Léon Fodzo Dépression nerveuse Une maladie en expansion DEPRESSION NERVEUSE UNE MALADIE EN EXPANSION © L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-02559-9 EAN : 9782343025599 Dr Léon FODZO DEPRESSION NERVEUSE UNE MALADIE EN EXPANSION L’Harmattan Du même auteur - Psychiatre en Afrique. L’Expérience camerounaise - L’Exclusion Sociale au Cameroun INTRODUCTION Pour traiter de la dépression, nous avons jugé d’en parler à partir des cas concrets. La première partie de cet ouvrage décrit brièvement le parcours de ceux que nous avons traités dans notre service ; en respectant l’histoire et la chronologie des faits de chaque cas. Seuls les noms, et parfois les dates, ont été modifiés pour respecter l’anonymat de chacun. La deuxième partie décrit la symptomatologie clinique de la dépression en Occident chrétien où est né le concept ; puis les dépressions telles que rencontrées en Afrique : avant 1975 et aujourd’hui en 2013. Y a-t-il une spécificité de la dépression en Afrique ? Y est-elle fréquente ? La troisième partie traite des causes (ou facteurs étiopathogéniques) de la dépression dans un monde en pleine transformation : culturelle, scientifique, et technologique. La quatrième partie enfin, examine les traitements appliqués aux dépressions, dont l’importance et la progression paraissent inéluctables dans une Afrique en pleine mutation. 7 Ière PARTIE DES PERSONNES DEPRESSIVES PRÉSENTATION DES OBSERVATIONS Des personnes dépressives. Ce sont des femmes, des hommes, des enfants et des vieillards. Nous en présentons ici 44. Les résumés des cas rassemblés proviennent de la consultation du Centre de Neuropsychiatrie Sainte Jeanne à Douala. C’est un centre de consultation, sans hospitalisation de nuit. La consultation est faite par un seul médecin psychiatre, Docteur Léon FODZO. Le centre, ouvert le 02 janvier 1997, a 16 ans½ d’âge au moment de la rédaction de cet ouvrage. Dès l’ouverture du centre, le médecin a choisi de relever tous les états dépressifs dont le diagnostic est fait à l’issue de la première consultation, à l’exclusion de tous ceux dont le diagnostic sera affirmé dans un second temps, et de ceux dont l’état dépressif est lié à une maladie organique ou à un autre trouble psychiatrique. Ne sont donc pas pris en compte ici les dépressions associées à d’autres troubles psychiatriques ( psychoses délirantes, troubles phobiques… ) ou à des maladies organiques : cancéreuses, cardiovasculaires, neurologiques (parkinson, démence), infectieuse (SIDA).Cependant, au cours de l’évolution de sa dépression, le patient peut voir surgir une de ces affections. Ainsi au 31 décembre 2012, les chiffres obtenus durant les 16 ans de fonctionnement sont les suivants : 656 états dépressifs diagnostiqués d’emblée sur un total de 6135 nouveaux consultants. Ce choix a été dicté par l’expérience précédente du médecin, qui a d’abord exercé pendant 18 ans à l’hôpital public dans la même ville (avril 1979-janvier1997), et qui avait constaté la réticence des patients dépressifs à se faire consulter au service de neuropsychiatrie, parce qu’ils craignaient d’être pris pour fous. Tous les dépressifs admis en hospitalisation l’étaient en urgence ou dans un état de désinsertion sociale complète. Le choix des 44 observations présentées ici, sur un total de 656, est arbitraire, mais il est sous-tendu par une arrière-pensée didactique. 10 Cathérine 15 ans n°1 Sa mère amène en consultation Cathérine cette fille de 15 ans, pour des troubles de conduite évoluant depuis 10 jours. On lui reproche une perplexité d’attitude, des réponses inappropriées aux questions posées. On est à quelques jours de la rentrée scolaire d’octobre. Elle s’est rendue dans le bureau d’un service où elle venait d’effectuer un stage de vacances de deux semaines, et elle s’est mise à tout casser : mobilier, vitres, machines, etc. Le chef du service concerné l’a fait aussitôt conduire dans le commissariat le plus proche où elle a été enfermée pendant deux jours. Rentrée chez elle après sa libération, elle est demeurée muette et insomniaque pendant trois jours. A l’examen, cette jeune fille tendue et anxieuse, présente une profonde tristesse et un mutisme partiel : elle ne répond