INFECTIONS CHEZ LES PATIENTS NEUTROPENIQUES

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INFECTION ET CANCER :
ANTIBIOTHERAPIE DES NEUTROPENIES FEBRILES
DU de Carcinologie Clinique
13 novembre 2015
Docteur Bertrand Gachot
Unité de Pathologie Infectieuse et Département de Soins Aigus
Gustave-Roussy, Villejuif
Une neutropénie est définie par un chiffre de polynucléaires neutrophiles inférieur à 500/mm3
ou inférieur à 1000/mm3 avec une baisse attendue à moins de 500/mm3. Les épisodes fébriles
(définis par une température > 38,3°C ou > 38°C pendant au moins 1 heure) sont très
fréquents en cas de neutropénie chimio-induite : ils concernent entre 10 et 50% des patients
traités pour une tumeur solide et plus de 80 % des patients pris en charge pour une
hémopathie (1,2). Si ces épisodes fébriles sont non documentés dans plus de la moitié des cas,
il est néanmoins connu depuis plusieurs décennies que l’existence d’une neutropénie est
associée à un risque accru de complications infectieuses bactériennes graves, avant tout
bactériennes et fongiques. De fait, la survenue d’une fièvre dans ce contexte doit conduire à
commencer, en urgence, un traitement antibiotique empirique, l’évolution rapide vers un choc
septique étant la règle en cas de bactériémie, avec un pronostic alors très sombre (3).
Parallèlement à cette urgence thérapeutique absolue, l’évolution de l’épidémiologie des
infections à bacilles à Gram négatif en France et en Europe, avec banalisation des
entérobactéries productrices de béta-lactamase à spectre élargi et émergence de souches
productrices de carbapénémases, impose une utilisation particulièrement raisonnée des
antibiotiques dans ce contexte (4,5).
EPIDEMIOLOGIE
Infection bactérienne
Cinquante à 70% des épisodes de neutropénie fébrile restent non documentés : il n’y a ni
point d’appel ou foyer clinique, ni documentation microbiologique (2). Ceci ne signifie pas
que ces fièvres ne soient pas d’origine infectieuse, puisque la flore intestinale est composée
essentiellement de firmicutes, bactéries anaérobies strictes à Gram positif, dont on ne sait
cultiver que quelques espèces (6).
2
L’infection est documentée cliniquement dans 20 à 30% des épisodes fébriles : pneumopathie,
infection cutanée et des tissus mous, foyer bucco-dentaire… Dix à 25% des patients sont
bactériémiques, les épisodes de bactériémies survenant avant tout lors de neutropénies
profondes (< 100/mm3) et prolongées (plus de 10 jours). L’épidémiologie de ces bactériémies
a évolué ces dernières décennies (1). Depuis les années 1980-90, les cocci à Gram positif
prédominent, notamment en raison de l’utilisation larga manu des cathéters veineux centraux,
de la toxicité muqueuse des chimiothérapies et de l’utilisation des quinolones en prophylaxie.
A l’Institut Gustave-Roussy, sur 218 épisodes bactériémiques ou fongémiques survenus en
hématologie entre janvier 2010 et juin 2011, un quart étaient dus à des staphylocoques à
coagulase négative (3 ; fig. 1). Les bactériémies à staphylocoque doré sont très rares chez les
patients neutropéniques. Les autres bactéries à Gram positif impliquées sont des entérocoques,
mais aussi des streptocoques non hémolytiques, particulièrement quand il existe une mucite
importante, ce qui est le cas après chimiothérapie par l’aracytine à forte dose (7). Dans notre
série, un quart des bactériémies étaient dues à des entérobactéries, au premier rang desquelles
figure Escherichia coli. Ces entérobactéries sont souvent productrices de béta-lactamases à
spectre élargi dans certains pays (8). Les entérobactéries productrices de carbapénémases,
endémiques dans plusieurs pays d’Europe du sud, sont encore isolées sporadiquement en
France (9). Les autres bacilles à Gram négatif en cause sont des Pseudomonas ou apparentés.
