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L’Encéphale (2009) Supplément 7, S272–S278
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Dépressions sévères : comorbidités somatiques
Severe depression : concomitant somatic disease
O. Cottencin
PU-PH, Faculté de Médecine de Lille, Service d’Addictologie, CHRU de Lille
Résumé L’association d’une pathologie somatique et d’un trouble dépressif n’est pas rare. Elle concerne
25 % de la population hospitalisée en Hôpital Général. Bien que peu intégrée dans les prises en charge,
elle est à l’origine d’une aggravation mutuelle des deux pathologies.
Plusieurs questions se posent lors d’une telle association. Tout d’abord, il faut connaître la nature
primaire ou secondaire de l’affection dépressive, parce qu’elle implique des attitudes diagnostiques et
thérapeutiques parfois différentes (voire contradictoires). Ensuite, il est nécessaire de connaître la
nature adaptative ou non du trouble : même si un trouble de l’adaptation n’a pas le même impact que
la dépression sur le devenir somatique, il peut évoluer vers un trouble dépressif endogène. Enfin, il est
indispensable de repérer l’importance du risque suicidaire qui n’est pas uniquement lié à l’existence
d’une dépression, mais plutôt au sentiment de désespoir (fréquent chez les patients atteints de maladie
somatique grave).
Nous nous intéresserons ensuite à la sévérité de ces dépressions intriquées en raison des difficultés
diagnostiques (de la confusion des symptômes à la banalisation). Ensuite nous exposerons l’ensemble des
conséquences de la maladie somatique sur le pronostic de la dépression et inversement. Puis nous
aborderons la question de la sévérité du point de vue des pathologies associées les plus étudiées.
Si l’existence d’une maladie somatique invalidante est un facteur de risque d’apparition de dépression
chez ces sujets vulnérables, la dépression associée à différentes maladies somatiques majeures constitue
un facteur de mauvais pronostic. Encore sous-évaluée, la comorbidité somatique est un facteur de
chronicisation, d’aggravation et d’augmentation du risque suicidaire.
* Auteur correspondant.
L’auteur a signalé des conits d’intérêts avec les laboratoires Lundbeck et BMS.
MOTS CLÉS
Dépression ; Maladie
somatique ;
Pronostic ; Sévérité ;
Suicide ;
Chronicisation
KEYWORDS
Depression ; Somatic
disease ; Prognosis ;
Severity ; Suicide ;
Chronic progression
Abstract The association of somatic disease with a depressive disorder is not uncommon and affects
25 % of general hospital inpatient populations. Although not well incorporated into management it is a
source of mutual worsening of the two diseases.
Several questions arise with this association. Firstly, it is essential to establish whether the depressive
disorder is primary or secondary as these situations occasionally involve different (and even opposite)
diagnostic and treatment approaches. It is then important to establish whether or not the disorder is
adaptatory in nature : although an adaptatory problem does not have the same impact as depression on
somatic outcome, it can progress to endogenous depression. Finally it is essential to identify the extent
of suicidal risk, which is not only due to the depression but more to the feeling of despair (which is
common in patients suffering from severe somatic illness).
We will then examine the severity of these interlinked depressions in terms of the diagnostic difficulties
(from confusion of symptoms to considering them to be unimportant). We shall then describe all of the
Dépressions sévères : comorbidités somatiques S273
Introduction
Un cardiaque déprimé meurt 3,5 fois plus qu’un cardiaque
non déprimé.
Ce constat de l’équipe de F. Lespérance [20] pourrait
résumer combien un trouble psychiatrique peut inuer sur
le pronostic d’une maladie : la dépression n’est pas un état
d’âme lié à la tristesse d’avoir une maladie, elle est une
deuxième maladie qui évolue pour son propre compte et
fait des dégâts. Ce constat, déjà sufsamment important
pour que l’on s’y attarde, n’est malheureusement pas le
seul impact de l’association dépression et troubles somati-
ques. En fait, de nombreux facteurs diagnostiques, pronos-
tiques et thérapeutiques sont à l’origine d’une aggravation
mutuelle des deux pathologies.
Nous exposons ici les principaux facteurs de sévérité de
la dépression lorsqu’elle apparaît en même temps qu’un
trouble somatique, et dont nous trouverons une partie des
explications tant dans l’épidémiologie ou la physiopatholo-
gie, que dans la reconnaissance de la clinique et l’impact
thérapeutique.
