La communication en tant que champ d`études1

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Ri C S P
Revue internationale
Communication sociale et publique
www.ricsp.uqam.ca
La communication en tant que champ d’études1
Robert T. Craig
Professeur, Department of Communication, University of Colorado, États-Unis
[email protected]
L’auteur est professeur de communication à l’Université du Colorado à Boulder. Il a été président de l’International
Communication Association (ICA) et fondateur de la revue Communication Theory. Il siège actuellement sur plusieurs comités éditoriaux ; il dirige la collection Handbook Series de l’ICA et est expert conseil pour l’International
Encyclopedia of Communication (Wiley-Blackwell et ICA, 2008). Ces écrits ont porté sur plusieurs thèmes en communication, philosophie, études du discours et argumentation. L’ouvrage Theorizing Communication : Readings
Across Traditions (avec Heidi L. Muller) a été publié chez Sage en 2007.
Résumé :
Cet essai pose la théorie de la communication en tant que champ dialogique – dialectique
en s’appuyant sur deux principes : le modèle constitutif de la communication en tant que
métamodèle et la théorie en tant que pratique métadiscursive. L’argument au cœur de l’essai
est que toutes les théories de la communication sont pertinentes au regard d’un monde
vivant concret dans lequel « communication » est un mot riche de sens. Chaque tradition de
la théorie de la communication fait rhétoriquement appel à certaines croyances courantes
sur la communication et découle de ces croyances ; en même temps, chaque tradition remet
en question d’autres croyances. Les complémentarités et les tensions entre les traditions
génèrent un métadiscours théorique qui croise et, en fin de compte, nourrit le métadiscours
pratique de la vie quotidienne ayant cours dans la société. Dans cet essai, les traditions
de théorie de la communication rhétorique, sémiotique, phénoménologique, cybernétique,
psychosociologique, socioculturelle et critique sont organisées en un schéma provisoire
du champ. Ces traditions sont caractérisées par leur manière particulière de définir la
communication et les problèmes de communication, leur lexique métadiscursif et les lieux
communs métadiscursifs auxquels elles font appel ou qu’elles remettent en question. Des
topois pour l’argumentation à travers les traditions sont proposés et des conséquences
pour le travail théorique de même que pour les pratiques disciplinaires dans le champ de la
communication sont discutées.
Mots-clés : Théorie de la communication ; Tradition ; Épistémologie ; Cybernétique ;
Phénoménologie ; Psychosociologie ; Rhétorique ; Sémiotique ; Théorie critique ;
Théorie socioculturelle .
This essay reconstructs communication theory as a dialogical-dialectical field according
to two principles: the constitutive model of communication as a metamodel and theory
as metadiscursive practice. The essay argues that all communication theories are
mutually relevant when addressed to a practical lifeworld in which “communication”
is already a richly meaningful term. Each tradition of communication theory derives
from and appeals rhetorically to certain commonplace beliefs about communication
1. La version originale de ce texte a été publiée en 1999 dans la revue Communication Theory, volume 9 numéro 2,
sous le titre Communication Theory as a Field. La traduction française a été réalisée par Johanne Saint-Charles,
professeure au département de communication sociale et publique et directrice du centre de recherche Cinbiose de
l’Université du Québec à Montréal, avec la collaboration de Pierre Mongeau, professeur au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal.
Droits réservés © Revue internationale de communication sociale et publique (2009).
Reproduit avec la permission de Blackwell Publishing Ltd.
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while challenging other beliefs. The complementarities and tensions among traditions
generate a theoretical metadiscourse that intersects with and potentially informs the
ongoing practical metadiscourse in society. In a tentative scheme of the field, rhetorical,
semiotic, phenomenological, cybernetic, sociopsychological, sociocultural, and critical
traditions of communication theory are distinguished by characteristic ways of defining
communication and problems of communication, metadiscursive vocabularies, and
metadiscursive commonplaces that they appeal to and challenge. Topoi for argumentation
across traditions are suggested and implications for theoretical work and disciplinary
practice in the field are considered.
Keywords: Communication theory ; Tradition ; Epistemology ; Critical theory ;
Cybernetics ; Phenomenology ; Rhetorics ; Semiotics ; Social psychology ;
Sociocultural theory.
La théorie de la communication est riche quant à la gamme des idées qui relèvent de son
étendue nominale et de nombre de travaux théoriques récemment publiés2. Néanmoins,
malgré ses racines anciennes et la profusion sans cesse croissante de théories sur la
communication, je soutiens que la communication en tant que champ d’études distinct
n’existe pas encore3.
Plutôt que d’être concernés par un champ théorique, il apparaît que nous opérions
principalement en des domaines séparés. Les livres et les articles sur la communication
mentionnent rarement d’autres travaux sur la théorie de la communication que ceux
relevant d’écoles de pensée ou de spécialités (inter)disciplinaires étroites4. Sauf au sein de
ces petits groupes, les théoriciens et théoriciennes de la communication ne semblent être
ni en accord ni en désaccord à propos de fort peu de choses. Il n’existe pas de canons d’une
théorie générale auxquels ils se réfèrent. Il n’est pas de buts communs qui les unissent, pas
de querelles théoriques qui les divisent. Pour l’essentiel, ils et elles s’ignorent5.
2. Pour un échantillon, très incomplet, de livres récents proposant explicitement des travaux originaux sur une
théorie générale de la communication, sans égard à l’origine disciplinaire, mais excluant des travaux sur des thèmes
plus spécifiques tels l’effet des médias ou les relations interpersonnelles, voir : Altheide (1995), Anderson (1996),
Angus et Langsdorf (1992), Carey (1989), Chang (1996), Deetz (1992), Goodall (1996), Greene, (1997), Harris (1996),
Hauser (1996), Kaufer et Carley (1993), Leeds-Hurwitz (1995), Mantovani (1996), Mortensen (1994), Morrensen
avec Ayres (1997), Norton et Brenders (1995), Pearce (1989), Pilotta et Mickunas (1990), Rothenbuhler ( 1998), Sigman (1995), Stewart (1995), J. Taylor (1993), T. Taylor (1992), Theall (1995).
3. Il existe des indicateurs de l’existence d’un champ (voir Anderson, 1996 et Craig, 1989). De plus, des histoires
d’une théorie de la communication commencent à apparaître (Mattelart, 1996 ; Schiller, 1996), de même que des
travaux collectifs (recueils, encyclopédies, anthologies) de types variés et plus ou moins inclusifs et utiles (par
exemple, Arnold et Bowers, 1984 ; Harnouw et al., 1989 ; Casmir, 1994 ; Cobley, 1996 ; Crowley et Mitchell, 1994 ;
Cushman et Kovacic, 1995 ; Kovacic, 1997 ; Philipsen et Alhrecht, 1997).
4. La théorie de la communication est issue de nombreuses disciplines universitaires, et les théoriciens et théoriciennes ignorent notoirement les travaux publiés hors de leur discipline. Ainsi, ils et elles ont tendance à écrire à
propos de la communication sans prêter attention aux travaux faits ailleurs, particulièrement à ceux issus de la
discipline de la communication même. Il faut mettre au crédit des théoriciens et théoriciennes de la communication
d’avoir dévié de cette pratique puisqu’ils citent fréquemment des travaux des autres disciplines. De fait, ils sont souvent plus susceptibles de citer des travaux hors de leur discipline que des travaux qui en proviennent. Ainsi, ils ont
tendance à ne pas se citer mutuellement, au-delà de leur propre clique, ce qui a pour conséquence inattendue que les
théoriciens et théoriciennes de la communication sont relativement peu cités par qui que ce soit (Myers, Brashers,
Center, Beck et Wert-Gray, 1992 ; Paisley, 1984 ; Reeves et Borgman, 1983 ; Rice, Borgman et Reeves, 1988 ; So,
1988).
5. « It is as if the field of communication research were punctuated by a number of isolated frog ponds-with no
friendly croaking between the ponds, very little productive intercourse at all, few cases of successful cross-fertilization » (Rosengren, 1993, p. 9). [C’est comme si le champ de la recherche en communication était ponctué d’étangs
de grenouilles entre lesquels aucuns coassements amicaux ne se faisaient entendre – peu d’échanges productifs, peu
de cas d’osmose réussie.]
La communication en tant que champ d’études | 3
On offre de plus en plus de cours en communication à tous les niveaux et de nombreux
manuels sont publiés. Toutefois, un regard attentif sur leur contenu ne fait que démontrer
encore que, bien qu’il existe plusieurs théories de la communication – en fait, beaucoup
trop de théories différentes pour qu’elles puissent être enseignées efficacement en un seul
cours –, il n’y a pas de consensus sur une théorie de la communication en tant que champ.
Anderson (1996) a analysé le contenu de sept recueils de textes sur la communication
et il y a identifié 249 « théories » distinctes, dont 195 n’apparaissaient que dans un seul des
recueils. Ainsi, seules 22 % des théories se retrouvaient dans plus d’un des sept recueils,
et seulement 18 des 249 théories (7 %) étaient incluses dans plus de trois livres. Si la
communication était réellement un champ, on pourrait s’attendre à ce que plus de la moitié
de ces documents d’introduction soient en accord sur plus de 7 % des contenus essentiels du
champ. La conclusion voulant que la communication ne soit pas encore un champ théorique
cohérent semble inéluctable6.
Bien que la communication ne constitue pas encore un champ théorique unifié, je
crois qu’elle peut et doit le devenir. Elle émergera comme champ dans la mesure où nous
prendrons part, comme théoriciens ou théoriciennes de la communication, aux débats
sur des problèmes, des controverses et des objectifs sociaux importants qui traversent les
différentes traditions disciplinaires, les spécialités, les méthodologies et les écoles de pensée
qui nous divisent actuellement.
Dans cet essai, je soutiens que toutes les théories de la communication sont pertinentes
aux pratiques communes de la vie quotidienne où la communication est déjà un mot riche
de sens. La théorie de la communication, en ce sens, est un champ cohérent de la pratique
métadiscursive, un champ du discours sur le discours ayant des conséquences pour la
pratique de la communication. Les différentes traditions théoriques de la communication
offrent des manières différentes de conceptualiser et de débattre de problèmes et de pratiques
de communication. Ces manières sont issues de certaines croyances communes à propos de
la communication et y font appel, tout en problématisant d’autres croyances. C’est dans
le dialogue entre ces traditions que la théorie de la communication pourra devenir partie
prenante du discours (ou du métadiscours) actuel sur la communication dans la société
(Craig, 1989 ; Craig et Tracy, 1995).
Les prochaines sections de cet essai développent les éléments suivants :
1. La communication n’a pas encore émergé comme un champ d’études cohérent
parce que les théoriciennes et théoriciens n’ont pas encore trouvé un chemin au-delà
des pratiques disciplinaires invalidantes qui les séparent.
2. Le potentiel de la communication en tant que champ d’études ne pourra pas
s’accomplir en tant que théorie de la communication unifiée, mais à travers une
matrice disciplinaire dialogique / dialectique : un ensemble communément compris
de postulats (toujours contestables) qui permettrait une argumentation productive à
travers les diverses traditions de théories de la communication.
3. Une matrice disciplinaire peut être développée en s’appuyant sur un métamodèle
constitutif de la communication qui ouvre un espace conceptuel au sein duquel
plusieurs modèles de premier niveau peuvent interagir et où une conception de la
théorie de la communication comme métadiscours théorique est impliquée dans la
production du métadiscours pratique de la vie quotidienne.
6. Ainsi, il n’est guère surprenant qu’un auteur se demande pourquoi il existe si peu de théories de la communication (Berger, 1991), alors qu’un autre se demande pourquoi il y en a autant (Craig, 1993). Ils sont en désaccord non
seulement sur ce qui peut être considéré comme une théorie, mais aussi sur la taille et la forme du champ à partir
duquel ils comptent les théories.
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4. En s’appuyant sur ces principes, une reconstruction provisoire des traditions
multidisciplinaires de la communication prend la forme de sept lexiques alternatifs
pour théoriser la communication comme pratique sociale.
Dans la conclusion, je suggère des applications et des extensions de la matrice, de même que
des implications pour la pratique disciplinaire dans le champ de la communication.
Racines d’incohérence
L’incohérence de la communication en tant que champ peut s’expliquer par les origines
multidisciplinaires et par les manières particulières dont les chercheurs et chercheuses ont
usé et trop souvent abusé des fruits intellectuels qui continuent à déborder de cette corne
d’abondance multidisciplinaire.
Origines multidisciplinaires
L’un des éléments les plus intéressants de la théorie de la communication est qu’elle a
surgi de manière relativement indépendante dans de nombreuses disciplines universitaires.
Littlejohn (1982), dans ce qui est sans doute ce que nous avons de plus près d’une vue
d’ensemble schématique et globale, fait remonter les contributions à la théorie de la
communication à des disciplines aussi diverses que la littérature, les mathématiques et
l’ingénierie, la sociologie et la psychologie7. L’anthologie de la théorie de la communication
de Budd et Ruben (1972) inclut des chapitres représentant 24 approches disciplinaires qui
vont, en ordre alphabétique, de l’anthropologie à la zoologie.
En tant que discipline, la communication a initialement tenté de s’instaurer comme une
sorte de bureau central interdisciplinaire pour toutes ces approches disciplinaires. L’esprit
de l’interdisciplinarité est toujours avec nous et mérite d’être cultivé comme l’une de nos
qualités les plus louables. Toutefois, l’incorporation de tant d’approches disciplinaires a
rendu difficile d’envisager la communication comme un champ théorique cohérent. Quels
sont les éléments communs – s’il en est – de toutes ces approches? Développées au sein
de disciplines variées afin de traiter de problèmes intellectuels variés, ces approches sont
incommensurables, au sens que Kuhn (1970) donne à ce terme : elles ne sont ni en accord
ni en désaccord, mais plutôt elles s’ignorent parce qu’elles conçoivent leur thème nominal
commun, la communication, de manière fondamentalement différente.
Dance a recensé 95 définitions de la communication qui ont été publiées dans les années
1950 et 19608. Il a conclu de ces recensions que les définitions différaient sous tellement
d’aspects (il a distingué 15 « composants » intellectuels) que la communication devrait
sans doute plutôt être théorisée comme une « famille » de concepts reliés plutôt que
comme un concept unitaire afin d’éviter « dissension, academic sniping, and theoretical
divisiveness (p. 210) »9. S’inscrivant dans une tradition positiviste pour laquelle le concept
de théorie est stable, Dance a peut-être sous-estimé la difficulté d’intégrer des définitions
éclectiques issues de disciplines ayant des programmes intellectuels incommensurables
et qui ont maintenant souvent des conceptions radicalement différentes de ce qu’est la
« théorie » (Craig, 1993). Étant donné la pléthore de définitions de la communication et la
difficulté de les intégrer ou de choisir parmi celles-ci de manière satisfaisante, il est devenu
7. Les histoires générales des études en communication (Delai, 1987 ; Rogers, 1994) mettent aussi en lumière les
origines multidisciplinaires du champ.
8. Dance et Larson (1976) ont allongé cette liste à 126 définitions, un nombre qui, selon la nature des choses, ne
peut qu’avoir augmenté avec le temps.
9. [Dissension, critiques universitaires insidieuses et divisions théoriques]
La communication en tant que champ d’études | 5
de sagesse conventionnelle parmi les chercheurs et chercheuses en communication (par
exemple Fisher, 1978 ; Murphy, 1991) qu’il était vain de se disputer à propos des définitions
de la communication. De quoi, alors, discuteront les théoriciens et théoriciennes de la
communication, sinon du concept premier qui constitue leur champ d’études commun ?
