MAPAR 1998178
Jusqu’à une date récente, la lidocaïne n’avait pas fait l’objet d’une publicité comparable
à celle déclenchée par l’affaire Wooley et Roe. Pendant près de 50 ans, la lidocaïne a joui
d’une popularité extraordinaire en tant qu’anesthésique local de délai d’action rapide et
l’on considérait qu’elle représentait un standard pour les interventions chirurgicales courtes
sous rachianesthésie. Sa réputation était basée sur un profil de sécurité remarquable sans
aucune notification d’effets secondaires liés à une neurotoxicité potentielle ainsi que sur
les conclusions d’une grande étude prospective [3]. Depuis lors, selon une estimation
réaliste, la lidocaïne a fait preuve d’efficacité et d’innocuité chez environ 50 millions de
patients [4]. Il n’est donc pas surprenant que les publications traitant du problème de la
neurotoxicité des anesthésiques locaux en général et de la lidocaïne en particulier aient
été critiquées ou tout simplement rejetées en bloc.
2. NEUROTOXICITE DE LA LIDOCAINE : DONNEES EXPERIMENTALES
Les expériences menées en laboratoire afin d’évaluer la neurotoxicité des anesthésiques
locaux font appel à des modèles in vitro et in vivo. Dans un modèle in vitro utilisant la
méthode dite du « sucrose gap » pour évaluer le potentiel d’action global, l’exposition de
nerfs sciatiques de grenouille mis à nu à une solution de lidocaïne à 5 % en présence et en
l’absence de dextrose à 7,5 % a entraîné une perte de conduction complète et irréversible.
En comparaison, des nerfs exposés à de la lidocaïne à 1,5 % ont partiellement récupéré
puisqu’on objectivait un bloc résiduel de 25 % à 50 % après une période de « washout »
de 2 à 3 heures [5]. Dans ce modèle de nerf de grenouille, la lidocaïne a entraîné une
perte concentration-dépendante du potentiel d’action global apparaissant pour des
concentrations aussi faibles que 40 mM (ce qui correspondait à une solution de lidocaïne
à 1 %) devenant complète à 80 mM (solution de lidocaïne à 2 %) [6].
Dans un modèle in vivo chez le rat, l’injection dans l’espace sous-arachnoïdien de
lidocaïne à 5 % mélangée à du dextrose à 7,5 % a entraîné un déficit sensitif persistant
évalué par la latence de flexion de la queue [7] alors que l’on n’observait aucun déficit
sensitif lors de l’utilisation de bupivacaïne à 0,75 % dans du dextrose à 8,25 % ou de
tetracaïne à 0,5 % mélangée à du dextrose à 5 %. Dans un modèle similaire chez le rat, on
a mis en évidence des effets neurotoxiques (paralysie persistante et anomalies
anatomopathologiques) dose-dépendants suite à l’injection de lidocaïne à 1,5 % dans
l’espace sous-arachnoïdien [8]. Cependant, dans cette série de tests, l’incidence de la
paralysie ne variait pas selon les médicaments utilisés (lidocaïne à 1,5 %, bupivacaïne à
0,5 % et chlorprocaïne à 2 %), mais elle augmentait avec la durée d’exposition, c’est-à-
dire avec l’augmentation des doses cumulées.
On dispose de peu de données évaluant les effets des additifs sur le potentiel
neurotoxique de la lidocaïne. Dans un modèle expérimental chez le rat, la présence de
glucose à 7,5 % n’a pas affecté la capacité de la lidocaïne à 5 % à induire un déficit
sensitif persistant. Ceci vient étayer l’hypothèse que le potentiel neurotoxique est lié à
l’anesthésique local lui-même [9].
Les résultats d’une étude récente menée in vivo chez le rat suggèrent que le potentiel
neurotoxique de la lidocaïne ne résulte pas d’un bloc des canaux sodiques voltage-
dépendants [10]. L’administration dans l’espace sous-arachnoïdien d’anesthésiques locaux
courants (lidocaïne et bupivacaïne) à des concentrations dix fois supérieures à celles
permettant d’obtenir un bloc sensitif réversible a provoqué un déficit sensitif durable
tandis que la tétrotoxine, un inhibiteur de canaux sodiques hautement sélectif, n’entraînait