Quelques chiffres
Les patients ayant des troubles somatiques ont en moyenne
2 fois plus de troubles psychiatriques que la population
générale ne présentant aucune pathologie [21].
L’association d’une pathologie somatique et d’un trou-
ble dépressif n’est pas rare. Il est classiquement admis que
25 % de la population des patients hospitalisés en Hôpital
Général [15] et que 40 % des patients suivis en médecine
générale pour une pathologie chronique souffrent d’une
dépression comorbide [7].
Lorsque l’on se place d’un point de vue psychiatrique, les
résultats sont tout aussi marquants. L’historique enquête ECA
(Epidemiologic Catchment Area) retrouvait que les patients
déprimés ayant des antécédents de troubles dépressifs pré-
sentaient dans deux tiers des cas une maladie physique asso-
ciée parmi les huit plus fréquentes en population générale
[26]. Et Bigot et al., dans leur étude de 1999, retrouvaient
que 55 % des sujets hospitalisés pour dépression présentaient
au moins une pathologie somatique comorbide [1].
Mais l’épidémiologie de l’association dépression trou-
ble somatique est assez variable selon les études et diffère
selon les pathologies. De telles différences tiennent, on le
sait, aux critères choisis, à l’inclusion de patients présentant
des troubles de l’adaptation ou des symptômes dépressifs et
non de véritables dépressions, aux qualités métrologiques
des échelles de dépression (parfois inadaptées en présence
d’un trouble somatique), etc. Toutefois on se fera une idée
de la fréquence de cette association grâce à la revue d’Evans
et al. [12], résumée dans le tableau 1.
Cadre nosologique : dépression primaire
ou secondaire
Les relations entre maladie somatique et dépression sont
complexes. Il peut s’agir d’une association fortuite, mais il
peut s’agir également d’une véritable intrication médico-
psychiatrique, d’une dépression secondaire, ou encore d’un
trouble de l’adaptation avec humeur dépressive, pouvant
toujours évoluer vers une dépression. Le terme de dépres-
sion réactionnelle, aujourd’hui abandonné, a laissé place
au concept de dépression primaire et dépression secon-
daire.
Ce concept impose qu’il n’existe pas d’autre dépression
qu’endogène. Toutefois ceci n’exclut pas l’existence de la
tristesse réactionnelle ou du trouble de l’adaptation avec
humeur dépressive. Mais il s’agit ici clairement de symptô-
mes liés à une tristesse adaptée (ou adaptative) qui ne jus-
tie pas de traitement antidépresseur (mais une anxiolyse,
chimique ou non). La dépression est donc bien une maladie
– et non une réaction – et sa principale spécicité réside
dans le caractère pathologique de la tristesse.
consequences of the somatic disease on the prognosis of the depression and vice versa. Finally we will
examine the question of severity from the perspective of the most widely studied associated diseases.
Whilst the presence of an incapacitating somatic disease is a risk factor for depression in these vulnerable
people, depression associated with the different major somatic diseases is a poor prognostic indicator.
Somatic co-morbidities are still underestimated and are a factor responsible for chronic progression,
deterioration and increased risk of suicide.
Tableau 1 Dépression chez les patients présentant un
trouble somatique comorbide in [12]
Trouble somatique
comorbide Prévalence
de la dépression (%)
Maladie cardiaque 17-27 %
Maladie cérébrovasculaire 14-19 %
Alzheimer 30-50 %
Parkinson 4-75 %
Épilepsie
Récurrente 20-55 %
Contrôlée 3-9 %
Diabète
Auto-évaluation 26 %
Hétéroévaluation 9 %
Cancer 22-29 %
HIV/SIDA 5-20 %
Douleur 30-54 %
Obésité 20-30 %
O. CottencinS274
Ainsi la dépression primaire est un trouble de l’humeur
autonome. Elle est par essence récurrente, et peut être uni
ou bipolaire. Elle peut être associée à une maladie somati-
que dans le cadre d’une association fortuite, d’une coïnci-
dence.
