Travailler avec des familles dont les parents souffrent de

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Travailler avec des familles dont les parents souffrent de maladie mentale
INTRODUCTION
•
D’où je parle – Le Méridien – P.A.
•
En Service de Santé Mentale et dans le Secteur de l’Aide à la Jeunesse
(tout comme dans le monde hospitalier en général)
o persistance des clivages entre psychiatrie adulte et pédopsychiatrie
(dans la formation et dans les soins)
o institutions résidentielles pour enfants et placement des enfants en
familles d’accueil : 2/3 des placements sont motivés – e ntre autres – par
l’alcoolisme, la toxicomanie ou la maladie mentale avérée. 80 % des
personnes souffrant de problématiques chroniques voient leurs enfants
placés. (6)
•
Problème de définition de la maladie mentale, et surtout des limites de la
pathologie
o DSM IV met toutes les pathologies sur le même plan, accumulation de
symptômes. Trouble anxieux sur le même plan qu’une psychose.
o Difficulté de tracer une frontière entre “difficultés psychologiques” et
psychiatriques. Difficulté de “nommer” la maladie mentale en général,
représentation floue, confusions entre termes cliniques et termes
généralisés (hystérique, parano…).
o Définition de la santé comme état de parfait bien-être physique,
psychique et social ; disparition de l’aspect normal de la souffrance, le
deuil par exemple.
o Il existe des pathologies repérées par des intervenants, voire par la
famille,
mais niées par les patients eux-mêmes (absence de conscience morbide).
o L’entourage participe parfois du déni, invoquant humour, bizarreries.
(Alice)
o Certains patients sont bien adaptés socialement, et les aspects
pathologiques ne sont perceptibles que par la cellule familiale.
o Notion de temporalité dans la maladie : psychose chronique ou épisodes
maniques ne produisent pas les mêmes effets.
o Dans certaines situations, il n’existe pas de doute. Cela peut faciliter le
travail.
o L’hospitalisation est très souvent le 1er moyen d’accès à nommer
l’existence d’une pathologie.
o L’adolescence d’un jeune peut servir de révélateur (symptômes plus
flagrants, passages à l’acte ou demandes de placement).
•
L’exposé mettra en évidence qu’il existe chez les enfants une souffrance qui
n’est pas tant liée à la maladie, mais à l’incompréhension de ce qui se passe.
Tout comme on a pu mettre en évidence les risques liés à la stigmatisation, on
peut repérer qu’il y a des risques également liés à la non-nomination de la
maladie mentale.
1. Les cons•quences pour les enfants de la maladie mentale d€un parent
1.1.
Les séparations du milieu familial
1.1.1. L’hospitalisation
Un parent hospitalisé peut l’être pendant plusieurs mois
-
souvent, il y a eu dégradation du climat familial avant l’hospitalisation, ce qui peut
fortement insécuriser les enfants
-
les lieux ne sont souvent pas aménagés pour les enfants, ce qui rend les visites
plus rares – sauf initiatives ponctuelles
-
les enfants ne sont pas toujours invités, et les familles hésitent à le demander.
Pourtant, les enfants ont pu vivre des scènes très effrayantes. Le parent retourne à la
maison sans que rien n’ait pu être travaillé.
-
dans les pires situations, les intervenants ne sont pas conscients que le patient a
des enfants (enfant venue à “L’Espace Accueil” avec on institutrice chez laquelle elle
a passé la nuit)
-
manque de solutions de dépannage pour les enfants quand parent en situation de
monoparentalité, isolé socialement. Exemple en Belgique d’une fratrie vivant seule,
avec visite d’une éducatrice.
-
L’hospitalisation peut être très traumatique : exemple de Jessie, qui r•p€te
ind•finiment rupture et retrouvailles.
1.1.2. L’errance, la désocialisation
Le parent “disparaît” littéralement. Exemple de signalement à la police d’une maman
polonaise sans papiers, ce qui a permis de nouer un lien avec la famille en Pologne,
via internet.
