Mai 2010
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Les crises financière et économique : la pointe de l’iceberg
Harvey L. Mead
En 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (Commission
Brundtland) a déposé son rapport à l’Assemblée générale des Nations Unies, après trois ans de
travaux. Ce rapport signalait une multiplicité de crises associées au « développement » des
précédentes décennies, crises qui étaient « imbriquées »1 et de nature sociale et
environnementale. Les auteurs signalaient en même temps l’urgence d’y remédier. Vingt ans
après le dépôt de ce rapport, en 2007, toute une série de rapports confirmaient que ces crises,
continuaient et étaient plus sérieuses qu’avant.
La situation ainsi décrite peut être mise en relation avec un autre rapport, celui-ci de 1972. Ce
rapport mettait en relation dynamique les rétroactions entre différents paramètres du
développement. Ces paramètres fournissaient, sans qu’il n’y ait eu la moindre relation formelle
entre les deux, la table des matières du rapport de la Commission Brundtland. Le scénario de base
du Club de Rome, responsable du rapport de 1972, mis à jour en 1992 et en 2004, fournit toujours
– l’inertie des systèmes aidant - un graphique qui revient sans cesse et qui nous met devant la
projection suivante : en 2025 environ, les écosystèmes planétaires et les sociétés humaines seront
hors de contrôle.
1 Le terme « imbriqué » est utilisé dans la version française officielle internationale, Notre avenir
à tous, rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement et rejoint le
sens de « structurel » dans le langage économique. La version française a été préparée par une
équipe de l’Union québécoise pour la conservation de la nature (devenue Nature Québec) en
collaboration avec Roger Léger et les Éditions du Fleuve (1989, réédition 2005 par Éditions
Lambda).
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Figure 1 Projection 1972-2100 des tendances principales du développement
Source : Dennis H. Meadows et al, The Limits to Growth (1972)
Les réactions négatives aux travaux du Club de Rome ont fusé de partout et la prise en compte
des constats de la Commission Brundtland n’a pas dépassé le stade des bonnes intentions en
termes de suivi. Il y a fort à parier que ces réactions viennent du fait que la croissance
économique, telle qu’exprimée par le Produit intérieur brut (PIB), n’a pas cessé de croître
pendant cette période, laissant croire aux économistes, et aux décideurs conseillés par les
premiers, que tout allait raisonnablement bien. Les décisions en matière de développement ont été
guidées inéluctablement par cet indice phare, sans prendre en compte le fait – reconnu par tous –
qu’il ne fournit pas d’informations sur les passifs associés à l’activité économique, passifs qui
sont créés par les crises décrites et suivies par les non économistes œuvrant dans les sciences
naturelles et sociales.
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Il reste toujours des « optimistes » qui prétendent que nous allons continuer de trouver des
ressources non renouvelables suffisantes pour nos besoins (et nos désirs), que nous allons
apprendre à utiliser nos ressources renouvelables de façon renouvelable, et que l’innovation
technologique va régler les problèmes de la pollution occasionnée par notre utilisation de ces
ressources. Ces mêmes optimistes, ou d’autres, sont également convaincus que la « sortie » des
crises financière et économique actuelles se fera selon les modèles du passé. Mais un tel
optimisme n’a tout simplement pas de fondement; la projection de 1972 et le rapport de 1987 se
confirment quotidiennement sur le terrain. En même temps, les crises financière et économique
de 2008-2009 viennent s’insérer dans la projection de 1972.
Le phénomène démographique
La table des matières du rapport Brundtland mérite un coup d’œil à cet égard : après une première
partie touchant de façon générale les crises, le développement et l’économie, le rapport traite,
secteur par secteur, de la population comme premier enjeu, puis de la sécurité alimentaire, de
l’état des écosystèmes, de l’énergie, de l’activité industrielle et enfin de l’urbanisation. En effet,
la trame de fond de l’histoire de la civilisation récente se trouve dans ce premier enjeu:
l’accroissement de la population. D’environ deux milliards de personnes en 1940, la population
du globe est aujourd’hui de près de sept milliards et possède une inertie qui va pousser cela vers
les neuf milliards dans les prochaines décennies, si rien n’arrive pour l’arrêter.