De l’éclectisme stérile à la fragmentation productive
Selon Peters (1986), la recherche en communication a été appauvrie intellectuellement
en partie à cause de la manière particulière dont la discipline a été institutionnalisée dans
les universités états-uniennes. Peters avance que le terme « communication » a été utilisé
par Wilbur Schramm et d’autres comme un mécanisme de légitimation institutionnel de
sorte à prévenir toute définition cohérente « [of] the field, its intellectual focus, and its
mission (p. 527) »10
En s’établissant sous la bannière « communication », la discipline a réclamé la propriété
universitaire du champ entier de la recherche et de la théorie de la communication. Une
très forte réclamation en fait, puisque la communication avait déjà été largement étudiée et
théorisée. Selon Peters, la recherche en communication est devenue « an intellectual Taiwan
— claiming to be all of China when, in fact, it was isolated on a small island (p. 545) »11
Le cas le plus remarquable à cet égard est sans doute la théorie mathématique de
l’information de Shannon (Shannon et Weaver, 1948), que les chercheurs et chercheuses de
la communication proclament comme une évidence du potentiel statut scientifique de leur
champ bien qu’ils n’aient rien à voir avec sa création, qu’ils la comprennent souvent mal
et qu’ils lui trouvent rarement un usage réel dans leur recherche. L’éclectisme stérile de la
théorie communicationnelle dans ce mode est évident dans le catalogage des traditions qui
apparaît encore dans la plupart des recueils sur le sujet. Le « champ » de la communication
en vient à ressembler à certains égards à un appareil destiné au contrôle de la vermine,
appelé Roach Motel, qu’on annonçait à la télévision : les théories entrent au motel, mais
n’en sortent jamais. Les chercheurs et chercheuses en communication se sont approprié
toutes les idées sur la communication quelle que soit leur provenance, mais n’ont guère
tiré profit de la plupart — ils et elles les ont mises au tombeau pourrait-on dire après les
avoir retirées des environnements disciplinaires dans lesquels elles s’étaient développées et
étaient aptes à se propager. Les chercheurs et chercheuses de la communication ont apporté
peu d’idées originales de leur propre cru.
Peters (1986) souligne un phénomène similaire que j’interpréterai un peu différemment.
Les leaders de la recherche en communication étaient fort conscients du phénomène que
j’appelle « l’éclectisme stérile » et ils et elles ont cherché à le dépasser en développant des
programmes systématiques de recherche théoriquement fondés. Puisque la plupart de
leurs théories et paradigmes de recherche étaient empruntés à d’autres disciplines, cela
impliquait qu’ils et elles démarraient des programmes de recherche en communication qui
s’appuyaient sur des programmes de recherche dans ces autres disciplines. Ainsi, la plus
grande partie de la recherche en communication politique, par exemple, n’était guère plus
que « political science as practiced in the field of communication (Peters, 1986, p. 548) ».12
De la même manière, une bonne part de la recherche en communication interpersonnelle
n’était — et continue de n’être — guère plus que de la psychologie sociale expérimentale
pratiquée dans le champ de la communication.
10. [[du] champ, de son focus intellectuel et de sa mission]
11. [un Taiwan intellectuel — prétendant être la Chine quand, en fait, elle est isolée sur une petite île]
12. [de la science politique telle que pratiquée dans le champ de la communication]
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Les emprunts interdisciplinaires et transdisciplinaires sont, bien entendu, des
pratiques utiles en soi et doivent être encouragés afin d’atténuer la fragmentation de la
connaissance entre les disciplines. Le problème, ainsi que le suggère Peters (1986), est que
ces emprunts ont été utilisés pour soutenir des revendications institutionnelles à un statut
disciplinaire sans que soit articulé quelque mission ou foyer cohérent pour cette discipline
communicationnelle putative.
La recherche en communication est devenue productive par l’importation de fragments
de plusieurs autres disciplines dans sa propre culture, mais les fragments tels qu’ils ont
été utilisés n’ont pas pu — et ne pourront jamais — se constituer en un tout cohérent qui
s’autoalimente et qui est plus que la somme de ses parties. Cela contribue à expliquer pourquoi
la théorie communicationnelle n’a pas encore émergé en tant que champ cohérent. Chaque
fragment de la recherche en communication a été productif dans son propre domaine, d’où
mon usage de l’expression « fragmentation productive ». Aussi longtemps que la recherche
sera ainsi fragmentée, les recueils de textes continueront de s’empêtrer dans un éclectisme
stérile et il continuera d’avoir de plus en plus de théories de la communication, mais toujours
pas de champ de la théorie de la communication.
Reconstruire la théorie de la communication en tant que champ
L’objectif : cohérence dialogique – dialectique
En cherchant des remèdes à l’incohérence, l’objectif ne devrait pas être une quelconque et
chimérique théorie communicationnelle unifiée. Une telle théorie unifiée sera toujours hors
de portée et nous ne devrions probablement pas en vouloir, même si elle était atteignable.
Aucun champ de recherche actif n’a de théorie parfaitement unifiée. Un champ parfaitement
cohérent serait statique, mort, alors que la pratique même de la communication est très
vivante et évolue sans cesse sur la scène d’un monde de contingence et de conflit.
Ainsi, selon toute vraisemblance, la communication, la théorie de cette pratique,
n’atteindra jamais une forme unifiée finale. En fait, l’objectif devrait être la condition
même que Dance (1970) tenait tant à éviter : diversité théorique, argumentation et débat,
même au prix de quelques critiques insidieuses. L’objectif ne devrait pas être une situation
dans laquelle nous n’aurions plus d’objet d’argumentation, mais plutôt une situation dans
laquelle nous comprendrions mieux que nous avons tous quelque chose de très important à
propos duquel débattre.
Toutefois, bien que nous ne devrions pas courir après la chimère d’une théorie
unifiée, nous ne devrions pas non plus être distraits de notre quête par la fausse piste de
« l’antidisciplinarité ». Une argumentation théorique productive a plus de chances de se
produire au sein d’une communauté interprétative soutenue par une matrice disciplinaire,
c’est-à-dire un arrière-plan d’hypothèses partagées. Cependant, la « disciplinarité » ne
requiert pas que la diversité et l’interdisciplinarité soient éliminées13. Au minimum, être une
discipline signifie que plusieurs d’entre nous s’accordent sur leurs désaccords concernant
13. Pour une critique mettant en évidence les tendances plus oppressives et plus « exclusionnaires » des disciplines traditionnelles, voir McLaughlin (1995), Sholle (1995) et Streeter (1995). Bien que ces critiques se prononcent
contre la communication en tant que « discipline », ils sont en faveur de la communication en tant que « champ »,
qu’ils décrivent comme une « postdiscipline ». Malgré la différence de terminologie, il semble que nous nous accordions sur le fait que les études en communication devraient aspirer à une certaine cohérence (non oppressive, non
« exclusionnaire »). D’autres critiques ont attaqué l’idée même de la cohérence, soulignant d’importants bénéfices
institutionnels et intellectuels émanant de la fragmentation disciplinaire (par exemple, O’Keefe, 1993 ; Newcomb,
1993 ; Peters, 1993 ; Swanson, 1993). Je projette aborder ces arguments dans un autre essai. Ici, je ne peux répondre
qu’en offrant une perspective différente, mais pas nécessairement incompatible.
La communication en tant que champ d’études | 7
des sujets qui ont une certaine importance et à propos desquels il est ainsi pertinent de
discuter. En ce sens, une discipline n’est rien de plus ni rien de moins que « a conversational
community with a tradition of argumentation (Shotter, 1997) »14 .
En somme, l’objectif devrait être la cohérence dialogique-dialectique : une conscience
commune de certaines complémentarités et de certaines tensions entre différents types
de théories de la communication, de sorte qu’il soit communément compris que ces
différents types de théories ne peuvent se développer légitimement en un isolement total,
mais qu’elles doivent débattre entre elles. Mon but ici est d’explorer comment la théorie
de la communication peut être reconstruite en une discipline pratique afin de révéler de
telles complémentarités et tensions et ainsi constituer un champ cohérent. Dans ce but, je
proposerai une matrice théorique provisoire construite selon deux principes. Le premier de
ces principes dérive d’un modèle « constitutif » de la communication mis en évidence dans
d’autres efforts récents de conceptualisation du champ de la communication ; toutefois, ce
modèle constitutif est soumis ici à un tournant réflexif duquel il émerge sous une tout autre
forme.
Premier principe : le modèle constitutif de la communication en tant que
métamodèle
Bien que le premier débat quant à la définition de la communication se soit pratiquement
éteint après Dance (1970), le concept de communication est de nouveau devenu un sujet de
discussion important chez les théoriciens et théoriciennes de la communication vers la fin
des années 1980. Alors au cœur de l’essor de la communication, l’attention renouvelée sur
le concept de communication reflète une conviction croissante, à tout le moins chez certains
universitaires, que la communication peut devenir un champ de recherche cohérent, un
champ d’une importance centrale pour la pensée sociale. En effet, en conceptualisant la
communication, nous construisons une perspective « communicationnelle » de la réalité
sociale et ainsi définissons l’étendue et l’objet d’une discipline de la communication
différente des autres disciplines sociales15.
Parmi les plus intéressantes de ces propositions de définitions du champ, on trouve
plusieurs versions d’un modèle constitutif, ou rituel, de la communication. Généralement,
le modèle proposé est défini par contraste avec son opposé dialectique, soit un modèle de
transmission ou informationnel, dont on dit qu’il continue de dominer le sens commun et
une bonne part de la pensée universitaire (Carey, 1989 ; Cronen, 1995 ; Deetz, 1994 ; Pearce,
1989 ; Peters, 1989 ; Rothenbuhler, 1998 ; Shepherd, 1993 ; Sigman, 1992, 1995b). Selon le
concept usuel de la transmission, la communication est un processus d’envoi et de réception
des messages ou de transfert de l’information d’un esprit à l’autre.
Dans les dernières années, le modèle de transmission a subi de lourdes attaques.
Peters (1989) fait remonter ses origines à l’empirisme du 18e siècle, avec ses postulats
individualistes et solipsistes (voir aussi Taylor, 1992, 1997). Carey (1989), Deetz (1994),
Pearce (1989) et Shepherd (1993), entre autres, ont argué que le modèle de la transmission
est philosophiquement faible, chargé de paradoxes et idéologiquement rétrograde, et qu’il
devrait à tout le moins être complété, sinon totalement supplanté, par un modèle qui conçoit
la communication comme un processus constitutif qui produit et reproduit un savoir
partagé. Ce modèle constitutif offre à la discipline de la communication un point focal, un
14. [une communauté conversationnelle ayant une tradition argumentative]
15. Voyez Beniger (1993) ; Berger et Chaffee (1987, p. 894) ; Cronkhite (1986) ; Deetz (1994) ; Luhmann (1992) ;
Motley (1991) ; Pearce (1989) ; Rothenbuhler (1993, 1996, 1998) ; Shepherd (1993) ; Sigman (1992, 1995a) pour des
variations sur ce thème.
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rôle intellectuel central et une mission culturelle (c’est-à-dire de critiquer les manifestations
culturelles du modèle de la transmission).
Plusieurs thèmes importants traversent cette documentation. L’un de ces thèmes veut
que les idées sur la communication aient évolué à travers l’histoire et qu’elles puissent
être mieux comprises lorsque mises en un contexte historique, culturel et intellectuel
plus large. Un autre thème est que les théories de la communication sont réflexives : les
théories formelles, souvent tirées des manières ordinaires culturellement inscrites de
penser la communication, une fois formulées influencent à leur tour la pensée et la pratique
quotidienne, soit en la changeant soit en la renforçant. La relation entre la théorie et la
culture est ainsi réflexive, ou mutuellement constitutive. Les théories de la communication
aident à créer le phénomène même qu’elles visent à expliquer (Carey, 1989 ; Krippendorff,
1997).
Ceci nous amène à un troisième thème voulant que les théories de la communication,
parce qu’elles sont enracinées culturellement et historiquement et qu’elles sont réflexives,
aient des implications pratiques et même politiques. Parce qu’elles influencent la société,
ces théories servent toujours quelque intérêt mieux que d’autres – souvent, évidemment, les
intérêts des mieux nantis et des plus puissants. Par exemple, le modèle de la transmission
peut servir les intérêts des experts techniques tels des scientifiques ou des ingénieurs
lorsqu’il est utilisé pour renforcer les croyances culturelles qui mettent en relief la valeur
des experts en tant que sources fiables d’information.
Un quatrième thème veut que la communication soit une discipline intellectuelle
légitime, à la condition qu’elle adopte une perspective communicationnelle sur la réalité
sociale qui soit radicalement différente, mais au moins égale en statut, de disciplines
établies telles la psychologie, la sociologie, l’économie, la linguistique, etc. Chacune
de ces perspectives disciplinaires a sa manière propre d’expliquer certains aspects de la
communication. La psychologie, par exemple, explique les processus cognitifs par lesquels
les individus parviennent à créer des messages (Berger, 1997). Toutefois, une perspective
communicationnelle renverse l’explication : la communication, dans une perspective
communicationnelle, n’est pas un phénomène secondaire pouvant être expliqué par un
facteur psychologique, sociologique, culturel ou économique ; plutôt, la communication
même est le processus social primaire constitutif qui explique ces autres facteurs. Les
théories à propos de la communication relevant d’autres perspectives disciplinaires ne sont
pas à proprement parler dans le champ de la théorie de la communication parce qu’elle ne
s’appuie pas sur une perspective communicationnelle. Toute théorie de la communication
authentique reconnaît le caractère constitutif de la communication (Sigman, 1995b) ;
elle reconnaît la communication même comme mode fondamental d’explication (Deetz,
1994)16.
Deetz souligne que les nouvelles disciplines (dans le sens de nouveaux modes
d’explication fondamentaux) « arise when existing modes of explanation fail to provide
compelling guidance for responses to a central set of new social issues (1994, p. 568) »17.
16. Les études en communication pourraient-elles même prétendre être la discipline fondamentale expliquant
toutes les autres disciplines dans la mesure où ces disciplines sont elles-mêmes des constructions sociales qui,
comme toute construction sociale, sont constituées symboliquement à travers la communication? Bien sûr, mais
seulement à la blague ! En pratique, n’importe quelle discipline peut se réclamer d’être la discipline sociale « fondamentale » en s’appuyant sur quelque argument tortueux selon lequel tous les processus sociaux deviendraient fondamentalement cognitif, économique, politique, culturel ou, en fait, pourquoi pas chimique ou subatomique? L’ironie
qui confère son humour à la blague est que chaque discipline occupe le centre exact de l’univers de son point de vue.
La communication ne fait pas exception à la règle, mais la communication comme métaperspective – une perspective sur les perspectives – peut nous aider à goûter l’ironie de notre situation.
17. [émergent lorsque les modes d’explication existant ne parviennent plus à offrir une orientation convaincante
pour répondre à un ensemble de nouvelles problématiques sociales]
La communication en tant que champ d’études | 9
De nos jours, les problématiques sociales centrales se rapportent à qui participe et de quelle
manière aux processus sociaux qui construisent les identités individuelles, l’ordre social
et les codes de communication. En opposition à la vision informationnelle traditionnelle
de la communication qui tient ces éléments pour acquis et les pose en tant que cadre fixe
devant exister pour que survienne la communication, Deetz adopte une « perspective
communicationnelle » émergente qui se centre sur « describing how the inner world, outer
world, social relations, and means of expression are reciprocally constituted with the
interactional process as its own best explanation (1994, p. 577) »18.
Il est particulièrement remarquable que les arguments proposés en appui à un modèle
constitutif de la communication ne soient souvent pas uniquement théoriques, comme
l’illustrent les passages de Deetz (1994) précédemment cités. On dira que la situation
sociale en constant changement au sein de laquelle la communication est théorisée appelle
de nouvelles manières de penser la communication. Le modèle constitutif est ainsi présenté
comme une réponse pratique aux problèmes sociaux contemporains tels ceux qui émergent
de l’érosion des fondations culturelles des institutions et idées traditionnelles, augmentant
ainsi la diversité culturelle et l’interdépendance de même que les demandes issues de toute
part pour la participation démocratique dans la construction de la réalité sociale. De la
même manière qu’un modèle de transmission peut être utilisé pour soutenir l’autorité des
experts techniques, un modèle constitutif peut, on l’espère, servir la cause de la liberté, de
la tolérance et de la démocratie19.
Bien que je sois fortement en accord avec ces arguments en faveur d’un modèle
constitutif de la communication, je préfère une interprétation pragmatique qui ne rejette
pas nécessairement les autres modèles, tel le modèle de transmission, à des fins pratiques.
Cela signifie que je considère le modèle constitutif comme un métamodèle qui ouvre
un espace conceptuel au sein duquel différents modèles théoriques peuvent interagir.
Logiquement, un modèle de premier ordre de la communication est une perspective sur
la communication qui met en lumière certains aspects du processus. Ainsi, par exemple,
un modèle de transmission représente la communication comme un processus au sein
duquel les messages circulent des sources vers des récepteurs. Un modèle de second
ordre, un métamodèle, est une perspective sur des modèles qui met en lumière certains de
leurs aspects. Un métamodèle constitutif de la communication représente les modèles de
communication comme différentes manières de constituer symboliquement les processus
de communication à des fins spécifiques. Je crois que de ne pas distinguer logiquement
entre les modèles de premier ordre et le modèle constitutif est une erreur de catégorie qui
produit au moins deux sortes de confusion.
