Chapitre IV : Les pièces du puzzle climatique

publicité
http://www.clubdesargonautes.org
Le changement climatique : histoire et enjeux
Jacques Merle, Bruno Voituriez, Yves Dandonneau,
Club des Argonautes
Juillet 2013
Mis à jour octobre 2013
Chapitre IV : Les pièces du puzzle climatique
L’émergence de la question climatique dans les sciences de la Terre ou leurs sous-disciplines, alors qu’elles
étaient encore très indépendantes les unes des autres et seulement marginalement préoccupées par la
question du climat, s’est faite progressivement.
La première phase de prise de conscience du sujet couvre la période s’étendant de l’AGI (1957-58)
jusqu’au début des années 1980 où commencèrent à s’élaborer les premiers grands programmes
internationaux dédiés à l’étude du climat.
Cette période est caractérisée par ce que l’on peut appeler un «développement séparé» de la thématique
climatique dans les différents domaines des sciences de l’environnement. Néanmoins des convergences
commencent à se dessiner entre les disciplines les plus voisines et un questionnement plus précis au
sujet du climat se fait progressivement jour, permettant d’espérer une meilleure visibilité de ces recherches
et un meilleur soutien par les agences de financement.
C’est cette prise de conscience progressive de la question climatique dans les sciences de la Terre que l’on
présente dans ce chapitre avant d’aborder ensuite les grands programmes intégrateurs des années 1980.
I - Tout commence par l’histoire et la géographie
On a vu précédemment, qu’outre les géologues, les seuls scientifiques de l’époque des années 1950-60 à
s’intéresser au climat et à l’enseigner... dans les facultés des lettres !, étaient les géographes.
Ils dressaient des cartes des climats des différentes régions de la Terre, avec leurs variations saisonnières,
et tentaient d’expliquer cette variabilité spatiale par les facteurs qui leur étaient familiers : la latitude en
premier, d’où vient le mot climat (en grec : inclinaison des rayons du soleil suivant la latitude), qui permet de
définir les grands ensembles climatiques :
o
o
o
o
climats équatoriaux,
tropicaux,
tempérés,
polaires….
Venaient ensuite des paramètres tels que :
o l’altitude,
o l’orientation et la proximité de barrières montagneuses,
o la plus ou moins grande proximité des océans,….etc.
Les géographes extrayaient leurs informations des observations accumulées depuis au moins deux
siècles et maintenant stockées dans des banques de données par les services météorologiques ; ils
travaillaient souvent de concert avec eux, notamment pour le traitement statistique de ces observations.
Leur tâche spécifique était d’interpréter et de rendre accessible, dans un langage intelligible pour tous, la
connaissance que l’on pouvait avoir du climat qui, sinon, serait restée enfouie dans les fichiers
d’observations, qui intéressaient si peu les météorologues.
La géographie appelle l’histoire. Et l’histoire a joué aussi un rôle dans la prise de conscience de la variabilité
climatique à l’échelle humaine par les communautés scientifiques qui auraient dû, les premières et plus tôt,
s’interroger sur "la dynamique du climat et sa variabilité".
C’est un historien français, Emmanuel Le Roy Ladurie,
qui sonna le réveil des «climatologues» à la fin des
années 1960.
À la différence des géologues intéressés par les climats
passés à des échelles de temps géologiques, il a écrit la
première véritable histoire du climat de la période
historique la plus récente : de l’an mil à nos jours en
compulsant les documents historiques du dernier
millénaire.
Il en a extrait différents indicateurs climatiques, tels que la
date des vendanges et la morphologie des glaciers. Il a
ainsi montré que les variations climatiques étaient bien
réelles à nos échelles de temps historiques. Ainsi, il
documenta le refroidissement qui marqua l’hémisphère
nord par une baisse de sa température moyenne de près
de 1°C pendant environ trois siècles, du milieu du XVIème
siècle au milieu du XIXème siècle, que l’on appelle le «petit
âge glaciaire».
Faisant une analyse des variations climatiques
indépendamment de l’histoire économique, sociale,
politique des hommes, il a montré qu’il n’y avait pas
forcément corrélation exclusive entre crise climatique et
crise socio-économique comme cherchaient à le démontrer
de manière simpliste ses prédécesseurs. Ainsi, selon lui,
les conditions météorologiques des années 1787/1788 ont
créé, sans toutefois mettre le feu aux poudres, le terreau
favorable à l’éclosion de la Révolution Française (qui avait
bien d’autres origines économiques, politiques, culturelles,
sociales, etc.).
Le Roy Ladurie démontrait ainsi l’existence de variations
climatiques significatives mais encore inexpliquées à
l’échelle de quelques générations. Si le climat avait changé naturellement dans le passé à ces échelles
temporelles, il pouvait encore changer dans l’avenir proche. La question de l’avenir climatique était posée.
L’ouvrage d’Emmanuel Le Roy Ladurie, abondamment cité, resta de nombreuses années la principale
référence française du domaine de la climatologie.
II - La dynamique de l’atmosphère et de l’océan
Les deux enveloppes fluides qui entourent la Terre, l’atmosphère et l’océan, sont si semblables dans leur
comportement géophysique et leur dynamique, qu’il est difficile de les dissocier et de les traiter séparément.
Cependant la météorologie, qui est historiquement la science de l’atmosphère, est la première discipline
scientifique constitutive de la «climatologie» ; c’est la science du temps qu’il fait, dont on a vu l’ambiguïté
historique originelle, à la frontière de la science telle que conçue par ses fondateurs : Newton, Galilée…,
mais, dans la pratique, plus proche d’un art et d’un savoir faire nécessaire à l’exercice de sa prévision.
Dès son origine, elle a été fondée sur l’observation des paramètres définissant le temps, avec la nécessité
contraignante de prévoir leurs évolutions. Ainsi la météorologie a longtemps été coincée entre les sciences
naturelles, relevant plutôt de la géographie d’où son enseignement dans les facultés des lettres, et les
sciences physiques. Elle a cependant été organisée et institutionnalisée très tôt dès le milieu du XIXème
siècle dans de nombreux pays qui se sont dotés de services météorologiques nationaux pour assurer
cette si utile prévision quotidienne du temps.
II - 1 Météorologues et océanographes s’organisent au plan international
L’atmosphère n’a pas de frontière et les météorologues, plus que tous autres scientifiques, se sont
naturellement rassemblés pour mettre en commun leurs observations, leurs connaissances et quelque fois
même leurs moyens propres dans des organisations internationales.
Après la fin de la seconde guerre mondiale, et avec le succès de l’Année Géophysique Internationale, le
sentiment général, en occident au moins, était de reconstruire un monde plus solidaire en s’appuyant sur
des organisations intergouvernementales.
C’est ainsi que, pour la météorologie, fut créée, en 1951, l’ «Organisation Météorologique Mondiale OMM», agence technique de l’ONU, dont le siège est à Genève. Cette organisation nouvelle faisait suite à
une très ancienne «Organisation Météorologique Internationale - OMI», datant de la fin du XIXème siècle
et regroupant différentes instances de coordinations internationales en météorologie qui était très active
depuis la création des services nationaux de nombreux pays depuis le milieu du XIXème siècle.
En France c’est l’ingénieur Urbain Le
Verrier qui, en 1854, créa le service
météorologique français.
Ces services météorologiques se
justifiaient par le besoin de prévoir
quotidiennement le temps, ce qui
nécessitait des observations à grandes
échelles des principaux paramètres
atmosphériques.
D’où
l’impérieuse
nécessité
de
bien
utiliser
ces
coordinations
internationales
pour
mettre en commun les observations qui
permettraient d’accéder à des images
synoptiques de la totalité de la sphère
gazeuse entourant la Terre.
Jusque dans les années 1960, la
météorologie ne se préoccupait
presque exclusivement que de la
prévision du temps. Son souci était de
hausser la qualité de ses prévisions et surtout d’étendre leurs échéances. On passa d’une prévision à 24
heures dans la première moitié du XXème siècle à 48 heures dans les années 1960, puis à 72 heures dans
les années 1980, pour enfin atteindre la dizaine de jours actuellement
Pour obtenir ces résultats, il était nécessaire d’observer et de comprendre la circulation générale de
l’atmosphère à l’échelle du globe, mais pas seulement. Rapidement les météorologues comprirent que cette
circulation générale atmosphérique ne pouvait être décrite sans avoir des informations sur les
milieux connexes avec lesquels l’atmosphère interagit : principalement l’océan qui représente 71%
de la surface de la Terre. De plus, pour pouvoir prévoir, il était nécessaire de comprendre et donc
d’accroître les connaissances par des recherches appropriées qui nécessitaient d’être organisées.
C’est cette préoccupation qui conduisit la communauté météorologique, rassemblés dans l’OMM, à proposer
en son sein, en 1967, avec l’appui du «Conseil International des Unions Scientifiques – CIUS- ICSU en
anglais», la création d’un «Global Atmospheric Research Programme - GARP» avec un comité de
réflexion scientifique, le «Joint Organizing Committee – JOC».
Parallèlement à la volonté des services nationaux d’affiner
leurs prévisions, la «science météorologique» se
développait aussi dans les universités et les instituts
de recherche et devenait progressivement une
«météorologie dynamique» avec l’appui des premiers
ordinateurs qui faisaient leur apparition dans les
laboratoires et permettaient alors de simuler cette
"dynamique" à l’aide de modèles «numériques», c'est-àdire capables de résoudre numériquement les équations qui
gouvernent cette dynamique fondée sur les fameuses (pour
les dynamiciens seulement !) équations de Navier-Stokes.
La «météorologie dynamique» a aussi beaucoup bénéficié des moyens spatiaux dont elle fut une des
premières
utilisatrices
dès
les
années
1960
(voir
chapitre
V).
Parallèlement, l’océanographie s’organisait aussi, mais avec retard par rapport à la météorologie.
L’Année Géophysique Internationale fut la première action internationale coordonnée en "océanographie
physique". C’est à cette occasion que l’ICSU , en 1957, créa un comité scientifique international «Scientific
Committee for Oceanic Research – SCOR» qui, à travers les nombreux groupes spécialisés qu’il créa,
joua (et joue) un rôle déterminant dans la définition des programmes internationaux de recherche
océanographique qui suivront notamment ceux qui concernent le climat, conséquence directe de l’AGI qui
mit en évidence la nécessité d’une structure intergouvernementale pour la mise en œuvre des programmes
océanographiques.