Les souches de P. aeruginosa sont fréquemment multirésistantes, représentant un tiers des cas
dans une étude italienne récente (10). L’interruption de la prophylaxie par les
fluoroquinolones dans certains centres, devant une prévalence croissante de la résistance à
cette classe d’antibiotiques, a entraîné une augmentation de la proportion des bactériémies à
bacilles à Gram négatif (11).
3
Infection fongique
Les champignons sont rarement en cause lors du 1er épisode fébrile au début de la
neutropénie. Les infections fongiques surviennent en général après la 1ère semaine, chez des
patients déjà sous antibiothérapie à large spectre (1,2). Les levures, avant tout du genre
Candida, peuvent être à l’origine d’une simple candidose oropharyngée, mais aussi de
fongémie à point de départ intestinal. Lors de l’évaluation effectuée récemment dans notre
institution, les fongémies représentaient, en hématologie, 3% des hémocultures positives (3 ;
fig. 1). Les candidoses hépato-spléniques sont très rares.
Les infections à champignons filamenteux sont surtout des aspergilloses invasives,
pulmonaires ou sinusiennes, et surviennent dans la majorité des cas après la 2e semaine de
neutropénie. La mucormycose est beaucoup plus rare (12). D’autres champignons filamenteux
peuvent être en cause, notamment chez les patients qui ne sont pas hospitalisés en secteur
protégé. Enfin, l’administration d’échinocandines en traitement empirique est susceptible de
sélectionner certaines espèces résistantes, telles Hormographiella aspergillata (13).
Infection virale
L’épidémiologie des infections virales chez les patients neutropéniques est mal connue. La
fréquence des viroses respiratoires est possiblement sous-estimée. La survenue d’un herpès
buccal n’est pas rare, et peut contribuer à la gravité de l’atteinte muqueuse déjà présente. Les
infections à CMV ou adénovirus concernent surtout les greffés de moelle, souvent après la
phase de neutropénie.
4
CONDUITE A TENIR DIAGNOSTIQUE
Un interrogatoire policier doit rechercher tout antécédent infectieux potentiellement
pertinent : herpès naso-labial ou génital, furonculose, pathologie ano-rectale, infection buccodentaire.
Le passé hospitalier récent doit faire l’objet d’une analyse soigneuse : type de chimiothérapie
reçue,
date
d’apparition
de
la
neutropénie,
traitements
antibiotiques,
antériorité
microbiologique, notamment toute colonisation à bactéries multirésistantes.
L’examen physique doit être très attentif, certains sites justifiant une attention toute
particulière : la peau et les tissus mous, le périnée et le ou les sites d’insertion des cathéters.
Les réactions inflammatoires sont souvent limitées ou absentes du fait de la neutropénie : des
signes même limités doivent donc alerter. Enfin, l’existence de signes de gravité (instabilité
hémodynamique, polypnée, troubles de la vigilance ou syndrome confusionnel…) influence
nécessairement les choix thérapeutiques (v. infra).
Les examens complémentaires de routine doivent inclure la fonction rénale, les tests
hépatiques. L’intérêt des marqueurs de l’inflammation, protéine C réactive ou procalcitonine,
est discuté (14). Leur dosage n’est pas recommandé en première intention (2).
Les hémocultures sont systématiques. Il est recommandé de prélever au moins deux
hémocultures aéro-anaérobies :
-
une en périphérie et une sur cathéter si un dispositif intraveineux est en place ;
-
deux en périphérie, en deux sites différents, en l’absence de cathéter (2).
5
L’intérêt des hémocultures couplées sur cathéter est de réunir, en cas de positivité, des
arguments pour ou contre une infection du dispositif intraveineux (tableau 1). Le diagnostic
de bactériémie sur cathéter peut être affirmé lorsque l’hémoculture sur cathéter pousse plus
vite qu’en périphérie, avec une différence de plus de 2 heures (délai différentiel de positivité)
(3, 15). Ces informations sont capitales quand le germe isolé est une entérobactérie ou un
entérocoque, l’hypothèse prépondérante étant une translocation bactérienne à partir du tube
digestif. L’analyse des résultats d’hémocultures couplées doit toujours être confrontée à la
clinique et prendre en compte le germe en cause. En cas de bactériémie à staphylocoque à
coagulase négative, un délai différentiel de positivité supérieur à 2 heures oriente vers la
responsabilité du cathéter. Dans quelques cas, rares, une bactériémie à staphylocoque à
coagulase négative peut être d’origine muqueuse (16) : un délai différentiel de positivité des
hémocultures négatif (tableau 1), une colonisation de plusieurs sites à ce germe constituent
alors des arguments en faveur de cette hypothèse.