D’une part, un paradoxe se cache dans l’opposition entre le modèle constitutif et le
modèle de transmission. Ainsi, affirmer que le modèle constitutif est le « véritable modèle
de communication » apparaît contradictoire, dans la mesure où le modèle constitutif nie
généralement que quelque concept ait une véritable essence, sauf lorsque constitué dans
le processus de communication. Malgré l’impression qui pourrait se dégager d’une lecture
superficielle de la documentation, la définition de la communication n’est pas un choix
binaire entre deux modèles en compétition — transmission vs constitutif — ce qui n’est
d’ailleurs pas du tout un choix, puisque le modèle de transmission tel qu’il est habituellement
présenté n’est guère plus qu’une esquisse représentant une vue simpliste. Un modèle de
18. [la description de la manière dont le monde intérieur et extérieur, les relations sociales et les moyens
d’expression sont réciproquement constitués par le processus interactionnel en tant que sa propre explication]
19. Voir en particulier Deetz (1994) ; voir aussi Carey (1989), Pearce (1989) et Shepherd (1993). L’idée que la
communication joue un rôle essentiel dans la formation de communauté démocratique a des racines philosophiques
dans le pragmatisme américain. Pour des formulations classiques de cette vision, voir Dewey (1916, 1927) et McKeon
(1957).
10 | R.T. Craig
RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
transmission, en tant que manière de concevoir symboliquement la communication à des
fins pragmatiques, est tout à fait cohérent avec le modèle constitutif. En d’autres termes,
le modèle constitutif ne nous dit pas ce qu’est véritablement la communication, mais il
implique plutôt que la communication peut être constituée symboliquement (dans et par la
communication, bien sûr) de plusieurs manières différentes, notamment comme processus
de transmission (pourquoi pas, si cela se révèle utile à quelque fin?)20. Les notions de
communication de type « transmission », quelle que soit leur faiblesse philosophique, sont
toujours culturellement répandues21. De plus, une réflexion critique peut nous amener à
conclure qu’il y a souvent des raisons valables d’utiliser un modèle de transmission : qu’il
peut être utile de distinguer sur le plan pragmatique entre les sources et les récepteurs de
la communication, de cartographier le flux de l’information à travers des systèmes ou de
considérer les messages comme des contenants de sens ou de concevoir la communication
comme un acte intentionnel exécuté afin d’atteindre un résultat anticipé. On peut, par
exemple, justifier des modèles de transmission sur la base de ce qu’ils permettent de
développer une certaine vigilance à l’égard de la diversité et à l’égard de la relativité des
perspectives ainsi que des dangers, toujours présents, de distorsion ou de quiproquo dans
la communication22.
Plus globalement d’autre part, le modèle constitutif, à moins qu’on ne le pose clairement
comme un métamodèle, peut amener à confondre la communication en tant que telle et la
communication telle que théorisée au sein de certaines traditions limitées et ainsi, en excluant
d’autres traditions pertinentes, limiter indûment le champ de la théorie de la communication.
Le modèle constitutif est peut-être plus aisément confondu avec ce que je définirai plus tard
dans ce texte comme une tradition socioculturelle de la théorie de la communication. Au
sein de cette tradition, la communication est théorisée en tant que processus qui produit
et reproduit — et ainsi constitue — l’ordre social. Confondre le métamodèle constitutif
avec le modèle socioculturel de premier ordre peut conduire à l’impression erronée que
les autres traditions de théorie de la communication, par exemple celles que j’appellerai
les traditions cybernétique et psychosociologique ne sont pas d’authentiques théories de
la communication parce qu’elle ne propose pas une perspective communicationnelle de
la réalité. Au contraire, je montrerai que ces autres traditions peuvent être reconstruites
d’après le métamodèle constitutif comme des types alternatifs d’explications de la
communication et pas uniquement des explications de la communication s’appuyant sur
des facteurs autres que communicationnels. Bref, au sein d’un métamodèle constitutif, il
existe plusieurs manières de théoriser ou constituer symboliquement la communication. La
théorie socioculturelle n’est qu’une de ces manières.
Le simple fait que la communication puisse être théorisée de différentes manières au
sein d’un métamodèle constitutif ne nous donne cependant aucune raison de le faire, non
plus que cela ne nous donne des bonnes raisons de croire qu’un champ théorique cohérent
de la communication découlerait d’une telle prolifération de théories. Cette ligne de pensée
« pragmatique » - plus il y a de théories, mieux c’est – nous ramène-t-elle dans le même
pétrin d’éclectisme stérile ou, au mieux, de fragmentation productive ? J’argumenterai
que la théorie de la communication dans toute son ouverture à la diversité peut être un
champ cohérent, et un champ utile, si nous la comprenons en quelque sorte comme un
20. Le paradoxe logique voulant que la communication n’existe qu’en tant qu’elle est constituée par la communication (mais alors, qu’est-ce qui constitue la communication qui constitue la communication?) a été exploré par la
tradition cybernétique en communication (par exemple, Bateson, 1972 ; Krippendorff, 1997 ; Luhmann, 1992). Ce
n’est que l’une des manifestations de la réflexivité paradoxale entre sens et contexte ou message et métamessage qui
caractérise toute communication.
21. Carey (1989), McKinzie (1994), Reddy (1979) et Taylor (1992) ont tous suggéré que la communication, dans les
cultures euro-américaines à tout le moins, est habituellement pensée en termes d’un processus de transmission.
22. Bien que les partisans d’un modèle constitutif ne rejettent pas toujours entièrement le modèle de transmission, ils vantent rarement ses vertus. Peters (1994) étant peut-être une exception à cet égard.
La communication en tant que champ d’études | 11
métadiscours, un discours sur le discours, dans le contexte d’une discipline pratique. Ceci
constitue le second principe pour la construction d’une matrice disciplinaire dialogiquedialectique.
Second principe : la théorie de la communication comme métadiscours
Ma lecture de Taylor (1992) a été l’inspiration ayant conduit à la rédaction du présent essai
sur la communication en tant que champ. Dans une critique de la théorie du langage depuis
Locke jusqu’à aujourd’hui, Taylor « represents the technical practice of theorizing language,
interpretation, communication, and understanding … as derived from … our ordinary,
everyday practices of talking about what we say and do with language (1992, p. 10) »23.
Selon Taylor, la théorie linguistique formelle peut être et, en fait, a été, dérivée de la
transformation de lieux communs du métadiscours pratique — telle la croyance commune
que les personnes comprennent leurs énoncés mutuels — en des axiomes théoriques ou en
des hypothèses empiriques. Chaque théorie du langage fonde sa plausibilité en faisant appel
de manière rhétorique à la validité tenue pour acquise de certains de ces lieux communs
métadiscursifs ou en remettant certains autres en question. Dans la mesure où chaque théorie
du langage remet en question des lieux communs métadiscursifs que d’autres tiennent pour
acquis, l’ensemble de la théorie du langage devient un métadiscours structuré comme un jeu
fermé autoréférentiel. Taylor (1992) suggère que la seule porte de sortie de ce jeu rhétorique
autonome de métadiscours intellectuel est de mettre de côté le pseudoproblème sur lequel
il est basé – celui d’expliquer comment la communication est possible — et, plutôt, de se
tourner vers l’étude empirique d’un métadiscours pratique — comment la communication
est réflexivement accomplie dans la pratique.
Le métadiscours pratique est intrinsèque à la pratique communicative. En d’autres
termes, la communication n’est pas uniquement quelque chose que nous faisons, mais
aussi une chose à laquelle nous nous référons réflexivement par des voies entremêlées à
nos pratiques. Par exemple, lorsque Anne dit à Richard : « tu ne peux vraisemblablement
pas savoir ce dont je parle », elle fait appel, par une remarque métadiscursive, à certaines
croyances communes relatives au sens et à la référence (telle la croyance que la véritable
compréhension ne peut venir que de l’expérience personnelle), cela probablement pour
saper une affirmation de Richard. Le discours pratique est riche de tels lieux communs
métadiscursifs, importants pour toutes sortes de fonctions pragmatiques de la vie
quotidienne.
La déconstruction de la théorie du langage à laquelle procède Taylor (1992) a inspiré
l’idée que toute théorie de la communication, et pas uniquement la théorie du langage, est
un type de métadiscours, une manière de parler à propos de la parole qui dérive beaucoup
de sa plausibilité et de son intérêt, en faisant appel de manière rhétorique aux lieux
communs de la pratique quotidienne du métadiscours. Les théories de communication
psychosociologiques des traits, par exemple, semblent plausibles parce qu’elles font appel à
la notion de sens commun voulant que les styles de communication des personnes reflètent
leurs personnalités. La théorie de l’appréhension à communiquer n’est ainsi qu’une version
plus sophistiquée du métadiscours quotidien à propos de la timidité : « elle avait peur de lui
parler, car elle est très timide ».
Ainsi, mon postulat de travail — en paraphrasant Taylor (1992) — est que la pratique
technique de la théorie de la communication dérive grandement de nos pratiques
23. [représente la pratique technique de la théorisation du langage, de l’interprétation, de la communication et de
la compréhension … comme dérivant de… nos manières quotidiennes et ordinaires de parler à propos de ce que nous
faisons avec le langage et de ce que nous en savons]
12 | R.T. Craig
RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
quotidiennes et ordinaires de parler à propos de la communication et mon analyse du
champ plus hétérogène et plus large de la communication suit l’analyse du langage plus
étroite et plus rigoureusement structurée de Taylor à certains égards. Il y a toutefois ici
une importante différence : là où Taylor (1992) représente la théorie du langage comme un
jeu fermé et autoréférentiel complètement séparé des fonctions pragmatiques qui animent
le métadiscours pratique, je perçois la théorie de la communication comme une pratique
sociale, un métadiscours théorique qui émerge du métadiscours pratique, qui en est une
extension et qui en même temps l’informe.
Dans cette vision, notre tâche n’est pas de déconstruire la théorie de la communication (à
quoi cela servirait-il? C’est déjà un fouillis). Plutôt, nous devons reconstruire la théorie de la
communication en tant que métadiscours théorique en dialogue avec le métadiscours pratique
de la vie quotidienne. Cette conception du métadiscours théorique embrasse les implications
et les engagements qui émergent d’un métamodèle constitutif de la communication. Elle
reconnaît la réflexivité de la théorie de la communication et notre obligation qui s’ensuit
en tant que théoriciens et théoriciennes de la communication de consacrer notre travail
théorique à la situation culturelle qui a donné naissance à notre discipline. En d’autres
termes, elle reconnaît le potentiel pour la théorie de la communication d’aider à cultiver la
communication en tant que pratique sociale et, pour la communication, de se développer
comme discipline pratique (Craig, 1999, 1995, 1996a, 1996b ; Craig et Tracy, 1995).
Dans une discipline pratique de la communication, la théorie doit fournir les ressources
conceptuelles pour réfléchir aux problèmes de communication. Ce qu’elle fait en théorisant
(reconstruction conceptuelle) les pratiques communicatives au sein d’idéalisations
normatives de la communication qui sont relativement abstraites et explicitement raisonnées
(Craig, 1996b ; Craig et Tracy, 1995). Évidemment, la communication peut être théorisée à
partir de différentes perspectives et ainsi le champ de la théorie de la communication devient
un forum au sein duquel il est possible de discuter des mérites relatifs de théories pratiques
alternatives. Cette discussion constitue ce que j’appelle le métadiscours théorique.
La communication a le potentiel d’être une discipline pratique d’abord parce que le mot
« communication » est déjà un concept riche de sens dans notre monde. Si nous sommes
dans une culture dans laquelle nous avons tendance à croire que tous les problèmes sont
fondamentalement des problèmes de communication (McKeon, 1957), dans laquelle nous
avons souvent l’impression qu’il nous faut nous « assoir et parler » afin de « régler nos
problèmes » dans nos relations (Katriel et Philipsen, 1981) et dans laquelle nous déclarons
rituellement que la communication est l’unique lien qui peut unir une société diversifiée
à travers le fossé qui nous sépare spatialement et culturellement (Carey, 1989), ainsi la
communication est déjà un thème largement discuté dans la société et tout le monde sait
déjà que la communication est importante et qu’elle vaut la peine d’être étudiée afin de
l’améliorer. De ce fait, la théorie de la communication peut être construite de manière
inductive à travers l’étude critique de la pratique quotidienne, en partie par la transcription
et la reconstruction théorique des « idéaux situés » nommés par les personnes mêmes dans
leur métadiscours quotidien. Cette façon critique-inductive de construire la théorie de la
communication a été explorée dans des travaux antérieurs sur la « théorie pratique ancrée »
(Craig et Tracy, 1995).
La communication a aussi le potentiel d’être une discipline pratique, en partie parce
qu’elle est déjà une catégorie théorique au sein de nombreuses disciplines desquelles
nous pouvons tirer une riche sélection de ressources conceptuelles pour la réflexion sur
la pratique de la communication. Ces traditions établies offrent des lexiques alternatifs
différents, qui peuvent être reconstruits de manière critique comme des voies alternatives
de conceptualisation de problèmes et de pratiques de communication. Cet héritage culturel
La communication en tant que champ d’études | 13
riche constitue ainsi un second point de départ pour la construction du champ de la
communication. La théorie de la communication peut être construite de manière déductive
— à partir de la théorie —, de même que de manière inductive à partir de la pratique. Dans
cet essai, nous explorons cette approche critique déductive de construction de la théorie de
la communication.
Bien que des idées théoriques sur la communication aient été développées dans
plusieurs disciplines ayant d’incommensurables programmes intellectuels, le fait que
chacune de ces idées soit potentiellement pertinente pour la pratique demeure un postulat
de travail raisonnable. On peut raisonnablement penser, quoique spéculativement, que la
communication a pu être théorisée dans toutes ces disciplines pendant le 20e siècle, en partie
justement parce que la communication est devenue une importante catégorie culturelle de
la pratique sociale. Ce postulat s’accorde avec l’idée de réflexivité, ou d’influence mutuelle,
entre la théorie de la communication et la pratique culturelle ainsi que l’ont suggéré Carey
(1989), Deetz (1994) et bien d’autres. Selon une perspective rhétorique, une discipline
universitaire peut se légitimer culturellement, entre autres, en établissant sa pertinence
sociale en montrant qu’elle a quelque chose d’intéressant à dire à propos de thèmes
culturellement saillants et à propos de problèmes pratiques, telle, dans notre culture, la
communication.
S’il est vrai que la théorisation de la communication largement répandue dans
plusieurs disciplines a émergé en partie d’un désir de pertinence pratique, alors l’héritage
multidisciplinaire de la théorie de la communication est fin prête pour une discipline
pratique au moins à certains égards. Mon objectif, dans la suite de cet essai, est de montrer
comment la pertinence pratique potentielle de toute théorie de la communication, quelle
que soit sa source disciplinaire, peut être exploitée pour construire un champ, un terrain
d’entente ou un espace (méta)discursif commun, au sein duquel toutes les théories de la
communication peuvent interagir entre elles de manière productive et, grâce au truchement
du métadiscours pratique, avec la pratique de la communication.
La manière dont je reconstruis les traditions théoriques de la communication pour
mettre en évidence leur pertinence pratique s’inspire librement de Taylor (1992). Je tiens
pour acquis que le métadiscours théorique (c’est-à-dire, la théorie de la communication) à
la fois dérive du métadiscours pratique (le discours de tous les jours de la communication)
et le théorise. Ce faisant, il (a) fait appel de manière rhétorique à certains lieux communs
métadiscursifs – ce qui fait qu’une théorie apparaît plausible et relevant du sens commun
d’un point de vue profane et (b) qui remet en question avec scepticisme d’autres lieux
communs – ce qui fait qu’une théorie a l’air intéressante, pénétrante ou peut-être absurde ou
insensée d’un point de vue profane. Cette combinaison de plausibilité et d’intérêt constitue
la présomption de pertinence pratique d’une théorie. Puisque différentes théories s’avèrent
pertinentes de manières significativement différentes, voire opposées, le métadiscours
théorique revient sur lui-même pour débattre des différences et ainsi se constituer comme
un champ dialogique-dialectique. Notre tâche actuelle est donc de démarrer ce processus
autoréflexif dans le champ de la théorie de la communication.
