Maladies psychiques - Swiss Insurance Association

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2002/2
Bulletin des
assureurs Vie destiné
aux médecins suisses
Maladies psychiques
Supplément du Bulletin des médecins suisses
No 51/52, 18 décembre 2002
Schweizerischer Versicherungsverband
Association Suisse d’Assurances
Associazione Svizzera d’Assicurazioni
2
Sommaire
Editeur ASA Association Suisse
d’Assurances
Dr méd. Roland von Känel
Classification actuelle
des troubles mentaux
4
1941 – 1998 édité par les assureurs Vie
La commission responsable de la parution
du «Bulletin» se compose comme suit:
Dr méd. Francesca C. Steinmann
La psychiatrie à titre
de spécialité médicale
20
Karl Groner
Maladies psychiques du point
de vue de l’assureur privé
36
Dr Jakob Bösch, Petra Wildemann
La réintégration des malades
psychiques dans le monde
du travail
46
• Josef Kreienbühl, PAX, président
• Karl Ehrenbaum, Zurich
• Dr méd. Thomas Mall, Bâloise
• Dr méd. Jan von Overbeck, Swiss Re
• Dr méd. Walter Sollberger, Bernoise
• Peter Suter, Winterthur
• Dr méd. André Weissen, PAX
Rédaction Jörg Kistler, dr phil.
C.-F.-Meyer-Strasse 14
8022 Zurich, Téléphone 01-208 28 28
E-mail [email protected]
Imprimerie Dürrenmatt Druck AG
3074 Muri-Berne
Tirage 5500 exemplaires
3
Editorial
Chère lectrice, cher lecteur,
Un tiers environ des bénéficiaires de rentes AI souffrent des suites de maladies psychiques.
Dans son article, Karl Groner montre comment les sociétés d’assurances
privées traitent cette problématique et donne des explications sur l’examen
des propositions ainsi que sur l’évaluation du risque décès et vie.
Mais que sont véritablement les maladies psychiques et comment les reconnaît-on? Madame Steinmann décrit en détail quels sont les amalgames hâtivement faits au sujet de la psychiatrie. Elle décrit les méthodes de traitement
et présente les approches de la recherche. Ainsi, de grands efforts sont
consacrés à l’heure actuelle dans la recherche psychiatrique pour analyser
les mécanismes biologiques à la base des maladies psychiques et pour étudier l’efficacité des diverses méthodes thérapeutiques.
Le docteur von Kaenel donne un exposé de la classification moderne des
maladies psychiques. Il met l’accent dans son article sur le fait qu’à peu près
la moitié des troubles psychiques ne sont pas reconnus dans l’approvisionnement médical de base. Ceci est grave car sans diagnostic correct, une thérapie appropriée n’est pas possible.
Qu’est-ce qui peut être entrepris pour empêcher les stigmatisations mentionnées que subissent les malades psychiques et pour maîtriser les charges
sans cesse croissantes liées à l’assurance incapacité de gain? Petra Wildemann et le docteur Jakob Bösch démontrent que grâce à une reconnaissance
précoce du problème, des possibilités prometteuses permettent à l’intéressé
de se prévenir d’une exclusion du cercle social en empêchant que ses souffrances ne deviennent chroniques.
Chère lectrice, cher lecteur, témoigner de compréhension pour les malades
et engager à temps un traitement médical sur mesure pour adresser le problème est une chose. Mais la société doit également faire davantage pour
réinsérer les malades dans le monde du travail. Dans l’intérêt du malade,
mais aussi dans l’intérêt bien compris de la collectivité qui ne peut simplement assister sans rien faire à la croissance continue des coûts occasionnés
par les maladies psychiques.
Jörg Kistler, dr phil.
4
Classification actuelle
des troubles mentaux
Dr méd. Roland von Känel,
FMH Médecine interne,
Médecine psychosomatique
et psychosociale (APPM),
Département de Médecine
psychosomatique,
Zürcher Höhenklinik Davos
Résumé
La médecine de premier recours est
fréquemment confrontée à des patients présentant des troubles mentaux non reconnus comme tels dans la
moitié des cas environ. Or, de la justesse du diagnostic dépend la spécificité d’un traitement susceptible de
soulager les maux dont souffre le patient. Cet article présente une classification simplifiée, d’après la CIM-10,
pour les troubles mentaux fréquemment rencontrés en médecine de premier recours.
Les dépressions sont répertoriées en
fonction de leur apparition dans le
temps (épisode isolé, récurrent, trouble persistant) et de leur degré de gravité (léger, moyen, sévère). Les troubles anxieux sont subdivisés comme
suit : les phobies, dont l’agoraphobie,
la phobie sociale et les phobies isolées, ainsi que les autres troubles
anxieux auxquels se rattachent le
trouble panique et l’anxiété généralisée. Dans les troubles somatoformes
on distingue les troubles plutôt en rapport avec le système nerveux autonome, tels les dysfonctionnements
neurovégétatifs somatoformes, et les
troubles se manifestant plutôt par des
douleurs dans le syndrome douloureux somatoforme persistant. Il est
relativement rare de se trouver en pré-
sence d’un tableau clinique complet
de trouble somatoforme. Le diagnostic d’un trouble douloureux somatoforme, comme celui des états de stress
et des troubles de l’adaptation, repose
sur la mise en évidence d’une étiologie
psychosociale dont les problèmes
peuvent être codés avec la CIM-10.
Selon leur date de survenue et leur
durée, les états de stress et les troubles de l’adaptation sont classés en
réaction aiguë à un facteur de stress,
état de stress post-traumatique et
troubles de l’adaptation. Il n’est pas
rare non plus que les médecins généralistes soient face à des neurasthénies, à des troubles liés à l’abus
d’alcool et à des troubles de la personnalité.
Introduction
L’objectif de cet article est de fournir
une vue d’ensemble de la classification des troubles mentaux d’après les
critères cliniques et diagnostiques de
la Classification internationale des
maladies (CIM-10) de l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS). La version française de la CIM-10 est disponible auprès de l’OMS à Genève. On
peut discuter de l’utilité d’une approche descriptive du diagnostic des troubles mentaux selon une classification
comme la CIM-10 en pratique clinique
5
quotidienne mais il est indéniable que,
comme les atteintes somatiques, les
troubles mentaux ne peuvent être traités selon les règles de l’art que s’ils
sont reconnus et diagnostiqués comme tels. La réalité d’un trouble mental
étant préexistante à son diagnostic, ce
dernier repose sur différents syndromes, c’est-à-dire sur un nombre précis
de symptômes discriminants dont la
présence permet de caractériser le
trouble dont il s’agit. Ni les tests biologiques, ni les techniques d’imagerie
ne permettent de confirmer un diagnostic de trouble mental, c’est pourquoi la relation médecin-patient et
l’anamnèse revêtent une importance
particulière.
Comme on le verra dans la suite, les
troubles mentaux ne sont pas encore
suffisamment dépistés ni traités en
médecine générale, alors qu’à l’évidence les conséquences psychiques,
sociales et somatiques en sont importantes en termes de perte de qualité
de vie et d’augmentation de la morbidité et de la mortalité. Il faut souligner
à cet égard que les répercussions des
troubles mentaux sur la santé sont
nombreuses et comparables à celles
d’une atteinte somatique. Les critères
diagnostiques de la CIM-10 ont un
avantage certain, compte tenu du peu
de temps dont dispose le médecin
dans sa pratique quotidienne, car ils
permettent d’opérer rapidement un tri
entre les différentes catégories de
troubles mentaux et, partant, de prendre les mesures thérapeutiques spécifiques qui s’imposent. Il est également
utile de savoir que l’incidence des
dépressions augmente avec l’âge et
qu’elles sont deux fois plus fréquentes
chez les femmes que chez les hommes, par exemple, mais ces notions
complémentaires ne peuvent pas être
développées dans le cadre de cet
article.
Par ailleurs, l’évolution des coûts dans
le système de santé, accroît l’importance d’un langage commun entre les
différents partenaires lorsqu’il s’agit
de maladies précises et des prestations fournies et exigées dans un tel
cas. Ainsi le collaborateur d’une compagnie d’assurances aura des difficultés bien compréhensibles à se représenter concrètement une «dépression
d’épuisement dans un contexte de
stress psychosocial» alors qu’une
définition précise du type «trouble de
l’adaptation avec réaction dépressive
prolongée (CIM-10 F43.21) après décès du conjoint (CIM-10 Z63.4)» lui
faciliterait grandement la tâche. Les
malentendus qui s’ensuivent peuvent
avoir une incidence sur les modalités
de remboursement d’une psychothé-
6
rapie ambulatoire ou d’un séjour de
réhabilitation à l’hôpital, alors que la
souffrance subjective et les manifestations objectives d’un deuil prolongé
avec somatisation sont les mêmes,
quelle que soit la formulation du diagnostic.
Troubles mentaux en médecine
de premier recours
Les études épidémiologiques conduites par le groupe de Wittchen au Max
Planck Institut de Munich sur la prévalence des troubles mentaux dans les
consultations de médecine de premier
recours (primary care), mettent l’accent sur l’importance d’une méthodologie scrupuleuse et rigoureuse
dans le diagnostic des troubles mentaux. Ces études ont porté sur plus de
20 000 patients et ont montré, d’une
part, que chez les patients ayant consulté un généraliste et présentant des
troubles mentaux correspondant aux
catégories de la CIM-10, seuls un peu
plus de la moitié de ces troubles ont
été reconnus comme tels et d’autre
part, qu’une dépression a été diagnostiquée à tort chez plus d’un
patient sur dix. Dans trois quarts des
cas, la présence de problèmes sociaux
(famille, profession) revêt une importance clinique chez des patients dont
les troubles mentaux ont été définis et
il n’est possible d’agir positivement
sur une telle situation que si elle est
mise en évidence.
Un traitement consécutif à une erreur
de diagnostic peut avoir des effets
indésirables avec d’éventuelles répercussions délétères sur l’état de santé
du patient (troubles du rythme avec
les antidépresseurs tricycliques, dyskinésies avec les neuroleptiques). Le
cas le plus fréquent, en médecine de
premier recours, n’est cependant pas
l’erreur de diagnostic mais son absence et donc celle d’un traitement
spécifique, que ce soit par des psychotropes ou d’autres interventions
psychothérapeutiques.
Encore moins fréquente, en proportion, est la mise en évidence des formes dites subcliniques des troubles
mentaux où le nombre des symptômes
est insuffisant pour qualifier un trouble réellement constitué. Même s’ils
ne se présentent pas sous la forme
d’un syndrome, ces troubles n’en ont
pas moins une signification clinique.
Ainsi, une corrélation a été établie à
plusieurs reprises entre la gravité d’un
état dépressif et le risque d’infarctus
du myocarde (IDM), lors d’un suivi sur
plusieurs années. Il apparaît clairement dès lors à quel point il est important de diagnostiquer et de traiter à
temps les dépressions, qu’elles soient
7
cliniquement manifestes ou non, pour
améliorer les fonctions psychiques et
relationnelles mais aussi pour influer
favorablement sur la morbidité somatique et la mortalité.
Un quart des patients qui survivent à
un IDM, présentent un «trouble dépressif majeur» au décours de cet accident. Ceci démontre que la prévalence
d’un trouble dépressif majeur est environ trois fois supérieure, chez ce type
de patients, à celle observée dans la
population générale. Une dépression
n’est cependant diagnostiquée que
chez un patient cardiaque sur quatre
et un traitement par un antidépresseur
et/ou une psychothérapie ne sera
prescrit que dans cas un sur deux. Il en
ressort qu’un patient déprimé ayant
subi un IDM n’a que 1 chance sur 10 de
recevoir un traitement antidépresseur
susceptible d’avoir un effet bénéfique
sur sa survie.
Classification des troubles mentaux
Il n’est pas possible de traiter de l’ensemble des troubles mentaux selon la
CIM-10 dans cet article. Il ne faut pas
non plus que la subdivision des différents groupes d’affections paraisse
trop complexe et aille à l’encontre du
but recherché, à savoir montrer l’utilité d’une telle classification pour la
pratique quotidienne.
Selon les types de population, environ
10 à 20% des patients qui consultent
un généraliste présentent des troubles mentaux au sens de la CIM-10
et des troubles mentaux subsyndromiques existent chez un pourcentage
équivalent. Il est très important de
savoir que ce sont rarement des symptômes psychiques qui amènent le
patient à consulter son généraliste
mais le plus souvent des plaintes de
nature somatique comme des douleurs, une fatigue ou des troubles du
sommeil.
Les symptomatologies cliniques les
plus fréquentes sont des épisodes
dépressifs, une anxiété généralisée,
un trouble somatoforme, une neurasthénie et une dépendance à l’alcool.
Il faut cependant rappeler que les
troubles mentaux s’accompagnent
d’une morbidité importante. D’une
manière générale, on observe que
chez trois patients sur cinq atteints
d’une dépression cliniquement manifeste, il est possible de diagnostiquer
au moins un autre trouble psychique.
Ainsi la concomitance de troubles
dépressifs et anxieux constitue plutôt
la règle que l’exception. La forte
comorbidité dans les troubles mentaux reste un sujet de débat entre
experts pour savoir s’il faut coder le
diagnostic de trouble dépressif et
8
celui de trouble anxieux en deux affections distinctes: «trouble dépressif,
épisode isolé (CIM-10 F32)» et «autres
troubles anxieux (CIM-10 F41)» ou les
coder ensemble sous «trouble anxieux
et dépressif mixte (CIM-10 F41.2)».
En pratique quotidienne, on recommande d’avoir recours à la première
méthode, c’est-à-dire de délimiter
autant que possible les différents
troubles les uns des autres et de poser
un diagnostic principal selon la CIM-10
et un/des diagnostic(s) annexe(s) de
comorbidité. En cas de doute, il est
souhaitable de faire appel à un confrère spécialiste. Dans tous les cas de
figure, il faut essayer de déterminer
par l’anamnèse lequel des troubles est
apparu en premier. Chez des patients
présentant une dépression associée à
des troubles douloureux somatoformes, il n’est pas rare en effet de trouver
un trouble de l’adaptation post-traumatique préexistant, remontant à un
vécu traumatisant de l’enfance, et qui
peut être la clé du succès thérapeutique.
ble dépressif (trouble affectif bipolaire
F31) sont assez rarement observés en
médecine de premier recours, c’est
pourquoi nous limiterons notre propos aux catégories suivantes: épisode
dépressif isolé (F32), trouble dépressif
récurrent (F33) et troubles de l’humeur (affectifs) persistants (F34).
