Dépression et MMD : des maladies que l’on peut soigner • www.frm.org 1
Dépressions
et maladies maniaco-dépressives,
des maladies que l’on peut soigner
Débat animé par Michel Cymes, chroniqueur médical de France Info et animateur TV sur France 5.
Propos recueillis à l'occasion d'un débat grand public organisé par France Info
et la Fondation pour la Recherche Médicale dans le cadre des "Rencontres santé".
Vendredi 13 mars 2003, à la Maison de la Radio (Paris).
Dossier disponible sur le site de la Fondation pour la Recherche Médicale www.frm.org
Avec la participation de :
> Dr Christian Gay,
Service de santé mentale et de thérapeutique de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris.
> Dr Chantal Henry,
Département de psychiatrie adulte, Hôpital Charles Perrens, Bordeaux.
> Pr Marion Leboyer,
Service de psychiatrie adulte, Hôpitaux Albert Chenevier et Henri-Mondor, Créteil.
1. Dépressions, maladies maniaco-dépressives : portraits de maladies méconnues p. 2
2. Comment en sortir ? médicaments, psychothérapie… p. 4
3. Quelles sont les voies de recherche actuelles ? p. 7
Les réponses à vos questions p.10
Dépressions et MMD : quelques idées reçues... p.13
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1. Dépressions, maladies maniaco-dépressives :
portraits de maladies méconnues
Par le docteur Christian Gay,
Service de santé mentale et de thérapeutique de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris.
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La maladie maniaco-dépressive, dénommée aujourd’hui trouble bipolaire est fréquente. Elle touche à
peu près 1,5 % de la population. Certaines catégories sociales, comme les journalistes, les médecins,
les avocats, les créatifs… en résumé toutes les activités professionnelles souvent confrontées à des
situations de stress, sont plus touchées que d’autres. Jusqu’à 10 % de personnes dans certains
milieux peuvent être touchés par cette maladie. Mais le chiffre à retenir est 1,5 %, c’est celui qui
concerne la population générale.
Lorsqu’on évoque la notion de spectre bipolaire, on fait référence à différents troubles de l’humeur,
que ce soit les troubles maniaco-dépressifs et cyclothymiques, les tempéraments… On arrive dans ce
cas facilement à atteindre un chiffre de 6 ou 8 % de la population.
> Une maladie grave
C’est une maladie qui fait souffrir considérablement le sujet atteint. Cette souffrance est partagée par
l’entourage : le conjoint, les enfants et les parents souffrent considérablement de voir quelqu’un dans
un état de détresse ou qui a des comportements incompréhensibles. C’est une maladie responsable
d’une désinsertion sociale, familiale, professionnelle importante.
C’est une maladie coûteuse. D’après les données actuelles, qui viennent des pays anglo-saxons, le
coût direct et indirect de cette maladie se chiffre en dizaines de milliards de dollars.
En outre, la mortalité chez les patients non-traités est trois fois plus élevée que dans la population
générale du fait de conduites suicidaires, de conduites à risques des personnes en phase d’excitation
et de pathologies cardio-vasculaires plus fréquentes.
C’est une maladie qui a une incidence médico-légale. De nombreux maniaco-dépressifs s’exposent à
la loi et à la justice et se retrouvent poursuivis pour toutes sortes de crimes et délits. La majorité des
délits sont commis avant que le diagnostic n’ait été posé. Il est important de savoir que sous
traitement, le taux de mortalité se normalise et devient inférieur à celui de la population générale, que
les traitements médicamenteux et psychothérapeutiques permettent de contrôler ce trouble et la
souffrance qu’elle engendre et que les conséquences de la maladie deviennent maîtrisables.
> Des difficultés de diagnostic et de traitement
Cette maladie a priori est facile à diagnostiquer, avec ses phases de "haut" où la personne est très en
forme, et ses phases de "bas" où elle se sent triste, ralentie, amortie, éteinte, fatiguée. Pourtant elle
est diagnostiquée tardivement, après 7 ans d’évolution en moyenne.
Le diagnostic : nous avons tous des fluctuations d’humeur. Quelle est la différence entre la tristesse et
la dépression, la joie et l’excitation maniaque ? Trois éléments permettent de faire le diagnostic :
l’intensité des symptômes, leur durée et leurs conséquences invalidantes permettent d’établir le
diagnostic.