1.1.3. Le placement
- Dans les troubles graves et chroniques, 70 à 80 % des enfants sont placés
- Question très soumise aux idéologies et discours dominants (Exemple : TF1,
placement d’un bébé en famille d’accueil confirmé par le Procureur du Roi “parce
qu’il aurait pu se faire reprocher une absence de décision”). Divergence entre intérêt
des adultes et des enfants nécessitant un travail de réseau…
- La situation des adolescents est particulière et soumise à plusieurs paradoxes :
- parfois accent sur la protection, là où ils n’ont pas été protégés
suffisamment, et où parfois des enfants plus jeunes restent au domicile.
Alors qu’ils sont mieux “équipés” pour faire face à leurs besoins.
- Parfois ont mis en échec la protection assurée plus tôt, et arrivent à se
faire placer chez leurs parents.
- parfois demande de placement qui émane de l’adolescent, sans
placement préalable. Peur de le mettre dans une situation de toutepuissance, là où il y a appel à un tiers.
-
enjeu important autour de l’autonomie, très culpabilisante.
- exemple au Forum de l’Aide à la Jeunesse. Placement d’une jeune
dont la mère est M-D. Après bonne adaptation, met tout en échec.
Escalade, renvois scolaires. Met son placement en jeu, on évoque
l’hospitalisation. Pari sur une mise en autonomie à 16 ans, réussie, fait la
psycho. Institution a pu assumer les chocs, mais on aurait pu aboutir à
l’inverse.
CONSEQUENCES DU PLACEMENT
On réfléchit souvent en termes de transmission d’une pathologie à la descendance (la
psychose chez les enfants de psychotiques, la dépression…). Par contre, on étudie
assez peu les troubles de l’attachement qui sont la pathologie la plus souvent présente
dans mon expérience.
Rappel : René SPITZ, psychiatre amécain d’origine hongroise, décrit en 1946 la
“dépression anaclitique” du nourrisson. Il s’agit d’une vraie dépression survenant chez
un bébé ayant déjà noué un lien avec sa mère (donc d’au moins 6 mois), et qui
présente une dépression réactionnelle profonde. Celle-ci peut évoluer en
“hospitalisme” (abandonnisme – troubles de l’attachement), moyennant quelques
facteurs à prendre en compte :
Pour les petits
-
La qualité du lien déjà établi.
-
L’âge vulnérable : entre 6 mois et 3 ans
-
La qualité du milieu de substitution, avec la possibilité d’une figure de substitution.
(attention aux carences en institution, voire pire…).
-
La durée de la séparation (6 mois est un seuil critique) et leur fréquence.
Pour les plus grands
-
capacité à soutenir un lien facilite le placement parce que le jeune se laisse
investir.
-
attention aux séparations répétées (escalade accueil, IMP, hôpital) : chacune est
à risque supplémentaire
-
risque de culpabilité et d’inquiétude pour le parent
-
présence ou non d’un conflit de loyauté, liée à des questions de représentation du
motif du placement et à certaines caractéristiques du milieu d’accueil
o qualité du milieu de substitution
o substitution des fonctions parentales, non de la place du parent (sauf
familles d’accueil ou adoptives de jeunes enfants où il ne faut pas créer
de la “désappartenance”, l’enfant ne pouvant se construire ni sur l’une
(trop prudente) ni sur l’autre (trop absente).
o accueil du parent et non jugement
Particularités à l’adolescence
o la vie en groupe est nettement mieux supportée et peut être une
ressource intéressante, mais attention aux phénomènes de contagion
quand il y a souffrance.
o Paradoxes complets :
§ hospit ado dt les petits frères et soeurs sont dans la famille
§ ceux qui n’ont jamais été signalés demandent soudainement
une séparation
§ toute la question de l’autonomie et de la culpabilité est vitale
§ cette demande est parfois formulée dans des conduites à
risque, ou même, des demandes de soins
§ il y a parfois tentative de l’ado de le mettre en échec (cas du
forum)
§ Certains jeunes trouvent eux-mêmes une famille d’accueil.
o Éviter de créer un conflit de loyauté en entrant en alliance dans la
mise à distance, hypersensibilité au jugement (je peux critiquer ma
famille, mais toi pas).
o La question de la séparation est tout autant pychique que concrète :
cas clinique de John
1.2.
