Psychologie clinique
Quel cadre pour les groupes danalyse de la pratique ?
Which setting for group to analyse clinical situation?
V. Di Rocco
Docteur en psychologie, centre hospitalier dAnnecy, université Lyon-II, Lyon, France
Reçu le 1
er
janvier 2007 ; accepté le 1
er
juin 2007
Résumé
Ce texte témoigne dune expérience particulière danimation de groupes dits « danalyse de la
pratique » par un psychologue membre de linstitution à laquelle appartient léquipe ayant fait une
demande délaboration de la pratique. Ce dispositif, du fait de labsence dextériorité du psychologue,
semble heurter la référence psychanalytique qui sert daxe de théorisation de ces pratiques. Pourtant,
lauteur fait lhypothèse que ce type de dispositif peut permettre un réel travail délaboration subjectif à
condition que certaines règles soient établies respectant les principes de « lanalyse transitionnelle » défi-
nit par Anzieu. Il est ainsi possible de répondre à certaines problématiques organisées par un vécu de
« défaut fondamental » théorisé par Balint, portées par une demande peu différenciée.
© 2007 Société française de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
The article recounts an uncommon experience in which analysis of clinical situations in a group set-
ting is led and animated by a psychologist who is a member of the same institution as the group of per-
sonnel requesting the clinical analysis. Due to the fact that the psychologist is also a member of the in-
stitution, this setting seems to go against the psychoanalytical theory, which serves as the main reference
for this type of analysis. However, the author hypothesizes that this type of setting may allow a genuine
process of subjective elaboration, provided that certain conditions are established in order to respect the
principles of "transitional analysis" as defined by D. Anzieu. In this way, it is possible to respond to cer-
tain situations, which are organized by experiences or impressions of the "basic default" as theorized by
M. Balint, and presented as very little differentiated request.
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http://france.elsevier.com/direct/PRPS/
Pratiques psychologiques 13 (2007) 327335
Adresse e-mail : [email protected] (V. Di Rocco).
1269-1763/$ - see front matter © 2007 Société française de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.prps.2007.06.002
Mots clés : Groupe danalyse de la pratique ; Défaut fondamental ; Groupe syncrétique ; Analyse transitionnelle
Keywords: Group to analyse clinical situation; Basic fault; Syncretic group; Transitional analysis
Dans le cadre de son exercice en institution psychiatrique, le psychologue est régulièrement
sollicité, par les équipes avec lesquelles il travaille, afin quil écoute le vécu des soignants et
quil soutienne la réflexion concernant lélaboration de leurs pratiques. Cette tâche est essen-
tielle pour le maintien dune vie subjective dynamique au service du soin, elle participe au
soutien dune « fonction contenante », ce terme est utilisé ici dans un sens large qui peut se
décliner dans différents processus psychiques; accueillir, contenir, transformer et signifier.
Cette tâche peut bien sûr se dérouler suivant différentes formes. Les « espaces interstitiels »
(Roussillon, 1987), lieux de discussions informelles au cadre flou qui émaillent le fonctionne-
ment institutionnel, peuvent être le lieu de léchange sur un éprouvé difficile et de sa reprise.
Dans un autre registre, la supervision de léquipe, animée par un intervenant, psychanalyste,
étranger à linstitution, peut être le lieu de la reprise des différentes facettes de la vie institu-
tionnelle au sein dun « métacadre » (Roussillon, 1983) défini de lextérieur. Dans le cadre des
services de psychiatrie pour adultes, où nous exerçons, nous avons fait un choix, que lon
pourrait qualifier dintermédiaire : celui danimer des groupes de paroles réunissant des infir-
miers exerçant dans les mêmes services que nous. Il sagit, dans lespace de cet article de
témoigner dune pratique, dune réflexion sur une pratique, dans le champ de ce quil convient
dappeler les groupes danalyse de la pratique. Jusquà ces dernières années, ces dispositifs
danalyse de la pratique ont été assez peu théorisés si ce nest à travers la référence aux
« groupes Balint » issus du domaine médical et la réflexion sur les groupes de formation pra-
tiqués dans le secteur éducatif. Ce témoignage est lui-même suscité par un cycle de formation
àlanalyse des pratiques dans le cadre de la structure hospitalière où nous exerçons.
