Reconstitution des doses de rayonnements - BVS

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Pathologies
Reconstitution des doses de rayonnements
ionisants reçues au cours d’examens
médicaux en pédiatrie
Période : Décembre 2012 à mars 2013
Hélène BAYSSON
IRSN – PRP-hom, SRBE, Laboratoire d’épidémiologie – Fontenay-aux-Roses – France
Mots clés : cancer, cathétérisme cardiaque, dosimétrie, radiations ionisantes, scanner L’utilisation du scanner ou examen tomodensitométrique (TDM) en pédiatrie ne cesse de progresser dans l’arsenal diagnostique puisqu’il
permet d’obtenir des images en haute résolution, sur des champs d’exploration larges si besoin, et avec des temps d’acquisition très
courts. Grâce aux nombreuses avancées technologiques, la cardiologie interventionnelle utilisant des rayons ionisants, notamment
en pédiatrie, connait également un essor considérable. Dans certaines cardiopathies congénitales, elle permet de différer voire de
supplanter la chirurgie, donc d’allier performance et thérapeutique moins invasive. Parallèlement, certaines caractéristiques majeures
propres à la pédiatrie sont à considérer. En effet, les enfants sont beaucoup plus sensibles aux radiations ionisantes que les adultes.
Du fait de leur espérance de vie longue, les enfants auront une probabilité plus élevée de développer un cancer. Ces caractéristiques
justifient de s’intéresser prioritairement aux risques à long terme de cancers et de leucémies après exposition aux rayonnements
ionisants d’origine médicale pendant l’enfance. S’agissant de risques attendus très faibles, seules des études portant sur des effectifs
importants pourront les mettre en évidence. La possibilité d’une reconstitution individuelle précise de l’exposition lors d’un scanner
ou en cardiologie interventionnelle est également un point crucial afin de ne pas biaiser l’estimation du risque, si celui–ci est mis
en évidence. L’article publié par Thierry-Chef et coll. présente la méthode dosimétrique utilisée pour la reconstitution des doses de
rayonnements ionisants reçues au cours de scanners réalisés pendant l’enfance dans le cadre du projet épidémiologique européen
EPI-CT (1) (Epidemiological Study to Quantify Risks for Paediatric Computerized Tomography and to Optimise Doses). L’article publié
par Yakoumakis et coll. présente une estimation des doses de rayonnements ionisants reçues au cours de procédures de cardiologie
interventionnelle pédiatrique ainsi qu’une estimation des risques de cancer radio-induit.
Évaluation des doses à l’organe après scanners
pédiatriques. Une nouvelle approche pour
une étude épidémiologique (l’étude EPI-CT)
ThierryChef I, Dabin J, Friberg E, Hermen J, Istad T, Jahnen A, Krille L,
Lee C, Maccia C, Nordenskjöld A, Olerud H, Rani K, Réhel JL, Simon
S, Struelens L, Kesminiene A. Assessing organ Doses from Paediatric
CT Scans. A novel approach for an Epidemiology Study (the EPI-CT
Study). Int J Environ Res Public Health 2013;10:717-28.
