Un espoir dans la lutte contre le cancer du sein triple négatif

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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Un espoir dans la lutte contre le cancer du sein triple négatif
20/11/15
Les cancers du sein sont polymorphes, mais on peut les classer en fonction de leur profil en trois grandes
catégories : les cancers hormonodépendants, ceux qui surexpriment l'oncogène HER2 et les triples négatifs,
qui n'expriment donc aucun des trois récepteurs. Des traitements spécifiques existent pour les deux premières
formes, mais jusqu'à présent, il n'existait rien contre les cancers triple négatifs. Néanmoins, l'équipe d'Andrei
Turtoi, du Laboratoire de Recherche sur les métastases de l'Université de Liège, laisse entrevoir un espoir
important en démantelant un mécanisme dans lequel joue une protéine appelée asporine.
L'étude (1) publiée dans la revue
Plos-Medicine ouvre la voie vers des traitements spécifiques contre les cancers du sein triple négatifs.
Ce type de cancer du sein, qui concerne 15% des patientes, n'est actuellement combattu que par une
chimiothérapie agressive, mais qui peut être appliquée à différents types de cancers. Ce n'est pas le cas des
patientes atteintes d'un cancer présentant des récepteurs aux hormones (œstrogènes et progestérone), dits
hormonodépendants, qui se verront dès lors prescrire - après les traitements classiques de chimiothérapie,
radiothérapie et/ou chirurgie - des traitements hormonaux ; de même, celles dont la tumeur possède des
récepteurs à l'oncogène HER-2 en trop grande quantité - ce qui favorise la prolifération des cellules
cancéreuses - qui pourront alors recevoir un traitement ciblé afin de bloquer ces récepteurs et freiner cette
prolifération.
Guerre propre
« Les traitements ciblés sont par définition des traitements qui vont s'attaquer spécifiquement à la tumeur
en fonction de ses caractéristiques propres, explique le Pr Vincent Castronovo, qui a supervisé, avec
le Pr Andrei Turtoi, l'étude menée par le Laboratoire de Recherche sur les métastases du GIGA de
l'Université de Liège. Cette action ciblée peut dès lors soit agir sur les caractéristiques fonctionnelles de la
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tumeur, soit délivrer une charge toxique spécialement ciblée contre la tumeur, sans occasionner de dégâts aux
cellules non-cancéreuses. Dans le premier cas, les traitements visent donc les caractéristiques biochimiques
spécifiques des cellules. Malheureusement, la plupart risquent bien de se heurter à une difficulté majeure,
à savoir l'hétérogénéité des cellules cancéreuses, qui peuvent également en partie devenir résistantes. On
ne dispose alors plus d'arme pour lutter contre le cancer. Aussi, nous avons opté pour des traitements ciblés
toxiques qui vont permettre de délivrer une charge toxique (biologique, chimique, radioactive) là ou se trouvent
les cellules cancéreuses et qui vont tuer localement toutes les cellules cancéreuses, quelles que soient leurs
caractéristiques. Une guerre propre, en quelque sorte, avec un minimum de dommages collatéraux. Mais pour
cela, il est essentiel d'identifier la cible à atteindre. C'est pourquoi nous devons trouver les bons biomarqueurs
visibles, accessibles, et qui soient présents dans les tissus cancéreux et ceux qui les environnent, mais absents
dans les tissus sains… »
Les chercheurs liégeois, qui ont déjà développé et breveté une technique innovante pour découvrir de tels
biomarqueurs accessibles, proposent par ailleurs des techniques pour en augmenter la visibilité. « Au fil de
nos recherches, notre attention a été attirée par l'asporine, une molécule dont l'un des variants avait déjà été
mis au jour par une équipe japonaise, et qui était impliqué dans des maladies articulaires comme l'arthrite.
Mais dont son rôle ou son implication dans le cancer étaient jusqu'à ce jour inconnus…»
Mur protecteur…
L'asporine a alors rapidement été identifiée comme un élément essentiel pouvant intervenir dans la lutte contre
le cancer du sein triple négatif. « Cette molécule est produite par les fibroblastes du stroma du sein, lorsque
des cellules cancéreuses essayent de se développer. L'asporine joue ainsi le rôle de mur protecteur pour
empêcher les cellules cancéreuses de proliférer, d'envahir les tissus sains et de former des métastases. Le
stroma essaie donc de nous protéger, mais certaines cellules cancéreuses parviennent à le forcer à collaborer
pour favoriser leur prolifération. C'est le cas des cellules malignes les plus agressives, mais pas n'importe
lesquelles : nous avons observé que, contrairement à ce qui se passe en présence de cellules cancéreuses
positives aux récepteurs hormonaux, les cellules cancéreuses 'triple négatives' et HER-2+ peuvent donner
l'ordre aux cellules normales du sein d'arrêter de produire l'asporine, afin de leur laisser champ libre pour leur
prolifération. Elles vont alors pouvoir envahir le sein et former des métastases, même à distance. C'est ce qui
explique l'agressivité de ce type de cancer. »
En effet, la production d'asporine n'est pas empêchée dans les cancers hormonodépendants : chez les souris,
on constate que leur taux est quatre fois supérieur à ceux des souris qui ont un cancer du sein triple négatif
ou HER-2+… Et une étude examinant la survie de 375 patientes atteintes d'un cancer triple négatif sur une
période de 25 ans montre que le taux de survie est 42% moindre chez celles qui présentent des taux d'asporine
faibles…
Un traitement existe !