L’Unesco créa en 1960 la «Commission Océanographique Intergovernementale - COI». Programme de
l’UNESCO, la COI n’a pas pour l’océan, comme l’OMM pour la météorologie, le statut d’une agence
technique de l’ONU. Ainsi à partir des années 1960 la préoccupation climatique émergea-t-elle aussi dans
les milieux de l’océanographie qui s’organisait et qui allait bénéficier, tout comme la météorologie, des
ordinateurs et des plateformes satellitaires assurant une continuité spatio-temporelle des observations et
offrant une vision globale et intégrée de l’océan mondial, au moins en ce qui concerne sa surface.
II -2 Premiers rapprochements entre météorologues et océanographes
Le GARP initia, à partir de 1974, une première
ébauche de coopération entre météorologues
et océanographes pour mieux comprendre
l’interaction des deux enveloppes fluides de la
Terre, dans le but d’accroitre l’échéance des
prévision météorologiques et de suivre pour s’en
protéger les dépressions tropicales et autres
cyclones qui affectaient les basses latitudes
principalement dans l’Atlantique.
Ce fut le programme GATE : GARP Atlantic
Tropical Experiment qui fut suivi, en 1979, par la
«Première Expérience Mondiale du GARP –
PEMG» ou "First GARP Global Experiment FGGE" en anglais.
Mais la préoccupation climatique était encore
absente de ces recherches conjointes et les
océanographes n’y étaient souvent conviés
que pour fournir des navires, plateformes
d’observation indispensables pour couvrir ces
vastes espaces maritimes.
Les météorologues eux-mêmes s’intéressaient
encore très peu au climat, considéré comme
stable aux échelles de temps auxquelles ils
étaient confrontés. Ils se contentaient, comme
indiqué
précédemment,
d’archiver
les
observations dont ils disposaient et d’en extraire
des moyennes sur des périodes de trente ans,
censées représenter ce climat moyen. Néanmoins
l’idée que l’interaction des deux milieux fluides
était un processus déterminant de notre
environnement planétaire, faisait lentement son
chemin et rapprochait les deux communautés
scientifiques.
Le rapprochement de ces deux domaines scientifiques s’est naturellement renforcé à mesure que la
question climatique a pris progressivement de l’importance dans l’esprit des scientifiques.
Deux résultats furent cependant particulièrement marquants dans ce sens.
Le premier déjà cité, fut suscité par l’observation de phénomènes d’interactions spectaculaires entre
la basse atmosphère et les eaux superficielles chaudes de l’océan Pacifique équatorial.
Des scientifiques américains, notamment le météorologue Jacob Bjerknes et l’océanographe Klaus Wyrtki,
popularisèrent ce phénomène et une
locution hispanique allait envahir le
vocabulaire des milieux scientifiques
et des media, «El Niño», qui
désignait un phénomène marqué par
des déplacements rapides d’eaux
chaudes d’Ouest en Est affectant
l’océan Pacifique intertropical. Ce
phénomène océanique était couplé
avec des anomalies climatiques se
maintenant plus d’une année sur la
totalité de la bande tropicale et audelà comme l’avait mit en évidence
Jacob Bjerknes dès 1969 à la suite
de la mise en évidence d’une
«oscillation Australe», affectant la
pression atmosphérique superficielle de l’ensemble du Pacifique tropical, par Gilbert Walker.
Plus tard, en 1975, un océanographe Klaus Wyrtki proposa un schéma explicatif de l’enchainement des
phénomènes océaniques et atmosphériques qui fut désigné par ENSO pour «El Niño and Southern
Oscillation». On verra plus loin que l’étude de ce phénomène, conduite par l’entremise d’un grand
programme international, appelé TOGA pour «Tropical Ocean and Global Atmosphere», aboutit à des
tentatives de prévision de ces bouleversements météo-océaniques qui affectaient l’ensemble de la région
intertropicale Pacifique et particulièrement les régions côtières de l’Amérique sud équatoriale : Equateur,
Pérou, nord Chili. «El Niño» ou ENSO était le premier signal climatique naturel résultant d’une
interaction étroite entre l’océan et l’atmosphère, que la communauté scientifique découvrait. Il devint de
ce fait abondamment cité et décrit par les medias, d’autant que les perspectives de sa prévision avaient des
conséquences économiques et humaines très importantes pour les pays riverains du Pacifique d’Amérique
du sud ainsi que les nombreux États insulaires de l’intérieur qui en étaient affectés.
Le second résultat scientifique spectaculaire liant l’atmosphère et l’océan date de la décennie 1970.
Deux chercheurs américains, un météorologue, Thomas Vonder Haar, et un océanographe, Abraham Oort,
compilèrent l’ensemble des observations réalisées dans l’océan et l’atmosphère depuis le XIXème siècle et
accumulées dans des banques de données. Ils montrèrent que l’océan transportait autant de chaleur que
l’atmosphère des tropiques vers les hautes latitudes pour équilibrer le bilan énergétique de la
planète (Ce dont James Croll avait déjà fait l’hypothèse ) atténuant ainsi considérablement le contraste
thermique en fonction de la latitude. Mais l’océan opérait ce transport beaucoup plus lentement que
l’atmosphère, à des échelles temporelles compatibles avec celles de la variabilité du climat. C’était un
résultat important qui montrait, pour la première fois et en le chiffrant, que l’océan n’était pas seulement
un accumulateur passif de l’énergie mais qu’il avait un rôle dynamique dans l’équilibre énergétique
de la planète et de ce fait une influence déterminante dans l’établissement et la variabilité du climat.
Sur la base de ces résultats les organisations internationales entérinent dans les années 1970 cette prise de
conscience d’une possible instabilité du climat à toutes les échelles de temps sous l’effet des interactions
subtiles liant les deux milieux fluides. Un des points marquants de la réflexion sur cette variabilité du climat à
courte échelle temporelle fut évoqué lors d’une conférence internationale du GARP qui se tint à Stockholm
en Aout 1974 et qui portait sur : «les bases physiques du climat, et les modèles de climat».
L’étude de la dynamique du climat et la perspective de sa modélisation devenaient incontournables.
Dès lors, les organismes internationaux adaptèrent leurs structures et leurs programmes à l’objectif
climatique.
En 1980, l’OMM et le CIUS créèrent un nouveau programme international, dédié explicitement à l’étude du
climat, le «Programme Mondial de Recherche sur le Climat - PMRC» ou « World Climate Research
Programme – WCRP» en anglais, qui prit la suite du GARP et dont le premier directeur fut un français : le
professeur Pierre Morel.
La structure de coordination internationale pour l’étude du climat, de sa variabilité et de son
changement à long terme, était soutenue par deux instances principales de réflexion et de
programmation :
• Le «Joint Scientific Committee –JSC» créé en Avril 1980, qui prit la suite du JOC du GARP et
rassembla des personnalités sensées couvrir tous les domaines scientifiques impliqués dans le
climat :
o Physique et chimie des enveloppes fluides,
o glaciologie,
o biologie,
o paléoclimatologie…etc.
• Pour l’océanographie, un comité ad hoc : Le «Commitee on Climate Change and Oceans –
CCCO» fut créé en 1978 conjointement par la COI, l’ICSU et le SCOR (ce sera abordé au chapitre
VI). Roger Revelle, dont on reparlera abondamment plus loin, en fut l’initiateur et le premier
président.
Ces organisations étaient indispensables pour mettre sur pied dans le cadre du WCRP les imposants
programmes de recherche internationaux tels que TOGA, WOCE, JGOFS, GEWEX, CLIVAR,…..qui allaient
voir le jour à partir des années 1980 et qui mobiliseraient une majorité de chercheurs de ces communautés
scientifiques, avec leurs moyens propres.
III - La chimie de l’atmosphère et de l’océan
Les interactions de l’atmosphère et de l’océan dans la genèse du climat ne se limitent pas à leurs échanges
d’énergie et aux conséquences de ceux-ci sur leurs dynamiques. Les deux milieux fluides entourant la
Terre sont aussi le réceptacle de nombreux corps chimiques parmi lesquels le carbone, élément
essentiel de la vie, joue un grand rôle.
Le cycle du carbone est au cœur du changement climatique.
La composition chimique de l’atmosphère terrestre, qui nous est familière, est très différente de celles des
atmosphères des autres planètes du système solaire. Ses constituants majoritaires ne sont pas le dioxyde
de carbone comme sur Mars et Venus, ni l’hydrogène et l’hélium comme sur Jupiter et Saturne, mais l’azote
et l’oxygène qui représentent 97% du total en masse de l’atmosphère terrestre. L’oxygène a été créé
par la photosynthèse des plantes et du phytoplancton marin au cours des premiers âges de la Terre, tandis
que l’azote viendrait de l’activité des bactéries des sols.
Les autres constituants sont nombreux et minoritaires mais certains peuvent affecter le climat. Ce
sont les trop fameux Gaz à Effet de Serre (GES) tels que la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone, le
méthane, l’oxyde d’azote, l’ozone et autres Chlorofluorocarbones. La quantité de vapeur d’eau dans
l’atmosphère dépend, au premier ordre, de la température moyenne à la surface de la Terre. La quantité de
dioxyde de carbone est susceptible de croître du fait de l’usage intensif de carbone fossile par l’homme, et
c’est d’elle que nous parlerons le plus. Quand aux autres GES, en quantité faible, mais dont l’effet sur le
climat est loin d’être négligeable, les recherches sur leur rôle n’ont débuté que récemment, et il est trop tôt
pour en faire l’historique.
Tous ces constituants chimiques de l’atmosphère sont solubles dans l’eau et tendent sans cesse à
s’équilibrer avec ceux contenus dans l’océan via des échanges à l’interface entre l’océan et
l’atmosphère.
Cependant la composition chimique de l’eau de mer est évidement très différente de celle de l’atmosphère.
Elle est connue en ce qui concerne ses principaux
constituants depuis le XIXème siècle et la campagne
circumterrestre du navire océanographique anglais
Challenger.
