2.2.2 Le patient refuse d`être informé

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2.2.2 Le patient refuse d'être informé
Jonathan Breslin, PhD
Objectifs d'apprentissage
1. Comprendre comment les différences culturelles relatives à la prise de décision influent sur le processus de
consentement.
2. Comprendre comment aborder le processus de consentement éclairé lorsqu'un patient refuse d'être informé.
Cas
Mme Ostrowski est une veuve âgée de 77 ans; il y a quelques années, après le décès de son époux, elle a émigré
d'un pays de l'Europe de l'Est afin de venir vivre avec son fils et sa belle-fille. Bien qu'elle ne maîtrise pas
complètement la langue, elle communique assez facilement en français. Mme Ostrowski a souffert d'indigestion et
d'une baisse de l'appétit pendant plusieurs semaines; lorsqu'elle a commencé à vomir, elle a accepté de laisser son
fils l'emmener à l'hôpital. Les tests diagnostiques ont révélé un cancer de l'estomac au stade II avec preuve
d'atteinte des ganglions lymphatiques. Le pronostic est réservé : il y a possibilité de guérison, mais le traitement
habituel de cette maladie comporte une gastrectomie totale avec chimiothérapie adjuvante. Le médecin de Mme
Ostrowski trouve cette dernière seule dans sa chambre et commence à lui annoncer le diagnostic et à discuter des
options de traitement. Lorsque le médecin a terminé de lui révéler le diagnostic, Mme Ostrowski l'arrête gentiment
et lui dit : « Dr, je n'ai pas besoin de savoir tout cela. Je ferai ce que vous jugerez le mieux. »
Questions
1. Pour quelles raisons quelqu'un comme Mme Ostrowski réagit-elle de cette manière?
2. Est-ce que le médecin doit forcer la patiente à l'écouter pour remplir son obligation d'obtenir un
consentement éclairé concernant le traitement?
3. Est-ce que le médecin devrait plutôt se tourner vers le fils de Mme Ostrowski pour obtenir le consentement?
4. Que doit faire le médecin maintenant?
Discussion
Q1. Pour quelles raisons une personne comme Mme Ostrowski éagit-elle de cette manière?
Il est important de comprendre que la notion actuelle reposant sur le respect du principe d'autonomie lié à la prise
de décision (c.-à-d. que le patient a le droit d'être informé et de choisir d'accepter ou de rejeter un traitement) est
une pratique relativement récente dans les soins de santé du monde occidental, et une pratique qui n'est pas
encore partagée dans de nombreuses autres parties du monde1. Cela entraîne deux importantes conséquences. En
premier lieu, les patients âgés qui n'ont que la notion paternaliste traditionnelle voulant que les médecins soient
seuls aptes à prendre des décisions risquent de ne pas se sentir à l'aise lorsqu'on leur demande de participer à la
prise de décision éclairée. En second lieu, les patients qui ont émigré d'autres parties du monde où la notion
paternaliste est toujours dominante (comme de nombreux pays d'Europe de l'Est et d'Asie) peuvent préférer s'en
remettre à l'autorité du médecin. Il est possible que ces deux facteurs entrent en jeu dans la réaction de Mme
Ostrowski puisque'elle est âgée et qu'elle a récemment émigré d'un pays d'Europe de l'Est. Toutefois, il faut
absolument éviter de sauter aux conclusions ou de faire des généralisations en fonction du groupe culturel auquel
appartient la patiente. Il peut y avoir une très grande divergence de croyances parmi les membres d'une même
communauté culturelle, donc il est toujours de mise de demander au lieu de présumer. Bien sûr, il peut y avoir
d'autres raisons justifiant la réaction de Mme Ostrowski, et ces raisons doivent être abordées de façon appropriée.
Par exemple, il est possible que la patiente refuse d'admettre la gravité de son état ou qu'elle souffre d'une
dépression ou d'une autre forme de déficience cognitive.
Compte tenu des importantes différences culturelles relativement au souhait d'être informé et à la prise de
décision, il peut être inapproprié, dans le cas de certains patients, de révéler le diagnostic et de commencer
systématiquement le processus de divulgation. Certains patients préfèrent que le médecin donne l'information aux
membres de leur famille d'abord et qu'il les informe graduellement par la suite ou ne veulent pas qu'on leur dise
qu'ils ont le cancer1. Une bonne façon d'aborder la question de divulgation de façon culturellement respectueuse
est de « demander au patient s'il veut connaître la vérité », ainsi le médecin peut offrir au patient l'information
nécessaire et la possibilité de décider ce qu'il veut connaître de son état avant de commencer le processus de
divulgation2.
Q2. Est-ce que le médecin doit forcer la patiente à l'écouter pour remplir son obligation d'obtenir un
consentement éclairé concernant le traitement?
L'exigence d'obtenir un consentement éclairé découle d'un principe de respect de l'autonomie du patient : les
patients ont le droit d'être informés de tous les risques d'une conduite thérapeutique et de prendre une décision
fondée sur cette information. Le droit du patient d'être informé crée un devoir de la part des médecins de fournir
l'information requise. Toutefois, la responsabilité d'informer le patient ne veut pas dire que le médecin est tenu de
forcer le patient à recevoir l'information. Le droit d'être informé englobe le droit de ne pas être informé. Ainsi, le
médecin fait preuve de respect envers le patient et son autonomie en respectant son choix de refuser
l'information.