Les dépressions secondaires, quant à elles, apparaissent
dans un contexte qui peut être psychopathologique (trouble
de personnalité, trouble psychiatrique, trouble névrotique…)
ou somatique voire iatrogène. Les maladies somatiques clas-
siquement retrouvées sont majoritairement neurologiques
et endocriniennes. Elles sont détaillées dans le tableau 2. Il
n’y a pas une relation de causalité linéaire dans ces situa-
tions qui soit clairement établie. On parle plus de relation
circulaire intervenant dans un contexte de vulnérabilité per-
sonnelle ou environnementale.
À ce titre, il est possible que la dépression soit un symp-
tôme de la pathologie organique, réalisant une véritable
intrication médico-psychiatrique : les symptômes s’intè-
grent à la clinique et peuvent avoir une explication neuro-
biologique. Il faut les évoquer en général en l’absence de
facteurs psychosociaux déclenchant, en l’absence d’anté-
cédent personnel de dépression, en présence de signes aty-
piques ou encore en présence d’une résistance au traitement
(mais ce dernier signe est nécessairement tardif) [15].
Ainsi, en tant qu’expression psychiatrique du trouble soma-
tique (ex. : les signes psychiatriques du lupus), la dépres-
sion peut parfois apparaître avant les symptômes physiques
ou parfois être isolée (très rare). La décision thérapeutique
est difcile car c’est le traitement étiologique qui devient
le traitement de choix, même s’il présente un risque psy-
chiatrique propre, comme les corticoïdes dans le lupus.
Elle nécessite donc une collaboration psychiatre et somati-
cien de qualité, et les consultations conjointes prennent ici
tout leur sens [8].
Mais ainsi que nous le voyons dans le tableau 2, la
dépression peut être aussi la conséquence du traitement du
trouble somatique. Ainsi, devant tout état dépressif, il
convient de rechercher une cause iatrogène (un médica-
ment dit « dépressogène »), sachant l’intrication possible
avec l’évolution de la maladie en soi : en effet, après un
infarctus, le bêtabloqueur (indispensable) est-il vraiment
la « cause » de la dépression de ce cinquantenaire à la per-
sonnalité de « type A » ? La réponse n’est pas simple…
Ces situations de dépressions secondaires ne doivent
pas être confondues avec le retentissement émotionnel de
la maladie somatique. Certes, le trouble de l’adaptation,
s’il n’est pas une dépression à part entière (et ne nécessite
pas de traitement antidépresseur), n’en reste pas moins
dangereux. En effet, le patient en situation de détresse
émotionnelle a un risque suicidaire potentiel immédiat, lié
au désespoir, mais aussi à plus long terme, le trouble de
l’adaptation pouvant toujours évoluer vers une dépression
endogène typique. Un patient atteint de maladie chronique
doit donc être surveillé sur le long terme.
Sévérité liée aux difcultés diagnostiques
La co-occurrence d’une pathologie somatique et d’un trou-
ble dépressif confronte médecin et malade à de multiples
difcultés à commencer par les difcultés diagnostiques.
Difcultés diagnostiques par confusion
des symptômes
La dépression est globalement sous-diagnostiquée en méde-
cine générale (jusqu’à 50 %), en particulier quand la symp-
tomatologie d’appel est somatique [7, 15]. En effet, les
symptômes psychiques de la dépression (tristesse patholo-
gique de l’humeur, idéation suicidaire, vision pessimiste de
soi et du monde, ralentissement psychique…) peuvent être
« masqués » par le syndrome somatique qui associe trou-
bles du sommeil, troubles de l’appétit, troubles de la
sexualité, douleurs diffuses et symptômes fonctionnels.
Sous-diagnostiquer la dépression lui confère un carac-
tère de sévérité, non seulement en raison de l’augmenta-
tion du risque suicidaire, mais encore parce que cela risque
de la laisser évoluer naturellement vers une forme plus
sévère en intensité, et parce que cela peut favoriser la
rechute, la récidive ou la chronicisation.
