Les conflits sociaux

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Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2004-2005
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agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2004-2005
Les conflits sociaux
Jean-Daniel REYNAUD (1982), Sociologie des conflits du travail
Fiche de lecture réalisée par Yolène Chanet (ENS Ulm)
REYNAUD Jean-Daniel (1982), Sociologie des conflits du travail, Presses
universitaires de France, coll. « Que Sais-je ? »
1. Définition sommaire et projet de l’auteur.
Reynaud analyse surtout l’apparition, les modalités et les conditions de réussite des grèves, bien qu’il existe de
nombreuses autres formes de conflits au travail.
Pour l’auteur, la grève offre l’avantage de se présenter, de fait, comme action collective tandis que l’absentéisme, par
exemple, paraît relever d’une décision individuelle (aujourd’hui on peut penser à la tendance de « psychologisation »
du malaise au travail qui fait la part belle à ce type de décisions). Reynaud propose plutôt une distinction entre conflit
ouvert et conflit latent qui évite justement la distinction collectif/individuel. Le conflit latent peut naître d’un
sentiment d’injustice sans conséquences visibles, auquel cas on peut parler de résignation (même si elle implique une
frustration ou un désaccord).
En fait, Reynaud réactualise le modèle d’Hirschmann en faisant de l’Exit (absentéisme, démission, faibles rendements
volontaires, etc…) une voie privée de la contestation. Mais il introduit, avec la notion de conflit latent, un troisième
type de réaction qui implique une interdépendance des acteurs sans concertation préalable comme le sabotage, le
débrayage bref, le relâchement, etc. C’est une réaction muette et consensuelle.
Outre le caractère collectif de la grève, Reynaud insiste sur son caractère imprévu, dans le sens où, si le conflit
éclate, aucune des deux parties ne connaît, à l’avance son issue. Par définition, si le résultat était connu, le conflit,
coûteux pour tous les protagonistes, serait évité.
C’est en problématisant cette première définition à deux entrées que Reynaud entend aborder la sociologie des
conflits.
Remarque : Pour comparer les différentes modalités, voire les différents types de grèves selon les pays, l’auteur
s’appuie peu sur les statistiques (comptabilisation des jours chômés, ratio jours de grève/absentéisme total, etc) qu’il
juge peu pertinentes. En effet, l’intérêt d’une grève, selon lui, est surtout le coût qu’elle engendre pour une entreprise
donnée, il privilégie donc ce niveau d’analyse.
2. Peut-on typifier les grèves ?
Reynaud reprend les distinctions entre conflits localisés vs généralisés, grèves courtes vs grèves longues, mais ne s’y
arrête pas, jugeant que ces types sont, en définitive, intimement liés. Par exemple, les grèves longues ont un fort
impact : en cas d’échec elles imposent les vues patronales sur long terme et au niveau général, mais en cas de succès,
les conquêtes des salariés se diffusent et engendrent souvent des grèves courtes, de « rappel ».
En revanche, il dresse un profil-type du gréviste (proche de celui du militant) : c’est un exécutant, un ouvrier qualifié,
masculin, d’âge moyen, impliqué dans son travail. En somme, les grévistes se définissent comme centraux ou actifs.
De même, il se penche sur le niveau de participation :
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Selon les branches. Les branches intégrées mais sans contacts avec les autres secteurs (exemple des dockers)
sont, potentiellement, les branches où il y a le plus de grèves. La probabilité d’apparition d’une grève varie donc
selon la place qu’occupent les ouvriers dans une branche (intégrés ou non) et la place qu’occupe cette dernière
dans la société (segmentée ou non).
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Selon la taille de l’entreprise. La participation syndicale varie en fonction inverse de la taille de l’entreprise.
Par ailleurs, le taux de syndicalisation monte brusquement après un grand évènement comme une crise économique,
une nouvelle législation, une guerre… Reynaud remarque que le taux de syndicalisation est corrélé aux vagues de
conflits généralisés. Par exemple, en 1936, les grandes grèves avec occupations d’usines sont corrélées à un fort taux
de syndicalisation et à une série de dispositions législatives. Aux Etats-Unis, le grand cycle de grève de 1935 à 1937
et l’action du National Labor Relation Board sont aussi corrélés avec une hausse du taux de syndicalisation.
