Dossier
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La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no 60 • 4e trimestre 2012
Dans ce dossier portant sur la scolarisation des élèves avec autisme, il nous
est apparu nécessaire de présenter cette population particulière en insistant
davantage sur l’aspect différence que sur l’aspect handicap et en présentant
l’aspect fonctionnement de ces personnes plutôt que l’aspect troubles et déficits.
Il nous a semblé en effet que c’était ce qui était important pour les professionnels
L’autisme
au-delà de la triade
Le fonctionnement autistique
ou une autre façon d’être au monde
Christine PhiliP
Maître de conférences honoraire
Laboratoires Grhapes - INS HEA - et LPPS - Paris Descartes
Résumé : Cet article présente l’autisme d’une façon inhabituelle, non à partir de la fameuse triade autistique
qui met l’accent sur les déficits de communication de ce trouble, mais en se référant aux propos
tenus par les personnes autistes elles-mêmes qui s’expriment sur leur mode de fonctionnement
et aux experts qui sont attentifs à leurs discours. Plutôt que de s’appesantir sur les aspects
déficitaires de ce trouble, c’est ainsi sur le fonctionnement de la personne que l’accent est
mis. Ce mode de fonctionnement particulier, très différent de celui des neuro-typiques, est
très important à saisir pour tous les professionnels qui doivent accompagner ces personnes,
de l’enfance à l’âge adulte. Il renvoie davantage à la dimension sensorielle et perceptive de
l’autisme qu’à la dimension altération de la communication.
Mots-clés : Autisme - Différence et handicap - Fonctionnement autistique - Traitement des informations -
Sensorialité.
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confrontés au quotidien à ces élèves particuliers. Nous ferons d’abord une critique de
la présentation actuelle de l’autisme avant de développer une autre présentation de
ce que nous appelons le fonctionnement autistique. Ainsi ne nous contenterons-nous
pas de définir un syndrome, ce qui correspond à la façon classique de présenter
ces populations en situation de handicap et qui caractérise l’approche médicale. Il
existe en effet une autre façon d’approcher ces populations particulières en tentant
d’appréhender leur différence et leur façon singulière d’être et de participer au
monde… C’est une telle présentation que nous souhaitons promouvoir.
Critique de lapproChe médiCale et défiCitaire de lautisme
Dans les diverses manifestations ou colloques, lorsqu’il s’agit de présenter l’autisme,
on assiste de nos jours à la présentation classique de ce qui est appelé un syndrome à
partir des classifications internationales et de la bien connue triade autistique détaillant
les altérations qualitatives des interactions sociales et de la communication verbale
et le caractère répétitif et restreint des intérêts, activités et comportements. Il s’agit
en définitive d’une façon assez négative de présenter le profil de ces personnes,
laquelle n’engage nullement à les fréquenter mais inciterait plutôt à s’en méfier, voire
à s’en protéger… L’exposé est en général assez clair, illustré ou non d’exemples, mais
l’autisme se trouve systématiquement réduit à un trouble de la communication (non
verbale et verbale), présenté à partir de ses symptômes les plus évidents. L’accent
est mis sur les déficits de communication de ces personnes.
Plusieurs remarques peuvent être faites sur cette façon de définir l’autisme. Tout
d’abord ce qui fait problème, c’est cette volonté de définir un trouble. Ce qui est
important pour les professionnels au quotidien, ce n’est pas la définition du trouble
mais plutôt la compréhension de la personne. Par ailleurs en ne se centrant que
sur les aspects négatifs et problématiques, on oublie de définir les points forts de
ces personnes sur lesquels les professionnels peuvent s’appuyer au fil des jours.
Ces aspects déficitaires risquent toujours d’engendrer crainte et démobilisation.