Le traitement : comme pour beaucoup de maladies, en psychiatrie, un patient sur deux prend
correctement son traitement. Les patients ne sont pas informés sur les conséquences et les risques
du non-traitement de la maladie. Dès qu’ils vont mieux, ils l’arrêtent ce qui entraîne très souvent un
phénomène de rebond, et de nouveau ils se retrouvent dans un cercle infernal.
Cette maladie est perçue comme complexe ayant plusieurs déterminants.
La prise en charge tient compte des différents déterminants : thérapeutique médicamenteuse,
psychothérapie, thérapie comportementale, psycho-éducation, respect des règles d’hygiène de vie.
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De même, il existe fréquemment des troubles associés : anxiété généralisée, troubles paniques et
obsessionnels, troubles de conduite alimentaire, notamment les boulimies, consommation d’alcool et
de toxiques, qui sont des facteurs d’aggravation et qui justifient parallèlement une prise en charge
spécifique.
> Une maladie avec plusieurs phases
Le patient fonctionne avec des "hauts" et des "bas".
Dans la phase de haut, il est dans un état d’euphorie pathologique, d’optimisme démesuré, ayant la
sensation d’être très intelligent : « il est champion du monde ». La pensée fuse, à tel point que, par
moments, il y a une fuite des idées tellement elles vont vite et partent dans tous les sens. S’ajoute
aussi un état de désinhibition, avec des dépenses d’argent inconsidérées, des conduites sexuelles
excessives, des troubles du sommeil. Le patient n’a pas de besoin de dormir, il n’est pas fatigué et a
mille projets à réaliser.
Brutalement, ce patient va se retrouver dans l’état opposé, de tristesse, de mal être, accompagné d’un
ressenti très pénible, le sentiment d’être nul, une perte d’estime de soi, une dévalorisation, un
sentiment d’inutilité, une culpabilisation, une incapacité à se projeter dans un futur. Cette souffrance
est abominable et s’accompagne d’autres symptômes, pensée ralentie, efforts surhumains pour se
concentrer, fixer son attention, se souvenir, troubles du sommeil, perte de l’appétit, grande fatigue,
état d’aboulie (perte de la volonté) et désintérêt pour tout.
Entre ces phases d’excitation et ces phases de dépression se placent des intervalles libres. Le patient
a un niveau de fonctionnement normal, même s’il garde en mémoire cet état de fragilisation.
Beaucoup de maniaco-dépressifs ne sont jamais véritablement «bien» : ils ont toujours cette peur de
la rechute et conservent des séquelles post-dépressives et maniaques.
> Les différentes modalités évolutives
Ces modalités correspondent à différents modes d’expression de la maladie.
Il y a d’abord des formes d’excitation atténuées : on n’est pas “champion du monde”, on est deuxième
ou troisième sur le podium. Ces formes d’excitation modérée sont compatibles avec une vie normale,
mais la personne s’épuise tout de même : il existe une réduction du temps de sommeil, des projets
multiples, une hyperactivité, des facilités de contact...
Ensuite des formes délirantes. Ce matin, une patiente me disait qu’il y a 7 ans s’étant prise pour le
messie, elle avait enterré du miel dans son jardin. Persuadée que le miel était radioactif du fait des
abeilles qui venaient de Tchernobyl, elle ne voulait pas contaminer des gens. Elle n’en a parlé à
personne, elle ne m’en avait jamais parlé : j’ai mis 7 ans avant de poser le diagnostic correct.
Des formes mono-symptomatiques : un seul symptôme au premier plan. Ces sujets vont présenter
des troubles obsessionnels récurrents avec des intervalles libres et ou d’autres types de manifestation
qui masquent l’état de dépression et d’excitation.
Certaines formes de la maladie évoluent en fonction des saisons, d’autres évoluent très vite avec
plusieurs cycles au cours d’une année. On trouve des formes mixtes avec une intrication d’excitation
et de dépression. Le diagnostic est alors plus difficile à poser et s’oriente souvent vers des pathologies
comme la schizophrénie. Ces troubles sont beaucoup plus difficiles à traiter.
Quand les malades sont sous antidépresseurs, cela peut aggraver l’excitation et lorsqu’ils sont mis
sous neuroleptiques, cela peut favoriser l’apparition de la dépression. Il y a aussi des formes qui ont
une évolution complètement indéterminée, allant dans tous les sens.
