[…], écrit-il (p. 18), d’imaginer que l’on
puisse parvenir en sociologie à des
connaissances et des savoirs ayant un
niveau de validité comparable à celui qui
caractérise dans les meilleurs cas celui
des sciences dites de la nature. »
L’ouvrage se divise, outre l’introduc-
tion et la conclusion, en deux grandes
parties. La première, intitulée « Les
sociologues et la sociologie ou ce que
font les sociologues », étudie la manière
dont les sociologues « pratiquent »
concrètement la sociologie et les diffi-
cultés qu’ils rencontrent. La seconde,
intitulée « La sociologie et les sociolo-
gues ou ce que ne font pas les sociolo-
gues », définit les orientations générales
susceptibles de contribuer à l’accroisse-
ment des « performances cognitives » de
la sociologie.
La première partie se structure autour
d’une distinction entre trois registres
constitutifs de l’activité sociologique :
empirique,interprétatif et théorique.
L’auteur se garde bien d’opposer un
registre à un autre (il affirme au contraire
l’existence d’un « continuum » entre ces
registres) mais utilise sa distinction
comme une voie analytique pour accéder
à la complexité de la pratique des socio-
logues.
La « vocation empirique » de la socio-
logie constitue son point de départ. C.-H.
Cuin ne se contente pas de rappeler la
manière dont de l’accumulation des
travaux destinés à mettre au jour des
« faits » a progressivement émergé un
ensemble de démarches instrumentées et
codifiées, mais il rend compte de la
diversité des enjeux propres à ce savoir-
faire. Les enjeux pratiques sont bien
connus : révéler des faits partiellement
connus ou totalement inconnus des
acteurs individuels ou institutionnels,
produire des ressources information-
nelles susceptibles d’aider ces derniers à
penser avec plus de rationalité l’élabora-
tion et la conduite de leurs projets. Si
cette recherche du fait et de l’information
a indéniablement contribué à accélérer la
reconnaissance de la sociologie, elle n’est
pour autant jamais sans risque de dérives.
Contrôlée, elle donne l’occasion au
sociologue de remplir une fonction épis-
témique émancipatrice en rectifiant les
connaissances inexactes à l’œuvre dans
les groupes sociaux. Elle suscite les
« questions » sans lesquelles aucune
connaissance ne pourrait exister et ce
faisant contribue à établir sur une base
positive, bien qu’instable parce que lour-
dement chargée d’historicité, les édifices
théoriques plus vastes. À l’inverse, livrée
à elle-même, elle transforme le socio-
logue en « sociographe » incapable
d’établir l’intelligence théorique des
produits de son activité comme de
réaliser l’autonomie de son discours par
rapport à celui des acteurs observés. De
ce point de vue, suggère l’auteur, si
nombre de sociologues contemporains
négligent la portée critique de leur
démarche, cela n’est pas sans rapport
avec « la vogue actuelle d’un programme
sociologique dont l’analyse des “repré-
sentations” sociales, voire des simples
“opinions”, constitue l’alpha et l’oméga
[…] » (p. 35).
Pour l’acteur comme pour le socio-
logue qui l’observe, il n’existe d’intelligi-
bilité de la réalité empirique sans inter-
prétation. Le chapitre 2 de l’ouvrage
propose l’analyse de ses deux formes
majeures en sociologie : explicative et
significative. C.-H. Cuin souligne,
concernant la première, la difficulté
rencontrée par certains sociologues pour
penser l’articulation des « schèmes inter-
prétatifs » et des « schèmes explicatifs ».
Les voies de l’interprétation sociologique
qui conduisent à la compréhension du
« pourquoi » d’un phénomène sont multi-
ples – et il n’y a rien à redire à une telle
pluralité. Qu’un phénomène soit inter-
prété selon un schème causal, fonc-
tionnel, structural, herméneutique, actan-
ciel ou encore dialectique « est
scientifiquement indifférent ». En
revanche le sociologue ne peut légitime-
ment se satisfaire de l’évidence subjec-
tive fournie par l’interprétation : il lui
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