Élève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs

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Élève chercheur, enseignant médiateur. Donner
du sens aux savoirs
Britt-Mari BARTH. Paris : Éditions Retz. Montréal : Éditions
Chenelière. Date de parution : 2013-01-17
Par Jean-Marie de Ketele,
Professeur émérite de l’UCL (Louvain-la-Neuve) et de
la Chaire UNESCO en Sciences de l’Éducation (Dakar)
Comptes-rendus de thèses et d'ouvrages
Le hasard fait bien les choses, puisque j’ai reçu le livre de Britt-
Mari Barth alors que je travaillais sur une mission d’expertise
pour le renouveau de l’enseignement des sciences et que, consul-
tant la littérature internationale, je tombais constamment sur le cri
d’alarme posé par les Académies des Sciences de la plupart des pays
du monde et transmis aux politiques du G8 et du G20: le plus
urgent est de créer une motivation pour les sciences (objectif n°1)
et de promouvoir un apprentissage des démarches scientiques
plutôt que la simple transmission-restitution de connaissances
scientiques (objectif n°2). Si les illustrations de la démarche pro-
posées dans le livre de Britt-Mari Barth portent davantage sur les
apprentissages de la langue (la compréhension d’un texte narratif
dans le premier scénario présenté; l’écriture d’un roman policier
dans le second), de la géographie (la mise en réseau des concepts au
sujet du «territoire industriel» dans le troisième) et sur le proces-
sus d’évaluation chez des étudiants en sciences de l’éducation dans
le cadre d’un cours portant sur le concept «enseigner-apprendre»
(4° scénario), on retrouve ces mêmes préoccupations dans le pré-
sent ouvrage comme semble déjà l’indiquer le titre choisi: «Élève
chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs».
Ceci sera conrmé par la suite et les enseignants ou formateurs
dans le domaine des sciences verront très vite que la démarche
se transpose dans les disciplines qui sont les leurs, avec cepen-
dant quelques spécicités liées à la démarche d’expérimentation.
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Le présent ouvrage s’inscrit en cohérence avec les deux ouvrages
précédents de l’auteur publiés chez le même éditeur: «L’appren-
tissage de l’abstraction. Méthodes pour une meilleure réussite de
l’école» (préface d’André de Peretti) et «Le savoir en construction»
(préface assurée par mes soins). Si on retrouve fondamentalement la
même démarche de pensée, celle-ci est approfondie sur trois aspects
qui sont à la base de la structuration de l’ouvrage: une théorisation
plus aboutie du modèle de «médiation sociocognitive des appren-
tissages»; une expérimentation conduite avec des élèves de dié-
rents niveaux et de diérents pays et présentée à travers les quatre
scénarios évoqués ci-dessus; un dialogue virtuel avec les lecteurs en
prenant appui sur les questions qui ont été fréquemment posées à
l’auteur lors des nombreuses formations qu’elle a assurées tant en
Communauté française de Belgique qu’en France, en Suisse et au
Québec. Cette structuration de l’ouvrage nous permet de dire que
l’ouvrage peut être lu indépendamment des deux premiers. Nous le
conseillerons même à tous les nouveaux lecteurs; quant aux anciens,
ils y trouveront un réel plaisir, tant par la clarté de la présentation de
l’approche et ses ouvertures interdisciplinaires au niveau de l’argu-
mentation, que par les illustrations diverses en cohérence étroite avec
l’approche proposée et que par les questionnements posés par les
acteurs de terrain (enseignants ou futurs enseignants, formateurs,
décideurs).
La première partie de l’ouvrage est consacrée à la présentation de la
démarche de la médiation sociocognitive des apprentissages. Contrai-
rement à la démarche académique classique qui est de transmettre en
premier lieu le cadre théorique puis de l’illustrer (paradigme éorie/
Pratique), celle utilisée par Britt-Mari Barth se réfère au paradigme
Pratique/éorie/Pratique qui, selon mon expérience, est bien plus
ecace pour former et qui est d’ailleurs en cohérence avec le modèle
présenté. En eet, l’auteure prend un double point d’entrée: les
questions pratiques que se posent les enseignants et les formateurs;
un exemple authentique de la démarche de conceptualisation du
concept d’impressionnisme. Sur cette base, le lecteur devient plus
à même de saisir en profondeur le substrat théorique à la base de la
démarche évoquée et qui pourra alors être plus facilement transféré
dans d’autres d’exemples (ceux de la deuxième partie de l’ouvrage).
Dans la présentation du modèle, plusieurs aspects méritent d’être
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soulignés, car ils entrent en cohérence avec les avancées récentes dans
plusieurs champs de recherche.
Le premier que je voudrais souligner, tant il me paraît trop sou-
vent négligé et cependant si important, est le lien entre l’aectif
et le cognitif. Se référant aux travaux des biologistes (Damasio,
Varela et Changeux), l’auteure arme que l’implication aective
et cognitive sont interdépendantes et sont deux faces de notre
intelligence et que «ce sont plutôt nos émotions qui guident notre
raison» (p.57). L’enjeu est important, car le refus d’apprendre,
manifesté par la passivité ou la révolte, trouve son explication dans
«le sentiment d’impuissance apprise» que Bandura et Seligman
ont bien mis en évidence dans ses travaux. «L’enjeu pédagogique
est d’aider l’apprenant à construire une image de lui-même qui soit
valorisante à ses propres yeux» (p.57). Travaillant avec Anne Jorro
sur l’engagement professionnel des enseignants1, nous avons mis
en évidence l’importance de la dimension émotionnelle dans la
construction de l’identité professionnelle. Nous voyons donc ici
l’isomorphisme entre le développement de l’apprenant à travers la
médiation sociocognitive telle que pratiquée et le développement
de la professionnalité émergente chez l’enseignant lui même.
