Troubles anxieux et dépressifs chez 4 425 patients consommateurs

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L’Encéphale,
33 :
2007, Janvier-Février
MÉMOIRE ORIGINAL
Troubles anxieux et dépressifs chez 4 425 patients consommateurs
de benzodiazépines au long cours en médecine générale
A. PÉLISSOLO
(1)
, F. MANIERE
(2)
, B. BOUTGES
(3)
, M. ALLOUCHE
(4)
, C. RICHARD-BERTHE
(5)
, E. CORRUBLE
(6)
(1) Service de Psychiatrie adulte et CNRS UMR 7593, AP-HP, Hôpital Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris.
(2) 64, rue de Rennes, 75006 Paris.
(3) 50, rue Tauzia et Université Bordeaux 2 Victor Segalen, 33800 Bordeaux.
(4) 91, rue Petit, 75019 Paris.
(5) Laboratoires GlaxoSmithKline, 100, route de Versailles, 78163 Marly le Roi cedex.
(6) INSERM U 669, Faculté de Médecine Paris-Sud, Service de Psychiatrie, CHU de Bicêtre, AP-HP, 78, rue du Général-Leclerc,
94230 Le Kremlin Bicêtre.
Travail reçu le 10 mai 2006 et accepté le 28 décembre 2006.
Tirés à part :
A. Pélissolo (à l’adresse ci-dessus).
Anxiety and depressive disorders in 4 425 long term benzodiazepine users in general practice
Summary.
Consumption rates of anxiolytic drugs, and especially of benzodiazepines, remain very high in France com-
pared to other Western countries, whereas clinical guidelines limit their indications to short term treatments and only for
some precise anxiety disorders. Recent epidemiologic surveys in the community indicated that more than 15 % of people
used once or more an anxiolytic drug in the past year. The issue of chronic treatments is particularly crucial because of
their poor benefit/risk ratio in most anxiety disorders (limited efficacy, cognitive side effects, withdrawal and dependence
problems). To address this important public health issue, and knowing that, in France, benzodiazepines are prescribed
mainly by general physicians, our aims were to explore psychiatric diagnoses in GP’s patients with chronic use of anxiolytic
benzodiazepines. We included 4 425 patients consuming such drugs regularly for six months or more, and assessed
their anxiety and depression symptoms through various clinical scales (Hospital Anxiety and Depressive scale – HAD,
Clinical Global Impression scale – CGI, Sheehan Disability Scale – SDS, Cognitive Dependence to Benzodiazepines
scale – CDB) and with the Mini International Neuropsychiatric Interview for DSM IV criteria. Only 2.2 % of the subjects
had neither anxious nor depressive symptoms as indicated by low scores on both subscores (less than 8) of the HAD
scale, used as a screener. Nearly three quarters of the 4 257 subjects (73.2 %), had CGI scores of at least 5 (markedly
ill to extremely ill). Social and familial disability was also high in more than 40 % of the sample (marked to extreme disruption
according to SDS scores). About half of the sample had CDB scores suggesting a benzodiazepine dependence. According
to the MINI, 85.1 % of the patients had at least one current DSM IV diagnosis of affective disorder. The most frequent
diagnoses were major depressive episode (60 %), generalized anxiety disorder (61.2 %), and panic disorder (22.5 %).
An anxiety and depressive comorbidity wad found in 41.9 % of the subjects. Some methodological limitations must be
taken into account in the discussion of our results, and especially the fact that the included patients were not supposed
to be totally representative of all patients consuming anxiolytic benzodiazepines in general practice. However, the size
of our sample is sufficiently large to limit possible biases in patient selection. The main result of this study is that a great
majority of the patients had significant symptomatology, in particular major depressive episodes and generalized anxiety
disorder, often with marked severity and disability. These data are in line with the knowledge of a lack of efficacy of ben-
zodiazepines in depressive and most anxiety disorders, despite long term treatment. They also confirm the current gui-
delines which recommend prescribing serotoninergic antidepressants, and not benzodiazepines, when long term treat-
ments are needed for severe and chronic affective disorders. This epidemiologic study leads to the conclusion that a
specific and attentive diagnostic assessment should be done in all patients receiving benzodiazepines for more than
three months, in order to purpose in many cases other long term therapeutic strategies.
