PHILOSOPHIE
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cessus (perceptifs, moteurs) inconscients. Dans un mode synchronisé, l’activa-
tion des agents zombies serait accompagnée d’une meilleure communication
entre eux et avec les centres de décision du cerveau, ce qui permettrait une
prise de conscience (perceptive, par exemple). Ce mode interviendrait seule-
ment dans les situations plus inhabituelles ou plus complexes, qu’elles soient
réelles ou imaginaires, et nous permettrait alors de réagir de façon non stéréo-
typée, il serait indispensable pour éla-
borer un plan ou choisir parmi
plusieurs possibilités. Dans cette
perspective, la fonction de la
conscience serait de résumer l’état du
monde à un instant donné, en
construisant, à partir des mécanismes
pris en charge par les agents zombies,
une représentation unique et synthé-
tique, transmise aux centres de déci-
sion du cerveau. Le contenu de la
conscience correspondrait donc au
contenu de ce résumé.
À la différence des structuralistes, qui considèrent que les représentations
conscientes et inconscientes auraient des supports anatomiques différents, le
modèle proposé par Crick et Koch stipule plutôt qu’elles émanent de proces-
sus neuronaux similaires et que c’est le mode de communication du réseau sol-
licité qui déterminera la prise ou non de conscience. Notre vie mentale pourrait
être résumée à une multitude de processus neuronaux inconscients, des agents
zombies, dont l’activation en synergie (en synchronie) conditionnerait la prise
de conscience. Ce dernier mode ne serait qu’une expression minoritaire au
regard des multiples processus inconscients, qui seraient donc les contribu-
teurs principaux de la pensée. Aussi, à la différence de certains modèles de la
psychologie qui défendent l’idée que tout traitement cognitif complexe est
conscient, les travaux récents sur la perception inconsciente suggèrent, au
contraire, que les processus inconscients seraient riches et complexes. Les
traces des mots, des idées, des concepts, peuvent être interrogées inconsciem-
ment (en d’autres termes, les zombies pourraient comprendre ce qu’on leur
dit !), probablement dans le but d’accélérer la vitesse de traitement cérébral et
donc permettre l’analyse simultanée de différents événements sensoriels ou
mentaux. Les phénomènes inconscients ne peuvent donc pas être vus comme
de simples processus automatiques, réflexes et dépourvus de cohérence.
Notre vie mentale
pourrait être résumée
à une multitude de
processus neuronaux
inconscients, des
agents zombies, dont
l’activation en synergie
(en synchronie)
conditionnerait la prise
de conscience.
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pouvons continuer à percevoir, c’est-à-dire réactiver les traces mnésiques pour
reconnaître notre environnement.
Si la possibilité de percevoir inconsciemment est maintenant largement
acceptée par la communauté scientifique, en revanche certain(e) s cher-
cheur(e) s considèrent que, dans ces conditions, nous ne pouvons percevoir
que des éléments simples, élémentaires, de la stimulation sensorielle. Elles et
ils défendent l’idée que nous pouvons percevoir des formes, des couleurs, des
phonèmes du langage parlé, etc., mais que nous ne pouvons pas accéder à leur
sens intrinsèque, à leur identification complète. Or, depuis une dizaine d’an-
nées, des travaux suggèrent tout le contraire. Nous pourrions, selon ces études,
accéder aux traces lexicales (le dictionnaire interne) des mots de façon incons-
ciente, c’est-à-dire comprendre le sens de phrases en dormant, reconnaître son
prénom dans le coma, identifier si un mot est associé sémantiquement au pré-
cédent en présentation subliminale. En d’autres termes, nous pouvons com-
prendre inconsciemment le sens des mots car leurs traces mnésiques restent
accessibles sans conscience.
Certains chercheurs s’accordent même à penser que la très grande majorité
des processus cérébraux se ferait sans conscience. En référence à la notion de
zombie, développée par les philosophes pour imaginer des entités théoriques
qui ont les mêmes comportements que nous dans les mêmes situations mais
sans expérience phénoménale, Crick et Koch (2001) proposent l’existence
d’agents zombies, processus non conscients, rapides, stéréotypés et préalables à
la conscience. Contrairement aux philosophes dualistes qui ont développé la
notion de zombie pour défendre l’existence d’une conscience phénoménale inef-
fable et irréductible (les « qualia »), Crick et Koch se servent de la notion
d’agents zombies pour défendre l’idée que la conscience a une existence phy-
sique. Selon eux, les agents zombies seraient
des modules effectuant des opérations en
dehors de tout contrôle conscient. Les agents
zombies seraient spécialisés par exemple pour
certains types de stimuli (dans la perception)
et « surentraînés », c’est-à-dire seraient des
sortes de réflexes corticaux. Ce serait leur
mode d’activation (une synchronisation des
activités neuronales au sein de vastes réseaux)
qui conditionnerait la prise, ou non, de
conscience. Dans un mode désynchronisé, les
agents zombies seraient responsables de pro-