Une esquisse du champ : sept traditions
J’ai affirmé jusqu’à présent que la théorie de la communication n’était pas encore un champ
cohérent, mais qu’elle avait un potentiel pour devenir un champ dialogique-dialectique
s’appuyant sur deux principes : (a) un métamodèle constitutif de la communication et (b)
une conception de la théorie de la communication comme pratique métadiscursive au sein
d’une discipline pratique. Afin de voir jusqu’où une telle approche peut nous mener, je vais
art pratique du
discours.
exigences sociales
requérant la
délibération et le
jugement collectifs.
art, méthode,
communicateur,
audience, stratégie,
lieu commun, logique, émotion.
le pouvoir des
mots, la valeur d’un
jugement éclairé,
l’amélioration possible de la pratique
communicative.
les mots ne sont
pas des actions;
l’apparence n’est
pas la réalité, le
style n’est pas le
fond; une opinion
n’est pas la vérité.
Les problèmes de
communication sont
théorisés comme
Le lexique métadiscursif contient des mots
comme
La tradition est plausible lorsqu’elle fait appel
à des lieux communs
métadiscursifs tels
La tradition est intéressante lorsqu’elle remet
en question des lieux
communs tels
Rhétorique
La communication est
théorisée comme
la communication
est une habileté;
le mot n’est pas la
chose; les faits sont
objectifs et les valeurs
subjectives.
tous et toutes ont
besoin de contact
humain, devraient
traiter les autres
comme des personnes, respecter les
différences et rechercher des terrains
d’entente.
expérience, soi et
autre, dialogue,
authenticité, soutien,
ouverture.
absence de relations
humaines authentiques ou échec à les
maintenir.
expérience de l’altérité, dialogue.
Phénoménologie
les humains sont
différents des machines; les émotions
ne sont pas logiques;
la représentation
linéaire de cause
à effet.
l’identité de l’esprit
et du cerveau, la valeur de l’information
et de la logique, les
systèmes complexes
sont imprévisibles.
source, récepteur,
signal, information,
bruit, feedback,
redondance, réseau,
fonction.
bruit, surcharge,
défaillance ou bogue
dans un système.
traitement de
l’information.
Cybernétique
les humains sont
des êtres rationnels;
chacun connaît son
propre esprit et sait
ce qu’il voit
la communication
est le reflet de la
personnalité; les
croyances et les
émotions biaisent
les jugements; les
personnes en groupe
s’interinfluencent.
comportement,
variable, effet, personnalité, émotion,
perception, cognition,
attitude, interaction.
situations exigeant
la manipulation des
causes du comportement afin d’arriver
à des résultats
anticipés.
expression, interaction et influence.
Psychosociologie
Tableau 1 : Sept traditions de la communication
les mots ont des
sens précis et
expriment les
pensées; les codes et les médias
sont des canaux
de transmission
neutres.
signe, symbole,
icône, index,
signification,
référent, code,
langage, moyen,
(in)compréhension.
la compréhension requiert un
langage commun; l’omniprésent danger du
malentendu.
malentendus ou
fossés entre des
points de vue
subjectifs.
médiation
intersubjective
par les signes.
Sémiotique
l’action et la responsabilité individuelles; le caractère
absolu de l’identité
individuelle; le caractère naturel de
l’ordre social.
l’individu est un
produit de la société; toute société a
une culture propre;
les actions sociales
ont des effets non
intentionnels.
société, structure,
pratique, rituel,
règle, socialisation,
culture, identité,
coconstruction.
conflit, aliénation,
incompréhensions,
manques de coordination.
(re)production de
l’ordre social.
Socioculturelle
le caractère rationnel et naturel de
l’ordre social traditionnel; l’objectivité
de la science et de la
technologie.
l’autoperpétuation
du pouvoir et de la
richesse; les valeurs
de liberté, d’égalité
et de raison; la discussion amène la
prise de conscience,
l’éveil.
idéologie, dialectique, oppression,
éveil de la conscience, résistance,
émancipation.
idéologie hégémonique; déformation
systématique de la
communication.
réflexion discursive.
Critique
14 | R.T. Craig
RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
L’art de la rhétorique
ne s’apprend que
par la pratique; la
théorie n’est qu’une
distraction.
Tout usage des signes
est rhétorique.
L’authenticité est un
mythe dangereux; la
bonne communication doit être habile
et, donc, stratégique.
La raison pratique ne
peut (ou ne doit pas)
être réduite à des
calculs formels.
Les effets sont situés
et ne peuvent donc
être prédits avec
précision.
Les règles socioculturelles sont des
contextes et des
ressources pour le
discours rhétorique.
La raison pratique
repose sur des situations spécifiques et
non sur des principes
universels.
Contre
la
sémiotique
Contre
la phénoménologie
Contre
la
cybernétique
Contre
la
psychosociologie
Contre
la
théorie
culturelle
Contre
la
théorie
critique
Rhétorique
Contre
la rhétorique
La critique est
immanente à
toute rencontre
authentique avec la
tradition.
La vie sociale a un
fondement phénoménologique.
La dichotomie
« sujet / objet » de
la psychosociologie
doit être transcendée.
Le fonctionnalisme échoue à
expliquer le sens tel
qu’il prend forme
dans l’expérience
consciente.
L’expérience de
l’autre n’est pas ressentie directement,
mais seulement
comme constituée
dans la conscience
d’égo.
Les distinctions
entre langage et
parole, signifiant et
signifié sont erronées. L’inscription
langagière 1* constitue le monde.
La communication
stratégique est
intrinsèquement
inauthentique et
souvent contre-productive.
Phénoménologie
Les modèles systémiques
d’auto-organisation
rendent compte du conflit
social et du changement.
L’organisation fonctionnelle de n’importe quel
système social peut être
formellement modélisée.
La communication
implique une causalité
circulaire et non linéaire.
L’observateur doit être
inclut dans le système,
ce qui le rend ainsi indéterminé.
« L’expérience » phénoménologique est un
traitement de l’information qui se produit dans le
cerveau.
La « signification » est
composée de relations
fonctionnelles au sein de
systèmes d’information
dynamiques.
L’intervention dans des
systèmes complexes
implique des problèmes
techniques que la rhétorique ne parvient pas à
appréhender.
Cybernétique
La théorie critique
confond les faits et les
valeurs et impose une
idéologie dogmatique.
La théorie socioculturelle est vague et instable et elle ignore les
processus psychologiques qui sous-tendent
tout ordre social.
Les théories psychosociologiques ont une
capacité prédictive
limitée, même en laboratoire.
La cybernétique est
trop rationaliste, par
exemple, elle sousestime le rôle des
émotions.
L’introspection phénoménologique suppose à
tort une conscience de
ses propres processus
cognitifs.
La sémiotique échoue
à expliquer les facteurs
qui influencent la production et l’interprétation des messages.
La rhétorique manque
de preuves empiriques
de qualité montrant
que ces techniques persuasives fonctionnent
effectivement.
Psychosociologie
Tableau 2 : Topoïs pour l’argumentation entre les traditions
Il n’existe rien hors
du texte.
Les règles socioculturelles sont
toutes des systèmes de signes.
Les « effets » psychosociologiques
sont des propriétés
internes aux systèmes de signes.
Les explications
fonctionnalistes
négligent les subtilités des systèmes
de signes.
Le soi et l’autre
sont des sujets
déterminés
sémiotiquement
et n’existent qu’en
tant que signes ou
dans les signes.
Le langage est
une fiction; la
signification et l’intersubjectivité sont
indéterminées.
Nous n’utilisons
pas les signes, ce
sont les signes qui
nous utilisent.
Sémiotique
La théorie critique
impose un cadre interprétatif et ne prend pas
en compte les significations locales.
L’ordre socioculturel
est spécifique et négocié
localement, mais la
théorie doit être abstraite et générale.
Les « lois » psychosociologiques sont liées à
la culture et biaisées par
l’individualisme.
Les modèles cybernétiques ne parviennent pas
à expliquer le sens qui
émerge des interactions
sociales.
L’intersubjectivité
est produite par des
processus sociaux que
la phénoménologie
ne parvient pas à
expliquer.
Les systèmes de signes
ne sont pas autonomes,
ils n’existent que dans
les pratiques partagées
des communautés
réelles.
La théorie rhétorique
est tributaire de la
culture et accorde trop
d’importance à l’action
individuelle par rapport
à la structure sociale.
Socio-culturel
La théorie critique est
élitiste et sans véritable influence sur le
changement social.
La théorie socioculturelle privilégie le
consensus plutôt
que le conflit et le
changement.
La psychosociologie
reflète les idéologies
de l’individualisme
et de l’instrumentalisme.
La cybernétique
reflète la domination
de la raison instrumentale.
La conscience individuelle est constituée
socialement et, donc,
idéologiquement
biaisée.
La signification n’est
pas fixée par un code,
elle est le lieu du
conflit social.
La rhétorique
reflète les idéologies
traditionalistes,
instrumentalistes et
individualistes.
Critique
La communication en tant que champ d’études | 15
16 | R.T. Craig
RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
esquisser sept traditions de la théorie de la communication reconstruites et organisées en
une matrice qui met en évidence des complémentarités et des tensions ayant une pertinence
pratique.
Les tableaux 1 et 2 résument les sept points de vue traditionnels qui sont présentés dans
les pages suivantes. Dans le premier tableau, chaque tradition est identifiée par la définition
de la communication qui la caractérise, par les définitions de problèmes de communication
qui lui sont associées, par son lexique métadiscursif, par les lieux communs tenus pour
acquis qui rendent plausible la tradition et par les lieux communs que la tradition remet en
question ou réinterprète de manière intéressante.
Le tableau 2 poursuit l’analyse en suggérant des topoïs (c’est-à-dire des arguments
habituels ou lieux communs dialectiques) pour l’argumentation entre les traditions. L’objectif
de ce tableau est d’identifier des objections critiques que chaque tradition soulève envers les
manières typiques d’analyser les pratiques de communication des autres traditions24.
Les traditions sont discutées sommairement dans les sections suivantes. Les discussions
suivent et complètent les tableaux, mais sans commenter en détail chacune des cellules.
Lorsque cela est nécessaire, je fais référence à divers textes récents sur la théorie de la
communication pour illustrer les traditions, y compris des amalgames de différentes
traditions. Sans nul doute, il s’agit là de constructions instrumentales plutôt que de
catégories fondamentales, mais elles représentent des communautés de savoir identifiables.
Bien que j’aie tenté d’être inclusif dans la sélection et la définition des traditions, j’ai pris
des décisions qui sans nul doute reflètent mes propres idées préconçues et limitations
intellectuelles. J’invite d’autres spécialistes à les mettre en lumière.
Le contenu des sept traditions, je l’espère, rejoindra les lecteurs et lectrices qui sont
relativement bien au fait de la grande diversité de la théorie de la communication. À
titre d’exemple, plusieurs de ces traditions rejoignent certains chapitres de l’influent
livre de Littlejohn (1996b). Toutefois, malgré la familiarité des contenus (il s’agit, après
tout, de traditions de la théorie de la communication), la structure de la matrice se
distingue radicalement de la manière conventionnelle de diviser le champ. Les théories
de la communication ont été traditionnellement organisées en fonction de leur origine
disciplinaire (par exemple, psychologie, sociologie, rhétorique), de leur niveau d’organisation
(par exemple, interpersonnel, organisationnel, masse), de leur type d’explication (par
exemple, trait, cognition, systémique) ou de leur épistémologie sous-jacente (par exemple,
empiriste, interprétatif, critique). En contraste, le schème que je propose divise le champ en
fonction des conceptions sous-jacentes des pratiques de communication. L’un des effets de
ce changement de perspective est que les théories de la communication ne s’évitent plus en
étant chacune dans un paradigme ou à un niveau différent. De cette manière, les théories
de la communication ont soudainement une chose à propos de laquelle elles sont ou non en
accord et cette « chose », c’est la communication, pas l’épistémologie.
La tradition rhétorique : la communication comme un art pratique du
discours
Formally speaking, rhetoric is the collaborative art of addressing and guiding decision and
judgment-usually public judgment that cannot be decided by force or expertise. Rhetorical
24. L’autocritique réflexive de chacune des traditions envers elle-même se trouve dans les cellules en diagonale partant du coin supérieur gauche vers le coin inférieur droit du tableau 2. On peut les considérer comme
des fissures ou des points d’instabilité pour déconstruire la tradition, mais je préfère les penser comme des zones
d’autoquestionnement rendant possibles le dialogue et l’innovation.
La communication en tant que champ d’études | 17
inquiry, more commonly known as the study of public communication, is one of the few areas of
research that is still actively informed by its own traditions… 25 (Farrell, 1993, p. 1)
The primary source of ideas about communication prior to this century, dating back to ancient
times, was rhetoric.26 (Littlejohn, 1996a, p. 117).
Dans la tradition de la théorie rhétorique dont l’origine remonte aux anciens sophistes
grecs et qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui à travers une histoire longue et variée, la
communication a généralement été théorisée comme un art pratique du discours27. Cette
manière de théoriser la communication se révèle utile pour expliquer pourquoi notre
participation au discours, particulièrement au discours public, est importante et comment
elle advient. Elle affirme aussi la possibilité que la pratique de la communication puisse être
cultivée et améliorée par l’étude critique et l’éducation. Dans la tradition rhétorique, les
problèmes de communication sont conçus comme des exigences sociales qui peuvent être
résolues par l’usage astucieux du discours afin de convaincre des audiences (Bitzer, 1968).
La tradition rhétorique semble utile et plausible parce qu’elle fait appel à des croyances
communes à propos de la communication : nous savons tous que la rhétorique est une
puissante force dans la société. La plupart des personnes s’accordent pour dire qu’en matière
d’opinions, il est bien de connaître plusieurs aspects de la question avant de se faire son
propre jugement. En ce sens, la rhétorique apparaît fondamentalement utile et nécessaire,
même si elle est trop souvent mal faite, agaçante ou même sérieusement nuisible. De telles
raisons font qu’il est important pour nous de comprendre le fonctionnement de la rhétorique
et de développer nos habiletés en tant que consommateurs et consommatrices critiques et en
tant que producteurs et productrices de rhétorique. Nous sommes conscients que certaines
personnes sont de meilleures communicatrices que d’autres et que les meilleurs exemples
de rhétorique relèvent d’un grand art. Puisque nous savons que les personnes varient en
habiletés et en sagesse dans leurs communications et qu’à tout le moins les habiletés peuvent
être améliorées par l’enseignement et la pratique, il devient raisonnable de croire que les
personnes peuvent devenir de meilleures communicatrices en s’exerçant et en apprenant
des méthodes qui peuvent être créées ou découvertes par la recherche et enseignées de
manière systématique. De plus, une fois que nous avons compris que le plaidoyer public
n’est qu’un des nombreux territoires de la pratique communicative (telles la conversation
interpersonnelle, les nouvelles, la conception de CD-ROM), il devient évident que toute
communication peut être théorisée comme un art pratique et étudiée sensiblement de la
même manière que la rhétorique a été traditionnellement étudiée. C’est pourquoi il est
devenu de sens commun de penser la communication comme une discipline pratique.
Toutefois, si la tradition rhétorique semble plausible et utile parce qu’elle fait appel
à plusieurs croyances populaires sur la communication, elle est aussi intéressante parce
qu’elle remet en question d’autres croyances populaires et met en lumière certains des
paradoxes les plus profonds de la communication. Elle remet en question le lieu commun
voulant que les simples mots soient moins importants que les actions, que la véritable
connaissance soit plus qu’une simple question d’opinion et que le fait de dire la pure vérité
soit plus qu’une adaptation stratégique d’un message pour une audience. Pendant plus de
25. [Formellement, la rhétorique est l’art collaboratif d’aborder et de guider la décision et le jugement – généralement un jugement public qui ne peut être décidé par la force ou par l’expertise. L’enquête rhétorique, plus connue
sous le nom de l’étude de la communication publique, est l’un des rares domaines de recherche qui soit encore
activement nourri par ses propres traditions…]
26. [La source première d’idées sur la communication avant ce siècle, datant des temps anciens, est la rhétorique]
27. Arnold définit la rhétorique comme « (the) study and teaching of practical, usually persuasive communication » [l’étude et l’enseignement de la communication pratique, généralement persuasive] et il souligne l’hypothèse
sous-jacente « that the influence and significance of communication depend on the methods chosen in conceiving, composing, and presenting messages » (1989, p. 461). [que l’influence et la signification de la communication
dépendent des méthodes choisies pour concevoir, composer et présenter les messages].
