
En outre, si de nombreuses anomalies neuroendocriniennes ont été
décrites au cours des troubles psychiatriques, les méthodologies qui
sous-tendent de telles explorations sont loin d’être standardisées.
Ainsi, les résultats qui en découlent, parfois contradictoires, se
doivent d’être évalués de manière critique. Il est donc essentiel de
ne pas perdre de vue que les tests neuroendocriniens demeurent de
précieux outils d’investigation mis à la disposition du clinicien et
du chercheur, mais que leur pertinence dépend du contexte dans
lequel ils sont utilisés.
Explorations neuroendocriniennes
On peut rappeler par la métaphore de « fenêtre sur le cerveau » que
les explorations neuroendocriniennes représentent une vue
(indirecte) de l’activité du système limbique. De fait, les structures
limbiques (comme l’amygdale, le septum, l’hippocampe,
l’hypothalamus) sont impliquées dans le contrôle de l’appétit, du
goût, de l’odorat, de la libido, du sommeil, de l’activité
psychomotrice, des processus de récompense et de renforcement, de
plaisir, de motivation, de mémoire... autant de fonctions qui sont
perturbées dans la dépression caractérisée, surtout dans ses formes
sévères. Étant donné les liens qui existent entre le système limbique
et l’hypophyse, par l’intermédiaire de l’hypothalamus, il est logique
de faire l’hypothèse que les anomalies biologiques qui affectent
l’activité du système limbique produisent des anomalies
neuroendocriniennes, anomalies qui sont mesurables par des
méthodes de dosage de plus en plus performantes.
Schématiquement, les explorations neuroendocriniennes sont
applicables dans trois domaines : diagnostique, physiopathologique
et thérapeutique.
DANS LE DOMAINE DIAGNOSTIQUE
L’objectif est de mettre en évidence des perturbations susceptibles
de « marquer » le plus spécifiquement possible une affection donnée.
Ces marqueurs de trait ou d’état, c’est-à-dire respectivement de
vulnérabilité ou d’évolution, devraient être a priori plus fiables,
précis et reproductibles que les descriptions cliniques. En fait, en
l’absence d’« étalon or » dans le diagnostic clinique, les
performances de ces marqueurs sont le plus souvent modestes, et
variables d’un système de classification à l’autre. Il est donc
nécessaire de maintenir une approche pluridiagnostique dans les
études biologiques quand l’objectif est de valider l’homogénéité
d’entités cliniques de systèmes de classification différents (research
diagnostic criteria [RDC], diagnostic and statistical manual of mental
disorders IV [DSM IV], classification internationale des maladies
mentales 10 [CIM] 10).
DANS LE DOMAINE PHYSIOPATHOLOGIQUE
La plupart des hypothèses actuelles sont fondées sur des
présupposés pharmacologiques. Les explorations biologiques en
psychiatrie évaluent pour leur part un état fonctionnel, à un moment
donné de l’évolution de l’affection, qui résulte à la fois de processus
étiopathogéniques et de mécanismes compensatoires à visée
homéostasique. À l’évidence, aucune technique d’exploration ne
peut actuellement envisager, à elle seule, la complexité des processus
biologiques du système nerveux central (SNC). S’il est indéniable
que la stratégie neuroendocrinienne permet de caractériser les
dysfonctionnements hypothalamo-hypophysaires de certaines
entités cliniques – et, par des stimuli appropriés, d’étudier la
fonctionnalité de certains systèmes de neurotransmission – il paraît
souhaitable, afin de générer et de valider de nouvelles hypothèses
physiopathologiques, d’associer aux examens neuroendocriniens
d’autres approches (neurochimique, éléctroencéphalographique, de
biologie moléculaire, d’imagerie cérébrale, de spectroscopie par
résonance magnétique nucléaire [RMN], etc).