Le cas du staphylocoque doré est plus complexe : ainsi, une bactériémie à staphylocoque doré
sans autre porte d’entrée que le cathéter, et même si le délai différentiel de positivité est
inférieur à 2 heures, correspond le plus souvent à une infection sur cathéter et impose son
retrait.
Quoi qu’il en soit, chez un patient en choc septique, porteur d’un cathéter et sans autre point
d’appel (neutropénique ou non, d’ailleurs), l’ablation systématique du cathéter demeure la
règle dès lors que la simple « déperfusion » du cathéter n’entraîne pas une amélioration très
rapide, ce qui permet d’améliorer le pronostic (3).
La coproculture isole rarement un germe entéropathogène autre que Clostridium difficile. En
revanche, l’évaluation semi-quantitative de la flore intestinale permet d’identifier le germe
6
dominant, qui est le plus susceptible d’entraîner une bactériémie par translocation digestive
(17). Le spectre de l’antibiothérapie doit alors impérativement inclure ce germe digestif
dominant, et parfois multi-résistant. Dans notre centre, nous réalisons cet examen avant
aplasie, puis à un rythme hebdomadaire au cours des épisodes de neutropénie prolongée.
Un simple examen cytobactériologique des crachats peut être intéressant quand il isole, en
culture pure, un germe indiscutablement pathogène comme un pneumocoque, une
entérobactérie ou un staphylocoque doré. Le lavage broncho-alvéolaire, lorsqu’il est
réalisable, a une rentabilité diagnostique moindre chez les patients neutropéniques que chez
les patients d’onco-hématologie non neutropéniques (18, 19), la majorité des patients recevant
au moment de l’examen un traitement antibiotique voire antifongique à large spectre.
L’examen cyto-bactériologique des urines, systématique, tient compte de l’absence
habituelle de leucocyturie.
La ponction ou la biopsie d’une lésion cutanée suspecte, avec examen direct et culture, peut
être déterminante, en particulier dans les candidoses invasives non candidémiques (2, 5).
En cas de doute sur un herpès buccal, un prélèvement local pour analyse virologique doit être
réalisé. L’antigénémie aspergillaire, malgré son manque de sensibilité, est volontiers réalisée
une à deux fois par semaine chez les patients à haut risque fongique.
La radiographie pulmonaire n’est recommandée qu’en cas de signe respiratoire (2). Le
scanner en coupes fines est l’examen maitre pour le diagnostic d’aspergillose pulmonaire
invasive. Il permet en outre une dissection séméiologique des anomalies éventuellement
7
observées sur le cliché standard, et de réaliser des coupes sur les sinus, l’abdomen et le pelvis
(2, 18).
STRATEGIE THERAPEUTIQUE INITIALE
La stratification du risque de complication est un élément important de la prise en charge des
patients neutropéniques et fébriles après chimiothérapie, afin de déterminer les modalités
thérapeutiques. L’existence d’un des critères suivants définit le haut risque et impose une
antibiothérapie intraveineuse en milieu hospitalier (2) :
•
Neutropénie profonde (< 100/mm3) ou dont la durée attendue est supérieure à 7
jours ;
•
Présence d’une comorbidité (au sens anglo-saxon du terme), notamment :
-
instabilité hémodynamique ;
-
mucite empêchant toute prise médicamenteuse orale ou responsable
d’une diarrhée profuse ;
-
troubles
digestifs
à type de douleurs
abdominales,
nausées,
vomissements ou diarrhée ;
-
troubles neurologiques d’apparition récente ;
-
suspicion d’infection sur cathéter, en particulier devant l’existence de
signes locaux ;
-
pathologie pulmonaire chronique sous-jacente ou infiltrat pulmonaire
récent, hypoxémie.
•
Anomalies des tests hépatiques (cytolyse à plus de 5 fois la normale) ou
insuffisance rénale (clairance de la créatinine < 30 ml/min).