18 | R.T. Craig
RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
2000 ans, les théoriciens et théoriciennes de la rhétorique ont discuté de la place relative
des émotions et de la logique dans la persuasion ; ils se sont demandé si la rhétorique
était fondamentalement bonne, mauvaise ou neutre, si elle possédait son propre objet et
si la théorie était d’une quelconque utilité dans l’amélioration de la pratique. Il s’agit de
questions intéressantes – ou qui peuvent le devenir par l’intermédiaire d’un enseignant
adroit –, d’une part parce qu’elles sont intellectuellement très troublantes et, d’autre part,
parce qu’elles peuvent être liées à de véritables problèmes auxquels nous sommes confrontés
dans nos vies quotidiennes. Par exemple, nous devrions vraiment réfléchir à la manière
dont nous sommes infléchis par les appels émotifs qui envahissent la publicité commerciale
ou politique et, à cet égard, la théorie rhétorique offre un lexique utile pour conceptualiser
et discuter de cette expérience commune.
La tradition sémiotique : la communication comme médiation intersubjective
par les signes
[S]emiotics has paid a great deal of attention to how people convey meanings and thus has
developed a vocabulary we can borrow for our own uses.28 (Leeds-Hurwitz, 1993, p. xv).
Miscommunication . . . is the scandal that motivates the concept of communication.29 (Peters,
1989, p. 397)
Tout comme la rhétorique, la sémiotique — l’étude des signes — a des racines anciennes
(Manetti, 1993), mais on peut penser que la sémiotique, en tant que tradition distincte de
la théorie de la communication, a son origine dans la théorie du langage de John Locke (le
très négligé Livre III)30. Cette tradition s’est construite à travers Peirce et Saussure, dont les
travaux majeurs ont fondé deux disciplines très différentes de la sémiotique, et se poursuit
jusqu’aux théories du langage, du discours, de l’interprétation, de la communication non
verbale, de la culture et des médias. Dans la tradition sémiotique, la communication est
généralement théorisée comme une médiation intersubjective par les signes. Théorisée de
cette manière, la communication explique et exploite l’utilisation du langage et d’autres
systèmes de signes comme médiation entre différentes perspectives. Les problèmes de
communication dans la tradition sémiotique sont d’abord des problèmes de (re)présentation
et de transmission de significations, de fossés entre des subjectivités qui peuvent être
comblés, même imparfaitement, par l’usage de systèmes partagés de signes.
Locke (1690/1979) affirme que nous ne pouvons pas tenir pour acquis que les personnes
se comprennent mutuellement. Taylor (1992), comme je l’ai mentionné plus tôt, montre
comment toutes les théories du langage depuis Locke peuvent être construites comme
une série de réponses à la remise en question par Locke de la croyance populaire de la
compréhension intersubjective. La théorie sémiotique aujourd’hui affirme généralement
que les signes construisent leurs usages (ou « positions-sujet »), que les significations sont
publiques et ultimement indéterminées, que la compréhension est un geste pratique plutôt
qu’un état psychologique intersubjectif et que les codes et les médias de communication ne
sont pas des structures neutres ou des canaux pour la transmission des significations, mais
qu’ils ont leurs propres propriétés signifiantes (le code façonne le contenu, et le médium
lui-même devient un message, voire le message [McLuhan, 1964]).
La théorie sémiotique de la communication semble plausible et pratique lorsqu’elle fait
appel aux croyances populaires que la communication est plus facile lorsque nous partageons
un même langage, que les mots peuvent signifier des choses différentes selon les personnes,
28. [La sémiotique s’est beaucoup attardée à la manière dont les personnes transmettent le sens et a ainsi développé un lexique que nous pouvons emprunter pour notre propre usage]
29. [Le malentendu… est le scandale qui motive le concept de communication]
30. Le texte classique est Locke (1690/1979) ; voir Peters (1989), Steiner (1989) et Taylor (1992).
La communication en tant que champ d’études | 19
que les malentendus nous guettent toujours, que les significations sont souvent transmises
indirectement ou par de subtils aspects du comportement susceptibles de nous échapper
et que certaines idées sont plus faciles à exprimer avec certains médias (une image vaut
mille mots, le courriel ne devrait pas être utilisé pour des négociations d’affaires délicates).
Par ailleurs, la sémiotique peut sembler intéressante, stimulante ou même absurde ou peu
plausible aux profanes lorsqu’elle remet en question d’autres croyances populaires telles
que les idées existent dans l’esprit des personnes, que les mots ont une signification exacte,
que la signification peut être rendue explicite, que la communication est un acte volontaire
et que nous utilisons les signes et les médias comme des outils pour représenter et partager
nos pensées.
En tant que traditions différentes dans le champ de la théorie de la communication, la
rhétorique et la sémiotique sont étroitement apparentées à certains égards et il n’est pas
rare de rencontrer des hybrides de ces deux traditions (par exemple, Burke, 1966 ; Kaufer et
Carley, 1993). La rhétorique peut être considérée comme une branche de la sémiotique qui
étudie les structures du langage et de l’argumentation qui médiatise le lien entre l’audience
et les communicateurs. Pour sa part, la sémiotique pourrait aussi être considérée comme une
théorie particulière de la rhétorique qui étudie les ressources disponibles pour transmettre
les significations dans les messages rhétoriques.
La sémiotique et la rhétorique ont aussi des différences marquées qui ont d’importantes
implications pratiques. Peters souligne que « Locke understood communication not as
a kind of speech, rhetoric, or discourse, but an alternative to them (1989, p. 394) »31.
Dans la pensée moderne, la rhétorique s’est souvent vu attribuer le rôle d’ennemie
de la communication. Pour les modernistes, la communication est liée à la raison, la
vérité, la clarté et la compréhension, alors que la rhétorique concerne essentiellement le
traditionalisme, l’artifice, la confusion et la manipulation. La communication témoigne de la
nouvelle voie de la science et de l’illumination ; la rhétorique, la voie ancienne obscurantiste
et réactionnaire. Bien sûr, dans la pensée postmoderne, tout ceci a été renversé. Pour les
sémioticiens et sémioticiennes poststructuralistes, toute communication est rhétorique
si nous entendons par rhétorique l’utilisation du langage pour lequel la raison, la vérité,
la clarté et la compréhension ne peuvent être considérées comme des critères normatifs.
Toutefois, dans la tradition rhétorique de la théorie de la communication, la rhétorique a
un sens différent et possiblement plus utile, comme nous l’avons vu plus tôt. Dans cette
tradition, la rhétorique signifie une communication conçue pour rejoindre une audience
et éclairer leur jugement sur des objets d’opinion et de décision d’importance. En somme,
le débat théorique entre la rhétorique et la sémiotique a une importance pratique parce
qu’ultimement il concerne la base normative de notre usage quotidien, dans le métadiscours
pratique, de concepts comme le jugement, la signification et la vérité.
La tradition phénoménologique : la communication comme expérience de
l’altérité
Phenomenological understanding of dialogue is not a theory imposed from above by some
autocratic reason, but rather it is an exposition of the communicative process as it takes place in
experience.32 (Pilotta et Mickunas, 1990, p. 81)
31. [Locke comprenait la communication non comme une sorte de langage, de rhétorique ou de discours, mais
comme une alternative à ceux-ci]
32. [La compréhension phénoménologique du dialogue n’est pas une théorie imposée d’en haut par une
quelconque raison autocratique, il s’agit plutôt de l’exposition du processus communicatif tel qu’il s’inscrit dans
l’expérience]
20 | R.T. Craig
RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
Communication thus implies noncomprehension, for I am most firmly placed in a situation
of communication with the other when I recognize that someone has come to me but do not
understand why and do not quite understand what he, she, or it says.33 (Chang, 1996, p. 225).
Dans la tradition phénoménologique qui part de Husserl en passant par les phénoménologues
existentiels et herméneutiques, et qui inclut des penseurs aussi différents que Martin Buber,
Hans-Georg Gadamer et Carl Rogers, la communication est théorisée comme dialogue
ou comme expérience de l’altérité. Ainsi théorisée, la communication explique le jeu de
l’identité et de la différence dans les relations humaines authentiques et nourrit les pratiques
de communication qui rendent possibles et maintiennent des relations authentiques.
La communication authentique, ou le dialogue, s’appuie sur l’expérience du contact
direct et non médiatisé avec les autres. La compréhension communicationnelle commence
dans l’expérience préréflexive émergeant de notre existence corporelle dans un monde
partagé. Selon les phénoménologues, lorsque nous laissons de côté le dualisme entre le
corps et l’esprit, le sujet et l’objet, nous sommes à même de voir que le contact avec les
autres, direct et non médiatisé, est une expérience véritable, totalement et nécessairement
humaine, bien qu’il puisse s’agir d’une expérience fugace qui s’avilit en quelque forme
d’inauthenticité. À titre d’exemple, si je ressens un regard froid ou colérique d’une autre
personne, je fais d’abord l’expérience de l’expression directe de la froideur ou de la colère
de l’autre, et non celle d’un signe extérieur d’un état mental interne de l’autre, susceptible
d’être interprété de manière différente (voir Pilotta et Mickunas, 1990, p. 111-114). Dans
cette expérience de l’expression de l’autre à mon égard, je fais l’expérience directe de notre
communauté et de notre différence, non seulement de l’autre comme autre, mais de moi
comme autre de l’autre.
Ainsi, la phénoménologie remet en question la notion sémiotique voulant que la
compréhension intersubjective ne puisse être médiatisée que par les signes (Stewart,
1995, 1996), de même que la notion rhétorique que la communication implique un usage
astucieux ou stratégique des signes. Bien que « dialogue does not just happen »34 (sauf
comme expérience fugace), il ne peut pas non plus être « planned, pronounced, or willed
(Anderson, Cissna et Arnett, 1994, p. xxi) »35. Mon expérience de la colère de l’autre
peut être maintenue dans un dialogue qui approfondit notre compréhension mutuelle,
mais aucun effort conscient de ma part ne peut garantir un tel résultat heureux à une
expérience qui, dans le cours normal des choses, est plus susceptible de nous aliéner. Un
autre paradoxe de la communication que la phénoménologie met en lumière veut que la
recherche consciente d’un but, quelle que soit la bienveillance de notre intention, détruit
le dialogue en mettant le but et les stratégies comme barrières à l’expérience directe de soi
et de l’autre. Ainsi, les problèmes de communication tels qu’ils sont conçus au sein de la
tradition phénoménologique de la théorie de la communication émergent de la nécessité
et de la difficulté inhérente — voire de l’impossibilité pratique — d’une communication
authentique soutenue entre des personnes.
Malgré le langage ésotérique dans lequel elle est souvent formulée, la tradition
phénoménologique peut être rendue plausible au profane en faisant rhétoriquement appel
aux croyances populaires voulant que nous pouvons et devons nous traiter les uns les autres
comme des personnes (Je-Tu) et non comme des objets (Je-Ça) et qu’il est important
de reconnaître et de respecter les différences, d’apprendre des autres, de rechercher
un terrain commun et d’éviter la polarisation et la malhonnêteté stratégique dans les
33. [Ainsi, la communication implique l’incompréhension, car je suis véritablement dans une situation de communication avec l’autre lorsque je reconnais que quelqu’un est venu vers moi, mais je ne comprends pas pourquoi et
je ne comprends pas non plus tout à fait ce qu’il ou qu’elle dit]
34. [le dialogue ne fait pas que survenir]
35. [planifié, déclaré ou forcé]
La communication en tant que champ d’études | 21
relations humaines. Nous avons tous déjà fait l’expérience de rencontres avec d’autres au
cours desquelles nous avons eu l’impression d’une compréhension immédiate au-delà des
mots. Nous savons tous, ainsi que l’affirment plusieurs phénoménologues, que l’honnêteté
est la meilleure politique, que des relations soutenantes sont essentielles à notre sain
développement comme êtres humains et que les relations humaines les plus satisfaisantes
se caractérisent par la réciprocité et l’absence de domination.
Cependant, la phénoménologie n’est pas uniquement plausible, elle est aussi intéressante
d’un point de vue pratique parce qu’elle défend le dialogue comme une forme idéale de
communication, tout en démontrant la difficulté inhérente à maintenir un tel dialogue. Elle
remet en question notre foi de sens commun en la fiabilité des techniques pour parvenir à
une bonne communication. Elle problématise des distinctions de sens commun telles celles
entre le corps et l’esprit, les faits et les valeurs, les mots et les choses.
La phénoménologie partage avec la théorie rhétorique un désir de trouver un terrain
commun entre les personnes ayant des points de vue différents et partage avec la sémiotique le
postulat voulant que ce qui est fondamentalement problématique en communication a à voir
avec la compréhension intersubjective. Toutefois, la phénoménologie diffère radicalement
de la rhétorique en regard de l’authenticité versus l’artifice, et tout aussi radicalement de
la sémiotique en ce qui concerne la relation entre le langage et la signification. Du point de
vue de la rhétorique, la phénoménologie peut sembler désespérément naïve ou inutilement
idéaliste dans son approche des dilemmes pratiques auxquels sont confrontés les personnes,
tandis que du point de vue de la phénoménologie, la rhétorique peut sembler exagérément
cynique ou pessimiste quant au potentiel pour d’authentiques contacts humains. Lorsque la
rhétorique et la phénoménologie sont combinées, le résultat est généralement une rhétorique
antirhétorique dans laquelle la persuasion et l’action stratégique sont remplacées par le
dialogue et l’ouverture à l’autre (par exemple, Brent, 1996 ; Foss et Griffin, 1995 ; Freeman,
Littlejohn et Pearce, 1992) ou alors une rhétorique herméneutique dans laquelle les rôles
de la théorie et de la méthode dans la pratique communicative sont minimisés (Gadamer,
1981 ; Leff, 1996).
En regard de la sémiotique, ainsi que l’a montré Stewart (1995, 1996), la tradition
phénoménologique, avec sa doctrine de la communication comme contact direct, remet
fondamentalement en question la distinction entre les mots et les choses de même que le
postulat que la communication ne peut se produire qu’à travers la médiation des signes. Ainsi,
le mélange de la sémiotique et de la phénoménologie peut produire un composé théorique
déconstructivement explosif, sinon d’une densité impénétrable (par exemple, Chang, 1996 ;
Lanigan, 1992). En réponse à ce défi poststructuraliste, le sémioticien traditionnel soutient
que les signes doivent avoir des significations stables afin que la communication puisse
advenir dans la pratique (Ellis, 1991, 1995), tandis que le phénoménologue traditionnel
réaffirme que l’usage communicationnel du langage est une forme de contact direct et non
médiatisé entre les personnes (Stewart, 1995).
Les enjeux pragmatiques dans ce débat entre sémiotique et phénoménologie sont
indirectement illustrés par Peters (1994). On affirme généralement que l’interaction
interpersonnelle est la forme de base de la communication humaine et que la communication
de masse ou médiatisée par la technologie n’est qu’un pauvre substitut pour le contact humain
direct. Peters (1994), qui ailleurs a sévèrement critiqué la sémiotique lockienne (Peters,
1989), s’appuie ici sur le postulat sémiotique d’un fossé inhérent entre la transmission et
la réception des messages afin de soutenir que la communication de masse est en fait plus
fondamental que l’interpersonnelle. « No distance »36, affirme-t-il, « is so great as that
36. [aucune distance]
22 | R.T. Craig
RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
between two minds »37, et « Dialogue conceals general features of discourse that are more
evident in texts, especially the fact of distanciation (p. 130) »38. À terme, toutefois, Peters
reconnaît que tant le dialogue que la communication médiatisée sont importants, mais
difficiles à combiner à cause d’une « enduring tension between specific and general modes of
address (p. 136) »39. Seul le dialogue comble les besoins humains de base « companionship,
friendship and love »40, mais la communication représente un « equally noble impulse »41
à l’égard d’une universalité normative qui entre souvent en conflit avec les demandes de
l’intimité (p. 136). « The distinction, then, between interpersonal and mass communication
has hidden utopian energies »42 et éclaire potentiellement « our plight as creatures who
belong both to a family and to a polis (p. 137) »43.
