Les troubles du sommeil au cours de la polyarthrite rhumatoïde

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Revue Marocaine de Rhumatologie
Disponible en ligne sur
www.smr.ma
Les troubles du sommeil au cours
de la polyarthrite rhumatoïde
Sleep disorders in rheumatoid arthritis
Imane El Bouchti 1, Mohammed Amine 2, Selma El Hassani 1
1 Service de rhumatologie, Hôpital Ibn Tofail, CHU Mohammed VI, Marrakech - Maroc
2 Laboratoire de biostatistique, Faculté de Médecine et de Pharmacie de Marrakech - Maroc
Rev Mar Rhum 2012; 20: 52-5
Résumé
Objectifs :
Décrire le prol du sommeil ainsi que les
diérentes corrélations avec les paramètres
de la maladie chez les patients atteints de
polyarthrite rhumatoïde.
Méthodes :
Il s’agit d’une étude transversale multicentrique
réalisée dans la région de Marrakech. Ont été
inclus tout les patients atteints de polyarthrite
rhumatoïde et répondant aux critères de l’ACR
1987. Par un questionnaire, les caractéristiques
de la maladie et sociodémographiques des
patients ont été recueillies. Une évaluation du
retentissement psychologique a été réalisée.
L’étude du sommeil a été évaluée à partir de
l’échelle de HAMILTON.
Résultats :
Quatre vingt patients ont été recrutés. Le sexe
féminin était retrouvé dans 87,5 %, la moyenne
d’âge était de 47,6ans +/- 13,5. La durée
moyenne d’évolution de la maladie était de
76,5 mois ± 70,3.
L’asthénie était présente chez
69 % des malades. Sur le plan psychologique,
3
,
75 % des patients avaient une anxiété, 76
,
25%
des patients avaient une dépression. L’insomnie
était retrouvée chez 66 patients (82
,
5%). Une
corrélation positive signicative a été retrouvée
entre l’existence d’insomnie et l’activité de la
maladie (p=0
,
005), l’incapacité fonctionnelle
(p=0
,
02), la présence de dépression (p=0
,
019)
et l’anxiété (p= 0
,
0075). Ailleurs il n’a pas été
retrouvé une corrélation avec la présence de
déformations articulaires (p=0
,
94) ni avec la
qualité de vie évaluée par l’échelle EMIR court
(p=0,06), ni avec le niveau de la douleur et de la
fatigue.
Conclusion :
La polyarthrite rhumatoïde retentit sur la
qualité du sommeil. Le traitement des patients
doit prendre en considération le sommeil dans
le cadre d’une prise en charge globale.
Mots clés : polyarthrite rhumatoïde;insomnie;
troubles du sommeil.
Abstract
Objectives :
Describe the prole of sleep and the various
correlations with disease parameters in
patients with rheumatoid arthritis.
Methods :
This is a multicenter cross-sectional study
conducted in the region of Marrakech.
Were included all patients with rheumatoid
arthritis and meeting the 1987 ACR criteria.
In a questionnaire, the characteristics of the
disease and sociodemographic patient were
collected. An evaluation of the psychological
impact was performed. The study of sleep was
evaluated using the Hamilton scale.
Results :
Eighty patients were recruited. The female
was found in 87.5%, the average age was 47.6
years + / - 13.5. The average duration of disease
progression was 76.5 months ± 70.3.
The weakness was present in 69% of patients.
On the psychological level, 38.75% of patients
had an anxiety, 76.25% had depression.
Insomnia was found in 66 patients (82.5%).
A signicant positive correlation was found
between the presence of insomnia and disease
activity (p = 0.005), functional disability (p =
0.02), the presence of depression (p = 0.019)
and anxiety (p = 0.0075). Moreover, it has not
been found to correlate with the presence of
joint deformities (p = 0.94) nor with the quality
of life measured by the scale EMIR short (p =
0.06) nor with the level of pain and fatigue.
Conclusion :
Rheumatoid arthritis aects the quality of
sleep. The treatment of patients must consider
sleep as part of a global approach.
Key words : Rheumatoïd arthritis;insomnia;sleep
disturbances.
Correspondance à adresser à : Dr. I. El Bouchti
ARTICLE ORIGINAL
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Revue Marocaine de Rhumatologie
La Polyarthrite Rhumatoïde (PR) est parmi les rhumatismes
inflammatoires chroniques les plus fréquents. Parmi les
difficultés de la prise en charge des malades atteints de PR
est la gestion de certains symptômes dont les perturbations
du sommeil. Les troubles du sommeil sont retrouvés chez
54 à 70% des patients atteints de PR [1-4]. Les tentatives
d’amélioration du sommeil peuvent aider dans la prise en
charge de la maladie [4]. Peu d’études ont été réalisées
pour décrire la qualité du sommeil chez ces patients.
