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ENTRETIEN AVEC LE PROFESSEUR NIKOS KALAMPALIKIS
directeur du laboratoire GRePS (Groupe de Recherche en Psychologie Sociale, EA 4162) de l’Université Lyon 2
Dans cette interview, Nikos Kalampalikis nous explique le mode de
fonctionnement de son laboratoire et les postures de recherche qu’il
adopte par rapport aux notions de comportement et d’acceptabilité
sociale. Il démontre par ailleurs la capacité de son laboratoire à
répondre à des appels d’offre sur des problématiques sociétales et
professionnelles concrètes et à se saisir des enjeux d’une collectivité
locale en proposant des clés de lecture à même d’éclairer la décision
publique. Il œuvre notamment pour la professionnalisation de la
discipline sur l’agglomération lyonnaise en ouvrant prochainement un
Master 2 « psychologie sociale appliquée ».
Interview réalisée par Geoffroy Bing (Nova7), le 5 novembre 2010
Quelle définition
donneriez-vous de la
psychologie sociale ?
Dans une acception
extrêmement large, la
psychologie sociale s’intéresse à la nature
du conflit, au sens de tension, entre
l’individu et la société, à une relation en
contexte, qui implique des rapports entre
groupes situés dans des contextes
sociaux et partageant des référents
symboliques.
Quelles sont les approches
développées au sein de votre
laboratoire ?
Un de nos axes de recherche est la
pensée sociale en contexte. Nous nous
intéressons aux effets contextuels des
situations que l’on étudie. Comment les
acteurs pensent leur réalité en termes de
représentations sociales ? Comment
théorisent-ils leur quotidien ? Comment
vont-ils penser par exemple leur rapport à
la santé, à la maladie, à la parenté, ou à la
ville ? Qu’est-ce qui est considéré comme
étant une situation d’insécurité dans la
ville, comme un acte violent ? Comment la
cartographie
mémorielle
de l’espace
influence la
perception,
l’usage et le
vécu de la ville ? Nous nous intéressons
également à la question de la temporalité,
de la mémoire collective, aux déterminants
psycho-sociaux de comportements de
santé, à la prise de décision partagée, etc.
L’autre axe principal de recherche de
notre laboratoire concerne la psychologie
du travail à proprement parler : la question
du stress, de la souffrance au travail, des
risques psychosociaux dans les lieux ou
les relations de travail, des mutations
technologiques, le poids des organisations
type hospitalière dans l’attribution des
soins par exemple.
Quelles sont les méthodes que vous
déployez pour répondre à la demande
sociale qui vous est adressée ?
Cela peut être l’expérimentation en milieu
social ou en laboratoire ou un dispositif
classique d’enquête mais inséré dans les
propriétés contextuelles de l’étude. Nous
« Nous espérons que d’ici 3 ans, il y aura
un réseau de professionnels en
psychologie sociale sur la région
l
y
onnaise »
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sommes souvent dans une logique
ingénieuse de triangulation, c’est-à-dire de
croisement et d’adaptation de telle ou telle
méthode à la situation sociale qui fait
l’objet de l’étude et aux caractéristiques de
la population. Nous avons un certain
nombre de méthodes (p.ex. cartes
associatives, cartes mentales, focus
groups, etc.) que nous essayons de
déployer sur des objets de recherche très
divers (aussi éloignés que la justice et la
parenté par exemple).
Pouvez-vous nous donner des
exemples de recherches que vous avez
menées pour une collectivité locale ?
Pour la Ville de Lyon par exemple, nous
avons réalisé une étude sur le thème de la
sécurité et de la prévention sociale auprès
des populations installées au centre
d’échange de Lyon Perrache. Cette
recherche aboutit actuellement à
l’élaboration d’une note d’aide à la
décision et à des préconisations. Toujours
pour la Ville de Lyon, grâce à un
financement de la Mission Droit et Justice,
nous avons réalisé une étude au sein des
Maisons de Justice et de Droit et des
Boutiques du Droit sur la problématique de
l’accès à la justice et au droit, notamment
la question du non recours au droit.
Pourquoi des personnes qui ont un droit à
la justice n’y recourent-elles pas ?
D’autres projets sont en cours pour la
Ville, que cela soit sur le perfectionnement
d’outils de veille pour mesurer l’insécurité
et appréhender le climat urbain, ou
encore, avec la Mairie de Lyon et le
Musée Gadagne, sur la mise en place de
recueil de mémoires urbaines dans le
cadre du futur Pôle de la soie et des
canuts.
Quel est votre retour d’expérience sur
ces travaux collaboratifs avec une
collectivité ?