que par des gestes, si l’on insiste, mais consent à sortir une phrase unique, plusieurs fois répétée : « On a beaucoup bagarré ». Une seule chose est notée dans les antécédents fournis par la mère : ses premières menstruations sont apparues il y a seulement huit mois, suivies 5 mois après, d’une interruption de deux mois. Elles ont réapparu avec une importante anémie, rapidement corrigée par le gynécologue. Mise sous traitement : Clomipramine et Prazépam, la patiente est revenue le lendemain plutôt agitée, et toujours insomniaque. Moins triste et plus ouverte, elle commence à parler : elle ne dort pas, n’a pas faim. Elle accepte notre proposition d’hospitalisation. L’hospitalisation, que nous avions voulu éviter le premier jour, nous apparaît maintenant nécessaire. Le médecin demande à la voir seule au neuvième et dernier jour de son hospitalisation en clinique. Elle s’exprime parfaitement bien et sans réticence. Son sommeil et son alimentation sont bien satisfaisants. Elle redevient un peu triste lorsqu’elle parle de sa tante morte récemment, celle dont elle porte le nom et à laquelle elle se sentait très attachée. Elle était très gentille, dit-elle. 11 La dernière consultation a lieu trois semaines après (car elle ne reviendra plus après celle-là). Elle est franchement gaie, plutôt expansive, comparée à sa nature dite de timide. Elle parle de conflit familial et d’un viol subi : A 10 ans, elle a été violée par un gendarme ami de la famille. Sans conséquences pour le violeur. La famille a étouffé l’affaire. Née de mère célibataire, elle n’a pas été reconnue par son père. Sa mère s’est mariée quand elle avait cinq ans. Un enfant est décédé récemment dans la famille, il y a 2 mois ; on a accusé sa tante dont elle porte le nom d’en être l’auteur (par sorcellerie). Alors, une bagarre a éclaté (on a beaucoup bagarré disait-elle lors de sa première consultation). Peu de temps après cette bagarre impliquant sa tante, celle-ci est décédée. Cathérine en était profondément affectée. La famille nous a maintenu dans l’ignorance de tous les événements successifs dont souffrait en silence Cathérine (le viol, la garde à vue, la bagarre).L’accusation portée contre son homonyme et tante bien aimée, la bagarre, le décès, ont fait éclater la colère renfermée de cathérine, avec une réaction destructrice sur les objets de son lieu de stage, l’éclosion de la dépression et la résurgence du souvenir du viol dont elle n’en avait jamais parlé. L’accumulation de ces facteurs agressifs, destructeurs, dont les derniers sont précipitants, ont eu raison de l’équilibre mental de la jeune Cathérine. Brigitte 16 ans n°2 Cette jeune fille élève de seconde, vient consulter seule. Personne d’allure intelligente, elle se raconte aisément. Elle éprouve le dégoût de la vie, tout l’énerve. « Chaque fois que je me réveille le matin, c’est comme un nouveau calvaire qui commence ; j’ai de la haine envers moi-même ». En plus, elle ne dort que difficilement et de courte durée. Elle est boulimique et c’est tout ce qu’elle fait : « C’est dans la nourriture que je me refugie : Je mange jusqu’à 10 fois par jour ». 12 Ce calvaire dure depuis 3 ans, et en plus, depuis 1 an, il s’y ajoute une sensation d’asphyxie. Dans ses antécédents scolaires, on note une instabilité majeure : Pour être en classe de seconde à 16 ans, elle a fait 4 établissements scolaires à Douala, et deux internats hors de Douala, de nombreuses fugues. L’échec scolaire lui est familier. Elle a fait le BEPC 3 années de suite sans succès. Sur le plan familial, Brigitte est la benjamine de cinq enfants, sa mère est décédée depuis 7 ans. Elle porte des cicatrices de nombreuses blessures enfantines et celle d’une appendicectomie à l’âge de 15 ans. Elle s’exprime sans retenue, dans une humeur légèrement triste, un corps figé ; elle ponctue son discours de gémissements et de larmes abondantes. Ses troubles ont commencé en fin de classe de 4e dans un internat confessionnel. Elle se dégoutait d’elle-même, physiquement et moralement, alors elle fuguait, se sentait toujours seule, même en famille. Ses fugues avaient pour but de voir si les choses allaient changer ailleurs, mais elle se retrouvait toujours pareille à