L`école, la clef indispensable

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Aux évêques de France
OFC 2015, n° 36
L’école, la clef indispensable
Au sujet de Jacques Julliard, L’Ecole est finie. Café Voltaire, Flammarion, 2015
Il faut reconnaître que le livre que vient de publier Jacques Julliard s’ajoute à déjà de
nombreux autres consacrés au même sujet, sans qu’aucun n’ait conduit à infléchir la situation ici
dénoncée, une nouvelle édition d’une vieille querelle. Le fond de l’affaire, mis à nouveau sur le
devant de la scène par l’application à la rentrée scolaire de septembre 2016 de la réforme du
collège, est la tension de longue durée entre un courant (illustré par Dubet et Mérieux) qui voudrait
faire du collège la nouvelle école communale déconnectée des contraintes actuelles du système
articulé sur la logique égalitaire. Parfois cette revendication inclut le lycée : « tous bacheliers ! », et
un courant qui voudrait sauver la qualité du vieil enseignement secondaire avec ses humanités
classiques.
Depuis le « collège unique », les gouvernements ne parviennent pas à prendre en compte la
tension qui se localise actuellement dans le colloque entre deux logiques inévitables : l’une
égalitaire, visant à donner égalitairement à tous la formation culturelle nécessaire à tout citoyen de
la République ; l’autre élitaire, inévitable également car la nation a besoin de dégager de
l’excellence dans les tous les domaines de la connaissance et de la culture.
Le constat que dresse notre auteur est sans doute proche de celui que dresse Pierre
Manent dans Situation de la France : notre pays va vers la perte de son unité et de son identité.
Bien entendu, on peut ne pas partager ce constat et estimer, ou plutôt montrer que la France a su
trouver d’autres formes de vie collective prenant en compte le monde nouveau dans lequel elle est
située : un monde qui s’impose à elle mais aussi qu’elle a choisi, un monde qui a vu la fin des
paysans puis de l’industrie lourde, l’arrivée de la mondialisation, du numérique et de cultures
venues d’autres continents, surtout celle de l’islam. A contrario, nombre d’auteurs, qualifiés par un
journal de référence paraissant le soir de déclinistes sinon de réactionnaires, ne partagent pas
cette vision plutôt optimisme.
Pierre Manent estime que la cause est entendue et qu’on ne peut plus attendre, au moins dans
l’avenir envisageable (celui des décennies à venir), un sursaut de la nation. Il faut donc pour lui
déterminer des compromis avec ces cultures, et d’abord avec l’islam. Jacques Julliard quant à lui
plaide pour un sursaut, qu’il croit possible, si tant est que la foi en l’Ecole revienne et que les
« réformateurs » d’un ministère dont il pense que son existence met en danger l’institution qu’il
prétend servir abandonnent leurs projets délétères. Pour l’éditorialiste de Marianne, seule l’Ecole,
toujours écrite par lui avec une majuscule, est le lieu d’avènement de la nation et du citoyen qui
s’en reconnaît membre.
Sans doute serai-je d’accord avec lui pour reconnaître que les plus grands destructeurs de
l’Ecole sont ceux qui s’en veulent les experts, et Julliard de citer un de ses correspondants, dans le
courrier des lecteurs de Marianne : « Les profs ne sont plus les petits soldats du PS parce que
celui-ci a contribué à accoucher d’un système “qui réussit l’exploit de marier les tares de l’esprit
soixante-huitard, la soumission au libéralisme marchand et le dogmatisme technocratique de
l’URSS” (propos d’un lecteur de Marianne, Philippe Bouché) », Jacques Julliard, L’Ecole est finie.
Café Voltaire, Flammarion, 2015, p. 29.
Jacques Julliard se situe dans le droit fil de l’idéal révolutionnaire émancipateur pour les
citoyens par rapport à toutes leurs attaches, sociales, religieuses, familiales. Un idéal que les
révolutionnaires et surtout la IIIe République ont mis en œuvre grâce à l’Ecole.
Observatoire Foi et Culture - Conférence des évêques de France
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Tel. : 01 72 36 69 64
mail : [email protected]
Pierre Manent, s’il reconnaît un rôle essentiel à l’éducation, n’entend pas oublier les appartenances
qui marquent chacun. La personne n’est pas qu’un individu qui n’aurait d’autre attache, en tout cas
à encourager, que celle de la nation. La personne a des liens légitimes avec une culture, une
histoire, une religion.