Cette augmentation de la population humaine, dans les pays développés, a contribué de façon
importante à une augmentation correspondante du PIB. C’est pourtant évident que la croissance
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démographique ne peut pas durer et doit s’arrêter2, et on doit reconnaître que cet aspect presque
aléatoire et peu reconnu de la croissance économique depuis la Deuxième Guerre mondiale est
fondamental dans l’analyse de ce qui s’est passé et de ce qui va se passer dans les prochaines
années. Une stabilisation puis un vieillissement de la population dans les pays riches s’opèrent
peu à peu, inéluctablement.
Ce phénomène constitue non seulement une composante « non durable » de la croissance connue
par ces pays pendant les dernières décennies, mais il comporte aussi un coût rarement évalué:
celui associé à l’occupation de plus en plus de territoires de la planète pour l’habitation, pour
l’alimentation et pour la recherche de matières premières pour soutenir la population (surtout,
dans les pays riches), tout comme pour servir de dépotoir à ces matières après usage. Cette
occupation a soumis la planète à un stress qui la poussait à ses limites et qui, depuis plusieurs
années, la pousse au-delà de ces limites.
Elle nous laisse aussi aujourd’hui avec une « dette écologique » extrêmement importante.
Presque personne non plus ne cherche à évaluer l’importance de l’aspect démographique de cet
endettement, mais il représente finalement le fond de plusieurs crises qui sévissent depuis des
décennies (au moins depuis 1987 et le dépôt du rapport Brundtland, si on s’en tient à des constats
officiels). L’impressionnante amélioration de la qualité de vie de centaines de millions de
personnes, depuis environ cinquante ans, s’est faite en épuisant de nombreuses ressources
naturelles, dont les énergies fossiles, appauvrissant ainsi le capital naturel sur lequel repose tout
développement humain, cela accompagné d’une augmentation des populations humaines pauvres
2 Par contre, seuls quelques pays comme la Chine (400 millions de moins de Chinois en raison de
la loi de 1978 sur la restriction à un seul enfant) et le Viet Nam ont pris le défi au sérieux.
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de quelques milliards de personnes. Ce sont les deux cotés de la médaille du phénomène
démographique.
Alors que l’attention est portée quotidiennement sur les crises financière et économique, des
crises plus profondes se sont donc tramées au fil des décennies. Ces crises, sociales et
écologiques, représentent le résultat d’une sorte de « spéculation » illusoire et mal avisée par
notre génération3 sur la possibilité d’un potentiel illimité de croissance d’une planète limitée dans
l’espace. La spéculation inhérente aux marchés boursiers et financiers se profile avec cette autre
spéculation comme trame de fond qui se trouve en fin de régime.4
Des crises sociales
Il semble y avoir de bonnes raisons de croire que les présentes crises financière et économique
révèlent des faiblesses profondes dans le système économique néolibéral actuel : il y a des limites
qui sont ou qui seront atteintes sous peu quant aux jeux qui se font dans ces marchés, car les
crises qui affectent ces marchés touchent la planète entière et toute la société humaine. Le
système ne peut pas continuer à fonctionner selon le modèle en place, basé sur l’idée que la
3 Il semble pertinent de cibler cette « génération », pendant la Deuxième Guerre mondiale et qui a
vécu la période de croissance dans les pays riches qui semble arriver à sa fin, en même temps que
les crises éclatent.
4 Un Comité consultatif sur l’économie et les finances publiques a été mis en place dans le cadre
du processus pré budgétaire et a publié un premier fascicule de son rapport : Le Québec face à ses
défis : Des services publics étendus, une marge de manœuvre étroite, de nouveaux défis à relever
http://consultations.finances.gouv.qc.ca/media/pdf/le-quebec-face-a-ses-defis-fascicule-1.pdf
(Gouvernement du Québec, 2009). Tout ce qu’il trouve à dire sur cette problématique est que la
démographie du Québec manque de dynamisme par rapport à ses voisins et cela « nous fera
perdre des points précieux de croissance économique au cours des prochaines années » (p.3, cf.
aussi p.44).
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