EFFICACITE ANTALGIQUE DE TIAPRIDAL® DANS LES DOULEURS DE LA CRISE AIGUE DREPANOCYTAIRE A. ADJAMBA* RESUME Dans cet essai monocentrique non comparatif, le tiapride (Tiapridal®) a été administré par voie veineuse à la posologie de 600 à 800 mg/jour pendant 3 jours à 30 patients (15 hommes et 15 femmes) présentant des douleurs accompagnant une crise drépanocytaire aiguë. Les douleurs étaient d’intensité sévère dans 20 cas ou modérée (10 cas). Onze patients ont reçu de façon concomitante un traitement antipaludéen. Les douleurs ont disparu au bout du 3ème jour de traitement chez 25 patients (83,3 %). Elles ont diminué chez 3 patients (10 %) et sont restées inchangées chez 2 patients (6,7 %). La tolérance a été très satisfaisante : 14 patients ont présenté un effet indésirable peu grave et peu intense à type de somnolence (12 cas), d’agitation (1 cas), d’asthénie (1 cas). Le tiapride apparaît dans les conditions de cet essai, comme un traitement efficace des douleurs survenant au cours des crises aiguës drépanocytaires. I - INTRODUCTION Le tiapride (Tiapridal®) et un psychotrope appartenant au groupe des benzamides substitués. Ses caractéristiques pharmacologiques lui permettent de se démarquer à la fois des autres molécules de cette famille chimique, des neuroleptiques classiques et des benzodiazépines. Il agit essentiellement sur le système nerveux central comme un antagoniste puissant de la dopamine avec une spécificité d’action vis-à-vis des récepteurs D2 principalement ceux situés dans la région mésolimbique. Sur le plan clinique, il se comporte comme un sédatif anxiolytique respectant la vigilance et la fonction mémorielle. Par ailleurs, il n’interfère pas avec l’alcool et n’entraîne pas de pharmacodépendance. Pratiquement dépourvu d’effet sur le système nerveux autonome et l’appareil cardiovasculaire, n’entraînant ni effet atropinique ni modification des fonctions respiratoire et digestive, il jouit d’une très bonne tolérance. Les propriétés du tiapride ont conduit à 4 axes d’indications : . les troubles du comportement avec agitation et agressivité . l’aide au maintien du sevrage alcoolique . les mouvements anormaux de type choréique . enfin le domaine, incomplètement élucidé, des algies. Un effet antalgique a été mis en évidence chez l’animal sur les douleurs intéro et extéroceptives (6). Son mécanisme d’action n’est pas lié à une action centrale de type morphinique. Les études chez l’homme ont montré qu’il pourrait résulter d’une augmentation des taux d’endorphines cérébrales (1). Le blocage par le tiapride des influx algogènes convergeant de la zone spinothalamique vers la réticulée a également été envisagé (4). En clinique, le tiapride a été utilisé efficacement dans de nombreuses situations algiques dont les douleurs rhumatismales (2), les céphalées de type migraineux (5) et les algies cancéreuses (8). Compte-tenu de son excellente tolérance, il paraissait intéressant de tester son efficacité sur les douleurs qui accompagnent la crise drépanocytaire aiguë. La tiapride se présente sous forme de comprimés sécables et d’ampoules injectables, dosés à 100 mg. II - BUT DE L’ETUDE - METHODOLOGIE Cet essai monocentrique non comparatif avait pour objectif d’étudier l’efficacité et l’innocuité du tiapride administré par voie injectable dans le traitement des douleurs de la crise aiguë drépanocytaire. Le protocole prévoyait l’inclusion de 30 patients adultes des 2 sexes, d’âge indifférent et présentant une crise algique en rapport avec une drépanocytose homozygote confirmée par électrophorèse de l’hémoglobine. N’étaient pas * Service de Médecine Interne du Pr. AMEDEGNATO, CHU de Lomé, Togo. Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (6) inclus les patients souffrant d’un épisode aigu apparu plus de 48 heures avant l’entrée dans l’essai, ceux ayant des antécédents d’accidents vasculaires cérébraux, d’hypersensibilité au tiapride, ainsi que ceux atteints d’insuffisance rénale ou d’infections concomitantes. Les autres thérapeutiques neuroleptiques ou antalgiques n’étaient pas autorisées. Les patients devaient être traités pendant 3 jours, à la dose journalière de 20 mg/kg de tiapride administrés par voie intraveineuse lente ou perfusions (4 injections à 6 heures d’intervalle). Les critères de jugement de l’eff i c a c i t é étaient subjectifs et évalués tous les jours : évolution de la douleur à l’aide d’une échelle semi-quantitative côtée de 0 à 4 (0 = douleur disparue, 1 = douleur améliorée, 2 = douleur stable, 3 = douleur augmentée, 4 = douleur très augmentée). III - RESULTATS 1 - Caractéristiques de la population étudiée Trente patients ont participé à l’essai, 15 hommes et 15 femmes d’âge moyen 20,7 ± 3,2 ans (extrêmes 15 et 28 ans). Tous les patients ont été traités pendant 3 jours et aucune sortie d’essai n’a été rapportée. Les douleurs se situaient au niveau du thorax chez 28 malades (93,3 % des cas), des membres inférieurs chez 26 (86,7 %), des membres supérieurs chez 25 (71,4 %), de la face chez 15 (50 %) et de l’abdomen chez 7 (23,3 %). Dans tous les cas, les douleurs touchaient plusieurs parties du corps. L’intensité initiale de la douleur était sévère dans 20 cas (66,7 %) et modérée dans les 10 autres cas. Elle n’était légère chez aucun patient. 2 - Doses de tiapride utilisées - Traitements associés Chez 18 patients (60 %), la dose totale de tiapride administrée au cours des 3 jours a été de 2 400 mg (800 mg/j). Chez 11 patients (36,7 %), la dose totale était de 2 000 mg, ces patients n’ayant reçu le 1er jour que 600 mg, l’horaire de mise en place du traitement n’ayant permis que 3 injections au lieu de 4. Enfin chez 1 patient, la dose totale était de 1 400 mg, 600 mg le premier jour et 400 mg les 2 jours suivants. Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (6) Un traitement concomitant par antipaludéens a été administré à 11 patients dont l’un a reçu en outre des antispasmodiques. 3 - Efficacité Parmi les 20 patients qui présentaient à J1 des douleurs sévères, l’intensité douloureuse a diminué à J2 pour 17, est restée stable chez 2 et a légèrement augmenté chez 1. Chez les 17 patients améliorés à J2, la douleur a disparu à J3 dans 15 cas et son intensité a diminué dans les 2 autres cas. Les douleurs d’intensité stable à J2 chez des 2 patients n’ont pas été modifiées à J3 alors que l’intensité de la douleur s’est atténuée chez le patient pour qui elle avait augmenté à J2. Sur les 10 patients ayant à J1 des douleurs d’intensité modérée, 9 ont été améliorés à J2, la douleur restant stable chez le dernier patient. A J3, la douleur a disparu chez tous les patients (26, soit 86,7 %) et a diminué ou disparu à J3 chez 28 soit 93,3 % des patients. Elle n’a pas été modifiée chez 2 sujets (6,7 %). 4 - Tolérance Sur les 30 patients inclus dans l’essai, 16 soit 53,3 % n’ont présenté aucun effet indésirable. Chez les 14 autres sujets, on a noté une somnolence dans 12 cas, un cas d’agitation, et un cas d’asthénie avec insomnie. Aucun autre effet indésirable, notamment neurologique, n’a été observé. IV - COMMENTAIRES La drépanocytose est une affection fréquente en Afrique. Dans la région du Centre Sud Cameroun, Nkam constate en 1975 que l-24 TD (4 - To0.06 -12 3a(30 pati-12 T5agita-0 EFFICACITE ANTALGIQUE DE TIAPRIDAL® DANS LES DOULEURS DE LA CRISE AIGUE céphalées et d’algies diverses traitées par Tiapridal® avec 71 % de succès ne comporte que 2 sujets atteints de drépanocytose. Nyamé (7) a publié en 1980 une première étude ouverte centrée sur le traitement