Dans l’anamnèse, il est toujours bon
de demander au patient d’humeur
dépressive s’il y a eu des phases dans
sa vie où lui ou son entourage a eu
l’impression qu’il était d’une humeur
anormalement enjouée ou qu’il était
exalté, voire euphorique, pour débusquer un trouble bipolaire II (épisodes
dépressifs associés à des états hypomaniaques) qui doit recevoir un traitement différent de celui d’un trouble
dépressif pur, c’est-à-dire unipolaire.
Nous ne nous attarderons pas ici sur
des symptômes psychotiques comme
les idées délirantes et les hallucinations que l’on observe parfois dans la
dépression grave (F32.3) car les manifestations psychotiques sont du ressort du psychiatre.
Troubles dépressifs
Les troubles dépressifs font partie des
troubles affectifs ou de l’humeur (CIM10 F30-F39). Les épisodes maniaques
ou hypomaniaques isolés (épisode
maniaque F30) ou associés à un trou-
Episodes dépressifs
selon la CIM-10 F32
Il s’agit d’un état dépressif permanent
ayant duré au moins deux semaines et
qui a pris des proportions franchement anormales pour la personne
9
concernée, la plupart du temps au
cours de la journée, presque tous les
jours, et sur lequel les circonstances
extérieures n’ont pratiquement aucune influence. Par principe, il ne faut
faire appel à la notion d’«épisode
dépressif» que pour un épisode isolé.
Les épisodes dépressifs répétitifs
doivent être diagnostiqués comme
trouble dépressif récurrent en relation
avec le type d’épisode présent (voir
ci-dessous). Les dix symptômes du
tableau 1 devront être systématiquement recherchés pour déterminer le
degré de sévérité de l’épisode dépressif (tableau 2).
Le diagnostic d’un épisode dépressif
repose sur la présence d’au moins
deux des 3 premiers symptômes. Un
seul symptôme parmi les trois premiers, ne suffit pas pour poser un diagnostic de dépression au sens strict.
On peut cependant parler d’une
dépression subsyndromique, que l’on
codera de préférence sous «autres
épisodes dépressifs (F32.8)» ou sous
«dysthymie (F34.1, voir ci-dessous)» si
elle perdure assez longtemps. Si un
état d’agitation ou de ralentissement
(psychomoteur) particulier empêche
le patient de décrire les symptômes en
détail, on peut alors conclure globalement à un épisode dépressif sévère.
L’apparition de symptômes déterminés ayant une signification clinique en
cours d’épisode dépressif ou celle
d’un trouble dépressif récidivant peut
être délimitée comme syndrome so-
Tableau 1
Les 10 symptômes de la dépression selon la CIM-10
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
Humeur dépressive
Perte de l’intérêt ou du plaisir à des activités habituellement agréables
Manque d’énergie ou de dynamisme
Complexe d’infériorité ou manque de confiance en soi
Manque d’appétit et perte de poids
Sentiment de culpabilité et de dévalorisation
Troubles du sommeil
Vision négative et irréaliste des perspectives d’avenir
Idéation suicidaire et antécédents d’automutilation ou de tentatives
de suicide
10. Difficulté à soutenir son attention et à se concentrer
10
Tableau 2
Classification des épisodes dépressifs
Degré de sévérité de la dépression
Critère diagnostique
Episode dépressif léger
(F32.0)
au moins 4 des symptômes 1 – 10,
dont
au moins 2 des symptômes 1 – 3
au moins 5 des symptômes 1 – 10,
dont
au moins 2 des symptômes 1 – 3
au moins 7 des symptômes 1 – 10,
dont
au moins 3 des symptômes 1 – 3
Episode dépressif moyen
(F32.1)
Episode dépressif sévère
(F32.2)
matique, en présence d’au moins quatre symptômes du tableau 3. La présence ou l’absence d’un syndrome
somatique est codée au 5e caractère,
c.-à-d. épisode dépressif de sévérité
moyenne avec syndrome somatique
F32.01 ou épisode dépressif de sévérité moyenne sans syndrome somatique F32.00. «Syndrome somatique»
indique que la dépression s’accompagne d’une altération de la motricité,
des fonctions neurovégétatives et du
rythme circadien, avec une incidence
sur l’état physique et mental, ainsi que
sur le comportement et le vécu du
malade.
Trouble dépressif récurrent d’après
la CIM-10 F33
Le trouble dépressif récurrent, comme
son nom l’indique, se définit comme
l’apparition d’au moins deux épisodes
dépressifs séparés par une période de
plusieurs mois sans symptomatologie
affective. Si la durée de ces épisodes
a été inférieure à deux semaines et/ou
si l’intervalle sans trouble affectif
n’a pas duré quelques mois au moins,
il faut diagnostiquer d’«autres troubles de l’humeur (affectifs) récurrents
(F38.1)». Pour simplifier, la classification des troubles dépressifs récurrents se fait en fonction des caractéristiques de l’épisode présent, c.-à-d. en
fonction du tableau clinique observable, avec possibilité de considérer à
part le syndrome somatique (voir cidessus):
11
Tableau 3
Caractéristiques du syndrome somatique
1. Perte de l’intérêt ou du plaisir à des activités habituellement
agréables
2. Incapacité à ressentir des émotions
3. Réveil très matinal
4. Etat d’abattement matinal
5. Ralentissement psychomoteur ou agitation manifeste
6. Perte d’appétit
7. Perte de poids >5% du poids corporel du mois précédent
8. Diminution de la libido
trouble dépressif récurrent,
épisode actuel léger (F33.0)
trouble dépressif récurrent,
épisode actuel moyen (F33.1)
trouble dépressif récurrent,
épisode actuel sévère (F33.2)
Il importe de souligner qu’un trouble
dépressif récurrent peut aussi connaître des rémissions, c.-à-d. qu’au
moment de l’anamnèse un tel patient
peut être en rémission complète:
trouble dépressif récurrent, actuellement en rémission (F33.4)
Troubles de l’humeur (affectifs)
persistants selon la CIM-10 F34
Le seul trouble de cette catégorie évoqué ici sera la dysthymie F34.1. Il s’agit
d’un trouble de l’humeur chronique
(durant plusieurs mois, voire des an-
nées ou la vie entière) de type dépressif et généralement fluctuant, qui selon la sévérité et la durée des différents épisodes n’est pas suffisamment
grave pour être qualifié d’épisode dépressif léger.
Troubles anxieux
La CIM-10 distingue les troubles phobiques des autres troubles anxieux.
Les troubles phobiques ont ceci de
particulier que la peur est provoquée
par une situation ne présentant aucun
danger, clairement définie et extérieure au patient. Parmi les troubles phobiques, on compte l’agoraphobie, la
phobie sociale et les phobies isolées
concernant la confrontation à des situations ou des objets spécifiques
(animaux, altitude, par ex.). Nous ne
nous attarderons pas sur ces derniè-
12
res car les patients peuvent généralement éviter ce stimulus phobogène
sans trop de difficultés dans leur vie
quotidienne. Les phobies s’accompagnent typiquement d’une crainte d’anticipation et d’un comportement d’évitement par rapport à la situation phobogène. Le diagnostic de phobie peut
aussi être posé lorsque cette dernière
s’accompagne d’attaques de panique.
Contrairement aux phobies, les autres
troubles anxieux ne sont pas liés à
un environnement particulier. A cette
catégorie «autres troubles anxieux»,
appartiennent le trouble panique et
l’anxiété généralisée. On préconise
aussi de coder «trouble anxieux, sans
précision (F41.9)», toute manifestation anxieuse subsyndromique ayant
une signification clinique.
Troubles phobiques
selon la CIM-10 F40
Agoraphobie F40.0
Pour poser un diagnostic d’agoraphobie, il faut qu’une peur apparaisse
dans au moins deux des quatre situations définies (foule, place publique,
voyages avec éloignement important
de chez soi, voyager seul) et que le
comportement d’évitement constitue
un handicap important. Selon la présence ou l’absence d’un trouble panique associé (voir ci-dessous), on op-
tera pour le code agoraphobie sans
antécédent de trouble panique
(F40.00) ou agoraphobie avec trouble
panique (F40.01). Les manifestations
caractéristiques sont: peur de faire un
malaise en public, de se ridiculiser et
de ne pas trouver d’«issue de secours»
pour pouvoir se réfugier le plus vite
possible dans un endroit sûr, généralement chez soi.
Phobies sociales F40.1
Le diagnostic de phobie sociale suppose que la peur soit limitée à des
situations définies de la vie en société
avec un comportement d’évitement
marqué pouvant conduire à l’isolement social. Les situations qui classiquement suscitent la peur sont le fait
de manger ou de parler en public ou de
rencontrer une personne du sexe
opposé à l’exception des personnes
familières de l’entourage immédiat.
Des manifestations neurovégétatives
comme une sudation, le fait de rougir
ou des tremblements, sont possibles.
La distinction d’avec l’agoraphobie est
parfois difficile. Contrairement au
patient souffrant d’agoraphobie, la
personne présentant une phobie
sociale ne se sentira pas nécessairement mal à l’aise dans une foule mais
craindra éventuellement d’adresser la
parole à quelqu’un dans cette foule.
13
Autres troubles anxieux
selon la CIM-10 F41
Trouble panique F41.0
Il s’agit de la survenue, par attaques,
d’une peur intense imprévisible
(«comme tombée du ciel») que le sujet
n’est pas capable de mettre en relation
avec un stimulus externe. Il ne faut
poser le diagnostic d’attaque de panique qu’en l’absence d’une phobie. Les
notions d’attaque de panique, de crise
de panique ou de crise d’angoisse
sont synonymes de trouble panique.
Les attaques durent entre quelques
minutes et une demi-heure et s’accompagnent de symptômes physiques intenses dus à une activation
neurovégétative. Les plus fréquemment cités sont: palpitations cardiaques, sensation de «souffle coupé»
et vertiges. Le tableau 4 présente un
récapitulatif des troubles somatiques
liés à une attaque de panique. Dans
certains cas, pour le patient comme
pour le médecin, les troubles physiques sont une préoccupation plus
grande que la peur à proprement parler. C’est pourquoi il n’est pas rare qu’il
faille plusieurs années et une multitude d’examens somatiques sans
résultat, avant de diagnostiquer et de
traiter un trouble panique. D’autres
symptômes cognitifs comme «avoir
peur de mourir» ou «peur de devenir
Tableau 4
Manifestations physiques d’une attaque de panique
Domaine anatomique
Symptômes et observations
Système cardiovasculaire
Thorax : oppression, violente douleur en
«coup de poignard», palpitations cardiaques,
tachycardie, troubles du rythme
«Souffle coupé», sensation d’étouffement,
oppression, hyperventilation
Renvois, sensation de «boule dans la gorge»,
douleurs gastriques, nausées, vomissements,
diarrhées
Faiblesse musculaire, contractures,
tremblements
Pâleur ou rougeur cutanée, extrémités froides,
sudation
Vertiges, maux de tête
Appareil respiratoire
Tractus gastro-intestinal
Muscles
Peau et phanères
Système nerveux central
14
fou», sont une aide éventuelle à l’interprétation des manifestations somatiques.
Anxiété généralisée F41.1
Anxiété permanente et généralisée,
portant notamment sur l’avenir, et
associée à un état de tension motrice
et d’hyperexcitabilité neurovégétative
(sensation d’être survolté) persistant
pendant plusieurs semaines au minimum. Les manifestations physiques
sont comparables à celles figurant au
tableau 4 pour les attaques de panique mais sont de moindre intensité
et s’apparentent plutôt à une nervosité diffuse.
Troubles somatoformes
Les troubles somatoformes sont définis comme des symptômes physiques
répétitifs sans cause organique démontrable pour lesquels le patient ne
cesse d’exiger des examens médicaux.
Lors de dysfonctionnement neurovégétatif somatoforme (F45.3), les
symptômes sont présentés comme
ceux d’une atteinte physique portant
sur un système ou un organe contrôlé
par le système nerveux autonome. Les
notions caractéristiques qui s’y rattachent sont la «névrose cardiaque»,
codée sous dysfonctionnement neuro-
végétatif somatoforme du système
cardiovasculaire (F45.30) ou «l’hyperventilation psychogène» codée sous
dysfonctionnement neurovégétatif
somatoforme du système respiratoire
(F45.33).
Le diagnostic d’un syndrome douloureux somatoforme persistant (F45.4)
implique la présence d’une douleur
insupportable et durable (généralement >6 mois) ne pouvant s’expliquer
par aucun processus physiologique
ou trouble organique. Les résultats
anormaux fortuits ou normaux d’examens médicaux n’infirment pas automatiquement ce diagnostic. Bien
qu’ils soient difficiles à mettre en évidence, il faut qu’il y ait des problèmes
psychosociaux ou des conflits émotionnels suffisamment graves pour
pouvoir être à l’origine des troubles. Le
tableau 5 rassemble quelques facteurs psychosociaux et événements
(life events) typiques provoquant ou
faisant perdurer un syndrome douloureux somatoforme mais aussi d’autres
troubles mentaux (état de stress et
trouble de l’adaptation F43) et que l’on
peut coder à l’aide de la CIM-10 (Z00Z99). Les douleurs chroniques reposant sur des mécanismes psychophysiologiques devraient être diagnostiquées dans la catégorie «facteurs psychologiques et comporte-
15
Tableau 5
Difficultés psychosociales pouvant influer sur l’état de santé
Formation et culture générale (Z55)
Activité professionnelle et chômage (Z56)
Conditions de logement et difficultés économiques (Z59)
Intégration culturelle (Z60.3)
Vécu traumatisant remontant à l’enfance (Z61)
Relation conflictuelle avec le partenaire (Z63.0)
Décès d’un membre de la famille (Z63.3)
Dislocation de la famille par séparation ou divorce (Z63.5)
mentaux associés à des maladies ou
des troubles classés ailleurs (F54)»
avec un codage complémentaire provenant d’une autre partie de la CIM-10
(douleurs vertébrales chroniques
dues à une maladie de Scheuerman et
à une incapacité à faire face à la maladie de façon adéquate CIM-10 M42.0
F54).
