auxiliaires de modalité : devoir, vouloir, savoir, pouvoir. Me référant aux travaux de Hannah
Arendt notamment, j’ai montré comment cette grammaire des modalités en vient, aux débuts
de la première modernité, à la fois à s’autonomiser et à se différencier. Mais, surtout, c’est sur
base de cette grammaire que va se construire l’anthropologie de la responsabilité et de
l’autonomie. Se demander si quelqu’un est ou non responsable de ce qu’il a fait revient en
effet à se poser des questions comme « devait-il faire ce qu’il a fait ? », « le voulait-il ? »,
pouvait-il faire autrement ? », « savait-il ce qu’il faisait ? ». Plus encore, c’est à partir de ces
auxiliaires de modalité que vont se construire certaines catégories anthropologiques, telle la
volonté qui sera au centre des réflexions anthropologiques de la première modernité, mais
aussi telles l’incapacité, l’impuissance, l’inconscience. Le modèle de l’individu autonome
s’écrira dans le vocabulaire de ces modalités, comme dans ce texte où Charles de Bovelles
(1983) décrit le Sage :
« Comme triples sont les causes de nos actions, en effet, triples les principes de nos tâches :
Intelligence, Puissance, Volonté… Dès l’instant où ces trois principes, donc l’Intelligence, le
Pouvoir, le Vouloir, s’unissent en un chœur concordant, l’action du Sage est libre, facile, sans
obstacle. L’Intelligence lui révèle, bien sûr, en premier lieu, ce qu’il doit faire ; ensuite, la
Puissance perçoit et mesure les forces du sujet ; la Volonté, enfin, met en mouvement,
approuve, accompagne le sujet… Que l’une quelconque de ces causes manque, et il en
résultera une action empêchée ou nulle. Si quelqu’un, en effet, comprend et peut ce qu’il ne
veut pas, ou bien s’il peut et veut ce qu’il ne connaît en rien, ou bien ne connaît, ni ne peut, ni
ne veut, c’est en homme creux et vain qu’il s’agite » (p. 352).
Comme le suggère cette citation, la première modernité consacrera une part essentielle de ses
réflexions anthropologiques aux « obstacles » qui peuvent contrecarrer l’autonomie. C’est
dans cette perspective que s’inscriront largement les réflexions consacrées à l’analyse de
l’affectivité et, notamment, des émotions. On les retrouve chez tous les grands penseurs de
l’époque, Descartes, Spinoza, Malebranche, Hobbes, Hume, Locke ou Kant. Cette grande
tradition de réflexion sur les émotions se poursuivra encore bien au-delà, notamment au 19e
siècle jusqu’aux travaux de Ribot (1896).
Au cœur de cette tradition réflexive, la question de l’affectivité se trouve donc posée sous
l’horizon de l’autonomie et de la responsabilité. L’affectivité y est une des dimensions
constitutives de la subjectivité, et la question centrale à son propos est celle de son articulation