La tradition cybernétique : la communication comme traitement de
l’information
We have decided to call the entire field of control and communication theory, whether in the
machine or in the animal, by the name of Cybernetics.44 (Wiener, 1948, p. 19)
Modern communication theory arose out of the cybernetic marriage of statistics and control
theory.45 (Krippendorff, 1989, p. 444)
Communication theory, the study and statement of the principles and methods by which
information is conveyed. . . .46 (Oxford English Dictionary, 1987)
Communication theory. See INFORMATION THEORY.47 (Audi, 1995)
La théorie moderne de la communication a son origine dans la tradition cybernétique et dans
les travaux de penseurs de la moitié du 20e siècle tels Shannon, Wiener, von Neumann et
Turing (Heims, 1991 ; Krippendorff, 1989). Cette tradition cybernétique s’étend aux théories
actuelles dans des domaines aussi divers que les sciences des systèmes et de l’information,
les sciences de la cognition et de l’intelligence artificielle, la théorie sociale fonctionnaliste,
l’analyse des réseaux et l’école batesonnienne de la communication interpersonnelle
(par exemple, Watzlawick, Beavin et Jackson, 1967). Dans la tradition cybernétique,
la communication est théorisée comme traitement de l’information. La cybernétique
explique comment tous les types de systèmes complexes, vivants ou non, macro ou micro,
peuvent fonctionner et pourquoi, souvent, ils fonctionnent mal. Incarnant le modèle de
la transmission, la cybernétique conçoit les problèmes de communication comme des
bris dans la circulation de l’information résultant en bruits, surcharges d’information ou
incohérences entre structure et fonction. Comme ressources pour résoudre les problèmes de
communication, la cybernétique offre diverses technologies de traitement de l’information,
des méthodes de design, d’analyse et de gestion des systèmes et, sur un plan plus « soft »,
des interventions thérapeutiques.
37. [est si grande que celle entre deux esprits]
38. [Le dialogue dissimule les traits du discours qui sont plus évidents dans les textes, particulièrement la réalité
de la distanciation]
39. [tension persistante entre les modes spécifique et général de conversation]
40. [camaraderie, amitié et amour]
41. [besoin tout aussi noble]
42. [Ainsi, la distinction entre la communication interpersonnelle et la communication de masse cache des énergies utopiques]
43. [notre difficile situation en tant que créatures qui appartiennent tant à une famille qu’à une polis]
44. [Nous avons choisi d’appeler « Cybernétique » tout le champ du contrôle et de la théorie de la communication,
que cela concerne la machine ou l’animal.]
45. [La théorie moderne de la communication a émergé du mariage cybernétique entre les statistiques et la théorie
du contrôle.]
46. [La théorie de la communication : l’étude et la formulation des principes et des méthodes par lesquels
l’information est transmise.]
47. [Théorie de la communication. Voir THÉORIE DE L’INFORMATION]
La communication en tant que champ d’études | 23
La plausibilité de la cybernétique comme théorisation de la communication réside
en partie dans son appel rhétorique aux postulats de sens commun du matérialisme, du
fonctionnalisme et du rationalisme quotidien. Pour la cybernétique, la distinction entre
l’esprit et la matière n’est qu’une distinction fonctionnelle semblable à celle qui existe
entre logiciel et matériel. La pensée n’est rien d’autre que du traitement de l’information
et, ainsi, il est tout à fait logique de dire que la pensée individuelle est de la communication
« intrapersonnelle » et que les groupes et les organisations pensent aussi, la société pense,
les robots et les organismes artificiels penseront un jour ou l’autre48. Ainsi, la cybernétique
évoque la possibilité d’un monde dans lequel le commandant Data de l’équipage de
l’Enterprise sera véritablement le plus « humain » de tous les membres : dire autrement
n’est que bête sentimentalité (une critique à double tranchant ici). La cybernétique est alors
aussi intéressante et parfois peu plausible d’un point de vue de sens commun, parce qu’elle
signale des analogies entre les systèmes vivants et non vivants, qu’elle conteste les croyances
populaires relatives à la conscience et aux émotions et remet en question la distinction
habituelle entre l’esprit et la matière, la forme et le contenu, le réel et l’artificiel.
La cybernétique remet aussi en question les notions simplistes de cause et d’effet
linéaire en faisant appel à notre compréhension de sens commun voulant que les processus
de communication puissent être largement complexes et subtils. Bien qu’ancrée dans la
pensée fonctionnaliste technologique, la cybernétique met en évidence les problèmes de
contrôle technologique, la complexité perverse et l’imprévisibilité des processus de feedback
et l’omniprésente probabilité que les actes communicationnels auront des conséquences
non intentionnelles, malgré nos meilleures intentions. L’une des grandes leçons pratiques
de la cybernétique est que le tout est plus grand que la somme des parties et qu’ainsi, il est
important pour nous, communicateurs et communicatrices, de transcender nos perspectives
individuelles, de voir le processus de communication d’un point de vue systémique plus
large et de ne pas tenir les individus responsables des conséquences systémiques qu’aucun
individu ne peut contrôler.
Dans sa valorisation de la technique et de l’artifice, la cybernétique a des points
communs avec la rhétorique49 ; elle rejoint la sémiotique50 dans sa manière de subsumer
l’action humaine à des systèmes sous-jacents ou globaux de traitement des symboles ; en
mettant l’accent sur l’émergence de la signification dans l’interaction entre les éléments
d’un système, elle ressemble à la phénoménologie51. Toutefois, la cybernétique a aussi des
différences marquées avec chacune de ces traditions. La communication comme rhétorique
est un discours astucieux qui éclaire le jugement pratique, mais la communication comme
traitement de l’information n’est rien d’autre qu’un mécanisme accomplissant certaines
fonctions. La sémiotique est mal à l’aise avec la notion cybernétique d’information qui réduit
le contenu sémantique (ce que signifie un message) à une simple fonction (tel le feedback
ou la réduction de l’incertitude). Pour le phénoménologue, la communication authentique a
besoin de congruence entre l’expérience et l’expression, rendant ainsi la sincérité essentielle
dans la relation Je-Tu du dialogue. Le cybernéticien, comme le sémioticien, souligne
toutefois que nous ne pouvons jamais réellement savoir si l’autre (ou soi-même) est sincère.
D’un point de vue cybernétique, il existe sans doute d’autres manières d’évaluer la fiabilité
de l’information, que de chercher à savoir si l’autre est sincère.
48. Pour des affirmations classiques de cette vision fonctionnaliste de l’esprit, voir Bateson (1972) et Dennett
(1979).
49. Kaufer et Butler (1996) peuvent être considérés comme hybrides de la rhétorique et de la cybernétique.
50. Pour différents amalgames des deux traditions, voir Cherry (1966), Eco (1976) et Wilden (1972).
51. Les travaux récents de Krippendorff (1993) représentent un mouvement de la cybernétique vers la phénoménologie, qui conserve des traces importantes de la première. Plusieurs chapitres de l’anthologie de Steier (1991) sur
la réflexivité montrent des tendances similaires.
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RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
Ainsi, dans l’ensemble, et contrairement à d’autres traditions de la théorie de la
communication, la cybernétique nourrit une attitude pratique qui reconnaît la complexité
des problèmes de communication et qui remet en question plusieurs de nos présupposés
usuels en regard de la différence entre les systèmes de traitement de l’information humains
et non humains.
La tradition psychosociologique : la communication comme expression,
interaction et influence
[In the 1950] the study of communication found its greatest exemplars in the voting studies of
Lazarsfeld and Berelson and the experimental persuasion studies of Hovland. By the mid-1950s,
theoretically-focused communication study was concerned with issues of effects. This work
recreated the general mediational framework in social psychology that was already evident
in the 1930s… the mediating roles in communication of recipient predispositions and social
processes, and . . . the possibility of differential effects.52 (Delia, 1987, p. 63)
[T]he kinds of “why” questions communication scholars choose to answer may differ from those
that intrigue psychologists. . . . As communication theorists, we also need to understand when,
how, and why interaction alters sender behavior patterns and receiver judgments.53 (Burgoon
et Buller, 1996, p. 316-317)
La tradition du 20e siècle de la psychologie sociale expérimentale qui prédomine encore
beaucoup ce qu’on appelle la « science de la communication » (Berger et Chaffee, 1987)
théorise la communication comme un processus de l’expression, de l’interaction et
de l’influence ; un processus au sein duquel le comportement des humains et d’autres
organismes complexes est la manifestation des mécanismes psychologiques, des états et des
traits et qui, à travers l’interaction avec des manifestations semblables d’autres individus,
produit un ensemble d’effets cognitifs, émotifs et comportementaux.
En somme, la communication est le processus par lequel les individus interagissent
et s’interinfluencent. La communication peut se produire en situation de face-à-face ou
par l’intermédiaire de médias technologiques et peut circuler d’un à un, de un à plusieurs
ou de plusieurs à plusieurs. Dans tous les cas cependant (et en opposition avec la vision
phénoménologique), cela implique des éléments qui agissent comme médiateurs entre
les individus. Tandis que pour la sémiotique, la communication est médiatisée par des
signes et des systèmes de signes, pour la psychologie sociale, elle est médiatisée par des
prédispositions psychologiques (attitudes, états émotionnels, traits de personnalité, conflits
inconscients, cognitions sociales, etc.) modifiées par les effets émergents de l’interaction
sociale (ce qui peut inclure l’effet des technologies médiatiques et des institutions aussi bien
que l’influence interpersonnelle).
Ainsi théorisée, la communication explique les causes et les effets du comportement social
et nourrit les pratiques qui tentent d’exercer un contrôle volontaire sur ces causes et effets
comportementaux. Les problèmes de communication dans la tradition psychosociologique
sont ainsi pensés comme des situations qui font appel à la manipulation efficace des causes
du comportement afin de produire des résultats objectivement définis et mesurés.
52. [[Dans les années 1950] l’étude de la communication a connu ses meilleurs modèles dans les études sur le vote
de Larzarsfeld et Berelson et dans les études expérimentales de Hovland sur la persuasion. Dès le milieu des années
1950, l’étude théorique de la communication s’est intéressée aux problèmes des effets. Cet intérêt a recréé le cadre
général de la médiation en psychologie sociale, déjà présent dans les années 1930… le rôle de médiation dans la communication des prédispositions du récepteur et des processus sociaux et … la possibilité d’effets différentiels. ]
53. [Les types de « pourquoi » auxquels les spécialistes de la communication choisissent de répondre peuvent être
différents de ceux qui intéressent les psychologues. En tant que théoriciens de la communication, nous devons aussi
comprendre quand, comment et pourquoi l’interaction affecte les patterns comportementaux de l’émetteur et les
jugements du récepteur. ]
La communication en tant que champ d’études | 25
La psychologie sociale apparaît plausible et pratiquement utile parce qu’elle fait appel
à nos croyances populaires et à nos préoccupations pratiques quotidiennes à propos des
causes et des effets de la communication. Nous croyons aisément que nos manières de
communiquer et nos réactions aux communications des autres changent en fonction de
nos personnalités. La nature humaine étant ce qu’elle est, nous ne sommes pas surpris
d’apprendre que nos jugements peuvent être influencés par le contexte social immédiat et
qu’ils sont souvent biaisés de manière prévisible par nos croyances fortes, nos attitudes et
nos états émotifs. Nous savons aussi que les processus interactifs dans les groupes, tels ceux
impliquant le leadership ou les conflits, peuvent affecter les résultats du groupe. Il est donc
important de comprendre ces relations causales afin de gérer effectivement ces processus.
Tout en faisant appel à ces croyances populaires, la théorie psychosociologique remet
profondément en cause la prémisse, tout aussi de sens commun, que les humains sont des
êtres rationnels. Ses démonstrations récurrentes de la faiblesse et de l’irrationalité humaine
ébranlent notre foi en notre autonomie personnelle54. De surcroît, la psychologie sociale
regarde avec scepticisme toutes les suppositions non prouvées concernant les causes influant
le comportement humain. Elle demande – et tente de fournir – des preuves expérimentales
rigoureuses. La psychologie sociale critique la rhétorique pour, par exemple, l’absence
de preuve indiquant que ces techniques persuasives fonctionnent véritablement, et la
cybernétique parce qu’elle réduit toute la communication à des algorithmes de traitement de
l’information qui ignorent les caprices de la motivation, de la personnalité et des émotions.
La psychologie sociale, comme mode de pratique sociale, valorise la technique tout comme
la cybernétique ; elle soutient la promesse que nos vies peuvent être améliorées par la
mise en œuvre consciente par des experts de techniques de manipulation psychologique
et de thérapie. Ainsi, une théorie psychosociologique de la rhétorique aurait tendance à
voir la rhétorique plus comme une technique de manipulation psychologique qu’un art du
discours qui éclaire le jugement du récepteur. Toutefois, la psychologie sociale n’est pas
sans sa morale propre : elle suppose un fort impératif moral que, comme communicateur
ou communicatrice, nous devons faire des choix responsables s’appuyant sur des évidences
scientifiques relatives aux conséquences probables de nos messages.
La tradition socioculturelle : la communication comme (re)production de
l’ordre social
Communication is a symbolic process whereby reality is produced, maintained, repaired, and
transformed.55 (Carey, 1989, p. 23)
Wherever activities or artifacts have symbolic values that articulate individuals into positions
vis-à-vis each other or their collectivities, the communicative is present.56 (Rothenbuhler, 1993,
p. 162)
A communication practice-or discursive practice-is, then, an actual means of expression in a
community, given that community’s specific scenes and historical circumstances (in the broadest
sense).57 (Carbaugh, 1996, p. 14)
54. Ainsi que le souligne Herman, la montée de la psychologie en tant que point de vue culturel pendant le 20e
siècle a été partiellement alimentée par une série de guerres et d’autres événements terribles qui ont « called rationality and autonomy into question (1995, p. 7) » [remis en cause la rationalité et l’autonomie].
55. [La communication est un processus symbolique par lequel la réalité est produite, maintenue, réparée et
transformée.]
56. [Là où des activités ou des artefacts ont une valeur symbolique qui positionne les individus vis-à-vis l’un de
l’autre ou de leur collectivité, le communicatif est présent.]
57. [Une pratique de communication – ou pratique discursive – est, donc, un moyen concret d’expression dans
une communauté, étant donné les scènes spécifiques et les circonstances historiques (au sens large) de cette communauté.]
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RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
La théorie socioculturelle de la communication représente la « découverte » de la
communication, essentiellement depuis le 19e siècle et, entre autres, sous l’influence de la
pensée sémiotique au cœur des traditions intellectuelles de la sociologie et de l’anthropologie.
Dans ces traditions, la communication est généralement théorisée comme un processus
symbolique qui produit et reproduit des modèles culturels partagés. Ainsi conçue, la
communication explique comment l’ordre social (un phénomène de niveau macro) est créé,
réalisé, maintenu et transformé au sein des processus interactionnels de niveau micro. Nous
existons dans un environnement socioculturel qui est constitué et maintenu globalement
par des codes symboliques et des médias de communication58. Le mot « (re)production »
suggère la réflexivité paradoxale de ce processus. Nos interactions quotidiennes avec les
autres dépendent fortement de modèles culturels et de structures sociales préexistants et
partagés. De cet angle de vue, nos interactions quotidiennes reproduisent en grande partie
l’ordre socioculturel. Cela dit, l’interaction sociale est aussi un processus créatif qui permet
et même requiert une bonne part d’improvisation qui « produit », bien que collectivement
et à long terme, ce même ordre social qui rend les interactions possibles. Un des problèmes
centraux de la théorie socioculturelle est donc de trouver l’équilibre juste dans la vie sociale
entre production et reproduction, micro et macro, l’action59 et la structure, culture locale et
loi naturelle universelle. Un premier axe de débat se trouve entre les théories structurelles
qui donnent une priorité explicative aux modèles relativement stables de niveau macro et les
théories interprétatives ou interactionnistes qui donnent priorité aux processus de niveau
micro au sein desquels l’ordre social est cocréé localement et négocié par les membres60.
Les problèmes de communication dans la tradition socioculturelle sont conçus
comme des discontinuités dans l’espace (diversité socioculturelle et relativité) et le temps
(changement socioculturel) qui handicapent l’interaction en diminuant le stock de modèles
partagés desquels l’interaction dépend. Les conflits, les incompréhensions et les difficultés
de coordination augmentent lorsque les conditions sociales font en sorte que les rituels
partagés, les règles et les attentes entre les membres deviennent rares. Ainsi, la théorie
socioculturelle a beaucoup à dire à propos des problèmes émergeant des changements
technologiques, de l’effondrement de l’ordre social traditionnel, de l’urbanisation et de la
société de masse, de la rationalisation bureaucratique et, plus récemment, de la globalisation
et de la fragmentation culturelle postmoderne. De telles perturbations dans l’écologie
des codes et des médias nuisent à l’interaction, mais en même temps elles permettent la
production créative de nouvelles significations et de nouveaux moyens de communication.