8
L’administration d’une antibiothérapie à large spectre chez ces patients est une urgence
absolue (1-3). Le traitement doit dans tous les cas couvrir les entérobactéries usuelles et
Pseudomonas aeruginosa et repose désormais sur une β-lactamine en monothérapie. De
nombreuses études randomisées et deux méta-analyses ont démontré l’absence de supériorité
d’une bithérapie comportant un aminoside (2).
La ceftazidime ne doit pas être utilisée seule en 1ère intention chez les patients à haut risque, a
fortiori s’il existe une mucite, en raison de sa mauvaise activité anti-streptococcique (2, 5). En
l’absence de documentation microbiologique antérieure (et notamment, quand il n’existe pas,
au sein de la flore digestive, une souche résistante à ces molécules), l’association
pipéracilline-tazobactam ou le céfépime peuvent être proposés. Une méta-analyse a suggéré
un risque accru de mortalité avec le céfépime, sans proposer d’explication (20), résultats
contredits par une 2e méta-analyse menée par la FDA (2). Le débat ne semble pas clos (21). A
l’Institut Gustave-Roussy, nous utilisons soit l’association pipéracilline-tazobactam, soit le
céfépime, en monothérapie quand il n’existe pas de signes de gravité. Les carbapénèmes à
activité anti-Pseudomonas, notamment l’imipénème, ne doivent pas être utilisés en 1ère
intention (4) sauf en cas :
-
de colonisation connue à germe résistant, notamment une entérobactérie productrice
de β-lactamase à spectre élargi ;
-
de signes francs de gravité, état de choc septique ou pneumonie hypoxémiante.
Une bithérapie β-lactamine et aminoside doit sans doute être proposée en cas de choc septique
ou de pneumonie et si on suspecte fortement une infection à entérobactérie du groupe III ou
Pseudomonas multirésistant (2, 4).
9
L’adjonction d’un antibiotique anti-Gram positif, en pratique la vancomycine, est
recommandée dans les situations suivantes (2, 4) :
-
sepsis sévère et choc septique ;
-
pneumonie documentée ;
-
hémoculture positive à bactérie à Gram positif, dans l’attente de l’identification et de
l’antibiogramme ;
-
colonisation à staphylocoque doré méti-R ou pneumocoque résistant ;
-
suspicion d’infection liée au cathéter ;
-
infection de la peau et des tissus mous.
D’autres antibiotiques peuvent avoir une place en cas de colonisation ou d’infection à certains
germes, le choix devant être concerté avec l’infectiologue ou le microbiologiste (4, 5):
-
entérocoque résistant aux glycopeptides : linézolide ;
-
entérobactéries productrices de carbapénémase : colistine, tigécycline ;
-
Stenotrophomonas
maltophilia :
ticarcilline/clavulanate,
sulfaméthoxazole-
triméthoprime.
Quand il existe des troubles digestifs importants (douleurs abdominales spontanées et à la
palpation, voire tableau d’entérocolite), le spectre de l’antibiothérapie doit couvrir les
anaérobies (par exemple, le céfépime doit être associé au métronidazole).
QUAND ET COMMENT MODIFIER LE TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE ?
Les modalités du traitement antibiotique empirique doivent systématiquement être
reconsidérées à 48, maximum 72 heures (2-4). En cas de documentation microbiologique, il
10
est souvent possible de choisir une stratégie de « désescalade » : arrêt de la vancomycine en
l’absence d’infection à cocci à Gram positif, arrêt de l’aminoside et rétrécissement du spectre
de la β-lactamine, en remplaçant par exemple l’imipénème par l’association pipéracillinetazobactam. Idéalement, ces décisions sont prises dans le cadre d’une concertation
pluridisciplinaire associant infectiologues, microbiologistes, hématologues et le cas échéant
réanimateurs.
Le plus souvent, il n’y a pas de documentation clinique ou microbiologique. La stratégie
dépend alors (fig. 2) :
-
de l’état du patient lors de la mise sous antibiotiques (existence ou non de signes de
gravité) ;
-
de l’évolution: apyrexie, fièvre persistante sans signes de gravité, ou dégradation.