Un de ses participants, Wilhelm Dittmar, analysa les
soixante dix sept échantillons récoltés et montra que
six ions seulement constituaient 99 % de la totalité
des sels dissous. Parmi ceux-ci, l’ion chlorure et l’ion
sodium qu’on ne trouve pas sous forme gazeuse
dans l’atmosphère constituent bien sûr l’écrasante
majorité.
Mais parmi les autres composés chimiques contenus
dans l’eau de mer, les carbonates, en équilibre
chimique avec le gaz carbonique dissous ont une
grande
importance
puisqu’ils
déterminent
la
concentration en CO2 dissous de l’eau de mer, et par
là, commandent l’échange de ce gaz avec l’atmosphère où sa variation entraîne un changement du climat.
En outre, la photosynthèse qui est au départ du cycle de la matière vivante utilise le CO2 comme matériau
de base.
C’est cette question des rapports entre le cycle du carbone et de son dioxyde (le CO2) avec la chimie
et la biologie de l’océan et, avec la chimie de l’atmosphère qui est au cœur du problème climatique.
Des pionniers du XIXème siècle comme le géologue Thomas Chamberlin s’étaient déjà souciés du cycle
du carbone et de ses migrations entre les réservoirs océanique, atmosphérique et continentaux incluant les
sédiments du fond des océans. Pour tenter d’expliquer les changements climatiques, il privilégiait, sans le
démontrer, le rôle du réservoir de carbone atmosphérique, s’opposant ainsi aux thèses des «physiciens»
qui au contraire mettaient en avant le volcanisme pour expliquer les climats glaciaires du passé.
Plus tard dans la première moitié du XXème siècle, Steward Callendar a fait accepter par une majorité de
scientifiques que la concentration du gaz carbonique dans l’atmosphère était susceptible de varier sous
l’effet de l’activité humaine et que celle-ci était responsable du réchauffement climatique par l’effet de serre
additionnel qu’elle provoquait et qui fut d’ailleurs appelé plus tard le «Callendar effect». Une question alors
se posa concernant la capacité de l’atmosphère «d’encaisser» indéfiniment toutes les émissions de GES
pour les transformer en chaleur ?
III-1 Y a-t-il saturation des GES dans l’effet de serre ?
Si on acceptait avec les pionniers du siècle précédant John Tyndall, Svante Arrhenius, et Steward
Callendar, la relation directe entre le réchauffement et l’augmentation de la teneur en gaz à effet de serre de
l’atmosphère, il fallait cependant lever une objection importante soulevée par des opposants aux tenants de
cette responsabilité de l’effet de serre dans le réchauffement. Ils mettaient en avant des expériences qui
avaient, semble-t-il, montré que la teneur actuelle en gaz carbonique de l’atmosphère était suffisante pour
absorber toute l’énergie qui pouvait être émise par le rayonnement terrestre aux fréquences auxquelles le
CO2 absorbe le rayonnement infrarouge ; autrement dit, ajouter encore plus de gaz carbonique dans
l’atmosphère ne pouvait augmenter la température, puisqu’on avait atteint un niveau de saturation de ce
gaz dans sa capacité à produire de la chaleur. C’était une objection scientifique de taille à laquelle il
fallait répondre.
Un jeune chercheur américain, Gilbert Plass, financé
par l’«Office of Naval Research» et travaillant dans
des compagnies privées comme Lockheed et Ford
tenta d’apporter une réponse, dans les années 195556 ; il s’intéressa marginalement et par curiosité
personnelle à cette question de la relation entre le
taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et le
réchauffement.
Il prit en compte que l’atmosphère absorbait le
rayonnement infra rouge, mais aussi qu’elle en
émettait, et il montra que, contrairement à ce qui avait
été observé au niveau du sol, dans la haute
atmosphère, où la pression est réduite et la température très basse, le spectre d’absorption du gaz
carbonique dans l’infrarouge est plus complexe. En particulier, si la bande principale d’absorption du gaz
carbonique est saturée, des centaines d’autres bandes ne le sont pas ; en conséquence, plus on ajoute de
gaz carbonique, plus le rayonnement est absorbé et plus la température s’élève. On pouvait donc penser
que l’objection de la saturation de l’atmosphère en gaz à effet de serre stoppant le réchauffement
était levée. Pourtant, un demi siècle plus tard, il s’avéra que l’explication de Plass était insuffisante et qu’il
fallait prendre en compte aussi les modifications de la structure thermique de la troposposphère. La
saturation de l’effet de serre constitue un argument encore utilisé aujourd'hui en 2013 par les opposants à la
théorie de l’effet de serre.
Gilbert Plass s’enhardit ensuite jusqu’à annoncer que l’activité humaine pourrait élever la température de la
Terre de 1,1°C par siècle. Bien que ce calcul ait é té jugé trop grossier pour convaincre complètement ses
collègues, on reconnaissait à Gilbert Plass le mérite d’avoir démontré scientifiquement qu’il y avait un réel
danger de réchauffement de l’atmosphère par les émissions humaines de gaz à effet de serre.
Face à cette conclusion inquiétante de non saturation de l’effet de serre, d’autres objections furent
avancées par certains opposants à la théorie de l’effet de serre. Ils mirent en avant la vitesse, supposée
lente, à laquelle ce réchauffement pouvait répondre à l’accumulation de gaz à effet de serre. Ce retard au
réchauffement aurait alors permis d’imaginer que l’océan pouvait avoir le temps d’absorber ce surplus de
gaz carbonique injecté dans l’atmosphère avant qu’il ait produit de la chaleur dans l’atmosphère. On était
ainsi conduit à répondre à une autre question fondamentale concernant l’océan cette fois qui
touchait à sa capacité de réabsorber le gaz carbonique anthropique.
III-2 L’océan peut-il réabsorber le gaz carbonique émis par l’homme ?
Cette question agita les milieux scientifiques qui s’intéressaient au climat et prit de l’importance. C’est à son
propos qu’un océanographe, Roger Revelle, déjà mentionné plus haut, entra dans le cercle, encore très
restreint, de ces scientifiques de plus en plus inquiets du changement climatique.
Roger Revelle allait devenir une des personnalités parmi les plus marquantes de cette aventure scientifique
autour de la question climatique. Il était géologue de formation mais fut très tôt (en 1936) rattaché à la
«Scripps Institution of Oceanography –SIO» en Californie dont il devint ultérieurement le directeur et
s’orienta vers la géochimie océanique.
Les conclusions de Gilbert Plass et la polémique qui s’ensuivit avec ses détracteurs amena Roger Revelle
à se pencher sur la question de l’effet de serre et du réchauffement climatique.
Il était au courant des travaux d’un chimiste, Hans Suess, qui avait entrepris d’appliquer les techniques
14
instrumentales développées pour la datation par le carbone 14 ( C) au carbone atmosphérique. En 1955,
Hans Suess partit de l’hypothèse qu’il y avait dans l’atmosphère, d’une part le carbone correspondant à un
14
cycle non perturbé par les émissions humaines, contenant une proportion connue de C radioactif, et
d’autre part le «vieux» CO2 issu de la combustion des composés carbonés fossiles (pétrole, charbon) pour
satisfaire les besoins en énergie des hommes, qui ne contient plus du tout de l’isotope 14, celui-ci s’étant
détruit au cours du long stockage géologique.
Hans Suess fit l’hypothèse que l’océan pouvait rapidement absorber ce carbone anthropique rejeté dans
14
l’atmosphère qui était «marqué» par ce «vieux» carbone et totalement dépourvu de C. Le carbone
14
contenu dans l’océan devait donc porter la trace de ce mélange avec un apport anthropique dépourvu de C.
Pour interpréter cette trace, il fallait prendre en compte un grand nombre de processus et d’estimations
encore mal connus :
• notamment le temps de résidence du CO2 dans l’atmosphère et dans l’océan,
• comparer l’âge moyen du carbone des arbres et celui des coquilles des organismes marins (liés à
14
leur concentration en C),
13
• tenir compte de la discrimination isotopique (qui correspond au fait que les isotopes lourds – C et
14
C – participent moins facilement aux réactions de photosynthèse ou de calcification), et pour cela,
14
13
12
mesurer dans l’océan les teneurs en C, C et en carbone commun C de l’eau et des coquilles.
Et il fallait aussi la détecter et la quantifier par des mesures.
Mais de telles mesures dans le milieu marin, nécessitaient la collaboration avec un océanographe. Hans
Suess confia ses espoirs au géochimiste marin Roger Revelle. Celui-ci comprit rapidement tout le potentiel
scientifique qu’il pouvait tirer de sa collaboration avec Hans Suess et il le recruta à la Scripps Institution of
Oceanography. Ils associèrent alors leurs compétences pour, ensemble, étudier le comportement du
carbone et de son dioxyde dans l’océan.
Rapidement ils arrivèrent à la conclusion provisoire que l’océan pouvait absorber l’essentiel du carbone
atmosphérique d’origine humaine :
«Notre conclusion est que le temps d’échange … défini comme le temps nécessaire en moyenne
pour qu’une molécule de CO2, faisant partie du réservoir de carbone atmosphérique, soit absorbée
par la mer, est de l’ordre de 10 ans».
Cette estimation était toutefois fragilisée par le manque de connaissances sur certaines sources de CO2,
notamment celui provenant de l’altération des roches, du volcanisme, ou de l’oxydation dans les sols, ainsi
que sur le temps de diffusion de l’eau de mer de surface vers la profondeur.
Des observations additionnelles étaient nécessaires pour s’en assurer totalement, et l’Année Géophysique
Internationale arrivait à point nommé pour cela. Si cette conclusion avait été confirmée, la crainte d’un
possible réchauffement climatique causé par l’accroissement des gaz à effet de serre dans l’atmosphère se
serait éloignée ; tout au plus aurait-on pu craindre quelques effets secondaires sur l’océan lui-même.