Enfin, il existe une forme très particulière, qu’on appelle circulaire ou rémittente, c’est-à-dire, sans
intervalles libres. Ce sont des sujets qui ne sont jamais “ bien ”. Ils sont soit “ champions du monde ”
soit "nuls" et sans phases intermédiaires, sans répit. C’est très épuisant pour eux mais aussi pour la
famille.
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2. Comment en sortir ? médicaments, psychothérapie…
La prise en charge des troubles bipolaires
Par le Dr Chantal Henry,
Département de psychiatrie adulte, Hôpital Charles Perrens, Bordeaux.
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Les troubles bipolaires sont méconnus avec des conséquences parfois dramatiques : il y a un risque
de désinsertion familiale, sociale et professionnelle chez les patients non traités et 19 % d’entre eux
décèdent par suicide. Il est nécessaire de développer des réseaux spécifiques pour améliorer la prise
en charge des patients en travaillant sur la prévention, en développant les soins spécialisés, en
formant les médecins, en informant les patients et en participant à l’effort de recherche.
> Comment organiser et concevoir la prévention et les soins ?
Il est nécessaire de développer des consultations de dépistage. Ces consultations auraient pour but
notamment de chercher des facteurs de risque de pathologie récurrente chez des patients présentant
une première dépression. Ces consultations auraient également pour but de faire du dépistage chez
les apparentés de patients souffrant de troubles bipolaires. En effet, lorsqu’un patient souffre de
troubles bipolaires, il y a plus de risques de développer cette pathologie au sein de la famille. Les
consultations de dépistage pourraient recevoir les familles et expliquer les stratégies de prévention.
Il faudrait aussi, évidemment, des consultations spécialisées afin de développer des stratégies de
bilan et d’aide au diagnostic. Ceci permet de constituer des réseaux avec des psychiatres libéraux ou
des médecins généralistes qui ont besoin parfois d’un avis mais peuvent participer à la prise en
charge des patients et de leurs familles. Ces consultations sont des aides au diagnostic, à la mise en
place et aux ajustements éventuels du traitement. Les traitements médicamenteux ont évolué, de
nouvelles stratégies se sont développées et de nouvelles molécules sortent actuellement sur le
marché. Le médecin généraliste ne saura peut-être pas utiliser les nouvelles molécules en fonction
des différentes formes cliniques de la maladie. Il est donc très important de pouvoir donner un avis,
des conduites générales à suivre et de réévaluer les patients de temps en temps. Au sein de ces
consultations il est aussi important de pouvoir proposer des approches pédagogiques mais également
des thérapies brèves par exemple de type cognitivo-comportemental. En effet, 20 à 40 % des patients
atteints de troubles bipolaires présentent des troubles anxieux associés et ces troubles peuvent
bénéficier de ce type de thérapies. D’autre part, on peut également développer des techniques de
gestion du stress dont on sait qu’il occasionne bon nombre de rechutes chez les patients bipolaires.
Il est nécessaire de créer des unités de soins spécialisés. En France, on est hospitalisé en fonction du
lieu où l’on habite dans des unités de soins mixtes où l’on rencontre toutes les pathologies. Dans de
nombreux pays, des unités de soins spécialisées regroupent les patients par pathologie pour leur
proposer un soin plus spécifique, reposant sur des équipes soignantes ayant acquis des compétences
spécifiques dans ce domaine. Lors de l’hospitalisation, l’équipe a un travail d’accompagnement à faire
auprès du patient pour l’aider à repérer ses troubles et le soutenir. Les infirmiers sont souvent
totalement débordés en France, car ils ont à gérer des pathologies multiples et ne peuvent pas
réellement faire ce travail d’accompagnement essentiel pour la résolution rapide des troubles et une
meilleure compréhension de la pathologie par le patient.
Des réseaux de ce type permettraient aussi de répondre à la mission du service public de proposer
des soins spécialisés au niveau de la région. Dans toutes les spécialités médicales, le CHU régional
constitue a priori un pôle de référence. Ce n’est pas le cas en psychiatrie qui doit s’harmoniser avec
les autres spécialités médicales.
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> Quels sont les traitements ?
Ils reposent sur le traitement des accès aigus et sur la prévention des rechutes. Si les traitements
médicamenteux sont essentiels, il est indispensable de proposer une aide psychologique et éducative
adaptée au patient et à son entourage immédiat.