Une fièvre persistante isolée ne constitue pas un argument suffisant pour élargir le spectre du
traitement antibiotique (2). Une stratégie de désescalade sera même privilégiée quand il n’y a
pas de dégradation clinique (4). Souvent, le glycopeptide et l’aminoside introduits
initialement peuvent être interrompus et il est possible de rétrécir le spectre de la β-lactamine
en passant par exemple de l’imipénème au céfépime ou à l’association pipéracillinetazobactam. En cas de fièvre persistante et a fortiori de dégradation clinique, les particularités
pharmacodynamiques et pharmacocinétiques des agents anti-infectieux peuvent conduire à
ajuster les posologies sur la base d’éventuels dosages (22).
Chez un patient stable lors de la mise sous antibiotiques et devenu apyrétique depuis au moins
48 heures, l’arrêt de l’antibiothérapie peut être envisagé sous réserve d’une surveillance
clinique rapprochée (4).
11
DUREE DU TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE
En cas d’infection documentée, la durée du traitement dépend du site de l’infection et du
germe en cause (1, 2, 4). L’antibiothérapie est poursuivie au moins jusqu’à la résolution de la
neutropénie (polynucléaires neutrophiles > 500/mm3). Quand la poursuite du traitement après
la sortie d’aplasie apparaît justifiée (par exemple, pour atteindre une durée totale de traitement
de 7 jours dans une bactériémie), il convient d’effectuer un relais avec une molécule à spectre
étroit, si possible par voie orale (5). Ainsi, une bactériémie à E. coli sauvage traitée
initialement par une association pipéracilline-tazobactam relève, après la sortie d’aplasie, de
l’amoxicilline ou d’une fluoroquinolone par voie orale.
Chez les patients fébriles sans documentation, l’antibiothérapie est interrompue lorsque la
résolution de la neutropénie est confirmée. Souvent, l’apyrexie survient dans les jours qui
suivent. Lorsque la fièvre persiste, il faut reprendre les investigations et en particulier, à
l’issue d’une aplasie prolongée, évoquer une infection fongique (v. infra).
PLACE DU TRAITEMENT ANTIFONGIQUE CURATIF
Quand la fièvre persiste ou réapparait après 4 à 7 jours de traitement antibiotique à large
spectre chez un patient dont la durée prévisible de neutropénie excède 7 jours, il faut évoquer
une infection fongique et réaliser, outre les prélèvements usuels, une antigénémie
aspergillaire. Le scanner thoracique ou des sinus recherche des arguments en faveur d’une
aspergillose invasive. L’administration d’un traitement antifongique empirique (c'est-à-dire,
sur la seule base de l’existence d’une fièvre) demeure la règle, et est basé soit sur une
12
échinocandine, soit sur l’amphotéricine B liposomale (2, 23). Chez les patients qui reçoivent
une prophylaxie antifongique, un changement de classe thérapeutique apparaît justifié (2).
Une autre approche actuellement proposée chez les patients stables cliniquement est un
traitement antifongique préemptif, c'est-à-dire poursuivi uniquement quand il existe un ou
plusieurs arguments biologique ou iconographique en faveur d’une infection fongique (2, 24).
AUTRES MESURES THERAPEUTIQUES
Une prophylaxie antibiotique par les fluoroquinolones est proposée chez les patients à haut
risque, mais les textes les plus récents allègent le poids de cette recommandation, en
soulignant l’augmentation préoccupante de la résistance des bacilles à Gram négatif à cette
classe d’antibiotiques (2). Nous avons fait le choix de ne pas appliquer cette recommandation
à l’Institut Gustave-Roussy. L’administration de facteurs de croissance n’est pas
recommandée en curatif. Une prophylaxie des infections à Candida est recommandée chez les
allogreffés de moelle et au cours des chimiothérapies d’induction ou de consolidation des
leucémies aiguës (2). Une prophylaxie anti-aspergillaire peut être justifiée chez certains
patients à très haut risque (chimiothérapie intensive pour leucémie aiguë myéloblastique ou
myélodysplasie notamment). Les indications des antiviraux sont limitées à la prophylaxie des
infections à HSV ou VZV (allogreffe, induction de leucémie aiguë) et au traitement curatif
des infections documentées.
