Mai 2010 Les crises financière et économique : la pointe de l’iceberg Harvey L. Mead En 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (Commission Brundtland) a déposé son rapport à l’Assemblée générale des Nations Unies, après trois ans de travaux. Ce rapport signalait une multiplicité de crises associées au « développement » des précédentes décennies, crises qui étaient « imbriquées »1 et de nature sociale et environnementale. Les auteurs signalaient en même temps l’urgence d’y remédier. Vingt ans après le dépôt de ce rapport, en 2007, toute une série de rapports confirmaient que ces crises, continuaient et étaient plus sérieuses qu’avant. La situation ainsi décrite peut être mise en relation avec un autre rapport, celui-ci de 1972. Ce rapport mettait en relation dynamique les rétroactions entre différents paramètres du développement. Ces paramètres fournissaient, sans qu’il n’y ait eu la moindre relation formelle entre les deux, la table des matières du rapport de la Commission Brundtland. Le scénario de base du Club de Rome, responsable du rapport de 1972, mis à jour en 1992 et en 2004, fournit toujours – l’inertie des systèmes aidant - un graphique qui revient sans cesse et qui nous met devant la projection suivante : en 2025 environ, les écosystèmes planétaires et les sociétés humaines seront hors de contrôle. 1 Le terme « imbriqué » est utilisé dans la version française officielle internationale, Notre avenir à tous, rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement et rejoint le sens de « structurel » dans le langage économique. La version française a été préparée par une équipe de l’Union québécoise pour la conservation de la nature (devenue Nature Québec) en collaboration avec Roger Léger et les Éditions du Fleuve (1989, réédition 2005 par Éditions Lambda). 1 Mai 2010 Figure 1 Projection 1972-2100 des tendances principales du développement Source : Dennis H. Meadows et al, The Limits to Growth (1972) Les réactions négatives aux travaux du Club de Rome ont fusé de partout et la prise en compte des constats de la Commission Brundtland n’a pas dépassé le stade des bonnes intentions en termes de suivi. Il y a fort à parier que ces réactions viennent du fait que la croissance économique, telle qu’exprimée par le Produit intérieur brut (PIB), n’a pas cessé de croître pendant cette période, laissant croire aux économistes, et aux décideurs conseillés par les premiers, que tout allait raisonnablement bien. Les décisions en matière de développement ont été guidées inéluctablement par cet indice phare, sans prendre en compte le fait – reconnu par tous – qu’il ne fournit pas d’informations sur les passifs associés à l’activité économique, passifs qui sont créés par les crises décrites et suivies par les non économistes œuvrant dans les sciences naturelles et sociales. 2 Mai 2010 Il reste toujours des « optimistes » qui prétendent que nous allons continuer de trouver des ressources non renouvelables suffisantes pour nos besoins (et nos désirs), que nous allons apprendre à utiliser nos ressources renouvelables de façon renouvelable, et que l’innovation technologique va régler les problèmes de la pollution occasionnée par notre utilisation de ces ressources. Ces mêmes optimistes, ou d’autres, sont également convaincus que la « sortie » des crises financière et économique actuelles se fera selon les modèles du passé. Mais un tel optimisme n’a tout simplement pas de fondement; la projection de 1972 et le rapport de 1987 se confirment quotidiennement sur le terrain. En même temps, les crises financière et économique de 2008-2009 viennent s’insérer dans la projection de 1972. Le phénomène démographique La table des matières du rapport Brundtland mérite un coup d’œil à cet égard : après une première partie touchant de façon générale les crises, le développement et l’économie, le rapport traite, secteur par secteur, de la population comme premier enjeu, puis de la sécurité alimentaire, de l’état des écosystèmes, de l’énergie, de l’activité industrielle et enfin de l’urbanisation. En effet, la trame de fond de l’histoire de la civilisation récente se trouve dans ce premier enjeu: l’accroissement de la population. D’environ deux milliards de personnes en 1940, la population du globe est aujourd’hui de près de sept milliards et possède une inertie qui va pousser cela vers les neuf milliards dans les prochaines décennies, si rien n’arrive pour l’arrêter. Cette augmentation de la population humaine, dans les pays développés, a contribué de façon importante à une augmentation correspondante du PIB. C’est pourtant évident que la croissance 3 Mai 2010 démographique ne peut pas durer et doit s’arrêter2, et on doit reconnaître que cet aspect presque