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La mémoire et ses enjeux individuels et collectifs
Introduction
I. Pourquoi ce thème
La mémoire est revenue et revient sur le devant de la scène, dans la seconde moitié du 20
ème
siècle pour différentes raisons :
-Le génocide juif de la seconde guerre mondiale a conduit progressivement à l’instauration
d’un devoir de mémoire, notion qui entraine différentes polémiques à l’aube du 21
ème
siècle et
conduit certains penseurs à accoler au devoir de mémoire un droit à l’oubli.
-La prise de conscience que l’histoire a toujours été écrite par les vainqueurs implique de
redonner la parole aux oubliés par le biais de la mémoire. Tel était, en partie, le projet de la
nouvelle histoire, l’histoire des mentalités. Comme le disait déjà Voltaire opposant déjà
histoire événementielle et histoire des mentalités :
« il faudrait faire l’histoire des hommes et non
l’histoire des rois et des cours. »
-La mondialisation met en cause l’autonomie des Etats qui se tournent vers la mémoire pour
affirmer une histoire nationale. La construction de cette histoire nationale ouvre le champ à de
nombreuses critiques qui mettent en évidence la part d’imaginaire, voire de manipulation et
d’oublis orchestrés en raison de différents enjeux politiques.
-Chaque région, chaque ville, voire chaque quartier veulent défendre et montrer un certain
passé auquel ils accrochent leur identité, leur particularité quitte à gommer des épisodes
entiers de l’histoire comme le fait la ville de Vichy, avec le gouvernement de Pétain, article de
Valérie Haas, La face cachée d’une ville et la ville d’Evian avec les accords d’Evian, article
du Point, 18 août 2016, Les désaccords d’Evian .
- Face aux différentes évolutions des cadres sociaux : remise en cause de la famille
traditionnelle, l’exigence d’être soi, autonome, libre, la nécessité d’avoir à assumer tous ses
actes, les inquiétudes concernant l’avenir de la planète, l’impossibilité de croire aux
lendemains qui chantent, et à la perte de repères qu’elles engendrent, les individus trouvent
un refuge dans la mémoire. « No future, then a past ». Nombreux sont ceux qui cherchent à
s’assurer une identité par la filiation, comme en témoignent les recherches généalogiques
diverses qui ne sont plus le fait des historiens mais des citoyens et des particuliers. Cet
ancrage identitaire peut inquiéter car il produit des mémoires individuelles, fragmentées et
risque de diviser les peuples et les membres d’une même nation dont l’existence s’appuie, en
partie, sur une histoire et une mémoire communes.
-Le vieillissement de la population et les pathologies de la mémoire, comme la maladie
d’Alzheimer, qui altèrent l’autonomie des personnes appellent les pouvoirs publics à mettre
en place des structures et des mesures d’accompagnement.
II. L’ambigüité première de la mémoire
La mémoire a toujours eu une valeur ambivalente en philosophie qui tient probablement à la
nature même de cette faculté indispensable à l’existence d’un sujet pensant, à la capacité
d’apprentissage, de connaissance, à l’inscription de l’homme dans le temps et l’histoire, sans
doute même au progrès, mais qui semble obéir à des règles propres que l’homme ne parvient
pas à comprendre et à maîtriser totalement.
Cette espèce d’autonomie de la mémoire est perçue dès l’origine, comme la mythologie
grecque en témoigne en faisant de la mémoire et de l’oubli deux déesses conflictuelles :
Mnémosyne, muse des arts, et Léthé, qui donne son nom aux fleuves des Enfers où les morts
trouvaient l’oubli.
La mémoire est-elle une fonction du cerveau ? Excède-t-elle le corps ? Peut-il exister une
mémoire et une capacité d’apprentissage chez un organisme sans système nerveux ?
Comprendre les mécanismes de la mémoire revient aussi à s’interroger sur les articulations