Un premier axe du colloque pourrait donc s’intéresser à la manière dont ces récits
ont façonné et prescrit l’identité savante et le mode de vie approprié à l’activité
scientifique. Comment ces histoires de vie représentent-elles la subjectivité des hommes
et des femmes de sciences ? Quelles vertus intellectuelles et morales leur attribue-t-on ?
Comment ces caractères et ces valeurs se transforment-ils au cours de la
période considérée? Comment se négocie dans ces récits la séparation du public et du
privé, du citoyen et du savant ? Comment sont conçus au cours du temps les rapports
entre le scientifique (détaché ou engagé ?) et la société dans laquelle il vit, et plus
généralement où place-t-on la limite entre l’activité scientifique et les autres aspects
(psychologiques, religieux, moraux, politiques) de la vie d’un homme ou d’une femme de
science? Quelles stratégies d’auto-présentation et de mise en scène de soi déploient, par
exemple, les autobiographies scientifiques ? Comment concilient-elles le récit en
première personne et l’effacement de soi supposé requis pour dévoiler la nature ?
Une autre direction de recherche pourrait consister à examiner la place et les
effets de ces récits sur la scène culturelle, scientifique et politique. Il conviendrait
d’abord de s’interroger sur les rapports entre ces écrits et d’autres formes du récit de
vie. Quelles rhétoriques et quels codes spécifiques ces vies scientifiques mobilisent-
elles? Comment le genre traditionnel des « vies des hommes illustres », hérité des
doxographes de l’Antiquité, s’est-il par exemple transformé avec l’émergence de la
science moderne ? Quelle relation y a-t-il entre biographie de savant et hagiographie ?
Entre autobiographie scientifique et autobiographie littéraire ? Une autre piste
consisterait à étudier la manière dont ces récits de vie contribuent à la légitimation de la
science et de ceux qui la font. On pourrait par exemple explorer les fonctions de ces
récits de vie pour la constitution d’une culture propre aux membres d’une même
discipline ou à la communauté scientifique dans son ensemble, et se demander dans
quelle mesure la professionnalisation de la science a transformé leurs enjeux. On
s’intéressera également aux usages de ces récits dans l’espace public et politique. Quel
rôle joue la commémoration des savants illustres dans la promotion de la science? Dans
quelle manière les vies scientifiques peuvent-elles être investies par les cérémonies
collectives (« panthéonisation ») ou se raconter dans des lieux de mémoire (musées)?
Enfin, à quelles formes d’instrumentalisation politique ces récits biographiques se
prêtent-ils?
Au delà des singularités biographiques de tel ou tel homme ou femme de science, on
s’attachera donc ici à repérer dans ces récits de vie des normes communes et des
évolutions générales. Que nous disent ces récits sur le fait d’être un savant ou de vivre en
scientifique ? Que nous apprennent-ils de l’éthique des savoirs, des règles implicites de la
République des sciences, qui informent l’écriture de ces vies ? En quoi nous renseignent-
ils, enfin, sur la perception publique de ceux qui font la science ?
Éléments de bibliographie :
BREIDBACH, Olaf & POGGI, Stefano (éd.), Scientific autobiographies as literary genre and
historical sources, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2009.
ROLLET, Laurent, & NABONNAND, Philippe (éd.) Les uns et les autres. Biographies et
prosopographies en histoire des sciences. Nancy : Presses Universitaires de Nancy, 2012.