25ème Colloque de l’Association Internationale de Climatologie, Grenoble 2012
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LA VALEUR DE L’EAU STOCKÉE : UNE SIGNATURE
CLIMATOLOGIQUE POUR LES ÉTUDES D’IMPACTS DU
CHANGEMENT GLOBAL
Baptiste FRANCOIS 1, Benoit HINGRAY 1, Frédéric HENDRICKX 2 et Jean-Dominique
CREUTIN 1
1 CNRS, LTHE, 1025, rue de la piscine 38400, Saint-Martin d’Hères, France. baptiste.francois@ujf-grenoble.fr,
benoit.hingray@ujf-grenoble.fr, Jean-Dominique.Creutin@ujf-grenoble.f
2 EDF, R&D, 6, quai Watier 78041, Chatou Cedex, France. frederic.hendrickx@edf.fr
Résumé : La programmation dynamique (DP) fournit les bases théoriques permettant de définir la gestion
optimale de systèmes de ressource en eau. Un sous-produit de DP est utilisé pour estimer la valeur de l’eau
stockée (SWV) : elle représente le gain marginal futur pour chaque mètre cube d’eau supplémentaire stockée
dans le réservoir. SWV dépend à la fois du niveau de remplissage et du temps. Elle présente une saisonnali
marquée traduisant le déphasage temporel entre les apports et la demande, tous deux très saisonniers. SWV
fournit donc une signature efficace de l’adéquation en volume et en temporalité entre apports et demande. Nous
l’illustrons ici pour un système de gestion schématique, un réservoir alpin dont le seul objectif est un objectif de
production hydro-électrique. Nous présentons en particulier la façon dont cette signature se modifie pour
différents scénarios de climats futurs.
Mots-clés : Programmation dynamique, gestion, valeur de l’eau stockée, signature.
Abstract: The value of storage water: a climatological signature for global change impact studies.
Dynamic programming (DP) provides the theoretical basis to define optimal management of water resources
systems. We use a by-product of DP to estimate the value of storage water (SWV): it represents the marginal
future income for each additional cubic meter of water stored in the reservoir. SWV depends both on filling level
and time. Its important seasonality is a signature of the resource to demand temporal fit. This is illustrated here
for a chimera water system, a single alpine reservoir dedicated to hydroelectricity production only. We present
how this signature is modified for different scenarios of climate change.
Keywords: Dynamic programming, management, value of storage water, signature.
Introduction
Les réservoirs d’accumulation sont largement utilisés de par le monde pour gérer la
ressource en eau en l’allouant à différents usages, souvent en compétition (hydroélectricité,
irrigation, loisir, mitigation des étiages et des inondations (Tilmant et Kelman, 2007). Les
règles de gestion optimales pour le présent contexte hydro-socio-économique peuvent devenir
sous-optimales si la ressource et/ou la valeur économique des usages de l'eau sont modifiées.
L'identification des règles de gestion optimales pour un contexte hydro-socio-économique
donné peut être en fait réalisée grâce à la programmation dynamique (DP), une technique
d'optimisation qui permet par ailleurs d'estimer la valeur économique marginale de l'eau
stockée dans le réservoir (SWV). Cette variable, qui fluctue dans le temps, est une signature
de l’adéquation entre la ressource et la demande, dans l'espace et le temps. Ses variations
dépendent essentiellement de trois termes : la stratégie de gestion du réservoir définie par les
niveaux de priorités affectés aux différents usages de l’eau, l'évolution temporelle de la
demande en eau pour chaque utilisation et l'évolution temporelle des apports à la réserve.
Les effets possibles du changement climatique sur la valeur de l'eau de stockage sont
illustrés pour le cas simplifié d’un réservoir d'accumulation de type alpin dédié à la
production hydroélectrique.
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1. Méthode
Pour optimiser le fonctionnement d'un réservoir multi-usages, il faut identifier sur l'horizon
de planification [t0-tf] une séquence de décisions ut qui maximise les revenus totaux de la
retenue. La fonction de revenus immédiat g, est souvent composée des bénéfices liés à la
production d'hydroélectricité et des coûts de pénalités résultant de la non-satisfaction de
contraintes d'exploitation ou de la demande en eau pour divers autres usages (e.g. agricoles,
environnementaux). Une expression possible pour cette fonction de revenus est donnée par
l’équation [1] :
[1]
st est le vecteur d'état décrivant l'état du système au début de la période t, ut est un
vecteur de décisions au cours de la période t, gt est le revenu immédiat résultant des
opérations ut (e.g. turbinages, déversements) à la période t, μ est la valeur (par exemple en €)
d'une unité de production d'énergie hydroélectrique, v est la quantité produite
d'hydroélectricité qui résulte du vecteur des opérations ut au cours de [t, t+1[, ci est le coût
d'une unité d'échec pour l’objectif i, et fi est l'intensité de la défaillance correspondante.
Un exemple de défaillance serait la non-satisfaction de la demande en hydroélectricité ou
du maintien d’un débit réservé dans le cours d’eau.