aléatoire et peu reconnu de la croissance économique depuis la Deuxième Guerre mondiale est fondamental dans l’analyse de ce qui s’est passé et de ce qui va se passer dans les prochaines années. Une stabilisation puis un vieillissement de la population dans les pays riches s’opèrent peu à peu, inéluctablement. Ce phénomène constitue non seulement une composante « non durable » de la croissance connue par ces pays pendant les dernières décennies, mais il comporte aussi un coût rarement évalué: celui associé à l’occupation de plus en plus de territoires de la planète pour l’habitation, pour l’alimentation et pour la recherche de matières premières pour soutenir la population (surtout, dans les pays riches), tout comme pour servir de dépotoir à ces matières après usage. Cette occupation a soumis la planète à un stress qui la poussait à ses limites et qui, depuis plusieurs années, la pousse au-delà de ces limites. Elle nous laisse aussi aujourd’hui avec une « dette écologique » extrêmement importante. Presque personne non plus ne cherche à évaluer l’importance de l’aspect démographique de cet endettement, mais il représente finalement le fond de plusieurs crises qui sévissent depuis des décennies (au moins depuis 1987 et le dépôt du rapport Brundtland, si on s’en tient à des constats officiels). L’impressionnante amélioration de la qualité de vie de centaines de millions de personnes, depuis environ cinquante ans, s’est faite en épuisant de nombreuses ressources naturelles, dont les énergies fossiles, appauvrissant ainsi le capital naturel sur lequel repose tout développement humain, cela accompagné d’une augmentation des populations humaines pauvres 2 Par contre, seuls quelques pays comme la Chine (400 millions de moins de Chinois en raison de la loi de 1978 sur la restriction à un seul enfant) et le Viet Nam ont pris le défi au sérieux. 4 Mai 2010 de quelques milliards de personnes. Ce sont les deux cotés de la médaille du phénomène démographique. Alors que l’attention est portée quotidiennement sur les crises financière et économique, des crises plus profondes se sont donc tramées au fil des décennies. Ces crises, sociales et écologiques, représentent le résultat d’une sorte de « spéculation » illusoire et mal avisée par notre génération3 sur la possibilité d’un potentiel illimité de croissance d’une planète limitée dans l’espace. La spéculation inhérente aux marchés boursiers et financiers se profile avec cette autre spéculation comme trame de fond qui se trouve en fin de régime.4 Des crises sociales Il semble y avoir de bonnes raisons de croire que les présentes crises financière et économique révèlent des faiblesses profondes dans le système économique néolibéral actuel : il y a des limites qui sont ou qui seront atteintes sous peu quant aux jeux qui se font dans ces marchés, car les crises qui affectent ces marchés touchent la planète entière et toute la société humaine. Le système ne peut pas continuer à fonctionner selon le modèle en place, basé sur l’idée que la 3 Il semble pertinent de cibler cette « génération », pendant la Deuxième Guerre mondiale et qui a vécu la période de croissance dans les pays riches qui semble arriver à sa fin, en même temps que les crises éclatent. 4 Un Comité consultatif sur l’économie et les finances publiques a été mis en place dans le cadre du processus pré budgétaire et a publié un premier fascicule de son rapport : Le Québec face à ses défis : Des services publics étendus, une marge de manœuvre étroite, de nouveaux défis à relever http://consultations.finances.gouv.qc.ca/media/pdf/le-quebec-face-a-ses-defis-fascicule-1.pdf (Gouvernement du Québec, 2009). Tout ce qu’il trouve à dire sur cette problématique est que la démographie du Québec manque de dynamisme par rapport à ses voisins et cela « nous fera perdre des points précieux de croissance économique au cours des prochaines années » (p.3, cf. aussi p.44). 5 Mai 2010 « création » de capital est illimitée tout autant que notre capacité à gérer les risques inhérents à cette création voulue illimitée. Plus profondément, parce qu’indépendamment de toute capacité humaine à y remédier, l’endettement constitué par l’épuisement des écosystèmes et des ressources de la planète ne permettra pas à la civilisation actuelle de poursuivre sur la lancée des dernières décennies. L’idée que nous pouvons gérer des crises financière et économique pourra toujours être mise à l’épreuve (ou permettre de reporter à plus tard la prise en compte de notre irresponsabilité comme civilisation à cet égard). Par contre, le fait qu’on croit pouvoir gérer des crises écologiques ou sociales est tout simplement illusoire. Les défis dorénavant incontournables consisteront plutôt à