Activités (projets en cours, chantiers, suivi, prospective)
• Séminaire Jeu & symbolique : B. Karsenti, «Etat et
individu chez Durkheim». En prélude à la réunion
avec Bruno Karsenti, nous proposons quelques clés de
lecture, ainsi que l'un ou l'autre points de débat. 1°)
Dans La société en personnes. Etudes durkheimiennes
(Paris, Economica, 2006), Karsenti a rassemblé une
série de textes consacrés à Durkheim. Fidèle à sa dé-
marche qui consiste à dépoussiérer les classiques et à
refuser l'enfermement dans des lectures unilatérales et
convenues, Karsenti restitue et réactive dans leur radi-
calité les enjeux de la pensée durkheimienne, ce qui
suppose de se tenir à distance de la figure rigidifiée
d'un Durkheim positiviste et conservateur (R. Nisbet,
La tradition sociologique...), sans pour autant verser
dans le travers symétrique des interprétations pragma-
tiques ou ethnométhodologiques (cf. A. W. Rawls...),
qui ont certes des mérites mais qui tendent à volatiliser
les institutions au profit exclusif des agents et de leurs
pratiques. Retenons deux points : a) il est réducteur et
simpliste de s'en tenir à la sempiternelle lecture scolaire
du fait social en tant que contrainte extérieure; Karsenti
montre bien le mouvement de la pensée durkhei-
mienne, qui va de la question de la contrainte (phy-
sique sociale, morphologie...) à celle de l'obligation
morale, la prise en compte des règles allant en se com-
plexifiant (cf. régularités statistiques - règlementations
juridiques - actions régulées...) jusqu'à permettre une
articulation avec les réflexions sur les formes de vie et
le primat de la pratique (cf. Wittgenstein, Des-
combes...); b) une des grandes ambitions de Durkheim
est de comprendre l'individualisme comme une forme
sociale (cf. individualisme sociologique), à rebours des
lectures contractualistes ou atomistes (cf. individua-
lisme méthodologique, intersubjectivité phénoménolo-
gique, société civile libérale résultant de l'agrégation
d'actions ou de choix individuels – ces figures ayant en
commun de manquer la dimension spécifique du social
et de l'institution); la capacité à se vivre comme un
individu normatif (ou comme une personne), loin d'al-
ler de soi et de venir «de l'intérieur» (autoposition
subjectiviste), suppose des cadres sociaux et institu-
tionnels («à contresens de l'acception courante, la per-
sonne est ce qui, en l'individu, ne vient pas de lui
[...]»). 2°) A travers ces réflexions sur la notion de
personne, on aura reconnu l'influence de Mauss, que
Karsenti étaye dans un ouvrage magistral : L'homme
total. Sociologie, anthropologie et philosophie chez
Marcel Mauss (Paris, P.U.F., 1997, rééd. coll. Qua-
drige). Assurément l'une des meilleures introductions à
l'œuvre protéiforme et séminale de l'auteur de l'«Essai
sur le don». Comme on sait, Mauss infléchit et nuance
l'approche durkheimienne en prônant une démarche
intégrative et multidimentionnelle, autour notamment
du fameux «fait social total» (ou la vie sociale envisa-
gée comme une totalité concrète et dynamique...).
Karsenti met en évidence la richesse et l'intérêt des
apports maussiens, en partie fondés sur un modèle
linguistique non intellectualiste (ce qui permet de réé-
valuer les rapports entre Mauss et Lévi-Strauss, suite
au coup de force structuraliste de ce dernier, avec réé-
quilibrage au profit du premier), ce qui induit aussi des
conséquences fécondes s'agissant de la position de la
sociologie à l'égard de la psychologie et de l'histoire.
3°) Dans une perspective sans doute moins déconstruc-
tive que reconstructive, Karsenti dégage enfin les en-
jeux intellectuels liés à l'établissement de certaines
oppositions, en remontant de Durkheim à Comte (cf.
Politique de l'esprit, Paris, Hermann, 2006). Ainsi, il
n'est pas anodin que la fondation de la sociologie passe
chez ces auteurs par un double rejet de la psychologie
introspective et de la philosophie politique classique
(théories de la souveraineté et du pacte volontaire), ces
approches étant suspectes de rechute dans une méta-
physique individualiste. A cet égard, une des idées
fortes de Karsenti est que le dépassement des dichoto-
mies emprunte la voie d'une «mise en jeu» des options
antinomiques (modernes vs. anti-modernes, holisme vs.
individualisme...), plutôt que celle d'une dissolution des
oppositions binaires (souvent une solution de facilité
largement rhétorique). 4°) La place nous manque, mais
ajoutons qu'il serait intéressant de mettre en débat B.
Karsenti et P.-H. Castel par rapport au destin de la
psychanalyse et de la sociologie dans le contexte de
l'autonomie comme condition (cf. «La psychanalyse
comme "fait moral total"», Critique, mars 2014).
Divers (annonces, communications, publications, intérêts, favoris...)
- Le mardi 13 mai 2014 restera comme le jour où, grillant la politesse à Marc Wilmots qui s'apprêtait à dévoiler
la liste des Diables rouges sélectionnés pour le Brésil, l'annonce a été faite que nous avions un nouveau Doyen
de la Faculté ESPO, en la personne de Xavier Wauthy. Félicitations au nouveau doyen, et remerciements au
doyen sortant, Frédéric Nils, dont le mandat arrive à son terme et qui pourra bientôt (à partir du 15 septembre
prochain) s'investir sans retenue et déployer de nouvelles activités comme co-directeur du CASPER !
- PLAYLIST / FAVORIS. C'est Nicolas Marquis qui s'y colle cette semaine et qui propose une sélection très habi-
tus dissonant (c'est lui qui le dit) : 1°) Un livre, Cher époux, de Joyce Carol Oates (Philippe Rey, 2013, traduit de
l'américain). En particulier «Magda Maria», une nouvelle dédicacée à Leonard Cohen. 2°) Une série télévisée,
Breaking Bad (2008-2014, 62 épisodes, en DVD). L'histoire particulièrement décapante d'un timide prof de
chimie se transformant malgré lui en dealer de «meth»... 3°) Un jeu-vidéo, Bioshock Infinite (2013). En emme-
nant le joueur dans un monde utopique/uchronique aux accents orwelliens, ce jeu d'aventure se distingue des
FPS pan-pan classiques grâce à une solide intrigue et un sens remarquable du détail esthétique.