Description et déterminants des conceptions des enseignants

Santé publique
2008,volume 20,n° 6,pp. 527-545
ÉTUDES
Correspondance: D.Berger Réception : 28/12/2007 – Acceptation : 20/08/2008
[e-mail]
Description etdéterminants
desconceptionsdesenseignants
de 4 pays méditerranéens sur l’éducation
àlasexualité
Impactof teachers’ conceptionson sexeducation
in four Mediterraneancountries
Salah-Eddine Khzami (1),(2),DominiqueBerger(3)assistésdeFadiElHage (4),(2),
Valérie DeLa Forest (2),Sandie Bernard(3),MondherAbrougui(5),JacquesJoly(6),
DidierJourdan(3),Graça deCarvalho (7)
(1) École normale supérieure, Marrakech, Maroc.
(2)LIRDEF, composantedidactique et socialisation, UniversitédeMontpellier 2,France.
(3)EA n° 4289,PAEDIIUFM d’Auvergne,IUFM, UniversitédeLyon,Lyon 1,France
(4) UniversitéSaint-Joseph,FacultédesSciencesde l’éducation, Liban
(5) ISEFC, Institut Supérieur de l’Éducation etde laFormation Continue,Tunisie
(6)UniversitédeSherbrooke, Québec
Résumé :L’éducation àlasexualitécontribuede nosjours àlasanté publiquecarelle concerne
non seulementlaprévention du sida (etd’autresinfections sexuellement transmissibles),les
violences sexuellesmaiségalementlesrapportsinterpersonnelsetlesimplicationspsychoso-
ciales.L’école apparaîtcomme le lieuprivilégié d’accèsaux informationsetaux connaissances
scientifiquesqui permettentdeconnaître etdecomprendre lesdifférentesdimensionsde la
sexualité. Danscetarticle,lesconceptionsd’enseignants etde futurs enseignants sur l’éduca-
tion àlasexualitésontanalysées.Lesdonnéesontétérecueilliesàl’aideduquestionnaire
construitdansle cadreduprojetderecherche européen Biohead-Citizen. Le questionnaireaété
renseigné par 2 537 enseignants etfuturs enseignants de quatre pays de l’aireculturelle médi-
terranéenne (Tunisie, Liban, MarocetFrance). La méthodologie reposesur desanalysesen
composantesprincipalespermettantdedégagerlesconceptionsdesenseignants etfuturs
enseignants.Àleur suite, des scoresfactoriels standardisésontétécalculés.Les résultats mon-
trentque lesfacteurs quisecorrèlentle plus étroitementaveclesconceptionsdesenseignants
etdesfuturs enseignants,sontla culturedupays,le niveaudecroyance en Dieuetle niveau
de formation. Des résultats détaillés sontprésentésetdiscutés.
Mots-clés: Éducation àlasexualité - éducation en matièredesantéreproductive - conceptions-
enseignants - futurs enseignants - enseignementprimaire - enseignement secondaire.
Summary:
Nowadays,sexeducation contributes to publichealth notonly withregardtothe
prevention of HIV/AIDS, other sexually transmittedinfectionsandsexabuse, but itisalso
concernedwithaddressing aspects suchasinterpersonalrelationshipsandpsychosocial
implications.The school setting hasemerged asaunique environmentforaccess to
information andscientificknowledge thatcontributetobetter understanding of the various
dimensionsof sexuality.Teachers’andfutureteachers’conceptionsabout sexeducation are
analysedin thispaper.Datawere obtainedfrom aquestionnairedesigned by the European
Biohead-Citizen research project.Responses werereceivedfrom 2537 teachers from four
Mediterraneancountries(Tunisia, Lebanon, Moroccoand France) who completedthe
questionnaire. The methodologyisbasedupon analysesof corecomponents that support the
discovery of teachers’conceptions.Following thatexercise,standardisedfactorialscores
werecalculated.Results forin-serviceandpre-serviceteachers showhigh correlations
between theirconceptionsandnationalculture,religious beliefs, andlevel of academic
training. Detailedresults are presented and discussed.
Keywords: Sexeducation - reproductive health education - conceptions-teachers - pre-
serviceteachers - primary school - secondary school.