Key words :
Anxiety disorder ; Anxiolytic ; Benzodiazepines ; Dependence ; Mood disorder ; Pharmacoepidemiology.
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32-8 Troubles anxieux et dépressifs chez 4 425 patients consommateurs de benzodiazépines
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Résumé.
La consommation des anxiolytiques de la famille
des benzodiazépines reste élevée en France par rapport à
ce qu’elle est dans les autres pays occidentaux, alors que
les recommandations d’utilisation limitent de plus en plus
leurs indications. En particulier, la question des prescriptions
de benzodiazépines au long cours se pose de manière cru-
ciale en raison de leur efficacité insuffisante sur la plupart des
pathologies anxieuses chroniques et des inconvénients qui
leur sont attachés (effets cognitifs délétères, phénomènes de
sevrage et de dépendance). Les prescriptions de benzodia-
zépines étant en grande majorité réalisées en médecine
générale, nous avons souhaité explorer les troubles anxieux
et dépressifs présents chez des patients consultant un pra-
ticien généraliste et consommant un anxiolytique régulière-
ment depuis au moins six mois. S’agissant d’une étude obser-
vationnelle, les critères d’inclusion étaient suffisamment
larges pour permettre la constitution d’une population la plus
représentative possible des pratiques de terrain. Un échan-
tillon de 4 425 sujets a été ainsi évalué à l’aide d’échelles
symptomatiques d’anxiété, de dépression et de retentisse-
ment fonctionnel. La méthodologie d’évaluation comportait
une première étape de dépistage basée sur l’échelle
Hospital
Anxiety and Depressive scale
(HAD), puis une évaluation dia-
gnostique selon les critères du DSM IV. Seuls 2,2 % de ces
patients ne présentent aucune symptomatologie anxieuse ou
dépressive d’après l’échelle HAD. Par ailleurs, 66,9 % des
patients présentent un ou plusieurs diagnostics DSM IV de
trouble anxieux actuel (anxiété généralisée chez 61,2 %,
trouble panique chez 22,5 %), et 60 % les critères d’un épi-
sode dépressif majeur. Une comorbidité associant troubles
anxieux et dépressifs est retrouvée chez 41,9 % des patients.
Les niveaux de sévérité et de retentissement dans le fonc-
tionnement quotidien sont élevés : 34 à 45 % des patients
connaissent des perturbations sévères ou très sévères
d’après l’échelle
Sheehan Disability Scale
. En conclusion,
cette étude d’épidémiologie clinique souligne l’importance de
la réévaluation attentive et systématique de toutes les pres-
criptions durables de benzodiazépines. Celles-ci sont en effet
associées à une fréquence élevée de troubles dépressifs et
anxieux, relevant potentiellement d’autres stratégies théra-
peutiques, qu’elles soient médicamenteuses ou psychothé-
rapiques.
Mots clés :
Anxiolytiques ; Benzodiazépines ; Dépendance ; Dépres-
sion ; Pharmacoépidémiologie ; Troubles anxieux.
INTRODUCTION
Les stratégies thérapeutiques médicamenteuses dans
les troubles anxieux ont notablement évolué au cours des
20 dernières années, sous l’influence de deux facteurs :
la mise en évidence progressive de l’efficacité de diffé-
rents antidépresseurs dans plusieurs catégories diagnos-
tiques d’une part, et le rappel croissant des problèmes liés
à l’usage prolongé des benzodiazépines d’autre part (15).
