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Le changement climatique : histoire et enjeux
Jacques Merle, Bruno Voituriez, Yves Dandonneau,
Club des Argonautes
Juillet 2013
Mis à jour octobre 2013
Chapitre IV : Les pièces du puzzle climatique
L’émergence de la question climatique dans les sciences de la Terre ou leurs sous-disciplines, alors qu’elles
étaient encore très indépendantes les unes des autres et seulement marginalement préoccupées par la
question du climat, s’est faite progressivement.
La première phase de prise de conscience du sujet couvre la période s’étendant de l’AGI (1957-58)
jusqu’au début des années 1980 commencèrent à s’élaborer les premiers grands programmes
internationaux dédiés à l’étude du climat.
Cette période est caractérisée par ce que l’on peut appeler un «développement séparé» de la thématique
climatique dans les différents domaines des sciences de l’environnement. Néanmoins des convergences
commencent à se dessiner entre les disciplines les plus voisines et un questionnement plus précis au
sujet du climat se fait progressivement jour, permettant d’espérer une meilleure visibilité de ces recherches
et un meilleur soutien par les agences de financement.
C’est cette prise de conscience progressive de la question climatique dans les sciences de la Terre que l’on
présente dans ce chapitre avant d’aborder ensuite les grands programmes intégrateurs des années 1980.
I - Tout commence par l’histoire et la géographie
On a vu précédemment, qu’outre les géologues, les seuls scientifiques de l’époque des années 1950-60 à
s’intéresser au climat et à l’enseigner... dans les facultés des lettres !, étaient les géographes.
Ils dressaient des cartes des climats des différentes régions de la Terre, avec leurs variations saisonnières,
et tentaient d’expliquer cette variabilité spatiale par les facteurs qui leur étaient familiers : la latitude en
premier, d’où vient le mot climat (en grec : inclinaison des rayons du soleil suivant la latitude), qui permet de
définir les grands ensembles climatiques :
o climats équatoriaux,
o tropicaux,
o tempérés,
o polaires….
Venaient ensuite des paramètres tels que :
o l’altitude,
o l’orientation et la proximité de barrières montagneuses,
o la plus ou moins grande proximité des océans,….etc.
Les géographes extrayaient leurs informations des observations accumulées depuis au moins deux
siècles et maintenant stockées dans des banques de données par les services météorologiques ; ils
travaillaient souvent de concert avec eux, notamment pour le traitement statistique de ces observations.
Leur tâche spécifique était d’interpréter et de rendre accessible, dans un langage intelligible pour tous, la
connaissance que l’on pouvait avoir du climat qui, sinon, serait restée enfouie dans les fichiers
d’observations, qui intéressaient si peu les météorologues.
La ographie appelle l’histoire. Et l’histoire a jo aussi un le dans la prise de conscience de la variabilité
climatique à l’échelle humaine par les communautés scientifiques qui auraient , les premières et plus t,
s’interroger sur "la dynamique du climat et sa variabilité".
C’est un historien français, Emmanuel Le Roy Ladurie,
qui sonna le réveil des «climatologues» à la fin des
années 1960.
À la différence des géologues intéressés par les climats
passés à des échelles de temps géologiques, il a écrit la
première véritable histoire du climat de la période
historique la plus récente : de l’an mil à nos jours en
compulsant les documents historiques du dernier
millénaire.
Il en a extrait différents indicateurs climatiques, tels que la
date des vendanges et la morphologie des glaciers. Il a
ainsi montré que les variations climatiques étaient bien
réelles à nos échelles de temps historiques. Ainsi, il
documenta le refroidissement qui marqua l’hémisphère
nord par une baisse de sa température moyenne de près
de C pendant environ trois siècles, du milieu du XVIème
siècle au milieu du XIXème siècle, que l’on appelle le «petit
âge glaciaire».
Faisant une analyse des variations climatiques
indépendamment de l’histoire économique, sociale,
politique des hommes, il a montré qu’il n’y avait pas
forcément corrélation exclusive entre crise climatique et
crise socio-économique comme cherchaient à le démontrer
de manière simpliste ses prédécesseurs. Ainsi, selon lui,
les conditions météorologiques des années 1787/1788 ont
créé, sans toutefois mettre le feu aux poudres, le terreau
favorable à l’éclosion de la Révolution Française (qui avait
bien d’autres origines économiques, politiques, culturelles,
sociales, etc.).