elle-même. Après 2 semaines d’hospitalisation, elle ne revint pas au rendez-vous, mais fut ramenée par son père 1 mois1/2 après. Elle vivait toujours une souffrance physique forte avec un vécu dépressif intense. « Je sens le mal-être ; un désespoir d’être en vie, je n’ai rien de positif ». Elle accepta après un long entretien de venir deux fois par semaine et de suivre un traitement prescrit : Amitriptyline et Prazépam. Mais elle ne réapparut qu’au bout de sept jours, souriante, évoquant pour la première fois ses préoccupations corporelles, des idées de culpabilité et ses tentatives de suicide : Tous ses frères 13 et sœurs sont de peau brune ou claire, comme le père et la mère. Elle seule n’en est pas, pas assez. Si sa mère est morte avant d’avoir divorcé comme elle en avait formulé le projet, pour s’éloigner d’un mari décevant et qu’elle n’aimait plus, c’est parcequ’elle attendait que sa fille (la patiente) ait au moins 6 ans d’âge. Elle se sentait donc en partie responsable de sa mort. Elle a fait 4 tentatives de suicide en un an pour échapper à sa souffrance, en utilisant à chaque fois un moyen différent, après avoir renoncé à tous les projets professionnels qu’elle s’était fixés (magistrature, affaires économiques). Après cette séance d’entretien nous ne l’avons plus revue qu’une seule fois, elle souhaitait dormir 3 jours d’affilée. Cette jeune fille a souffert très tôt une accumulation de problèmes d’identité corporelle, d’échecs scolaires, de conflit parental et de perte précoce de sa mère, et a survécu à ses 4 tentatives de suicide. Nous apprenons 10 ans plus tard, par sa sœur venue consulter à son tour pour un trouble dépressif, qu’elle a fondé une famille et élève ses deux enfants. David 18 ans n°3 Le médecin de famille de David, garçon de 18 ans, en classe terminale, nous l’adresse en septembre pour changement de comportement. Il est accompagné par ses deux parents qui exposent le changement brusque apparu dans son comportement : Il ne finit plus une phrase, il ne dort pas, il s’isole désormais, s’inquiète pour des choses insignifiantes. Ce garçon intelligent, aîné de 7 enfants, est d’ordinaire timide, peureux, incapable de dormir seul dans une chambre. Maintenant il s’isole. Les parents situent ce changement à deux semaines. Ils voient son origine dans une fête organisée par l’un de ses camarades pour fêter sa réussite au baccalauréat : On y aurait ri de son accoutrement et l’aurait traité de sidéen. 14 Examiné à l’écart de ses parents, David est triste et anxieux, abattu, avare des mots. L’entretien se prolongeant, il se calme, prend confiance et s’exprime davantage : « Ces derniers temps, j’ai des problèmes de concentration…je suis préoccupé par des problèmes extérieurs… j’ai toujours peur… je m’inquiète pour des choses inutiles, pour mon habillement… je manque de sommeil… ». La fête en question, organisée par son ami lui a laissé un goût amer : les camarades se sont gaussés de son habillement peu élégant, et ils l’ont en plus traité de sidéen. Or, cela se passait cinq jours seulement après son premier rapport sexuel et qui n’était pas protégé. Depuis ce rapport, ses pollutions nocturnes (qu’il désigne par éjaculations précoces), commencées il y a 3 ans, sont devenues trop fréquentes, et il s’en inquiète. Il tente d’expliquer son isolement par le souci de vouloir se mettre à l’abri des commentaires de ses camarades sur ses tenues vestimentaires et son comportement amoureux. Après 4 jours de traitement externe (Amitriptyline, Bromazépam), son état n’avait pas du tout évolué. Une hospitalisation de jour pendant 3 jours est alors décidée, puis poursuivie par des soins externes, avec Clomipramine et Bromazépam. Au bout de 15 jours, l’évolution est satisfaisante : L’entourage et le patient sont heureux. Le traitement est poursuivi pendant 6 mois par David. Nous le revoyons en octobre de l’année suivante, pour une première récidive, soit 13 mois après l’éclosion de sa maladie. Il a passé le bac, et il s’inscrit en Faculté de Sciences en vue de préparer l’entrée aux études médicales. Dans un état de tristesse franche, il se fait spontanément une autocritique et s’accuse de désobéissance et de mensonges : Il s’adonnait