(7)LIBEC-CIFPEC IEC, UniversidadedoMinho, Braga, Portugal

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Introduction
En 1994,le « droitàlasantésexuelle et reproductive » afaitl’unanimité
lors de la ConférenceInternationale sur la Population etle Développement
(CIPD)auCaire,oùlasanté génésique étaitaucentredesdiscussions.Un
certain nombrede points ontainsi étédégagés,parmi lesquelsl’importance
d’affranchirlesêtreshumainsdetouteslescontraintesmorales,sociales,
religieusesouphysiquesmettantleur vie en péril. À cetégard, lasanté
sexuelle et reproductive est revendiquée en tantque l’undesdroits fonda-
mentaux de l’Homme etla conférenceainsistésur le rôle crucialde l’éduca-
tion parentale etde l’école pour informerle plus grandnombrede jeuneset
d’adolescents sur lasexualité et ses risquesnotammentlaprévention des
IST (infections sexuellement transmissibles).
La littératurescientifique montre que l’éducation àlasexualité participe à
l’éducation àlasanté etque lesinstitutions scolairesont un grandrôle à
jouerdans sapromotion [5,13,22,26,30].L’éducation àlasexualité est
cependantconditionnée parlespratiquespédagogiques scolaires,parle con-
textesocialde l’établissement(lesconditionsdevie dansl’établissement
scolaire,lapriseencomptede lasanté etdubien-êtredesélèvesjouenten
effet unrôle déterminant[2,16]),maiségalementparlesconceptionsque les
enseignants sesontconstruits sur lesquestionsdesanté, desexualité et sur
leur mission [4].
Notretravail derecherche s’inscritdansle projeteuropéen Biohead-Citizen
[8], impliquant19 pays.Notre objectif premierest d’identifierlavariation des
conceptionsindividuellesdesenseignants etdesfuturs enseignants dans
chaque pays etentre lespays.Cesconceptions s’insèrentdans un ensemble
dereprésentations socialesporteusesdesens.Ces représentationsont une
fonction sociale carellesaidentlesgensà communiquer, à sedirigerdans
leur environnementetà agir.Ellesengendrentdonc desattitudes, des
conceptionsindividuellesetdescomportements.Les représentations sociales
ontaussiunaspectprescriptif danslamesure oùelles«
définissentce qui
est licite,tolérable ouinacceptable dans uncontextesocialdonné »[1] : les
comportements de protection,lescomportements d’évitement…
La compréhension desconceptionsindividuellesd’enseignants,leurs origi-
nesetleurs articulationsavecles représentationsest unstade indispensable
pour pouvoirenvisagerdesformationscomme pour définirdescurriculaen
direction desélèves.Nous partonsde l’hypothèse qu’il s’agitde mieux
connaîtrecesconceptionspour favoriserl’interaction entre lesconnais-
sances scientifiques, cellesque lesenseignants maîtrisentetcellesqu’ils
acceptentd’enseigneretles valeurs et savoirs sociaux deréférences(qui les
empêchentparfoisd’assumercesenseignements sur lasexualité).
Les résultats sontissus de quatre pays méditerranéens,sur le thème de
« lasexualité etlareproduction humaine » etposentdirectementlaquestion
de l’influencedesconceptionspersonnelles sur lespratiquesd’enseigne-
ment.Cesconceptionsapparaissentliéesàla discipline d’enseignement
(biologie oulettres), auniveaud’enseignement(premierou second degré),à
l’anciennetédansl’exercice professionnel (formation initiale ouen exercice)
maiségalementàlareligion, audegrédecroyance, auniveaude formation
etau sexede lapersonne.

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Notre proposest volontairementdescriptif etnous sommesconscients
qu’il devraêtreapprofondidansdespublications ultérieuresnotamment sur
unversantanthropologique.