Ceci conduit, au plan des recommandations internationa-
les et des indications officielles, à voir se réduire la place
accordée aux benzodiazépines dans les troubles anxieux
(traitement d’appoint des phases initiales ou des formes
aiguës), et parallèlement à voir s’étendre celle des anti-
dépresseurs inhibiteurs de recapture de la sérotonine
(IRS) ou de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa)
dans les troubles anxieux et phobiques chroniques (1, 18).
Dans la plupart des pays, la conséquence logique de
ces évolutions est une diminution de la consommation des
benzodiazépines dans la population générale et une aug-
mentation de celle des antidépresseurs (3, 6, 10, 11). En
France, la même tendance est observée ces dernières
années mais l’usage des benzodiazépines reste important
quantitativement (13, 20). La dernière étude réalisée en
population générale fait état par exemple de taux de con-
sommation d’anxiolytiques ou d’hypnotiques de 18,6 % au
cours d’année précédente et de 11,3 % au cours du mois
précédent (4). Les statistiques des caisses de Sécurité
sociale confirment que 17,4 % des assurés sociaux ont
été remboursés au moins une fois, et 7 % au moins quatre
fois, dans l’année pour un médicament anxiolytique (8).
Un rapport parlementaire récent a souligné ces chiffres
élevés par rapport aux autres pays occidentaux, en
recommandant la réalisation d’études sur les facteurs
explicatifs de ce phénomène et les moyens à mettre en
œuvre pour le contrôler (20).
En plus de nombreux facteurs probablement non spé-
cifiques (caractéristiques socioculturelles dans le recours
aux médicaments, conditions facilitées d’accès aux soins
et aux prescriptions), certains éléments propres aux ben-
zodiazépines peuvent contribuer à des taux de consom-
mations élevés : – prévalence importante des troubles
anxieux dans la population et diffusion de l’information
dans le public sur l’intérêt des soins, – chronicité de la plu-
part des pathologies anxieuses, – difficultés d’accès à des
prises en charge non médicamenteuses efficaces comme
la relaxation ou les thérapies comportementales et cogni-
tives, – et problèmes de dépendance survenant chez envi-
ron un patient sur deux après plusieurs mois de consom-
mation (12). La question du repérage syndromique des
troubles anxieux et des indications thérapeutiques initia-
les se pose donc de manière cruciale pour éviter d’initier
des prescriptions inutiles et/ou à risque, en plus de la prise
en charge des patients effectivement en situation de
dépendance. Ces problèmes difficiles se posent particu-
lièrement dans les prises en charge en médecine géné-
rale, dont on sait qu’elles représentent plus de 80 % des
prescriptions de benzodiazépines (20). Les conditions
matérielles (temps limité), médicales (polypathologies) et
psychologiques (complexité pour les patients et les méde-
cins d’aborder des questions non somatiques) des con-
sultations de médecine générale ne favorisent pas un
repérage précis des troubles anxieux spécifiques et sur-
tout la mise en place des stratégies les plus adéquates.
OBJECTIFS
Pour ces raisons, il nous a paru nécessaire de réaliser,
en médecine générale, une étude d’épidémiologie clini-
que sur les troubles anxieux ou dépressifs présents chez
des patients utilisant des benzodiazépines sur des durées
A. Pélissolo
et al.
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prolongées, supérieures à six mois, sans autre traitement
psychotrope. Cette population a été choisie car elle rentre
dans le cadre des situations thérapeutiques « hors
recommandations », puisque dépassant la durée maxi-
male de prescription continue de 12 semaines, mais pour-
tant très fréquemment rencontrées dans la réalité de ter-
rain et nécessitant des solutions spécifiques (20). Les
deux objectifs principaux de notre étude étaient donc
d’une part d’évaluer la proportion des patients consom-
mateurs prolongés d’anxiolytiques conservant des symp-
tômes anxieux et/ou dépressifs insuffisamment contrôlés
par ce traitement, et d’autre part de rechercher les troubles
anxieux ou dépressifs chez ces patients dans le but de
proposer des alternatives thérapeutiques plus adaptées
à leur situation (antidépresseurs sérotoninergiques
notamment). Nous avons donc volontairement mis de coté
la question également importante des sujets consomma-
teurs chroniques non symptomatiques, chez qui se pose
plutôt la discussion de l’arrêt ou non de tout médicament,
pour nous centrer en premier lieu sur celle des usagers
conservant des troubles significatifs malgré leur traite-
ment.