par le tiapride des crises douloureuses aiguës drépanocytaires. Cet essai ouvert, portant sur 22 enfants âgés de 16 mois à plus de 15 ans, réalisé avec une posologie empirique (100 à 300 mg/jour selon l’âge administrés sous forme injectable ou comprimés, en 2 ou 3 fois) a conclu à l’efficacité (19 bons ou très bons résultats) malgré une posologie relativement peu élevée et à la bonne tolérance du tiapride, avec un délai d’action rapide (2 à 3 jours de traitement). La durée du traitement s’est avérée beaucoup plus courte que lorsque la vincamine ou le méthylsulfonate de dihydroergotoxine étaient utilisés et le tiapride a présenté l’avantage de pouvoir être administré en traitement ambulatoire. La présente étude réalisée chez l’adulte à des posologies proportionnellement plus élevées (800 mg/j au lieu de 300 mg chez les sujets âgés de plus de 15 ans dans le travail de Nyamé) confirme l’efficacité du tiapride puisque les douleurs, quelle qu’en soit l’intensité initiale, se sont atténuées ou ont disparu en 3 jours dans 28 cas sur 30 (93 %). A ces posologies importantes administrées par voie veineuse, le tiapride a été également très bien toléré chez ces malades au terrain fragilisé, la majorité des eff e t s secondaires se limitant à une somnolence. 469 V - CONCLUSION Dans cet essai non comparatif incluant 30 patients, le tiapride a été administré par voie intraveineuse à la posologie de 600 à 800 mg par jour pendant 3 jours pour traiter les douleurs survenant au cours des crises de déglobulisation des drépanocytoses homozygotes. L’efficacité antalgique paraît très intéressante. Chez 28 des 30 patients (93,3 %) les douleurs ont été améliorées (3 cas) ou ont disparu (25 cas) au terme des 3 jours de traitement. La tolérance du traitement a été également tout-à-fait satisfaisante. Malgré un terrain fragilisé et des doses élevées de Tiapridal®, 16 patients n’ont présenté aucun effet indésirable et ceux constatés pour les 14 autres ont été peu intenses et peu graves, la majorité se limitant à une simple somnolence. Dans les conditions de cette étude, le tiapride se révèle une thérapeutique intéressante des douleurs survenant au cours des crises aiguës drépanocytaires, ce qui concorde avec les premiers résultats enregistrés chez l’enfant dans la même indication. Des travaux ultérieurs, notamment comparatifs, seraient néanmoins nécessaires pour confirmer et préciser la place du tiapride dans le traitement des douleurs de la crise aiguë drépanocytaire. BIBLIOGRAPHIE 1 - GENNARI C., NAMI R., PIZZUTI M., D’ASCENZO G., BIANCHINI C. Effets du tiapride en perfusion sur le taux plasmatique de bêta-endorphine, prolactine et dopamine chez des patients souffrant d’algies cancéreuses. Sem. Hôp. Paris, 1981, 57, (15-16), 795-800. 2 - GINSBERG F., BOURGUIGNON R.P., SMETS P., FAMAEY J.P. Tiapride versus glafenine : a double-blind comparative study in the management of acute rheumatic pain. Curr. Med. Res. Opin., 1983, 8, (8), 562-569. 3 - LE BIGOT P. Action du tiapride sur les céphalées et diverses algies. Sem. Hôp. Paris, 1982, 58, (33), 1908-1909. 4 - LE DERFF H. Etude du tiapride dans les algies néoplasiques. Sem. Hôp. Paris, 1982, 58, (28-29), 1708-1711. 5 - MENAULT F. Traitement de fond des algies cranio-faciales. Expérimentation du tiapride. Sem. Hôp. Paris, 1981, 57, (19-20), 1015-1016. 6 - MERCIER J., SCOTTO DI TELLA A.M., MENGUY A. Quelques données expérimentales sur le tiapride. Sem. Hôp. Paris, 1977, 53 (39B), 84-88. 7 - NYAME H. Tiapride et crises douloureuses drépanocytaires. Sem. Hôp. Paris, 1980, 56, (43-44), 1817-1821. 8 - PESSEY J.J., LACOMME Y. Utilisation du tiapride dans les algies néoplasiques. Sem. Hôp. Paris, 1980, 56, (7-8), 351-353. Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (6)