L’éducation àlasexualité: cadrethéorique
La sexualitéauncaractère multidimensionnel [24]etconcerne l’être
humain dans saglobalité etcomporte plusieurs dimensions:
1. Une dimension biologique, avecl’anatomie,laphysiologie dechaque
sexe,laprocréation,lafertilité etlasurvie de l’espèce;
2.Une dimension sociale :l’influenceculturelle,lesnormeset règlesdu
groupe social,lesdifférents aspects juridiques,politiqueset religieux ;
3.Une dimension psychologique:la construction psychiquedechaque
individu,en tantque fille ougarçon puisfemme ouhomme,l’image de
soi,la construction desapersonnalité etdeson identitésexuelle ;
4. Une dimension affective et relationnelle relativeaux sentiments
(l’expression de l’amour,le désir) etaux émotions.
Les résultats des recherchesinternationales[12,16,17,18,26,30]etles
déclarationsdesorganismesinternationaux montrentl’importancede per-
mettreaux jeunesd’accéderàl’éducation àlasexualité parce qu’elle est un
desmoyensqui leur permetdese protégercontre l’abus,les violences
sexuelles,l’exploitation,lesgrossessesnon désiréesetlesinfections sexuel-
lement transmissibles(8).Parailleurs,lapsychologie etl’épidémiologie mon-
trentque lesmoinsde25ansquireprésententactuellementenviron 50%de
lapopulation mondiale (9),ontdespréoccupations spécifiquesen matière
d’éducation àlasexualité etdesantéreproductive etfontfaceaumariage,à
des risquesliésà desexpériences sexuellesetaux grossessesprécoces.
Ledéveloppementde l’éducation àlasexualitése heurtecependantà de
nombreuses résistancesnotammentissuesdesmilieux religieux.Certains
pensentque fournirdesinformationsau sujetdu sexe etde lasexualité
éveilleraitprématurémentla curiositédesenfants etadolescents etaugmen-
teraitleur activitésexuelle. Pourtant,lesdiversesétudesontmontré qu’une
telle crainte n’est pasfondée [11,17,18,29].En milieu scolairedanslespro-
grammesdesdifférents pays,l’éducation àlasexualitéviseàsensibiliserles
enfants etlesjeunesàl’aided’informations scientifiquespour favoriserla
construction decompétencesetde pratiquesleur permettantde prendredes
décisionslesplus appropriéesetdesecomporterde manièreresponsable en
ce quiconcerne leur sexualité[24].Elle développe égalementchezlesjeunes
descapacitésà différencierlesinformationsconformesaux paradigmesdes
connaissances scientifiquesactuellesdecellesdes savoirs profanes.
Ils’agitde pouvoirpenser son comportementetl’inscriredansdespers-
pectiveséthiqueset sociales réfléchies sur lasexualité,ycomprispar rapport
à desquestions sociales vivescomme lespratiquesetl’orientation sexuelles,
l’avortementetla contraception,laquestion de l’égalité homme/femme et
(8) United NationsUniversalDeclaration of HumanRights,EuropeanConvention on the Exercise of Children’s
Rights, United NationsDeclaration on the Rights of the Child, United NationsGeneralAssembly, Declaration
of commitmenton HIV/AIDS August 2nd2001, InternationalPlannedParenthoodFoundation.
(9) http://www.unfpa.org/wpd/2006/statistics-fre.htm

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desdroits [16,19].L’éducation àlasexualitédéveloppe égalementlescapa-
citésdesjeunesàlanégociation, à laprisedesdécisions, à l’affirmation de
soi etàl’acceptation desautres[23].
Une éducation àlasexualité efficacese meten placetout aulong de
l’enfance etde l’adolescence. Il est préférable qu’elle débutetrès tôt, avant
que lesjeunesatteignentlapuberté et soienten plein bouleversement
d’adolescence etavantqu’ilsaientdéveloppé descomportements potentiel-
lementàrisque[6,11,13,17,18,22,24].Le premierniveaude prévention
est d’abord de permettreunaccèsàune information objective etde favoriser
le développementdescompétencespsychosociales.Un programme d’éduca-
tion àlasexualité ne peut serésumeràune promotion univoquedecompor-
tements oudeconceptionsau sein de l’école. L’exemple de lapromotion de
l’abstinencecomme seul moyen de prévention est flagrant.Detelsprogram-
mesqui insistent sur l’abstinencecomme seul moyen d’éviterlesIST etles
grossessesnon planifiées,ont trèspeud’effet[11,27].De même,les tenta-
tivesd’imposerdesconceptionsmoralistesétroitesau sujetde lasexualité
etdespratiquesetorientations sexuelles,ontéchoué[27].