exagérément aux jeux vidéo, au point de ne pas dormir ni manger ; y passait tout l’argent que ses parents lui donnaient pour d’autres besoins. C’est beaucoup de mal qu’il a dû faire à ses parents. Pendant une année complète, il a continué son traitement avec plusieurs rechutes, dont une tentative de suicide. Il avoue aussi que son traitement est souvent interrompu. Il a tenté de se suicider 15 en absorbant 20 comprimés de ses médicaments. Il ne cesse de ressasser sa culpabilité au sujet des jeux électroniques. Il a commencé très tôt au cours élémentaire en faisant jouer pour lui, puis en jouant lui-même sur l’appareil acheté par ses parents. Finalement, le retrait de cet appareil, pour motif d’excès de jeu, n’a fait que déplacer le terrain de jeux de ces images de combats pour lequel il était devenu dépendant. Un an et demi sont passés : David réapparaît. Faute d’être admis en Médecine, il s’inscrit en informatique, mais il est vite récupéré par une secte religieuse dont le dirigeant à qui il doit verser la dîme, soit 10% de la pension mensuelle que ses parents lui envoient, lui loue aussi une chambre d’étudiant. Son endoctrinement commence, et le conduit finalement à faire brûler ses livres. Il tente à nouveau de se suicider. Ses parents le récupèrent et le conduisent dans leur village d’origine pour pratiquer un rituel d’imploration sur les crânes des ancêtres. Pendant deux ans, le patient va suivre assez régulièrement un traitement antidépresseur ponctué par plusieurs récidives et une 3e tentative de suicide. Les facteurs de récidive sont nombreux : la moindre frustration, le moindre échec, toute situation émotionnelle. Face à ces facteurs, la réaction est toujours la même : la peur du regard des autres le conduit à s’isoler ; la culpabilité à l’égard des parents s’intensifie ; ensuite, s’installe le dégoût de tout, l’insomnie, l’inappétence. Mais progressivement, il tente aussi de comprendre comment les différents corps ont fonctionné : sa famille, les sectes, luimême. Il a le sentiment d’être écrasé par ses deux parents à la fois. Sa mère, enseignante, a toujours fait de lui le premier à toute épreuve. Son père, cadre d’entreprise, l’a toujours traité de « faiseur de bêtises », d’incapable. Il s’est toujours trouvé mal à l’aise entre ces deux jugements. 16 La secte pentecôtiste l’avait récupéré au moment d’une de ses récidives. C’étaient des gens qui avaient échoué à l’université et qui vouaient sans doute une rancœur à cette institution. Ils lui avaient fait admettre à coups de slogan et au besoin de matraque, que le diable était en lui ; et qu’il était la cause de la malédiction, passée ou à venir, de sa famille. Il devait se purifier. On le bastonnait pour faire sortir de lui le diable « c’est le diable qui t’a fait sortir premier de ta classe » lui avait-on assené pour annuler ses efforts intellectuels. On l’avait même attaché pour enrayer les tentatives de fuite qu’il avait esquissées. La méthode avait pour but d’anéantir l’individu, de l’aliéner en le transformant en un robot dépourvu de toute volonté et pensée, prêt à obéir aveuglément. David se souvient que, même avant le contact avec la secte, il a toujours été influençable : « Je ne peux rien refuser parce que j’ai peur d’être jugé », son père le juge trop souvent et toujours négativement. Et maintenant, il se juge lui-même négativement. Ses parents ont beaucoup trop dépensé sur lui ; ils comptaient beaucoup sur lui, c’est un échec. Il se culpabilise sur l’échec scolaire de ses petits frères. Le voici admis au BTS, 5 ans après le bac, traînant sa dépression depuis 6 ans. Son traitement actuel est interrompu depuis 7 mois. L’entrée en stage dans une entreprise s’est accompagnée d’une rechute légère. Il est remis sous son traitement habituel et remonte très vite la pente. Mais il renonce très vite aux médicaments, convaincu qu’il est guéri, mais se culpabilise sur le manque d’assiduité de sa pratique religieuse (catholique). Il accepte néanmoins de reconduire son traitement et de poursuivre les entretiens bimensuels pendant 3 mois au cours desquels il exprime pour la première fois les préoccupations sexuelles. Il a eu des rapports homosexuels dans l’enfance avec plusieurs personnes. Actuellement il a des difficultés à établir des relations avec des filles. Il a tenté une expérience isolée avec une prostituée, qui l’a davantage repoussé. 