Mais cet espoir d’une régulation océanique possible de la totalité de la teneur additionnelle en gaz
carbonique de l’atmosphère ne fut pas confirmé. La question dériva sur la capacité de l’océan à diffuser
le gaz carbonique absorbé à sa surface dans sa masse liquide et au final à stocker ce carbone à l’état de
sédiments sur son plancher. Subsidiairement se posa aussi la question des constantes de temps
nécessaires pour assurer cette diffusion et leur compatibilité avec les constantes de temps caractéristiques
de l’évolution du climat.
Les réponses à ces questions par les études menées par Hans Suess et Roger Revelle n’allaient pas
dans le sens d’une évolution très dommageable pour le climat : si l’océan était bien capable d’absorber et de
stocker près de sa surface une grande quantité de gaz carbonique via les échanges induits par le différentiel
de sa pression partielle avec celle de l’atmosphère, la diffusion dans les profondeurs océaniques du carbone
ainsi absorbé n’allait pas de soi, une fraction importante retournant dans l’atmosphère. Par ailleurs, les
équilibres chimiques subtils au sein de l’eau de mer généraient assez rapidement des seuils de saturation
au-delà desquels la capacité d’absorption de l’océan s’effondrait.
Une conclusion s’imposait donc à Roger Revelle et à Hans Suess :
oui l’océan pouvait absorber une partie du gaz carbonique d’origine humaine en excès dans
l’atmosphère à des échelles de temps compatibles avec celles du climat ; mais cette capacité
d’absorption était limitée et ne pouvait «tamponner» complètement le surplus de gaz carbonique
injecté dans l’atmosphère par l’activité humaine.
Roger Revelle et Hans Suess publièrent ces résultats en 1957 dans la revue Tellus, dans un article resté
célèbre, où ils concluaient, après beaucoup d’hésitations et de corrections, comme le rappelle l’historien des
sciences Spence Weart que «L’accumulation de CO2 (dans l’atmosphère) peut atteindre des niveaux
significatifs au cours des décennies prochaines si l’activité industrielle et la consommation de
pétrole continuent d’augmenter exponentiellement... L’humanité est en train de vivre une expérience
géophysique qui ne s’est jamais produite dans le passé et peut-être ne se reproduira pas dans le
futur».
La question climatique prenait ainsi soudainement une autre dimension bien qu’elle ne soit toujours alors
qu’un «hobby» pour quelques scientifiques qui s’adonnaient marginalement à des recherches
fondamentales sur ce sujet mal classé parmi les priorités des agences de financement de la recherche aux
États Unis et ailleurs dans le monde. Mais pour quelques uns, comme Gilbert Plass, Roger Revelle et
Hans Sues, l’affaire était sérieuse et il importait maintenant de vérifier plus précisément les chiffres,
notamment le premier d’entre eux, celui de l’accroissement de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère.
III-3 La mesure de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère
C’est justement ce qu’avait entrepris un jeune chercheur, Charles David Keeling qui venait d’obtenir un
post-doc à CALTEC, le fameux institut californien.
Charles Keeling aimait la géophysique, particulièrement la géochimie, son domaine, mais il adorait pardessus tout le contact physique et direct avec la nature et son observation. Il cherchait constamment des
activités qui pouvaient le sortir des murs de son laboratoire. La mesure du gaz carbonique atmosphérique
pouvait être une activité lui garantissant un travail en plein air, bien que ce ne soit pas un sujet d’étude
porteur pour un chercheur ambitieux. Outre le fait que ces observations pouvaient avoir un rapport avec
l’évolution du climat, elles n’intéressaient presque personne d’autres que Gilbert Plass, Roger Revelle et
Hans Suess et n’avaient pas d’intérêt pratique immédiat.
Par ailleurs, ces mesures avaient la réputation d’être difficiles et hasardeuses. Un groupe de scientifiques
suédois en avaient fait l’expérience quelques années plus tôt. Ils avaient tenté la mesure de ce gaz
carbonique indocile dans le voisinage de leur laboratoire et leurs expériences s’étaient soldées par un échec.
La teneur en gaz carbonique variait considérablement d’un lieu à l’autre et d’un jour à l’autre au gré de la
direction du vent portant et de la proximité des forêts ou des usines. Il était impossible de tirer de leurs
observations un chiffre significatif de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère de la Terre entière.
Qu’importe ! ce défi motiva encore plus Charles Keeling qui décida de s’attaquer prioritairement au
problème de la technique de mesure avec le secret espoir de pouvoir montrer plus tard, par des séries de
mesures de longue durée, que les observations de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère étaient
significatives de quelque chose qui avait un rapport avec
le climat.
Charles Keeling commença par mener de multiples
expériences en Californie autour de son laboratoire pour
mettre au point sa propre méthode, et il réussit à obtenir
assez rapidement des chiffres fiables car il était un
expérimentateur habile et tenace. Ces mesures
représentaient bien le taux moyen de concentration en
gaz carbonique de l’atmosphère du lieu où ces
observations étaient réalisées. Il était donc possible de
réaliser cette mesure en différents points de la planète et
de suivre son évolution au cours du temps à condition
de choisir une bonne méthode d’analyse et d’être très
soigneux.
Mais quelles agences dispensatrices de moyens
allaient-elles soutenir financièrement de telles
recherches, jugées encore très marginales par
beaucoup ? C’est ici que le hasard intervint encore
dans un sens favorable.
Charles Keeling rencontra Roger Revelle, ou plutôt
Roger Revelle approcha Keeling. Il surveillait du coin
de l’œil ce jeune géochimiste de CALTEC qui s’acharnait à raffiner une méthode de mesure du gaz
carbonique en quête d’une précision supérieure à celle qui lui paraissait nécessaire. Il comprit cependant la
valeur du travail de cet expérimentateur obstiné, l’invita à travailler avec lui à la Scripps et lui trouva les
financements nécessaires par l’intermédiaire de l’ONR, bien doté ces années là, dans la perspective de
l’Année Géophysique Internationale ; on était en 1957.
Et, en 1958, Charles Keeling, grâce aux financement de cette fameuse Année Géophysique
Internationale, put installer son dispositif de mesure en un lieu très exotique, au sommet d’un volcan éteint
des iles Hawaii, le Mauna Loa, au cœur de l’Océan Pacifique où tout était réuni pour trouver une
atmosphère pure de toutes contamination industrielle locale et très représentative de sa «vraie» teneur
moyenne en gaz carbonique. Il trouva une concentration voisine de 315 ppm.
Ce fut le point de départ de la très
célèbre et étonnante «courbe de
Keeling» qui montre la croissance
inexorable de l’évolution de la teneur
en gaz carbonique de l’atmosphère en
fonction du temps, seulement modulée
par le cycle saisonnier et qui passe de
315 parties par million (ppm) en 1958 à
385 ppm 50 ans plus tard, en 2008,
soit un taux d’accroissement annuel
moyen de 1,4 ppm (0,4%). En
quelques années Keeling avait
démontré sans équivoque que la
teneur moyenne en dioxyde de
carbone de l’atmosphère croissait
de plus en plus rapidement pour
atteindre maintenant au début du
XXIème siècle des valeurs sans
précédent depuis 900 000 ans (400 en 2012).
III-4 L’hypothèse d’un changement climatique d’origine humaine enfin
accréditée
Quelques années plus tard Roger Revelle devint le président du comité d’océanographie qu’il avait
contribué à créer : le «Committee on Climate Change and Oceans - CCCO» rassemblant 12 experts
océanographes couvrant toutes les sous-disciplines de l’océanographie :
• dynamique, physique,
• chimie,
• glaciologie,
• biologie,
• paléoclimatologie.
Ce comité d’océanographes était chargé de promouvoir et d’organiser les programmes internationaux de
recherche sur le changement climatique dans lesquels l’océan était impliqué.
Le CCCO rendait compte de ses débats et transmettait ses propositions au Programme Mondial de
Recherche sur le Climat, le PMRC avec son comité scientifique, le JSC, sous l’égide de l’OMM et de
l’ICSU.
À la 6ème session du CCCO, à Washington en
février 1984, Roger Revelle invita Charles
Keeling a faire une présentation de ses
observations du taux de gaz carbonique
contenu dans l’atmosphère au sommet du
Mauna Loa et de sa fameuse courbe qui prenait
déjà une trajectoire presque exponentielle. Le
CCCO, impressionné, recommanda fortement
au PMRC d’encourager la poursuite de ces
observations jugées d’une importance capitale
pour déterminer avec plus de précision les flux
d’échanges
de
gaz
carbonique
entre
l’atmosphère
et
l’océan
ainsi
que
comprendre
les
mécanismes
de
ces
échanges.
Un groupe de travail consacré au cycle du carbone dans l’océan fut créé sous la présidence de Roger
Revelle ; ce groupe s’associa ultérieurement avec le programme «Joint Global Ocean Flux Study –
JGOFS» rattaché au grand programme «International Geosphere Biosphere Programme – IGBP» dont
on reparlera plus loin.
L’initiative, à l’origine très personnelle et individuelle de Charles Keeling, soutenue financièrement avec
réticence par les agences de financement américaines mais fortement encouragée par Roger Revelle, était
maintenant, plus de 20 ans plus tard, officiellement reconnue par la communauté scientifique internationale
comme une pièce maitresse de la question climatique et lui accordait une haute priorité.
Ces observations de Keeling couronnaient les travaux de ses prédécesseurs, Tyndall, Arrhenius,
Callendar, Plass, Suess et Revelle qui avaient annoncé l’éventualité d’un réchauffement global de la
planète dans une relative indifférence de leurs pairs.
Charles Keeling n’avait pas encore démontré que ce réchauffement était certain, mais en levant une partie
des objections faites aux conclusions antérieures, par des observations précises et incontestables, il
avait montré qu’il était possible qu’un changement climatique majeur puisse se produire sous
l’action de l’homme s’il modifiait sans précaution la composition chimique de son atmosphère.
IV - La biosphère s’invite dans le débat
Aussi complexes que soient la dynamique de l’atmosphère et des océans, ainsi que la chimie du carbone
avec ses échanges entre les deux enveloppes fluides entourant la Terre, ces phénomènes étaient encore
considérés dans les années 1970 comme mieux cernés et plus accessibles que le rôle de la biosphère dans
le changement climatique.
Pourtant, la photosynthèse par les algues marines et les plantes terrestres fixe du CO2 sous forme de
matière vivante, et le restitue à l’océan ou à l’atmosphère, en totalité ou en partie, après respiration ou
pourrissement.