Les conséquences de la maladie mentale sur l’exercice du rôle
parental
1.2.1. Pr•alables
L’exercice du rôle parental :
-
satisfaire les besoins de base : dormir, manger, se lever (parfois très difficile à
l’adolescence !)
-
satisfaire les besoins affectifs : holding, farfois là aussi donnent des coups et sont
aux prises avec des grandes angoisses
-
!
assurer la sécurité - autrement
-
répondre aux besoins éducatifs
-
soutenir le développement (affectif, cognitif et social) et l’autonomie – dimension
fondamentale à l’adolescence.
Il n’existe pas de relation entre la gravité du trouble et les conséquences sur l’exercice du rôle
parental (“une maman hystérique peut faire bien plus de dégâts qu’une maman psychotique”).
(exemple d’une maman souffrant de TOC qui lave et relave son bébé jusqu’à lui abîmer la
peau, et le réveille encore pour le laver)
Même quand il y a pathologie grave, par exemple psychose, il existe autant de psychoses que
de psychotiques, et les effets sur la parentalité sont extrêmement variables. Pourtant, il arrive
encore fréquemment qu’un diagnostic de ce type encourage le placement d’enfant.
1.2.2. Les effets de devenir parent
Devenir parent est le plus souvent une expérience positive, valorisante, qui permet ausx
parents d’accéder à un statut valorisé dans la société. Il s’agit souvent d’une zone qui n’est pas
envahie par la maladie (exemple de l’espace-accueil). Par ailleurs, le regard des enfants peut
être un puissant levier de motivation à se soigner. Malheureusement, le regard posé sur la
future mère est parfois très négatif, plus ou moins explicitement. Les patients sont
extrêmement sensibles à ce regard, ce qui peut les inciter à cacher les difficultés si elles
surgissent.
L’adolescence est un moment qui peut être difficile : narcissiquement dévalorisant (laisser la
place, anticiper le départ, remises en question).
1.2.3.
Les cons•quences de la maladie elle-m€me sur les capacit•s •
exercer la parentalit•
Elles sont à évaluer au cas par cas. La maladie mentale est susceptible d’atteindre
-
les fonctions cognitives : organisation du quotidien, apragmatisme (exemple d‚une
maman qui ne sait pas se lever avant 16 heures, que le Juge convoque
syst•matiquement • 13 heures). Perception de la réalité, sur quoi porte le délire…
-
la fonction d’établissement du lien social : isolement… n’est pas fonction de la
pathologie (exemple des phobiques)
-
les fonctions pulsionnelles : capacité à initier des activités…
les fonctions d’attention : sécurité
les fonctions émotionnelles : concordance des affects, capacité à soutenir la
différenciation
Le paradoxe veut qu’on exige parfois bien plus des patients malades…
Il existe cependant de nombreux facteurs de protection
-
l’âge du parent
-
son degré se scolarité, ses capacités intellectuelles
-
son insertion professionnelle, ses ressources financières, de logement
-
l’estime de soi
-
la reconnaissance du trouble, l’introspection, l’adhésion aux soins
-
l’histoire personnelle, la qualité des liens
-
le soutien social, la présence d’un conjoint
-
les qualités intrinsèques à l’enfant lui-même et son évolution
Il y aura donc à évaluer au cas par cas en quoi la fonction parentale est atteinte, et
comment chaque enfant est capable – ou non – d’y répondre.
Et quid pour les adolescents ???
1.2.4. La parentification
-
Exemple du père cancéreux
-
Définition : B-N, Le Goff
- Pas spécifique de la MM (très en augmentation depuis familles monoparentales et
partenaires successifs) –mais suscite davantage de méfiance
-
Facteurs positifs et négatifs
-
Importance de la dynamique dans la fratrie
2. Les difficult•s des intervenants
-
Flash back au Méridien : les groupes, “case vide” jeunes et intervenants
-
Pb propres à la MM
o difficulté de mettre des mots sur la MM
o peur de stigmatiser
o tabou de société
o dangerosité : Aucune étude n'a prouvé scientifiquement que les malades
mentaux seraient plus dangereux que la population générale. Mais il est
démontré qu'ils sont les premières victimes des faits de violence, à cause de
la stigmatisation dont ils font l'objet : selon le rapport de la commission
"Violence et santé mentale" de l'anthropologue Anne Lovell, publié en
2005, la prévalence des crimes violents envers les patients en psychiatrie
est 11,8 fois plus importante que par rapport à l'ensemble de la population ;
celle des vols sur personnes est 140 fois plus élevée.