Le facteur de complication dans le cas de Mme Ostrowski est qu'il y a des décisions à prendre relativement au
traitement et que cette dernière ne peut donner un consentement éclairé sans d'abord avoir été informée.
L'exigence de divulgation de l'information est un droit inscrit dans la législation relative aux soins de santé de
plusieurs provinces canadiennes. Cependant, le fait qu'un patient refuse l'information ne signifie pas
nécessairement qu'il renonce à son droit de prendre une décision; cela signifie seulement qu'il choisit de fonder sa
décision sur les recommandations du médecin au lieu de la fonder sur l'information relative aux options de
traitement. La patiente exerce son autonomie en prenant la décision de refuser l'information et d'accepter tout
traitement recommandé par le médecin. De plus, son souhait immédiat de ne pas être informée ne veut pas dire
qu'elle refusera d'être informée de façon permanente. Le médecin doit se montrer prudent et consulter la patiente
chaque fois qu'une question nécessitant un consentement se présente afin de confirmer avec elle son souhait de
demeurer non informée. Et il doit documenter chacune de ces interactions.
Du point de vue juridique, certaines provinces ont abordé la notion de renoncement du consentement éclairé dans
leur législation, mais ce n'est pas le cas pour toutes les provinces. La législation en la matière à l'Île-du-PrinceÉdouard, la Consent to Treatment and Health Care Directives Act (1988), permet aux patients de renoncer au droit
d'être informé par écrit, mais le droit de renoncement n'est pas abordé dans la Loi de 1996 sur le consentement
aux soins de santé de l'Ontario ou la Health Care (Consent) and Care Facility (Admission) Act (1996) de la
Colombie-Britannique. Les médecins doivent se renseigner sur les dispositions législatives relativement au
renoncement de consentement éclairé dans leur province avant de commencer le traitement.
Q3. Est-ce que le médecin devrait plutôt se tourner vers le fils de Mme Ostrowski pour obtenir le
consentement?
Comme nous l'avons indiqué précédemment, le fait que Mme Ostrowski a décidé de refuser d'entendre l'information
ne signifie pas qu'elle ait renoncé à son droit de prendre des décisions relativement aux soins de santé qui lui sont
prodigués. Elle a aussi le droit, si elle le souhaite ainsi, de céder l'autorité de la prise de décision à son fils, mais
elle n'a pas indiqué que c'est ce qu'elle souhaite faire. Le médecin ne doit pas se tourner vers le fils pour obtenir le
consentement à moins qu'il croie que la patiente est incapable de prendre une décision et qu'il ait besoin que son
fils prenne la décision pour elle ou qu'il permette le cours du traitement de façon explicite. Les exigences
législatives relatives à la prise de décision par un représentant du patient varient d'une province à l'autre; par
conséquent, les médecins doivent s'efforcer de connaître la législation pertinente en vigueur dans leur province.
Q4. Comment le médecin doit-il procéder maintenant?
Selon les renseignements présentés ci-dessus, le médecin doit tenter de savoir si le refus d'information de Mme
Ostrowski s'applique à la divulgation de l'information seulement ou s'il s'applique aussi à son droit de
consentement. Si elle indique qu'elle souhaite que son fils prenne les décisions, alors le médecin peut discuter des
options de traitement avec ce dernier et obtenir son consentement sur le choix du traitement. Toutefois, si la
patiente indique qu'elle souhaite prendre la décision elle-même, mais qu'elle fera tout ce que le médecin lui
recommande, alors le médecin doit lui préciser qu'il existe différentes options de traitement comportant chacune
des risques et des avantages et lui redemander si elle refuse toujours de recevoir cette information. Le médecin
doit émettre ses recommandations ainsi que les raisons qui les sous-tendent à la patiente et, si cette dernière est
d'accord, obtenir son consentement. Il serait aussi utile de demander à Mme Ostrowski quel rôle elle souhaite voir
son fils jouer dans ses soins : Souhaite-t-elle une prise de décision commune avec son fils? Souhaite-t-elle que le
médecin divulgue l'information à son fils? Le médecin doit documenter clairement le contenu de cette discussion
dans le dossier de la patiente et aussi confirmer que la patiente souhaite toujours ne pas être informée. Il doit
aussi rappeler à Mme Ostrowski qu'elle peut changer d'idée à tout moment et prévoir revenir sur la question pour
toute intervention nécessitant un consentement. Avant de commencer le traitement, le médecin doit s'informer des
dispositions législatives relatives au renoncement de consentement dans sa province.
Références
1. Oliffe J., Thorne S., Hislop TG. et Armstrong EA. « Truth telling and cultural assumptions in an era of
informed consent », Family & Community Health 2007, vol. 30, no 1, p. 5-15.
2. Freedman B. « Offering truth: one ethical approach to the uninformed cancer patient », Archives of Internal
Medicine 1993, vol. 153, no 5, p. 572-576.
Ressources
Etchells E., Sharpe G., Burgess M. et Singer PA. « Bioethics for clinicians: 2. Disclosure », CMAJ: Canadian
Medical Association Journal 1996, vol. 155, no 4, p. 387-391.
Etchells E., Sharpe G., Walsh P., Williams JR. et Singer PA. « Bioethics for clinicians: 1. Consent », CMAJ:
Canadian Medical Association Journal 1996, vol. 155, no 2, p. 177-180.
Freedman B. « A moral theory of informed consent », The Hastings Center Report 1975, vol 5, no 4, p. 32-39.
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