C’est seulement au cours de cette décennie que certains scientifiques commencèrent à prendre
conscience que des domaines scientifiques entiers, jusqu’ici considérés comme étrangers au climat,
pouvaient aussi interagir avec l’océan et l’atmosphère et participer ainsi à l’évolution de notre
environnement.
Les milieux vivants continentaux et océaniques sont à ranger dans cette catégorie des domaines
scientifiques un temps oubliés, à cause de la prise en considération tardive de leur influence sur notre
environnement climatique. Après la reconnaissance du comportement «dynamique» d’un climat changeant
à toutes fréquences, il devenait progressivement évident que les forêts africaines et brésiliennes, ou
la toundra sibérienne, ou encore les vastes aires océaniques où proliférait le plancton, pouvaient
avoir une forte interaction avec des perturbations climatiques régionales et même globales.
IV-1 La biosphère acteur de rétroactions climatiques positives
En 1975, le météorologue américain très connu du MIT, Jule Charney formula l’hypothèse que les activités
humaines contribuaient à changer le couvert végétal et pouvaient induire des changements
climatiques, au moins locaux.
Il appliqua ce concept en Afrique à la sécheresse du
Sahel qui, depuis les années 1950, s’intensifiait et
s’étendait au sud à la lisière de la savane et de la forêt
tropicale. Dans un article resté célèbre et longtemps
cité, il montra, à l’aide d’un modèle simple, qu’un
processus de rétroaction positif entre l’exploitation
excessive de la savane sous la pression d’une
démographie en croissance rapide, et les
modifications de l’albedo d’un sol devenu nu, pouvait
expliquer l’extension de la sécheresse et l’avancée de
la désertification. C’était la première fois qu’un
phénomène climatique précis, d’extension cependant
locale et limité dans le temps à quelques décennies,
était expliqué par une implication majeure de la
biosphère et de l’homme.
En effet longtemps on considéra que la biosphère réagissait seulement passivement aux changements
environnementaux et climatiques. Pourtant, à l’inverse, le monde vivant joue un rôle sur la composition
chimique de l’atmosphère et le climat et il est à l’origine même de notre atmosphère.
La vie sur Terre a façonné la composition chimique de son atmosphère qui demeure très différente de celles
des autres planètes du système solaire.
L’azote est le résultat de l’activité bactérienne des sols.
L’oxygène est produit par la photosynthèse des plantes et du phytoplancton marin.
Les milieux terrestres : forêts, océans, et les êtres vivants qui les peuplent, ont absorbé le gaz
carbonique originel qui encombrait la presque totalité de l’atmosphère de la planète primitive, soumise
à un intense effet de serre.
Actuellement on sait que ces enveloppes vivantes continentales et océaniques continuent de participer à la
régulation du cycle du carbone soumis à un nouvel acteur appartenant aussi à la biosphère : l’homme luimême.
Mais jusqu’aux années 1960-70 le rôle possible des milieux vivants planétaires sur le climat était presque
totalement ignoré à l’exception des suggestions de quelques océanographes géochimistes, comme Roger
Revelle et Hans Suess. Ils considéraient la photosynthèse opérée par le phytoplancton marin comme un
mécanisme de réabsorption du gaz carbonique susceptible de jouer un rôle dans la régulation des émissions
humaines atmosphériques.
Ce sont donc des communautés scientifiques distinctes, appartenant aux sciences de l’océan, à la
géologie et aux sciences agro-forestières, qui s’intéressèrent, bien que marginalement au début, au
rôle possible des milieux vivants sur le maintien du climat et son éventuel changement.
Ainsi les géologues cherchaient toujours désespérément des explications aux oscillations régulières
glaciaires-interglaciaires et toutes les hypothèses étaient passées en revue. Si l’incidence de phénomènes
astronomiques modifiant la quantité d’énergie solaire reçue par la Terre, avec une période principale voisine
de 100 000 ans comme l’avait suggéré Milankovitch et aussi avant lui Croll commençait à être admise, la
façon dont cette faible impulsion (quelques %) pouvait générer un phénomène climatique d’une telle
amplitude n’était toujours pas bien comprise.
Parmi les «rétroactions» explicatives possibles, celle passant par le changement d’albedo des surfaces
englacées réduisant la quantité d’énergie reçue du Soleil et accentuant le refroidissement, était la plus
fréquemment avancée.
Mais le rôle de la biosphère était aussi invoqué : des retraits ou des avancées de la forêt boréale
consécutifs aux englacements ou aux déglacements des régions arctiques modifieraient les flux
d’échanges de gaz carbonique entre le réservoir biologique (forestier) continental et l’atmosphère, ce
qui influerait sur l’effet de serre et amplifierait le signal astronomique à l’origine des alternances
glaciaires interglaciaires…
Ces idées audacieuses, en avance sur l’époque et confirmées plus tard, émergèrent dès la fin des années
1960.
IV-2 La biosphère pilote le cycle du carbone dans le climat
Ces scenarios demeuraient cependant hautement spéculatifs jusqu’à ce que, dans les années 1970, la
question du cycle du carbone et de son rôle dans l’environnement planétaire attire l’attention de scientifiques
appartenant à plusieurs domaines des sciences de l’environnement :
•
•
•
•
•
géologues,
météorologues,
océanographes,
glaciologues,
paléoclimatologues…
favorisant ainsi une convergence de disciplines, originellement assez éloignées les unes des autres, mais
qui bientôt débouchèrent conjointement sur la question climatique.
Le principal artisan de cette convergence d’intérêt scientifique autour du cycle du carbone, reprenant
certaines idées exprimées à la fin du XIXème siècle par le géologue américain Thomas Chamberlin, est un
météorologue suédois, Bert Bolin, figure de proue la plus représentative de ce courant de pensée et qui
opéra autour de lui un rassemblement de compétences pour l’étude quantitative du cycle du carbone sur
Terre. Il devint par la suite l’un des principaux acteurs de la prise de conscience de la question climatique et
l’un des pionniers de l’organisation internationale de son étude. Il fut entre autre l’un des fondateurs et le
premier président du GIEC, après avoir été le président du GARP «Global Atmospheric Research
Program»).
Bert Bolin donna des estimations plus
précises des différents réservoirs de
carbone de la planète et des flux entre
ces réservoirs. S’appuyant sur les
observations de Charles Keeling,
montrant la croissance inexorable de la
teneur en gaz carbonique de
l’atmosphère, il remarqua que près de
la moitié des émissions humaines
de gaz carbonique que l’on pouvait
déterminer avec précision ne se
retrouvaient
pas
dans
l’accroissement
du
réservoir
atmosphérique observé par Keeling.
L’océan et la biosphère continentale
devaient donc ajuster leurs flux
d’échange avec l’atmosphère pour
réabsorber cette partie manquante
dans le bilan de carbone de
l’atmosphère.
Au cours de la conférence de Stockholm sur les bases physiques du climat en 1974, évoquée
antérieurement, il suggéra de mettre sur pied rapidement un modèle numérique du cycle du carbone avec
l’objectif d’une formulation quantitative de la chimie de l’océan à mettre en relation avec la circulation
océanique telle qu’on la connaît aujourd’hui ou telle qu’elle a pu exister dans le passé. Cette chimie
quantitative de l’océan passait par le carbone et était bien évidement considérée comme largement tributaire
du milieu vivant qui l’habitait. Mais Bert Bolin ne négligeait pas pour autant le rôle de la biosphère
continentale. À ces divers titres il fut plus tard l’inspirateur de programmes internationaux de recherche
fondamentale sur les rapports entre la biosphère et la géosphère, tels que l'«International Geosphere
Biosphere Program - IGBP» créé en 1987 et le «Joint Global Ocean Flux Study - JGOFS» créé en 1989,
dont on reparlera plus loin.
V - La mémoire de la glace
Les immenses territoires englacés des hautes
latitudes ont très tôt fasciné et attiré les
hommes en dépit de l’hostilité des conditions
météorologiques extrêmes qui les affectent. Il
fallut cependant attendre le XIXème siècle pour
que des expéditions cherchant à atteindre les
pôles, souvent héroïques et parfois tragiques,
apportent une certaine connaissance de ces
régions (Fridtjof Wedel-Jarlsberg Nansen).
Mais les premières études scientifiques
sérieuses orientées vers la connaissance du
passé de ces territoires glacés, datent
seulement des années 1950. Les débuts
pionniers de cette conquête scientifique sont à
mettre au crédit de trois équipes au monde qui
s’investirent sur trois sites différents :
• une
association
de
Norvégiens,
Britanniques et Suédois en Antarctique
(1949-1952),
• des Américains dans l’Alaska (1949-1950)
• et des Français, rassemblés dans une institution appelée «Expéditions Polaires Françaises -EPF»,
au centre du Groenland (1950-1951).
Ces équipes de pionniers, autant explorateurs que savants, avaient, au début, des ambitions scientifiques
modestes ; ils réussirent néanmoins à forer des carottes de plusieurs dizaines de mètres pour prendre en
compte quelques paramètres physiques simples comme :
• le volume des précipitations annuelles,
• la densité de la glace
• ou la composition chimique de débris divers incluant des strates de cendres volcaniques.
V-1 Géologues et Glaciologues découvrent les climats glaciaires anciens
Ces prémices scientifiques ont marqué le retour en force de la glaciologie sur le devant de la scène,
discipline qui avait déjà un passé dans le domaine du climat. Appartenant à la fois à la géographie et à la
géologie, la glaciologie avait, depuis le XVIIIème siècle, une histoire et des succès dans :
• la description,
• la cartographie et les mouvements,
• la dynamique,
des glaciers d’altitude.
Des personnalités comme Louis Agassiz qui avaient parcouru les glaciers alpins pendant des décennies
avaient émis des hypothèses hardies sur les phénomènes qui pouvaient expliquer le transport des énormes
blocs détritiques parsemant les vallées loin du front actuel de la glace.
Mais cette glaciologie descriptive était encore éloignée des évaluations quantitatives, nécessitant
des mesures physico-chimiques de la glace elle-même, qui auraient pu permettre de faire le lien avec
les climats passés.