Notre étude visait à s’approcher de la meilleure repré-
sentativité possible par rapport aux pratiques réelles de
terrain, ce qui nous a conduit à privilégier une méthodo-
logie observationnelle très inclusive, avec peu de critères
d’exclusions et un nombre de sujets très important. Au-
delà de ces objectifs principaux de type pharmaco-épidé-
miologique, cette étude réalisée sur un très large échan-
tillon de patients est susceptible d’apporter des connais-
sances supplémentaires sur les pathologies anxieuses et
dépressives elles-mêmes, données relativement rares en
France actuellement.
MÉTHODES
Sujets
Les sujets inclus devaient être des patients de 18 ans
ou plus, consultant en médecine générale et consomma-
teurs réguliers de benzodiazépines depuis au moins six
mois, avec au moins cinq jours de prise par semaine.
Un choix restrictif a été fait sur le type de molécules uti-
lisées et les schémas de consommation afin de privilégier
les usages à visée anxiolytique par rapport aux usages à
visée hypnotique qui posent des problèmes différents :
prises en compte uniquement des onze molécules
commercialisées sans indication hypnotique préféren-
tielle (bromazépam, diazépam, lorazépam, oxazépam,
clorazépate, clobazam, prazépam, alprazolam, chlordia-
zépoxide), quelle qu’en soit la présentation ;
inclusion restreinte aux patients ayant au moins deux
prises par jour du médicament.
Pour être inclus, les patients devaient par ailleurs être
susceptibles de pouvoir être suivis en médecine générale
pendant la durée de l’étude (deux mois), avoir lu et signé
le formulaire de consentement éclairé pour leur participa-
tion, et ne pas remplir un ou plusieurs des critères de non-
inclusion suivants :
nécessité d’une hospitalisation à court terme
(dépression sévère, risque suicidaire), ou d’une consulta-
tion psychiatrique spécialisée ;
traitement actuel par un autre traitement psychotrope
que les benzodiazépines ;
consommation actuelle de substances psychoacti-
ves, ou abus ou dépendance à l’alcool ;
impossibilité matérielle de participer à l’étude (non-
compréhension du français, incapacité à lire ou à remplir
les questionnaires, etc.).
Les patients inclus l’ont été par des médecins généra-
listes exerçant en activité libérale et tirés au sort au sein
d’un large panel de praticiens volontaires pour participer
à des études cliniques. Au total, 1 542 médecins investi-
gateurs répartis sur tout le territoire français ont effective-
ment participé à l’étude, et ont inclus 4 819 patients au
sein de leur clientèle entre septembre 2003 et juin 2004.
Procédure et évaluations
La première partie, transversale, de l’étude a consisté
en l’évaluation clinique suivante :
un interrogatoire détaillé permettant la vérification
des critères d’inclusion et de non-inclusion, l’enregistre-
ment des paramètres sociodémographiques (âge, sexe,
conditions de vie, niveau d’études, activité profession-
nelle), le recueil de l’histoire du traitement par benzodia-
zépines (date de début, motif de la prescription, posolo-
gies actuelles et antérieures, tentatives d’interruption du
traitement), et des antécédents anxieux et dépressifs per-
sonnels et familiaux.
le questionnaire HAD
(Hospital Anxiety and Depres-
sive Scale)
, échelle à 14 items permettant de calculer
deux sous-scores largement validés dans ce type de
population : un score de dépression variant entre 0 et 21,
et un score d’anxiété variant également entre 0 et 21 (22).