chercher à les endiguer et à s’accommoder de leurs incidences. Un deuxième paramètre du Club de Rome, et sujet du deuxième chapitre sectoriel du rapport Brundtland, a trait à notre capacité d’assurer l’alimentation de la population humaine. Le fait que nous sommes aujourd’hui près de cinq milliards de plus qu’au début de « l’ère du pétrole » représente un défi plus important et plus complexe qu’il il y a cinquante ans, voire vingt-cinq ans : la production de grain per capita a plafonné en 19845, indiquant que le défi s’était dorénavant transformé en crise permanente devant l’augmentation continue de la population.6 Voir Vital Signs 2007-2008, Worldwatch Institute, pp.20-21 pour la production de grains, pp. 24-25 pour la production de viande. 6 Déjà, en 1996, Lester Brown, fondateur du Worldwatch Institute et agronome de réputation mondiale, a calculé (voir Who Will Feed China? (1995)) que la Chine à elle seule, vers 2030, va avoir besoin d’importer deux fois tout le grain produit pour le commerce mondial, avec des conséquences sociales, économiques et environnementales que nous voyons déjà en train de se profiler. 5 6 Mai 2010 La conjugaison de cet enjeu avec le quatrième traité par le rapport Brundtland, l’énergie à la base de notre développement, a produit en effet des crises impressionnantes en 2008, déjà oubliées par les médias mais pas par ceux qui les ont vécues et qui vont continuer à les vivre.7 En effet, le recours aux ressources non renouvelables comme moteur du développement est par définition non durable, sa fin n’étant qu’une question de temps : quand les limites seront-elles atteintes, en espérant que la période de « transition » aura laissé des bases durables non dépendantes de ressources non renouvelables et limitées?8 Les pays de l’OCDE cherchent à poursuivre leur « développement », devenu assez clairement un rêve plutôt qu’une réalité « durable », en « cultivant du pétrole ». Les efforts en cours pour produire des biocarburants et des bioproduits, substituts qui pourraient être « durables » dans un tout autre contexte, amènent à une confrontation inéluctable avec la réalité fournie par la démographie.9 Comme la FAO le soulignait le 29 septembre 200910, il faudrait déjà augmenter de 70% la production alimentaire pour nourrir la population additionnelle qui s’en vient presque par inertie. Bref, on n’est déjà pas capable de nourrir les populations humaines – cinq à sept milliards de plus qu’en 1940 - et on est pourtant en train de planifier une réorientation des activités agricoles de production des aliments pour les transformer en productions énergétiques. 7 On peut peut-être calculer que la production actuelle de grain est suffisante pour nourrir toute la population humaine, mais cela est seulement si toutes les contraintes étaient enlevées et si la diète de la population humaine était végétarienne. 8 Le défi des changements climatiques en est finalement un qui doit cibler la consommation des combustibles fossiles; actuellement, ce défi se trouve transformé en un effort pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES), mais le défi ainsi exprimé n’est qu’une autre fuite en avant, et laisse entendre que la solution viendra de la technologie. 9 Deux groupes de travail de l’OCDE ont le mandat d’élaborer des programmes en ce sens. 10 Voir FAO, Agriculture mondiale: horizon 2015/2030 http://www.fao.org/DOCREP/004/Y3557F/Y3557F00.HTM 7 Mai 2010 La spéculation a joué un rôle assez évident dans la hausse rapide et importante des prix du pétrole et des grains alimentaires en 2008; cherchant où placer l’argent retiré de la bulle immobilière en train d’éclater, les spéculateurs semblent déceler maintenant dans les ressources naturelles de nouvelles cibles assez facilement identifiables. Cette spéculation est fondée sur une évidence : le pétrole est déjà devenu une ressource dont l’offre deviendra de plus en plus rare devant une demande croissante, et le grain ne suffit déjà plus à la demande. Une population énorme par rapport à celle des années 1940-1950 et la volonté d’une partie de cette population de suivre le modèle de développement des pays riches, voilà une combinaison qui a fourni les ingrédients de ces deux autres crises. Et les « crises imbriquées » de Brundtland se conjuguent maintenant avec celles occasionnées par les milieux financiers, jusqu’ici actifs en indépendance de leurs assises dans ce qui est fourni par les écosystèmes. Il s’agit d’un autre indice, dans l’ensemble des jeux spéculatifs, de l’atteinte de limites. Des crises écologiques. À moins que ce pessimisme soit mal fondé…. La planète n’est pas encore complètement occupée, et les planificateurs de l’OCDE semblent en être conscients. Ils ciblent explicitement