Mesurer le bien-être et la soutenabilité

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Mesurer le bien-être et la soutenabilité
Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux, chercheurs à l’OFCE, publient "Un nouveau monde économique :
mesurer le bien-être et la soutenabilité au XXIème siècle". Un ouvrage qui invite à repenser
l’économie de fond en comble, et à une sérieuse remise en question de ses indicateurs. Ils
enseignent ce sujet à Sciences Po dans une salle de classe dite « inversée »*. Interview.
Dans votre ouvrage, vous insistez sur le fait qu’un indicateur, quel qu’il
soit, est toujours une construction «orientée», qu’il résulte de choix plus
ou moins subjectifs.
Éloi Laurent : Oui, bien sûr, il est essentiel d’avoir un regard critique par rapport à tous les
indicateurs, y compris les moins conventionnels. Ces instruments de mesure et de choix ne sont pas
des « données » qui tomberaient du ciel ou qu’il suffirait de cueillir sur les arbres. Il faut cultiver une
éthique empirique exigeante dans ce que j’appellerai volontiers nos “datacraties”. C’est l’un de nos
messages : il faut savoir ce qu’il y a dans un indicateur et quelles sont ses limites. Un autre message
important : tout n’est pas quantifiable et surtout tout n’est pas monétisable…
Vous conduisez un procès en bonne et due forme de l’indicateur de
richesse qu’est le PIB. Que lui reprochez-vous ?
É. L : C’est qu’il est déconnecté de la réalité ! Il nous en dit peu sur le bien-être, les inégalités ou les
institutions, et rien sur la soutenabilité. Bien au contraire. Le fait que la Chine connaisse une
croissance de son PIB de 10 %, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Quelle est la
consommation de ressources naturelles nécessaire pour atteindre pour ce taux de croissance ? Et
pour quelles pollutions et dégradations, qui ont et auront un effet destructeur sur le bien-être des
Chinois ?
Les indicateurs dont nous disposons ne permettent pas de rendre compte de l’impact que nos
systèmes économiques auront dans l’avenir. Et il peut être brutal. Les enfants intoxiqués aujourd’hui
par les particules fines pourront-ils profiter de la richesse de demain ? Seront-ils en état d’en créer ?
Il nous faut des indicateurs dynamiques qui permettent d’anticiper, le PIB ne le permet pas.
Le problème majeur c’est que les politiques s’accrochent au PIB, ou à d’autres mesures tout aussi
limitées, comme le déficit public. Les mauvais indicateurs conduisent aux mauvaises politiques, avec
des conséquences humaines terribles, comme en Grèce…
Mais l’indicateur sur le niveau de bonheur, qui est l’un des composants
majeurs du bien-être, est lui aussi statique et surtout difficile à définir ?
É. L : Absolument. Si l’on commence à définir le bonheur de manière uniforme et à l’imposer aux
citoyens, on est en dictature... c’est Le meilleur des mondes que décrivait Huxley. La nécessaire
diversité des conceptions du bonheur, Aristote la soulignait déjà dans l’Éthique à Nicomaque. C’est
pourquoi, on mesure le bonheur à travers une série d’éléments. D’ailleurs, le niveau des libertés
civiles constitue l’un des éléments qu’on mesure et pour lequel on dispose de données objectives.
Pour d’autres dimensions du bonheur, c’est plus compliqué. On combine des données “objectives” par exemple, le temps de trajet pour aller au travail, qui est rarement considéré comme réjouissant avec des données subjectives.
Vous revenez sur la controverse touchant à la capacité de la planète à
supporter une démographie en croissance exponentielle. Y-a-t-il une vraie
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menace ?
É. L : Oui et non. La croissance démographique est un indicateur majeur de soutenabilité. Lorsque
l’on sait que dans 30 ans, nous pourrions être 4 milliards de plus qu’aujourd’hui, il devient évident
qu’il est impératif de changer de modèle, de croître en qualité et non plus de façon extensive. Mais
davantage d’humains éduqués et en bonne santé, c’est aussi davantage d’esprits capables
d’inventer des systèmes économes. La croissance démographique n’est donc pas en soi un danger
pourvu qu’elle soit accompagnée de développement humain et de l’abandon d’objectifs extensifs. Et
pour faire cela nous avons besoin d’indicateurs nouveaux sans lesquels nous serons incapables
d’aller dans le bon sens.
Mais ces indicateurs, outre qu’ils sont pléthore, sont complexes et
discutables. Comment s’y retrouver ?
É. L : Pour ce qui est des indicateurs de bien-être, les recherches sont en route depuis un certain
temps. On dispose aujourd’hui d’un certain nombre d’indicateurs robustes, même s’il faut toujours
faire un tri raisonné. Pour ce qui est de la soutenabilité, les indicateurs de mesure des limites de ce
que peut supporter la planète sont nombreux, techniques et discutables. Mais à la vérité, ce qui
importe, c’est la combinaison entre des indicateurs de limite physique, comme les indicateurs du
climat, et des indicateurs sociaux, ce qui nous ramène au bien-être. Les limites de la planète sont
éthiques, politiques et sociales. C’est à partir de cette analyse social-écologique qu’il faut faire des
choix, c’est à dire des compromis et des sacrifices.
Alors comment fait-on ?
É. L : Tout d’abord, il est fondamental que ces choix s’élaborent avec les citoyens. Aujourd’hui, par
exemple, en région Nord-Pas de Calais, des outils participatifs innovants sont mis en place. Les
territoires sont en effet des vecteurs privilégiés de la révolution des indicateurs de bien-être, de
résilience et de soutenabilié. Par exemple, un décret vient d’être pris en Californie qui oblige les
collectivités à réduire leur consommation d’eau en fonction des efforts qu’elles ont déjà faits. A
Paris, la réduction du niveau de particules fines fait désormais partie des nouveaux objectifs de la
Ville. Partout, à tous les niveaux de gouvernement, les choses bougent et ce nouveau monde
économique est en train de s’inventer, à Sciences Po aussi !
--------------------Éloi Laurent est économiste senior à l’OFCE. Il enseigne les indicateurs de bien-être et de
soutenabilité à Sciences Po et à l’Université Stanford.
Jacques Le Cacheux est professeur d’économie à l’université de Pau et conseiller scientifique à
l’OFCE. Il a été l’un des rapporteurs de la commission Stiglitz.
En savoir plus
Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux, Un nouveau monde économique – Mesurer le bien-être et
la soutenabilité au 21ème siècle - Nouvelle fenêtre">Un nouveau monde économique –
Mesurer le bien-être et la soutenabilité au 21ème siècle, Odile Jacob, introduction à feuilleter
en ligne.
"Social-ecology : Exploring the missing link in sustainable development”, OFCE Working
Papers 2015 – 07, mars 2015.
La Grande table de France Culture, « Le PIB, l'économie et nous », 6 mai 2015
Les Carnets de l'économie de France Culture, « Éloi Laurent : L’économie aveugle : pourquoi
il faut dépasser le PIB », 15 mai 2015
Exploring the missing link in sustainable development : The social-ecological
nexus - Nouvelle fenêtre">Exploring the missing link in sustainable development : The
social-ecological nexus, WWWforEurope Lecture Series
Le cours d'Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux à Sciences Po : « Mesurer le bien-être et la
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