Par conséquent, peut-on identifier de véritables cycles de conflits ?
Reynaud répond par la négative et s’appuie sur l’exemple des années soixante, années de conflits ouverts, pour
réfuter le modèle suivant : de 1965 à 1968, la croissance et la redistribution auraient, dès 1968, engendré des
revendications. Ces revendications auraient été attisées par l’inflation jusqu’en 1974. Tandis que le retour au calme
de la fin des années 70 s’expliquerait par la conjoncture défavorable qui modifie les rapports de force entre salariat et
patronat.
En fait, selon Reynaud, les chocs pétroliers de 1973 et 1974 n’ont pas eu de répercussion sur les comportements et le
nombre de conflits est resté élevé. Pour l’auteur, il est vrai que le desserrement des contraintes économiques, pendant
les années soixante, a abouti à une volonté de relâchement des contrôles sociaux. Mais les résultats de l’élection de
1981 montrent que l’apaisement relatif de la fin des années 70 ne marque pas l’acceptation d’un modèle de société.
Par ailleurs, s’il y a eu une reconnaissance de l’action syndicale en France, le niveau même de la négociation est resté
largement local et on ne peut pas parler d’une véritable articulation générale des négociations et des revendications.
L’explication de la pacification des conflits par l’avènement d’un solide système organisationnel, est donc, pour
Reynaud, assez ambiguë.
3. La grève et le système de relations professionnelles
a) la grève et la négociation
Reynaud analyse le système de relations professionnelles pour construire les différents types de grève.
En Allemagne et aux Etats-Unis, la grève prend une valeur juridique :
La possibilité de conflits est exclue pendant la durée du contrat qu’une négociation a scellé. C’est ce que l’auteur
appelle l’obligation de paix sociale. D’où l’importance, dans ces pays, des stratégies de moyen terme, élaborées par
un syndicat dominant (suffisamment pour se doter d’une organisation capable de mener à bien ce type de stratégies).
Le conflit est ici extrêmement lié à la négociation d’un nouveau contrat, la grève ne joue alors que comme « arme
ultime » et elle est, de ce fait, souvent radicale et longue. La grève débute selon la décision interne du syndicat qui
exerce un fort contrôle sur ses membres (personne ne doit rompre le rang, en temps de paix comme en temps de
lutte). Reynaud oppose ce fonctionnement aux simples accords français qui peuvent être remis en cause à tout
moment (par les employés), impliquant des grèves plus décentralisées, plus locales et moins radicales…
Cependant, quelles que soient les règles de droit, la signature est conçue comme un armistice.
Dans les pays à « obligation de paix sociale », le champ du conflit est celui de la négociation, mais Reynaud ajoute un
second axe divisant les pays dans lesquels la négociation se fait au niveau de l’entreprise (Etats-Unis) et ceux dans
lesquels elle se fait au niveau de la branche (Allemagne). En général, c’est dans les pays à obligation de paix sociale
et où la négociation se fait au niveau de la branche que les oppositions et les conflits du travail sont les plus modérés.
Enfin, l’autorité syndicale, de droit comme de fait, peut être un axe pertinent pour catégoriser les grèves. Par
exemple, l’obligation de dépôt de préavis renforce le monopole syndical, de même si la grève est conditionnée par le
vote des salariés. Aux Etats-Unis, le syndicat majoritaire a automatiquement le monopole de la représentation et
l’employeur est contraint à la négociation (no contract no work). Inversement, le pluralisme correspond à une baisse
du pouvoir syndical, comme en France où les syndicats n’ont pas toujours l’initiative de la grève.
b) La régulation politique
Reynaud rappelle que système de régulation des conflits est loin d’être stable. En France, les débordements de 1968
ont ouvert la voie à une réforme du droit de grève. L’obligation de préavis, par exemple, est un élément nouveau,
comme la jurisprudence sur les dédommagements en cas de débordement (demande de dommages et intérêts aux
syndicats). Deux changements qui visent à introduire plus de centralisation et d’assise syndicale. La distribution des
responsabilités et la procédure de décision ont bien été modifiées. Le système de relations professionnelles peut donc
être régulé par le système politique.