les forêts primaires non encore transformées en « terres agricoles » pour tenter de produire des biocarburants et de bioproduits; il s’agit d’environ 11% de la surface du globe. Déjà les pays riches ont pu montrer leur efficacité à cet égard : le Bornéo, une immense île de l’Indonésie encore presque complètement couverte d’une forêt tropicale il y a vingt ans, se trouve aujourd’hui presque complètement transformée en espace pour de la production agricole destinée surtout à l’alimentation animale et aux biocarburants dans les pays riches; les forêts de 8 Mai 2010 l’Amazonie subissent quant à elles de semblables assauts pour la production des mêmes types de denrées; etc. Figure 2 La capacité d’élimination rapide des écosystèmes Source : WWF Allemagne Le troisième enjeu soulevé par Brundtland est celui de l’état des écosystèmes planétaires, qui sont à la base de toute la civilisation humaine. La menace des changements climatiques était déjà signalée dans le rapport, il y a vingt ans. Aujourd’hui, notre recours à une énergie fossile pour « alimenter » notre développement a transformé les écosystèmes de la planète entière ; les émissions résultant de sa combustion, couplées à celles résultant de notre agriculture à base d’engrais chimiques, suffisent amplement à dominer et rendre probablement inefficace tout effort de gestion des crises écologiques en cours. Pour répéter : cette énergie qui soutient notre 9 Mai 2010 développement est par définition non durable, elle va s’épuiser tôt ou tard – et beaucoup d’indices tendent à démontrer que cela sera tôt, qu’on y arrive dès maintenant. La perte des forêts (surtout tropicales, mais la forêt boréale n’est pas épargnée), l’effondrement quasi généralisé des pêcheries (base d’alimentation pour des centaines de millions de personnes), toute une série d’atteintes directes aux écosystèmes ne font qu’augmenter l’importance du défi. Nul besoin de détailler. Le caractère « imbriqué » ou structurel des crises est donc assez clair : notre développement est fondé sur le recours à une énergie qui ne pourra pas durer, ce recours et nos gestes plus directs sont associés à des transformations écologiques rendant la civilisation actuelle vouée à un échec qui s’annonce proche et, comme trame de fond, cette civilisation en est une qui s’est permis une augmentation de ses populations à une vitesse telle et en des nombres tels que l’effort de gérer l’ensemble est compromis dès le départ (ou plutôt, à la fin). 10 Mai 2010 Figure 3 11 Les courbes définissant notre développement Source : Peter G. Brown et Geoffrey Garver, Right Relationship : Building a Whole Earth Economy (Berrett- Koehler, 2009) La convergence L’empreinte écologique de la population humaine actuelle dépasse la capacité de la planète à l’absorber, à la soutenir. Cette population a déjà besoin – et cela depuis les vingt dernières années 11 Il s’agit de courbes typiques des populations des cervidés (chevreuils), caractérisées par des cycles de croissance exponentielle et de krach – et qui définissent autant de crises actuelles dans notre civilisation. Les graphiques ne montrent pas la fin du cycle, le krach. 11 Mai 2010 qui ont creusé la dette écologique – de plus que la planète peut fournir. L’ajout annuel de 70 millions de personnes à la population humaine entraîne un résultat inéluctable : les pays riches vont être obligés de réduire radicalement leur empreinte pour amener toute la population humaine à des modes de vie inimaginables tellement ils ne seront pas conformes à ce qu’on a connu pendant « l’ère du pétrole », soit moins d’une soixante d’années. Une façon d’aborder une telle situation est de cibler une convergence dans les différents domaines de l’activité humaine qui ont ces impacts dévastateurs. Cette convergence représente le portrait des orientations nécessaires pour aligner la consommation vers (i) une équité entre toutes les sociétés et (ii) un respect de la capacité de support de la planète. Déjà en 1987, Brundtland prônait une convergence dans la consommation d’énergie vers une égalité à travers le monde. Or, les projections de croissance de la consommation des énergies fossiles inscrites dans le tableau de convergence de Holdren présenté plus bas – visant à respecter certaines limites de disponibilité de la ressource et de réduction nécessaire des impacts de son utilisation – sont probablement déjà atteintes. Une brève vérification12 suggère qu’en 2004 la consommation per capita dans les « pays avancés » était environ 13,3 kW et dans les « pays en voie de développement » environ 2,23. Le Tableau 1 représente des cibles pour 2025, en voie vers la convergence et l’égalité dans la consommation; le Tableau comporte une utilisation d’énergie en 2025 deux fois celle de 1990. Ce tableau, produit dans le contexte fourni par le rapport Brundtland, serait néanmoins la moitié de celle du scénario fort de Brundtland et une fois et demie celle du scénario modéré; la colonne sur l’usage per capita souligne les écarts à combler. 