Il existait cependant des géologues qui s’étaient intéressés de près à ces phénomènes d’extensions
glaciaires, d’échelles globales ou régionales et de leur relation possible avec le climat. Le modelé de
certains paysages ainsi que les éléments détritiques trouvés en des lieux insolites suggéraient que depuis
des centaines de millions d’années la Terre avait pu connaitre plusieurs périodes où elle avait été
partiellement, voire totalement, recouverte de glace. Mais c’est la période quaternaire et le dernier million
d’années, marqué par les avancées et les retraits d’un immense inlandsis couvrant une grande partie de
l’hémisphère nord jusqu’à 45 °- 50 °N, Europe, Amér ique et Atlantique du nord compris, qui les excitaient le
plus.
Ces traces d’oscillations climatiques plus récentes, à l’échelle des centaines de millénaires, faisant
alterner des périodes glaciaires froides et des interglaciaires plus chauds, appelaient des
explications. Ils en proposèrent beaucoup comme on l’a vu précédemment jusqu’à ce que Milutin
Milankovitch, dont on reparlera encore plus loin, reprenant les intuitions d’un français, Joseph Adhémar,
exprimées en 1842 et reformulés ensuite en 1875 par un Ecossais, James Croll, avançât une explication
qui suscita en son temps beaucoup de débats et aussi de scepticisme comme on l’a déjà évoqué.
Dans les années 1940, Milankovitch,
après trente années de calcul laborieux à
partir des données astronomiques les plus
précises du moment sur les mouvements
de la Terre par rapport au Soleil, émit
l’hypothèse que les périodes glaciaires
pouvaient
être
causées
par
un
affaiblissement du flux radiatif solaire reçu
par la Terre dans les hautes latitudes
durant l’été, freinant ainsi la fonte
saisonnière des surfaces enneigées de
l’hémisphère nord qui réfléchissaient une
fraction plus importante de rayonnement.
Cette réflexion, réduisant le flux radiatif
absorbé par le sol, diminuait sa
température favorisant l’extension de
l’englacement et engendrant ainsi une
rétroaction positive qui favorisait le
basculement vers l’épisode glaciaire. Le
flux radiatif solaire varie selon la position
de la Terre par rapport au Soleil avec une
période principale voisine de 100 000 ans.
On avait donc une explication de ces oscillations climatiques en invoquant une cause astronomique.
Mais ce n’était qu’une hypothèse, les observations susceptibles de la confirmer manquaient. Elles
vinrent en partie, dans les années 1970, de l’analyse de carottes de sédiments marins ainsi que de
carottes de glace prélevées dans les profondeurs des calottes polaires.
V-2 L’étude des glaces polaires confirme la relation entre composition chimique de
l’atmosphère et climat
L’idée d’étudier les glaces des continents Arctique (Groenland) et Antarctique fit son chemin à la fin des
années 1950 ; l’"Année Géophysique Internationale AGI" en 1957-1958, qui était une extension de la troisième
année polaire internationale, fut une excellente occasion
de poursuivre la conquête scientifique amorcée par les
équipes pionnières, citées précédemment, qui s’étaient
établies en Antarctique, dans l’Alaska et au Groenland au
début des années 1950. L’AGI relança l’intérêt pour les
régions polaires et suscita un immense effort amenant
plus de douze nations à participer à cette aventure de
conquête scientifique des pôles. L’ambition était
maintenant de forer des carottes le plus profondément possible pour atteindre la glace la plus
ancienne.
Plusieurs stations furent implantées au Groenland et sur l’inlandsis antarctique.
Les américains furent les premiers à réaliser et à tester des carottiers de grands diamètres (10 cm) au
Groenland avant d’ouvrir une station d’observation au pôle sud.
Les soviétiques s’installèrent à Vostock près du pôle du froid,
les anglais sur la Terre de la reine Maud
et les français en Terre Adélie.
Ce fut le début de l’étude des archives glaciaires qui apportèrent une dimension nouvelle à la «théorie
astronomique», comme on l’appelait, issue des calculs de Milankovitch. Ces observations permettaient
d’établir un lien étroit entre la composition chimique de l’atmosphère et le climat de la Terre à l’échelle des
dernières centaines de milliers d’années.
La petite histoire raconte que c’est Claude
Lorius, un scientifique français, qui en
regardant fondre dans son whisky un morceau
de glace prélevé dans les profondeurs de
l’inlandsis antarctique et observant le
pétillement de bulles d’air vieilles de plusieurs
dizaines de milliers d’années, eut l’intuition
qu’analyser la composition chimique d’un air
aussi vieux pouvait avoir un intérêt scientifique
et peut-être renseigner sur le climat de
l’époque où ces bulles avaient été
emprisonnées.
Mais avant de pouvoir faire ces analyses il
fallait posséder de la «vieille» glace et donc la
prélever le plus profondément possible,
jusqu’au socle rocheux si possible.
Pour avoir accès à ces archives lointaines
dans le temps, plusieurs nations, au cours des
années
1960-1980,
organisèrent
des
campagnes et aménagèrent des sites
favorables pour des forages au Groenland et en Antarctique dans le prolongement des implantations de
l’Année Géophysique Internationale.
C’est donc à la suite de cette Année Géophysique Internationale en 1957-1958, que les américains du
"Cold Regional Research and Engeneering Laboratory CRREL" dirigés par Chester Langway s’installèrent, au
début des années 1960, dans une station militaire, «Camp
Century», près de Thulé au Groenland. Associés à l’équipe
danoise de Willy Dansgaard, ils réalisèrent en 1966 le
premier carottage profond atteignant le socle rocheux à 1390
mètres de profondeur. Les carottages de «Camp Century»
restent célèbres car, pour la première fois, les analyses de la
composition isotopique de l’oxygène contenu dans les bulles
d’air de la glace près du socle rocheux, réalisées par l’équipe
de Willy Dansgaard à Copenhague, apportaient un résultat
sensationnel, à savoir que à partir de 1300 mètres de
profondeur les échantillons étaient plus pauvres en
oxygène 18, ils correspondaient donc à des températures
plus froides ; ce qui indiquait qu’on avait atteint la dernière
glaciation ; on disposait donc d’une série temporelle complète
couvrant la phase de réchauffement du cycle actuel, les
15 000 à 18 000 ans de la dernière glaciation à nos jours.
Forts de ce succès, les américains du CRREL s’attaquèrent
alors à l’Antarctique et mirent sur pied un site de carottage
sur la calotte occidentale de l’antarctique, la «station Byrd»,
où, en 1968, ils forèrent aussi jusqu’au socle, atteignant des
niveaux vieux de 80 000 ans. Ils durent cependant faire
face à des problèmes techniques, perdirent un carottier et
furent contraints d’attendre 1993 pour réaliser un nouveau
forage profond.
Une équipe suisse de l’Université de Berne, sous la direction du physicien Hans Oeschger, participa aussi à
plusieurs campagnes de carottage au Groenland et en Antarctique en coopération avec les américains. Mais
cette équipe se signala surtout par la mise au point de méthodes d’analyse de faible radioactivité pour le
tritium et le carbone 14, permettant ainsi une datation précise des niveaux le long des carottes étudiées.
Enfin les français, sous la bannière des «Expéditions Polaires Françaises - EPF» fondées par Paul-Emile
Victor en 1947, portèrent leur effort sur l’Antarctique à partir de 1957, dans le cadre de l’Année
Géophysique Internationale. Installés en Terre Adélie dans la base côtière de Dumont d’Urville Ils
mèneront des expéditions plus au sud et en altitude jusqu’à 2400 mètres. A cette époque ils se contentaient
de mesurer les épaisseurs de la glace, indicateur du volume des précipitations, et ses propriétés en surface
à l’aide de premiers sondages de faibles profondeurs. Claude Lorius participa à ces expéditions pour
lesquelles le climat n’était encore qu’une préoccupation scientifique mineure parmi d’autres. C’est aussi à
cette époque que lui vint l’idée (toujours en regardant fondre des glaçons millénaires dans son whisky) que
la mesure des isotopes de l’eau était peut-être un outil puissant pour reconstituer les climats, notamment les
températures, en régions polaires. Il décida alors de devenir géochimiste et pour étendre sa collection de
«glaçons» il participa à tous les raids qui sillonnèrent la Terre Adélie et la Terre Victoria, collectant de
nombreux échantillons jusqu’à ce que, à la fin des années 1960, deux forages d’une centaine de mètres de
profondeur soient enfin réalisés dans la zone côtière de la Terre Adélie lui permettant de commencer à
explorer la géochimie de la glace profonde et des temps plus anciens.
V-3 Des disciplines scientifiques convergent et s’associent pour étudier les
oscillations climatiques du quaternaire
L’analyse des glaces extraites des carottes prélevées dans l’Antarctique et des bulles d’air qu’elles
contenaient ouvrait des perspectives enthousiasmantes permettant d’espérer connaitre certaines
caractéristiques des climats passés notamment ceux des dernières oscillations glaciaires ; mais ces
travaux pour être couronnés de succès nécessitaient un rapprochement des glaciologues avec les
géochimistes et divers autres spécialistes d’éléments traces comme ceux classés dans la catégorie des
éléments à «faibles radioactivités» ou comptant des isotopes rares.
Parmi les français, une première convergence de discipline et de personnalités scientifiques, entre
«isotopistes» et «glaciologues», se cristallisa autour de Claude Lorius. Les «isotopistes» appartenaient
au "Laboratoire de Géochimie Isotopique - LGI" du CEA à Saclay qu’avaient rejoint Jean Jouzel et
Dominique Raynaud pour y préparer leurs thèses sur des applications possibles de l’analyse isotopique à
des paramètres climatologiques.
Mais il existait aussi un "Centre des Faibles Radioactivités - CFR à Gif sur Yvette, laboratoire commun du
CEA et du CNRS, dirigé par un scientifique de renom, Jacques Labeyrie, précurseur de la question
climatique. La compétence de ce laboratoire dans l’analyse des éléments à faible radioactivité pouvait servir
à la reconstitution des climats passés.