MESURES ENVIRONNEMENTALES
Les mesures les plus importantes sont le respect des précautions standard chez tous les
patients, en particulier l’hygiène des mains. Les mesures d’isolement protecteur sont la règle
chez les patients neutropéniques à haut risque, en particulier les allogreffés et les patients
traités pour une leucémie aiguë, malgré l’absence de preuve de leur efficacité. Un système
13
spécifique de traitement de l’air (taux de renouvellement horaire > 12, filtration de type
HEPA, pression positive) est recommandé chez les allogreffés (2), et souvent proposé aux
autres catégories de patients à haut risque fongique (myélodysplasie, induction de leucémie
aiguë). Chez les patients à très haut risque transférés en réanimation, la rupture de l’isolement
peut être compensée par l’utilisation de systèmes individuels de traitement de l’air.
CONCLUSIONS
Toute neutropénie fébrile post-chimiothérapie relève de l’administration en urgence, dans les
deux heures, d’une antibiothérapie à large spectre qui repose désormais, le plus souvent, sur
une β-lactamine à large spectre en monothérapie. En cas de signes de gravité, notamment de
choc septique, l’antibiothérapie de 1ère ligne repose souvent sur une association carbapénème,
aminoside et vancomycine. Mais dans tous les cas, cette stratégie doit être remise en question
à 48-72 heures, en privilégiant, chaque fois que c’est possible, une désescalade. Quand la
fièvre persiste sans signe de détérioration clinique, il n’y a pas lieu de modifier le traitement
antibiotique et le traitement antifongique peut, chez certains patients, être préemptif plutôt
qu’empirique. Le respect de ces règles de bon usage des agents anti-infectieux est déterminant
en raison de l’émergence de souches bactériennes de plus en plus résistantes aux
antibiotiques.
14
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18
Staph coag neg
4
5
3
S.aureus
Streptocoques
26
3
Entérocoques
E coli
10
Entérobactéries
3
11
10
14
11
P.aeruginosa et
apparentés
Levures
Anaérobies
Autres bactéries
Polymicrobien
Fig. 1 - Répartitions des micro-organismes en cause au cours de 218 épisodes bactériémiques
ou fongémiques survenus chez des patients d’hématologie hospitalisés à l’Institut GustaveRoussy. Staph coag neg : staphylocoques à coagulase négative ; Les chiffres expriment la
répartition des germes ou des catégories de germes en %.
Hémoculture Hémoculture
sur cathéter périphérique
+
+
+
-
-
+
-
Interprétation
DDP > 2 h : infection liée au cathéter
DDP négatif (l’hémoculture périphérique pousse avant) :
porte d’entrée extra-vasculaire
0 < DDP < 2 h : prélever un nouveau couple d’hémocultures
Infection non bactériémique
Colonisation du cathéter
Porte d’entrée extra-vasculaire
Pas d’infection du cathéter
Infection non bactériémique ?
Germe « fastidieux » (Propionibacterium, mycobactérie
atypique…)
Tableau I - Interprétation des couples d’hémoculture. DDP : délai différentiel de positivité.
19
Neutropénie fébrile
à haut risque sans documentation
Signes de gravité lors de la mise sous antibiotiques ?
OUI
NON
Evolution à 48-72 h ?
Evolution à 48-72 h ?
Apyrexie : poursuite du traitement jusqu’à la sortie
d’aplasie
Apyrexie : désescalade (β- lactamine à spectre plus
étroit en monothérapie) ; discuter l’arrêt des
antibiotiques ?
Fièvre persistante – patient stable : répéter les
prélèvements, poursuite du même traitement
Fièvre persistante- patient stable : répéter les
prélèvements ; désescalade vers une monothérapie ;
discuter le rétrécissement du spectre de la β-lactamine
Dégradation : répéter les prélèvements, réaliser une
imagerie (TDM), élargir le spectre du traitement antiinfectieux (BMR, champignons, virus...)
Dégradation : répéter les prélèvements, réaliser une
imagerie (TDM) élargir le spectre du traitement antiinfectieux (BMR, champignons, virus...)
Fig. 2 - ré-évaluation de l’antibiothérapie initiale chez les patients neutropéniques fébriles à haut risque sans documentation clinique ni
microbiologique. TDM : tomodensitométrie ; BMR : bactérie multirésistante
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