12 http://www.econologie.com/la-consommation-mondiale-d-energie-articles-3282.html 12 Mai 2010 Source : UQCN, 1996 : Jean-François Turmel, adapté de Holdren (1992)13 Les pays avancés, plutôt que de couper en deux leur consommation par habitant, l’ont doublée14…. 13 UQCN, Efficacité énergétique : Le choix durable (1996), avec référence à John P Holdren, « The transition to costlier energy », Prologue de Energy Efficiency and Human Activity : Past Trends, Future Prospects, par Lee Schipper et Stephen Meyers avec Richard B. Howarth et Ruth Steiner (Cambridge University Press, New York, 1992). 14 Il est préoccupant de constater, dans le premier fascicule publié par le Comité consultatif sur l’économie et les finances publiques, une comparaison du Québec avec les autres provinces canadiennes en termes de PIB par habitant. Les trois provinces en tête s’y trouvent en raison de l’importance de la production de pétrole dans leurs économies (incluant les sables bitumineux, mis en cause par le Premier ministre Charest à Copenhague) et la quatrième, l’Ontario, possède une économie fortement axée sur l’automobile (et pas les petits modèles) à un moment où tous les pays riches doivent mettre l’accent sur les transports en commun. L’analyse du Comité conclut que le Québec est moins riche que ces autres provinces, sans le moindre regard sur les 13 Mai 2010 Le cinquième enjeu du rapport Brundtland est la production industrielle. Celle-ci doit se situer, selon les orientations fondamentales mises en évidence par les économistes écologiques, dans le contexte des limites inhérentes à notre vie sur une planète limitée. Brundtland espérait nous voir « produire plus avec moins »15 et n’a pas vu les incohérences inhérentes à la poursuite de la « croissance économique ». Elles sont plus évidentes aujourd’hui, mais trop souvent seulement aux yeux des personnes encore marginales dans les prises de décisions politiques courantes16. Notre production industrielle avant les crises récentes comportait déjà de graves problèmes. Le système exige une croissance et cela est en conflit direct avec les impacts planétaires que ces activités industrielles entraînent. La taille des activités, menées par des communautés qui sont elles-mêmes, par leur propre taille, en conflit avec la capacité de la planète à les soutenir, aboutit aujourd’hui à l’échec. La convergence à dessiner face aux inégalités de la croissance industrielle du dernier demi-siècle suggère en effet à quel point le défi est « de taille ». Le secteur financier est devenu depuis des décennies sans comparaison plus important que le secteur productif lui-même. Il serait intéressant de savoir jusqu’à quel point cette envolée représente le constat plus ou moins conscient par les joueurs sur les marchés que les limites écologiques avaient été effectivement atteintes en ce qui concernait la production industrielle17. implications de la croissance en cause et de ses coûts non comptabilisés. Le Québec est plutôt « riche » en n’ayant pas le même niveau de passif à l’égard de cette consommation de pétrole. 15 Elle revient sur ce sujet, sans avoir changé d’idée, dans la Préface au plus récent fascicule du Worldwatch Institute, Report 181, qui porte sur les crises environnementales et leurs liens avec la santé au sens large. 16 C’est même le cas d’un prix Nobel d’économie tel que Joseph Stiglitz, reconnu partout mais sans aucune influence. semble-t-il, sur la prise de décisions. On doit ajouter que Stiglitz n’est pas toujours explicite quant aux enjeux de la croissance. 17 Cf. la composante pour la production industrielle du graphique du Club de Rome à la Figure 1. 14 Mai 2010 En conclusion préliminaire Encore une fois, des optimistes vont insister sur le potentiel de la technologie, en dépit de l’histoire contemporaine qui démontre que les nouveautés technologiques, aussi impressionnantes soient-elles, ont été au cœur des impacts grandissants de la production industrielle. Indépendamment de cela, le défi de créer des emplois pour des milliards de personnes amène un constat assez inéluctable : plus la technologie contribue à une augmentation de la productivité, moins il y a d’emplois, à moins d’une nouvelle croissance de l’activité productive18. La croissance démographique des dernières décennies s’est accompagnée d’un autre phénomène important dans ce contexte : les inégalités entre le milliard de riches et les milliards de pauvres dans le monde sont devenues