Des douleurs sans cause organique
apparente peuvent aussi apparaître
dans le cadre plus général du trouble
somatoforme (F45.0) au cours duquel
les plaintes portent sur de multiples
symptômes qui doivent avoir persisté
pendant au moins 2 ans. Elles interviennent généralement avant la trentaine et conduisent à pratiquer de
nombreuses explorations sans résultat qui ne cessent de faire augmenter
le volume du dossier du patient.
Contrairement aux deux autres trou-
bles somatoformes cités plus haut, il
est rare que l’ensemble du trouble
somatoforme fasse l’objet de consultations de médecine générale.
Etat de stress et troubles de
l’adaptation
Il s’agit de troubles qui trouvent leur
origine dans un événement traumatique exceptionnel (life event, voir
tableau 5) ou dans une modification
particulière des conditions de vie. Le
tableau 6 permet de distinguer trois
formes selon le déroulement chronologique de la symptomatologie.
Les troubles s’accompagnent fréquemment de réactions émotionnelles parfois très vives (dépressions,
peurs, contrariété; à coder au 5e caractère) et de symptômes neurovégétatifs. Il existe toujours une disproportion entre les exigences auxquelles le
16
Tableau 6
Classification des états de stress et des troubles de l’adaptation
selon la CIM-10 F43
Trouble
Début
Durée
Réaction aiguë à un facteur
de stress
F43.0
Etat de stress
post-traumatique
F43.1
Trouble de l’adaptation
F43.2
Réaction subite et
violente en l’espace de
quelques minutes
Réaction différée en
l’espace de 6 mois après
le traumatisme
Réaction en l’espace
de 1 (à 3) mois
après l’événement
3 jours
facteur de stress psychosocial confronte l’individu et les possibilités de
ce dernier d’y faire face.
Il faut signaler à cet égard que les limites sont fluctuantes entre un trouble
de l’adaptation – deuil s’accompagnant d’une symptomatologie anormale (intensité ou durée excessive) –
et une dépression. C’est pourquoi il
est recommandé de définir un deuil
qui se prolonge au-delà de six mois
comme une dépression si les critères
diagnostiques sont remplis.
Autres troubles mentaux
Neurasthénie F48.0
Les critères diagnostiques de la neurasthénie ou d’un «syndrome d’épuisement» ont de nombreux points
communs avec le «Chronic Fatigue
Plusieurs mois
sinon années
6 mois
Syndrom», ne figurant pas dans la
CIM-10. Pour poser un tel diagnostic,
il faut une fatigabilité mentale accrue
après un effort intellectuel, s’accompagnant de difficultés à rassembler
ses idées et à se concentrer, ou un état
d’épuisement physique après des
efforts minimes. Au moins deux des
sept symptômes suivants, doivent en
outre être présents: douleurs musculaires, céphalée de tension, vertiges,
troubles du sommeil, irritabilité, incapacité à se détendre, dyspepsie. Il
ne doit y avoir aucun trouble dépressif
ou anxieux concomitant.
Troubles de la personnalité selon
la CIM-10 F60
Les troubles de la personnalité sont
subdivisés en plusieurs groupes selon
17
des caractéristiques propres correspondant aux schémas comportementaux les plus fréquents ou les plus
singuliers. Des schémas comportementaux stables et des réactions
stéréotypées dans la cognition, la
pensée, les sentiments et les sensations ainsi que dans les relations
entraînent des problèmes relationnels
et une détérioration du fonctionnement social. Il importe cependant de
distinguer les modifications durables
de la personnalité (F62) consécutives
à des situations de stress intense ou
durable. Lors de trouble de la personnalité associé à un autre trouble mental, il convient de poser les deux diagnostics. Par principe, un diagnostic
de trouble de la personnalité ne doit
être posé que par une personne disposant d’une formation adéquate et avec
beaucoup de circonspection. Il n’est
pas rare que des diagnostics du type
«personnalité borderline» stigmatisent des patients pendant des années
sans que les critères diagnostiques
aient jamais été remplis.
Troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool
selon la CIM-10 F10
On parle d’une utilisation d’alcool
nocive pour la santé (F10.1) lorsque la
consommation d’alcool entraîne réellement une altération de l’état de santé physique ou mental. Le diagnostic
ne devra prendre en compte ni l’appréciation de l’entourage sur le caractère dangereux de la consommation
d’alcool, ni les répercussions sociales
négatives.
Dans le syndrome de dépendance à
l’alcool (F10.2) c’est la consommation
d’alcool qui prime sur des comportements auxquels la personne dépendante accordait davantage d’importance par le passé. Pour poser ce diagnostic, il faut qu’au moins trois des
six critères suivants soient simultanément remplis sur une période d’un an
au minimum: envie démesurée de
boire de l’alcool, perte de contrôle,
symptômes de sevrage, apparition
d’une tolérance, manque d’intérêt
pour d’autres domaines de l’existence, consommation continuelle malgré
les effets néfastes.
18
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20
La psychiatrie à titre de spécialité
médicale
Dr méd.
Evolution historique, présent et futur
Francesca C. Steinmann,
diplomée FMH en
psychiatrie et psychothérapie,
Centre médicale Römerhof,
Zurich
Résumé
La psychiatrie, en tant que partie non
négligeable de la médecine moderne,
est liée à des associations contradictoires. Les concepts sont souvent
vagues, de fausses idées naissent en
outre d’interactions avec des projections personnelles ou la stigmatisation du fait de préjudices commis
durant l’histoire. Soigner l’image de la
psychiatrie est donc chose indiquée.
Le présent article entend présenter
une vue d’ensemble du vaste champ
de la psychiatrie, en tant que domaine
spécialisé de la médecine, moyennant
référence à l’évolution historique
ainsi qu’aux objectifs de la recherche
psychiatrique à l’heure actuelle et
dans un proche avenir.
1. Evolution historique
Une rétrospective des derniers
deux siècles et demi
Les écrits d’Hippocrate contiennent,
dans le Corpus Hippocraticum et sous
le titre «De la maladie sacrée»(Morbus
Sazer), des opinions doctrinales modernes et concises concernant les
troubles psychiques:
«Il faut savoir que, d’une part, les
plaisirs, les joies, les rires et les jeux,
d’autre part, les chagrins, les peines,
les mécontentements et les plaintes
ne nous proviennent que de là (le cerveau). C’est par là surtout que nous
pensons, comprenons, voyons, entendons, que nous connaissons le laid et
le beau, le mal et le bien, l’agréable et
le désagréable, soit que nous distinguions ces choses par les conventions
d’usage, soit que nous les reconnaissions par l’utilité qu’elles nous procurent, ressentant, dans cette utilité
même, le plaisir et le déplaisir, suivant
les opportunités, les mêmes objets ne
nous plaisant pas. C’est encore par là
que nous sommes fous, que nous délirons, que des craintes et des terreurs
nous assiègent, soit la nuit, soit après
la venue du jour, des songes, des
erreurs inopportunes, des soucis sans
motifs, l’ignorance du présent, l’inhabitude, l’inexpérience. Tout cela, nous
l’éprouvons par le cerveau quand il
n’est pas sain, c’est-à-dire quand il est
trop chaud, ou trop froid, ou trop humide, ou trop sec, ou quand il a éprouvé
quelque autre lésion contre nature à
laquelle il n’est pas habitué. La folie
provient de son humidité; en effet,
devenu trop humide, il se meut nécessairement; se mouvant, ni la vue, ni
l’ouïe ne sont sûres, le patient voit et
21
entend tantôt une chose tantôt une
autre; la langue exprime ce qu’il voit et
entend. Mais tout le temps que le cerveau est dans le repos, l’homme a sa
connaissance. Si le patient est en proie
à des craintes et à des terreurs, cela
provient du changement qu’éprouve
le cerveau. Pour ces raisons, je regarde
le cerveau comme l’organe ayant le
plus de puissance dans l’homme, car il
nous est, quand il est sain, l’interprète
des effets que l’air produit.
Chaque maladie a, par elle-même, sa
nature et sa puissance, et aucune n’est
inaccessible et réfractaire. La plupart
sont curables par les mêmes influences qui les produisent. Donc, c’est une
connaissance que le médecin doit
avoir, afin que, discernant l’opportunité de chaque cas, il donne l’aliment
à ceci qui en sera augmenté et le retranche à cela qui, par ce retranchement, sera diminué.»
(Hippocrate, 460 – 370 av. J.-C.,
trad. tirée de Littré,
HIPPOCRATE. – Œuvres complètes ,
vol. 6, p. 387 – 395).
Dans l’enseignement d’Hippocrate, il
est un principe essentiel dont la teneur
est la suivante: «On doit remonter à la
cause, et au début des causes.» Ainsi,
l’étiologie des médecins de l’école
d’Hippocrate est tout à fait rationnelle
et libérée de toute superstition populaire (dont les partisans ont tendance
à imputer en toute occasion à des
démons inquiétants les symptômes
caractéristiques présentés par des
malades). Au contraire, de telles conceptions ataviques sont combattues
au plus haut point. L’art de guérir
scientifique d’Hippocrate se fonde sur
une pensée globale. La médecine de
l’école hippocratique considère toujours l’organisme du malade dans son
entier, car l’être humain physique et
spirituel, dans son ensemble, est vu
comme un organisme.
Donc, après que dans l’antiquité
grecque et romaine déjà, les troubles
psychiques soient décrits et reconnus
comme une maladie physique du cerveau, la tradition de la guérison médicale antique se perd par la suite.
Au Moyen-Age, les troubles psychiatriques ne sont plus reconnus comme
tels et les malades psychiques sont
détenus dans des conditions inhumaines, au fond de geôles, ou poursuivis
par l’Inquisition en tant que sorcières
ou sorciers.
22
Au 17e et 18e siècle, les malades psychiques, considérés comme des personnes asociales, sont logés avec les
handicapés, les pauvres, les vagabonds et les prostituées dans divers
types de maison de réclusion. En ces
lieux, il sont souvent enchaînés et privés de tout traitement médical.
Au cours du siècle des Lumières, soit
dans la deuxième partie du 18e, s’installe progressivement une humanisation du traitement des malades psychiques. Les anciennes maisons d’enfermement des personnes délirantes
deviennent des «asiles de fous». Dans
ce contexte est sans cesse évoquée
la légendaire «libération des fous de
leurs chaînes» opérée par le médecin
français Philippe Pinel qui, en 1794 à
Paris, libère les malades mentaux de
leurs chaînes à «l’Hospice de Bicêtre».
Pinel défend alors la thèse que les fous
ne sont pas des coupables que l’on
doit punir, mais des malades méritant
toute la considération que l’on doit à
des êtres humains qui souffrent.
C’est le début d’une nouvelle compréhension des maladies mentales.
Des impulsions de même type, très
nettement axées sur la psychiatrie
sociale, proviennent également d’Angleterre, sous la forme dudit «Mouvement Non-Restraint». John Conolly
(1794 – 1866) en particulier, qui re-
nonce entièrement aux moyens de
contrainte mécaniques, exige une attitude indulgente et empreinte de bonté
à l’égard des patients, ouvre une ère
nouvelle de traitement, avec visites
journalières des médecins, de nombreux établissements sociaux ainsi
qu’une occupation régulière des malades dans l’artisanat et l’agriculture
(Möller, Laux, Deister, 1995).
En Suisse, Auguste Forel (1848 – 1931),
en qualité de médecin-chef de la
clinique psychiatrique du Burghölzli,
introduit dans cet esprit, pour les
patients qui sont encore maintenus
dans l’inaction à l’époque, la thérapie
fondée sur le travail et l’occupation,
qui existe toujours à l’heure actuelle. Il
fait également en sorte de supprimer
toute consommation d’alcool à la clinique. Il introduit à titre de remplacement une limonade préparée à la clinique.
Au 19e siècle, la psychiatrie allemande
est divisée en deux camps, notamment en raison de la dispute sur les
causes des troubles psychiques. Les
«Psychiker» voient les maladies de
l’esprit comme des maladies de l’âme
incorporelle et comme une conséquence des péchés. Les «Somatiker»
formulent au contraire des approches
relevant des sciences naturelles ou de
l’anthropologie. Vers la fin du 19e siè-
23
cle, on en arrive à une intégration
croissante de la psychiatrie dans la
médecine générale, en particulier
dans la neurologie en développement.
Emil Kraepelin (1856 – 1926), professeur ordinaire de psychiatrie à
Munich, crée une systématique des
maladies psychiques sur la base de
l’observation de l’évolution globale.
Le professeur de psychiatrie zurichois
et médecin chef de la clinique psychiatrique du Burghölzli, Eugen Bleuler
(1857 – 1939), introduit la notion de
«schizophrénie» pour la «dementia
praecox» décrite par Kraepelin.
Karl Jaspers définit en 1913 l’essence
de la dépression comme une «profonde tristesse» et un «blocage de l’expression de l’âme».
La systématique des maladies, telle
que développée par Kraepelin et Bleuler, exerce une influence majeure sur la
suite de l’évolution de la doctrine en
matière de maladies psychiatriques
qui, depuis les années 70 du siècle
dernier, est unifiée sous la partie psychiatrique de «l’International Classification of Deseases – ICD». Aux USA
est développé en parallèle le système
DSM, qui trouve son application en
Europe dans des domaines de recherche avant tout.
Sigmund Freud (1856 – 1936), médecin
en neurologie et en psychiatrie, pro-
fesseur extraordinaire à Vienne, développe au tournant du siècle sa théorie
du processus de réaction inconscient
et neurotique, les grands traits de la
psychanalyse à titre d’approche pour
une explication des troubles neurotiques et de forme de thérapie.