Le Roy Ladurie démontrait ainsi l’existence de variations
climatiques significatives mais encore inexpliquées à
l’échelle de quelques générations. Si le climat avait changé naturellement dans le passé à ces échelles
temporelles, il pouvait encore changer dans l’avenir proche. La question de l’avenir climatique était posée.
L’ouvrage d’Emmanuel Le Roy Ladurie, abondamment cité, resta de nombreuses années la principale
référence française du domaine de la climatologie.
II - La dynamique de l’atmosphère et de l’oan
Les deux enveloppes fluides qui entourent la Terre, l’atmosphère et l’océan, sont si semblables dans leur
comportement géophysique et leur dynamique, qu’il est difficile de les dissocier et de les traiter séparément.
Cependant la météorologie, qui est historiquement la science de l’atmosphère, est la première discipline
scientifique constitutive de la «climatologie» ; c’est la science du temps qu’il fait, dont on a vu l’ambiguïté
historique originelle, à la frontière de la science telle que conçue par ses fondateurs : Newton, Galilée…,
mais, dans la pratique, plus proche d’un art et d’un savoir faire nécessaire à l’exercice de sa prévision.
Dès son origine, elle a été fondée sur l’observation des paramètres définissant le temps, avec la nécessité
contraignante de prévoir leurs évolutions. Ainsi la météorologie a longtemps été coincée entre les sciences
naturelles, relevant plutôt de la géographie d’où son enseignement dans les facultés des lettres, et les
sciences physiques. Elle a cependant été organisée et institutionnalisée très tôt dès le milieu du XIXème
siècle dans de nombreux pays qui se sont dotés de services météorologiques nationaux pour assurer
cette si utile prévision quotidienne du temps.
II - 1 Météorologues et océanographes s’organisent au plan international
L’atmosphère n’a pas de frontière et les météorologues, plus que tous autres scientifiques, se sont
naturellement rassemblés pour mettre en commun leurs observations, leurs connaissances et quelque fois
même leurs moyens propres dans des organisations internationales.
Après la fin de la seconde guerre mondiale, et avec le succès de l’Année Géophysique Internationale, le
sentiment général, en occident au moins, était de reconstruire un monde plus solidaire en s’appuyant sur
des organisations intergouvernementales.
C’est ainsi que, pour la météorologie, fut créée, en 1951, l’ «Organisation Météorologique Mondiale -
OMM», agence technique de l’ONU, dont le siège est à Genève. Cette organisation nouvelle faisait suite à
une très ancienne «Organisation Météorologique Internationale - OMI», datant de la fin du XIXème siècle
et regroupant différentes instances de coordinations internationales en météorologie qui était très active
depuis la création des services nationaux de nombreux pays depuis le milieu du XIXème siècle.
En France c’est l’ingénieur Urbain Le
Verrier qui, en 1854, créa le service
météorologique français.
Ces services météorologiques se
justifiaient par le besoin de prévoir
quotidiennement le temps, ce qui
nécessitait des observations à grandes
échelles des principaux paramètres
atmosphériques. D’où l’impérieuse
nécessité de bien utiliser ces
coordinations internationales pour
mettre en commun les observations qui
permettraient d’accéder à des images
synoptiques de la totalité de la sphère
gazeuse entourant la Terre.
Jusque dans les années 1960, la
météorologie ne se préoccupait
presque exclusivement que de la
prévision du temps. Son souci était de
hausser la qualité de ses prévisions et surtout d’étendre leurs échéances. On passa d’une prévision à 24
heures dans la première moitié du XXème siècle à 48 heures dans les années 1960, puis à 72 heures dans
les années 1980, pour enfin atteindre la dizaine de jours actuellement
Pour obtenir ces résultats, il était nécessaire d’observer et de comprendre la circulation générale de
l’atmosphère à l’échelle du globe, mais pas seulement. Rapidement les météorologues comprirent que cette
circulation générale atmosphérique ne pouvait être décrite sans avoir des informations sur les
milieux connexes avec lesquels l’atmosphère interagit : principalement l’océan qui représente 71%
de la surface de la Terre. De plus, pour pouvoir prévoir, il était nécessaire de comprendre et donc
d’accroître les connaissances par des recherches appropriées qui nécessitaient d’être organisées.