Le second aspect a trait à l’approfondissement et à la justication
des cinq conditions pour une mise en pratique de la médiation so-
ciocognitive: dénir le savoir à enseigner en fonction du transfert
recherché; exprimer le sens dans des formes concrètes; engager les
apprenants dans un processus d’élaboration de sens (avec ses trois
aspects à prendre en compte: sensation, direction et signication);
guider le processus de construction de sens (le sens n’est pas à don-
ner mais à construire); préparer au transfert des connaissances et
à la capacité d’abstraction par la métacognition (on rejoint ici la
pensée d’Edgard Morin auquel se réfère souvent l’auteure et les
travaux, non cités ici, d’Ausubel2 sur les advanced organizers.
1. Jorro, A. & De Ketele, J-M. (Eds) (2011). L’engagement professionnel en éducation et forma-
tion. Bruxelles: De Boeck.
2. Ausubel, D.P. (1963). e psychology of meaningful verbal learning. New York: Grune &
Stratton.
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On retrouve évidemment dans l’ouvrage l’explicitation des
concepts qui ont fait connaître l’auteure dans ses ouvrages pré-
cédents, mais ces concepts sont ici plus étroitement reliés à la
stratégie de médiation jouée par l’enseignant ou le formateur
dans la relation qui l’unit à l’apprenant. Ainsi le processus de
conceptualisation est décomposé dans les actes de perception, de
comparaison, d’inférence (inductive ou déductive selon les cas),
de vérication de celle-ci, de structuration des connaissances.
Il s’agit donc d’un processus de création de sens qui suppose
un grand travail de l’enseignant ou du formateur en amont
(dénir le savoir à enseigner ; exprimer le sens dans des formes
concrètes et pendant l’apprentissage (engager l’apprenant; guider
le processus; préparer au transfert). Ceci requiert de la part de
l’enseignent ou du formateur une posture d’accueil et de respect
pour les conceptions exprimées par les apprenants, de donner
des consignes et des tâches qui leur permettent de prendre en
considération les conceptions des uns et des autres pour les faire
évoluer, d’avoir le sens du caractère situé des connaissances.
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux quatre scénarios
déjà évoqués. Leur lecture est facilitée par l’adoption d’une structura-
tion identique, à savoir les cinq conditions de la médiation. Au-delà
de l’intérêt de voir les exemples puisés dans des activités diérentes
et dans des niveaux diérents de scolarité, nous avons apprécié le fait
que l’auteur en prote pour approfondir certains aspects particuliers
de l’apprentissage et de la stratégie de médiation.
Ainsi, dans le premier scénario consacré à la compréhension d’un
texte narratif chez des élèves du primaire et du secondaire du Qué-
bec, l’auteure approfondit la compréhension du concept «outils de
pensée» à travers l’apprentissage de la «justication».
Dans le second scénario consacré à l’activité d’écriture auprès
d’élèves de CM1 en France, elle souligne l’importance de l’interdé-
pendance de l’émotion («le carburant qui fait tourner le moteur») et
du cognitif («le moteur qui permet de donner structure et direction aux
mouvements de la voiture», p. 113). La contextualisation prend ici la
forme de l’écriture d’un roman policier qui se déroulera sur toute la
durée de l’année scolaire et qui permettra de faire jouer aux élèves le
rôle de détective non seulement dans l’écriture d’un genre particulier
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de texte, mais aussi dans la recherche des règles de grammaire qui
permettent de donner sens au texte.
Dans le troisième scénario consacré au concept de «territoire indus-
triel» auprès d’élèves québécois (niveau 4° du collège en France),
Britt-Mari Barth illustre particulièrement bien le caractère situé de
toute connaissance (notamment son aspect social) et l’importance
du processus médiateur dans l’organisation des connaissances en
réseau (les attributs du concept, ses fonctions, ses indicateurs, le
caractère hiérarchique des concepts proches).
Dans le quatrième scénario consacré à l’évaluation individualisée
dans une communauté d’étudiants en master en sciences de l’éduca-
tion abordant le concept «enseigner/apprendre» fondamental pour
leur profession, Britt-Mari Barth approfondit avec ses propres étu-
diants une démarche où l’évaluation est «formatrice3» et contribue
au développement de ce qu’Anne Jorro et moi appelons la «pro-
fessionnalité émergente» (voir note 2). L’auteure prend appui sur
trois outils: le «process-folio» où il s’agit pour chaque étudiant
de créer un dossier qui rassemble progressivement un ensemble de
documents qui témoignent de sa progression dans son parcours
d’apprentissage; une note de lecture personnalisée ; une note de
synthèse en n de course qui, en reprenant les travaux précédents,
permet d’en manifester la compréhension. Ces trois types d’outils
permettent à l’enseignant et aux étudiants, dans une logique de
co-accompagnement, de construire la connaissance et d’évaluer les
connaissances en prenant en compte la diversité tout en gardant le
même contenu de base et les mêmes critères convenus («utilisation
correcte des concepts; mise en relation pertinente des concepts et
des apports théoriques avec le matériau empirique ; profondeur/
élaboration des analyses; références explicites»).
Tout au long des scénarios présentés, Britt-Mari Barth souligne le fait
que les apprenants sont désormais de plus en plus des digital natives
et que l’enseignant et le formateur ont intérêt à recourir aux tech-
nologies de l’information et de la communication. C’est ainsi le cas
3. Ceci rejoint la conception d’un mouvement important en Angleterre qui tend à promou-
voir l’évaluation pour l’apprentissage (assessment for learning») plutôt que l’évaluation de
l’apprentissage («assessment of learning»).
Britt-Mari Barth
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