17 Cependant, des points importants sont à noter : le patient se félicite d’avoir pu résister et échapper aux sectes et d’avoir réussi à ses examens. Il n’est plus essentiellement focalisé sur ses culpabilités et ses ruminations. Il se projette dans l’avenir : professionnel et conjugal. Sept années se sont écoulées. David nous est ramené pour une grosse récidive, pour laquelle nous décidons d’une hospitalisation complète de quatre jours. Il s’est cloitré dans un mutisme quasi total avec une profonde tristesse, une inhibition et une anxiété marquées. Cette récidive s’est annoncée par un retrait progressif de contact, puis il s’est enfermé chez lui pendant 2 semaines, le téléphone éteint. Revu un an après cet épisode et toujours sous Clomipramine, il se sent bien. Il a eu deux crises de nervosité légère devant des difficultés relationnelles. Maintenant il vit seul, en location volontaire, autonome. Détaché des autoaccusations, deux difficultés le préoccupent : le manque de confiance en soi, les difficultés relationnelles avec les filles ; il multiplie les conquêtes et y dépense tout son argent. Nous le mettons sous un nouveau traitement, Vanlafaxine LP, et, d’un commun accord, fixons son terme à 6 mois. David revient nous voir deux fois, sur rendez-vous bien espacés. Il est rayonnant. Il continue de se projeter dans l’avenir, les fiançailles sont annoncées. Il est titularisé dans son entreprise (entreprise publique). Cette évolution favorable sur les plans professionnel et affectif augure d’un avenir meilleur. Cette longue évolution, 14 ans, émaillée de nombreuses récidives et de trois tentatives de suicide est exceptionnelle parmi nos patients dépressifs. Les facteurs multiples, inhérents autant au sujet qu’à l’environnement familial et social, sont imbriqués les uns aux autres. La ténacité des parents pour l’encadrement, prompts à ramener sans délai le patient au médecin à chaque récidive est fondamentale. La ténacité du patient à réussir dans ses études, et ensuite dans un ancrage professionnel l’a également aidé. 18 Noël 18 ans n°4 Les parents de Noël, garçon de 18 ans, en classe terminale c, l’amènent en consultation au mois de juin, pour un changement brusque de comportement accompagné d’une baisse notable de travail scolaire. Ce garçon, qui a toujours été un brillant élève, s’est retrouvé avec une moyenne de 7/20 au premier trimestre de cette année scolaire en décembre dernier. Il a réagi à ce résultat inhabituel en travaillant intensément. Malheureusement, le succès n’a pas couronné ses efforts et la déception s’est amplifiée. En février, il a refusé d’aller à l’école parce qu’il se sentait vide. Benjamin d’une fratrie de six enfants, ce garçon souffre des accès palustres fréquents depuis trois ans. Il est issu d’un foyer uni, sans problème, comme l’affirment ses parents. L’examen physique et le bilan sanguin sont normaux. Mais il est très anxieux, triste, inquiet. Il s’exprime spontanément, et il a hâte de le faire : « Je suis snob, menteur ». Il se plaint de douleurs du bas ventre après les urines. Mis sous traitement, Noël s’est remis à ses cours et a pu composer le baccalauréat qu’il a réussi le mois suivant en juillet. Mais aussitôt après son succès, ses troubles ont repris, avec répétition des mêmes accusations portées contre lui-même : « J’ai été menteur, orgueilleux, snob… ». Sous traitement d’amitriptyline, il s’est bien rétabli et a poursuivi ses études en faculté jusqu’en septembre de l’année suivante où deux nouveaux événements ont surgi : le visa d’entrée lui est refusé pour poursuivre ses études dans un pays européen ; et puis aussi, il a échoué l’entrée en deuxième année de faculté. Ces deux échecs relancent sa maladie. Nouvelle récidive. Durant cette deuxième année de traitement, il continuera progressivement de préciser sa culpabilité : - Il se rendait en boîte de nuit, prenait plusieurs verres de whisky, puis rentrait se coucher vers 5 heures du matin à l’insu des parents qui le tenaient pour un garçon sérieux et calme. 19