C’est cette préoccupation qui conduisit la communauté météorologique, rassemblés dans l’OMM, à proposer
en son sein, en 1967, avec l’appui du «Conseil International des Unions Scientifiques CIUS- ICSU en
anglais», la création d’un «Global Atmospheric Research Programme - GARP» avec un comité de
réflexion scientifique, le «Joint Organizing Committee – JOC».
Parallèlement à la volonté des services nationaux d’affiner
leurs prévisions, la «science météorologique» se
développait aussi dans les universités et les instituts
de recherche et devenait progressivement une
«météorologie dynamique» avec l’appui des premiers
ordinateurs qui faisaient leur apparition dans les
laboratoires et permettaient alors de simuler cette
"dynamique" à l’aide de modèles «numériques», c'est-à-
dire capables de résoudre numériquement les équations qui
gouvernent cette dynamique fondée sur les fameuses (pour
les dynamiciens seulement !) équations de Navier-Stokes.
La «météorologie dynamique» a aussi beaucoup bénéficié des moyens spatiaux dont elle fut une des
premières utilisatrices dès les années 1960 (voir chapitre V).
Parallèlement, l’océanographie s’organisait aussi, mais avec retard par rapport à la météorologie.
L’Année Géophysique Internationale fut la première action internationale coordonnée en "océanographie
physique". C’est à cette occasion que l’ICSU , en 1957, créa un comité scientifique international «Scientific
Committee for Oceanic Research SCOqui, à travers les nombreux groupes spécialisés qu’il créa,
joua (et joue) un rôle déterminant dans la définition des programmes internationaux de recherche
océanographique qui suivront notamment ceux qui concernent le climat, conséquence directe de l’AGI qui
mit en évidence la nécessité d’une structure intergouvernementale pour la mise en œuvre des programmes
océanographiques.
L’Unesco créa en 1960 la «Commission Océanographique Intergovernementale - COI». Programme de
l’UNESCO, la COI n’a pas pour l’océan, comme l’OMM pour la météorologie, le statut d’une agence
technique de l’ONU. Ainsi à partir des années 1960 la préoccupation climatique émergea-t-elle aussi dans
les milieux de l’océanographie qui s’organisait et qui allait bénéficier, tout comme la météorologie, des
ordinateurs et des plateformes satellitaires assurant une continuité spatio-temporelle des observations et
offrant une vision globale et intégrée de l’océan mondial, au moins en ce qui concerne sa surface.
II -2 Premiers rapprochements entre météorologues et océanographes
Le GARP initia, à partir de 1974, une première
ébauche de coopération entre météorologues
et océanographes pour mieux comprendre
l’interaction des deux enveloppes fluides de la
Terre, dans le but d’accroitre l’échéance des
prévision météorologiques et de suivre pour s’en
protéger les dépressions tropicales et autres
cyclones qui affectaient les basses latitudes
principalement dans l’Atlantique.
Ce fut le programme GATE : GARP Atlantic
Tropical Experiment qui fut suivi, en 1979, par la
«Première Expérience Mondiale du GARP
PEMG» ou "First GARP Global Experiment -
FGGE" en anglais.
Mais la préoccupation climatique était encore
absente de ces recherches conjointes et les
océanographes n’y étaient souvent conviés
que pour fournir des navires, plateformes
d’observation indispensables pour couvrir ces
vastes espaces maritimes.
Les météorologues eux-mêmes s’intéressaient
encore très peu au climat, considéré comme
stable aux échelles de temps auxquelles ils
étaient confrontés. Ils se contentaient, comme
indiqué précédemment, d’archiver les
observations dont ils disposaient et d’en extraire
des moyennes sur des périodes de trente ans,
censées représenter ce climat moyen. Néanmoins
l’idée que l’interaction des deux milieux fluides
était un processus déterminant de notre
environnement planétaire, faisait lentement son
chemin et rapprochait les deux communautés
scientifiques.
Le rapprochement de ces deux domaines scientifiques s’est naturellement renforcé à mesure que la
question climatique a pris progressivement de l’importance dans l’esprit des scientifiques.
Deux résultats furent cependant particulièrement marquants dans ce sens.