Traitement des accès dépressifs
Les caractéristiques de l’accès dépressif vont guider la conduite à tenir en premier lieu et déterminer
la nécessité (ou pas) d’une hospitalisation. Celle-ci se justifiera lors de la présence d’éléments
psychotiques (idées délirantes ou hallucinations) et/ou d’un risque suicidaire. Les recommandations
actuelles faisant l’objet d’un consensus préconisent en première intention diverses stratégies en
fonction de la symptomatologie. En l’absence d’éléments psychotiques, l’association d’un régulateur
de l’humeur et d’un antidépresseur s’avère représenter le traitement de choix.
Traitement des accès maniaques, hypomaniaques ou mixtes
L'accès maniaque justifie la plupart du temps une hospitalisation qui pourra, comme pour l'épisode
dépressif, s'effectuer de façon contrainte afin de protéger le patient des actes dommageables que
peut engendrer son état. Il conviendra également d'évaluer la nécessité de mesures de protection, au
premier rang desquelles figure la sauvegarde de justice si l'on suspecte des dépenses inconsidérées
ou tout acte contraire aux intérêts personnels du patient. L'entretien s'attachera à retrouver la prise de
produits susceptibles de favoriser l'émergence de cet état, tels que les antidépresseurs, les
corticoïdes ou les psychostimulants.
Le lithium et les anticonvulsivants, qui constituent les traitements régulateurs de l’humeur ou
thymorégulateurs, sont également les traitements de choix des accès maniaques et peuvent être
associés à des neuroleptiques en cas d'agitation importante et d'insomnie majeure. Tandis que
l'évolution spontanée des accès maniaques vers la guérison nécessiterait en moyenne 4 à 6 mois, un
traitement adéquat permet d'obtenir le retour à une humeur adaptée au bout de 4 à 6 semaines. Il est
alors nécessaire de s'assurer de l’acceptation et du suivi régulier des soins prodigués. Cela nécessite
d'une part une bonne connaissance de la part du patient de sa pathologie et des symptômes avant-
coureurs des accès, d'autre part une alliance thérapeutique avec le psychiatre.
Traitement préventif des rechutes
Les troubles bipolaires étant caractérisés par leur récurrence, le risque de récidive justifie la mise en
oeuvre d'un traitement prophylactique (préventif). A l'heure actuelle, il est admis que ce traitement
peut être débuté dès le premier épisode maniaque ou mixte. Il repose essentiellement sur les
thymorégulateurs.
Dans la mesure où il s'agit d'un traitement préventif, la prescription de thymorégulateur peut se
concevoir comme un traitement à vie. En cas de souhait de la part du patient d'interrompre le
traitement, il importe de l'informer sur le risque important de rechutes (50% de rechutes à trois mois
en cas d'arrêt brutal). Lorsque les effets secondaires sont trop importants, on peut proposer une
réduction de la posologie ou un changement de thymorégulateur. Ici encore, l’acceptation du
traitement et son suivi régulier seront meilleurs si le patient a une bonne connaissance de son trouble,
si le traitement est efficace et les effets secondaires contrôlés.
Prise en charge psychologique
Au-delà du traitement médicamenteux, il est donc indispensable d’apporter au patient et à son
entourage un soutien pédagogique et psychologique. En effet, le patient devra apprendre à gérer sa
vulnérabilité. A cette fin, il est nécessaire qu’il connaisse parfaitement son trouble et qu’il puisse
repérer une symptomatologie atténuée annonçant une éventuelle décompensation. Assortie d’une
bonne alliance thérapeutique avec le médecin ou psychiatre, il devient alors possible de contrôler la
plupart des fluctuations thymiques en ambulatoire et d’éviter le recours aux hospitalisations. La famille
proche sera également sensibilisée au repérage des signes annonciateurs d’accès maniaques ou
dépressifs.
Le respect de certaines règles hygiéno-diététiques telles que la régularité du temps de sommeil,
l’évitement de périodes de surmenage et le contrôle de la prise d’alcool et de toxiques, favoriseront
une bonne évolution de la maladie. La gestion des évènements de vie stressants s’appuiera sur le
renforcement momentané du soutien psychologique. Enfin, certains patients pourront bénéficier de la
mise en oeuvre de psychothérapies plus structurées.
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