D’ailleurs c’est bien l’intervention politique qui régla les crises de 1936 (les accords de Matignon furent signés par le
Président du Conseil) et de 1968 (les accords de Grenelle étaient présidés par le Premier Ministre). En fait, en France,
en cas de conflit généralisé, l’intervention politique est plus fréquente que celle d’un tiers (comme le juge, une
commission paritaire, le tribunal des prud’hommes..)
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4. Objectifs et Stratégies
a) Objectifs et opportunités
Comment classer les revendications ? Reynaud refuse les distinctions quantitatif/qualitatif. En effet, une
augmentation de salaire correspond aussi à une amélioration des conditions de vie de l’ouvrier, a contrario toutes les
revendications en terme d’amélioration des conditions de travail peuvent être traduites en termes monétaires par
l’employeur.
En revanche, Reynaud propose de distinguer : revendication directes traditionnelles (horaires, salaires) / avantages
non-salariaux / conditions de travail (revendications présentes surtout depuis la création de l’Agence Nationale pour
l’Amélioration des Conditions de Travail, en 1973) / droits des salariés et de leurs représentants.
C’est bien sûr, avant tout, une distinction analytique, mais la forme du conflit dépend, en tendance, du type de
revendication.
En fait, l’auteur avance que la rationalité de la revendication n’est pas d’ordre économique car les coûts comme les
bénéfices de celle-ci sont inconnus. Même la rationalité de l’employeur est plus large qu’une simple rationalité
économique (il doit aussi garder la face, préserver son autorité, sa réputation…). Les conflits au travail ne sont donc
pas de simples conflits d’intérêt, mais bien des conflits de rationalité. Le conflit cristallise les divergences de logique.
Étant donné l’imprévisibilité de l’issue d’un conflit, l’auteur propose de penser la situation en terme de rationalité
limitée, la négociation est alors nécessairement abordée comme un processus séquentiel. La solution, au final, naît de
la perception des opportunités offertes aux parties en présence. D’où l’importance du précédent et de l’exemple. Ici,
l’opportunité n’est pas analysée comme une donnée objective mais comme une hypothèse portée sur la réaction de
l’autre. Reynaud propose l’hypothèse suivante : Si les agents ont un objectif (revendication), une voie d’action
(opportunité) et sont déterminés à emprunter cette voie, alors un comportement collectif se forme.
b) La conduite du conflit
Le choix des enjeux est un point crucial. Pour l’aborder, Reynaud décompose la séquence du décideur syndical :
1-décision de grève
2-désignation de la revendication et des objectifs
La formulation des revendications est avant tout un choix stratégique. Choisir le lieu de la discussion, le cadre de
référence, l’enjeu, c’est aussi choisir qui prendra part au conflit.
Par exemple, quand les travailleurs d’un atelier s’opposent à la prime au rendement, deux voies sont alors possibles.
Soit ils demandent directement à l’employeur de fixer des salaires pour le travail dans cet atelier particulier, soit ils
opèrent une montée en généralité et s’opposent au principe même de la prime au rendement. Autre exemple : un
atelier de dactylo demande une reconsidération de salaire, la catégorie juste au-dessus (les secrétaires) se joindront à
la revendication seulement si les hausses de salaires deviennent une revendication générale et ne remettent pas en
cause la hiérarchie statutaire au sein de l’entreprise (exemple développé par T. Schelling, The Strategy of Conflict,
1960). L’enjeu détermine ainsi le cadre de la négociation, mais réciproquement, le choix du cadre détermine aussi
l’enjeu.