Les facteurs de méconnaissance de la dépression chez
les patients atteints de maladie somatique ont été résumés
comme suit par Hazen et al. [15] :
Tableau 2 Dépressions secondaires à un trouble somatique
Appareil Pathologies
Pathologies neurologiques tumeurs cérébrales (frontales ou temporales)/affections cérébrovasculaires (multi-infarctus
ou artériosclérose)/maladie de Parkinson (1/3 des formes inaugurales)/sclérose en plaques
(troubles bipolaires voire bouffées délirantes)/maladie de Wilson/traumatisme crânien
(syndrome subjectif des traumatisés crâniens)/épilepsies (temporales)/hématome sous
dural/hydrocéphalie à pression normale
Pathologies endocriniennes hypothyroïdie/hyperthyroïdie/Addison/Cushing/diabète/périménopause
Pathologies générales néoplasies (pancréas ++)/hémopathies/connectivites (LED, PR, Gougerot-Sjögren,
sclérodermie systémique)/infections (tuberculose, brucellose, hépatite, mononucléose
infectieuse, SIDA, infections parasitaires et virales)
Iatrogénie réserpine/alphaméthyldopa/corticoïdes/interféron/antirétroviraux/clonidine/isoniazide/
amphétamines/bêtabloqueurs/cimétidine/antihypertenseurs…
Dépressions sévères : comorbidités somatiques S275
Difcultés diagnostiques liées à la « banalisation »
des symptômes
Au-delà de la difculté diagnostique due à une communauté
de symptômes, un autre danger est celui de la banalisation
des symptômes : « c’est normal d’être triste avec une telle
maladie ». Cette banalisation est dangereuse pour plusieurs
raisons.
Tout d’abord, penser qu’être triste au cours d’une maladie
somatique est un phénomène normal, c’est oublier le risque
suicidaire. En effet, les ies suicidaires ne sont pas seulement
liées à dépression, mais bien plus liées à la présence d’un sen-
timent de désespoir. À ce propos, les affections somatiques
semblent bien être un facteur de risque de suicide, et l’on
retrouve selon les études que 16 à 70 % des suicis avaient
une maladie somatique au moment de leur geste, avec un ris-
que nettement plus élevé chez les plus de 65 ans. Une surmor-
talité suicidaire est retrouvée chez les sujets atteints
d’affections somatiques graves, douloureuses, chroniques,
invalidantes et terminales, sans quil y ait systématiquement
un trouble psychiatrique associé. D’une façon globale, les dif-
rentes étapes d’une maladie grave nécessitent la mise en
place de mécanismes d’adaptation. Lorsqu’ils sont dépassés,
le risque suicidaire augmente. Les soignants sont parfaitement
capables de repérer ces moments de sespoir et l’idéation
suicidaire qui lui est liée. Et me si l’idéation suicidaire peut
être cue comme une tentative de solution, l’évoquer au
cours de la consultation ou du soin (même sans y avoir été
invité) est un acte fondamental de prévention qui loin de favo-
riser le geste s’avérera au contraire très protecteur [9].
Ensuite, croire qu’il est normal d’être triste au cours
d’une maladie somatique, c’est prendre le risque de laisser
cette tristesse (voire ce trouble de l’adaptation) évoluer
vers une authentique dépression endogène, qui augmen-
tera le risque suicidaire dans un premier temps et aggra-
vera le pronostic de l’ensemble des troubles.
Enn, trouver normal qu’un patient soit triste au cours
d’une maladie somatique, c’est plus simplement risquer de
méconnaître une véritable dépression.
Conséquences sur le pronostic
La co-occurrence d’une dépression et d’un trouble somati-
que augmente le retentissement des handicaps psychoso-
ciaux liés à chacune des pathologies [12]. En d’autres
termes, il existe non seulement une interaction entre les
deux troubles, mais encore une tendance au renforcement
de l’une par l’autre [15].
La prise en charge d’une pathologie réduit le dépistage
de la pathologie comorbide, par méconnaissance à la fois
du trouble dépressif dans les maladies organiques, et des
troubles somatiques chez les patients atteints de dépres-
sion ; mais sur le plan psychosocial, les répercussions phy-
siques de la maladie somatique peuvent conduire, comme
dans la dépression, à une diminution du support relationnel
par diminution des capacités de déplacement [12]. Ainsi,
en raison de leur chronicité, les affections douloureuses
épuisent les malades et peuvent aisément transformer un
trouble de l’adaptation en une véritable dépression.
1. Centrage du praticien sur les plaintes somatiques.
2. Symptômes affectifs de la dépression placés au
second plan.
3. Recouvrement des symptômes somatiques de la
dépression avec ceux de la pathologie somatique ou de son
traitement.
4. Réticence du praticien à rechercher le trouble men-
tal par crainte de perte de temps ou par crainte défensive
d’être débordé par la détresse émotionnelle du patient.