Cette échelle a été utilisée ici comme un outil de premier
dépistage. Conformément aux données de la littérature
sur le dépistage des troubles anxieux et dépressifs dans
ce type de population, seuls les patients présentant un
score supérieur ou égal à 8 à l’un ou l’autre, ou aux deux,
des scores anxiété et dépression de l’échelle HAD ont
poursuivi les investigations. Les autres patients ont été
considérés comme non symptomatiques et n’ont été éva-
lués qu’avec la HAD.
l’entretien diagnostique structuré MINI
(Mini Interna-
tional Neuropsychiatric Interview)
, conçu pour évaluer
rapidement les principaux troubles psychiatriques de l’axe
I selon les critères du DSM IV, notamment en médecine
générale (9). Seuls ici ont été utilisées les sections
suivantes : épisode dépressif majeur, trouble anxiété
généralisée, phobie sociale, trouble panique, agora-
phobie, troubles obsessionnels-compulsifs (diagnostics
actuels uniquement).
l’échelle d’impression clinique globale (CGI) mesu-
rant, du point de vue de l’investigateur, l’intensité des trou-
bles sur une échelle de 0 à 7 (21).
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l’échelle SDS
(Sheehan Disability Scale)
mesurant
de 0 à 10, en auto-évaluation, l’intensité de la gêne et du
handicap ressenti dans trois domaines du fonction-
nement
: professionnel, social et familial (19).
le questionnaire ECAB (Échelle Cognitive d’Attache-
ment aux Benzodiazépines) mesurant la dépendance aux
benzodiazépines avec un score variant de 0 à 9 (17).
Aspects éthiques
Ce protocole, considéré comme une étude avec béné-
fice individuel direct et rentrant dans le cadre de la loi
Huriet, a fait l’objet d’un accord du Comité Consultatif pour
la Protection des Personnes dans la Recherche Biomé-
dicale (CCPPRB) de Paris-Broussais/HEGP le 1/4/2003.
Les patients inclus l’ont été après avoir été informés par
oral et par écrit des objectifs et des conditions de l’étude,
et avoir signé le formulaire de consentement en deux
exemplaires.
RÉSULTATS
Échantillon
L’échantillon total analysé comprend 4 425 sujets. Ini-
tialement, 394 sujets supplémentaires avaient été inclus
mais ont été écartés pour déviations majeures au proto-
cole, essentiellement des erreurs dans le respect des cri-
tères d’inclusion.
L’échantillon se compose de 3 187 femmes (72,5 %),
et l’âge moyen est de 42,7 ans (écart-type 12,7 ; extrêmes
18 à 83 ans). On note que 57,9 % des sujets sont mariés
et que 45,5 % vivent dans des villes moyennes.
Parmi les informations médicales, on observe que
25,6 % des sujets sont fumeurs (54,7 % d’entre eux
fument leur première cigarette moins de 30 minutes après
le réveil), et que 18 % présentent au moins un signe anor-
mal lors de l’examen physique général, le plus souvent
un signe cardiovasculaire ou digestif.
Les benzodiazépines les plus utilisées dans cet échan-
tillon sont le bromazépam (44,4 %), l’alprazolam (30,8 %)
et le prazépam (11 %). La durée moyenne de traitement
est de 17,5 ± 22,4 mois.
Scores HAD
Soixante-quatorze sujets ont été exclus de ces analy-
ses car leur questionnaire HAD n’était pas correctement
rempli. Le score seuil de dépistage d’un trouble anxieux
ou dépressif ayant été fixé à 8 sur chacune des sous-
échelles du questionnaire HAD, la grande majorité des
patients remplit ce critère : 94,3 % des patients ont un
score d’anxiété supérieur ou égal à 8, et 78,4 % ont un
score de dépression supérieur ou égal à 8. Seuls 94 sujets
(2,2 %) n’atteignent le seuil pathologique ni pour l’anxiété
ni pour la dépression ; ces sujets seront exclus comme
prévu des analyses ultérieures. Le
tableau I
résume les
différentes combinaisons des scores de l’échelle HAD,
pour un seuil de 8 mais aussi pour un seuil de 10 car ce
dernier est parfois proposé comme score de dépistage
moins inclusif (22). En utilisant ce second seuil, la propor-
tion de patients non symptomatiques aurait été de 7,4 %.