Certes l’Ecole doit permettre d’acquérir le sens d’un universel qui dépasse la seule
préservation des liens et intérêts individuels. Pour cette raison, elle éveille au sens critique, lequel
s’exerce d’abord par rapport à soi-même et aux idées reçues du milieu familial et social ; elle donne
de devenir citoyen d’un ensemble plus vaste, la nation, que ceux de la famille, du milieu, de la
religion. Elle doit pour cela être fondée sur la raison. « La croyance en Dieu ou dans le socialisme
ne peuvent être enseignées, si ce n’est à titre de phénomènes sociologiques. Elles ne peuvent être
démontrées, à la différence des lois de la gravitation. Elles n’ont donc rien à voir avec l’Ecole. Cette
neutralité axiologique est la condition expresse de l’universalité de celle-ci », o.c., p. 67. Mais la
société doit faire place aux groupes et communautés qui, si tant est qu’ils respectent les lois de
l’Etat et la liberté de chacun, ont à être perçus et reconnus comme naturels et légitimes.
Le principal reproche qu’adresse Jacques Julliard au système scolaire qui se développe
aujourd’hui, et plus généralement à la gauche de laquelle il se revendique, est de s’être
abandonnées au système marchand. « A la République enseignante a succédé la Démocratie
parentale et à l’université des Lumières l’individualisme du consommateur. Une telle Ecole mérite à
peu près autant de respect qu’un supermarché, et pour avoir cessé de se respecter elle-même, elle
a cessé d’être respectable », o.c., p. 16.
« Le professeur n’est pas un détaillant. Les parents d’élèves ne sont pas des clients. Les élèves ne
sont pas des usagers. Si l’Ecole ne fait que reproduire le consumérisme de la société marchande,
je le dis en pesant mes mots, il faut supprimer l’Ecole publique », o.c., p. 110-111.
Julliard plaide pour l’autorité, avant tout celle du savoir et celle de l’enseignant, contre ce
qu’il perçoit comme une peur des jeunes que l’Ecole d’aujourd’hui cherche à amadouer, à séduire,
ainsi que Najat Vallaud-Belkacem le révèle en faisant du combat contre l’ennui en classe un de ses
chevaux de bataille, au risque de transformer la classe en lieu d’amusement et la société en un
vaste parc d’attractions où seul le divertissement est roi. Pourtant, « est-il si mauvais de
s’ennuyer ? Pour ma part, je m’ennuie plus à la lecture des Frères Karamazov, l’un de mes livres
favoris et l’un des chefs-d’œuvre de la littérature universelle, qu’à celle de Gaston Lagaffe, l’une de
mes BD préférées. Il n’y a pas de culture authentique sans un effort sur soi-même. Cela est vrai
pour nos enfants autant que pour nous-mêmes », o.c., p.92-93.
Les références de Jacques Julliard sont à Blaise Pascal, et surtout à ces deux femmes
exceptionnelles du XXe siècle : Simone Weil et Hannah Arendt. Comme lui, j’estime qu’il faut sans
cesse y revenir, même si j’aime y ajouter un troisième nom : celui d’Edith Stein. On pourra
prétendre qu’elles comme Julliard encouragent la nostalgie d’une société qui n’est plus et d’une
Ecole qui ne permettait qu’à une petite minorité socialement privilégiée d’accéder au bac. Mais,
« parlons clair. Je n’aime pas beaucoup cette République au rabais où la démission intellectuelle se
déguise en misérabilisme social. Sous le prétexte de lutter contre l’élitisme, on impose
subrepticement à tous la même médiocrité, l’abandon de tout effort de dépassement de soi.
Qui commande dans une ploutocratie ? Les plus riches. Qui commande dans une démocratie ? Les
plus capables et les plus méritants. Sous prétexte de nier les inégalités d’intelligence et de
caractère, on abandonne la place aux plus fortunés. Ce n’est pas par hasard que les classes
dominantes et le patronat “éclairé” ont approuvé si hautement la réforme Vallaud-Belkacem : un
égalitarisme de façade qui cache l’acceptation pure et simple du statu quo social », o.c., p.79.
Et c’est avec Péguy que je conclus : « Les crises de l’enseignement ne sont pas des crises
de l’enseignement ; elles sont des crises de la vie […]. Quand une société ne peut pas enseigner,
c’est qu’elle ne peut pas s’enseigner, c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner ellemême […]. Une société qui ne s’enseigne pas est une société qui ne s’aime pas ; et c’est
précisément le cas de la société moderne », Péguy, « Pour la rentrée », Cahiers de la Quinzaine,
11 octobre 1904, in Œuvres en prose complètes, t. 1, Pléiade, p. 1390 (cité o.c., p.95).
+ Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers
OFC
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