Cette pratique a pour trait singulier de mettre en scène des personnes exerçant au sein de la
même structure, de la même équipe. Celle-ci est une structure hospitalière composée de multi-
ples unités de soins comprenant des services dhospitalisation à temps plein, des centres médi-
copsychologiques, un hôpital de jourDans ce dispositif, cest le ou la, psychologue de
lunité de soin qui anime un groupe composé dinfirmiers réunis pour échanger sur leurs prati-
ques. Demblée se pose la question du travail psychique élaboratif possible dans le cadre
déchanges groupaux entre membres dune même institution, entre sujets pris dans une même
problématique institutionnelle, dans un même faisceau dalliances inconscientes (Kaes, 1992).
Cette position heurte la référence psychanalytique qui sert daxe de théorisation de ces pra-
tiques. Il ny a pas dextériorité de lanimateur du groupe, pas de neutralité a priori, pas de
position tierce légitimée par un ailleurs perçu par tous, la confidentialité des échanges peut
devenir un paradoxe étrangeCette approche en négatif semble exclure les préconditions
soutenant la mise en place dun dispositif permettant le déploiement et lanalyse dun proces-
sus délaboration. Pourtant, lexpérience nous incite à soutenir lhypothèse quun réel travail
psychique se déroule dans ces groupes et que la psychanalyse est une référence essentielle
pour en soutenir la dynamique. La simple transposition directe dun cadre psychanalytique
classique paraît impossible et naurait pas de sens dans un groupe réel, un groupe qui nest
pas constitué par le dispositif. Nous allons vous présenter ici les aménagements que nous
avons mis en place.
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Plus concrètement, nous sommes plusieurs psychologues du centre hospitalier régional
dAnnecy à avoir lexpérience de ce type de groupe danalyse de la pratique. Les différents
groupes danalyse de la pratique ne sont pas complètement identiques, mais il est possible
den dessiner un fonctionnement général. Ces groupes réunissent, selon les dispositifs, 8 à 12
infirmiers durant une heure et demi, la fréquence des rencontres est soit mensuelle, soit sur
15 jours. Il est demandé aux infirmiers de sengager à participer sur une période dun an, ce
qui correspond à la durée dun cycle de fonctionnement. À la fin de chaque année, un point
est fait sur le fonctionnement et la question de sengager pour une nouvelle période dun an
avec le psychologue de léquipe est posée. Les groupes sont du type slow open, de nouveaux
infirmiers peuvent venir participer à ce travail pendant les premiers mois du cycle. Quelques
règles sont énoncées au début du cycle ; pas de jugement de valeur sur ce qui a été dit ou
fait par les membres du groupe, la parole doit être libre ; les propos sont confidentiels, les
idées doivent suivre leur chemin, mais les paroles prononcées dans le groupe appartiennent
au groupe et restent dans le groupe ; pas de travail sur les relations avec les patients suivis
directement par le psychologue qui anime le groupe. Les deux premières règles visent évidem-
ment à soutenir une association libre protégée par le secret des échanges. La troisième règle
possède une double fonction, dune part, permettre au psychologue une plus grande liberté
découte en lui évitant dêtre confronté à des situations cliniques dans lesquelles il est lui-
même impliqué, et dautre part, elle marque une des limites de lanimation « interne » de ces
groupes et fait écho à la possibilité de faire appel à un psychologue plus « extérieur » à
léquipe rappelée lors des points annuels.
Ces groupes ont une histoire qui permet den éclairer le fonctionnement. Pour moi, les
débuts de cette pratique remontent à lépoque où jexerçais dans une unité dhospitalisation à
temps plein. Il sagissait alors de répondre à une demande, à une plainte, du personnel infir-
mier qui déplorait de ne pas avoir lespace et le temps pour évoquer les relations avec les
patients qui avaient quitté lunité de soin dont il assurait le suivi extérieur. À cette époque, le
suivi ambulatoire, qui succédait à une hospitalisation, nétait pas assuré par le centre médico-
psychologique, mais par un système de référence exercé par le personnel des unités dhospita-
lisation. Une ou deux infirmières se détachaient du service dhospitalisation pour effectuer des
visites à domicile ou recevoir le patient dans lunité dhospitalisation pour un entretien. Cette
demande était directe, « adressée », il ne sagissait pas de faire venir un « intervenant
extérieur ». Javais aussi le sentiment que cette demande serait éphémère, quun renvoi serait
perçu comme un refus, un désaveu.
Jai donc proposé un cadre inspiré des groupes Balint pour travailler sur les questions rela-
tionnelles posées par ces suivis infirmiers en mettant laccent sur les notions de distance rela-
tionnelle et déprouvé subjectif. Au fil des années, ce groupe a subi différentes évolutions.