Le premier déjà cité, fut suscité par l’observation de phénomènes d’interactions spectaculaires entre
la basse atmosphère et les eaux superficielles chaudes de l’océan Pacifique équatorial.
Des scientifiques américains, notamment le météorologue Jacob Bjerknes et l’océanographe Klaus Wyrtki,
popularisèrent ce phénomène et une
locution hispanique allait envahir le
vocabulaire des milieux scientifiques
et des media, «El Niño», qui
désignait un phénomène marqué par
des déplacements rapides d’eaux
chaudes d’Ouest en Est affectant
l’océan Pacifique intertropical. Ce
phénomène océanique était couplé
avec des anomalies climatiques se
maintenant plus d’une année sur la
totalité de la bande tropicale et au-
delà comme l’avait mit en évidence
Jacob Bjerknes dès 1969 à la suite
de la mise en évidence d’une
«oscillation Australe», affectant la
pression atmosphérique superficielle de l’ensemble du Pacifique tropical, par Gilbert Walker.
Plus tard, en 1975, un océanographe Klaus Wyrtki proposa un schéma explicatif de l’enchainement des
phénomènes océaniques et atmosphériques qui fut désigné par ENSO pour «El Niño and Southern
Oscillation». On verra plus loin que l’étude de ce phénomène, conduite par l’entremise d’un grand
programme international, appeTOGA pour «Tropical Ocean and Global Atmosphere», aboutit à des
tentatives de prévision de ces bouleversements météo-océaniques qui affectaient l’ensemble de la gion
intertropicale Pacifique et particulièrement les régions côtières de l’Amérique sud équatoriale : Equateur,
Pérou, nord Chili. «El Niño» ou ENSO était le premier signal climatique naturel résultant d’une
interaction étroite entre l’océan et l’atmosphère, que la communauté scientifique découvrait. Il devint de
ce fait abondamment cité et décrit par les medias, d’autant que les perspectives de sa prévision avaient des
conséquences économiques et humaines très importantes pour les pays riverains du Pacifique d’Amérique
du sud ainsi que les nombreux États insulaires de l’intérieur qui en étaient affectés.
Le second résultat scientifique spectaculaire liant l’atmosphère et l’océan date de la décennie 1970.
Deux chercheurs américains, un météorologue, Thomas Vonder Haar, et un océanographe, Abraham Oort,
compilèrent l’ensemble des observations réalisées dans l’océan et l’atmosphère depuis le XIXème siècle et
accumulées dans des banques de données. Ils montrèrent que l’océan transportait autant de chaleur que
l’atmosphère des tropiques vers les hautes latitudes pour équilibrer le bilan énergétique de la
planète (Ce dont James Croll avait déjà fait l’hypothèse ) atténuant ainsi considérablement le contraste
thermique en fonction de la latitude. Mais l’océan opérait ce transport beaucoup plus lentement que
l’atmosphère, à des échelles temporelles compatibles avec celles de la variabilité du climat. C’était un
résultat important qui montrait, pour la première fois et en le chiffrant, que l’océan n’était pas seulement
un accumulateur passif de l’énergie mais qu’il avait un rôle dynamique dans l’équilibre énergétique
de la planète et de ce fait une influence déterminante dans l’établissement et la variabilité du climat.
Sur la base de ces résultats les organisations internationales entérinent dans les années 1970 cette prise de
conscience d’une possible instabilité du climat à toutes les échelles de temps sous l’effet des interactions
subtiles liant les deux milieux fluides. Un des points marquants de la réflexion sur cette variabilité du climat à
courte échelle temporelle fut évoqué lors d’une conférence internationale du GARP qui se tint à Stockholm
en Aout 1974 et qui portait sur : «les bases physiques du climat, et les modèles de climat».
L’étude de la dynamique du climat et la perspective de sa modélisation devenaient incontournables.
Dès lors, les organismes internationaux adaptèrent leurs structures et leurs programmes à l’objectif
climatique.
En 1980, l’OMM et le CIUS créèrent un nouveau programme international, dédié explicitement à l’étude du
climat, le «Programme Mondial de Recherche sur le Climat - PMRC» ou « World Climate Research
Programme WCRP» en anglais, qui prit la suite du GARP et dont le premier directeur fut un français : le
professeur Pierre Morel.
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