respondait à l’ensemble de l’enveloppe dévolue aux soins palliatifs
pour toute l’Île-de-France. Or dans les stades avancés de nombreux
cancers, les traitements s’ils sont certainement efficaces (au sens sta-
tistique) n’allongent la durée de vie des malades que de deux ou trois
mois en moyenne4. Bien peu de débats publics, voire professionnels
s’organisent autour de l’opportunité de consacrer de telles sommes
aux dépens d’autres secteurs de la santé : pour peu que le traitement
soit efficace, et quel que soit le degré d’efficacité, il est adopté
comme la règle, quel que soit son coût et proposé à tout malade qui
pourra éventuellement le discuter mais sans, ou très rarement,
connaître les chiffres exacts d’amélioration prévisible5.
La généralisation des traitements préventifs, administrés après un
geste chirurgical pour éviter les récidives, pose les mêmes questions :
après une intervention sur cancer du sein, et selon des critères pro-
nostiques très rigoureux, sont préconisés des traitements complémen-
taires de chimiothérapie, radiothérapie ou hormonothérapie dès qu’ils
améliorent la survie du groupe étudié de 5 %. C’est dire que dans cer-
tains groupes, l’ensemble des femmes va recevoir une chimiothérapie
qui ne sera utile qu’à très peu : 70 à 90 % des femmes n’en auront pas
besoin parce qu’elles sont déjà guéries par le geste chirurgical et
pour 5 % la chimiothérapie n’aura servi à rien parce qu’elles seront
résistantes au traitement et rechuteront malgré tout6. Les médecins,
spécialistes ou non spécialistes, ne remettent jamais en cause ces
attitudes alors que la proposition de chimiothérapies préventives7,
entraînant les mêmes gains en survie pour d’autres types de tumeurs
leur semble illicite (comme dans le cas du poumon et du pancréas).
Ces différences d’attitudes nous indiquent bien qu’il n’est pas seule-
ment question de savoir (bénéfice scientifiquement démontré) mais
bien de représentation ; ce qui vaut pour le sein ne vaut pas pour le
poumon. L’allongement de survie démontré est valorisé par le corpus
de savoirs admis : le cancer du sein et ses métastases répondent bien
aux chimiothérapies, les différents protocoles ont amélioré tant la
survie que la qualité de vie des malades à des stades plus avancés…,
toutes affirmations qui ne sont pas encore acceptées dans les cas aux
Don et sacrifice en cancérologie
4. Les tests statistiques permettent d’affirmer que la différence entre les deux traitements
n’est pas due au hasard ; ils ne disent rien de l’importance de cette différence, et donc,
in fine
de l’intérêt du traitement.
5. Même en connaissant les chiffres, les malades et leur famille ne peuvent les croire : on ne
peut proposer un traitement qui ne fait qu’allonger la vie de quelques semaines. D’autant que,
pour préserver l’espoir essentiel à la survie psychique des malades, les médecins ont tendance
à tenir un discours toujours positif, laissant dans l’ombre les chiffres statistiques avérés et s’ap-
puyant sur des expériences individuelles exceptionnelles.
6. La présentation des chiffres contribue à obscurcir pour les malades et le public les
enjeux : un traitement qui permet une diminution de 50 % des rechutes semble incontournable,
mais si les rechutes n’arrivent que dans 10 % des cas, il n’est utile qu’à 5 % des malades et
95 % le reçoivent pour rien ce qui peut ouvrir un champ de discussion.
7. Le cancer ayant été enlevé et la chimiothérapie ayant pour objectif de diminuer le risque
de récidive ou d’allonger la durée de vie sans récidive.
3