telles que l’intérêt même pour les bienfaits de la technologie disparaît face aux nécessités de base non remplies de ces pauvres. Ils ont besoin aussi soit d’emplois permettant une vie humaine et sociale « normale », soit de systèmes sociaux où l’emploi permanent n’est pas obligatoire pour mener une vie digne. Dans les deux cas, ce n’est pas la richesse illusoire des dernières décennies dans les pays riches qui primerait. Le système financier derrière la présente crise, tout comme le système économique plus directement impliqué dans les crises écologiques et sociales, aboutissent à une conclusion raisonnablement claire. Les crises actuelles sont nombreuses, permanentes et nous rapprochent dangereusement des limites naturelles et sociales de la planète. Il ne semble pas y avoir de choix : 18 Il serait plus que pertinent de voir à ce sujet Managing Without Growth : Slower by Design, Not Disaster, Peter Victor (Edward Elgar, 2008). Cet ancien sous-ministre de l’Ontario cherche à distinguer les paramètres conciliables avec un niveau de vie acceptable après les changements à opérer et les paramètres qui ne le sont pas. L’innovation, la technologie et la productivité ne le sont pas. 15 Mai 2010 soit les crises vont faire irruption dans une violence généralisée face à une instabilité des écosystèmes planétaires mettant en péril de nombreuses communautés humaines, soit ces communautés vont réaliser un virage d’une magnitude insoupçonnée par les commentateurs de l’actualité et par les décideurs qui entrevoient un avenir meilleur à travers les crises qu’ils considèrent naïvement comme encore ponctuelles. Notre capacité de gestion de cette situation, aboutissement de plusieurs crises sociales et écologiques laissées en plan par une insouciance constante pendant cette période, sera compromise – elle est déjà peu reluisante dans ses (non) accomplissements - par le fait qu’elle devra s’opérer dans un contexte où les dettes sociales et écologiques de cette ère viendront à échéance en termes de paiements dus.19 À cet égard, il ne faut pas oublier les défis associés à l’urbanisation galopante à travers le monde,. Ce phénomène provient en bonne partie de populations rurales que les campagnes ne peuvent plus supporter, vu leur grand nombre,, elles migrent donc vers les villes, peu importe ce qui les attend. Il s’agit du sixième enjeu signalé par Brundtland, en fait une variante du premier, l’enjeu démographique. La Figure 3 donne une image de la façon dont les crises sont imbriquées et structurelles. Il s’agit de photos satellite de l’expansion de la ville de Jakarta, résultant d’une croissance démographique et d’un exode rural qui fait qu’il y a de moins en moins de terres agricoles pour de plus en plus de 19 Ceci n’est pas que la vision d’un écologiste déçu. Maurice Strong, dans son autobiographie Where On Earth Are We Going? (Randon House, 2000), a fourni une vision tout aussi sombre, lui aussi voyant le moment de vérité autour de cette année 2025 cernée sans un mot par le Club de Rome. Son premier chapitre cherche à imaginer un rapport aux actionnaires de la planète en date du 1er janvier 2030, et la situation sera catastrophique, selon lui, « à moins que nous ne soyons très, très sages ou très, très chanceux » (version électronique disponible). 16 Mai 2010 personnes, image à petite échelle de la situation planétaire telle qu’esquissée dès le début : la démographie représente un fondement incontournable des crises présentement en train d’éclater. Figure 4 L’exode rural et l’étalement urbain à Jakarta : sur les terres agricoles Source : NASA Earth Observatory (2008) Nous sommes rendus à un moment « critique » de notre développement et nous manquons cruellement d’outils pour encadrer l’effort nécessaire pour nous sortir de ses crises. Celle que nous traversons n’est pas une crise comme les autres; la récession que nous traversons n’est pas une récession comme les autres. Il n’y a pas de « sortie durable » imaginable, mais il importe de commencer dès maintenant à préparer l’avenir. Et voilà que la façon des économistes de caractériser notre endettement généralisé a toujours pour cible l’indice fétiche définissant les dérapages à la base de notre développement qui gage que le 17 Mai 2010 monde est infini. L’endettement est en effet caractérisé, constamment, en fonction de son pourcentage du PIB des différents pays – comme si le PIB constituait un indice sur lequel s’appuyer, et comme s’il fournissait une vision de la façon dont l’endettement serait effaçable. Or, il n’en est rien. Nous devons en priorité reconnaître les faiblesses multiples de cet indice phare du système et commencer à concevoir les outils d’une « sortie » de crises, la meilleure possible. 18