« L’espace et le temps sont les modes par lesquels nous pensons, et non les conditions dans
lesquelles nous vivons». Rejoignant Einstein, les sciences humaines et sociales s’interrogent :
l’espace existe-t-il indépendamment de l’homme et des sociétés ? Le temps et l’espace sont-
ils seulement des variables exogènes régulant tant les comportements individuels (ex :
l’alternance jour/nuit) que sociaux (ex : les conditions favorables au peuplement) ? Pourtant
l’impact du comportement humain est visible tant dans le découpage capitalistique du temps
issu de la révolution industrielle que dans l’étude des paysages révélant l’histoire des lieux, la
marque des hommes qui l’ont façonné. Les « temps modernes » se caractérisent pas la fin
d’une certaine fluidité de l’espace et du temps : lutte pour les sols, bornage, droit de propriété
pour l’un, séquençage, régularité, universalité pour l’autre. Les rythmes de vie, les villes des
sociétés du nord au sud, d’est en ouest tendent à s’uniformiser. S’il fut un temps où les
Africains pouvaient revendiquer le temps et laisser aux occidentaux la montre, il est largement
révolu. Globalisation, abolition des distances et des durées font leur œuvre.
Comprendre ces interactions entre homme, société, espace et temps est essentiel pour
décrypter et accompagner l’évolution de la société, de la ville, de l’espace dans lequel nous
vivons. Le sujet étant complexe, ce dossier est consacré aux regards des sciences humaines
et sociales sur l’interaction spatiale. Longtemps focalisées sur leur objet premier, l’espace pour
les unes, le social ou l’individu pour les autres, les différentes disciplines intègrent
progressivement l’idée d’interaction entre ces différents facteurs, l’importance de la prise en
compte de la subjectivité humaine, du vécu, de l’expérience, du sensible. Progressivement,
les sciences de l’espace se dotent d’une fibre comportementale et les sciences du
comportement s’intéressent à l’espace. Ces nouveaux déterminants entraînent une
diversification des échelles d’analyse : intégrer l’homme en tant qu’entité propre suppose de
regarder l’échelle individuelle, intégrer l’espace suppose de s’intéresser aux comportements
de groupes (échelles méso du quartier ou d’une ville ou macro). Avec la mondialisation, cette
tendance s’étend à l’échelle du monde (impact du tourisme, théorie de « l’effet papillon »,
impact du comportement humain sur le fonctionnement et l’équilibre de la planète…).
Longtemps centrées sur l’espace, les recherches commencent à percevoir, du côté du facteur
temps, d’autres clés de compréhension des comportements. La notion de territoire, comme
un espace identitaire, approprié dans le temps par un groupe se développe. A côté de ces
sciences territoriales, ce sont aussi les hommes qui sont observés à différents stades de leur
vie, dans leur organisation spatiale, temporelle, et dans différents temps sociaux. L’interaction
est une dynamique complexe. Selon les moments ou les circonstances, tous les facteurs n’ont
pas la même importance. Si une chaise conditionne bien la posture assise, cette
prépondérance peut être bousculée par les comportements (pratique circassienne par
exemple). Les travaux du sociologue urbain Marcus Zepf témoignent de la manière dont
l’utilisation de bancs publics, destinés plutôt aux personnes âgées, comme rampe à skate a
modifié l’affectation première et les usages prescrits de l’espace, ici un lieu d’arrêt et de repos
dans un parc lausannois (Zepf, 2009).
Enfin, ces dernières années ont vu l’émergence de travaux regardant les comportements par
le prisme de la notion d’espace-temps, considéré non plus comme deux entités distinctes et
interagissantes, mais bien unifiées. Cette approche permet de développer de nouveaux
concepts et outils pour saisir la complexité des comportements humains et de leurs
déterminants.
Principales disciplines explorées
Géographie, sociologie, économie spatiale, sémiologie, psychologie de l’environnement,
design, architecture, ergonomie, sciences du langage, littérature et dans une moindre mesure,
sciences politiques, droit public, philosophie, histoire, arts.
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