5. Banalisation des symptômes dépressifs explicables
par la maladie physique.
6. Réticence à l’utilisation de traitements antidépres-
seurs (crainte des effets secondaires, crainte des interac-
tions médicamenteuses avec les traitements de la
pathologie somatique).
7. Difculté d’accès à un psychiatre.
Mais on peut y ajouter d’autres éléments comme la pré-
sence de troubles cognitifs liés à la pathologie somatique
(devant un trouble neurologique par exemple) [12], ou la
stigmatisation du trouble psychiatrique dans son ensemble
qui conduit les patients eux-mêmes à être réticents dans
l’expression de leur souffrance [12]. Mais la forme clinique
de la dépression peut aussi être trompeuse. On sait par
exemple que les patients souffrant de dépression saison-
nière ont une présentation plus asthénique que triste, se
plaignent plus d’hypersomnie que d’insomnie et présentent
plus souvent un appétit augmenté (en particulier aux hydra-
tes de carbone) que diminué, prenant du poids en consé-
quence.
Par ailleurs, il faut évoquer les formes cliniques liées au
type de population. En effet, selon la culture, l’âge (enfant
ou vieillard), le sexe, les circonstances environnementa-
les… les symptômes somatiques fonctionnels peuvent domi-
ner (ou non) le tableau clinique.
Enn la psychosomatique nous a appris à reconnaître
parmi les syndromes médicalement inexpliqués, l’expres-
sion somatique d’un trouble dépressif, qui est parfois consi-
dérée comme un trouble somatoforme alors qu’il peut
s’agir d’une authentique dépression. De telles situations
demandent de l’expérience et parfois un travail en binôme
[8]. Ces présentations psychosomatiques ne sont pas sans
nous rappeler la clinique de la dépression masquée.
Aujourd’hui abandonnée, cette forme clinique ne persiste
guère dans le DSM IV-TR que sous la forme du trouble soma-
toforme, qui nous apparaît tout à fait insufsant pour
englober l’ensemble des formes cliniques et sub-syndromi-
ques.
Quoi qu’il en soit, toute plainte somatique exprimée,
d’apparence fonctionnelle ou non, au cours d’un épisode
de « tristesse » concomitant à une pathologie somatique
doit être explorée, autant d’un point de vue somatique que
psychiatrique. Une plainte en apparence fonctionnelle peut
toujours avoir une cause organique. L’enjeu est – au-delà
de la mise en jeu du risque vital – l’aggravation de la
dépression par le trouble somatique.
O. CottencinS276
semble pas à imputer une plus grande fréquence d’inter-
ruption des traitements indispensables parmi les malades
déprimés.
Conséquences pronostiques de la maladie
somatique sur la dépression
Il semble exister une surmortalité, par rapport à la popula-
tion générale de même âge et de même sexe, chez des
patients déprimés, et il a été démontré que cette surmorta-
lité n’était pas liée uniquement aux suicides, mais qu’elle
pouvait être reliée aux maladies somatiques associées [15].
Les troubles somatiques peuvent être à l’origine d’une
sistance aux traitements de la pression. Par exemple,
l’hypothyroïdie ou les syndromes d’apnée du sommeil contri-
buent à chroniciser les épisodes dépressifs en les rendant
résistants aux traitements [17]. De même, on sait que certains
traitements dicamenteux (corticoïdes, interféron) peuvent
entraîner des perturbations de l’humeur. Enn, certaines
contre indications interdisent tout traitement antipresseur
et laissent peu de place aux solutions thérapeutiques.
Certains travaux rappellent cependant qu’un trouble
somatique, s’il peut compter parmi les facteurs de risque
de survenue d’une dépression, n’est que rarement seul en
cause. D’autres facteurs interviennent signicativement,
en particulier le type de population touchée. Ainsi, les
sujets âgés ne bénéciant que d’un soutien social réduit ou
souffrant d’un handicap fonctionnel ont un risque d’aggra-
vation de leur dépression [12].
Sévérité du point de vue de chaque
pathologie
Globalement les liens pronostiques entre dépression et
maladies organiques sont bien démontrés. Ce lien a bien
entendu été plus particulièrement étudié dans le cadre des
pathologies cardiovasculaires. Nous reprenons ci-dessous
les liens établis pour les pathologies les plus étudiées.
