
sang,  du  sang  qui  ne  chauffe  plus…  Il  faut  attendre.  Sans 
colère. S’appliquer à dormir, à se nourrir, à se laver, à se 
vêtir, à marcher, chaque jour : le tout, presque seul, et sans 
même soi-même à ses côtés : essayer par à-coups, si gau-
ches, de reprendre du cœur. Patience, patience… »
L’après-dépression  sévère  ressemble  ainsi  parfois  à  un 
immense chantier de reconstruction : se pose alors la ques-
tion de l’apport des données issues du champ de ce que l’on 
nomme aujourd’hui la  « psychologie positive ».  Cette der-
nière est une « réexion scientique sur le fonctionnement 
humain optimal » [27], mais elle est aussi une autre façon de 
penser à l’amélioration du bien-être humain, en se concen-
trant sur l’étude de ce qui construit notre santé, et non plus 
seulement sur ce qui l’entrave. À ce titre, elle s’intéresse à 
la manière dont les patients développent ou maintiennent 
des activités ou attitudes mentales leur permettant, sinon 
d’accéder au bonheur, du moins de savourer leur quotidien 
de manière aussi agréable que possible [1]. Différents tra-
vaux suggèrent que l’absence de bien-être subjectif repré-
sente un facteur de récurrence dépressive [34], et justient 
que l’on propose aux patients ayant présenté des épisodes 
sévères  d’expérimenter  des  démarches  psycho-éducatives 
centrées sur l’optimisme, le lien social ou la régulation émo-
tionnelle.  Au  vu  des  premières  études  disponibles  [24], 
même si celles-ci ne portaient que sur des dépressions d’in-
tensité modérée, cela ne représente plus aujourd’hui une 
démarche naïve, mais au contraire un souci de leur donner 
toutes les chances de se rendre plus robustes.
Un de mes patients résumait ainsi la situation : « Il ne 
suft  pas  de  guérir,  il  faut  aussi  réapprendre  – ou  même 
apprendre – à bien vivre. Après la guerre contre la dépres-
sion – les traitements médicamenteux et les efforts psycho-
thérapiques –, il faut aussi apprendre à vivre en paix, et à 
reconstruire le mental sur des bases qui rendent la vie viva-
ble ; même si c’est une paix armée… »
Sorties de dépression…
Avant  de  conclure,  continuons  de  nous  intéresser  à  ces 
témoins exceptionnels que sont les écrivains ayant traversé 
des dépressions sévères.
Pour certains, lorsqu’on a surmonté sa dépression, on 
en sort un peu plus fort, comme l’afrme l’auteur améri-
cain  Andrew  Solomon  [28] :  « Cependant,  j’ai  découvert 
une chose que je suis bien obligé d’appeler âme, une partie 
de moi que je n’aurais pu imaginer avant qu’un jour, il y a 
sept ans, l’enfer ne me rende inopinément visite. Presque 
tous les jours, je connais des éclairs de désespoir et je me 
demande à chaque fois si je suis en train de perdre pied. 
{…} Ces sentiments me font horreur mais je sais qu’ils m’ont 
amené à regarder la vie de plus près, à trouver des raisons 
de vivre et à m’y accrocher. Il m’est impossible de regret-
ter complètement le cours qu’a pris ma vie. Chaque jour, 
parfois vaillamment et parfois à l’encontre de la raison, je 
choisis de vivre. N’est-ce pas là un bonheur rare ? » Solomon 
ne dit pas qu’il ne pourra jamais rechuter, mais il dit que sa 
dépression l’a en quelque sorte enrichi et rapproché de lui-
même.
Approches basées sur la pleine conscience
Actuellement, un enrichissement de ces approches est pro-
posé par la Thérapie Cognitive basée sur la Pleine Conscience, 
que  l’on  désigne  souvent  par  l’acronyme  anglais  MBCT 
(Mindfulness Based Cognitive Therapy). Très bien protocolé 
[23] et relayé par des self-help-books destinés à la pratique 
à domicile des patients [33], ce programme a notamment 
montré  une  efcacité  dans  la  prévention  des  rechutes 
dépressives [30], en particulier chez les patients ayant pré-
senté trois épisodes ou davantage, situation fréquente dans 
le cadre de dépressions sévères, en réduisant le nombre de 
récurrences  durant  la  période  de  suivi,  ou  en  allongeant 
l’intervalle libre  [5].  Il  semble  aussi intéressant,  dans  ce 
même cadre préventif, pour certaines dépressions résistan-
tes [2] ou chroniques [13].
Par rapport à la thérapie cognitive classique, la MBCT 
met l’accent  non  pas  sur  la  modication  du contenu  des 
pensées  négatives  (restructuration  cognitive)  mais  sur  la 
modication du rapport à ces mêmes pensées (prendre du 
recul, les observer, en noter l’impact, avant de chercher à 
les fuir ou à les modier). Par exemple, face à une pensée 
du type « je n’arriverai pas à faire face » :
le  mouvement  naturel  des  patients  sera  soit  de  fuir  la • 
pensée (distraction ou engagement dans l’action) ou de 
s’y enliser (rumination) ;
la démarche de l’approche cognitive sera de lui opposer • 
un  discours  rationnel  du  type :  « est-ce  sûr  que  je  n’y 
arriverai pas ? quels arguments ? et si cela se révèle vrai, 
est-ce que ce sera aussi catastrophique que cela me sem-
ble ? quelles conséquences au pire ? » ;
l’approche  de  pleine  conscience  consistera  plutôt  à • 
encourager le patient à considérer ces pensés négatives 
pour ce qu’elles sont : des productions de son esprit, qu’il 
sera invité à accueillir, observer, et laisser aller et venir à 
sa conscience, sans chercher, dans un premier temps, à 
les contrôler ou à les modier.
L’efcacité de ces approches, encourageant au recul et 
à la régulation émotionnelle, est logique, vu les nombreux 
« pilotes  automatiques »  et  activations  automatiques 
d’émotions  et  états  d’âme  pathologiques  [6]  chez  les 
patients  déprimés  en  rémission.  Mais  la  méditation  de 
pleine  conscience  n’a  pas  été  à  ce  jour  validée  lors  des 
périodes aiguës de la maladie, même si différents travaux 
continuent d’être conduits [3].
L’après-dépression et la psychologie positive
Écoutons  l’écrivain  Pierre  Guyotat  raconter  la  n  de  sa 
dépression [10] : « Après la clinique, c’est l’entrée dans la 
dépression douce, la guérison lente : la récompense de cette 
traversée de la mort, c’est, au lieu du palais enchanté que 
l’on croit avoir gagné à la sueur de son sang mort, un monde 
désenchanté, sans relief ni couleur notable, des regards ter-
nes qui ne vous voient plus, des voix toujours adressées à 
d’autres que vous qui revenez de trop loin, une obligation 
quotidienne à survivre, un cœur qui ne fait passer que du 
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