176 Revue française de gestion – N° 235/2013
de François Perroux. Se démarquant de ses
contemporains, il adopta la firme transna-
tionale pour objet d’étude et fonda le Centre
d’études et recherches sur les entreprises
multinationales (CEREM) à l’université de
Nanterre. Un choix téméraire pour l’époque
– largement dominée par l’État-nation –
mais rétrospectivement clairvoyant. Selon
lui, la dynamique naissante de l’écono-
mie mondiale ne pouvait émaner que de
jeux d’acteurs transcendant les barrières
protectionnistes. Le nombre croissant des
émules contemporains de Charles-Albert
Michalet, y compris parmi ses collègues
autrefois acquis à l’orthodoxie de l’éco-
nomie politique et tardivement reconverti
à la dynamique de l’économie mondiale,
constitue d’ailleurs une marque évidente de
la justesse de ses intuitions pionnières.
À l’heure où la mathématisation des
sciences économiques s’arrogeait progres-
sivement le monopole du mérite scien-
tifique, conduisant à l’émergence d’une
pédagogie souvent désincarnée, l’approche
dialectique tenait lieu à la fois de démarche
scientifique et de cadre pédagogique pour
Charles-Albert Michalet. Suivant l’optique
Bachelardienne selon laquelle le réel ne se
montre pas, mais se démontre, Michalet
épuisa tous les recours théoriques possibles
pour expliquer les multiples facettes de
la mondialisation. En décalage avec cer-
tains de ses contemporains aux convictions
très affirmées, il manifesta une ouverture
intellectuelle à la mesure de la complexité
du phénomène. Se plaçant tout à la fois
au niveau de la sphère de la production
et de la sphère du marché, il emprunta
aux divers paradigmes des sciences écono-
miques – classique, néoclassique, marxiste,
keynésien – en proportion de leur pouvoir
explicatif. Certains apports essentiels de la
discipline encore embryonnaire du mana-
gement – cycle de vie du produit, théorie
comportementale des organisations, théorie
des coûts de transaction – furent également
mis à contribution. Au total, la perspective
proprement fédératrice de Michalet débou-
cha sur la transposition des cycles écono-
miques de Marx au capitalisme mondial,
dont l’ouvrage édité par Wladimir Andreff
souligne la pertinence à travers l’analyse de
la crise actuelle.
Vers le milieu des années quatre-vingt,
commença à se dessiner une tendance encore
bien incertaine de partenariats et d’alliances
interentreprises. Charles-Albert Michalet
fût l’un des rares économistes de l’époque
à prédire l’amplification et la pérennisation
de ce mouvement. Il n’en fût pas autrement.
Ainsi, par exemple, le revenu global généré
par la coopération interentreprise au niveau
des 1 000 plus grosses entreprises améri-
caines est passé de 2 % en 1980 à 21 % en
1997 (J.R. Harbison et P. Pekar Jr., Smart
Alliances: A Practical Guide to Repea-
table Success, Jossey-Bass, 1998). Selon
Michalet, la coopération interentreprise
devait progressivement devenir une force
essentielle de régulation du capitalisme
mondial contemporain qui, tout en consti-
tuant une alternative viable à l’option
concurrentielle, en altérerait le principe
même. Un tel scénario rend évidemment
plus difficile, ainsi que le suggère le titre
du présent ouvrage, toute tentation prophé-
tique, qu’elle soit sombre, à la Lénine, ou
candide, à la Kautsky, sur l’issue du mouve-
ment dialectique de l’économie mondiale. À
sa manière, Michalet incarnait un marxisme
sans effusion, mais sans reniement, un
marxisme schumpétérien en somme.
En qualité de consultant auprès d’orga-
nisations internationales (FMI, Banque
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