L’objectif de cette étude est de décrire la qualité du sommeil
des patients atteints de PR dans la région de Marrakech à
travers une étude descriptive.
PATIENTS ET MÉTHODES
Il s’agit d’une étude transversale multicentrique réalisée
dans la région de Marrakech entre janvier et décembre
2005. Ont été inclus tout les patients atteints de PR et
répondant aux critères de l’ACR 1987 [5]. L’étude a
été conduite dans les centres de recrutements suivants à
Marrakech: Service de rhumatologie du centre hospitalier
universitaire Mohammed VI, service de médecine interne,
consultation de rhumatologie du centre hospitalier
régional Avenzoar, de l’Hôpital Militaire Avicenne et des
rhumatologues privés.
A l’aide d’un questionnaire, les caractéristiques de la
maladie et sociodémographiques des patients ont été
recueillies. L’activité de la maladie a été mesurée par le DAS
28 (disease activity score). La présence de déformations a
été notée à l’examen clinique. La qualité de vie des patients
a été étudiée par le questionnaire EMIR court (échelle
de mesure de l’impact de la polyarthrite rhumatoïde)
[6].L’échelle EMIR court comporte 26 questions groupées
sous formes d’échelles, évaluant de façon globale la qualité
de vie du patient Les réponses obéissent à un format de 5
catégories (type likert), se rapportant à la fréquence avec
laquelle le patient exprime chacun des items contenus dans
le questionnaire et ce durant les 4 semaines précédant
l’entretien. le score final allant de 0 (meilleur état de
santé) à 10 (plus mauvais états de santé). L’incapacité
fonctionnelle a été mesurée par l’échelle GARS (Groningen
Activity Restriction Scale). Il s’agit d’un instrument générique
constitué de 18 items avec un format de réponse de 4
catégories basées sur la capacité du patient à effectuer la
tache se rapportant à l’item [7].
Une évaluation du retentissement psychologique a été
réalisée : l’étude de l’anxiété par l’échelle de MAX
HAMILTON, échelle d’hétéro évaluation qui comprend
14 items couvrant la totalité des secteurs de l’anxiété
psychique, somatique musculaire et viscérale, les troubles
cognitifs et du sommeil et l’humeur dépressive. Ces items
sont évalués à l’aide d’une échelle de cinq degrés de
gravité, de l’absence jusqu’à l’intensité invalidante. La
note globale va de 0 à 60. Le seuil admis pour une anxiété
significative est de 20 [8]. La dépression a été évaluée par
l’échelle de dépression de HAMILTON. L’échelle comporte
17 items se rapportant aux différentes composantes de la
symptomatologie dépressive. Pour chacun des items on
choisi la définition qui caractérise le mieux le malade et
qui sera notée de 0 à 2 ou de 0 à 4 (Note totale de 0 à 7 :
absence de dépression, Note totale de 8 à 15 : dépression
mineure, Note totale de 16 ou plus : dépression majeure)
[9]. L’étude du sommeil a été évaluée à partir de l’échelle
de HAMILTON.
Cette étude s’est déroulée sous forme d’entretiens. Le recueil
des informations a été réalisé à l’issu de l’interrogatoire
des malades et à partir des données du dossier médical.
Les patients recrutés ont été informés du but de l’étude.
Seuls les patients adhérents après consentement libre et
éclairé ont été recrutés.
Analyse statistique
L’analyse statistique a fait appel à deux méthodes d’analyse
statistique : les variables qualitatives ont été analysées sous
forme de pourcentages, les variables quantitatives sous
forme de moyennes et d’écarts- types. Les moyennes ont
été comparées par le test de student et les pourcentages
par le test de khi-2. Le logiciel utilisé au cours de l’étude
est l’EPI info 6.04d fr. le seuil de signification a été fixé à
5%. L’analyse multivariée a été réalisée mais les résultats
étaient inexploitables vue la taille de l’échantillon.