Autres mesures dimensionnelles
L’échantillon analysé ci-dessous est composé de
4 257 patients considérés comme symptomatiques du fait
de leurs scores à l’échelle HAD. Sur l’échelle CGI sévérité
(figure 1)
, cotée par les médecins, 73,2 % des patients
sont évalués comme au moins « manifestement
malades » (score de 5 ou plus). Ce pourcentage est plus
élevé chez les patients considérés comme déprimés selon
la HAD (74,8 %) que pour les patients considérés comme
anxieux (56,4 %).
En ce qui concerne le retentissement fonctionnel, les
pourcentages de patients se décrivant comme sévère-
ment ou très sévèrement perturbés sont les suivants :
34,8 % dans la vie professionnelle ;
44,9 % dans la vie sociale ;
42,1 % dans la vie familiale.
Ces chiffres sont moins élevés pour les patients consi-
dérés comme uniquement anxieux (19,3 à 21,3 %), et sont
les plus élevés chez ceux qui associent anxiété et dépres-
sion (39 à 51,1 %).
TABLEAU I. —
Répartition des sujets en fonction de leurs scores
à l’échelle HAD, selon que le score seuil de chacune des sous-
échelles est situé à 8 ou à 10.
Seuil à 8 Seuil à 10
N%N%
Anxiété faible et dépression faible 94 2,2 321 7,4
Anxiété élevée et dépression faible 846 19,4 1 353 31,1
Anxiété faible et dépression élevée 154 3,5 333 7,7
Anxiété élevée et dépression
élevée 3 257 74,9 2 344 53,9
Total 4 351 4 351
FIG. 1. —
Pourcentages de patients correspondant à chaque
degré de l’échelle CGI sévérité, selon les résultats de l’échelle
HAD (score dépression
8, score anxiété
8, ou comorbidité
scores anxiété et dépression
8).
0 10203040506070
7. Parmi les plus malades
6. Gravement malade
5. Manifestement malade
4. Modérément malade
3. Légèrement malade
2. À la limite
1. Normal
Comorbidité
(n = 3257)
Dépression
(n = 154)
Anxiété
(n = 846)
%
A. Pélissolo
et al.
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La mesure de la dépendance psychologique au traite-
ment a été effectuée grâce à l’échelle ECAB, dont la
moyenne sur l’ensemble du groupe se situe à 5,61 ± 2,11
(extrêmes de 0 à 9). Par rapport à la valeur seuil de dépen-
dance fixée à 6 ou plus, 55 % des sujets se trouvent au-
dessus de ce score. Le détail qualitatif des réponses à cha-
que item est présenté dans le
tableau II
, où l’on observe
que l’item le plus approuvé est « Je prends ce médicament
parce que je vais mal quand je l’arrête » (82,7 % de
réponse « vraie »).
Diagnostic catégoriel
Parmi les patients considérés comme symptomatiques
sur la base de leurs scores à l’échelle HAD, 2 655 répon-
dent aux critères DSM IV d’un épisode dépressif majeur
actuel selon le MINI. Ceci correspond à un taux de pré-
valence de 60 % dans l’échantillon total. Les prévalences
des diagnostics DSM IV des principaux troubles anxieux,
explorés également par le MINI chez les patients symp-
tomatiques, sont rassemblées dans le
tableau III
.
En combinant les deux types de diagnostic, les préva-
lences globales suivantes sont retrouvées sur l’ensemble
de l’échantillon :
14,9 % des patients ne présentent aucun trouble
caractérisé ;
25,1 % présentent un ou plusieurs troubles anxieux
sans épisode dépressif ;
18,1 % présentent un épisode dépressif majeur sans
trouble anxieux ;
41,9 % présentent un épisode dépressif associé à un
ou plusieurs troubles anxieux.