Les hybrides de la tradition socioculturelle avec d’autres traditions sont extrêmement
fréquents, si fréquents en fait qu’il est difficile de trouver de « purs » modèles de la théorie
de la communication socioculturelle. Par exemple, la théorie de l’action sociale des médias
amalgame des perspectives socioculturelle, phénoménologique et sémiotique (Schoening
et Anderson, 1995). La théorie CMM (Coordinated Management of Meaning)61 amalgame
la théorie de l’interactionnisme social à des concepts cybernétiques et dialogiques
58. Meyrowitz affirme « that virtually all the specific questions and arguments about a particular medium, or
media in general, can be linked to one of three underlying metaphors for what a medium is… media as conduits,
media as languages, media as environments » (1993, p. 56). [pratiquement toutes les questions et tous les arguments spécifiques relatifs à un medium en particulier ou aux média en général peuvent être liés à l’une ou l’autre de
trois métaphores sous-tendant ce qu’est un médium… les média comme conduits, les médias comme langages, les
médias comme environnements.] Dans la tradition psychosociologique, les médias sont des conduits, dans la tradition sémiotique, ils sont des langages, dans la tradition socioculturelle, ils sont des environnements.
59. « agency »
60. Des tentatives récentes pour trouver un équilibre entre ces deux pôles incluent, par exemple, la théorie de la
structuration (Giddens, 1984), de la pratique (Bourdieu, 1992) et les modèles écologiques (par exemple, Altheide,
1995 ; Mantovani, 1996).
61. Gestion coordonnée de la signification
La communication en tant que champ d’études | 27
(Cronen, 1995 ; Pearce, 1989). L’analyse conversationnelle a des racines interactionnistes,
phénoménologiques et sémiotiques (Heritage, 1984).
Au 20e siècle, la théorie rhétorique a aussi pris un important tournant socioculturel au
sein duquel elle a bien souvent été conceptualisée comme un instrument pour améliorer les
relations humaines (Ehninger, 1968) et « some have argued that acculturation to the forms
and practices of organizations, social groups, sciences, technologies, subcultures, and
cultures is significantly rhetorical learning… [of] what is communicatively appropriate to
particular bodies of content in particular situations (Arnold, 1989, p. 464) »62. Ainsi, l’ordre
socioculturel constitue le matériau de la rhétorique, tandis que celle-ci devient une méthode
pour la constitution de l’ordre social appliquée consciemment ou inconsciemment.
Pourtant, dans toutes ces traditions hybrides, une « voix » socioculturelle se fait entendre.
C’est la voix qui, par exemple, critique la psychologie sociale pour son individualisme à
l’excès, son inattention aux forces macrosociales et son insensibilité aux différences
culturelles et qui, encore et encore, en appelle à la recherche en communication dominée
par la psychosociologie pour qu’elle adopte une approche plus culturelle ou plus sociale63.
De même, elle critique la rhétorique classique pour ses présupposés naïfs sur l’action64
(en représentant les grands orateurs comme des créateurs de l’histoire, par exemple) et
la sémiotique parce qu’elle soustrait les signes et les processus signifiants du contexte
socioculturel plus large dans lesquelles ils existent.
La voix socioculturelle s’est aussi fait entendre dans le métadiscours pratique quotidien.
D’un point de vue profane, la théorie socioculturelle est plausible entre autres parce qu’elle
appelle rhétoriquement aux croyances populaires voulant que les individus soient le produit
de leurs environnements sociaux, que les groupes développent des normes, des rituels et
des points de vue qui leur sont propres, que les changements sociaux puissent être difficiles
et perturbants, et que les tentatives pour intervenir activement dans les processus sociaux
aient souvent des conséquences non intentionnelles. La théorie socioculturelle remet
aussi en question plusieurs présupposés communs dont, en particulier, nos tendances
à tenir pour acquis la réalité de nos identités personnelles et de celles des autres, de
considérer les institutions sociales comme des phénomènes naturels inévitables, d’être
ethnocentriques ou insensibles aux différences culturelles et d’attribuer exagérément aux
individus la responsabilité morale de problèmes qui sont essentiellement sociaux, tels le
crime et la pauvreté. La théorie socioculturelle nourrit les pratiques communicationnelles
qui reconnaissent la diversité et la relativité culturelles, qui valorisent la tolérance et la
compréhension et qui mettent de l’avant la responsabilité collective plutôt qu’individuelle. À
titre d’exemple, le discours quotidien pratique sur le blâme et la responsabilité a nettement
été influencé par les discours théoriques de la tradition socioculturelle sur la société (Bowers
et Iwi, 1993).
La tradition critique : la communication comme réflexion discursive
For the communicative model of action, language is relevant only from the pragmatic viewpoint
that speakers, in employing sentences with an orientation to reaching understanding, take up
relations to the world, not only directly as in teleological, normatively regulated or dramaturgical
action, but in a reflective way. . . . They no longer relate straightaway to something in the objective,
62. [certains ont affirmé que l’acculturation des formes et des pratiques des organisations, des groupes sociaux,
des sciences, des technologies, des sous-cultures et des cultures est un important apprentissage rhétorique… de ce
qui est approprié au plan communicationnel pour certains corpus dans certaines situations]
63. De récents appels à un théorie de la communication « constitutive » ou « communicationnelle » se sont souvent appuyés sur cette argumentation ; voir par exemple, Carey (1989), Sigman (1992, 1995a, 1995b) et plusieurs des
chapitres de Leeds-Hurwitz (1995). Voir aussi Sigman (1987) et Thomas (1980).
64. « agency »
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RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
social, or subjective worlds ; instead they relativize their utterances against the possibility that
their validity will be contestcd by other actors.65 (Habermas, 1984, p. 98)
When we see the constraints that limit our choices we are aware of power relations ; when we
see only choices we live in and reproduce power.66 (Lannamann, 1991, p. 198)
Systematically distorted communication, then, is an ongoing process within particular systems
as they strategically (though latently) work to reproduce, rather than produce, themselves.67
(Deetz, 1992, p. 187)
Undoability is the ultimate consequence of the adage that power becomes slippery when reflected
upon.68 (Krippendorff, 1995, p. 113)
On peut retracer l’origine de la théorie critique de la communication à la conception qu’avait
Platon de la dialectique socratique en tant que méthode d’atteinte de la vérité par l’échange
d’idées se produisant dans le débat lorsque sont posées des questions qui provoquent
la réflexion critique sur les contradictions qui sont soulevées dans le processus. Selon
Habermas (1984), la théorie critique de la communication souligne une certaine instabilité
inhérente à tout acte de communication orienté vers l’atteinte d’une compréhension
mutuelle, un télos intégré vers l’articulation, le questionnement et la transcendance
des présupposés qui sont jugés faux, malhonnêtes ou injustes. La communication qui
n’implique que la transmission-réception ou le partage rituel de sens est fondamentalement
erronée, déformée et incomplète. La communication authentique ne se produit qu’au sein
d’un processus de réflexion discursive qui vise une transcendance qui ne pourra jamais être
totalement et définitivement atteinte, mais le processus réflexif est en soi progressivement
émancipatoire.
La tradition de la théorie sociale critique (largement interprétée) part de Marx, passant
par l’École de Frankfort jusqu’à Habermas ou alternativement d’autres branches du
marxisme plus récentes et du post-marxisme aux théories actuelles d’économie politique,
les cultural studies critiques, la théorie féministe et d’autres écoles théoriques associées
à de nouveaux mouvements sociaux (telles la théorie postcoloniale et la théorie Queer)69.
Pour la théorie de la communication critique, le problème de communication fondamental
en société émerge des forces matérielles et idéologiques qui empêchent ou dénaturent la
réflexion discursive. Ainsi conçue, la communication explique comment l’injustice sociale
est perpétuée par les distorsions idéologiques et comment la justice peut être restaurée
par des pratiques communicationnelles permettant la réflexion critique ou l’éveil de la
conscience afin de démasquer ces distorsions et ainsi permettre à l’action politique d’en
libérer les participants.
D’un point de vue profane, la tradition critique est plausible lorsqu’elle fait appel à des
croyances populaires relatives à l’omniprésence de l’injustice et du conflit dans la société,
aux manières dont le pouvoir et la domination parviennent à triompher de la vérité et de la
raison, et à la possibilité que le discours avec les autres puisse produire des idées libératrices,
la démystification et peut-être même la prise de conscience que nous nous sommes fait avoir.
65. [Pour le modèle communicationnel de l’action, le langage n’est pertinent que du point de vue pragmatique
voulant que les interlocuteurs, lorsqu’ils emploient des phrases avec l’objectif d’atteindre la compréhension, entrent
en relation avec le monde non pas uniquement directement comme dans une action téléologique régulée normativement ou une action dramaturgique, mais de manière réflexive… Ils ne sont plus en relation directe avec quelque
chose du monde objectif, social ou subjective, ils relativisent plutôt leurs propos en regard de la possibilité que leur
validité soit contestée par d’autres acteurs.]
66. [Lorsque nous voyons les contraintes qui limitent nos choix, nous sommes conscients des relations de pouvoir ; lorsque nous ne voyons que des choix, nous vivons dans le pouvoir et le reproduisons.]
67. [La communication systématiquement déformée est donc un processus continu dans des systèmes donnés
lorsqu’ils travaillent stratégiquement (bien que de manière latente) à se reproduire plutôt qu’à ce produire.]
68. [L’infaisabilité est la conséquence ultime de l’adage voulant que le pouvoir devienne glissant lorsqu’on y
réfléchit.]
69. Un symposium récent illustre l’actuelle centralité d’Habermas dans ces traditions (voir Huspek, 1997).
La communication en tant que champ d’études | 29
La théorie critique fait appel aux valeurs communes de liberté, d’égalité et de raison, mais
elle remet en question plusieurs de nos présupposés en regard de ce qui est raisonnable. La
théorie critique met en doute le caractère naturel de l’ordre social et la validité rationnelle de
toute autorité, tradition et croyance conventionnelle incluant les croyances traditionnelles
relatives à la nature même de la raison, croyances qui ont déformé la raison au service du
capitalisme, du racisme et du patriarcat. Elle remet en question les présupposés communs
touchant l’objectivité et la neutralité morale et politique de la science et de la technologie.
Elle remet en question l’individualisme omniprésent dans notre culture et la dominance
idéologique de la raison instrumentale, le présupposé voulant que la rationalité consiste
uniquement en des calculs de moyens et de fins lorsque les fins dont il s’agit ne peuvent
qu’être choisies volontairement sur la base d’intérêts individuels. La théorie critique est – ou
du moins tente d’être — la théorie la plus profondément pratique, bien que sa notion de ce
qui est pratique se heurte vivement aux notions communes à cet égard. Fondamentalement,
dans la tradition de Marx, il ne s’agit pas de comprendre le monde — et certainement pas
d’enseigner aux étudiants et étudiantes comment réussir dans le monde tel qu’il est. Il s’agit
de changer le monde à travers la pratique ou l’action sociale théoriquement réflexive.
N’importe quel type de théorie de la communication peut prendre un tournant autoréflexif
et critique et ainsi produire une variété hybride, telle la rhétorique critique (McKerrow, 1989)
ou la sémiotique critique (Hodge et Kress, 1993 ; Fairclough, 1995). Du point de vue de la
cohérence dialogique-dialectique, les efforts pour reconnaître et résoudre les contradictions
entre la théorie critique et d’autres traditions de la théorie de la communication, ainsi que
l’ont fait Condit (1989) et Farrell (1993) pour la théorie rhétorique, sont particulièrement
intéressants. La documentation sur la théorie critique en regard de la théorie socioculturelle
est, évidemment, abondante, en fait presque aussi étendue que l’ensemble du corpus de la
théorie sociale récente. Cela s’explique parce que la théorie critique est essentiellement une
critique de la reproduction de l’ordre social, le thème au cœur de la théorie socioculturelle.
Toutefois, je crois que la théorie critique offre un modèle radicalement différent du
modèle socioculturel de la communication comme (re)production. Pour les théoriciens et
théoriciennes critiques, une activité qui ne ferait que reproduire l’ordre social ou même qui
produirait un nouvel ordre social n’est pas encore de la communication authentique. Pour
que l’ordre social puisse être basé sur une véritable compréhension mutuelle (différente de
la manipulation stratégique, de la conformité oppressive ou du rituel vide), il est nécessaire
que les communicateurs et communicatrices expriment et remettent en question leurs
présupposés en regard du monde objectif, de la morale, des normes et de l’expérience
intérieure et qu’ils en discutent ouvertement (Habermas, 1984, p. 75-101 ; voir aussi Deetz,
1992, 1994).
La réflexion discursive du modèle critique de la communication ressemble au concept
phénoménologique de dialogue auquel il ajoute, toutefois, un aspect dialectique distinct.
Dans une perspective critique, le dialogue phénoménologique représente une forme idéale
de communication que les conditions socioculturelles actuelles rendent fort peu probable.
Par conséquent, un modèle de dialogue est déficient s’il ne peut amener les participants
vers la réflexion sur les conditions socioculturelles qui sont susceptibles de handicaper le
dialogue. C’est le questionnement dialectique des présuppositions qui permet de démasquer
ces conditions et ainsi montrer la voie vers des changements sociaux qui rendraient le
dialogue possible. Un schème de communication semblable caractérise différentes formes
de critique idéologique et d’éveil de la conscience féministe ou identitaire. Ce modèle
s’applique aussi à la théorie récente de Krippendorff (1995) sur la « déconstruction » du
pouvoir. Son travail fait appel aux types cybernétique et phénoménologique de la théorie
de la communication pour créer une théorie critique hybride beaucoup plus optimiste en
30 | R.T. Craig
RICSP, 2009, n. 1, p. 1-42
regard du potentiel qu’ont les idées libératrices seules (en l’absence d’une action politique
concertée) de changer le monde.
Les autres traditions reprochent à la théorie critique de politiser la science et le monde
universitaire, et de défendre un standard normatif universel pour la communication qui
s’appuie sur une idéologie a priori. Certains critiques croient que la science ne devrait rien
avoir à dire à propos des standards normatifs ; d’autres croient que les standards normatifs
devraient être basés sur des critères empiriques objectifs ; d’autres encore pensent que
les standards normatifs ne peuvent qu’être relatifs aux cultures locales et aux pratiques
de communication spécifiques. En réponse à ces critiques, la théorie critique reproche aux
autres traditions théoriques leur aveuglement à leurs propres présupposés idéologiques et
leur fausse prétention de neutralité politique. Pour les théoriciens critiques, les pratiques
locales et les résultats empiriques de la communication ne peuvent être pris en tant que tel,
ils doivent toujours être jugés à la lumière d’une analyse réflexive des effets déformants du
pouvoir et de l’idéologie dans la société.
Alors que se poursuivent ces arguments, on peut penser que la contribution la plus
utile de la théorie critique, au-delà de son évidente pertinence pour le discours social de
l’injustice et du changement, pourrait être de cultiver une plus grande reconnaissance de
la réflexion discursive en tant que possibilité pratique intrinsèque à toute communication.
La communication, comme je l’ai déjà mentionné, n’est pas seulement quelque chose
que l’on fait, c’est aussi une chose dont nous parlons régulièrement, de façons qui sont
concrètement entremêlées à nos pratiques. Ce métadiscours pratique a toujours le potentiel
de se développer en un véritable discours réflexif qui lie la théorie de la communication à
la pratique (Craig, 1996b). Ainsi, une tradition critique de la théorie de la communication
confirme que le discours réflexif et, donc, la théorie de la communication même ont un
rôle important à jouer dans notre compréhension et notre pratique quotidiennes de la
communication.
Développer le champ : remarques conclusives
Cette première esquisse de la théorie de la communication en tant que champ donne
beaucoup à réfléchir et laisse beaucoup à faire. Je conclus par quelques brèves réflexions
quant au plan pour le travail à venir et aux implications pour la pratique disciplinaire dans
l’étude de la communication.
Le travail à venir : exploration, création, application
Le travail à venir comporte une exploration du champ afin de découvrir les problématiques
centrales et de dresser la carte de la topographie complexe des traditions, la création de
nouvelles traditions de théorie de la communication et de nouvelles manières de schématiser
le champ et l’application de la théorie de la communication en la mettant en relation avec le
métadiscours pratique sur les problèmes de communication.