La programmation dynamique (DP) est largement utilisée pour résoudre ce type de
problèmes d’optimisation ; voir Yakowitz (1982) pour un examen complet de la DP dans ce
contexte. Les décisions opérationnelles optimales pour l'heure courante t0 sont identifiées afin
de maximiser la somme des prestations en cours (incluant les défaillances) et l’espérance de
bénéfice futur, qui est le bénéfice attendu à partir du temps t0 pour les opérations effectuées
sur l’horizon de planification [t0, tf]. Ft, l’espérance de bénéfice futur pour le temps t, souvent
appelée Valeur de Bellman, est obtenue pour un niveau de remplissage du réservoir st en
résolvant l’équation de récurrence [2]:
[2]
La résolution de cette équation permet d’estimer à rebours la valeur de Ft en tout point du
domaine à résoudre (domaine à deux dimensions, t le temps et s, le niveau de remplissage du
réservoir), conduisant à une grille des valeurs Ft. Cette grille est utilisée ensuite pour identifier
la trajectoire optimale sur la période [t0, tf] en optimisant pour chaque pas de temps l'équation
[2] cette fois dans le sens naturel d’écoulement du temps. L'optimisation consiste à identifier
la meilleure quantité d'eau à stocker ou libérer au cours de [t0, t0+1[ afin d'optimiser le
bénéfice total sur cette période.
La PD permet donc d’obtenir la séquence de décisions ut optimale pour l’horizon temporel
considéré. Elle permet aussi d’estimer l’intérêt à stocker de l’eau dans le réservoir à un instant
donné. L’information portée par la dérivée des revenus futurs Ft par rapport au volume stocké
dans le réservoir définit la valeur marginale de l'eau stockée (SWV, équation [3]). Cette
dernière représente pour un niveau de stock donné dans le réservoir, la valeur des revenus
attendus pour l’utilisation future d’une unité supplémentaire d'eau stockée à ce niveau à la
date t.
[3]
Une SWV plus élevée que la valeur marginale de l'eau immédiate conduirait à augmenter
le stockage de l'eau dans le réservoir. A l'inverse, une plus faible SWV conduirait à augmenter
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la quantité d'eau utilisée immédiatement. Nous illustrons par la suite l’intérêt de cette variable
pour un cas schématique très simple construit sur la base du système de Serre-Ponçon, une
retenue multi-usages gérée par EDF et alimentée par les apports du bassin supérieur de la
Durance (département des Hautes-Alpes). Nous montrons en particulier que les séries
chronologiques de SWV obtenues dans ce contexte pour différents niveaux de remplissage
fournissent une signature utile, qui permet d'analyser l’adéquation en volume et en
temporalité entre la ressource et la demande pour le présent ou pour n'importe quel contexte
modifié.
2. Cas d’étude et données
La retenue schématique considérée ici est positionnée à l’exutoire d’un bassin versant de
type alpin, dont le régime hydrologique très saisonnier présente des débits faibles / élevés
durant les saisons d’accumulation / de fonte.
La capacité de stockage du réservoir est supposée égale au volume d’apport annuel moyen
(3500 Mm3) à partir de son bassin versant amont (5000 km2). Son unique objectif est supposé
être de répondre à une demande quotidienne d'hydroélectricité dt. L’optimisation de la gestion
est réalisée avec DP. La fonction de revenu immédiat est supposée avoir l’expression
suivante, où les pénalités liées à la non-satisfaction de la demande sont une fonction
quadratique des défaillances (équation [4]) :
[4]
L’analyse détaillée de l'exploitation passée des réservoirs de la région considérée souligne
la forte saisonnalité de la demande en hydroélectricité dt, avec un maximum durant la période
de débits bas en hiver et un minimum en été. La demande dt est en première approximation
dépendante de la température ; nous la décrirons comme une fonction linéaire de la
température quotidienne régionale en-dessous d’une température seuil de confort (15°C). Au-
dessus de ce seuil de confort, la demande est supposée constante.
Le comportement hydrologique du bassin versant a été simulé avec CEQUEAU, un
modèle hydrologique semi-distribué déjà utilisé par le passé par EDF pour des études
d’impacts du changement climatique sur différents bassins français (Manoha et al., 2008).
Pour la période de contrôle (1960-2001), les données de précipitations et de températures
nécessaires à cette simulation sont obtenues à partir de réanalyses météorologiques
quotidiennes de précipitations et températures développées par Gottardi et al. (2012) pour les
régions montagneuses françaises. Les scénarios météorologiques en climats futurs (figure 1)
sont obtenus en perturbant les séries observées (anomalies absolues / relatives pour les séries
de températures / précipitations). Ces anomalies ont été construites via une série d'expériences
de modèles climatiques menée dans le projet de l'UE PRUDENCE (Christensen, 2004).