Nous sentons que nous interagissons de
mieux en mieux avec le tissu socio-
économique, à travers le renouvellement
d’un certain nombre de partenariats, des
demandes qui nous sont adressées et qui
sont mieux cadrées par rapport à nos
compétences et méthodologies. Des
institutions comme la Région Rhône-
Alpes, le Grand Lyon, la Ville de la Lyon,
la DRAC, l’APEC, l’ANR, le Cancéropôle
(CLARA), mais aussi des acteurs privés
comme Renault Trucks se tournent vers
nous. Avec certains partenaires, nous
entrons dans un processus relativement
bien rôdé maintenant. Le travail de re-
problématisation des questions qui nous
sont posées, la participation des
partenaires eux-mêmes au processus de
recherche se mettent bien en place. En
revanche, si nous sommes l’objet d’une
demande sociale, de terrain, on ne se voit
pas toujours attribuer les soutiens
financiers nécessaires à la réalisation des
travaux de recherche demandés. C’est
nous-mêmes, souvent, qui devons aller
chercher les financements.
Sur quel type de rendu aboutissent vos
travaux ?
Ils mènent d’une part à des résultats
scientifiques qui font l’objet de
publications, et d’autre part, ils aboutissent
à des préconisations partagées et
acceptables pour les acteurs. Je précise
également que, bien souvent, nous
organisons la restitution de nos travaux à
des fins de valorisation et d’appropriation
par le commanditaire et toute personne
intéressée par l’objet de recherche.
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Comment expliquez-vous ce besoin
croissant de grilles d’analyse issues de
la psychologie sociale pour éclairer les
acteurs socio-économiques ?
Je pense qu’il résulte d’une fragilisation du
tissu social mais également d’un certain
nombre de références qui paraissaient
acquises jusque là, c’est-à-dire à une
forme d’usure de solutions déjà adoptées,
trop sociologisantes ou trop
psychologisantes, ou encore de la
manière un peu trop « marketing »
d’affronter ce genre de problèmes.
L’apport scientifique que nous proposons
vient renouveler des prestations externes
qui devenaient à force relativement
inopérantes. Par ailleurs, ces dernières
années sont marquées par la nécessité
croissante d’évaluation des politiques
publiques. Les acteurs réclament en effet
une évaluation qui fait sens et qui
nécessite un accompagnement
scientifique et l’apport d’une part de
théorie.
La notion de « comportement » est un
domaine d’étude de la psychologie
sociale et sur laquelle le Grand Lyon
est en attente de clés de
compréhension. Quelle en est votre
approche ?
Le comportement a été, pendant trop
longtemps, le maître-mot de la
psychologie à travers le
comportementalisme, c’est-à-dire ce qui
est uniquement observable. Le
psychologue social ne dissocie pas la
notion de comportement de la notion de
conduite, ni de la pensée, ni de l’attitude,
ni de l’opinion. Il n’existe pas de non-
comportement ! Tout est comportement
car tout est interprétable, de façon
manifeste ou latente. Le problème c’est
quand on isole le comportement en tant
que tel. Nous le considérons dans son
articulation dynamique avec l’intention, la
conduite, l’attitude, et l’opinion. Ce qui
intéresse le psychologue social est avant
tout la dynamique du changement de
comportement. Notre approche est de dire
qu’il y a à la fois un contexte de pensée
sociale et un contexte social qui
interviennent dans ce lien entre attitudes
et comportements attendus. Une autre
posture consiste à dire que le « dire » est
aussi faire (comme le démontre John L.
Austin dans son ouvrage « Quand dire,
c'est faire »), c’est un fragment de
pratique.
La collectivité se soucie de plus en
plus de changer les comportements
des citoyens en faveur de
comportements écologiques. Comment
expliquez-vous qu’il ne soit pas si
facile de changer les comportements
des citoyens ?
Le souci pour l’environnement se place
dans une perspective temporelle très
étendue, un futur très éloigné et perçu
comme mondial, donc une distance
psychologique très grande qui n’est pas
très cohérente avec des comportements
extrêmement quotidiens. Un des enjeux
est précisément de travailler, à un niveau
psycho-social, cette remise en causalité
entre des espaces très larges et des
micro-comportements. Le travail d’une
thèse de doctorat réalisée au sein du
laboratoire qui sera soutenu dans
quelques jours s’est penché sur cette
question en comparant des populations
françaises et allemandes. Par ailleurs, des
étudiants de notre option
professionalisante ont réalisé récemment
des travaux sur l’adoption de gestes éco-
citoyens. Il s’agissait tout d’abord de
comprendre ce que signifie un
comportement éco-citoyen
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(comportements de tri, d’économie
d’énergie, etc.) et ensuite de construire
des messages adaptés à la manière dont
les gens appréhendent ces questions là.
Par la suite, les étudiants ont réalisé une
enquête qui consistait à proposer
différents messages et à évaluer la
différence d’efficacité entre ces messages
fondés sur les constats réalisés dans la
première phase.
La notion d’ « acceptabilité sociale »
est également un axe important de
recherche en psychologie sociale.
Pouvez-vous nous expliciter ce que
cette notion recouvre exactement ?