Résumé
L’utilisation du scanner en pédiatrie s’est fortement développée
au cours des dernières décennies dans la plupart des pays
développés. C’est maintenant un outil diagnostique standard
utilisé dans l’évaluation de diverses pathologies chez l’enfant
(détection et surveillance de cancers, traumatismes et
inflammation). Mais le scanner délivre des doses de rayonnements
ionisants plus importantes que la radiologie classique. Une
attention particulière est apportée à la pédiatrie en raison d’une
radiosensibilité de certains tissus accrue par rapport à celle des
tissus adultes, et une espérance de vie plus longue pour le risque
de développement d’un cancer. Le projet EPI-CT actuellement
en cours au niveau international a pour objectif de rassembler
les données de 9 cohortes nationales d’enfants soumis à un ou
plusieurs scanners afin d’évaluer s’il existe un excès de risque
lié aux radiations en termes de leucémies et de tumeurs solides
attribuable à cette pratique. Des données sont actuellement
collectées en France, Belgique, Danemark, Allemagne, Espagne,
Suède, Pays-Bas, Norvège et Royaume-Uni. Afin d’évaluer le risque
de tumeurs solides et de leucémies, il est nécessaire d’évaluer
rétrospectivement et pour chaque enfant inclus dans les cohortes
les doses cumulées délivrées aux organes. En particulier, seront
estimées les doses à la moelle, au cerveau, au colon, au sein et
à la thyroïde. À partir des années 1990, c’est-à-dire à partir de
l’introduction des PACS (2) (Picture Archiving and Communication
System), les paramètres d’acquisition des images seront extraits
des lecteurs DiCOM (3) (Digital Imaging and Communications
in Medicine). Pour les périodes plus anciennes, p. ex. avant la
généralisation des PACS, les doses reçues seront reconstituées
à partir d’un questionnaire, de publications scientifiques et de
« dires d’experts ». Notamment, le questionnaire développé
dans le cadre du projet EPI-CT permettra de spécifier le protocole
d’acquisition d’image utilisé pour chaque hôpital, pour 3 zones
anatomiques (tête, poitrine et abdomen) et pour différentes
catégories d’âge (< 1 an, 1-2 ans, 3-7 ans, 8-12 ans, 13-17 ans).
Il est clair que les protocoles d’acquisition d’images se sont aussi
modifiés lors des changements de dispositif médical (fabriquant
et/ou modèle). In fine, les doses individuelles à l’organe seront
estimées pour chaque enfant inclus dans les cohortes. Des
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Reconstitution des doses de rayonnements ionisants reçues au cours d’examens médicaux en pédiatrie
Hélène BAYSSON
analyses de sensibilité seront menées afin d’évaluer l’influence
des données dosimétriques manquantes et l’incertitude autour
de la dose reçue. Une étude de faisabilité a préalablement été
conduite, dans l’ensemble des pays de l’étude Epi-CT (http://
epi-ct.iarc.fr/).
Commentaire
Cet article présente pour la première fois la méthode utilisée pour
la reconstitution des doses de rayonnements ionisants reçues au
cours de scanners réalisés pendant l’enfance, dans le cadre du
projet épidémiologique EPI-CT. Il s’agit d’une méthode novatrice
pour 2 raisons majeures. En premier lieu, ce travail vise à estimer
les doses à l’organe de manière individuelle, pour chaque enfant
inclus dans les cohortes. Ceci est particulièrement novateur
car la majorité des études épidémiologiques après exposition
médicale diagnostique se basait sur un nombre d’examens et
non pas sur des doses individuelles à l’organe. En second lieu,
une attention particulière sera portée à la prise en compte de
l’incertitude autour de la dose, en développant une analyse
de risques avec réalisations multiples (ou ensembles) de doses
(méthode en cours de développement). Il n’en reste pas moins
que l’estimation des doses reçues pour les périodes anciennes
(p. ex. avant l’introduction des PACS) sera un point crucial de
l’étude tout comme la prise en compte des différents types de
scanners utilisés dans ces 9 pays et à différentes périodes de
temps.
Estimation de la dose et du risque radio-induit
chez les enfants ayant bénéficié d’un cathétérisme
cardiaque pour le traitement d’une maladie
congénitale
Yakoumakis E, Kostopoulou H, Makri T, Dimitriadis A, Georgiou
E, Tsalafoutas I. Estimation of radiation dose and risk to children
undergoing cardiac catheterization for the treatment of a congenital
disease using Monte Carlo simulations. Pediatr Radiol 2013;43:339-46.