Les glaciologues, de leur coté, étaient issus du "Laboratoire de Glaciologie de Grenoble - LGG du CNRS
auquel Claude Lorius restait fidèle tout en étant très proche des «géochimistes» et des «isotopistes» du
CEA à Saclay.
Ce qui fut très heureux c’est que les directeurs de ces trois laboratoires, qui appartenaient pourtant à des
organismes différents, furent rapidement convaincus que la piste scientifique ouverte par l’analyse chimique
et isotopique d’échantillons de glaces anciennes fournies par les glaciologues pour reconstituer des
paramètres climatiques était très sérieuse et porteuse d’avenir.
Ils décidèrent donc de s’associer pour proposer de réaliser un forage profond au site dit du «Dôme
C» au cœur du continent Antarctique à plus de 1000 kilomètres de la base côtière de Dumont
d’Urville. C’était une convergence remarquable de disciplines scientifiques qui s’assemblaient
comme
les
pièces
d’un
puzzle
poussées
par
l’attrait
de
l’objectif
climatique.
Le premier forage réalisé au Dôme C, en 1978, fut un succès grâce à l’audacieuse et tenace initiative des
équipes françaises qui ne disposaient pourtant que de moyens relativement limités. Mais elles bénéficièrent
d’un soutien international sans faille de la part des équipes américaines et de leurs associés suisses de la
station « Byrd » autour de Hans Oeschger.
Bien que concurrentes sur le plan scientifique, les équipes américaines, à l’aide de leurs avions militaires
C 130, assurèrent un soutien logistique indispensable pour mettre au point un système de carottage
thermique nécessitant le transport d’équipements lourds de plusieurs dizaines de tonnes.
En 1978, en moins de deux mois, le forage atteint une profondeur de 900 mètres ce qui représentait 40
000 ans d’archives climatiques et l’accession au cœur de la dernière glaciation. Les français entraient
ainsi dans le cercle fermé des nations ayant réussi un forage profond dans les régions polaires. La glace fut
ramenée dans les laboratoires de Saclay et d’Orsay, tandis que Dominique Raynaud, avec d’autres, mettait
au point une méthode d’extraction des bulles contenues dans cette glace permettant de les analyser et de
déterminer avec une grande précision sa concentration en gaz carbonique.
Ces travaux offrirent aux français, associés aux Suisses et aux Américains de «Byrd», une découverte de
grande portée. Les concentrations en gaz carbonique des échantillons du fond, correspondants à la
dernière période glaciaire, étaient inférieures de 30 % à celles de la période préindustrielle récente
enregistrées dans les couches supérieures. Par ailleurs les rapports isotopiques indiquaient des
températures plus basses d’une dizaine de degrés.
Pour la première fois on mettait en évidence sur un cycle glaciaire-interglaciaire complet une corrélation
entre la température et le contenu en gaz carbonique de l’atmosphère de l’époque, ce qui confirmait les
hypothèses de Svante Arrhenius un siècle plus tôt ! Ce résultat fut un grand moment pour la recherche
française !
Mais d’autres climatologues du passé qui s’appellent maintenant des «paléoclimatologues» étaient aussi
impliqués dans la reconstitution des climats passés en pratiquant des carottages, non pas dans la glace
cette fois, mais dans des sédiments marins ou continentaux comme ceux des lacs. Pour les sédiments des
profondeurs marines ce sont des «paléocéanographes», comme s’appellent maintenant les
sédimentologues marins qui tentent de reconstituer les caractéristiques des océans du passé et leur
circulation. Il existe toujours aussi des géologues du quaternaire également engagés dans la reconstitution
des climats anciens. Ces paléoclimatologues et paléocéanographes possédaient toujours dans les
années 1960-70 un avantage décisif sur les glaciologues, c’était celui de pouvoir remonter le temps sur des
périodes beaucoup plus longues, permettant ainsi de couvrir plusieurs cycles climatiques glaciaireinterglaciaires ; ce que les glaciologues ne pourront faire que plus tard, au cours des années 1980, comme
nous le verrons plus loin. Les paléocéanographes, apportaient des observations et des idées nouvelles de
grande valeur sur les climats du passé que, pour le moment, les glaciologues ne pouvaient que corroborer.
VI - Paléoclimatologie marine et continentale
(Ce chapitre est largement inspiré de l’ouvrage de Jean-Claude Duplessis : Quand l’océan se fâche. Edition Odile Jacob. 1996.)
On a déjà beaucoup insisté sur l’intérêt passionné des géologues pour les observations suggérant
l’existence passée de glaciations ayant affectées la surface de la Terre. Mais les observations de surface ne
permettent pas d’établir une chronologie de l’état thermique de la planète et des climats qui y ont régné. En
effet, les avancées des glaciers effacent les traces de ce qui s’est passé auparavant. Comme pour les
glaciologues, ce sont les nouvelles techniques de carottage des sédiments, du fond des océans cette
fois, qui furent décisives dans la connaissance des climats passés de la Terre. Il y eut d’abord le navire
foreur américain «Glomar Challenger», initialement dédié à l’étude de la dérive des continents (tectonique
des plaques), qui remplaça son système de forage rotatif par un système hydraulique permettant d’enfoncer
le tube de carottage en force sans mélanger les sédiments.
Puis d’autres navires de recherche océanographiques furent équipés de
systèmes de carottage similaires, initialement inspirés d’une technique
mise au point par un Danois, et qui hérita de son nom, le carottier
Kullenberg. Un navire français : le «Marion Dufresne», fut équipé de ce
type de carottier et le perfectionna pour obtenir des carottes d’une
longueur de plus de 50 mètres représentant parfois des enregistrements
de plusieurs millions d’années. Bientôt les principaux bassins de l’océan
mondial furent échantillonnés. Et, bien qu’il n’existât qu’une vingtaine de
sites de plein océan, dans lesquels les sédiments aient pu être
conservés et analysés, une histoire de la Terre, de sa température et de
son climat, a pu être dressée en remontant jusqu’à l’époque de leur
enfouissement dans les zones de subduction ; c'est-à-dire environ 80
millions d’années correspondant au début de l’étage géologique du
crétacé. Cette reconstruction climatique à partir des sédiments concerne
principalement la température qui, comme pour la glace, peut être
18
16
déduite des rapports isotopiques ( O/ O) de l’oxygène, mais aussi des
changements de populations d’animaux benthiques, notamment des
foraminifères.
VI-1 La paléoclimatologie valide la théorie astronomique de Milankovitch
C’est la période récente
du
dernier
million
d’années
qui
a
particulièrement
intéressé
les
paléoclimatologues
continentaux
et
les
paléocéanographes
pour
expliquer
l’alternance des périodes
glaciaires
et
interglaciaires. Le résultat
le plus remarquable,
évoqué
précédemment
est à attribuer à un trio
américains, Hay, Imbry
et Shackleton qui en
1976
présentèrent
l’analyse
de
deux
carottes de l’océan Indien,
recouvrant l’ensemble du dernier cycle glaciaire, dans lesquelles ils avaient mesuré plusieurs paramètres
18
16
différents en relation avec le climat, notamment les variations du rapport O/ O dans les foraminifères , les
teneurs en carbonates qui reflétaient l’abondance des organismes à coquilles calcaires, et les variations des
populations de foraminifères elles-mêmes, certains ayant des affinités connues pour des intervalles de
températures précis. L’évolution de ces paramètres était cohérente en conformité avec la théorie
astronomique de Milankovitch, malheureusement décédé depuis vingt ans.
Pour la valider définitivement il restait cependant à vérifier que la théorie astronomique expliquait
toutes les oscillations climatiques du quaternaire. Une carotte recouvrant presque six millions d’années
et donc la totalité du quaternaire (900 000 à un million d’années) ainsi que la transition avec les périodes
antérieures où commença la glaciation de l’hémisphère nord, fut réalisée dans une région stable de l’océan
équatorial Pacifique. L’analyse isotopique permit à l’équipe de Nicolas Shakleton de reconstituer les
variations du volume des glaces continentales au cours de ces derniers six millions d’années. Plusieurs
régimes climatiques furent mis en évidence montrant les avancées et les reculs des glaciers de l’antarctique
et de l’arctique. Le résultat le plus remarquable fut de montrer qu’à partir du moment où la calotte glaciaire
s’installa au pôle nord, les oscillations gagnèrent en amplitude pour atteindre, il y a environ 900 000 ans, le
régime des alternances climatiques qu’a connu l’humanité avec des oscillations d’amplitudes voisines de
15°C et selon des périodicités conformes aux calcul s de Milankovitch dont la théorie se trouvait ainsi
définitivement validée.
VII - Astronomie et physique stellaire
L’intensité du rayonnement solaire atteignant la Terre dépend de deux facteurs :
• la position et l’orientation de la Terre par rapport au Soleil, c’est un facteur astronomique
• l’intensité de l’émission solaire, appelée improprement la constante solaire, c’est un facteur
qui relève de la physique du Soleil.
Ces deux facteurs sont variables dans le temps depuis les échelles géologiques jusqu’aux échelles
beaucoup plus courtes du millier d’années à quelques années.
VII-1 Les variations de la position de la Terre par rapport au Soleil font entrer
l’astronomie dans le climat
On a déjà abondamment évoqué la théorie de Milankovitch qui relie l’alternance des épisodes glaciaires et
interglaciaires plus chauds de la période quaternaire à des paramètres astronomiques faisant varier la
distance et l’orientation de la Terre par rapport au Soleil. Mais regardons plus en détail ces paramètres.
On distingue trois variables astronomiques principales qui font varier l’énergie solaire totale, reçue en tous
points de la Terre :
i.L’excentricité de l’ellipse que décrit la Terre
dans sa rotation autour du Soleil qui passe
d’un cercle (excentricité nulle) à une excentricité
de 7% et qui fait varier ainsi la distance
moyenne Terre Soleil et donc l’énergie solaire
reçue selon une période voisine de 100 000 ans.
ii.L’inclinaison, par rapport au plan de
l’écliptique, de l’axe de rotation de la Terre
sur elle-même (qui est actuellement de 23° 27’)
et qui peut varier de + ou – 1° 30’ au cours du
temps avec une périodicité de 41 000 ans. Cela
modifie la répartition en latitude de l’énergie
reçue du soleil. Plus l’axe est incliné, plus les
étés sont chauds, en particulier aux hautes
latitudes où les jours sont longs. Inversement,
moins il est incliné, plus les étés sont frais.
iii.La précession des équinoxes, qui entraine
une rotation de l’axe de la Terre autour de la
perpendiculaire au plan de l’écliptique, comme
une toupie, avec une périodicité de 22 000 ans.