o honteuse
o surtout, interroge les représentations que l’on peut avoir de la
maladie mentale
-
aspects déontologiques
o alliance thérapeutique : pourtant, extrêmement rare que les
parents ne veuillent pas l’aborder – ex / Christelle, maman
psychotique et alcoolique, qui a préparé ses questions…
o secret professionnel : n’empêche pas un entretien familial sur
base négociée
o seul le psychiatre est habilité (tient la maladie en dehors, et ce
dernier n’a pas l’habitude des enfants)
-
Pb place P/E
o peur de mal faire, désir de protéger l’enfant
o peur de modifier les places, de parentifier
A toutes ces réticences, la parole de l’enfant peut apporter des ouvertures possibles.
En réalité, les professionnels ont peur de voir la réalité de ce que vit l’enfant.
Le plus grand danger est d’être soumis en permanence au doute sur soi, et ses
perceptions. Si les professionnels participent au déni…
3. Les repr•sentations des jeunes
A partir de la clinique et d’une enquête de terrain
-
Difficulté à communiquer cette expérience
-
L’entourage participe au déni. Le tabou et le déni
D’où sentiment très communément partagé d’un isolement, et d’une solitude
complètes. Importance pour les jeunes d’une seule rencontre, d’un adulte qui les a
pris au sérieux. Souffrance : beaucoup de peine, de détresse.
-
Très grande étrangeté
-
La confusion
-
Stress intense lors des crises.
-
Difficulté de se différencier.
-
Doute profond sur soi, sur ses perceptions
-
Pensée qui ne s’arrête pas, hypervigilance ( repèrent d’emblée les personnes
psychotiques), mais aussi questionnement incessant sur le sens des actes, des
paroles…
-
Très grand sentiment d’appartenance et de loyauté, qui va de pair avec cet
isolement
-
Grande difficulté à partir + souci pour la fratrie
-
Agressivité éprouvée vis-à-vis des professionnels
-
Les difficultés sont parfois focalisées sur l’enfant – par exemple difficultés
scolaires – risque d’être patient désigné
-
Regard positif, loyal sur les parents – côtés positifs de la folie
-
Théories sur la maladie mentale (elle est en chacun de nous, la
folie…).
-
Ce qui aide
o Importance des autres adultes, du milieu.
o Importance d’autres activités, refuges : lecture, musique… mais
aussi… le sommeil
o Importance de l’humour. L’humour cache le drame, et c’est en même
temps une ressource. Risque de banalisation aussi, des paroles
peuvent passer pour un trait d’humour, ou de l’originalité.
o Le recul quand on prend
o Importance d’un adulte tiers qui reconnaisse et qui nomme… Mais
c’est difficile. Cependant, rien ne vaut la reconnaissance par le propre
parent…
o A l’adolescence, s’assurer qu’on ne compromet pas l’autonomisation
en provoquant la culpabilité
-
Les questions qu’ils se posent…
o “Est-ce que j’y suis pour quelque chose ?”
o “A quoi servent les médicaments ?”
o “Est-ce guérissable ?”
o “Pourquoi cela rend-t-il mon parent incapable de s’occuper de moi ?”
o “Est-ce que la volonté y peut quelque chose ?”
o “Qui est mon vrai parent ?”
o La transmission
o Comment partir ?
o Posent la question de la part de normalité que l’on peut conserver
dans la folie – Freud disait : il y a toujours une toute petite partie de la
personne qui se regarde délirer ». Mais aussi, la difficulté de faire la
distinction entre la partie saine et la partie folle « quand ma mƒre me
crie dessus, je ne sais plus si c‚est parce qu‚elle est d•lire ou que j‚ai
fait un truc et qu‚elle a raison de se f„cher ».