A la suite des théories de Pawlow et
Skinner, au sujet de la «conditionabilité» ou l’apprentissage de modèles de
comportement, une psychologie fondée sur la théorie de l’apprentissage
se développe, qui explique les troubles psychiques comme des conséquences de processus d’apprentissage; cette théorie prépare, avec la
thérapie du comportement, une forme
de psychothérapie en conséquence,
qui est aujourd’hui encore une des
méthodes psychothérapiques importantes.
Au 20e siècle, des progrès tout à fait
essentiels sont enregistrés dans les
méthodes de traitement somatique
qui, depuis lors, ont nettement amélioré les possibilités thérapeutiques
de la psychiatrie et contribué de
manière accrue à une modification
positive de l’approvisionnement des
malades psychiques:
Traitement de la paralysie progressive
avec accès de fièvre via une infection
par des agents pathogènes de la malaria, introduit la première fois par
24
Julius Wagner. Puis remplacement de
cette forme de thérapie par des traitements à la pénicilline. (Les courbes de
fièvre, par lesquelles les traitements
de l’époque, à base de malaria, ont été
documentés peuvent être vues
aujourd’hui encore au Musée de la clinique universitaire psychiatrique de
Zurich.)
1933: Publication du «traitementcoma-insuline» par Manfred Sakel;
cette méthode se poursuit jusqu’à
l’aire de la psychopharmacothérapie,
puis devient obsolète.
1937: Introduction de la thérapie par
électrochoc par Kerletti et Bini. Cette
forme de traitement, qui est encore
utilisée avec succès aujourd’hui en cas
de dépressions résistant au traitement, a mauvaise réputation, sans
fondement d’ailleurs. Ce traitement
est administré avec ménagement,
sous narcose avec surveillance anesthésique et sous relaxation musculaire périphérique. Quand bien-même
elle représente une des formes de traitement psychiatrique les plus efficaces et les plus sûres – et a aidé de nombreux patients souffrant de graves
dépressions, qui ne pouvaient être
traités à satisfaction par des médicaments psychotropes – elle est une des
méthodes thérapeutiques les plus
contestées et suscite, hors des milieux
spécialisés de la psychiatrie, la plus
grande des défiances et craintes.
La stigmatisation de l’électrochoc, qui
sur le plan international se manifeste
par ailleurs de manière diverse, est
une raison additionnelle pour que de
nombreux patients et leurs proches
considèrent ce traitement comme inacceptable.
A partir de 1950 env.: Développement
de médicaments psychotropes:
1949: Cade découvre l’effet antimanique du lithium (des sources
thermales riches en lithium étaient
déjà prescrites du temps des
Romains, à titre de cures stabilisantes pour le moral).
1952: Développement de la chlorpromazine en tant que premier neuroleptique, par Delay et Deniker.
1954: Berger découvre le méprobamate, à titre d’anxiolytique.
1957: Kuhn découvre l’imipramine,
en tant qu’antidépresseur.
De plus en plus, l’approche biologique
de la recherche gagne alors en importance dans la psychiatrie, une orientation de la recherche largement déterminante, en particulier durant les
40 dernières années. Il est question
dans ce contexte de l’élucidation de
questions génétiques, neuropathologiques, neurophysiologiques et
25
neurochimiques. Actuellement, des
espoirs sont notamment placés dans
la recherche portant sur les transmetteurs et les récepteurs, ainsi que dans
la recherche moderne de la génétique
moléculaire, avec pour objectif projeté
de continuer à lever le voile sur les fondements biologiques des maladies
psychiques et, sur cette base, de développer de meilleures approches
thérapeutiques.
A l’époque du «National-socialisme»,
on a commis des atrocités effroyables
en psychiatrie, en particulier par la
stérilisation forcée et le meurtre d’innombrables malades psychiques. En
Suisse également, des stérilisations
forcées ont été perpétrées. Un travail
récapitulatif a été fait récemment par
Florance Droz, dans le cadre d’une
thèse de doctorat sous la direction du
Professeur Daniel Hell, de la clinique
psychiatrique universitaire de Zurich.
La publication de ce travail est imminente et ne doit pas être anticipée ici.
Les conceptions – qui ont perduré des
siècles durant – selon lesquelles les
maladies psychiques sont une punition d’un comportement de pécheur,
les crimes qui ont été commis dans des
cliniques psychiatriques pendant la
2e guerre mondiale, le fait que des
troubles psychiques peuvent conduire
à des pertes ou à des troubles de com-
pétences essentielles (dans les sensations, le vécu, la conscience, les
fonctions-je, l’aptitude à l’interaction
sociale, la cognition, l’affect), et même
que la prise de conscience de la maladie peut parfois faire défaut – ce qui,
en cas de mise en danger de soi ou
d’autrui, peut rendre nécessaire une
privation de liberté à titre préventif et
des hospitalisations ou traitements
forcés – ternit l’image de la psychiatrie; cette discipline ne parvient que
lentement à compenser ce déficit de
réputation. Soigner son image, sa
communication et la transmission des
informations, voilà des causes qui
sont aujourd’hui essentielles.
Ainsi donc, de nos jours, la plupart des
patients souffrant de troubles psychiatriques sont traités par des médecins généralistes et non pas par un
spécialiste (Brown; Schulberg. 1995;
Hirschfeld et al., 1997).
Pour la santé psychique de la population, il est dès lors important que l’approvisionnement en soins psychiatriques prodigués dans un cabinet de
généraliste soit d’un haut standard.
Car la morbidité, la mortalité et les
frais augmentent avec des maladies
psychiatriques insuffisamment traitées et non reconnues (Hirschfeld,
1997).
26
Dans ce domaine, il y a manifestement
besoin d’agir par une présence accrue
de la psychiatrie dans les études de
médecine, dans les formations de
médecins spécialistes et dans les formations continues.
Une raison fondamentale du traitement insuffisant de maladies psychiatriques se situe probablement aussi
dans la stigmatisation de la psychiatrie et de ses maladies. (Lauber et al.
200o, 2001). Cette stigmatisation, qui
est le fait de peurs et d’idées fixes préconçues (que l’on trouve également
chez les membres de professions
médicales, dans le corps médical luimême surtout et même entre médecins spécialistes psychiatriques)
conduit à une connaissance lacunaire
de l’état actuel de la science en ce qui
concerne la reconnaissance et le traitement de troubles psychiques.
Sur le plan émotionnel, nous semblons toujours subir à l’heure actuelle,
s’agissant des maladies psychiatriques, une forte influence exercée par
des idées dépassées et inadéquates.
Ainsi une enquête représentative
effectuée dans la population suisse a
montré que des maladies dépressives
sont toujours perçues comme étant
essentiellement des suites de situations de vie non maîtrisées et qu’il n’y
a absolument pas à mettre en œuvre
des formes de thérapies psychiatriques efficaces et couronnées de
succès (Lauber et al. 2002).
Constatation effrayante, l’étude laisse
à penser que les formes de traitement
principales – et également celles qui
sont «evidence-based» couronnées
de succès – dans la psychiatrie seront
rejetées par de larges couches de la
population, qu’elles leur sont inconnues ou que leurs indications, en
ce qui concerne le tableau clinique, ne
suscitent qu’une vague confiance, si
tant est qu’elles soient véritablement
prises en considération.
Soigner l’image de la psychiatrie et,
par l’action de spécialistes en psychiatrie, communiquer à des niveaux multiples, faire passer l’information au
sujet des formes de traitement pleines
de succès et administrées avec ménagement sont actuellement une exigence vitale de santé publique et,
dans le cadre de la pression accrue des
coûts, plus importante que jamais.
2. Présent
Quel est le contenu de la
psychiatrie?
La psychiatrie est la science médicale
et l’activité médicale spécialisée qui
englobe la recherche, le diagnostic et
27
la thérapie de maladies psychiques de
l’homme. Dans ce cadre sont considérés, sous une approche multidimensionnelle et une compréhension
dite «biopsychosociale», des facteurs
biologiques et psychosociaux ainsi
que leurs effets sur le tableau des
symptômes psychopathologiques.
La psychiatrie se divise en de multiples
sous-domaines, ainsi différenciera-ton par exemple entre la psychiatrie de
l’adulte, la psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent, la gérontopsychiatrie, la
psychopharmacologie, la psychiatrie
biologique, la psychothérapie et la
psychosomatique.
Diagnostique
Parallèlement à l’examen somatique
du patient et aux procédures classiques de production d’images, c’est
le psychodiagnostic qui est primordial.
Contrairement à la médecine somatique, où le médecin peut réunir des
constats physiques, il faut encore largement, à l’heure actuelle, procéder
de façon indirecte en psychiatrie. Les
changements qu’il s’agit d’enregistrer
le seront essentiellement par la voie
de l’entretien et de l’observation précise du comportement.
Les symptômes de maladie qui se
manifestent sous forme de singulari-
tés du comportement sont d’une observation plus aisée. Bien plus difficile
est l’art de reconnaître des signes qui
se situent principalement au niveau
du vécu intérieur. La gestuelle, les
mimiques et les procédés mettant en
œuvre le mouvement peuvent alors
aider à révéler quelque chose sur la vie
intérieure. C’est par l’entretien encore
que l’on tente de récolter des informations sur le vécu d’un autre et sur la
toile de fond de ses motivations. Pour
valider l’information ainsi obtenue
intervient l’orientation vers la fonction
d’indicateur de la langue et du comportement (des indicateurs sont des
communications involontaires de la
personne qui s’exprime, de type verbal ou non, dont l’examinateur qui officie peut tirer quelque chose).
La psychiatrie se distingue encore par
une autre caractéristique importante:
entretien et comportement portent
également l’empreinte de la personnalité de l’examinateur et de l’interaction émotionnelle entre le patient et le
médecin, de sorte que le processus
d’examen, fondé sur l’observation du
comportement et l’entretien, dépend
dans une bien plus large mesure d’interprétations subjectives de l’observation que dans la plupart des processus diagnostiques de la médecine
somatique. La base émotionnelle ini-
28
tiale de l’interlocuteur ainsi que l’interaction entre le médecin et le patient
exercent une influence notable sur le
déroulement de l’entretien et sur les
processus de perception qui y sont
liés.
En dépit de ces particularités, la psychiatrie est une partie de la médecine.
Le caractère spécial de cette branche
réside dans le fait que le physique et le
psychique sont considérés à mesure
égale, à titre de causes possibles de
modifications psychopathologiques.
Thérapie
Les procédures de thérapies psychiatriques sont variées sous l’angle de
leur méthode.
Hormis la psychopharmacothérapie,
sont utilisés avec succès et selon indication la luminothérapie, l’électrochoc, la privation de sommeil partielle
ou totale.
La psychothérapie implique le traitement de malades avec des moyens
psychiques, en particulier par des
entretiens et des procédures d’exercices. Les méthodes sont ici aussi
variées. Les bases essentielles des
formes de psychothérapies sont la
psychologie de l’inconscient (psychodynamie) d’une part et, de l’autre, la
psychologie de l’apprentissage et la
psychologie comportementale.
Dans le cadre de la compréhension
biopsychosociale de la maladie, les
sociothérapies se sont révélées particulièrement importantes. Autrement
dit, le traitement de malades par des
facteurs du milieu, la structuration du
déroulement de la journée, l’interaction dans le contexte de processus de
groupes, la thérapie par l’occupation
et le travail.
Mais on ne saurait taire le fait qu’en
dépit de ces développements positifs,
la nécessité d’agir pour optimiser
l’approvisionnement des malades
psychiques existe comme auparavant.
Tant dans le domaine ambulatoire que
dans le secteur hospitalier, les besoins
de traitement ne cessent d’augmenter, ce qui signifie – justement parce
que la psychiatrie est un domaine
interactif sur le plan psychique et exige
par conséquent une main d’œuvre
nombreuse – que nous avons un
urgent besoin de médecins formés de
manière compétente et qui, du point
de vue structure de leur personnalité,
sont mûrs, résistants, intéressés et
innovateurs.
Dans la zone entre traitement hospitalier et ambulatoire, il y a encore trop
peu d’institutions transitoires qualifiées (par ex. logement doté d’un
encadrement adéquat, clinique de
jour) et il s’agit aussi de créer des
29
offres d’approvisionnement adéquat
pour le nombre croissant de patients
âgés souffrant de troubles psychiques.
Digression
Comment soutenons-nous
la psychiatrie?
Mis à part un intérêt croissant pour
des facteurs psychiques longtemps
négligés, la psychiatrie a une image
ambiguë chez les confrères médecins.
Mais le caractère particulier de la psychiatrie réside également dans le rôle
des malades psychiques. Ceux-ci sont
toujours, dans notre société, considérés tout autrement que des malades
souffrant d’affections physiques. Pour
beaucoup, les symptômes d’une maladie psychique demeurent difficilement compréhensibles, sont rejetés,
interprétés comme étant la conséquence d’une faute, ou même considérés comme dangereux. Chercher de
l’aide en raison de problèmes psychiques est généralement bien plus
problématique que de recourir à une
consultation médicale pour des atteintes physiques. Il est souvent fort difficile à un patient de reconnaître qu’il a
des problèmes psychiques et qu’il ne
sera pas en mesure de les résoudre
tout seul. De nombreux malades ne
soupçonnent même pas que derrière
ces problèmes «psychiques», ne se
cache pas toujours une maîtrise lacunaire des difficultés de la vie, mais
souvent une véritable maladie physique. Le médecin doit faire preuve
d’une grande patience et consacrer
beaucoup de temps pour expliquer
clairement au patient – qui se trouve
dans un état de défense fondé sur la
méfiance et la peur – les mécanismes
pathophysiologiques de ses symptômes maladifs existant au niveau
microbiologique et cellulaire, pour
l’amener à une compréhension de la
maladie et développer ainsi chez lui
une motivation pour la thérapie, motivation qui trouve sa source dans l’information et la connaissance.
En particulier, face à des symptômes
dérogeant totalement à une pensée
ou à une existence normales, comme,
par exemple, des idées délirantes ou
des illusions des sens, mais aussi en
présence de symptômes de troubles
dépressifs, le patient cherche souvent
à garder secrètes ces manifestations
afin de ne pas laisser transparaître la
«folie» de son vécu. Les malades psychiques doivent se faire du souci à
l’idée d’être exclus des relations sociales normales par des processus
instituant tabou et discrimination.
