Actualité scientifique Scientific news Décembre 2010 Le chikungunya, véhiculé par des moustiques du genre Aedes, se répand dans le monde et provoque périodiquement de nouvelles flambées épidémiques. L’Afrique, l’Asie, l’océan Indien et même le Sud de l’Europe sont désormais touchés. D’une simple fièvre à de sévères douleurs articulaires, le virus peut prendre de multiples formes chez les malades. Cette extrême variabilité des symptômes est due à la variabilité de la défense immune individuelle. Grâce à des analyses sanguines effectuées lors de l’épidémie de 2007 au Gabon, des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires1 viennent en effet de montrer le rôle clé, dans l’évolution clinique de l’infection, de l’immunité innée : la première ligne de défense de l’organisme. Le contrôle de la maladie dépend ainsi étroitement du « terrain » immunitaire de chaque patient. Les cas graves seraient donc dus à une défaillance de la réponse innée, comme chez les femmes enceintes, les personnes âgées, etc. Ces travaux apportent un éclairage nouveau sur cette maladie, peu étudiée jusque là et délaissée des pouvoirs publics. Chikungunya : Le rôle clé de l’« immunité innée » © IRD / Alain Pierret N° 363 Actualidad cientifica Véhiculé par les femelles moustiques du genre Aedes (ici Aedes albopictus dit le « moustique tigre »), le chikungunya s’est répandu ces dernières années à de nouvelles régions du monde : océan Indien, Afrique centrale et même Sud de l’Europe. Isolé pour la première fois en 1953 en Tanzanie, le virus du chikungunya a causé de nombreuses épidémies en Afrique et en Asie du Sud-Est au cours du 20e siècle. Une menace planétaire Cette maladie infectieuse est due, comme la fièvre jaune et la dengue, à un arbovirus, c’est-à-dire véhiculé par des arthropodes suceurs de sang : moustiques, tiques et phlébotomes. Ses principaux vecteurs sont des moustiques du genre Aedes, en particulier Aedes albopictus, surnommé le « moustique tigre », qui conquiert rapidement de nouveaux territoires, grâce à ses œufs*. L’intensification des déplacements humains, qui dispersent les larves, et l’augmentation de la résistance des moustiques aux insecticides ont contribué à l’expansion rapide des épidémies ces dernières années à de nouvelles régions du monde : les îles de l’océan Indien, l’Afrique centrale et même très récemment le Sud de l’Europe sont désormais touchés. La flambée épidémique de La Réunion en 2005-2006 a notamment affecté plus de 260 000 personnes. La récente épidémie dans le Sud de l’Italie, en 2007, ainsi que le premier cas de fièvre rapporté dans le Sud de la France illustrent le potentiel de dissémination mondiale, faisant de cette maladie, rarement mortelle mais très invalidante, une menace de santé publique majeure. Une immunité innée forte D’une simple poussée de fièvre à des troubles articulaires très douloureux, le chikungunya peut prendre de multiples formes. Cette extrême variabilité des symptômes est due à la variabilité de la réponse immune individuelle de chaque patient. Des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires1 viennent en effet de montrer la fonction clé, dans de l’évolution clinique de la maladie, de la première ligne de défense de l’organisme : l’« immunité innée ». Pour en savoir plus En réponse à la présence d’ADN étranger dans l’organisme, suite à une infection virale, bactérienne ou parasitaire, ou à la présence de cellules tumorales, l’organisme active son système immunitaire. Cette réponse immune, ou inflammatoire, est constituée de deux grandes étapes : la défense non-spécifique, aussi appelée « immunité innée », qui ne tient pas compte de la nature du micro-organisme qu’elle combat, et la réponse spécifique, qui cible l’agent pathogène dans les cellules infectées. Chez les malades du chikungunya, la première étape est très efficace. L’analyse de près de 70 échantillons sanguins prélevés au cours de l’épidémie de 2007 à Libreville, la capitale du Gabon, a en