P06/12LABOSSR3 12 5/11/2003 16:06 Page 12 VIE DES LABOS ASTROPARTICULES Un grand « œil » au fond de la mer F. Montanet/CNRS Photothèque L’impressionnant télescope à neutrinos européen, « Antarès » sera inauguré en novembre prochain à la Seyne-sur-Mer. À partir de 2006, il devrait nous éclairer sur certains des mystères les mieux gardés de l’Univers. Au large des côtes varoises, 12 lignes de 400 mètres de long portant chacune 75 capteurs spéciaux traqueront l’infime trace lumineuse laissée par un muon et preuve du passage d’un neutrino. L a pêche aux neutrinos sera bientôt ouverte en Méditerranée. Le 18 novembre prochain, Claudie Haigneré, ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, inaugurera à la Seyne-sur-Mer (Var), « Antarès », un gigantesque appareil sous-marin dédié à la traque de ces particules élémentaires. Installé par 2 400 mètres de fond à 10 milles nautiques au sud de l’île de Porquerolles, ce télescope d’un genre nouveau devrait apporter, d’ici un peu plus de deux ans, des réponses à certains des secrets les mieux gardés du Cosmos. Les neutrinos, particules innombrables dans l’Univers, bombardent la Terre en permanence. Avant d’arriver jusqu’à notre planète, certains d’entre eux ont voyagé sur de grandes distances à travers l’espace. Leurs origines sont diverses. Mais les physiciens pensent que ceux dits de « hautes énergies »1 seraient produits par des astres non lumineux comptant parmi les plus intrigants du cosmos : microquasars, astres doubles constitués d’une étoile et d’un trou noir, quasars, supers trous noirs situés au centre des galaxies, ou encore restes d’explosions d’étoiles en supernovae. Autre source possible : la « matière noire », matière invisible encore inconnue, dont les scientifiques ont établi qu’elle représente 80 à 85 % de toute celle de l’Univers. Les théoriciens affirment que si celle-ci est constituée de particules exotiques baptisées « WIMPS » (Weakly Interacting Massive Particles), alors elle pourrait être cachée à l’intérieur du Soleil ou au centre de notre galaxie d’où elle émettrait ces neutrinos « hautes énergies ». Comme ils ont la propriété de se jouer de la matière et de se déplacer en ligne droite depuis l’endroit où ils ont été générés, ils sont considérés, par les astrophysiciens, comme des messagers directs d’événe- Le journal du CNRS n° 164-165 septembre-octobre 2003 ments que ne peuvent absolument pas voir les télescopes actuels, qui ne sont sensibles qu’aux seules ondes électromagnétiques. Pouvoir déterminer la provenance de ces neutrinos, comme devrait le faire « Antarès », ouvrirait la voie à un nouveau type d’astronomie : celle des neutrinos. Pas facile toutefois de capter le passage de ces entités : la plupart d’entre elles peuvent traverser la Terre sans être stoppées! Plus de sept ans auront été ainsi nécessaires aux scientifiques de sept pays pour imaginer et mettre au point l’impressionnant instrument européen. Il faut dire que le projet de 18 millions d’euros, soutenu par le Centre de physique des particules de Marseille (CPPM) du CNRS, l’Institut de recherches subatomiques (IRES) à Strasbourg du CNRS/IN2P3, le CEA et l’Ifremer, est à la limite des possibilités techniques actuelles. Il consiste à immerger sur une dizaine d’hectares, au large des côtes varoises, 12 « lignes » de 400 mètres de long, chacune munie de 75 capteurs spéciaux appelés photomultiplicateurs. Puis à repérer, à l’aide de ces 900 instruments électro-optiques, l’infime trace lumineuse laissée dans l’eau par le passage d’un « muon », particule chargée, issue de la rencontre rarissime d’un atome de matière et d’un neutrino. Les scientifiques espèrent par ce procédé en déduire la direction d’où provient ce dernier corpuscule. Une information qui, affirment-ils, leur permettra d’en identifier la source : cataclysme cosmique ou matière nouvelle inconnue. « Antarès » n’est pas le seul télescope à neutrinos. Dans le lac Baïkal et au pôle Sud, Russes et Américains disposent d’appareils semblables en fonctionnement. L’instrument méditerranéen dont la construction s’achèvera début 2006 aura toutefois pour lui d’être plus performant : immergé dans la mer, et non posé sur le fond d’un lac vaseux ou emprisonné dans de la glace, il pourra détecter de plus loin le passage d’un « muon ». Et multiplier les chances d’observer ce type d’événements. Enfin, contrairement à son équivalent d’outre-atlantique, lequel pointe vers l’extérieur de notre galaxie, son emplacement lui permettra de capter des sources de neutrinos dans la Voie lactée et le Soleil. Des atouts qui, réunis entre eux, font « d’Antarès », une machine hors pair pour sonder l’inconnu dans l’Univers… Vahé Terminassian 1. Il existe aussi des neutrinos de « basses énergies » dont certains, étudiés depuis longtemps par les physiciens, sont produits par le Soleil ou les supernovae. « Antarès » est un instrument dédié à l’étude de ceux de « hautes énergies ». CONTACT John Carr [email protected] site Web : http://antares.in2p3.fr/