Il en résulte que le périhélie (point où la Terre
est au plus près du soleil) et l’aphélie (point où
elle en est le plus éloignée) se situent à des
saisons variables. Actuellement le périhélie est
proche du solstice d’hiver (2 janvier 2013) et
l’aphélie du solstice d’été (5 juillet 2013). Ce sera l’inverse dans 11 000 ans. Ceci conduit tous les 11
000 ans, soit à une situation favorable à la fusion de calottes glaciaires aux hautes latitudes de
l’hémisphère nord. (étés chauds) soit à une situation favorable à la croissance de ces calottes (été
frais).
A partir des données fournies par les astronomes du début du XXème siècle, Milankovitch a calculé, à la
main, les faibles variations (quelques %), du flux solaire reçu à 65°N en été en fonction de ces param ètres
astronomiques . C’est un travail gigantesque à l’issue duquel il a conclu que les glaciations de l’ère
quaternaire pouvaient résulter de conjonctions astronomiques soumettant les hautes latitudes de
l’hémisphère nord à des étés moins chaud, freinant ainsi la fonte saisonnière des surfaces englacées et
générant via l’augmentation de l’albédo de la Terre une rétroaction positive favorisant l’extension des glaces.
Milankovitch travailla 30 ans sur cette question et publia ses résultats et son hypothèse audacieuse en
1941. On sait ce qu’il en advint, le scepticisme qu’il suscita en l’absence d’observations factuelles permettant
de vérifier ses dires.
Il fallut attendre encore 30 années supplémentaires pour que les paléoclimatologues et les glaciologues
extraient de leurs carottes de sédiments et de glaces des séries temporelles décrivant les climats passés sur
de longues périodes, en recouvrant plusieurs épisodes glaciaires. Ils apportèrent une éclatante confirmation
expérimentale à sa théorie (Voir paragraphe précédent les résultats de Schakleton et de ses collaborateurs).
On aboutissait donc à une nouvelle remarquable convergence de disciplines avec deux pièces du puzzle
qui venaient s’emboiter ; d’un coté des paléoclimatologues et des glaciologues déjà réunis apportant
des données observées et de l’autre coté des physiciens-théoriciens, venant de l’astronomie,
appartenant donc à un domaine d’un autre niveau dans la hiérarchie des sciences de l’Univers et
apportant des fondements théoriques.
Les pièces du puzzle s’emboitèrent encore mieux après qu’un autre astronome, devenu climatologue, André
Berger, ne développe, à la fin des années 1980, un modèle couplant l’atmosphère, l’océan et la
cryosphère et, prenant en compte les variations, calculées, d’insolation de la Terre, put reproduire
correctement l’évolution du climat au cours du dernier cycle glaciaire-interglaciaire. Il se livra même à
une prévision pour le futur. En l’absence de toute perturbation anthropique ou cataclysmique, comme des
épisodes d’éruptions volcaniques massives ou des
rencontres avec des astéroïdes, André Berger nous dit :
«le modèle basé sur la théorie astronomique prévoit que
le refroidissement commencé il y a 6 000 ans se
poursuivra encore 5 000 ans avant que le climat ne se
réchauffe légèrement pour plonger ensuite vers des
conditions glaciaires d’ici 60 000 ans environ ».
C’est dire la confiance accordée à cette théorie qui sembla
régler définitivement la question des causes des alternances
glaciaires-interglaciaires, au moins celles du quaternaire.
VII-2 Les variations de la «constante solaire» entrainent aussi la physique stellaire
dans le climat
Mais la théorie astronomique n’épuise pas le sujet de l’influence possible du rayonnement solaire sur le
climat. L’émission solaire atteignant actuellement la sphère terrestre, encore appelée irradiance totale
pour tenir compte de toutes les fréquences du spectre électromagnétique émis, est actuellement de
2
-2
1 368 Watts par m (Wm ).
C’est la «constante solaire», mal nommée puisqu’elle varie. La surface terrestre étant une demi-sphère
2
offerte aux rayons solaires, il faut diviser ce chiffre par 4, rapport entre la surface de la sphère (4Πr ) et celle
2
-2
du grand cercle (Πr ) terrestres, soit 342 Wm , pour obtenir le flux solaire moyen frappant une unité de
surface de la Terre au sommet de l’atmosphère. La constante solaire est en fait variable de la seconde au
milliard d’années, mais elle n’est mesurée, avec de grandes difficultés, que depuis les années 1970, époque
où des radiomètres ont pu s’affranchir de l’atmosphère, en étant placés sur des plateformes spatiales bien
au dessus de cette atmosphère.
Les variations du rayonnement solaire ont été très tôt suspectées d’avoir une influence sur le climat, avant
même de pouvoir être mesurées directement. Des estimations indirectes de l’intensité du rayonnement
solaire étaient fournies depuis longtemps par des observations du nombre et de l’étendue de taches visibles
à la surface du Soleil, les fameuses «taches solaires». Ces observations empiriques avaient montré que
l’apparition de ces taches variait suivant des cycles de 11 ans, et de 22 ans en rapport avec le renversement
du champ magnétique solaire associé ; mais des évolutions à plus longs termes étaient également
observées.
On chercha à corréler ces variations du Soleil avec de nombreux événements de la vie humaine :
• abondance des récoltes,
• date des vendanges,
• données météorologiques diverses …etc.
Ces recherches de corrélations n’ont pas totalement convaincu, notamment en ce qui concerne les relations
supposées cycliques de la présence de taches avec des paramètres météorologiques comme la
température de l’air, ce qui donna lieu à des débats scientifiques parfois animés.
Cependant les variations à plus long terme du
nombre de ces taches solaires furent mises en
relation avec des événements climatiques.
C’est ainsi qu’en 1890 un astronome
britannique, Walter Maunder, prétendit que le
refroidissement observé au 17ème siècle au
cœur du petit âge glaciaire était lié à l’absence
de taches solaires pendant toute cette période.
Son hypothèse ne fut pas prise au sérieux par
ses pairs de l’époque, mais néanmoins il laissa
son nom à cette longue période de quasi
absence de taches solaires, remarquée par les astronomes entre 1645 et 1715.
Dans les années 1960, des experts de la datation au carbone 14, notamment Minze Stuiver et Hans Suess,
avaient noté des anomalies dans leurs analyses des cernes des arbres très anciens. Ils observaient des
variations cycliques parasites inexpliquées du carbone 14 sur de longues périodes qui brouillaient leurs
datations. Minze Stuiver, n’oubliant pas que le carbone 14 radioactif est généré par les rayons cosmiques,
et que l’abondance de ceux-ci au sol dépend du champ magnétique du Soleil, eut l’idée qu’il pouvait y avoir
une relation entre les enregistrements de carbone 14, et des variations du flux solaire. En 1965, Suess
chercha et trouva une corrélation entre la quasi absence de taches solaires durant l’épisode de Maunder et
une plus forte production de carbone radioactif par les rayons cosmiques, confirmant ainsi les intuitions de
Maunder.
Mais des sceptiques objectaient que corrélation n’est pas relation causale et qu’il fallait expliquer pourquoi et
comment les très faibles variations des rayons cosmiques et des taches solaires pouvaient avoir un effet sur
le climat, notamment la température. Le sujet agitait de plus en plus les cerveaux des climatologues, et en
1975, une expertise fut demandée à un météorologue américain, Robert Dickinson, par l’ «American
Meteorological Society». Celui-ci conclut, sans masquer son scepticisme de fond, que peut-être les
charges électriques des rayons cosmiques traversant l’atmosphère pouvaient affecter la formation de
gouttelettes autour de noyaux de condensation et modifier ainsi la nébulosité … etc. Personne n’était
vraiment convaincu que ce mécanisme particulier était le bon, mais il devenait scientifiquement plausible
que les taches solaires pouvaient avoir une influence sur le climat. Et de ce fait le sujet restait vivant
dans le monde de la recherche. Tellement vivant qu’en 1976 un physicien du soleil américain, John Eddy,
qui n’avait aucune culture dans les domaines de la climatologie ni dans celui de la mesure du carbone
radioactif, et qui venait de perdre son poste de chercheur au : «National Center for Atmospheric
Research - NCAR», décida, pour s’occuper, de regarder avec des yeux neufs cette question des taches
solaires et du climat avec l’opinion préconçue que tout ceci n’était pas sérieux et qu’il n’y avait aucune
relation scientifique solide entre les taches solaires et le climat.
Après avoir épluché toutes les données et les documents disponibles sur la question, incluant les plus
anciens, il arriva, à sa grande surprise, à la conclusion inverse et il démontra, données à l’appui, qu’il y avait
bien une corrélation et des relations de cause à effet entre les taches solaires, la teneur en carbone
radioactif des cernes des arbres, et la température. La rigueur de ses analyses statistiques convainquit
une majorité de chercheurs de cette communauté scientifique rattachée à la physique stellaire que son
travail avait de la valeur et …. John Eddy retrouva un job de chercheur !
Néanmoins le sujet est encore controversé et de grandes inconnues demeurent, notamment dans le rôle
possible de la partie haute fréquence (ultraviolette) du spectre de l’émission électromagnétique dont la
variabilité dans le temps peut atteindre plus de 100%, poussant les physiciens du Soleil à orienter une partie
de leurs recherches vers ces problèmes. C’est ainsi que la physique stellaire a rejoint la climatologie.
Une nouvelle pièce du puzzle, une des plus inattendues à l’origine, est venue prendre sa place sur le
canevas de la question climatique. A noter également que des «climato-sceptiques» tentent actuellement
avec acharnement de démontrer que ces variations de l’irradiance solaire expliquent les variations
climatiques observées au cours des derniers siècles et notamment le réchauffement global actuel qui,
d’après eux, ne serait pas dû à l’effet de serre engendré par les activités humaines.
Téléchargement