère génétique. D’autres praticiens pourraient être amenés à entendre ce type de requête. Si un avis d’un généticien ou d’un médecin formé en génétique semble d’emblée souhaitable, il est dit ici que l’éloignement peut justifier de se référer à un autre spécialiste. Il existe également, dans certains CHU, des conseillers gé- nétiques qui peuvent recevoir les patients et leur famille en consultation, recueillir les informations et orienter la prise en charge. Les compagnies privées qui proposent l’analyse du profil génétique sur internet suggèrent d’impliquer un médecin pour l’interprétation des résultats afin que le patient ne soit pas seul devant des informations dont il ne pourrait pas comprendre la portée, mais cela n’est pas obligatoire et les résultats sont adressés au patient. La Food and Drug Administration qui régit aux Etats-Unis la commercialisation des denrées et des médicaments pourrait demander prochainement à ce qu’un médecin soit impliqué dans la communication des résultats aux patients. La HAS n’a pas encore a priori entamé de réflexion sur le sujet. De la même façon, les chercheurs en génétique et les éthiciens qui se penchent sur ce problème proposent l’implication de généticiens et/ou de conseillers en génétique. Neurologies • Avril 2012 • vol. 15 • numéro 147 REFLEXION D’une manière générale, l’évolution des pratiques qui ont trait à la génétique laisse présager que de plus en plus de médecins non généticiens - dont des neurologues - soient amenés à donner leur avis quand à des résultats d’analyses génétiques que les patients pourraient leur présenter et qu’ils auraient sollicités eux-mêmes. Ainsi, il semblerait logique que les praticiens soient amener à devoir développer leurs connaissances en la matière. Le neurologue mis à contribution ici va devoir rationaliser les espoirs et les croyances des patients, leur exposer les risques de bénéficier d’informations non attendues et non souhaitées et, enfin, leur expliquer les implications d’une inclusion dans un programme de recherche en génétique qui sont toutes particulières. Ainsi, sont mises à contributions les notions que le neurologue peut avoir de génétique et d’éthique en relation avec la génétique. Il est bon de rappeler que même si le neurologue est interpellé, il n’est normalement pas habilité à demander ou à rendre un test génétique. Les limites et les promesses d’un profil génétique La balance risque/bénéfice est d’une importance capitale dans tout acte médical, et d’intérêt majeur ici puisque l’on parle d’étudier les caractéristiques génétiques d’un individu. En toile de fond, ce sont les principes de bienfaisance et de nonmalfaisance de la bioéthique qui doivent être en ligne de mire lorsque l’on mène ces réflexions. Les patients qui s’orientent ici vers une analyse du profil génétique es138 pèrent que l’on puisse utiliser les informations obtenues afin d’améliorer leur santé, que ce soit au moment même ou bien dans leur avenir médical. Puisque les données de génétique peuvent s’apparenter à la médecine prédictive dans certains cas de figure, c’est le champ de la prévention qui est intéressé, et c’est par ce biais là que l’on peut espérer agir positivement pour sa santé. Sur un plan plus global et communautaire, si les études de profil génétique étaient amenées à s’étendre, cela pourrait fournir un grand nombre de données qui permettraient de résoudre nombre de dilemmes diagnostiques. Le séquençage de nouveaux variants alléliques par le biais de ces examens pourrait conduire à affiner certains diagnostics pour lesquels des études de gènes candidats avaient échoué. L’étude plus approfondie des génomes pourrait également guider l’utilisation des médicaments et des dosages de ces derniers. La génétique apporte également des informations dans l‘ajustement de certains traitements d’intérêt en neurologie. Par exemple, certains individus d’origine asiatique partagent un allèle HLA-B ancestral nommé HLA-B*1502. Ces individus présentent des effets secondaires importants aux traitements par carbamazépine. La connaissance du statut allélique pour ce locus peut permettre d’orienter le traitement vers une autre molécule antiépileptique afin d’éviter ces effets secondaires. Si tous ces points positifs sont encourageants, le neurologue interrogé par ses patients doit être en mesure de leur expliquer que, parfois, il peut être difficile d’associer des conditions de santé aux variants génétiques découverts. La relation patient/médecin devient tout autre. Le neurologue est habitué à suivre son patient pour céphalées chroniques et il se retrouve avec la gestion de la relation avec le couple ou les apparentés. Il s’agit donc de sortir du colloque singulier habituellement rencontré en médecine. C’est en effet le propre de la génétique qui élargit les données et sort du cadre du patient seul face à son médecin, mais s’intéresse à des couples ou bien à des familles. En même temps, puisque il s’agit d’analyser le profil génétique pour chacun des individus du couple, il en va de l’extrême personnalisation et de l’information la plus complète concernant chacun des individus. Cette dualité : mine d’information sur chaque individu et collecte