RÉSULTATS
Quatre vingt patients ont été recrutés. L’âge moyen des
patients était de 47 ±13 ans, La durée moyenne d’évolution
de la maladie était de 76 ±70 mois. Les caractéristiques
sociodémographiques des patients et de la maladie sont
Les troubles du sommeil au cours de la polyarthrite rhumatoïde
Tableau 1 : caractéristiques sociodémographiques et cliniques des sujets atteints de
polyarthrite rhumatoïde (n=80)
Caractéristiques des patients n %
Sexe féminin 70 87,5
Activité de la maladie
Très active 41 51,25
Modérément active 34 42,50
Rémission 5 06,25
Présence de déformations 35 44
Dépression 61 76,25
Absente 19 23,75
Mineur 48 60
Majeure 13 16,25
Anxiété 31 38,75
Revue Marocaine de Rhumatologie
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présentées dans le tableau I. L’asthénie était présente chez
69 % des malades. Sur le plan psychologique, 38,75 % des
patients avaient une anxiété, 76,25% des patients avaient
une dépression (tableau 1). L’insomnie était retrouvée chez
66 patients (82,5%). Une relation positive significative a
été retrouvée entre l’existence d’insomnie et l’activité de la
maladie (p=0,005), l’incapacité fonctionnelle (p=0,02), la
présence de dépression (p=0,019) et l’anxiété (p= 0,0075).
Ailleurs il n’a pas été retrouvé une association avec la
présence de déformations articulaires (p=0,94) ni avec la
qualité de vie évaluée par l’échelle EMIR court (p=0,06), ni
avec le niveau de la douleur et la fatigue (tableau 2).
DISCUSSION
La polyarthrite rhumatoïde est parmi les rhumatismes
inflammatoires chroniques les plus fréquents. C’est
une maladie auto-immune qui se caractérise par une
inflammation articulaire responsable d’une destruction
articulaire en l’absence de traitement. Parmi les difficultés
de la prise en charge des malades atteints de PR est la
gestion de certains symptômes dont la douleur, la fatigue,
les perturbations du sommeil et la dépression.
Les troubles du sommeil sont retrouvés chez 54 à 70%
des patients atteints de PR [1-4,10]. Dans cette étude,
l’insomnie est retrouvée chez 82.5% des cas. Dans une
étude longitudinale, 60% des sujets atteints de PR jugent
une interférence légère à modérée de la maladie avec
leur sommeil, 14% la jugent sévère et 57% des patients
rapportent un sommeil agité [11]. Les troubles du sommeil
rapportés par les patients atteints de PR inclus une difficulté
à s’endormir, un sommeil de mauvaise qualité et non
réparateur, des réveils nocturnes multiples, un réveil tôt
le matin, une somnolence diurne excessive, une fatigue et
une incidence élevée des désordres primaires du sommeil
(le syndrome des jambes sans repos, les mouvements
périodiques des jambes). A l’inverse, l’architecture du
sommeil chez ces patients est habituellement normale [2-
4,12]. La somnolence diurne et la fatigue peuvent altérer
la productivité au travail et l’incapacité à accomplir les
tâches de la vie quotidienne [2]. Dans cette étude il
s’agissait d’une insomnie chez tous les patients.
Les perturbations du sommeil au cours de la PR sont
associées à une augmentation de la douleur, la fatigue et
la dépression [2-3, 10,13-14].
Des études utilisant l’actimetrie dans la PR ont mis en
évidence une corrélation positive entre la douleur nocturne
intense et les mouvements du corps pendant la nuit et
une corrélation négative entre la douleur nocturne et
l’efficacité du sommeil et la durée de la période la plus
longue de sommeil. Le nombre de réveils nocturnes étant
en corrélation positive avec l’intensité de la douleur
matinale [2-3,10,14]. Cette étude n’a pas objectivé de
lien statistiquement significatif entre l’insomnie et le niveau
de la douleur, cela semble probablement lié au faible
effectif des malades ayant l’insomnie. L’association d’une
sensibilité accrue à la douleur, les troubles du sommeil et les
troubles psychiatriques sont communs aux patients atteints
de fibromyalgie. Celle-ci touche approximativement 17,1
% des PR. L’association PR et fibromyalgie peut en partie
expliquer les perturbations du sommeil chez ces patients
[13]. La dépression est retrouvée dans 13 à 20 % des cas
de PR. Il est suggéré que la douleur exacerbe les troubles
du sommeil chez les patients atteints de PR et que les deux
facteurs peuvent contribuer à la dépression [3,12,14]. La
douleur et les troubles du sommeil sont indépendamment
associés à la dépression. Dans cette étude la dépression était
retrouvée chez 72.25% des malades avec une corrélation
positive significative avec la présence d’insomnie. Dans
une étude longitudinale de 242 patients atteints de PR
suivis pendant 2 ans, les troubles du sommeil auto-déclarés
ont été associés à la dépression indépendamment de la
douleur et de l’impotence fonctionnelle [3]. De nombreuses
études, chez des sujets atteints de PR, ont montré des
corrélations positives significatives entre l’activité de la
maladie et les troubles du sommeil.