Explorer le champ signifie « faire le tour des traditions afin d’en explorer les
complémentarités et les tensions ». Il s’agit aussi de faire la spéléologie des traditions avec
d’explorer leur complexité interne.
La matrice théorique nous invite à localiser les zones d’accord et de désaccord entre
les traditions de la théorie de la communication. Ce faisant, nous distinguerons les thèmes
centraux et les problèmes de la communication en tant que champ d’études. Par exemple,
les notions de techniques et de stratégies de communication sont saillantes dans plusieurs
La communication en tant que champ d’études | 31
traditions (dont la rhétorique, la phénoménologie, la cybernétique, la psychologie sociale
et la théorie critique), mais le fait de penser ces traditions transversalement problématise
ces notions de façon intéressante, tant théoriquement que pratiquement. Le problème de la
stratégie versus l’authenticité (rhétorique ou psychologie sociale versus phénoménologie),
le problème de l’intentionnalité versus la fonctionnalité (rhétorique ou phénoménologie
versus cybernétique), le problème de démontrer l’efficacité des techniques (psychologie
sociale versus rhétorique), le problème de la raison instrumentale en tant que déformation
idéologique (théorie critique versus cybernétique ou psychologie sociale) — tous ces
problèmes peuvent maintenant être reconnus et traités comme des problèmes centraux
contribuant à la définition du champ de la théorie de la communication.
Il sera important, à mesure que nous poursuivrons l’exploration des traditions, de garder
à l’esprit que chaque tradition est complexe et ouverte à de multiples interprétations. Les
traditions de la théorie de la communication peuvent être redéfinies, recombinées, hybridées
et divisées de diverses manières. La tradition rhétorique comprend plusieurs écoles de
pensée prolifiques et opposées. Il en est de même pour la sémiotique, la phénoménologie,
ainsi de suite. Les champs théoriques peuvent ressembler à des représentations de
fonctions fractales ayant les mêmes propriétés formelles à chaque niveau de granularité.
Chaque tradition de la théorie de la communication est en soi un champ complexe qui,
lorsque amplifié, laisse apparaître une structure de champ dialogique-dialectique de
plusieurs traditions semblables à la théorie de la communication dans son ensemble. Si l’on
s’éloigne afin d’afficher un niveau de granularité plus grossier, le champ de la théorie de la
communication fusionne en une tradition de pensée au sein d’un mégachamp complexe
des sciences humaines. Une manière idéale et « conviviale » de représenter la théorie de la
communication serait peut-être sous forme d’un hypertexte qui nous permettrait d’explorer
le sujet sur des myriades de chemins par le biais d’hyperliens menant à différents niveaux,
à des traditions hybrides et des schématisations alternatives, à des disciplines apparentées
et à des enregistrements multimédias de pratiques de communication faisant le lien entre
la théorie et la pratique70.
La création d’une nouvelle théorie est une tâche qui sera inévitablement requise et
inspirée par nos efforts d’explorer le champ, alors que nous trébucherons sur les brèches
conceptuelles, les nouvelles idées et les nouvelles formes et pratiques de communication.
Chacune des sept traditions est basée sur un modèle unique de pratique
communicationnelle essentiellement différent de tous les autres dans la matrice. Par
conséquent, ils composent un ensemble d’alternatives distinctes, mais non exhaustives. Le
champ de la théorie de la communication est logiquement ouvert à de nouvelles traditions,
une ouverture qui n’est contrainte que par la nécessité que chaque nouvelle tradition soit
basée sur un modèle unique de pratique communicative qui, lorsqu’elle est intégrée dans le
champ, n’est pas logiquement redondante avec un autre modèle (ce qui peut impliquer de
redéfinir d’autres traditions).
À titre d’exemple, n’importe laquelle des traditions suivantes pourrait être reconstruite
pour créer des théorisations distinctes de pratique communicative :
• Une tradition féministe dans laquelle la communication pourrait être théorisée comme
la connexion aux autres, donnant ainsi une voix à « distinctive emphasis that many
women put on .contextual thinking and decision-making, a focus on the importance
70. S’appuyant sur les principes cybernétiques de la bonne communication, une représentation conviviale de la
théorie de la communication devrait être structurée de sorte à faciliter un traitement cognitif efficace. Selon la théorie classique de Miller (1956), cela limiterait à environ sept le nombre de « traditions » différentes (ou « mnèmes »)
pouvant être incluses dans chacun des niveaux du schéma théorique, ce qui est justement le nombre de traditions de
la présente matrice.
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and usefulness of talk, connectedness, and relationships »71 (Kramarae, 1989, p. 157 ;
voir aussi Foss et Griffin, 1996). Comment ce modèle de communication se distingueraitil du modèle phénoménologique du dialogue ? Comment cela permettrait-il de resituer
le féminisme vis-à-vis la théorie critique ?
• Une tradition esthétique dans laquelle la communication pourrait être théorisée comme
performance incarnée, accentuant ainsi l’aspect « poétique » de la communication
dans la création des rituels, des relations, des significations et des vérités (par exemple,
Conquergood, 1992 ; Hopper, 1993). Comment cela se distinguerait-il des traditions
sémiotique et socioculturelle de la communication ? Comment cela repositionneraitil la rhétorique et la théorie critique dans le champ (Conquergood, 1992 ; Laffoon,
1995) ?
• Une tradition économique dans laquelle la communication pourrait être théorisée
comme échange, soulignant ainsi que chaque message (tout ce qui peut être transféré
d’un agent à un autre) a une valeur d’échange qui équivaut à sa signification. De quoi
aurait l’air cette tradition une fois reconstruite après l’avoir désenchevêtrée d’autres
traditions telles la théorie critique (Schiller, 1994), la phénoménologie (Chang, 1996)
et la psychologie sociale (Roloff, 1981) ?
• Une tradition spirituelle dans laquelle la communication pourrait être théorisée
comme communion sur un plan d’existence immatériel ou mystique, dévoilant ainsi
les racines finalement ineffables de la communauté – et sa dépendance pratique sur la
foi – dans un champ de l’expérience qui transcende l’histoire et toutes les différences
humaines (par exemple, Cooper, 1994 ; Crawford, 1996 ; Goodall, 1996 ; Pym, 1997 ;
Ramsey, 1997). Comment cette communauté transcendante recoupe-t-elle d’autres
types de transcendance postulés par la phénoménologie (dans le dialogue), dans la
théorie socioculturelle (dans la culture) et dans la théorie critique (dans la réflexion) ?
Si ces exemples semblent faciles, songez aux standards rigoureux imposés par l’exigence
voulant que chaque nouvelle tradition doive contribuer à une unique théorisation de la
pratique communicationnelle. Par exemple, l’idée d’une tradition biologique de la théorie
de la communication pourrait sembler plausible, considérant l’intérêt récent pour les
approches biologiques de la communication (par exemple, Cappela, 1996), mais, à ma
connaissance, il n’existe pas une manière biologique distincte de théoriser les pratiques
communicationnelles qui ne puisse être mieux décrite en tant que sémiotique (par exemple,
Liska, 1993), psychosociologique (par exemple, Cappella, 1991, 1995) ou cybernétique
(comme dans les études sur le traitement de l’information génétique ou les boucles de
rétroaction dans les écosystèmes). La pratique communicationnelle théorisée comme
médiation par les signes (sémiotique), interaction (psychologie sociale) ou traitement de
l’information (cybernétique) pourrait être expliquée par des principes biologiques tels que
ceux du développement organismique ou de l’évolution par la sélection naturelle (Cappella,
1991, 1995, 1996 ; Hauser, 1996 ; Horvath, 1995), mais je ne connais aucune conceptualisation
purement biologique de la pratique communicationnelle en tant que telle. Une tradition qui
ne rencontre pas ce standard rigoureux est logiquement hors du champ de la théorie de la
communication.
Cela n’exclut évidemment pas la possibilité que quelqu’un découvre ou invente une
théorisation biologique de la communication. De nouvelles idées émergent constamment
dans le discours universitaire et peuvent proposer de nouvelles manières de théoriser la
communication. De nouvelles théorisations de la communication peuvent aussi émerger de
la théorie pratique ancrée par l’étude critique et la reconstruction conceptuelle des pratiques
communicationnelles dans n’importe quelle tradition ou cadre local (Craig et Tracy, 1995).
71. [l’accent particulier que plusieurs femmes mettent sur la pensée et la prise de décision contextuelles, une attention à l’importance et à l’utilité de la conversation, de la connexion et des relations.]
La communication en tant que champ d’études | 33
En principe, donc, nous avons toutes les raisons de croire que de nouvelles traditions de la
théorie de la communication et de nouvelles visions d’anciennes traditions continueront
d’être découvertes. Ainsi, nous ne devons pas espérer, ni nous inquiéter de ce que la tâche
de créer la théorie de la communication ne soit jamais complétée.
L’application de la théorie de la communication implique que les traditions du
métadiscours théorique s’engagent avec le métadiscours pratique à traiter de véritables
problèmes de communication. C’est dans un tel processus de l’application que la théorie de
la communication peut être mise à l’épreuve afin d’établir sa pertinence et son utilité dans
la conduite et la critique de la pratique72. Chaque tradition offre un lexique métadiscursif
dans lequel les problèmes et les pratiques de communication peuvent être conceptualisés
et discutés. La maîtrise de multiples lexiques de la communication rend possible l’examen
des problèmes de communication selon plusieurs points de vue de même que la mise
en application des lexiques qui semblent appropriés et aidants dans chaque cas73. Parce
que chaque tradition fait appel à certains lieux communs métadiscursifs, tout en en
remettant d’autres en question, chaque lexique a le potentiel de susciter et d’éclairer la
réflexion métacommunicationnelle. Par exemple, se demander si quelqu’un n’est pas
trop « stratégique » dans ses communications peut être une application des lexiques de
la rhétorique et de la phénoménologie et susciter la réflexion sur les paradoxes d’une
communication radicalement authentique. Un tel discours réflexif circule sur un continuum
allant de la théorie à la pratique et peut devenir, dans ses moments les plus théoriques,
impossible à distinguer du métadiscours théorique de la théorie de la communication même
(Craig, 1996b). Dans ces moments d’intersection entre les métadiscours théorique et pratique,
le travail d’exploration, de création et d’application de la théorie de la communication est
fusionné en une seule activité.
Conséquences pour la pratique disciplinaire dans les études en
communication
La conséquence principale pour notre pratique disciplinaire est que les théoriciens
et théoriciennes de la communication ont maintenant quelque chose de très important à
discuter – la pratique sociale de la communication –, nous devons donc arrêter de nous
ignorer mutuellement et commencer à orienter notre travail vers le champ de la théorie de
la communication. Qu’est-ce que cela implique exactement ? Je suggère trois choses (avec
Anderson, 1996) : a) une orientation vers le champ de la communication en tant que gamme
de disciplines ; b) une attention à l’intérêt particulier du champ de la communication pour
la recherche interdisciplinaire ; c) la formation de nos étudiants et étudiantes au champ de
la communication.
De manière plus détaillée, cela signifie :
1. Les théoriciens et théoriciennes de la communication, bien que traitant
généralement de sujets spécialisés, devraient orienter leurs écrits vers le champ de la
communication dans son ensemble. Cela signifie qu’ils et elles doivent être conscients
des traditions pertinentes à la théorie de la communication, aborder des thèmes
et des problématiques centraux du champ, mettre en évidence les conséquences
72. Les méthodes et les standards à utiliser pour tester ou évaluer la théorie pratique de la communication
soulèvent des problématiques complexes qui dépassent la portée du présent essai. Voir Craig (1995, 1996b) et Craig
et Tracy (1995) pour une amorce de la discussion sur ces problématiques.
73. Cela est cohérent avec la vision de Jonson et Toulmin voulant que l’application de la théorie dans la pratique
est intrinsèquement rhétorique et perceptuelle plutôt que « géométrique » ou formellement déductive (1988,
p. 293). Les théories alternatives ne sont pas mutuellement exclusives, elles offrent plutôt des perspectives complémentaires sur des problèmes pratiques (Craig, 1996b).
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pratiques et répondre aux intérêts et aux critiques attendues des autres traditions.
En regard de la spécialisation universitaire existante, on ne peut s’attendre à ce qu’un
seul individu puisse saisir en profondeur chaque zone du champ. Cela signifie que
les discussions entre les traditions ne sont pas toujours très innovatrices et qu’elles
pourront être parfois techniquement naïves à certains égards. Néanmoins, pour
d’autres maîtrisant mieux les intersections entre certaines traditions théoriques, ces
discussions agiront comme indicateurs de la pertinence du travail pour le champ et
offriront des points de départ (et des irritants motivants) pour corriger les erreurs,
clarifier les enjeux et approfondir la discussion. C’est ce à quoi pourrait ressembler,
en pratique, la cohérence dialogique-dialectique.
2. La matrice théorique suggère à la fois l’importance de l’interdisciplinarité et la
centration disciplinaire des domaines de recherche (en communication politique,
sémiotique et études culturelles, philosophie, science de l’information, etc.), qui
peuvent être enrichis par d’autres perspectives de la théorie de la communication.
Par exemple, Tracy (1990) a revendiqué une approche communicationnelle distincte
aux études du discours interdisciplinaire caractérisé par ses intérêts normatifs et
appliqués, sa conscience du public et sa centration sur les problèmes et les stratégies.
Ces caractéristiques témoignent d’un mélange de rhétorique, de psychosociologie et
d’autres influences de la théorie de la communication. Les théoriciens et théoriciennes
nourris par les traditions de leur champ ont l’opportunité d’aller au-delà de la
fragmentation productive et de contribuer aux études interdisciplinaires.
3. Ceux et celles d’entre nous qui enseignent la théorie de la communication font face
à des défis particuliers. Les étudiants et étudiantes de premier cycle universitaire74a
s’attendent à des éléments pratiques et nous leur offrons de la théorie. Ils et elles
s’attendent à quelque chose d’intelligible et nous leur offrons des fragments d’un sujet
que personne ne peut comprendre — 249 théories pour l’instant. Les analyses dans
les tableaux 1 et 2 proposent une pédagogie qui prend le champ dans son ensemble en
tant que ressource pour réfléchir aux problèmes pratiques, et un approfondissement
du champ qui ne s’éloigne pas des intérêts pratiques, mais qui au contraire s’y ancre
plus profondément.
Les étudiants et étudiantes des cycles supérieurs doivent aussi apprendre à utiliser la
théorie de la communication d’autres façons. Ceux et celles qui veulent faire de la recherche
originale « cannot ignore the need to specialize methodologically, and hence theoretically75 »
(Reeves, 1992, p. 238). Malgré cela, une vue d’ensemble du champ peut leur permettre
de parler des conséquences du travail spécialisé à de plus larges publics disciplinaires,
interdisciplinaires et profanes. La « tâche » d’apprendre la théorie de la communication
à un niveau avancé devient un peu plus facile pour les spécialistes de chaque tradition qui
peuvent ainsi se concentrer sur « leurs propres » ligne et colonne de la table 2, c’est-àdire sur les problématiques situées entre leur tradition et les autres. Les autres cellules du
tableau, pour l’essentiel, peuvent être laissées aux spécialistes des autres traditions.
En faisant appel à l’une des traditions de la communication, nous pouvons voir les tableaux
1 et 2 comme un échafaudage pour la construction d’un schéma d’invention rhétorique
— un schéma de lieux communs et d’arguments habituels — qui peut aider à préparer
les étudiants et étudiantes en communication à participer aux discours de la discipline
dans son ensemble, de la même manière que l’art de la rhétorique prépare les citoyens et
citoyennes à participer au discours des affaires publiques. L’art de la rhétorique fait appel à
la connaissance « populaire », « publique » ou « sociale » — une connaissance déjà partagée
par les membres d’un public. De même, le champ de la théorie de la communication trace
un espace discursif commun – un espace pour le métadiscours théorique — dans lequel
des discours théoriques plus spécialisés peuvent discuter entre eux et avec le métadiscours
pratique sur la communication en tant que pratique sociale. Le champ de la théorie de la
communication n’est pas un entrepôt de vérités absolues. Il n’a d’autres prétentions que
d’être utile.
74. undergraduates
75. [ne peuvent ignorer la nécessité de se spécialiser méthodologiquement et, donc, théoriquement].
La communication en tant que champ d’études | 35
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