3. Résultats
Les évolutions temporelles des apports entrant dans le réservoir et de la demande sont
présentées pour une période de six ans sur la figure 2 (1er août 1986 au 1er août 1992).
L'évolution dans le temps correspondante de SWV est en outre proposée pour différents
niveaux d'eau dans le lac. SWV est ici sans dimension.
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Figure 2 : Scénarios schématiques de modifications des températures (en °C, à gauche) et des précipitations
(changements relatifs sans dimension, à droite) saisonnières. Les légendes indiquent les anomalies annuelles de
températures et de précipitations. DJF : Décembre-Janvier-Février ; MAM : Mars-Avril-Mai ; JJA : Juin-Juillet-
Août ; SON : Septembre-Octobre-Novembre.
Figure 3 : En haut) Evolution temporelle de la valeur de l’eau stockée (SWV) pour différents niveaux de
remplissage du lac (A : Août, N : Novembre, F : Février, M : Mai) ; en bas) Evolution temporelle des apports
entrants dans le réservoir (tirets) et de la demande en hydroélectricité une fois convertie en m3.s-1 (trait plein).
A un instant t donné, SWV est très sensible au niveau de stockage dans le lac. SWV est
une fonction non linéaire décroissante du stock disponible. Pour un réservoir rempli, SWV est
toujours nulle et est maximale lorsque le réservoir est vide. Les variations de SWV aux bas
niveaux de remplissage sont plus fortes que pour les niveaux plus élevés.
A un niveau de remplissage s donné, SWV est également très variable dans le temps. Ceci
résulte de l'adéquation variable de la demande future avec la disponibilité future des
ressources naturelles. L'abondance des ressources (respectivement la rareté) à l'égard de la
demande future fait que la valeur d'une unité de ressource supplémentaire est faible
(respectivement élevée).
En conséquence, SWV présente à tous les niveaux de remplissage une forte saisonnalité.
Les maxima sont observés pendant les premiers mois de la saison froide (DJF), les minima
durant les mois de printemps. Au cours de la période de transition au début du printemps,
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l'intérêt du stockage diminue rapidement. Ceci résulte de la diminution concomitante de la
demande en énergie à la fin de la période hivernale et l'augmentation rapide des apports reçus
par le réservoir lors la fonte nivale. L'augmentation de SWV observée par la suite est
beaucoup plus progressive.
L'organisation temporelle des SWV obtenue pour le climat de contrôle est présentée figure
3 par l'intermédiaire des SWV climatologiques calculées pour 3 niveaux de remplissage
(niveau 5, 50 et 95 %). La saisonnalité des SWV est donc très marquée, en particulier
lorsqu’on la met en regard de la variabilité interannuelle des SWV obtenue pour les 44 années
de simulation considérées (la variabilité interannuelle des SWV est illustrée pour chaque
niveau de remplissage par les courbes enveloppes correspondant aux quantiles 10 et 90 % des
SWV). Par suite, les moyennes interannuelles de SWV à différents niveaux de remplissage
peuvent être utilisées comme signature de l’adéquation climato-économique entre la ressource
et la demande. Cette signature constitue un moyen puissant pour évaluer les besoins en
matière de stockage de l'eau, de les comparer dans différentes configurations ou pour évaluer
leur évolution dans un climat modifié et / ou des contextes socio-économiques.
Figure 4 : Valeur climatologique de l’eau stockée (SWV climatologique) à différents niveaux de remplissage (5,
50 et 95 %). Les trois courbes présentées pour chaque niveau de remplissage correspondent respectivement au
quantiles 10 % à la moyenne et au quantile 90 % des 44 valeurs de SWV obtenues pour les 44 années de la
période de simulation (1960-2004). Les courbes correspondant aux quantiles 10 et 90 % informent donc sur la
variabilité interannuelle de la signature obtenue pour un niveau de remplissage donné.
Dans ce qui suit, les signatures seront comparées dans un contexte climatique différent,
celui d’un réchauffement des températures de l’air uniquement (Figure 2, gauche). Par la suite
et pour des questions de lisibilité des graphiques, seules les valeurs interannuelles moyennes
des SWV seront présentées (les quantiles 10 et 90 % des SWV ne sont plus présentés).
4. Effet du changement climatique sur les valeurs de l’eau de stockage
Les moyennes interannuelles des apports entrant dans le réservoir, de SWV au niveau de
remplissage 50 % et du stock dans la réserve, obtenus pour des climats plus chauds sont
présentées Figure 5.
Pour tous les scénarios climatiques et pour tous les niveaux de stockage (seul le niveau 50
% est présenté Figure 5), la moyenne interannuelle de SWV est amenée à augmenter. L'intérêt
de garder l'eau dans le réservoir pour une utilisation future est donc plus élevé dans ces
scénarios futurs quel que soit le niveau de stockage et de la saison. Comme le coût de
défaillance est une fonction quadratique de l'intensité de l'échec (Equation [4]), le nombre de
défaillances est augmenté afin de limiter leur intensité. Cela conduit à des restrictions d'eau
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