Par ailleurs en se focalisant ainsi sur la communication et ses déficits, on se centre
sur ce qui constitue nos normes de fonctionnement, celles des dits neuro-typiques,
comme nous nomment les autistes dans le haut du spectre de l’autisme… Nous
sommes en effet avant tout des êtres communiquants. Et c’est sur cet aspect que
nous avons tendance à nous focaliser d’une façon naturelle et parfois excessive,
alors que, comme nous le montrerons plus loin, il y a d’autres aspects, notamment
sensoriels et perceptifs, qui ne retiennent pas notre attention et qui pourtant
éclairent grandement le fonctionnement de ces personnes. Cette approche dont
nous faisons la critique est une approche très médicale, présentant ces personnes
en négatif, se focalisant sur leurs manques et leurs dysfonctionnements. C’est une
approche très normo centrée, prenant comme point de départ notre propre mode
de fonctionnement qui constitue la norme et qui donc appréhende ces personnes
à partir de ce fonctionnement.
Nous allons donc tenter pour une fois de présenter l’autisme autrement, en essayant
de comprendre le mode de fonctionnement de ces personnes, en prenant en compte
notamment les témoignages de ceux qui peuvent s’exprimer, ceux-là attirant notre
attention sur d’autres aspects que les aspects sociaux déficitaires, sur des aspects
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1. T. Grandin, Ma vie d’autiste, La pensée en images, Ed. Odile Jacob.
2. R. Grandin, La pensée en images et autres témoignages sur l’autisme, Odile Jacob, Paris, 1997.
que les spécialistes pour l’heure ont très peu étudiés. Peu d’experts en effet se
sont engagés sur ces nouvelles pistes, hormis quelques experts étrangers, parmi
lesquels cet expert québécois Laurent Mottron qui, parce qu’il travaille avec des
personnes autistes de haut niveau et prend en compte leurs témoignages, a tenté
de les percevoir autrement. Ne parle-t-il pas lui-même de l’autisme comme d’une
autre intelligence, titre d’un de ses ouvrages ?
lautisme, une autre intelligenCe
ou une autre façon de traiter les informations ?
Les aspects sensoriels et perceptifs
Lorsque l’on s’efforce d’appréhender l’autisme autrement, c’est en effet du côté
des aspects sensoriels et perceptifs qu’il faut essayer de comprendre ce qui se
passe. Les témoignages des personnes avec autisme qui s’expriment sont alors
très précieux et nous obligent à quitter nos normes de fonctionnement pour essayer
de voir le monde avec leurs yeux. Si l’on se réfère par exemple aux témoignages
multiples de Temple Grandin, la première à s’être exprimée 1, on se rend compte
que ces personnes ne traitent pas comme nous les informations, ce qui induit un
autre type de fonctionnement et une autre façon d’être au monde. Lorsqu’elle
évoque ces aspects sensoriels, Temple Grandin en montre à la fois les aspects
problématiques, mais aussi les aspects positifs dont chacun d’entre eux peut nous
surprendre tant il nous est étranger. Ces deux passages extraits de son ouvrage La
pensée en image 2 font bien apparaître ces deux aspects :
« Quand deux personnes parlent en même temps, il m’est difficile de me concentrer
sur l’une des voix. Mes oreilles ressemblent à des microphones qui capteraient tous
les sons avec la même sensibilité. Chez la plupart des gens l’ouïe ressemble à un
microphone unidirectionnel qui ne capte que les sons de la personne vers qui il est
dirigé. Lorsque je me trouve dans une pièce bruyante, je n’arrive pas à comprendre
ce qui se dit, car je ne filtre pas le bruit de fond. Quand j’étais petite les fêtes de
famille bruyantes m’affolaient ; je n’arrivais plus à me contrôler et je piquais des
crises de colère. Les goûters d’anniversaire étaient une torture pour moi… » (p. 76)
« Enfant j’étais attirée par les couleurs vives et les objets en mouvement qui stimulaient