Dans une perspective de théorie des jeux, qu’adopte Reynaud, il faut admettre, selon lui, qu’il n’existe pas de
situations où les jeux sont à somme nulle. Le coup gagnant est celui de l’engagement. C’est une prise de position
définitive. Le but est alors de découvrir les concessions que la partie adverse est prête à faire, tout en cachant les
siennes. Par exemple si le délégué syndical connaît le salaire maximum que l’employeur est prêt à concéder et que
celui-ci est plus élevé que le salaire revendiqué par les employés, alors le syndicat proposera un accord (sous la forme
d’un engagement définitif) sur un salaire proche du maximum en pariant sur le fait que l’employeur ne sait pas qu’il
serait prêt à faire de plus amples concessions.
Comment rendre son engagement crédible ? Reynaud recence plusieurs possibilités : soit par sa réalisation
automatique dès que l’engagement est pris, soit par l’existence d’une amende si l’engagement n’est pas tenu (amende
souvent symbolique, comme mettre son honneur en jeu), soit par la rupture communicationnelle (une fois le coup
joué, la partie adverse n’a plus les moyens de réagir, de tenter de convaincre ou d’établir un compromis).
Cependant, l’auteur remarque que sur le long terme, les parties en présence savent reconnaître les « lieux de
convergence » permettant la résolution du conflit, ces « lieux » étant structurés par la connaissance des attentes de
l’autre (la rupture communicationnelle n’est donc pas une rupture de la négociation).
c) Les acteurs et le système de valeur
Les revendications peuvent être contradictoires et incohérentes, en effet, le salariat recouvre en fait des acteurs tres
hétérogènes. Les syndicats sont donc des coalitions hétérogènes avec lesquelles les « faibles » ont intérêt à s’associer
sans pouvoir s’y faire entendre. Seul un petit groupe devient hégémonique dans le syndicat (souvent des ouvriers
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qualifiés dans les syndicats ouvriers) et lui impose un modèle.
Ainsi, certaines valeurs constitutives d’une communauté orientent l’usage de son pouvoir et fondent les
caractéristiques d’une communauté d’action. Ces systèmes de valeur peuvent être contradictoires avec le
fonctionnement du système économique et entrer en conflit avec la logique de l’employeur. Exemple : la règle
d’ancienneté (les promotions sont attribuées selon l’ancienneté de l’employé) était primordiale aux Etats-Unis et fut
l’un des principaux cheval de bataille des syndicats lorsque le nouveau management préconisa plutôt de mettre les
plus vieux au chômage et de favoriser les plus jeunes…
Reynaud remarque ici que l’organisation syndicale survit à ses bases, elle ne change pas par glissement continu
comme si elle était indexée aux caractéristiques de ses adhérents, mais par transformation soudaine du modèle
syndical.
5. Intérêt individuel et action collective
a) L’individu et les biens collectifs
Reynaud discute le paradoxe d’Olson et objecte qu’il n’est pas applicable aux petits groupes, ni quand certains
individus (qui ont plus de poids que les autres dans un domaine) tirent du bien collectif un bénéfice assez grand pour
en assumer les frais tout seul.
La théorie des incitations sélectives n’apparaît non plus très pertinente à l’auteur en cas de grève où le risque
individuel de participation peut être tres fort (coût tres élevé). Cependant les effets (bénéfices) d’une grève se
déploient à la fois temporellement et spatialement et dépassent donc le seul cadre du résultat d’une négociation
particulière. Reynaud prend en compte les effets de diffusion et d’anticipation qui procurent des bénéfices à coût nul
aux employés (bénéfices économiques ou symboliques, comme l’obtention d’une position confortable pour les
prochaines négociations, par exemple).
b) Les conditions de l’action collective
Reynaud insiste sur le fait que les grèves ne produisent pas vraiment de biens individuels qui découleraient de la
participation. Mais il existe un système d’interdépendance qui rend la décision individuelle visible. En France, la
taille moyenne des entreprises est relativement petite ce qui encourage la réaffirmation d’un soutien mutuel, en effet,
celui qui manque à l’appel est vite repéré. En Allemagne où la taille moyenne des entreprises est plus grande, et où,
surtout, le niveau de la négociation est celui de la branche, cette mutualité et cette visibilité de l’action individuelle
est un enjeu organisationnel pour les syndicats. En fait, selon Reynaud, une forte contrainte pèse sur les salariés.