30
Ici aussi, nous sommes confrontés à
des mécanismes d’appréciation émotionnels, qui s’accompagnent d’une
stigmatisation. Ceci a des effets spécialement tragiques en ce sens que le
malade psychique ne doit pas seulement souffrir de ses symptômes de
maladie – et sur la base de la peur, de
l’ignorance et de préjugés, il refuse
des thérapies possibles qui pourraient
lui apporter de grands bénéfices en ce
qui concerne le long terme, le bienêtre subjectif, la performance, etc. –
mais il doit de surcroît supporter des
évaluations de sa maladie lourdement
chargées sur le plan émotionnel,
qui s’accompagnent de honte, peur,
doute, tendance au suicide, solitude,
exclusion et rejet.
Ceci se manifeste clairement par
exemple dans l’encadrement personnel différent apporté par les parents
et les connaissances aux divers
malades: alors que dans les établissements de soins somatiques, les fleurs,
cadeaux et cartes affluent, les collègues et collaborateurs appellent, les
visites sont fréquentes et le malade
reçoit, dans une large mesure, acceptation et soutien sur le plan social,
c’est à peine si l’on voit dans un établissement psychiatrique un salut, un
bouquet de fleurs offert par des collaborateurs, des amis; y font également
défaut les habituelles boîtes de
chocolat, les cartes et les porte-bonheur de la part de connaissances et
de collègues. Les malades sont seuls
et isolés. Souvent, ils se gênent de
faire savoir qu’ils séjournent dans une
clinique psychiatrique. Il n’y a guère
de visites, et si oui, uniquement de la
part des parents les plus proches,
comme les père et mère ou frères et
sœurs, qui souffrent également beaucoup.
Les malades – tout comme leur environnement – sont irrités par les symptômes de maladie psychique et,
compte tenu du trouble que ceux-ci
suscitent, il n’est pas rare qu’on abandonne les patients à leur sort et à l’institution qui s’en charge.
3. Futur
Recherche
Les plus grands efforts sont aujourd’hui consentis dans la recherche psychiatrique pour identifier les mécanismes biologiques qui sont à la base des
troubles du fonctionnement du cerveau chez les malades psychiatriques
et pour analyser l’efficacité des interventions thérapeutiques. Le but est un
enregistrement et une caractérisation
multidimensionnels des troubles psy-
31
chiques à divers niveaux biologiques:
génétique, fonctionnel, structurel,
électrophysiologique, biochimique,
neurophysiologique, etc.
Ainsi seront développées, hormis les
méthodes d’examen indirectes, des
méthodes directes, objectivables,
moins dépendantes de l’examinateur.
Celles-ci ne peuvent ni ne doivent
remplacer l’exploration clinique par le
médecin expérimenté, mais elles sont
bien au contraire appelées à lui fournir
un soutien précieux.
Ci-après, nous n’aborderons – brièvement – que deux domaines du monde
vaste et vivant de la recherche psychiatrique:
Neuro-Imaging
Les procédés d’imagerie structurelle
et fonctionnelle ont élargi les connaissances sur la fonction du cerveau dans
le cadre de troubles psychiatriques et
fournissent constamment de nouvelles conclusions.
L’imagerie du cerveau a pu contribuer
à révolutionner la compréhension des
maladies psychiatriques. Au début
des années 90, se sont développées
de plus en plus, dans la tomographie
par résonance magnétique qui va audelà de la morphologie classique, de
nouveaux moyens pour l’étude de la
physiologie, de la biochimie et de la
fonction du système nerveux central
(Braus; Henn, 2002).
Dans les troubles de l’âme, il y a des
disfonctionnements fondamentaux à
divers niveaux des processus de traitement neuronal des informations
avec, par conséquent, un comportement modifié. La psychopathologie
peut dans ce contexte être comprise
comme une modification de l’interaction des réseaux de neurones, ou
de divers subsystèmes neuronaux
(Spitzer M., 1997).
A l’aide du MRI (Magnetic Resonance
Imaging) et du fMRI (fonctional
Magnetic Resonance Imaging), du
SPECT (Singel Photon Emission Computerized Tomography) et du PET
(Positron Emission Tomography), des
modifications structurelles associées
aux symptômes cliniques ont pu être
représentées (Schnider, Treyer, Buck,
2000). Dans quelques cas épars, on a
même réussi à présenter des modifications de la structure cérébrale qui
précèdent l’apparition d’une malade
clinique. Celles-ci peuvent donc servir
d’indicateurs précoces de certaines
psychoses (Fannon et al. 2001 nov.).
Dans le cadre de ces études, des techniques fonctionnelles sont également
utilisées pour suivre la modification
des activités métaboliques de diverses zones cérébrales sous traitement.
32
Par ce biais, il a été possible de relever
des informations importantes sur la
façon dont les médicaments psychotropes peuvent améliorer les fonctions
cérébrales pathologiques. Les techniques d’imagerie fonctionnelle pourraient livrer à l’avenir des informations
précieuses pour le choix des procédures thérapeutiques appropriées.
Même dans la recherche portant sur
les maladies de type schizophrène,
des procédures fMRI ont permis de
montrer le rôle central du thalamus
dans la pathogenèse (Ettinger et al.
2001; Andreasen et al. 1997; Korn et al.
2000).
Des examens par imagerie structurelle
à un stade précoce des psychoses ont
permis d’appuyer l’hypothèse de développement neuronal des schizophrénies (Fannon et al. 2000b oct.).
Les troubles schizophrènes sont probablement les maladies psychiatriques les plus graves. Env. 1% de la
population souffre de tels dérangements à la fin de l’adolescence ou au
début de l’âge adulte. Ces maladies
persistent pour le reste de la vie et
s’accompagnent d’une morbidité et
d’un handicap notables. Les thérapies
existant à l’heure actuelle ne sont que
partiellement efficaces; une grande
priorité est mise sur le développement
de moyens thérapeutiques agissant
plus spécifiquement, et cette recherche est poursuivie très activement.
En Suisse a lieu depuis des années,
notamment sous la direction du prof.
F. X. Vollenweider, du département
de la recherche à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich, une
recherche psychiatrique suivie avec
intérêt au niveau international, dans
le domaine des psychoses schizophrènes (Vollenweider 1998; 1998;
2001).
Recherche génétique
La possibilité de prévoir au préalable
et de manière plus spécifique, grâce à
des analyses génétiques, quelle sera
la réaction au traitement ou si des
effets secondaires possibles apparaîtront, serait un grand allègement pour
les patients et permettrait aux médecins d’adopter des stratégies de traitement plus efficaces et plus rationnelles.
Les maladies psychiatriques ont,
selon toute vraisemblance, des causes multifactorielles et, par conséquent, leur réaction aux traitements
aussi.
Elles se fondent probablement sur des
interactions entre différents gènes
(plan polygénétique) et l’environnement social; en conséquence, l’analyse des relations s’avère complexe.
33
La pharmacogénétique étudie cette
influence du polymorphisme génétique sur la pharmacodynamie et la
pharmacocinétique; elle tente de
déterminer la réaction au traitement
médicamenteux ainsi que le profil des
effets secondaires.
Citons uniquement ici, à titre d’exemple, le Cytochrom P450, qui est impliqué dans la phase I de la métabolisation de médicaments et qui, par conséquent, n’est pas sans avoir une
influence notable sur la pharmacocinétique de nombreuses substances.
Le Cytochrom P450 couvre plus de 30
enzymes (Weber, 2001). La biotransformation de la plupart des médicaments psychotropes dépend du P450
Isoenzymen (Chen et al, 1996). Une
activité différente de l’enzyme a principalement des effets sur la pharmacocinétique des médicaments y relatifs et doit souvent être prise en compte dans la thérapie clinique (par exemple dans l’adaptation du dosage en
cas de métabolisme lent ou ultrarapide), pour véritablement obtenir une
efficacité des médicaments ou pour
éviter l’apparition d’effets secondaires lourds. Même avec les médicaments dotés d’une étroite fenêtre thérapeutique (par ex. le lithium), la pharmacogénétique pourrait fournir des
informations précieuses et permettre
des stratégies de traitement prospectives en lieu et place de celles qui ont
cours aujourd’hui et qui sont réactives.
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36
Maladies psychiques du point
de vue de l’assureur privé
Karl Groner,
Chief Underwriting &
Compliance
«Zürich»
Compagnie d’Assurance,
Zurich
Résumé
Au cours des dernières années, la fréquence des maladies psychiques a
augmenté de façon disproportionnée.
La tendance est encore renforcée par
des phases de faible conjoncture.
Cette évolution crée de très lourdes
charges dans le domaine des prestations des assureurs sociaux et privés.
Cet article montre comment les compagnies d’assurances privées abordent cette problématique. Il présente
en particulier les aspects de l’examen
de la proposition et apporte un éclairage sur l’évaluation du risque décès
et incapacité de gain.
Introduction
Selon des statistiques de l’AI portant
sur janvier 2002, environ 73 000 personnes touchent une rente au titre de
maladies psychiques. Ceci représente
le 33% des bénéficiaires de rente et,
en comparaison de 1986, le chiffre a
pratiquement triplé. Dans le même
laps de temps, le nombre total de rentes allouées au chapitre de la maladie
(toutes causes confondues) a passé
approximativement de 85 000 à
157 000 et n’a donc augmenté «que»
de 85% environ.
Dans le domaine des assurances privées, les statistiques officielles ne
donnent que très parcimonieusement
les causes respectives des cas d’invalidité. Mais selon les déclarations
concordantes de spécialistes œuvrant
dans le domaine des prestations, il
faut également constater une tendance analogue chez les assureurs
privés.
Il est fort bien connu que la charge du
domaine des assurances sociales et
privées croît avec l’augmentation du
chômage dans des phases de faible
conjoncture économique. Les raisons
Tableau 1
Bénéficiaires de rente par cause d’infirmité et sexe en Suisse,
janvier 2002
Causes d’infirmité
Hommes
Infirmités congénitales
15 000
Maladies
93 000
– dont atteintes psychiques 38 000
Accidents
16 000
Total
123 000
Femmes
13 000
77 000
35 000
7 000
96 000
Total
27 000
170 000
73 000
23 000
220 000
Total en %
13
77
33
10
100
37
de ce phénomène ne peuvent être
prouvées statistiquement. Mais il est
incontesté qu’en présence de circonstances professionnelles défavorables
et de menaces de chômage, les rentes
AI, LPP et des assurances privées sont
plus attrayantes que les indemnités
journalières APG, car elles garantissent un revenu de substitution plus
élevé et de plus longue durée. Certaines atteintes à la santé, qui n’ont pas
eu de conséquences – ou alors seulement dans une mesure infime – sur la
capacité de travail pendant une longue période, s’aggravent soudainement et sont présentées à l’assureur
comme une raison d’obtenir des prestations d’assurance. Même dans des
cas douteux, il existe fréquemment de
bonnes chances de toucher une rente,
car il est souvent difficile à l’assureur
de prouver que les conditions ouvrant
droit aux prestations sont insuffisantes dans le cas d’espèce. Des difficultés particulières apparaissent dans ce
contexte avec les affections difficilement prouvables sur le plan objectif.
A titre d’exemple type, référence soit
faite ici aux maladies de l’appareil
locomoteur, notamment les douleurs
dorsales, les troubles psychiques et
les plaintes d’ordre psychosomatique
en général.
Les commentaires qui suivent portent
sur les assurances régies par la loi sur
le contrat d’assurance, autrement dit
sur les assurances facultatives conclues sur une base privée, en particulier sur les assurances vie, les rentes
en cas d’incapacité de gain et les indemnités journalières maladie.
Le principe de l’assurance privée consiste en ce que diverses personnes se
réunissent pour former un collectif de
risques afin de couvrir ensemble les
conséquences financières – moyennant des primes relativement modiques – de dommages subis par des
individus du fait de la survenance de
l’événement assuré. La condition nécessaire au bon fonctionnement du
système est que l’étendue du risque
soit calculable statistiquement et que
les membres de cette collectivité présentent d’une certaine manière un
profil de risque identique. Si les personnes qui y entrent sont avant tout
celles qui témoignent d’un risque
supérieur à la moyenne (ce que l’on
appelle de l’antisélection), les primes
ne suffisent plus à couvrir le dommage; elle doivent alors être relevées,
ce qui provoque un effet dissuasif sur
les bons risques ou sur ceux qui se
situent dans la moyenne. Leur sortie
de l’assurance facultative serait la
conséquence logique, tout comme la
38
ruine de l’assurance qui surviendrait à
plus ou moins brève échéance.
Il revient à la compagnie d’assurance
de réunir le collectif, d’encaisser les
primes convenues, d’examiner les prétentions en réparation de dommages
et de les satisfaire, mais aussi d’accepter de nouveaux membres dans
l’effectif. Dans le cadre de l’examen du
risque, il est établi si le candidat présente des caractéristiques moyennes
de risque, qui autorisent une assurance contre des tarifs de primes normaux.
En cas de risques accrus, le plus
souvent une assurance est possible
moyennant surprime. Le montant de
celle-ci se fonde également sur des
bases statistiques, avant tout sur des
observations faites au cours de décennies dans d’importants collectifs d’assurés, observations complétées par
les résultats d’analyses cliniques reconnues, les effets prévisibles des
progrès substantiels de la médecine
étant pris en compte. Sur cette base, il
peut être fixé de manière assez précise
quel est le degré de mortalité d’un collectif du fait de l’hypertonie, du diabète ou d’autres maladie suffisamment recensées sur le plan statistique.
Les surprimes pour risque aggravé
évoquées dans des commentaires
figurant plus loin doivent toujours être
comprises en pour cent de la pure
prime risque de base.