Assez rapidement, la notion de référence dans les suivis extérieurs a cédé la place à un registre
plus global, cest-à-dire celui de lensemble des relations soignantes, quelles se déroulent dans
le cadre de lhospitalisation ou des soins ambulatoires. Puis laide-soignante du service, très
impliquée auprès des patients hospitalisés au long court, a demandé à se joindre au groupe.
Enfin, des infirmières dautres services ont souhaité participer à ce travail. Dans sa configura-
tion finale, ce groupe rassemblait des infirmiers et des aides-soignantes travaillant dans diffé-
rents services, essentiellement dans des unités dhospitalisation temps plein, confrontés à un
vécu marqué par des affects massifs au contact dune psychiatrie « lourde ». Au bout de huit
années de fonctionnement, après le départ pour dautres structures de la majorité des infirmiers
présents à lorigine de ce groupe et la mise en place de supervision dans les différents services,
nous avons décidé de mettre un terme à ce travail.
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Ce groupe ma servi de modèle, et, à la demande dautres équipes infirmières, jai mis
parallèlement en place un groupe de ce type dans un hôpital de jour, puis un autre dans le cen-
tre médicopsychologique où jexerce actuellement. Le groupe de lhôpital de jour se centre
plus particulièrement sur des pratiques infirmières utilisant des médiations dans le cadre
datelier, le groupe du centre médicopsychologique concerne des pratiques infirmières se
déroulant dans le cadre dentretiens et de visites à domicile.
La mise en place de ce premier groupe ne sest pas faite sans résistances, ni réticences. La
demande était directe, des infirmiers au psychologue, alors que lencadrement de léquipe mon-
trait quelques réticences à voir éclore un lieu de parole en marge du dispositif institutionnel clas-
sique. Cette réticence me paraissait fondée et de bon augure, et surtout nécessaire à la mise en
place dune alliance avec cet encadrement. Cette réticence me paraissait fondée parce quelle
rencontrait mes propres résistances et de bon augure, car jai appris à me méfier des projets qui
ne soulèvent aucun débat, et qui suscitent une extrême bienveillance, relevant de lindifférence et
prédisant un oubli certain. Accueillir ce type de demande soulève, pour moi, différentes résistan-
ces. Quitter le confort précaire de linterstice où la parole est ambiguë, et où lhumour est néces-
saire au tact, ainsi que le cadre prédéfini des multiples réunions déquipe où le psychologue
bénéficie dune position expertale, nest pas sans conséquence. Il sagit dun engagement réel
dans un processus inconnu ou méconnu. Les risques sont évidents ; confusion des rôles, interfé-
rences, ingérenceMais les deux principaux écueils sont, dune part, la difficulté de garder un
« recul » suffisant, une liberté de pensée, pour apporter un éclairage dynamisant sur les relations
de soins de ses propres collègues de travail, et dautre part, un enjeu narcissique majeur. En
effet, le psychologue est, une fois de plus, convoqué à une place impossible, celle que Fustier
(1993) appelle « le porte croyance », entre magicien bienveillant et sorcier maléfique. Ces résis-
tances marquent, balisent, le travail psychique exigé pour le psychologue. Lanimation de ce
type de groupe comporte une exigence de travail psychique ; accepter lenjeu narcissique et met-
tre au travail les associations suscitées par le dispositif. Cette demande directe des équipes infir-
mières, non médiatisée par leur hiérarchie, ni par un service administratif de formation continue,
est une des caractéristiques importantes de ce type de groupe. Une autre caractéristique que jai
pu constater à plusieurs reprises est le fait que cette demande sexprime dans les premiers temps
de la prise de fonction du psychologue, dans une période où le psychologue fait partie de
léquipe sans être encore perçu comme porteur de lhistoire groupale.
Tous ces groupes ne sont évidemment pas identiques. Le contexte institutionnel dans lequel
exercent les infirmiers, la nature de la tâche soignante quils accomplissent, lhistoire des liens
de léquipe, marquent de leurs empreintes le travail psychique qui se déploie dans le groupe
danalyse de la pratique.
