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Les libertés politiques16 :
Les libertés politiques peuvent être facilement instrumentalisées. Walras y voit une formidable force
capable de faire triompher les autres libertés. Il manifeste une très grande confiance dans le débat
public qui doit permettre le progrès des idées socialistes libérales, débat public qui doit aboutir à la
formation d'une ligue qui forcera les portes des Parlements et des Chambres : “Ainsi l'on verra
l'égalité économique triompher avec les seules ressources de la liberté politique, et la révolution
sociale européenne ramenée en chaque pays, pour l'honneur des gouvernements, et pour le bonheur
des peuples, aux proportions d'une simple et magnifique évolution financière.”17 Il s'agit bien de
trouver une solution à la question sociale, c'est-à-dire, au-delà des injustices, plus prosaïquement, à la
misère de la classe ouvrière. Eh bien ! les libéraux, peu démocrates, sont peu sensibles à la misère.
Les démocrates au contraire ont souci d'y porter remède. Mais parfois, si leurs intentions sont
bonnes, leurs idées sont mauvaises ! C'est l'inconvénient de la démocratie ! On ne peut pas toujours
la mener où l'on veut. Il est difficile d’empêcher la majorité de voter des dépenses publiques qu’elle
ne finance pas, ou peu18. Mais Walras, qui déplore l’apathie des libéraux face à la misère, ne devrait
pas se plaindre que les systèmes démocratiques génèrent une croissance des dépenses publiques de
nature électoraliste. La plus grande sensibilité aux questions de répartition, et donc à la question de la
misère, n’est-elle pas aussi parfois de nature électoraliste19 ?
Par ailleurs, les libertés économiques, dont on parlera dans le paragraphe suivant, ont besoin d'être
organisées. En aucun cas, la libre concurrence ne fait sentir spontanément ses bienfaits contrairement
à ce que pensent les économistes libéraux. Et, c'est au débat public que Walras pense pour
l’organiser.20 L'information, la transparence, le débat seront bien plus efficaces que
l’interventionnisme étatique, en particulier contre les excès de la spéculation21. Ce souci de la publicité
rejoint ces libertés que Sen appelle les garanties de transparence qui permettent la confiance entre les
parties impliquées. “Des garanties de cet ordre jouent un rôle instrumental déterminant dans la
prévention de la corruption, de l'irresponsabilité financière et des ententes illicites.”22
16 “ Par libertés politiques, au sens le plus général, incluant donc les droits civiques, j'entends l'ensemble des
possibilités, offertes aux individus, de déterminer qui devrait gouverner et selon quels principes, de contrôler et de
critiquer les autorités, de s'exprimer sans restriction et de lire une presse non censurée, de choisir entre les partis
politiques antagonistes etc. ” Sen (2000), p.48.
17 Walras L. (1990 d), p. 141
18 Walras (1990 f), p.403 ; Walras s’oppose à Lassale qui propose le financement des associations populaires par
l’impôt. Walras L. (1990 b), p.30.
19 Amartya Sen montre que, dans les pays démocratiques, les gouvernements prennent toutes les mesures en cas
d'insuffisance alimentaire et les individus ne meurent plus de faim. Au moment de l’affaire Dreyfus, militant contre la
décomposition des institutions de la République, Walras préconisera une démocratie reposant sur un suffrage censitaire
s'appuyant sur les professions. Dockès P. (1997), p.229, p.244,Walras L. (1992 d), p.434
20 Walras L., (1992 c),.p.392.
21 Toutefois pour protéger les petits spéculateurs des gros, on peut interdire aux particuliers d’emprunter pour spéculer.
Cela en fera des proies moins faciles pour les gros spéculateurs. D’ailleurs, grâce à la coopérative de production, les
petits actionnaires pourront représenter une force unie sur le marché et contrebalancer le pouvoir des banques .
22 Sen A. (2000), p.49.
Le
Monde
du mardi 21 août 2001 titrait en première page : “L'énorme gâchis des fusions
géantes - Notre enquête sur douze grandes fusions d'entreprises mondiales révèle un immense gaspillage - Plus de 800
milliards d'euros de valeur boursière se sont volatilisés - Actionnaires et salariés font les frais de l'emballement des
dirigeants - Banquiers d'affaires et analystes financiers sont critiqués. ”