En cas de poussée inflammatoire de la PR, les troubles du
sommeil sont plus importants avec une réduction du temps
total du sommeil, de son efficacité et une augmentation du
I. El Bouchti et al.
ARTICLE ORIGINAL
Tableau 2 : Caractéristiques des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde avec insomnie
Insomnie n(%) OR [IC 95%] P*
Activité de la PR
Rémission 5 (55,6) 1 -
Modérément active 22 (73,3) 2,20 (0,37-13,34) 0, 31
Très active 39 (95,1) 15,6 (1,74-174,7) 0,007
Présence de
déformations
Oui 29 (83) 1,05 (0,29-3,89) 0,94
Non 37 (82) 1
Dépression
Absente 12 (63,1) 1
Absente 41 (85,4) 3,42 (0,85-13,93) 0,049
Majeure 13 (100) 7,6 (0,71-189,72) 0,025
Anxiété
Oui 30 (96,7) 10,8 (1,33-234,5) 0,008
Non 36 (73,46) 1
Asthénie
Oui 47(85,45) 1,86 (0,49-7,01) 0,35
Non 19 (76) 1
EVA douleur
30 31(75,6) 1
>30 - 60 26(86,6) 2,1 (0,52-9,10) 0,25
>60-100 9(100) 2,9 (0,3-68,73) 0,41
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Revue Marocaine de Rhumatologie
nombre de réveils par rapport à la période sans poussée [2].
Les résultats de cette étude rejoignent ceux de la littérature.
Des analyses en polysomnographie de patients atteints de
PR en poussée montrent une fragmentation du sommeil,
des réveils nocturnes fréquents et une efficacité du sommeil
réduite par rapport aux sujets qui ne sont pas en poussée.
En plus il existe une corrélation positive significative entre
la fragmentation du sommeil et la douleur et la fatigue
en cas de poussée [3]. Les études expérimentales ont
montré que le sommeil fragmenté est un sommeil non
réparateur [4]. Il existe une corrélation positive entre
l’augmentation des marqueurs de la maladie (raideur
matinale, douleur articulaire) et le sommeil à ondes lentes
et une corrélation négative avec la phase 2 du sommeil
lent [3-4]. L’augmentation de l’activité de la maladie est
suivie d’une augmentation du sommeil à ondes lentes.
Celui -ci est probablement la partie du sommeil étant liée
à un processus homéostatique et donc son augmentation
peut représenter une réaction physique à l’inflammation
articulaire reflétée par la douleur et la raideur [4].
Un sommeil de mauvaise qualité est associé à des niveaux
élevés de la fatigue, celle-ci est probablement en rapport
avec la fragmentation du sommeil [14]. Dans cette étude il
n’a pas été retrouvé de lien entre l’insomnie et la fatigue.
Il existe une fréquence élevée des désordres primaires
du sommeil tel le syndrome des jambes sans repos (25-
76,9%) et les mouvements périodiques des jambes (38,5-
75%) chez les patients atteints de PR par rapport à la
population générale [2,10]. Ces troubles peuvent interférer
avec l’endormissement et produire une fragmentation du
sommeil chez ces patients. Etant donné que ces troubles
nécessitent des interventions thérapeutiques spécifiques,
la nécessité de les identifier est clair [10].
L’apnée du sommeil touche 7,5 à 30,8% des PR [2-3,10].
Cette atteinte peut résulter d’une subluxation cervicale
ou une fracture de l’odontoïde. Tout les deux peuvent
entrainer une compression des centres respiratoires au
niveau du tronc cérébral [2].
L’arthrite de l’articulation crico-arythenoidienne est retrouvée
chez 13 à 75% des patients atteints de PR et peut entrainer
une obstruction aigue des voies aériennes supérieures [3].
Les possibilités d’interventions thérapeutiques dans la
polyarthrite rhumatoïde par l’amélioration du sommeil sont
basées sur le fait que les changements dans les paramètres
du sommeil affectent également les paramètres cliniques
de la maladie. Un examen global de l’hygiène du sommeil
peut s’avérer bénéfique pour de nombreux patients. Une
approche multidisciplinaire dans la gestion des troubles
du sommeil chez les patients atteints de PR devrait aider à
optimiser les soins aux patients [4,10].
DÉCLARATION D’INTÉRÊT
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt.
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