mon système visuel, comme les cerfs-volants et les avions en miniature. J’adorais
les chemisiers rayés et la peinture fluo, et j’adorais regarder les portes coulissantes
des supermarchés. Quand je voyais le bord de la porte traverser mon champ visuel,
je sentais un agréable frisson courir le long de mon dos. Les déficiences mineures
du traitement des informations visuelles renforçaient mon attirance pour certains
stimuli, qui auraient effrayé ou fait fuir un autre enfant atteint d’anomalies plus
sévères. » (p. 83)
Ce témoignage très précieux pour qui accepte de le prendre en compte nous projette
d’emblée dans le monde de l’autisme qui est un monde beaucoup plus sensoriel que
le nôtre. Le nôtre se situe davantage dans la pensée ou dans l’émotion que dans la
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sensation. Le leur fait apparaître cette sensorialité très présente qui parfois réjouit
la personne, avec des sensations qui tantôt lui plaisent (les portes coulissantes),
tantôt la font souffrir (les goûters d’anniversaire). Renseignement très précieux
pour ceux qui côtoient ces personnes dans un espace éducatif ou pédagogique,
pour comprendre ce qui peut la gêner ou au contraire faciliter ses activités dans
l’environnement qu’on lui propose. Ce témoignage fait aussi ressortir la différence de
ces personnes avec celles qui sont dites neuro-typiques et nous invite à comprendre
l’importance pour elles de ce qui pour nous n’en n’a guère…
« Les enfants autistes ne supportent vraiment pas les bruits aigus et stridents,
comme ceux d’une perceuse électrique, d’un robot de cuisine, d’une scie ou d’un
aspirateur. Ils supportent mal le phénomène d’échos dans la salle de sport de l’école
ou dans la salle de bain. La nature des sons qui dérangent varie d’une personne à
l’autre. Tel enfant autiste adorera l’aspirateur, tel autre en aura peur. Certains sont
attirés par le bruit de l’eau qui coule et qui clapote et passent des heures à tirer la
chasse d’eau ; d’autres peuvent mouiller leur culotte tant ils sont paniqués par le
grondement d’une chasse d’eau qui rugit comme les chutes du Niagara. » (p. 75)
C’est la singularité des fonctionnements autistiques que Temple Gandin nous aide
à comprendre ici. Chaque personne a en effet son propre profil sensoriel, différent
de celui de son voisin, pourtant autiste lui aussi. Il faudrait en effet se garder de
proférer des discours qui laisseraient penser par exemple que les autistes en général
n’aiment pas les bruits… Comme T. Grandin le fait remarquer, ce qui fait souffrir
l’un peut plaire à l’autre, comme le bruit de l’eau qui coule. Cette remarque est
importante, car elle nous invite à faire ce que l’on pourrait appeler portrait sensoriel
de la personne autiste afin de repérer ce qui peut la gêner dans son environnement
ou, au contraire, ce qui risque de focaliser entièrement son attention et qui peut
aussi constituer un problème en situation d’apprentissage. Ainsi est-on assez loin ici
de la triade autistique et des difficultés de communication de ces personnes. On se
place en revanche au cœur du fonctionnement autistique, ce qui est particulièrement
important pour qui veut aider ces personnes à entrer dans les apprentissages.
Les autistes sont « dans leur monde »
Si nous nous appuyons sur ce qu’explique Temple Grandin, nous nous rendons compte
que les autistes vivent en effet dans un monde différent du nôtre. Ils sont dans leur
monde comme on l’entend dire assez souvent, si ce n’est que cette expression ne
peut être prise dans le sens qui lui est donnée habituellement. En effet lorsque l’on
dit de quelqu’un qu’il est dans son monde, ce qui peut d’ailleurs être dit de chacun
d’entre nous, il s’agit essentiellement du monde de ses pensées et de ses émotions.