Dans le cadre du groupe réunissant des infirmiers travaillant dans les unités dhospitalisation
à temps plein, laccent se porte sur lexpression des affects, lexpression des vécus douloureux
voire traumatiques, limplication est forte, les propos sont souvent directs, les larmes ont leur
place. Parler de son vécu, de son éprouvé, de ses réactions, les lier, les intégrer à une pratique,
les partager avec ses collègues, sont loin daller de soi. « Cest dans ce groupe que jai appris à
parler »mavait déclaré une participante à un de ces groupes après quelques années de fonction-
nement. La narration est un processus fondamental dans ce type de groupe, comme le souligne
Hochmann (1996),ilsapparente à une activité de « rêverie maternelle » théorisée par Bion
(1962). La mise en récit adressée à un tiers, associée à un plaisir de fonctionnement, permet de
lier les éprouvés et de produire un travail représentatif réappropriable par les patients. Mais le
point de départ de ces groupes est souvent un peu en deçà de cette capacité narrative, les mots
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ne sont pas faciles à trouver, le plaisir est absent. Nous nous situons plutôt dans des logiques de
survie psychique. Les patients hospitalisés sont souvent aux prises avec des états de crise, des
phases dacuités symptomatiques, exprimant des vécus « agonistiques », des angoisses
« disséquantes », pour reprendre les termes de Winnicott (1971). Nous sommes alors dans les
registres de limpensable et de linsensé qui mettent à mal les processus de pensée. Doù une
position particulière du psychologue dans ce type de groupe. Il doit pouvoir accepter le déplace-
ment dans le groupe, le transfert dans le groupe, du désarroi que rencontre le personnel soignant
dans ses contacts avec des patients souffrant de psychose, désarroi peu propice à une verbalisa-
tion aisée. Il doit alors surtout faire preuve de sa présence attentive, amorcer cette « capacité de
rêverie » en mettant lui-même en récit ce quil entend et ce quil éprouve, reconnaître son propre
désarroi. Pour moi, dans ce type de groupe, le silence neutre et bienveillant est le fruit de la lente
construction dune rencontre et non une donne de départ.
Pour aller un peu plus loin que la notion didentification projective, issue des théorisations
kleiniennes, souvent reprise pour décrire les processus psychiques à lœuvre dans ce type de
groupe (Hochmann, 1996 ; Fustier, 1987), je voudrai relever quelques mécanismes comme le
partage daffects, lajustement, laccordage et les jeux de miroir. Ces termes renvoient au voca-
bulaire de lobservation des interactions précoces qui lient le nourrisson à sa mère, mais ils me
paraissent importants pour définir une « micro » clinique de ce type de groupe. Un adulte souf-
frant de psychose est loin dêtre un enfant, mais la métaphore des interactions précoces permet
un premier repérage des échanges. Les soignants, qui interviennent dans le quotidien institu-
tionnel, sont alors, souvent, considérés comme faisant parti dun environnement avant que ne
puissent sengager des relations plus individualisées. Il sagit, dans un premier temps, dune
clinique de la rencontre où le soignant doit se mettre dans une position favorable pour pouvoir
être investi par le patient, et pour pouvoir linvestir. En dautres termes, il sagit de veiller à
remettre en route un fonctionnement intersubjectif, une communication au sens premier du
terme, une mise en commun. Il est dailleurs possible, dans ces groupes, de suivre, pas à pas,
lémergence de ces relations individualisées à partir des premiers vécus massifs dimpuissance,
de haine ou de désespérance
Dans ce contexte, la demande des équipes est « prématurée, mince et tenace ». Je reprends ici
les termes utilisés par Bion (1957) pour qualifier le transfert psychotique. La demande est
tenace, il est difficile de sy soustraire, et lenjeu organisateur est de taille ; il sagit de survivre
psychiquement. La demande est pourtant mince, il sagit plus dun appel. La narrativité achoppe
pour décrire des vécus difficilement subjectivables, comme pour clarifier les origines de la
demande. La demande est prématurée, peu élaborée collectivement, elle court-circuite les instan-
ces institutionnelles, le débat déquipe. Nous sommes demblée dans une logique de « transfert
du transfert » concernant un transfert psychotique. Ce que les infirmiers vivent avec les patients
est immédiatement répercuté sur le dispositif danalyse de la pratique au moment même de la
demande. Ce transfert porte autant sur le cadre que sur lanimateur du groupe.
Àlopposé, les infirmiers travaillant dans les centres médicopsychologiques disposent de
relations beaucoup plus « cadrées » et individualisées avec les patients quils rencontrent. Les
entretiens se déroulent au centre médicopsychologique, avec une durée limitée et une fré-
quence fixe, ce qui les rend lacunaires et tranche avec la vie quotidienne. Dans certains cas,
des visites se déroulent au domicile des patients, mais toujours dans un cadre limité dans le
temps et prévisible à lavance. Les vécus de désarroi sont toujours possibles, mais pour
lessentiel il sagit de dépasser un blocage, une résistance, qui peut prendre des formes variées
comme le désinvestissement, la conflictualisation, la stagnation dans la répétitionLa charge
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