DANS LE DOMAINE THÉRAPEUTIQUE
Ce champ d’application est particulièrement prometteur, puisque de
nombreuses études ont déjà permis de définir, à partir de critères
biologiques, des profils prédictifs de bonne réponse à certains
traitements psychotropes, notamment normothymisants,
antidépresseurs ou antipsychotiques, de suivre l’évolution des
marqueurs parallèlement à la clinique, et d’étudier les mécanismes
d’action « in vivo » chez l’homme des psychotropes. À moyen terme,
on peut penser qu’il sera possible de rationaliser le choix des
chimiothérapies en tenant compte non seulement de l’état clinique
mais aussi de « l’état biologique », puisque celui-ci influence la
réponse thérapeutique.
En fonction de ces trois contextes – diagnostique, physio-
pathologique et thérapeutique – indissociables en pratique, il se peut
qu’une exploration soit pertinente dans un domaine (par exemple :
thérapeutique) et non dans un autre (par exemple : diagnostique).
Cet argument supplémentaire plaide pour l’utilisation, en
neuroendocrinologie psychiatrique, d’une batterie de tests
conjointement si possible avec d’autres techniques d’investigation.
Cette approche multivariée, si elle est souhaitable en théorie puisque
la pathogénie des troubles psychiatriques majeurs est
vraisemblablement multifactorielle, n’est pas sans soulever un
certain nombre de contraintes en pratique. Nous touchons là les
limites de ce type d’explorations, qui tiennent à des facteurs éthiques
et techniques, mais aussi économiques.
INVESTIGATIONS ENDOCRINIENNES EN PSYCHIATRIE
La plupart des investigations endocriniennes mentionnées dans le
tableau I concernent les troubles de l’humeur. Très peu de tests ont
été élaborés pour la schizophrénie ou d’autres pathologies
psychiatriques. Une minorité en fait sont d’une application clinique
courante, la plupart restent dans le cadre de la recherche et
nécessitent, avant une généralisation de leur utilisation, la
réplication de leurs résultats.
Nous avons fait le choix dans cet article de nous intéresser aux
investigations les plus utiles pour le clinicien. C’est la raison pour
laquelle nous envisagerons d’un point de vue pratique les
investigations des axes thyréotrope, corticotrope, mammotrope,
somatotrope, gonadotrope, et, regroupées dans un paragraphe, les
autres hormones – c’est-à-dire celles de la posthypophyse, de
l’épiphyse, des parathyroïdes (l’insuline faisant l’objet d’un autre
article) – puis nous envisagerons les stratégies permettant d’évaluer
la fonctionnalité des systèmes sérotoninergique et catécholaminer-
gique à l’aide de stimuli spécifiques.
Investigations de l’axe thyréotrope
La survenue de troubles mentaux, en particulier de l’humeur, au
cours des affections thyroïdiennes est connue depuis plus d’un
siècle. L’association fréquente entre dysthyroïdies (hyper- et
hypothyroïdies) et pathologies thymiques (uni- ou bipolaires) a
conduit logiquement à l’hypothèse que les hormones thyroïdiennes
pouvaient jouer un rôle dans la régulation de l’humeur, et donc être
impliquées dans la physiopathologie des troubles affectifs.
RAPPEL SUR LA RÉGULATION DU SYSTÈME
HYPOTHALAMO-HYPOPHYSO-THYROÏDIEN
L’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien (HHT), comme l’axe
corticotrope, somatotrope et gonadique est organisé de façon
hiérarchique. L’hormone thyréostimulante ou thyrotropin-releasing
hormone (TRH), un tripeptide, est sécrétée au niveau
hypothalamique par les neurones peptidergiques des noyaux
supraoptiques et paraventriculaires, et est contrôlée par différents
neuromédiateurs (fig 1). Via le système porte, la TRH gagne
l’hypophyse antérieure et se lie à des récepteurs membranaires au
niveau des cellules thyréotropes (qui constituent5à15%des
cellules de l’hypophyse) pour stimuler la synthèse et la libération de
la thyréostimuline (TSH) ; parallèlement, la TRH stimule une autre
hormone antéhypophysaire : la prolactine, en se liant aux récepteurs
des cellules lactotropes.
La TSH libérée dans la circulation générale va agir sur les cellules
folliculaires de la thyroïde, en se fixant à des récepteurs spécifiques
37-640-A-10 Endocrinologie et psychiatrie Psychiatrie
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