Mon monde n’est pas le vôtre, parce que mes pensées et mes émotions sont les
miennes, relatives à mon histoire. Mais lorsque l’on prononce cette phrase pour
des personnes avec autisme, elle signifie tout autre chose. Il est dans son monde
ne veut pas dire qu’il est dans ses pensées propres… Cette expression, il faut alors
la prendre au pied de la lettre comme ont tendance parfois à le faire ces personnes
avec les expressions du langage verbal. Elle signifie alors que la personne autiste ne
perçoit pas le monde qui nous entoure comme nous le percevons. Si nous autres,
neuro-typiques, partageons la même perception du monde, pour les autistes cette
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perception est différente. Pour faire comprendre cette différence, avec toutes les
précautions qui s’imposent, nous ferons une comparaison avec la perception animale.
Il existe en effet une différence analogue entre la perception du neuro-typique et la
perception de l’autiste, et la perception d’un humain par rapport à la perception d’un
non-humain (animal par exemple). Il existe une discipline qui s’appelle l’éthologie,
qui s’applique à faire comprendre, compte tenu des connaissances que nous avons
de l’animal et de ses caractéristiques propres, à quoi correspond le monde perçu
par lui. Cette perception dépend de ses caractéristiques, elle est fondamentalement
différente de la nôtre. Ainsi par exemple le monde de l’animal de compagnie n’est
pas le même que le nôtre, même si là encore notre anthropomorphisme nous incite
à nous projeter nous-même sur lui pour le voir à notre image. Son odorat par exemple
est beaucoup plus développé que le nôtre, du coup il sent des odeurs que nous ne
sentons pas, en revanche sa vue est moins nette que la nôtre, ce qui signifie que
nous voyons des choses qu’il ne voit pas précisément. Ainsi physiquement parlant
nous ne sommes pas dans le même monde, nous ne percevons pas le monde de
la même façon, nous ne sommes pas sensibles aux mêmes réalités dans notre
environnement. Nous verrons plus loin qu’il y a aussi chez ces personnes une autre
façon de traiter les informations qui accroît cette différence. D’ailleurs les neuro-
typiques que nous sommes, qui se prennent pour la norme, doivent se rappeler
que, contrairement à ce qu’ils pensent, ils ne perçoivent pas le monde tel qu’il
est, mais tel que leur équipement sensoriel et mental leur permet de le percevoir.
S’ils étaient constitués autrement, ils percevraient le monde différemment. Ils
n’entendent pas les ultra-sons par exemple. Malgré les rappels des scientifiques de
temps à autre, ils continuent de vivre dans l’illusion que le monde est tel qu’ils le
perçoivent. Nous avons appris récemment que les plus jeunes entendent des sons
que les plus âgés n’entendent plus. C’est donc cette piste, nous semble-t-il, qu’il
faut suivre pour comprendre la différence de ces personnes. Cette façon d’expliquer
l’autisme en établissant un parallèle entre l’homme et l’animal, Temple Grandin l’a
elle-même a développée dans son dernier ouvrage, elle qui est devenue de par sa
profession une spécialiste du fonctionnement animal. C’est la raison pour laquelle
nous nous sommes autorisée à faire cette comparaison, dans le seul but de faire
mieux comprendre le fonctionnement autistique. Pour autant, nous considérons les
personnes autistes comme des personnes à part entière, malgré leur perception et
leur fonctionnement différents. Dans le prolongement de cette analyse nous allons
voir comment Temple Grandin elle-même développe ce qu’elle considère comme
une analogie entre le fonctionnement autistique et le fonctionnement animal, dans
la mesure où comme les personnes avec autisme, les animaux sont prioritairement
dans la sensorialité.
Autisme et pensée animale
Si nous prenons le risque de développer cet aspect du fonctionnement autistique
en établissant un rapport entre pensée autistique et pensée animale, c’est dans
la mesure où Temple Grandin elle-même a développé cet aspect. Loin de nous
donc l’idée de considérer les autistes comme des animaux, mais l’hyper ou l’hypo-
sensorialité qui les caractérise les placent dans un registre comparable. Temple
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