4. Les dispositifs
4.1. Les projets menés au SSM et à Parcours d’accueil
o les groupes – 2002 -2003 – travail de préparation avec adultes
envoyés par Similes qui ont fortement soutenu le projet, en insistant
sur l’importance d’intégrer des fratries
o l’espace-accueil - 2005
o l’émission radio « Voyage en psy-land » : 2005
o effets sur la vigilance des psychiatres des adultes au Méridien
o les séminaires : « réseau nomade » et “ entre autruche et girafe” –
2002 - 2004
o les modules de sensibilisation des professionnels – 2006 – 2007
o le colloque “De l’autre côté du miroir” janvier 2008
o la mise en place d’un travail de réseau
o l’enquête en cours avec Pascale Jamoulle, anthropologue : 20082009
A Parcours d’accueil : l’atelier-rencontres. Visites médiatisées par “faire ensemble” :
la cuisine, la peinture, le modelage… Très apaisantes, pour les parents et pour les enfants.
4.2. Des repères pour la clinique
4.2.1. Du côté des enfants
1. «Il en sait bien plus que nous… ».
Les enfants qui vivent et grandissent avec un ou des parents qui souffrent de maladie mentale
ont appris à repérer tout une série de signes sur leur état. Ce sont parfois de très fins
cliniciens. Ils sont cependant dans un doute profond, car, très souvent, personne n’a avalisé
leurs perceptions. Entamer un dialogue sur la question de ce qu’ils ont pu percevoir et
comprendre de la détresse d’un parent permet de repérer si l’enfant ou l’adolescent est ouvert
à la question. Voici quelques propositions qui permettent d’entamer ce dialogue :
« Sais-tu pourquoi ta mère, ton père, vient voir un médecin ici ?
« Avais-tu remarqué que, parfois, il/elle ne va pas bien ? A quoi le vois-tu ? »
« As-tu des questions sur ce qui se passe pour lui / elle ? »
Un tel dialogue peut mettre l’intervenant mal à l’aise. D’un part, il peut sembler placer le
jeune et le thérapeute en situation de co-thérapeutes du parent. C’est cependant, bien souvent,
une étape incontournable, si l’on réalise que, « sur le terrain jour et nuit », les enfants vivent
en direct : crises familiales, ruptures de soins, séparations parfois longues liées à une
hospitalisation. C’est aussi, bien souvent, la seule place acceptable que nous puissions
occuper pour les jeunes, qui refusent, pour des raisons évidentes, de se voir occuper la même
place que leurs parents : celle de patients. D’autre part, l’intervenant peut avoir le sentiment
de « faire intrusion ». il est donc important de repérer les indications que donne l’enfant
(agitation, silence, fuite du regard, ou, au contraire, intérêt), et de baliser régulièrement
l’entretien, par exemple par ceci :
« Tu es toujours d’accord qu’on en parle ? Préfères-tu qu’on arrête ici, qu’on parle d’autre
chose ? »
« Jusqu’à présent, tu es d’accord avec ce que nous avons dit ? »
« Voudrais-tu penser à tout ça et qu’on se revoie une autre fois ? »
« Avec qui d’autre pourrions-nous en parler ? »
Un dialogue tel que celui-ci peut s’entamer en présence des parents. En effet, les enfants et les
adolescents sont d’une loyauté indéfectible à leur famille, même dans les moments où ils
peuvent se dire révoltés. Les familles dans lesquelles les parents sont en souffrance ont,
parfois, créé des liens d’une exceptionnelle solidarité entre parents et enfants. Les enfants ne
supportent pas qu’un jugement de valeurs sur leurs parents soit exprimé. Si nous n’avons pas
la possibilité de parler en présence des parents (impossibilité d’accès, absence totale de
conscience morbide…), il est important d’avoir en tête qu’ils pourraient être là, à y participer.
Cela aide à trouver les mots justes.
De même, impliquer la fratrie est souvent d’une grande richesse, les enfants pouvant mettre
en évidence différentes facettes de la vie familiale, tant dans les souffrances que les
ressources.
2. « Tenir compte de la question de la parentification ».