Le mécanisme de ce travail effectué par les cellules cancéreuses triple négatives a été démantelé par
l'équipe du Laboratoire de Recherche sur les métastases (notamment le Dr Pamela Maris, premier auteur
de l'article) en collaboration avec les médecins du CHU de Liège, notamment le Pr Eric Lifrange et le Dr
Pino Cusumano du service de sénologie, le Dr Sylvie Maweja du service de chirurgie, le Pr Guy Jérusalem
du service d'oncologie et le Pr Philippe Delvenne du service de Pathologie. « Il s'agit d'un véritable effort
collaboratif de recherche translationnelle sans lequel ce travail n'aurait pas pu exister », insiste le professeur
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Castronovo « Nous avons constaté que même si l'on injecte du TGF-#1, qui stimule la production d'asporine,
celle-ci n'est pas produite par les fibroblastes des tumeurs triples négatives, car ils reçoivent un contreordre venant des cellules cancéreuses et transmis par l'interleukine-1# (IL-1#) une substance bien connue
impliquée dans les mécanismes inflammatoires et qui est également produite par les cellules cancéreuses les
plus agressives. On peut dès lors envisager qu'en bloquant cette IL-1#, les fibroblastes du sein vont pouvoir
produire librement l'asporine, et ainsi 'construire' ce mur biologique protecteur et de là, fortement ralentir la
progression cancéreuse ainsi que la formation de métastases… », poursuit le Pr Castronovo.
Dans l'étude, les résultats sur des souris sont prometteurs : chez les sujets porteurs de cellules cancéreuses
triple négatives qui ont reçu un traitement pour permettre la production d'asporine, on a constaté que les
cellules cancéreuses grossissent deux fois moins vite et donnent naissance à trois fois moins de métastases.
La bonne nouvelle est que ce traitement qui bloque l'IL-1# existe bel et bien et est déjà sur le marché. Il est
actuellement prescrit à des personnes qui sont atteintes de maladies inflammatoires articulaires, en particulier
l'arthrite. « Il a déjà été testé pour prouver son innocuité, et grâce à cela, nous pourrions gagner de nombreuses
années de recherche et d'essais thérapeutiques. En effet, il ne faudra pas non plus effectuer des études pour
comparer son efficacité par rapport à d'autres traitements, puisque ceux-ci sont inexistants. On pourrait donc
imaginer pouvoir tester rapidement ce traitement sur des femmes atteintes d'un cancer du sein triple négatif.
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Je pense qu'endéans les 6 mois, nous pourrons clairement démontrer son efficacité chez la souris, et qu'après
ce délai, il pourrait être possible de passer à une administration chez les femmes. » Les négociations avec le
laboratoire pharmaceutique qui produit ce traitement sont en cours.
Autres pistes, autres espoirs
Une autre piste consisterait à administrer un peptide d'asporine. « Le problème est qu'il faut le stabiliser pour
fabriquer un nouveau traitement, avec la difficulté présentée par le polymorphisme des cellules cancéreuses.
Ensuite, il faudra passer par la batterie d'essais thérapeutiques nécessaires, ce qui retardera de plusieurs
années l'offre d'une thérapie possible dans ce type de cancer qui fait partie des plus agressifs… » conclut
le Pr Castronovo.
Mais cette découverte ouvre d'autres portes : l'asporine pourrait jouer un rôle comparable dans d'autres types
de cancers, comme le cancer du poumon ou le lymphome. De nouvelles perspectives s'ouvrent donc pour
des cancers agressifs, qui tuent chaque année de nombreux patients.
(1) Pamela Maris, Arnaud Blomme, Ana Perez Palacios, Brunella Costanza, Akeila Bellahcène, Elettra Bianchi,
Stephanie Gofflot, Pierre Drion, Giovanna Elvi Trombino, Emmanuel Di Valentin, Pino G. Cusumano, Sylvie
Maweja, Guy Jerusalem, Philippe Delvenne, Eric Lifrange, Vincent Castronovo, Andrei Turtoi , Asporin Is
a Fibroblast-Derived TGF-#1 Inhibitor and a Tumor Suppressor Associated with Good Prognosis in Breast
Cancer , September 01, 2015, PLOS Medicine, DOI: 10.1371/journal.pmed.1001871
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