La détermination de surprimes pour
risques aggravés est un peu plus délicate dans l’assurance d’incapacité de
travail ou de gain. Des documents statistiques liés aux causes sont nettement plus rares dans ce domaine de
l’assurance. Souvent donc, les surprimes ne peuvent être fixées que par
voie d’approximation. La plus grande
difficulté réside cependant dans le fait
que la survenance de l’événement assuré dépend fortement de la personnalité, de la disposition subjective
ainsi que du contexte privé et professionnel de l’assuré. Des états médicaux identiques peuvent avoir, chez
deux personnes différentes, des conséquences tout autres en ce qui concerne la capacité de travail et de gain,
selon leur personnalité, leur disposition et leur contexte socioéconomique. Ceci fait que dans de nombreux
cas, une couverture de l’incapacité de
gain peut certes être accordée, mais
moyennant exclusion de certaines
atteintes préexistantes à la santé. A
cet égard, les maladies comportant un
fort degré subjectif occupent une place centrale. Nous citerons à nouveau,
à titre d’exemple, les maladies musculosquelétaires ainsi que les troubles
psychiques et neurovégétatifs.
39
Point de la situation sous l’angle
médico-actuariel
Les maladies psychiques sont responsables à l’heure actuelle d’une part
notable de la morbidité et de la mortalité. Ainsi aux USA, on estime que
50 millions d’adultes sont atteints de
troubles psychiques en une année. En
Allemagne, on pense qu’environ 40%
des patients qui consultent leur médecin de famille présentent un trouble
psychique notable. Comme les statistiques de l’assurance sociale le montrent également, les maladies de cette
nature sont la cause d’une part considérable des rentes servies au titre de
l’incapacité de travail et des prétentions pour des soins à long terme.
Certains patients, qui ont traversé de
graves troubles psychiques, se rétablissent et peuvent reprendre complètement leurs activités antérieures.
D’autres deviennent incapables de
travailler pour assez longtemps, déjà
du seul fait d’un léger stress. La majorité des adultes sont dotés d’une personnalité qui leur permet de supporter
les charges de la vie quotidienne. Mais
l’individu réagit tout à fait différemment sur le plan émotionnel au stress
de source externe. Il est par conséquent difficile d’établir précisément ce
qui entre encore dans le champ de la
«norme», et à partir de quand il y a lieu
de parler d’un trouble. Chez certains
individus apparaît cependant un trouble évident de la personnalité, qui
conduit à des types de comportement
singuliers, à des réactions émotionnelles hors normes ou à des troubles
du fonctionnement endogène sur le
plan émotionnel et mental. La composante fortement subjective des troubles psychiques représente, hormis
l’incidence élevée pour la récidive, un
défi notable pour l’examen du risque
d’un point de vue médico-actuariel.
Sous la lettre F de la nomenclature
ICD-10, sont surtout déterminants sur
le plan quantitatif – pour le domaine
de l’assurance privée – les troubles
affectifs (F30 – F39) comme ceux dus
au stress, les troubles somatoformes
et neurotiques (F40 – 49). Je me limiterai donc dans mon exposé à ces maladies sans m’attacher aux maladies
organiques psychiques, ni aux dérangements psychiques liés à l’abus de
drogues, ni aux troubles de la personnalité, du comportement, ni enfin à
la demence, etc. Pour ces dernières,
une couverture du risque décès, pour
autant qu’elle existe, n’est souvent
possible qu’à des conditions très fortement aggravées. L’assurance de l’incapacité de travail et de gain doit être
généralement refusée. Je n’aborderai
pas spécialement non plus les mala-
40
dies «modernes» telles que le
«Syndrome de fatigue chronique», la
«Fibromyalgie», etc., dont la délimitation avec les troubles psychiques est
sujette à controverse.
Acquisition des informations
Pour l’acceptation d’une assurance
vie, incapacité de gain ou indemnité
journalière, le proposant doit en règle
générale donner des renseignements
sur son état de santé. S’agissant de
prestations relativement restreintes,
un questionnaire à remplir personnellement suffit. Pour des sommes assez
importantes, un examen médical est
nécessaire, qui contient également
des questions à l’attention du candidat.
Selon la loi sur le contrat d’assurance,
le proposant est tenu «de communiquer par écrit à l’assureur tous les faits
qui sont importants pour l’appréciation du risque, tels qu’ils lui sont
connus ou doivent être connus lors de
la conclusion du contrat». (art. 4 LCA).
Sont réputés importants les faits
au sujet desquels l’assureur a posé
des «questions précises, non équivoques». En cas de fausse déclaration,
l’assureur a le droit de se départir du
contrat. Comme de par leur nature, les
troubles psychiques et leur degré de
gravité peuvent être souvent ressentis
de manière très subjective, il est fort
important que soient posées des
questions claires, qui ne laissent nulle
porte ouverte à l’interprétation. Il
serait par ex. possible que la question
«Souffrez-vous actuellement d’une
atteinte à la santé?» reçoive une
réponse négative alors que le médecin
de famille soigne en même temps une
dépression ainsi qu’une hyperttension par voie médicamenteuse. Sur le
plan subjectif, la dépression pourrait
être perçue comme une manifestation
associée et la thérapie comme une
médication complémentaire pour remédier à l’hypertension. Bien qu’il y ait
une fausse déclaration sur le plan
objectif, la jurisprudence protège souvent la déclaration que l’assuré ressent comme correcte sur le plan subjectif. C’est pourquoi la majorité des
compagnies d’assurance posent des
questions telles que «Prenez-vous ou
avez-vous pris régulièrement des
médicaments durant les 5 dernières
années? Si oui, lesquels? Motif?» ou
«Suivez-vous ou avez-vous suivi un
traitement psychiatrique ou psychothérapeutique durant les 5 dernières
années?»
Les troubles psychiques apparaissent
dans les questionnaires et certificats
sous les descriptions les plus variées.
Hormis les notions telles que celles de
41
la surcharge de travail, du stress, des
problèmes matrimoniaux, etc., on rencontre également des diagnostics
«médicaux» comme la dystonie végétative, la dépression larvée, entre
autres. L’examinateur du risque doit
obtenir alors des renseignements plus
détaillés qu’il demande au médecin
traitant moyennant accord écrit de la
personne à assurer. Selon la source en
question, de telles informations sont
d’une puissance évocatrice différente
et, à l’occasion, elles ne sont guère utilisables pour l’appréciation du risque.
S’il n’y a pas eu de traitement par
un psychiatre, nul diagnostic selon
ICD-10 ou DSM-IV (Diagnostic and
Statistical Manual of Mental Disorders, édition 4) n’est – souvent – disponible. En pareil circonstance, il est
important d’obtenir une description
aussi complète que possible du
tableau de la santé du patient, du
déroulement des troubles ainsi que du
contexte personnel. De façon idéale,
il faudrait des renseignements médicaux comprenant les éléments suivants:
diagnostic, si possible avec classification ICD-10 ou DSM-IV
degré de gravité et durée de la
maladie avec précision pour savoir
si l’épisode est unique ou s’est
répété
durée depuis le dernier épisode
périodes d’incapacité de travail
traitement: durée de(s) l’hospitalisation(s) et durée/ type du traitement ambulatoire. Timing des
thérapies médicamenteuses,
compliance. Effet des diverses
thérapies
état psychique actuel; le(s) facteur(s) déclenchant(s) est/sont-il-s
encore présent(s)?
anamnèse familiale positive pour
maladies psychiques ou suicide
données relatives à l’activité
professionnelle, aux conditions
d’engagement et à l’aptitude de
fonctionnement psychosocial
personnalité et aptitudes à maîtriser la situation
structure et relations familiales
toute modification/régression des
activités journalières dans le passé
le plus récent
singularités du comportement
maladies associées
problèmes d’alcool, consommation
de drogues
tentatives de suicide avec dates
En règle générale, des informations
d’une telle portée et aussi détaillées
ne sont pas disponibles. Ceci fait que
des hypothèses doivent être admises
à titre de prudence qui, naturellement,
42
Tableau 2
Suicide et diagnostics psychiatriques
Diagnostics psychiatriques dans les suicides intervenus
>90 %
Fréquence de troubles affectifs dans les suicides intervenus*
40 – 70%
Fréquence de la dépendance (alcool, drogues)
25 – 50%
dans les suicides intervenus*
Fréquence de troubles de la personnalité dans les suicides intervenus* 30%
Risque à vie de suicide en cas de dépression majeure
15%
Risque à vie de suicide en cas de schizophrénie
10%
Risque à vie de suicide en cas de dépendance
3%
* La co-morbidité avec plusieurs diagnostics psychiatriques est fréquente.
(Source: the international Handbook of Suicide and Attempted Suicide, K. Hawton, K. Van Heeringen (eds.)
Chichester; Wiley & Sons; 2000)
conduisent à une appréciation du
risque défavorable pour les candidats.
Cela ne devrait pas exister! En tant
que conséquence de la thématisation
accentuée et de la disparition du
tabou des maladies psychiques, un
psychiatre, un psychothérapeute ou
un psychologue sera consulté aujourd’hui, même en présence de problèmes mineurs, bien plus rapidement
qu’il y a 10 ou 15 ans. Dans les esprits
des personnes chargées de l’examen
des risques, l’opinion est cependant
ancrée comme auparavant, selon laquelle un traitement psychiatrique est
généralement le signe d’un trouble
grave. Des informations complètes,
détaillées sont donc dans l’intérêt du
patient, car elles permettent dans
nombre de cas une décision plus favorable en matière d’acceptation.
Appréciation du risque de décès
Le risque accru de décès en rapport
avec une maladie psychique est principalement imputable à l’incidence
plus grande de suicides et d’accidents,
en comparaison des personnes en
bonne santé. Dans plus de 90% des
suicides existe un diagnostic psychiatrique.
Après une tentative de suicide, il y
aurait lieu, selon GUM1, de formuler un
refus pendant une année. Indépendamment de la maladie de base psychiatrique à tarifier séparément, il est
recommandé pendant les 5 années qui
suivent de prélever une surprime de
43
risque de 5 pour mille du capital
assuré; autrement dit, on admet sur
un fondement statistique que pour
1000 assurés avec anamnèse identique, 5 meurent chaque année des
suites d’un suicide. Après 6 ans, une
acceptation normale est possible, à
condition qu’il se soit agi d’une tentative unique et qu’il n’y ait pas
cumul de facteurs défavorables (voir
tableau 2).
Dans l’assurance vie privée du
3e pilier, le suicide est en fait exclu de
la couverture d’assurance pendant les
3 premières années (pas de délai de
carence correspondant dans la prévoyance professionnelle). Malgré cela, les surprimes pour risque aggravé
mentionnées seront relevées, car le
suicide est souvent camouflé en accident et, par conséquent, il n’est fréquemment pas possible de le démontrer, ou alors une telle preuve s’avère
très difficile.
Dans les diagnostics psychiatriques
selon ICD10 F3 + F4 sans tentative
connue de suicide, le GUM recommande en général:
acceptation normale en cas de
troubles légers (existants ou selon
anamnèse)
en cas de troubles semi-graves,
récidivants et graves, les recommandations vont de l’acceptation
normale (après 1 – 2 ans sans récidive) au rejet resp. à l’ajournement,
en passant par les surprimes pour
risque aggravé de 25 à 100%.
Est déterminante l’appréciation
individuelle, moyennant prise en
compte de facteurs pronostiques
(voir tableau 3).
Appréciation du risque d’incapacité
de travail et de gain
Les compagnies de réassurance s’efforcent de donner aux assureurs au
premier risque des directives en
matière de couverture du risque d’incapacité de gain dans le domaine délicat des maladies psychiques également. Ci-après quelques exemples
tirés du GUM:
Stress et troubles de l’adaptation
(ICD F43)
Episodes légers, uniques: Ajournement ou clause d’exclusion durant
la 1ère année suivant la fin du traitement. Acceptation normale dès la
4e année après la fin du traitement.
Dans l’intervalle, 25 – 100% de
surprime.
Episode semi-graves et graves:
Ajournement de 1 – 3 ans après la
fin du traitement. Ensuite, clause
d’exclusion plus surprime pour
risque aggravé d’env. 100%. Dès la
1 GUM: Global Underwriting
Manual de la Suisse de
Réassurances. De grandes
sociétés de réassurance
mettent à disposition des
assureurs directs, dans le
cadre de leurs prestations de
service, des directives pour
l’appréciation du risque de
la plupart des maladies apparaissant à une certaine fréquence. Comme des masses
importantes de données
doivent être évaluées pour
l’établissement de telles directives, les assureurs directs ne
seraient généralement pas en
mesure d’élaborer eux-mêmes
de telles aides à l’appréciation. Des réassureurs leaders
disposent fréquemment
d’équipes spécialisées composées de médecins et de
statisticiens, dont la tâche première consiste à mettre au
point des bases de tarification
et à soutenir les assureurs
directs dans leur travail
d’appréciation des risques.
44
Tableau 3 Facteurs pronostiques
Eléments favorables
Eléments défavorables
Environnement privé et
professionnel stable
Pas de conflit conjugal ou familial
manifeste
Pas de dépendances connues
Bonne prise de conscience
de la maladie
Pas de maladie de base physique
Instabilité professionnelle
Antécédents familiaux de maladies
psychiques
Diagnostic ancien
Personnalité conservée et stable
Bon soutien social
Cause qui déclenche la maladie
connue et supprimée
6e année, 50 % de surprime, et
acceptation normale dans des cas
sélectionnés.
S’agissant des maladies chroniques et
récidivantes, le rejet est recommandé.
Troubles somatoformes (ICD F45)
La condition pour l’appréciation du
risque de troubles somatoformes est
qu’une cause organique puisse être
Conflit conjugal ou familial manifestes,
problèmes financiers
Abus d’alcool et/ou de drogues
Mauvaise prise de conscience
de la maladie
Maladies physiques, en particulier
lorsqu’ elles causent des douleurs
chroniques ou limitent fortement
les activités
Pas d’antécédents familiaux
de maladies psychiques
Diagnostic récent
Troubles du comportement,
notamment violence
Pression liée au travail
Tentative de suicide antérieure
Consultation de nombreux médecins
(«shopping médical»)
exclue pour les douleurs décrites par
le patient
Formes légères à semi-graves.
Ajournement de 2 – 5 ans après la
fin du traitement. Puis surprime
de risque de 50 – 100%.
S’agissant de formes graves, une
offre avec surprime pour risque
aggravé n’est possible qu’environ
10 ans après la fin du traitement.