DISCUSSION
Cette étude a comme principale originalité de décrire
précisément la symptomatologie d’un très grand échan-
tillon de patients traités par benzodiazépines sur des
durées longues (plus de 17 mois en moyenne). Le premier
résultat marquant est celui des taux très élevés de patients
symptomatiques malgré ces traitements, puisque moins
de 10 % des patients ne présentent aucun signe en faveur
d’un trouble anxieux ou dépressif. Quand on examine les
diagnostics syndromiques des patients symptomatiques,
la grande majorité d’entre eux présente au moins un trou-
ble anxieux ou un état dépressif, la comorbidité étant
d’ailleurs le cas de figure le plus fréquemment retrouvé.
Cette observation confirme donc les recommandations et
les connaissances actuelles sur l’incapacité des benzo-
diazépines à traiter de manière significative et/ou durable
la plupart des troubles anxieux et dépressifs. Une limite
méthodologique doit être soulignée dans cette analyse :
rien dans la procédure mise en place ne peut garantir que
les patients inclus par les médecins investigateurs sont
réellement représentatifs de l’ensemble des patients trai-
tés par benzodiazépines au long cours. La taille de
l’échantillon et le caractère très inclusif de la sélection des
patients permet cependant de se rapprocher des prati-
ques de terrain.
Au plan diagnostique, nous avons retrouvé des préva-
lences importantes d’épisodes dépressifs majeurs (60 %
des patients) et de troubles anxieux (66,9 %). Cette fré-
quence élevée des dépressions est un résultat notable car
les benzodiazépines ne peuvent en rien constituer un trai-
tement efficace de ces troubles (2). Les deux hypothèses
qui peuvent l’expliquer sont celles d’un repérage insuffisant
des symptômes dépressifs initiaux d’une part, et d’autre
part du « masquage » par le traitement anxiolytique d’une
partie des symptômes d’apparition plus tardive qui
n’auraient pas, de ce fait, pu être détectés par les praticiens.
Dans la littérature, même si aucune étude n’a été menée
avec la même méthodologie, les prévalences d’états
dépressifs sont en général plus faibles que celles que nous
avons obtenues : 26 % dans une étude britannique portant
sur un échantillon clinique de 117 consommateurs chroni-
ques d’anxiolytiques (5), et 15,7 % dans une étude fran-
çaise en population générale (4).
TABLEAU II. —
Réponses aux items de l’échelle ECAB
(n = 4 072).
Items ECAB Réponses
positives
1. Où que j’aille, j’ai besoin d’avoir ce médicament
avec moi. 71,0 %
2. Ce médicament est pour moi comme une
drogue. 50,1 %
3. Je pense souvent que je ne pourrai jamais
arrêter ce médicament. 63,7 %
4. J’évite de dire à mes proches que je prends ce
médicament. 53,9 %
5. J’ai l’impression de prendre beaucoup trop de
ce médicament. 41,6 %
6. J’ai parfois peur à l’idée de manquer de ce
médicament. 77,4 %
7. Lorsque j’arrête ce médicament, je me sens très
malade. 64,2 %
8. Je prends ce médicament parce que je ne peux
plus m’en passer. 58,4 %
9. Je prends ce médicament parce que je vais mal
quand je l’arrête. 82,7 %
TABLEAU III. —
Prévalence des troubles anxieux
et dépressifs explorés par le MINI dans la population totale
(n = 4 425).
Diagnostics DSM IV Effectifs Prévalences
Épisode dépressif majeur 2 655 60 %
Trouble anxiété généralisée 2 710 61,2 %
Trouble panique 996 22,5 %
Agoraphobie 562 12,7 %
Phobie sociale 319 7,2 %
Trouble obsessionnel-compulsif 142 3,2 %
Au moins un trouble anxieux 2 962 66,9 %
1 / 7 100%
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