effet révélé la présence, au cours des quatre premiers jours de symptômes, d’une quantité élevée d’interférons, de cytokines et de chimiokines2, des sortes d’hormones du système immunitaire. Les premiers jouent un rôle prédominant dans la défense inflammatoire immédiate : ils interfèrent, d’où leur nom, avec la réplication du virus dans les cellules de l’hôte et inhibent ainsi ce dernier de manière très précoce. Les cytokines et les chimiokines, quant à elles, ont pour fonction d’activer la seconde étape : la réponse spécifique. Pour cela, ces protéines attirent les cellules immunitaires, appelées leucocytes, vers chaque site de réplication du virus et orchestrent le déploiement des défenses anti-virales de l’organisme. Le contrôle de la maladie dépend ainsi étroitement du « terrain » immunitaire de chaque patient. Les cas graves seraient donc dus à une défaillance du mécanisme de la réponse innée, comme chez les femmes enceintes, les personnes âgées ou encore les malades du sida. Une maladie extrêmement invalidante Contacts Éric LEROY, directeur de recherche à l’IRD Dès lors apparaîtraient les formes graves provoquant les raideurs articulaires très invalidantes dont l’infection tient son nom : chikungunya signifie la « maladie de l’homme courbé » en makondé, langue d’Afrique australe. Ces symptômes durent en général trois à sept jours, le temps que les cellules immunitaires fassent leur travail, mais peuvent aussi devenir chroniques et persister pendant des mois, voire des années. Des complications neurologiques et hépatiques peuvent également survenir dans les formes les plus sévères. Aucun traitement spécifique n’existant à ce jour, la prise en charge thérapeutique vise uniquement à soulager ces symptômes, avec des médicaments antalgiques et anti-inflammatoires. Tél. : +241 07 85 06 13 [email protected] UMR Émergence des pathologies virales (IRD et université de la Méditerranée Aix-Marseille 2) Adresse Centre international de recherches médicales de Franceville (CIRMF) BP 769, Franceville Gabon Référence wauquier n., becquart pierre, nkoghe d., padilla c., ndjoyi-mbiguino a., leroy Éric. The Acute Phase of Mild Chikungunya Virus Infection in Humans is Associated with Strong Innate Immunity and T CD8 Cell Activation, Journal of Infectious Diseases, 2010. DOI: 10.1093/infdis/jiq006 Les médecins sont à l’aube de leurs recherches sur la maladie, longtemps délaissée par les pouvoirs publics. L’équipe de recherche explore de même le rôle, dans l’inhibition du pathogène, des cellules appelées Natural Killer, capables de tuer directement les cellules infectées. En parallèle, des travaux sont également en cours sur la modulation de la réponse immunitaire dans les cas de coinfection avec le virus de la dengue, récemment découverts au Gabon*, une nouvelle menace qui conjugue les deux fléaux. Mots clés Chikungunya, virus, immunité innée *Voir fiche d’actualité scientifique n°312 : Dengue et chikungunya : quand les fléaux se conjuguent. Rédaction DIC – Gaëlle Courcoux 1. C es travaux ont été réalisés en collaboration avec des chercheurs du Centre international de recherches médicales de Franceville et de l’université des sciences de la santé à Libreville au Gabon et de l’Inserm. Coordination Gaëlle Courcoux Délégation à l’information et à la communication Tél. : +33 (0)4 91 99 94 90 Fax : +33 (0)4 91 99 92 28 [email protected] 2. Les interférons, cytokines et chimiokines sont des protéines produites par les cellules du système immunitaire. Relations avec les médias Vincent Coronini +33 (0)4 91 99 94 87 [email protected] Ces travaux sur l’épidémie gabonaise de 2007 ont montré le rôle clé de l’immunité innée dans l’évolution clinique de l’infection. © IRD / Michel Dukhan © IRD / Xavier Pourrut Indigo, photothèque de l’IRD Daina Rechner +33 (0)4 91 99 94 81 [email protected] Retrouvez les photos concernant cette fiche sur : www.indigo.ird.fr Le Sextant 44, boulevard de Dunkerque, CS 90009 F-13572 Marseille Cedex 02 France