Ce groupe m’a servi de modèle, et, à la demande d’autres équipes infirmières, j’ai mis
parallèlement en place un groupe de ce type dans un hôpital de jour, puis un autre dans le cen-
tre médicopsychologique où j’exerce actuellement. Le groupe de l’hôpital de jour se centre
plus particulièrement sur des pratiques infirmières utilisant des médiations dans le cadre
d’atelier, le groupe du centre médicopsychologique concerne des pratiques infirmières se
déroulant dans le cadre d’entretiens et de visites à domicile.
La mise en place de ce premier groupe ne s’est pas faite sans résistances, ni réticences. La
demande était directe, des infirmiers au psychologue, alors que l’encadrement de l’équipe mon-
trait quelques réticences à voir éclore un lieu de parole en marge du dispositif institutionnel clas-
sique. Cette réticence me paraissait fondée et de bon augure, et surtout nécessaire à la mise en
place d’une alliance avec cet encadrement. Cette réticence me paraissait fondée parce qu’elle
rencontrait mes propres résistances et de bon augure, car j’ai appris à me méfier des projets qui
ne soulèvent aucun débat, et qui suscitent une extrême bienveillance, relevant de l’indifférence et
prédisant un oubli certain. Accueillir ce type de demande soulève, pour moi, différentes résistan-
ces. Quitter le confort précaire de l’interstice où la parole est ambiguë, et où l’humour est néces-
saire au tact, ainsi que le cadre prédéfini des multiples réunions d’équipe où le psychologue
bénéficie d’une position expertale, n’est pas sans conséquence. Il s’agit d’un engagement réel
dans un processus inconnu ou méconnu. Les risques sont évidents ; confusion des rôles, interfé-
rences, ingérence…Mais les deux principaux écueils sont, d’une part, la difficulté de garder un
« recul » suffisant, une liberté de pensée, pour apporter un éclairage dynamisant sur les relations
de soins de ses propres collègues de travail, et d’autre part, un enjeu narcissique majeur. En
effet, le psychologue est, une fois de plus, convoqué à une place impossible, celle que Fustier
(1993) appelle « le porte croyance », entre magicien bienveillant et sorcier maléfique. Ces résis-
tances marquent, balisent, le travail psychique exigé pour le psychologue. L’animation de ce
type de groupe comporte une exigence de travail psychique ; accepter l’enjeu narcissique et met-
tre au travail les associations suscitées par le dispositif. Cette demande directe des équipes infir-
mières, non médiatisée par leur hiérarchie, ni par un service administratif de formation continue,
est une des caractéristiques importantes de ce type de groupe. Une autre caractéristique que j’ai
pu constater à plusieurs reprises est le fait que cette demande s’exprime dans les premiers temps
de la prise de fonction du psychologue, dans une période où le psychologue fait partie de
l’équipe sans être encore perçu comme porteur de l’histoire groupale.
Tous ces groupes ne sont évidemment pas identiques. Le contexte institutionnel dans lequel
exercent les infirmiers, la nature de la tâche soignante qu’ils accomplissent, l’histoire des liens
de l’équipe, marquent de leurs empreintes le travail psychique qui se déploie dans le groupe
d’analyse de la pratique.
Dans le cadre du groupe réunissant des infirmiers travaillant dans les unités d’hospitalisation
à temps plein, l’accent se porte sur l’expression des affects, l’expression des vécus douloureux
voire traumatiques, l’implication est forte, les propos sont souvent directs, les larmes ont leur
place. Parler de son vécu, de son éprouvé, de ses réactions, les lier, les intégrer à une pratique,
les partager avec ses collègues, sont loin d’aller de soi. « C’est dans ce groupe que j’ai appris à
parler »m’avait déclaré une participante à un de ces groupes après quelques années de fonction-
nement. La narration est un processus fondamental dans ce type de groupe, comme le souligne
Hochmann (1996),ils’apparente à une activité de « rêverie maternelle » théorisée par Bion
(1962). La mise en récit adressée à un tiers, associée à un plaisir de fonctionnement, permet de
lier les éprouvés et de produire un travail représentatif réappropriable par les patients. Mais le
point de départ de ces groupes est souvent un peu en deçà de cette capacité narrative, les mots
V. Di Rocco / Pratiques psychologiques 13 (2007) 327–335330