Il s’agit toujours de comprendre le
changement de comportement. Comment
finalement engager les citoyens dans une
action au travers de leur manière de
penser, leurs référents normatifs et
symboliques, afin qu’elle devienne la
leur ? La réponse que nous apportons à
cette question se construit, dans la
tradition lewinienne, à travers l’étude des
groupes et de leur dynamique, c’est-à-dire
une micrographie fine du fonctionnement
groupal, de son système normatif, nous
permettant de voir dans quelles conditions
un changement comportemental peut se
réaliser par et pour le groupe, mais sans
idéalisme ni angélisme. Il faut bien avoir à
l’esprit que le groupe social unique dans
sa globalité est une illusion. Nous sommes
face à une multitude de groupes
caractérisés par des pensées sociales et
des référents très divers.
Les questions liées à l’acceptabilité
semblent particulièrement prégnantes
dans nos sociétés modernes. Comme
l’expliquez-vous ?
Elle est liée à l’émergence de la notion de
risque car c’est avant tout autour de cette
notion que se cristallisent les questions
d’acceptabilité. On ne peut la réduire à un
simple calcul coût/bénéfice d’un individu
rationnel car elle engage tout un système
de représentations sociales, de mémoire,
etc. De nombreux travaux montrent que
l’acceptabilité ne relève pas uniquement
d’une démarche de communication
classique (où le récepteur est passif) mais
aussi et surtout de la participation du
récepteur du message (où celui-ci devient
acteur).
Vous allez ouvrir une formation
professionnalisante à la rentrée
prochaine, un Master 2 « Psychologie
Sociale Appliquée ». Quelles sont les
motivations qui président à l’ouverture
de ce cursus ?
La demande sociale qui nous est
adressée relève de plus en plus de la
prestation de service à laquelle notre
laboratoire ne peut pas faire face. Donc un
des moyens de consolider les interfaces
entre notre domaine de recherche et la
demande socio-économique est de former
des professionnels. Notre nouvelle
formation « psychologie sociale
appliquée » permettra de « mettre sur le
marché » des professionnels de cette
discipline, ce qui manque cruellement à
Lyon. Les professionnels du marketing, ou
dans le domaine des études, de l’opinion
et du conseil, qui ne sont pas des
psychologues sociaux, sont extrêmement
ouverts à l’apport de notre approche!
Notre apport méthodologique (analyse
discursive, analyse statistique, etc.) et nos
modèles d’analyse les intéressent. Nous
espérons que d’ici 3 ans, il y aura un
réseau de professionnels sur la région
lyonnaise. Les professionnels en
psychologie du travail sont par contre plus
nombreux sur le marché.
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Principales expériences et découvertes de la psychologie sociale.
Source : La psychologie, Elisabeth Demont, Editions Sciences Humaines, Evreux,
2009
1897 : Norman Triplett : la compétition stimule les performances
1922 : Theodor Schjelderup –Ebbe : découverte des phénomènes hiérarchiques chez
les poules
1924 : Jacov Levi Moreno utilise les processus de groupe à des fins thérapeutiques
et développe le « psychodrame » et le sociogramme
1927 : Elton Mayo révèle l’importance de la psychologie des groupes
Années 30 : Kurt Lewin étudie les effets des différents styles de commandement sur
l’atmosphère du groupe. Il est à l’origine du concept de dynamique des groupes1 et
redonne sa place aux facteurs psychologiques niés par les béhavioristes.
1934 : R.T. La Piere : des préjugés racistes ne se traduisent pas forcément en
comportements racistes
1935 : Musafer Sherif : étude sur la construction de la norme sociale
1944 : Kurt Lewin : pour impulser un changement d’attitude, participer à un groupe de
discussion a plus d’effet que suivre des conférences
1951 : C.Hovland : les facteurs de la croyance et du changement d’opinion varient en
fonction de la crédibilité donnée à la source d’information
1952 : Solomon E. Ash : l’individu tend à se conformer au groupe et à l’opinion
majoritaire
1954 : Leon Festinger : la dissonance cognitive entre croyance et faits se résout par
un changement de croyance ou par une réinterprétation des faits
1961 : Alfred Bandura : influence du modèle sur le comportement des enfants
1965 : Robert J.Zajonc : la présence d’autrui a un impact fort, positif ou négatif, sur la
performance
1968 : B.Latané et J.M. Darley : la présence d’autrui rend les comportements d’aide
plus hésitants
1963-1974 : Stanley Milgram met à jour les processus de soumission à l’autorité
1969 : Serge Moscovici : une minorité organisée et déterminée peut avoir plus
d’influence qu’une majorité molle
1970 : Kiesler : théorie de l’engagement ou théorie de la manipulation

1 « Lewin cherche par la psycho-dynamique a trouver une représentation scientifique de l’espace vital
et de la fonction qui relie l’espace vital au comportement ». p220
Kurt Lewin introduit la notion de champ psychologique comme « une totalité de faits coexistants,
conçus comme mutuellement interdépendants ». Cette notion permet de considérer dans une situation
donnée l’ensemble des facteurs internes et externes auxquels est soumis l’individu.
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