La problématique de la parentification a été développée par Boszormenyi-Nagy, père de la
thérapie contextuelle, et dont l’approche est centrée sur la question de l’éthique relationnelle
(2). Les enfants qui ont grandi avec un parent en détresse sont habituellement plus ou moins
parentifiés, à savoir qu’ils se sont retrouvés, à un moment ou à un autre, en position de devoir
« être parents de leurs parents ». Pour un thérapeute, entamer un travail de
« déparentification » de l’enfant nécessite de prendre en compte sa part parentifiée (3). Ce qui
est souvent destructeur, pour l’enfant, c’est le sentiment de n’avoir pas réussi à remplir la
mission qu’il s’est fixée, ou de la voir disqualifiée par des tiers. Lui dire trop vite «ce n’était
pas à toi de faire cela » peut être perçu comme une double disqualification : celle des parents,
qui n’ont pas été à la hauteur, celle de l’enfant dans ses tentatives d’aider. Disqualification
inacceptable puisque nous, soignants, nous n’étions pas sur le terrain, et que l’enfant était seul
à faire front au quotidien.
Aider les parents à reconnaître l’aide apportée à l’enfant :
Reconnaître l’aide que l’enfant a pu apporter est valorisant pour lui, en cela qu’il a le souci
d’aider ce parent, souci témoignant d’une réelle conscience éthique. « La perte de la
possibilité de donner est une perte de confiance, elle va porter atteinte à la capacité parentale
future de l’enfant » (2). Ce type de dialogue peut se susciter par des propositions telles que
celles-ci :
« Tu as dû faire pas mal de choses pour aider ton père/ta mère ? »
« Tu penses que ça l’a aidé ? Penses-tu que tu aurais pu faire plus / autrement ? »
« C’était difficile à faire ? Cela t’a appris quelque chose ? »
« Ton père / ta mère s’est-il rendu compte de ce que tu faisais pour eux ? Te
l’ont-il exprimé ? »
Citons Jacques, 20 ans, qui a grandi avec sa mère, paranoïaque : « J’avais 10 ans, je faisais
les courses et la cuisine, c’est vrai que je réalise à présent que très peu d’enfants font ça à
mon âge… aucun, même, mais ce n’était pas si difficile, ça, ça avait même un côté
amusant »… « Ce que cela m’a appris ? (Silence)… Le non jugement ».
Une approche familiale prenant en compte la dimension de l’éthique relationnelle, à savoir ce
que les parents ont tenté de donner à leurs enfants, et les enfants à leurs parents, « tient le
coup » même dans les cas les plus graves. « La parole de l’éthique relationnelle est le dernier
langage qui résiste au délire, répète souvent Boszormenyi-Nagy ». (2).
Aider les parents à identifier en quoi ils ont eux-même été parentifiés
Susciter des liens entre les deux : « chaque génération tente de faire mieux »
La renégociation permenante des rôles et des responsabilités
N.B. TRAVAIL IMPORTANT DES LIMITES TRANSGENERATIONNELLES, Y
COMPRIS DANS LE DISPOSITIF
3. « Travaillons nos représentations sur la maladie mentale… »
La difficulté d’aborder la question avec les enfants tient aussi à notre propre représentation de
la maladie mentale. Tenter d’aborder cette question avec les enfants est un excellent exercice,
pour les travailler. Les enfants et les adolescents, pour leur part, sont très créatifs quand on
leur permet d’élaborer cette question. La maladie mentale est souvent perçue, plus ou moins
consciemment, comme essentiellement déficitaire, génératrice de souffrance, de
rétrécissement des capacités sociales et relationnelles. Réfléchissons, par exemple, à la
manière dont nous expliquerions le mot « psychose ». Or, les jeunes qui témoignent de leur
expérience d’avoir grandi avec un parent souffrant de maladie mentale évoquent parfois,
quand cela leur est autorisé, la fascination pour ce qu’ils ont pu partager avec un parent.
- et si, au lieu de délirer, ton père avait eu une maladie grave… disons un
handicap physique, ça aurait changé quoi dans comment vous vivez ensemble ?
-
Ca t’a appris quoi, de vivre avec un parent qui a ce genre de difficultés ?