Résumé
Les cardiopathies congénitales chez les enfants sont souvent
diagnostiquées et également traitées par des techniques de
cathétérisme cardiaque. Si ces techniques ont permis des
progrès incontestables dans le diagnostic et le traitement des
cardiopathies chez les enfants, elles engendrent une exposition
aux rayonnements ionisants qui peut entraîner un risque radioinduit de cancer à long terme. Chez 53 enfants, âgés de trois mois
à 11 ans, une estimation des doses reçues lors de cathétérismes
cardiaques a été réalisée. Pour cela, ils ont été rassemblés en
trois groupes selon leur pathologie cardiaque, chacune ayant
une procédure de traitement spécifique : communication interauriculaires (CIA (4) ou ASD en anglais), communication interventriculaires (CIV (5) ou VSD en anglais) et persistance du canal
artériel (CA (6) ou PDA en anglais). Les paramètres d’acquisition et
les PDS (7) (Produits Dose Surface) ont été enregistrés pour chaque
procédure de cardiologie interventionnelle réalisée. Les doses à
l’organe et les doses efficaces ont été calculées grâce au logiciel
Pathologies
dédié PCXMC. Les résultats indiquent des PDS de 39,9 ± 1,2 Gy
cm2 pour les CIA, 17,5 ± 0,7 Gy cm2 pour les CIV et 9,5 ± 0,1 Gy
cm2 pour les CA. Les valeurs moyennes de doses efficaces sont
respectivement de 40 ± 12, 22 ± 2,5 et 17 ± 3,6 mSv pour les CIA, les
CIV et les CA. Les estimations du risque global de décès par cancer
induit par l’exposition sont respectivement de 0,109 % pour les
CIA, 0,106 % pour les CIV et 0,067 % pour les CA.
Commentaire
Cet article fournit les valeurs de PDS et de doses efficaces estimées
pour trois types de procédures de cathétérisme cardiaque :
communication inter-auriculaire (CIA), communication interventriculaire (CIV) et persistance du canal artériel (CA). Il est à
noter que ces valeurs sont difficilement comparables entre
elles : en effet, les procédures du dernier groupe (CA) concernent
des enfants âgés de moins d’un an alors que les procédures
des deux premiers groupes concernent des enfants plus âgés
(huit ans en moyenne). Or l’effet du poids du patient sur les
PDS est très important, une augmentation du poids entraînant
une augmentation du PDS (1). Les valeurs des PDS et des doses
efficaces présentées dans cet article sont plus élevées que celles
déjà publiées dans la littérature : les doses efficaces variant de
3,3 mSv à 6,6 mSv selon les auteurs (1-5) pour les procédures de
CIA. Une explication serait que les patients inclus dans les deux
premiers groupes (CIA et CIV) sont plus âgés que ceux inclus dans
les études antérieures.
L’estimation du risque obtenue dans cet article est comparable
à celle obtenue par Ait-Ali (6). L’estimation du risque de décès
par cancer était alors de 1 pour 1 717 garçons (0,06 %) recevant
en moyenne 7,1 mSv et de 1 pour 859 filles (0,12 %) recevant en
moyenne 9,4 mSv entre 0 et 15 ans, au cours des procédures
de cardiologie interventionnelle. Cependant, ces estimations
de risque reposent sur des modèles basés essentiellement
sur les données concernant les populations exposées lors des
bombardements de Hiroshima et Nagasaki pour lesquelles on
ne dispose que de peu d’information sur les risques de cancer
survenant dans l’enfance ou l’adolescence après exposition dans
la petite enfance.
Conclusion générale
La problématique du risque de cancer associé à
l’exposition médicale à visée diagnostique pendant
l’enfance est particulièrement pertinente face à
l’utilisation croissante des examens radiologiques,
notamment des scanners, en pédiatrie. Récemment,
les résultats d’une étude épidémiologique britannique
(7) sur le risque de développer un cancer après des
examens répétés par scanographie pendant l’enfance
montrent un excès de risque significatif de leucémies
et de tumeurs cérébrales. Néanmoins, cette étude ne
comportait aucune donnée d’exposition individuelle.
L’article de Thierry-Chef et coll. présente un travail
novateur afin d’évaluer rétrospectivement les doses
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Reconstitution des doses de rayonnements ionisants reçues au cours d’examens médicaux en pédiatrie
Hélène BAYSSON
individuelles aux organes à la suite de scanners
pédiatriques dans le cadre du projet européen EPI-CT.
L’article de Yakoumakis et coll. présente les valeurs des
doses reçues par des enfants exposés aux rayonnements
ionisants lors de cathétérisme cardiaque ainsi qu’une
estimation du risque radio-induit. Dans ces deux
articles, les doses aux organes sont estimées de manière
individuelle afin d’améliorer l’évaluation du risque de
cancer radio-induit à long terme.