Méthodes
L’étude portesur 2537 questionnaires renseignéspardesenseignants du
second degrédebiologie etde langue nationale etdupremierdegré en ser-
vice eten formation initiale de quatre pays : Tunisie (n = 753), Maroc
(n = 330), Liban (n = 722) etFrance (n = 732). L’annexe 1 présente lescarac-
téristiquesde lapopulation étudiée. Le questionnairecomprenait120 ques-
tionsportant sur l’éducation àlasanté,l’éducation àl’environnement,
l’évolution etl’épigénèse et 24 questions sur l’éducation àlasexualité.
Nous avonsprocédéàune analyse en composantesprincipales(10)des
questionsconcernantl’éducation àlasexualitéafin de procéderàun étatdes
lieux des représentations socialesetconceptionsdesenseignants.Cetype
d’analyse permetdedécelerlesdimensions sous-jacentesd’un outil de
recueil desdonnéesen regroupantlesquestions selon leur poids statistique
respectif etleurs corrélations[14].
Résultats
L’approche parcomposante principale
Détermination descomposantes
LetableauIrapporte lastructuredescomposantesprincipales(ACP),
incluantles saturations supérieuresà+ ou–0,20.La premièrecomposante
explique21,2%de lavariancedesitemsetau total,les 6 composantes
expliquent50,3%de lavariancedesquestions.Pour chaque énoncé,la cor-
rélation laplus élevée aété identifiée etdétermine les regroupements des
variablesen composantes[13].Selon cette méthode, chaquecomposante
regroupe différentesquestions(tableauI).
(10)L’analyseaétéréalisée parle logiciel SPSS,version 11 pour Windows.Méthoded’extraction : Analyse
en composantesprincipales.Méthodederotation :Varimaxavecnormalisation deKaiser.

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Description descomposantes
Composante 1 :Elle portesur l’enseignementde l’éducation sexuelle
(approche biophysiologique). Unscore élevésignifie une tendance opposée
àl’enseignement sur lesmaladies sexuellement transmissibles(A87),la
TableauI : Analyse en composantesprincipales
Questions
Composantes
123456
Information
biophysiologique
en classe
Sexualité et société
(opposition
àl’avortement)
Info. sur lesaspects
intimes
DifférencesH-F
Qui doitenseigner
l’ES
Inégalité
H/F
A87Information sur IST ,833
A86Information sur contraception ,751 ,244
A88 Information sur avortement,721,241 ,201
B37 Information sur grossesse etaccouchement,587,231
A90Information sur lapédophilie ,535,234–,243
A58 Avortementetproblèmesfinanciers ,715
A65Avortementacceptable – ,232 –,677
A41 Droits descoupleshomosexuels,649
A60 Safer sex–,277 –,591
A59 Avortementetfutur handicap,541 ,300
B41 Information sur érotisme etpornographie ,799
B40Information sur orgasme etplaisir sexuel ,305,226 ,795
A85 Information sur plaisir sexuel ,265,703
A9InégalitéH/F(taille ducerveau),689
A36 InégalitéH/F(symétrie bilatérale) ,682
A14 InégalitéH/F(Caractéristiquesphysiques),583
A25InégalitéH/F(raisonsbiologiques)–,230 ,548 – ,369
B24Ens.ES parprofessionnelsdesanté,751
B5Ens.IST parpersonnel desanté,747
B3Ens.IST parprofesseurs deBiologie – ,343,535,221
B19 Enseignementpsychosociaux de l’ES
parprofesseurs deBio. –,263 ,252,488 ,304
A2Égalitédesdroits H/F,692
A30 ÉgalitéH/F auparlement,651
A37 Séparation religion etpolitique,451 ,472
%devar. expliquée 21,20 %7,70 %6,60 %5,70 %5,00 %4,10%
%cumulé devar. expliquée 21,2%28,9%35,5%41,2%46,2%50,3%