Contrainte qui peut être juridique (aux Etats-Unis), pratique (en Grande-Bretagne avec la technique des closed-shop),
morale (en Suède, où l’appartenance au syndicat est fortement corrélée à la sociabilité ouvrière, le taux de
syndicalisation dépasse les 90 %). Pour Reynaud, la pression morale et les liens affectifs sont indémêlables car ils
appartiennent au même système d’interdépendance.
Pour expliquer l’action collective, Reynaud affirme l’importance des minorités actives. Il retrace ainsi l’histoire des
rapports entre élite ouvrière et masse des travailleurs : Avant 1970, les leaders syndicaux présentent les « masses »
comme « ralentissant » l’élite éclairée. Après 70, la démocratie ouvrière prend parfois le pas sur la démocratie
syndicale. Aujourd’hui, les syndicats se veulent, explicitement, des « organisations de masse » mais la minorité active
n’a pas disparu (surtout en France où le syndicalisme est militant). Si cette minorité n’est pas (et pour Reynaud, n’a
jamais été) à l’origine de la grève, elle a pour rôle de rallier la majorité. Elle fait alors appel aux traditions dont elle se
présente comme le dépositaire légitime et crée les circonstances du ralliement en endossant la responsabilité de la
grève (piquet de grève, blocage à l’entrée de l’usine…).
La contrainte morale, comme fait social, prend la forme d’un contrôle collectif qui vient remplacer l’autorité
habituelle (celle de l’employeur), en temps de grève. L’action collective présuppose l’existence d’une communauté
qui se définit par sa capacité à créer des contraintes et faire appel à des valeurs communes. Aux fondements de
l’action il y a donc la possession d’un capital collectif, professionnel et symbolique.
Pour l’auteur, l’engagement individuel dépend, enfin, des anticipations sur le taux de participation : plus on pense que
la grève va être suivie, plus la probabilité d’être soi-même gréviste est forte. Ces anticipations sont réajustées au
cours du temps, d’où l’importance du taux de participation des premiers jours (effet d’entraînement ou de
dégonflement). Le poids de la minorité active (qui constitue un seuil de participation inconditionnelle) change donc la
probabilité de réussite d’une grève.
c) La communauté et l’organisation
Reynaud définit une communauté par ses croyances, non par ses objectifs. La communauté met à disposition de ses
membres un ensemble de ressources qu’il s’agit de défendre contre la dépréciation et l’obsolescence. C’est pourquoi,
Reynaud présente le corporatisme et la solidarité ouvrière sur un continuum, en effet, il s’agit à chaque fois de
défendre des ressources collectives. La cohésion communautaire est réalisée et préservée par l’hégémonie d’un
groupe sur la catégorie plus large à laquelle il appartient.
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La communauté doit adopter un modèle qui définit ses modes d’action et fonde sa spécificité. Le conflit est le
moment de construction de cette combinaison entre une communauté et un modèle d’action. Le syndicat, en
entérinant les rôles, les attentes des différentes parties et un circuit de décisions, institutionnalise la contrainte morale
qui joue au niveau communautaire. Reynaud propose l’enchaînement suivant : évènement – définition
communautaire – institutionnalisation par l’organisation syndicale.
Remarque 1 : Pour l’auteur, le capital collectif recouvre à la fois, une certaine capacité d’organisation, une tradition
particulière, et l’acquisition d’une culture et d’une expérience. Il s’agit d’un capital incertain et constamment menacé.
Par ailleurs, si une profession contrôle à la fois l’apprentissage et l’embauche, il y a congruence entre intérêt
individuel et intérêt collectif.
