De la panique à l`indifférence

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GESTION D’AVOIR
PIERRE SAINT-LAURENT
’est dans les périodes de volatilité marquée que l’on constate
l’étendue des comportements de
ses clients. La période actuelle
constitue en fait un test sévère des
aspects financiers et psychologiques
des investisseurs.
Or il y a tout un courant de
recherche en finance et en économie
portant sur les aspects moins quantifiables du comportement des investisseurs : la finance béhaviorale.
Celle-ci cherche à analyser les comportements humains en allant audelà de la rationalité économique.
Comment expliquer qu’une personne s’assurera contre des pertes
importantes (en contractant une prime
habitation contre le feu ou d’invalidité
pour protéger ses revenus) et en
même temps achètera des billets de
loterie? Acheter de l’assurance
témoigne d’une disposition timide au
risque (risk averse), alors que l’achat
de billets de loterie dénote un comportement favorable au risque.
Milton Friedman et Leonard
Savage ont montré comment la même
personne peut vouloir se protéger
contre des pertes importantes tout en
acceptant de subir des pertes faibles
(le prix de billets de loterie) au cas où
elle décrocherait le gros lot.
Tout est fonction de montant : il est
cohérent de se protéger contre les
rares situations de pertes importantes
tout en participant à de rares occasions
de gains importants. De plus, on peut
invoquer la valeur de consommation
des billets de loterie (l’achat de rêve).
Peut-être que les sociétés d’assurances
devraient distribuer des billets de loterie pour attirer de nouveaux clients!
PHOTO : SONIA JAM
C
De la panique
à l’indifférence
La finance béhaviorale a bonne
mine sur fond de marasme financier
qui perdure. Le prix Nobel d’économie a été attribué cette année à Daniel
Kahneman, expert de la finance
béhaviorale, pour sa contribution à
l’incorporation des concepts de la
psychologie à la science économique.
Plusieurs autres auteurs, tels que
Richard Thaler, Meir Statman,
Robert Shiller et Hirsh Shefrin, ont
contribué à faire évoluer et connaître
la finance béhaviorale.
Bref, on tente de réconcilier un
investisseur émotif et asymétrique –
asymétrique dans ses attentes et ses
objectifs – et des marchés qui sont
sinon symétriques, du moins objectifs et sans émotion.
L’objet de la finance béhaviorale
peut se diviser en deux grandes sections : les biais heuristiques et la
dépendance au contexte.
Les heuristiques, ce sont des
méthodes pour faciliter la prise de
décision. Ces règles approximatives
(rules of thumb) peuvent cependant
mener à des erreurs systématiques
dans la prise de décision. On peut se
tromper en mettant l’accent sur les
informations les plus récentes, les
données négatives ou les informations les plus fréquentes ou les plus
souvent répétées. De même, on attribue plus de poids à l’information la
plus facilement disponible et aux
données jugées les plus représentatives. Les heuristiques mènent souvent à des biais persistants.
Un exemple important et courant :
les investisseurs bâtissent un portefeuille avec une répartition d’actif trop
agressive, en la basant sur un fort optiOBJECTIF CONSEILLER
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misme initial. Plus tard, ils ajusteront
leurs perceptions et seront déçus d’un
portefeuille jugé alors inadéquat.
Quant à la dépendance au contexte,
tout repose sur la façon de percevoir la
situation. Deux situations avec des
résultats (probabilistes) identiques
sont perçues de façon diamétralement
opposée, selon que l’on en présente le
bon côté (la majorité des gens veulent
gagner) ou le mauvais côté (ces mêmes
gens détestent perdre). Aussi, les
investisseurs conservent les titres perdants et vendent ceux qui ont progressé : c’est l’aversion envers les
pertes, par laquelle on déteste
admettre avoir perdu. De même, le
fait d’avoir du regret (d’avoir perdu de
l’argent dans le passé, par exemple)
faussera les décisions futures.
Donc, des marchés inefficients sont
la résultante de ces deux thèmes dominants de la finance béhaviorale. Qu’en
retenir? Trois choses : les investisseurs
sont émotifs et sujets à des changements d’idée sans préavis; il ne faut pas
présumer des connaissances, des réactions et de l’évolution de vos clients,
car elles dépendent d’une foule de facteurs non financiers (le «tuyau
gagnant» du beau-frère devant le sapin
de Noël par exemple). Enfin, il vaut la
peine de proposer à vos clients un
questionnaire bien fait, posant des
questions qui les mettent dans le bain
financier pour ainsi dire, et conçu pour
leur faire prendre conscience de leur
vraie nature financière.
Pierre Saint-Laurent, M. Sc., CFA, est
président d’ActifConseil à Montréal.
On peut lui écrire à l’adresse
[email protected].
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