Maladies cardiaques
La dépression est un facteur de risque d’apparition d’une
maladie coronarienne (risque multiplié par 1,64) [27] et un
facteur prédictif de morbidité et de mortalité chez les
patients ayant déjà une maladie coronarienne [6]. Il est en
particulier clairement prouvé que le pronostic post infarc-
tus des patients déprimés est plus mauvais que celui des
patients non déprimés. Rappelons que la présence d’une
dépression ou une symptomatologie dépressive initiale
après l’infarctus multiplient par 3,5 le risque de décès par
récidive d’infarctus cinq ans après [20].
Les mécanismes de cette comorbidité sont autant phy-
siologiques que comportementaux. Le stress augmente le
risque d’infarctus [24]. La dépression perturbe le système
autonome, perturbe la variabilité du QT et la variabilité du
rythme cardiaque [4]. Mais on a aussi démontré qu’il exis-
tait une augmentation des cytokines chez les patients
déprimés (facteur de progression de l’athérosclérose) [19],
avec activation des plaquettes, augmentation de l’hyper-
coagulabilité [19] ; il existe également une activation de
La dépression comme facteur de risque
de maladie somatique
La dépression est un facteur de risque signicatif pour le
développement de pathologies somatiques. Par exemple,
l’enquête ECA [10] a démontré que les patients ayant pré-
senté une dépression avaient deux fois plus de risque de
développer un diabète non insulinodépendant que le reste
de la population (après contrôle de l’ensemble des autres
facteurs de risque).
C’est dans le domaine cardiovasculaire que la dépres-
sion (ou l’humeur dépressive) s’est montrée le plus prédic-
tive de l’apparition de troubles, comme l’angor, l’AVC,
l’infarctus ou l’HTA. Il a même été démontré que la dépres-
sion pouvait précéder un syndrome douloureux chronique,
soutenant l’hypothèse que les patients déprimés auraient
une tolérance plus faible à la douleur [15]. En revanche, la
dépression n’a été montrée prédictive de l’apparition d’une
pathologie cancéreuse qu’en cas de dépression chronique :
une étude menée chez des sujets sains âgés a montré qu’une
dépression évoluant sur un mode chronique augmentait le
risque de développer un cancer par 1,8 (les autres facteurs
de risque étant contrôlés). Toutefois, ce sont plutôt des fac-
teurs de personnalité qui sont aujourd’hui discutés dans le
cadre de la théorie psychosomatique d’Eysenck. Mais cette
hypothèse du trouble dépressif comme facteur de risque
d’apparition d’une maladie somatique est difcile à soute-
nir, devant la puissance des intrications médico-psychiatri-
ques qui font de la dépression un symptôme de la maladie,
comme dans le neurolupus par exemple.
En revanche et plus prosaïquement, l’existence d’une
dépression peut conduire les sujets à ne pas prendre en
charge leur trouble somatique comorbide, voire à abandon-
ner le traitement ou le régime prescrit. Cette attitude peut
être en lien avec une conduite para-suicidaire, ou plus sim-
plement liée au ralentissement psychomoteur et aux trou-
bles cognitifs de la dépression [21].
Conséquences pronostiques de la dépression
sur la maladie somatique
Lorsqu’une dépression est associée à une maladie somati-
que, différents facteurs peuvent contribuer à la surmorta-
lité. En effet, la comorbidité dépressive augmente les
durées de séjours hospitaliers, les consultations et la
consommation de soins (plaintes somatiques et fonction-
nelles) [3]. Par ailleurs les plaintes fonctionnelles sont
connues pour augmenter l’absentéisme professionnel et
réduire l’activité physique [18]. Mais sur le plan neurobio-
logique, la surmortalité pourrait être liée aussi aux modi-
cations neurovégétatives, aux modications de l’axe
hypothalamo-hypophysaire (stress) ou encore à une altéra-
tion immunitaire [13].
L’étude de l’évolution de sujets souffrant de maladie
somatique a montré que les sujets présentant un état
dépressif connaissaient une évolution plus sévère. Ganzini
et al. ont démontré que chez des vétérans américains hos-
pitalisés pour un problème médical ou chirurgical non fatal,
l’existence d’un état dépressif était un facteur indépen-
dant de surmortalité accrue [14]. Cette surmortalité ne
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