- Tu as des idées sur ce que c’est, la maladie mentale ? Que penses-tu de ce mot,
« maladie », tu en as un autre ? »
Les réponses spontanément données sont souvent :
- « oui, mais s’il avait eu (un cancer, un handicap), ça n’aurait pas été de sa
faute »
-
« tout le monde s’en serait rendu compte »
-
« ça n’aurait pas été la honte »
-
« on aurait pu le soigner… ».
Il ne s’agit pas de convaincre l’enfant qu’il y a maladie : il s’agit d’ouvrir la question de « ce
qui se passe », et de l’interprétation qu’il en fait. La maladie mentale est-elle, plus que les
autres, le fait d’un choix ? Pourquoi est-elle honteuse ? Est-elle incurable ? Est-elle
transmissible ? Pourquoi ces questions sont-elles si difficiles à poser ? Les cliniciens ne
peuvent faire l’économie de ce travail de « penser la folie ». Pensons à Freud sur le « principe
de cristal » : la maladie mentale n’est que le révélateur de nos fractures intérieures, invisibles
(4)… Chacun d’entre nous peut décompenser un jour, psychiquement, à sa manière propre,
c’est probablement pour cela qu’en parler fait si peur. Pour d’autres, c’est par le corps que
cela passe… Si l’on veut retourner aux sources, (re)lisons Michel Foucault (5). Enfin,
l’ethnopsychiatrie est, elle aussi, très riche aussi en représentations « ouvrantes ».
Ce qui intéresse les enfants et les adolescents, ce n’est pas tant d’avoir un diagnostic que de
construire des repères. Loïc, 14 ans : « quand ma mère se fâche, je ne sais plus si c’est justifié
ou parce qu’elle est malade ». Aucune réponse qui soit simple. Mais « chercher ensemble »
peut être un acte profondément thérapeutique et préventif. C’est, d’abord, pour l’enfant ou
l’adolescent, ne plus se débattre tout seul.
4.2.2. Du côté des parents
-
Qui sont les parents, de quoi souffrent-ils ?
o Troubles de la lignée psychotique, moments délirants, plus ou moins
stabilisés. Parfois masqués par alcoolisme ou toxicimanie grave.
o Dépressions graves et troubles bipolaires
o Troubles de la Personnalité : narcissique, paranoïaque
o Névroses graves : TOC
o Troubles de l’attachement
o Attention : conditions de vie précaires provoquent cascade de troubles, l’un
aggravant l’autre (problèmes administratifs, de logement…). Une aide sociale
est parfois plus utile qu’un soutien psy.
- Pouvoir s’adapter à la pathologie : ne pas imposer des choses impossibles : un
entretien filmé avec un père paranoïaque, refuser qu’une maman anxieuse vienne
accompagnée, qu’une mère dépressive vienne au Centre… ou qu’une maman
psychotique apragmatique vienne au TJ à dix heures.
- Se situer clairement du côté de l’aide ou/et de l’évaluation (laquelle ? Celle des
compétences parentales ? Du travail effectué ?)
- Expliciter clairement le mandat que l’on se donne : par exemple, dans un
hôpital, inviter les enfants non pas pour vérifier ou faire de la thérapie familiale,
mais pour débriefer, informer, préparer le retour.
- Soutenir le lien par un dispositif respectueux du cadre (dans la limite des
contacts autorisés) (exemple de l’évolution à PA et des réticences des AS).
(1) « Docteur, je voudrais savoir quelle maladie a ma mère », F. Van Leuven, °dans « Enfance
& psy », 37 2007/4, Eres.
(2) « La thérapie contextuelle de Boszormenyi-Nagy », Pierre Michard, de boeck, 2005
(3) « Thérapeutique de la parentification : une vue d’ensemble », J-F Le Goff, dans
« Thérapie Familiale », Volume 26 2005/3.
(4) Freud, « Nouvelles conférences sur la psychanalyse », 1932
(5) « Histoire de la folie à l’âge classique », Michel Foucault, Gallimard, 1972.
(6) « Au-delà des troubles mentaux, la vie familiale » Marc Bolly, Myreille St-Onge, MarieThérèse Toutant, Editions du CHU Sainte-Justine, 2006
(7) « Ma mère est schizophrène – schizophrénie et parentalité » Benoît Bayle, Eres, 2008
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