(6)CA : le canal artériel (CA) est un vaisseau indispensable
pendant la vie fœtale qui disparait à la naissance. Sa
persistance donne lieu à une pathologie cardiaque.
(7)PDS : le produit dose x surface (PDS) est une grandeur
dosimétrique spécifique à la radiologie conventionnelle. Le
PDS est égal au produit de la dose absorbée dans l’air à une
distance d du foyer du tube à rayon X, par la surface du champ
exposé à cette même distance.
Publications de référence
General conclusion
The issue of cancer risk associated with exposure to
medical diagnostic during childhood is particularly
relevant in the context of an increasing use of radiological
examinations, including CT scans, in pediatrics. Recently,
the results of an epidemiological study carried out in UK
(7) showed a significant excess risk of leukemia and brain
tumors after repeated examinations by CT scans during
childhood. However, this study did not include individual
exposure data. The article by Thierry-Chef et al. presents
an innovative work, within the European project EPI-CT,
to estimate individual organ doses due to pediatrics CT
scans. The article of Yakoumakis et al. shows doses values
received by children exposed to ionizing radiation during
cardiac catheterization and an estimate of radiationinduced risk. In both articles, organ doses are estimated
on an individual basis in order to improve the evaluation
of the risk of radiation-induced cancer in the long term.
Lexique
(1)EPICT : le projet européen EPICT (Epidemiological Study to
Quantify Risks for Paediatric Computerized Tomography and
to Optimise Doses) implique 9 pays et vise à analyser le risque
de cancer associé aux scanners pédiatriques au sein d’une
cohorte de près d’un million d’enfants (http://epi-ct.iarc.fr/).
(2)PACS : le PACS (Picture Archiving and Communication
System) est un système de gestion électronique des images
médicales avec des fonctions d’archivage, de stockage et de
communication rapide.
(3)DICOM : Digital Imaging and Communications in Medicine.
L’objectif du standard DICOM est de faciliter les transferts
d’images entre les machines de différents constructeurs.
(4)CIA : la communication inter-auriculaire (CIA) est une
malformation cardiaque congénitale qui est la persistance
de la communication entre les deux oreillettes, normalement
refermée à la naissance.
(5)CIV : la communication inter-ventriculaire (CIV) est une
malformation cardiaque congénitale dans laquelle la cloison
entre les deux ventricules n’est pas totalement hermétique.
(1) Onnasch D, Schroder F, Fischer G, et al. Diagnostic reference
levels and effective dose in paediatric cardiac catheterization.
Br J Radiol 2007;80:177–85
(2) Schultz F, Geleijns J, Spoelstra F, et al. Monte Carlo calculations
for assessment of radiation dose to patients with congenital
heart defects and to staff during cardiac catheterizations. Br
J Radiol 2003; 76:638–47.
(3) Bacher K, Bogaert E, Lapere R, et al. Patient-specific dose and
radiation risk estimation in pediatric cardiac catheterization.
Circulation 2005;111:83–9.
(4) Yakoumakis EN, Gialousis GI, Papadopoulou D, et al.
Estimation of children’s radiation dose from cardiac
catheterisations, performed for the diagnosis or the
treatment of a congenital heart disease using TLD dosimetry
and Monte Carlo simulation. J Radiol Prot 2009;29:251-61.
(5) El Sayed RH, Roushdy AM, Farghaly HE, et al. Radiation
exposure in children during the current era of pediatric
cardiac intervention. Pediatric Cardiol 2012;33(1):27-35.
(6) Ait-Ali L, Andreassi M, Foffa I, et al. Cumulative patient
effective dose and acute radiation-induced chromosal
damage in children with congenital heart disease. Heart
2010; 96(4):269-74.
(7) Pearce MS, Salotti JA, Little MP, et al. Radiation exposure from
CT scans in childhood and subsequent risk of leukaemia and
brain tumours: a retrospective cohort study. Lancet 2012;380
(9840):499-505.
Conflits d’intérêts
Les auteurs déclarent :
 n’avoir aucun conflit d’intérêts ;
 avoir un ou plusieurs conflits d’intérêts.
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