45
Il est déconseillé de faire usage de
clauses d’exclusion, car lors de l’éventuel fondement d’une prétention, les
douleurs somatiques seront placées
au premier plan et il ne sera pas toujours possible à l’assureur de prouver
leur cause psychique.
Troubles affectifs (ICD F3)
La Minor Depression fera l’objet,
selon son intensité, d’un ajournement de 1 – 5 ans après la fin du
traitement. Puis l’acceptation est
recommandée avec 50 – 100%
de surprime.
En cas de cyclothymies et dysthymies, des délais d’ajournement de
2 – 10 ans sont indiqués.
Pour les dépressions graves et
les troubles bipolaires, ce n’est
qu’environ 10 ans après la fin du
traitement qu’une offre avec
surprime pour risque aggravé peut
être envisagée.
La pratique des sociétés d’assurance
a tendance à être plus retenue que ne
le recommandent les sociétés de réassurance. Les raisons essentielles
d’un tel comportement sont souvent la
forme non évidente des diagnostics à
disposition, des diagnostics qui diffèrent d’un médecin à l’autre ainsi que
les informations fréquemment lacu-
naires sur les facteurs pronostiques et
le contexte psychosocial et socioéconomiques. Ces facteurs d’insécurité
incitent de nombreux assureurs à exclure de la couverture de l’incapacité
de gain des proposants présentant un
diagnostic psychiatrique. Une partie
des compagnies utilisent des clauses
d’exclusion qui, compte tenu du
manque d’information décrit, sont
souvent formulées de manière très
globales.
Exemple: une incapacité de travail/
gain, causée par des maladies psychiques et les suites médicalement
attestées, ne donne pas droit à des indemnités journalières, ni à des rentes.
Il est manifeste qu’une telle clause est
conçue trop largement dans la majorité des cas. En règle générale, une
limitation dans le cadre des chiffres F3
et F4 (ICD 10) serait suffisante.
Il est douteux qu’au vu du nombre
croissant de sinistres et du contexte
économique qui se dégrade, il faille
exiger des sociétés d’assurance une
plus grande disposition à accepter les
risques. Des renseignements médicaux détaillés, moyennant application
d’une clé de diagnostic reconnue,
seraient certainement une première
étape en direction d’une appréciation
différenciée et adaptée au risque du
cas particulier.
46
La réintégration des malades psychiques dans le monde du travail
Dr Jakob Bösch,
Externe Psychiatrische
Dienste Baselland,
Bruderholz
Petra Wildemann,
Aktuar SAV/DAV,
Industry Service Leader
Insurance and Banking,
IBM Schweiz, Zürich
Résumé
Dans le domaine de l’incapacité
d’exercer la profession/le travail, les
coûts à long terme sont énormes et
augmentent de manière exponentielle
plus la durée de la rente est longue.
Des modèles sont nécessaires pour
soutenir les individus dans leur réintégration après des coups du sort
extraordinaires (accidents, mobbing
ou maladie), payer des prestations
ciblées et adaptées aux coûts et éviter
de futurs dommages. Nous oublions
dans ce contexte que, de surcroît, une
grande partie des intéressés peut être
exclue du cercle social sous l’effet de
souffrances chroniques. Des moyens
médicaux et techniques sont demandés, qui sont liés à des modèles assortis de programmes didactiques fondés
sur l’individualité et requérant l’utilisation des techniques actuelles. Précisément, réunir les moyens actuels de
la technique, de la communication et
de l’individualité offre une solution
globale à ce thème si difficile et complexe, pour s’attaquer au problème et
présenter des solutions.
1. Introduction
Le nombre des individus qui doivent
être mis au bénéfice d’une rente en raison de douleurs chroniques a crû en
Suisse de plus de cent pour cent au
cours des deux dernières décennies;
la croissance est spécialement forte
dans les groupes d’âges inférieurs.
Les souffrances psychiques et les problèmes de douleurs chroniques sont
en tête des groupes de diagnostic. La
déconnexion précoce du monde du
travail du fait de troubles psychiques a
atteint dans l’intervalle une part équivalant à presque un tiers de toutes les
rentes octroyées. Simultanément, le
nombre de ceux qui peuvent être réintégrés dans la vie du travail ne cesse
de régresser.
La médecine et, en particulier, la psychiatrie se trouvent dans une situation
contradictoire. Les causes de cet état
d’urgence sont essentiellement imputées aux conditions de l’économie, aux
structures des systèmes d’assurance
et aux évolutions de la société. Malgré
cela, le partenariat nécessaire avec les
employeurs, les assureurs et l’environnement des personnes touchées
par la maladie et le handicap – pour
corriger l’évolution décrite – n’est pas
suffisamment réalisé. Apparemment,
les possibilités du système médical
pour les tâches du maintien de l’em-
47
ploi et de la réintégration dans le monde du travail sont sous-estimées et on
en appelle trop exclusivement à l’effet
des mesures essentiellement médicothérapeutiques. Fréquemment, les
évolutions défavorables sont même
soutenues par une série de facteurs
iatrogènes. Est spécialement attristante l’augmentation du nombre d’individus psychiquement handicapés et
mis au bénéfice de rentes en dépit de
coûts pharmaceutiques en augmentation massive, par exemple avec doublement des coûts pour les antidépresseurs au cours de cinq ans, et en
dépit d’une croissance constante de
l’offre de traitement psychiatrique et
psychothérapeutique. De nouvelles
méthodes de traitement ainsi que de
nouveaux modèles de gestion de la
maladie et de l’handicap sont demandés. Mais des voies nouvelles impliquant le recours à la technologie pour
le bien-être des intéressés sont également partie intégrante du processus
de guérison. En particulier, il s’agit de
reconnaître que les malades ou les
handicapés, les thérapeutes, les assureurs et, finalement, les employeurs
ont les mêmes intérêts, à savoir le
maintien de la capacité de travail des
personnages principaux de ces drames. Ne pas pouvoir travailler – c’est
bien connu – est la situation de travail
la plus stressante. Et même si la déclaration de maladie ou la mise au bénéfice d’une rente paraît alléger à court
terme les conséquences financières
pour les employeurs, ceux-ci seront
inévitablement invités à repasser à la
caisse sous forme de prélèvements
sociaux accrus et, aujourd’hui, il est
absolument impossible d’évaluer les
coûts futurs.
Ci-après seront discutées des conclusions tirées de projets très prometteurs et couronnés de succès dans
d’autres pays et concernant le maintien de l’emploi ainsi que la réintégration en cas d’handicap chronique. Il
s’agit essentiellement du St Loye’s
Transformations Project en Angleterre
(1), du Disability Management Programme au Canada (2, 3) et des travaux assez bien connus déjà pour un
Pain Management interdisciplinaire
(4). Un propre modèle, le Care Network
Solutions Project, sera également présenté.
2. Une Success Story
Le St Loye’s Transformation Project
(UK) a débuté en automne 1998 en tant
qu’essai pilote et a été prolongé et
étendu au bout d’une année, vu son
succès. Au cœur du projet, il y avait un
service gratuit de consultation au
bénéfice des employeurs, travailleurs
48
et personnes en quête d’un emploi,
lorsque la place de travail était menacée ou déjà perdue en raison de problèmes de santé ou d’handicaps de
travailleurs. Dès le départ, le but était
d’exploiter les synergies entre les services existants et le St Loye’s Transformation Project. Un accent particulier a
été mis sur les interfaces entre les
divers fournisseurs de prestations.
Comme chacun le sait, ce sont là les
points faibles dans l’ensemble du
réseau des services. Le St Loye’s Transformation Project offrait un service de
consultation limité dans le temps, souple mais complet, avec focalisation sur
la capacité de travail. L’évaluation des
premiers 110 cas de consultation a
enregistré 25% de personnes sans
emploi au début de la consultation,
59% en situation de travail stable,
34% en cours de consultation et uniquement 7% de dropouts. Un placement d’environ 90% a été considéré
comme réaliste. Pour un investissement de 400 000 livres anglaises, une
économie d’au moins 10 millions de
livres a été réalisée. Ce montant au
premier abord étonnant est compréhensible lorsque l’on sait qu’en
Suisse, tout octroi d’une rente anticipée due à la maladie coûte en
moyenne, aux assureurs et à la collectivité, 1 million de francs au moins.
Le temps entre le premier contact et
l’acceptation du plan d’action par toutes les parties intéressées a été en
moyenne de 1 à 5,1 mois, du premier
contact à la situation de travail stable.
Les clients venaient essentiellement
via un travail de médias, les annonces
et le bouche à oreille; autrement dit, il
y avait 45% de personnes s’annonçant
elles-mêmes, alors que 35% étaient
inscrites par l’employeur. Il n’y avait
presque pas de personnes envoyées
par des médecins et des services de
santé. Le contact avec les employeurs
a été déterminant pour le succès du
placement. Les clients de la consultation qui ont obtenu une place de travail
et qui subissaient un handicap de
courte durée étaient – comme c’est
bien connu – bien plus motivés à travailler que ceux qui avaient quitté le
travail depuis un certain temps déjà.
Ces derniers exigeaient davantage de
conseils et par conséquent, généraient une charge financière supérieure. De tous les clients, 39% subissaient leur handicap depuis moins
d’un an, 55% depuis moins de deux
ans et 77% depuis moins de cinq ans.
La réinsertion ou le maintien de la
place de travail étaient plus fructueux
chez les grands employeurs qu’auprès
de moyennes et petites entreprises. Il
était important à cet égard que le
49
contact ne soit pas essentiellement
entretenu avec les responsables de
ligne, mais à l’échelon du management. Les responsables de ligne sont,
selon les auteurs, très fortement focalisés sur la nécessité de réduire les
coûts et la rentabilité de leur domaine
de responsabilité; ils ne peuvent que
mal calculer les coûts de la perte de
travail en cas de départ du travailleur,
encore moins bien que les coûts du
réengagement et de la familiarisation
au travail pour un travailleur expérimenté; ils sont tout aussi peu capables de calculer les coûts des hausses
des primes d’assurance liées à la croissance constante du nombre des personnes bénéficiant d’une rente.
Compte tenu des structures et des
bases légales différentes dans le
domaine de l’assurance, des modèles
en provenance d’autres pays ne peuvent être repris que sous une forme
adaptée en Suisse. Le Case Management est déjà appliqué pour des maladies et accidents spécifiques, en particulier auprès des assurances responsabilité civile, où l’on remplace, suivant en cela l’exemple de l’étranger, le
principe «deny and defend» par
«accept and assist». On a vu que des
accidentés, qui doivent lutter des
années durant pour la reconnaissance
du dommage subi, ne peuvent re-
trouver la santé et la capacité de se
réinsérer; au contraire, ils sont le plus
souvent prisonniers de la frustration et
de la colère, voire de dépressions.
3. Travailler en réseau et gagner
du temps dans le secteur médical
Selon diverses études menées dans
plusieurs pays du monde industrialisé, le taux de troubles psychiques
pendant une année s’élève à 20 – 30%.
La probabilité de tomber malade à ce
titre pendant toute la vie a été estimée
à 40 – 50%. Au vu des expériences
glanées au cours des dernières décennies, on doit admettre que l’extension
des assurances et de l’approvisionnement de la médecine ainsi que de la
psychiatrie a contribué à la hausse
disproportionnée des octrois de rentes pour troubles psychiques et de
l’appareil locomoteur, qui représentent ensemble 70% des rentes. Ceci
non pas du fait du mauvais travail des
individus, mais en raison des procédures fragmentées et des efforts cloisonnés et non connectés des divers
acteurs, qui ne mettent pas suffisamment au centre de leurs préoccupations l’objectif supérieur de la réintégration au travail, ou le perdent souvent de vue.
50
Exemple 1: un dessinateur en bâtiment de 55 ans avec études postgrades, qui a travaillé pendant plus de
20 ans dans la même entreprise, est
submergé par un travail soumis à
délai. En dépit d’un engagement supplémentaire considérable, il n’arrive
pas à terminer le travail dans le délai
souhaité. Il en résulte une discussion
tendue, le patient souffre d’une
«dépression nerveuse» et le médecin
le met à l’incapacité de travail. Le
patient redoute de recevoir son congé
lorsqu’il retournera, rétabli, à son travail. La physiothérapeute consultée
liste sur une pleine page A4 les symptômes de douleurs et de tensions. Un
trouble d’anxiété à caractère dépressif
est aisément constatable. Après une
incapacité de travail de cinq mois, au
cours de laquelle il n’y a eu aucun
contact avec l’employeur, le patient
est envoyé en psychiatrie avec le vœu
d’une annonce à l’AI et expertise.
La crainte du congé empêche ce
patient de recouvrer la santé. Cinq
mois d’éloignement du travail, ce n’est
généralement plus optimal pour la
réinsertion de patients, mais ce n’est
pas mauvais non plus. Souvent, la
perte – indéterminée dans le temps –
d’une main d’œuvre qualifiée pendant
des mois met déjà l’employeur dans
des difficultés, de sorte que sa disposition à trouver des solutions transitoires et à prendre des mesures de
réinsertion diminue, surtout au vu du
manque de communication qui prévaut fréquemment. Un traitement
psychiatrique usuel aide plutôt, en
pareils cas, à consolider le processus
de la maladie et à renforcer la focalisation sur des symptômes au lieu de
réintégrer le patient dans le monde du
travail. Même si, s’agissant de l’octroi
d’une rente, une expertise négative
est établie, le temps nécessaire pour
élucider l’affaire et prendre des décisions provoque une absence prolongée au travail. Dans les cas les plus
favorables, à concurrence de six mois
et, dans les cas les plus défavorables,
jusqu’à 24 mois, ce qui dégrade à tel
point la capacité de réinsertion de l’individu que finalement, seul l’octroi
d’une rente entre encore vraiment en
ligne de compte.