d’informations intimistes pour différents individus en même temps est aussi le propre de la génétique. Les risques à tout vouloir savoir Comme les auteurs le soulignent, les individus présentés ici s’exposent aux aléas d’une recherche génétique sans conseil génétique. S’il n’y a pas de conseil génétique au préalable, les patients s’exposent à bon nombre d’évènements inattendus. Chercher à obtenir un profil génétique, c’est d’abord s’exposer à obtenir pour résultats des faux-positifs et des faux négatifs, avec les inconvénients que cela procure : une ré-assurance alors qu’une prévention aurait pu être aménagée ou bien alors une inquiétude, voire Neurologies • Avril 2012 • vol. 15 • numéro 147 Conseil aux patients qui demandent un profil génétique une détresse psychologique qui aurait pu être évitée. Le patient s’expose aussi à obtenir des informations qu’il ne cherchait pas. Il peut ainsi se découvrir UNE susceptibilité pour telle ou telle affection, plus grave que l’explication qu’il attendait. Dans le registre de la bienfaisance/non malfaisance toujours, que penser de découvrir lors d’un profil génétique une susceptibilité à développer une pathologie grave sans que l’on puisse mettre en place un dispositif de prévention ? Dans le champ de la neurologie, que penser de la découverte fortuite d’une mutation conduisant à la chorée de Huntington ou bien à la maladie d’Alzheimer alors que l’on ne peut rien faire en terme de prévention ? Beaucoup de patients expriment leur volonté de ne pas savoir lorsqu’ils sont correctement informés de toutes ces éventualités. Les généticiens sont régulièrement confrontés au problème. Les patients peuvent aussi, à l’issu de l’examen, devenir détenteur d’informations qu’ils doivent moralement et éthiquement transmettre à leurs apparentés afin de leur permettre de se protéger. Enfin, les analyses globales des caractéristiques génétiques peuvent poser un problème majeur lorsque leurs résultat est inscrit dans le dossier médical d’un patient. Même si, aux Etats-Unis comme en France, des lois visent à protéger les données génétiques, comme par exemple, l’interdiction de les faire figurer dans les dossiers informatiques pour cause d’absence de vérification des accès, il peut toujours y avoir des risques à ce que ces données soient réperNeurologies • Avril 2012 • vol. 15 • numéro 147 toriées (allusion dans un courrier de consultation par exemple…). Participer à une étude pour avoir son profil génétique Les neurologues qui participent actuellement en France à des études cliniques thérapeutiques de phase II ou III sont amenés à proposer aux patients de participer à des études de pharmacogénétique ou pharmacogénomique. Lorsque les patients viennent demander un avis avant de participer à l’étude pour laquelle il doit signer le consentement avant le prélèvement sanguin, il est important de rappeler les particularités des études à visée génétique. Tous les résultats obtenus serontils communiqués aux patients ? Il s’agit là de confronter les principes éthiques d’autonomie du patient : qui doit savoir ? satisfaire? aux principes de bienfaisance/non malfaisance ? Le patient doit-il avoir connaissance de faits qui ne lui servent pas à améliorer sa santé mais qui peuvent l’inquiéter ? Le patient va-t-il être au courant de toutes les recherches qui seront effectuées à partir de son prélèvement ? Quelle est la quantité de données qui va être disponible à partir de ces examens ? Des variants de significations inconnus peuvent être mis à jour. Comment expliquer ces informations ? Il est entendu que les patients signent un consentement éclairé avant d’engager une telle démarche, mais les notions abordées sont si spécifiques que l’interlocuteur qui fait face doit être formé spécialement à cela. L’avantage majeur de bénéficier d’un profil génétique dans le cadre d’un projet de recherche réside surtout dans le partage des données des sociétés savantes. Plus on a de données à analyser, plus l’échange et le croisement des données est aisé et instructif. Le pendant de risque à ce bénéfice collégial est le risque d’identification des personnes, puisque du matériel génétique est utilisé. Il en va donc de bon nombre de réflexions importantes et de nombre d’éclaircissements à donner aux patients pour qu’il puisse choisir entre confier son ADN à un programme de recherche ou bien engager une démarche privée. Et pour l’avenir ? Il est probable que les profils génétiques se feront en routine dans l’avenir et qu’ils feront partie des examens médicaux de base. Il est important de mettre en garde les praticiens des dérives possibles de l’inclusion systématiques des données au dossier médical du patient et de la nécessité d’un encadrement légal afin de protéger la vie privée et de lutter contre les n discriminations possibles. Correspondance Marie Met-Domestici Unité d’Oncogénétique médicale Centre Antoine Lacassagne 30 avenue Valombrose 06000 Nice Mots-clés : Conseil génétique, Ethique, Patient Cet article est une réflexion à partir du manuscript Advising patients about obtaining genomic profiles, de Donna T. Chen, MD, MPH, et Lois L. Shepherd, JD, paru dans la revue Neurology Clinical Practice de décembre 2011. 139