Remarque 2 : L’organisation syndicale apparaît, dans cette analyse, comme un gage de stabilité pour la communauté,
mais, parallèlement, elle implique des biais représentatifs par l’autosélection des membres, la non organisation des
opposants potentiels…
6. La grève et la révolution
a) La grève révolutionnaire
Pour le syndicalisme révolutionnaire, la grève est la révolution elle-même (puisque tout le système repose sur les
ouvriers). Après l’échec de la grande grève de 1924 en Grande-Bretagne et la réussite de la révolution russe qui n’a
pas débuté à partir d’une grève générale, cette idée est devenue obsolète. On en trouve cependant des échos en 1968
avec l’ambition de créer de nouveaux rapports sociaux. Le problème de penser la grève générale en tant que
révolution est que cela implique l’existence d’un salariat massivement homogène sur lequel reposerait tout l’ordre
social.
Par ailleurs, Reynaud envisage l’action collective comme nécessairement fondée sur un début d’appropriation (du
capital collectif en premier lieu). Les grévistes syndicalistes sont surtout des ouvriers qualifiés, impliqués et centraux.
Les grèves qui « réussissent » s’appuient sur un groupe intégré détenteur d’un capital collectif.
Pourtant, l’auteur souligne que certaines grèves ont bien abouti à des changements d’équilibres sociaux. Mais il
insiste aussi sur le fait qu’à chaque fois, ce sont des gains limités qui sont en jeu dans les stratégies d’actions
grévistes. Parallèlement, la professionnalisation des leaders syndicaux modère d’emblée la logique d’affrontement.
b) La grève et le mouvement ouvrier
« la conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de
la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons » (Que Faire ? Lenine, 1902)
Pour Lénine, le syndicat est l’organisation de masse qui apprend aux classes à s’organiser collectivement, mais il doit
être guidé par le parti. Pour Jaurès, le parti est au centre du mouvement ouvrier, mais celui-ci repose bien sur trois
piliers : syndical, politique, coopératif.
En fait, Reynaud, quant à lui, souligne que l’unité d’action ne va pas de soi. La dynamique de la lutte des classes est
traversée par des rapports économiques, professionnels et politiques qui ne sont pas forcément congruents.
Il rappelle que la Révolution Industrielle a contribué à la perte de vitesse des catégories indépendantes en même
temps qu’elle a engendré un prolétariat de masse, aggravant ainsi les antagonismes et renforçant les liens entre
conflits sociaux et conflits du travail. Mais cette congruence ne pourrait être qu’un moment historiquement situé.
L’auteur revient sur l’institutionnalisation et la pacification des conflits du travail dans la seconde moitié du
vingtième siècle qu’il explique par l’avènement de la société de consommation et l’extension des droits (notamment
du droit de vote qui a ouvert un champ de protestation pacifié et institutionnalisé). De même, il explique le recentrage
des revendications syndicales sur des intérêts particuliers, catégoriels, locaux par l’apparition d’une classe moyenne
qualifiée et la différenciation de plus en plus poussée du salariat. Ce constat (fait par l’auteur) interdit alors de penser
les conflits comme un processus de simplification des rapports vers un conflit central…
c) Les conflits du travail et la vie politique
L’auteur étudie les relations entre les conflits du travail et la politique par le biais de la grande crise des relations
professionnelles des années 1968 à 1973, crise qui se répercuta dans la sphère politique autour de la mise en place
d’un nouveau « contrat social ». Pourtant, Reynaud rappelle qu’en 1968, De Gaulle connaît un immense succès en
France, que la Démocratie Chrétienne reste en place en Italie et que Thatcher est élue en Grande-Bretagne. L’auteur
refuse de lire cette ambivalence comme l’existence d’un mouvement de balancier entre droite et gauche, mais
propose de dissocier les deux sphères, politique et professionnelle. Il prend acte de la réaction droitière, face à la crise
sociale des années 60, mais souligne aussi les immenses avancées institutionnelles quant à la régulation des rapports
de travail.
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En fait, pour Reynaud, le système des relations professionnelles possède une véritable autonomie. Le basculement
des équilibres ne passe ni par la loi (a priori) ni par l’Etat. L’enchaînement proposé est le suivant : le changement des
équilibres, dans la sphère du système de relations professionnelles, se répercute dans toute la société et donc au
niveau politique. Les syndicats ont bien un rôle politique mais, ce rôle doit être pensé en tant que les syndicats sont
des intermédiaires, des groupes de pression, d’intérêts.
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