Le principe dominant, largement répandu chez nous et malheureusement
même au sein de la psychiatrie sociale,
selon lequel «D’abord la guérison,
puis la reprise du travail ou d’abord la
réhabilitation, puis le placement» doit
être remplacé par la solution «le travail
à bonne dose est la meilleure thérapie» ou, en d’autres termes, la réadaptation au travail ne peut avoir lieu que
51
sur les lieux du travail. Même des instituts de réadaptation psychiatriques
sont particulièrement sujets au danger de trop focaliser sur la disparition
des symptômes avec et sans valeur
d’handicap et de ne pas voir les ressources à disposition.
faite, par rapport à l’évaluation psychiatrique, est largement plus positive
et le patient peut bientôt commencer
un nouvel apprentissage, alors que la
dose des médicaments est diminuée
sans aucun inconvénient à une fraction de ce qu’elle était.
Exemple 2: Un homme de tout juste
20 ans souffre d’une psychose qui
est traitée par voie d’hospitalisation
et administration de médicaments
neuroleptiques à haute dose. Une
réadaptation dans une clinique de jour
sociopsychiatrique et dans un emploi
protégé est entamée. En raison d’un
manque probable de motivation, desdits symptômes négatifs schizophrènes sont diagnostiqués: la réduction
des médicaments souhaitée par le
patient et ses proches est refusée. Sur
la base des rapports médicaux, le
patient perd sa place d’apprentissage
sans qu’un contact direct n’ait eu lieu
entre l’employeur et le responsable de
la réadaptation. L’institution psychiatrique insiste pour une annonce à l’AI
qui a finalement lieu bien que le
patient fasse pression pour pouvoir
achever normalement son apprentissage. En fin de compte, le père du
patient réussit à organiser pour celuici un stage d’initiation de 14 jours.
L’évaluation des prestations qui y est
Dans l’état actuel de la formation, les
personnes œuvrant en psychiatrie
doivent être conscientes qu’elles sont
des spécialistes pour les places de travail qui sont protégées ou qui protègent, mais non pas pour la réinsertion
et le maintien de la place de travail
dans l’économie libre. La nature et
l’accentuation des symptômes de maladie ou des handicaps n’ont qu’un
rapport conditionnel avec les possibilités de réinsertion. L’entraînement
suivi intensivement, des années durant, pour reconnaître et classifier les
symptômes de maladie masque souvent le regard sur les parties saines
du malade et la distance avec les
employeurs est généralement trop
grande pour une réintégration réussie
dans le travail. Il en résulte une tendance inconsciente à attacher les gens
à des institutions. Des nouveaux
venus soumis à la procédure de
réadaptation souhaitent fréquemment reprendre le travail, comme des
études le montrent, mais les accom-
52
pagnants sont opposés à cette idée,
par crainte que l’on exige trop de leurs
ouailles.
on peut souvent obtenir des améliorations décisives par la simple réduction
des médicaments.
4. Plus la réadaptation dure, moins
les intéressés se font confiance
Plus la durée de la réadaptation est
longue – loin des lieux du travail –
moins les intéressés ont confiance en
leurs aptitudes dans cette étape vers
le travail et l’autonomie, alors que les
personnes qui les encadrent exigent
ensuite cela de leur part. Pendant la
réhabilitation, le pourcentage des personnes actives dans l’économie libre
diminue aussi drastiquement et n’est
plus à la fin que de 5%. Pour la réinsertion professionnelle, il faut d’autres partenaires, par exemple des
Case Manager, qui font du maintien du
poste de travail leur tâche principale. Il
convient de souligner une fois encore
à quel point il est important de faire
passer à l’arrière-plan l’élimination
des symptômes et la prévention possible de récidive pour placer au cœur
des préoccupations le maintien de la
capacité de travail et de formation, ce
qui augmente automatiquement la
qualité de vie de l’intéressé. Fait également partie de cette démarche un
usage prudent et limité de médicaments psychotropes. Face à la pratique actuelle de prescription usuelle,
Exemple 3: Une femme de 58 ans a été
hospitalisée trois fois en 17 ans dans
un établissement psychiatrique pour
des idées paranoïaques, au sujet desquelles divers diagnostics ont été
émis. La quatrième hospitalisation a
eu lieu déjà 1 an et demi après la troisième. Sous la pression de crises se
multipliant, il fut décidé d’administrer
un neuroleptique retard. Peu après la
reprise de son travail, la patiente reçoit
son congé. L’employeur – engagé sur
le plan social – s’est plaint de constater
chez cette dame – auparavant toujours
soignée – des tendances au laisseraller, ce qui n’est pas tolérable lorsque
le contact avec la clientèle est une
nécessité. La patiente régresse alors
massivement, perd toute initiative
personnelle et ne peut plus tenir son
ménage qu’avec l’aide intensive d’organisations spitex. Ce n’est qu’après
l’arrêt du médicament retard, décidé
après un an, à l’occasion d’un «consilium» psychiatrique, et l’administration d’une moindre dose d’un autre
neuroleptique que la patiente change
tout à fait. Elle redevient alors active,
loquace et fait à nouveau preuve d’initiative. La rente AI entière qui lui a été
53
octroyée entre-temps est cependant
maintenue.
Dans cet exemple, il faut admettre
l’existence d’une perte d’emploi iatrogène. Aujourd’hui, les traitements par
médicaments psychotropes se caractérisent trop souvent par des dosages
surfaits, de trop rares tentatives de
réduction et – en cas de nouvelles crises intervenant en dépit des médicaments – par des augmentations excessives des doses et des combinaisons
multiples; ils ont de surcroît un influence défavorable sur la capacité de
travail et de formation, comme l’exemple qui suit le montre à l’évidence.
Exemple 4: Un écolier de 16 ans
souffre de contrariétés et de blocage
dans l’étude. Il reçoit les antidépresseurs les plus divers et, finalement,
une psychothérapie centrée sur la personne. Lors d’une consultation concernant les médicaments psychotropes, un antidépresseur lui est prescrit
à raison de dix fois la dose normale.
Une crise de Grandmal conduit à une
administration supplémentaire d’un
antiépileptique et à la perte de la capacité de conduire. Un retrait et une inactivité accrus rendent finalement nécessaire une hospitalisation psychiatrique. Dans la clinique privée, on ré-
duit la dose de l’antidépresseur à
3 fois la dose normale. Avec une thérapie du comportement, le patient
apprend à réélargir sa marge de mouvement, comme voyager seul, rencontrer des personnes de son âge, etc.
Après avoir quitté la clinique, «pour
stabiliser le succès», la dose d’antidépresseur est à nouveau augmentée
au cours d’une consultation spéciale à
16 fois, mesure accompagnée d’un
logement et de travaux protégés, le
patient étant peu utilisable en raison
de pressions dans la tête et de fatigue
permanente. Le patient, qui a fêté ses
20 ans dans l’intervalle, reçoit une
rente AI. Après un changement de
médecin initié par ses parents, la
médication est réduite de façon ciblée.
Le patient reprend ses activités sportives, y compris le sport de compétition et ses hobbies, voyage seul aux
USA et peut finalement entreprendre
une formation exigeante.
Les jeunes individus – précisément –
ont aujourd’hui un tout autre accès
aux nouveaux médias et moyens techniques qui nous sont offerts. Nous
devrions vraiment intégrer et mettre à
profit ce fait dans la guérison. Déjà
pendant la thérapie, une communication ciblée via la connexion avec des
personnes du même âge sur Internet
54
ou par l’intermédiaire de canaux spécifiquement choisis peut sensiblement améliorer la guérison. Des hobbies qui seront soutenus par des
mises en œuvre techniques peuvent
être encouragés. Des voyages aux
USA peuvent déjà aider au préalable,
dans un contexte de communication
bien défini, à préparer la réinsertion.
Suivant l’exemple d’un jeune homme
venant de l’Inde, qui est aveugle
depuis sa naissance et qui a pu entreprendre une activité de programmeur
grâce à l’aide d’IBM, de nombreux autres jeunes peuvent obtenir une chance
lorsque l’environnement peut la leur
créer (voir article dans Schweizer
Versicherung de juin 2002, de Petra
Wildemann).
5. Le but principal est le maintien
de l’emploi
La psychiatrie sociale peut acquérir
une force nouvelle grâce à un lien plus
étroit avec les assurances et l’économie. Des idées contraires à cette
conception doivent être combattues.
Selon Sokoll (5), le Disability Management (DM) peut, en cas de dépressions, s’appuyer fortement sur le
modèle Sherbrooke pour la réadaptation en présence de douleurs dorsales. Grâce à une intervention sur les
lieux du travail – parallèlement au
traitement médical de la maladie
aiguë – le retour au travail doit intervenir 2,4 fois plus rapidement en
moyenne qu’en cas de seul traitement
médical ordinaire. Le DM englobe une
première aide et le traitement de la
maladie aiguë, mais également un
service en réseau pour la réadaptation
sur le plan médical. Le but principal
est d’éviter le handicap à long terme.
La personne assurée devrait être familiarisée avec le rôle consistant à devenir son propre manager, avec la responsabilité qui en découle pour sa
santé et sa force de travail. Ceci peut
parfaitement impliquer aussi une collaboration avec des organisations de
patients. Le pilotage de la réadaptation de haut en bas échoue en règle
générale. Les meilleurs indicateurs
d’un retour rapide et durable au travail
sont:
l’amélioration constante de l’état
la sécurité de l’emploi
la perception de l’emploi comme
un soutien
le sentiment que le supérieur
hiérarchique vous revoit
avec plaisir
la conscience que l’emploi en
question sera adapté à un retour
graduel à une pleine prestation
de travail
Réadaptation
Clinique
universitaire
Responsabilité civile après accidents
sans faute du lésé
Traitement éventuellement incorrect
jusqu’à ce moment-là (par ex. psychiatrie)
Chômage de longue durée sans faute
de l’intéressé
Mobbing, stress sur les lieux du travail
Maladie
Accident
Home
Réintégration
Programme de réinsertion
Care Point:
Processus itératif
jusqu’à la réintégration
Début de la mise
en œuvre
Soins
Consulting
Business
Management
Sélection
Clinique d’arrondissement
Care Point
Travailler avec le bon dosage est la meilleure thérapie!
55
56
Cette adaptation de l’emploi et le
retour progressif à la pleine performance au travail – qui est adaptée en
fonction de l’individu – dès que les
premières améliorations surviennent,
sera élevée au rang de norme à respecter. De même, le contact précoce avec
le système médical traitant et la promotion d’une culture de l’emploi dans
le respect et l’adaptation souple des
exigences en matière de travail sont
une partie du programme. De grandes
possibilités sont promises au réseau
Internet avec le «self-screening» et la
gestion de la maladie, avec les avantages de la protection des données,
du Patient-Empowerment, etc. Le programme Care Point, qui a été développé en collaboration avec des représentants de l’industrie, offre une solution globale, pour aider également les
intéressés qui, du fait de leurs souffrances chroniques, n’ont qu’une
chance infime de retour dans la structure sociale actuelle (voir graphique:
Care Point).
Par analogie à la mise en œuvre réussie, qui implique des méthodes de formation bien définies, on peut aussi
aider des patients souffrant de maux
chroniques. Parallèlement aux programmes médicaux et thérapeutiques, des mesures de formation
continue, en groupe ou sous forme
individuelle, fournissent la base pour
un retour dans le processus du travail.
Le programme de formation qui a été
développé dans l’initiative Care Point
(voir remarque ci-dessous), comprend
des unités didactiques, qui peuvent
être enseignées en groupes, individuellement ou en une formule mixte.
Selon le degré de formation, les programmes en question sont exécutés
par un professeur qualifié et/ou les
modules d’enseignement peuvent
être transmis également par le «Distance Learning», en tant qu’e-Learning. Ces unités didactiques peuvent
commencer par des modules tout à fait
simples, et aller jusqu’à des contenus
complexes et à des certificats reconnus sur le marché du travail. Ainsi le
patient n’a pas seulement montré qu’il
aimerait redevenir un membre à part
entière de la structure sociale, mais il
l’a également prouvé.
57
Remarque Care Point
Le projet Care Point est issu d’un
travail commun visant à présenter
des chances directes et indirectes
à l’individu auquel les modèles
actuels n’offrent pas de possibilités optimales. L’objectif est de travailler – avec l’individu – au développement d’une nouvelle chance
pour son futur. Il n’est pas seulement demandé une conversion
des anciennes performances en
rente, mais une aide véritable apte
à développer chez l’intéressé une
véritable foi dans l’avenir.
Care Point est une approche intégrée, qui informe sur de véritables
solutions à partir d’un accompagnement médical et thérapeutique, en concours avec les
employeurs et les assureurs. De
plus, des solutions globales sont
appliquées, qui se fondent sur le
développement technique actuel
et qui mettent en relation les
possibilités du réseau et de la
formation. Au centre de la mise en
œuvre de Care Point, il y a la
responsabilité pour la coordination des procédures, qui revient
en premier lieu aux assurances ou
aux institutions sociales, dont
l’individu dépend au cours de sa
carrière de malade.
Le concept global contient les services et prestations suivantes, qui
peuvent également faire l’objet de
modules séparés:
Consulting/mise au point
du Business Case
Project Management
Mise au point du triage
Design et exécution de programmes didactiques pour
la réinsertion professionnelle
Etablissement de platesformes de communication,
de réseaux, etc.
Elaboration de programmes
de formation et de réintégration
Exécution de la formation
de base et de la formation
continue
Certificat
Soutien dans la réintégration
Pour de plus amples informations
sur Care Point, veuillez consulter
sur Internet www.CH21.ch.
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Bibliographie
1 Evaluation of the St Loye’s Transformations Project; St Loye’s Report,
(2000) (Newman P, Bidgood I. )
2 Code of Practice for Disability
Management; National Institute
of Disability Management and
Research, (2000), (King A, Zimmermann W)
3 The Close-Up on Disability Costs in
Canada’s Pulp and Paper Industry;
National Institute of Disability
Management and Research, (2000)
4 Main CJ, Spanswick CC. Pain
Management, An Interdisciplinary
Approach, Edinburgh 2000,
Churchill Livingstone
5 Sokoll G. (2002): Global Workers
Compensation Initiatives in
Prevention Rehabilitation and
Disability Management.
Kongressband des «First International Forum On Disability
Management»
Schweizerischer Versicherungsverband
Association Suisse d’Assurances
Associazione Svizzera d’Assicurazioni
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