Une entente franco-allemande
MAIS LAQUELLE ?
Bonn, janvier. — Il est difficile de rencontrer des Allemands qui ne se disent partisans convaincus d'un
accord avec la France. A Paris, je reçois tous les jours des lettres des coins les plus reculés de l'Allemagne
où des inconnus en exposent longuement les raisons et les avantages. Mêmes arguments, d'un caractère
assez général, dans la plupart des conversations. Mais lorsqu’elles sont plus approfondies, lorsqu'il s'agit
d’hommes qui réfléchissent, qui connaissent les problèmes, on s’aperçoit qu'il y a des conceptions
différentes, pour ne pas dire opposées.
Nous vivons dans une époque où les divisions politiques s'étendent à toutes les questions internationales.
Discute-t-on à Strasbourg, à l'O.E.C.E. de l'unification de l'Europe, on constate aussitôt qu'il y a plusieurs
façons d'unifier : il y a d’abord la façon libérale et la façon dirigiste. On critique l'isolationnisme
britannique : M. Bevin et Sir Stafford Cripps, entre tous les Européens, ne seraient-ils pas les plus unitaires
si M. Léon Blum, M. Spaak, M. Schumacher gouvernaient à Paris, Bruxelles et à Bonn ?
Conception socialiste et conception libérale
La même remarque, qui s'applique à l'Europe, vaut pour les rapports franco-allemands. On s'étonne que
chrétiens démocrates et libéraux prônent avec chaleur une entente avec la France alors que les social-
démocrates sont réticents : ces mêmes social-démocrates qui, dans la République de Weimar, furent les
meilleurs soutiens de la politique extérieure de Stresemann. Mais ils figuraient alors dans la « grande
coalition », dont la politique n'était rien moins que socialiste. La politique française ne l'était pas non plus, et
pourtant les socialistes appuyaient Briand lorsqu'il se rendait à Locarno. Ces temps sont passés. Depuis lors
les socialistes ont fait partout des expériences. Ils entendent mettre leurs idées dans la politique extérieure
comme dans l'intérieure.
M. Schumacher, qui est de la Prusse-Orientale, est peut-être un peu moins près de nous que M. Adenauer,
qui est Rhénan. Ce n'est pas un francophobe, encore qu'il parle de la Sarre avec mauvaise humeur. Il n’est
pas si nationaliste qu'on veut bien le dire, ou du moins pas de la manière que l'on pense. Mais il dresse
l'oreille si vous lui parlez de la Ruhr. Seriez-vous ami des magnats du charbon et de l'acier? Seriez-vous
disposé à tolérer leur retour, à vous associer avec eux, à leur apporter des capitaux ? La Ruhr ne doit pas
devenir une société franco-allemande, a dit le demi-français Carlo Schmid, qu'on ne saurait soupçonner
d'hostilité pour notre pays. Il faut la nationaliser pour pouvoir, ensuite, l'internationaliser. Elle ne saurait
former un trust dans lequel Krupp, Thyssen, Klöckner, Stinnes, Mannesmann tendront la main au Comité
des forges.
Si vous vous adressez à M. Blücher, vice-chancelier, chef du parti libéral, à M. Erhardt, ministre de
l'économie, démocrate chrétien, à des industriels ou des hommes d'affaires, qui appartiennent généralement
à l'un de ces deux partis, le son de cloche est tout autre. Il n'est question que de « libéralisation » des
échanges (on sait que l'Allemagne met plus d'empressement que quiconque à appliquer les décisions de
l'O.E.C.E.), d'emprunts américains ou autres, pour relever telle ou telle industrie, d'accords internationaux
entre groupes de producteurs. Le gouvernement actuel de l'Allemagne occidentale représentant cette
tendance libérale, on ne s'étonnera pas des propositions de M. Adenauer pour faire participer le capital
étranger aux usines Thyssen lorsqu'il s'agissait de les sauver du démontage, ou aux Aciéries réunies, groupe
plus vaste dans lequel elles sont englobées.
Les milieux industriels poussent à la roue
Si le chancelier, dans une interview qui a fait un certain bruit, a insisté sur le côté psychologique d'un
rapprochement franco-allemand, ce sont les milieux économiques, plus encore que la presse, qui poussent à
ce rapprochement. La conférence de M. Kirkpatrick, chef de la division allemande du Foreign Office, qui le
mois dernier suscita tant de commentaires, eut lieu à Dusseldorf devant le comité d'études pour les rapports
économiques franco-allemands, que préside M. Middelhauve, député libéral, et qui comprend la plupart des
grands industriels de la Ruhr. L'Union économique, dont le siège est à Wiesbaden, et qui est l'émanation des