Dépressions et maladies maniaco-dépressives

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Dépressions
et maladies maniaco-dépressives,
des maladies que l’on peut soigner
Débat animé par Michel Cymes, chroniqueur médical de France Info et animateur TV sur France 5.
Propos recueillis à l'occasion d'un débat grand public organisé par France Info
et la Fondation pour la Recherche Médicale dans le cadre des "Rencontres santé".
Vendredi 13 mars 2003, à la Maison de la Radio (Paris).
Dossier disponible sur le site de la Fondation pour la Recherche Médicale www.frm.org
Avec la participation de :
> Dr Christian Gay,
Service de santé mentale et de thérapeutique de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris.
> Dr Chantal Henry,
Département de psychiatrie adulte, Hôpital Charles Perrens, Bordeaux.
> Pr Marion Leboyer,
Service de psychiatrie adulte, Hôpitaux Albert Chenevier et Henri-Mondor, Créteil.
1. Dépressions, maladies maniaco-dépressives : portraits de maladies méconnues
2. Comment en sortir ? médicaments, psychothérapie…
3. Quelles sont les voies de recherche actue lles ?
p. 2
p. 4
p. 7
Les réponses à vos questions
Dépressions et MMD : quelques idées reçues...
p.10
p.13
Dépression et MMD : des maladies que l’on peut soigner • www.frm.org
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1. Dépressions, maladies maniaco-dépressives :
portraits de maladies méconnues
Par le docteur Christian Gay,
Service de santé mentale et de thérapeutique de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------La maladie maniaco-dépressive, dénommée aujourd’hui trouble bipolaire est fréquente. Elle touche à
peu près 1,5 % de la population. Certaines catégories sociales, comme les journalistes, les médecins,
les avocats, les créatifs… en résumé toutes les activités professionnelles souvent confrontées à des
situations de stress, sont plus touchées que d’autres. Jusqu’à 10 % de personnes dans certains
milieux peuvent être touchés par cette maladie. Mais le chiffre à retenir est 1,5 %, c’est celui qui
concerne la population générale.
Lorsqu’on évoque la notion de spectre bipolaire, on fait référence à différents troubles de l’humeur,
que ce soit les troubles maniaco-dépressifs et cyclothymiques, les tempéraments… On arrive dans ce
cas facilement à atteindre un chiffre de 6 ou 8 % de la population.
> Une maladie grave
C’est une maladie qui fait souffrir considérablement le sujet atteint. Cette souffrance est partagée par
l’entourage : le conjoint, les enfants et les parents souffrent considérablement de voir quelqu’un dans
un état de détresse ou qui a des comportements incompréhensibles. C’est une maladie responsable
d’une désinsertion sociale, familiale, professionnelle importante.
C’est une maladie coûteuse. D’après les données actuelles, qui viennent des pays anglo-saxons, le
coût direct et indirect de cette maladie se chiffre en dizaines de milliards de dollars.
En outre, la mortalité chez les patients non-traités est trois fois plus élevée que dans la population
générale du fait de conduites suicidaires, de conduites à risques des personnes en phase d’excitation
et de pathologies cardio-vasculaires plus fréquentes.
C’est une maladie qui a une incidence médico-légale. De nombreux maniaco-dépressifs s’exposent à
la loi et à la justice et se retrouvent poursuivis pour toutes sortes de crimes et délits. La majorité des
délits sont commis avant que le diagnostic n’ait été posé. Il est important de savoir que sous
traitement, le taux de mortalité se normalise et devient inférieur à celui de la population générale, que
les traitements médicamenteux et psychothérapeutiques permettent de contrôler ce trouble et la
souffrance qu’elle engendre et que les conséquences de la maladie deviennent maîtrisables.
> Des difficultés de diagnostic et de traitement
Cette maladie a priori est facile à diagnostiquer, avec ses phases de "haut" où la personne est très en
forme, et ses phases de "bas" où elle se sent triste, ralentie, amortie, éteinte, fatiguée. Pourtant elle
est diagnostiquée tardivement, après 7 ans d’évolution en moyenne.
Le diagnostic : nous avons tous des fluctuations d’humeur. Quelle est la différence entre la tristesse et
la dépression, la joie et l’excitation maniaque ? Trois éléments permettent de faire le diagnostic :
l’intensité des symptômes, leur durée et leurs conséquences invalidantes permettent d’établir le
diagnostic.
Le traitement : comme pour beaucoup de maladies, en psychiatrie, un patient sur deux prend
correctement son traitement. Les patients ne sont pas informés sur les conséquences et les risques
du non-traitement de la maladie. Dès qu’ils vont mieux, ils l’arrêtent ce qui entraîne très souvent un
phénomène de rebond, et de nouveau ils se retrouvent dans un cercle infernal.
Cette maladie est perçue comme complexe ayant plusieurs déterminants.
La prise en charge tient compte des différents déterminants : thérapeutique médicamenteuse,
psychothérapie, thérapie comportementale, psycho-éducation, respect des règles d’hygiène de vie.
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De même, il existe fréquemment des troubles associés : anxiété généralisée, troubles paniques et
obsessionnels, troubles de conduite alimentaire, notamment les boulimies, consommation d’alcool et
de toxiques, qui sont des facteurs d’aggravation et qui justifient parallèlement une prise en charge
spécifique.
> Une maladie avec plusieurs phases
Le patient fonctionne avec des "hauts" et des "bas".
Dans la phase de haut, il est dans un état d’euphorie pathologique, d’optimisme démesuré, ayant la
sensation d’être très intelligent : « il est champion du monde ». La pensée fuse, à tel point que, par
moments, il y a une fuite des idées tellement elles vont vite et partent dans tous les sens. S’ajoute
aussi un état de désinhibition, avec des dépenses d’argent inconsidérées, des conduites sexuelles
excessives, des troubles du sommeil. Le patient n’a pas de besoin de dormir, il n’est pas fatigué et a
mille projets à réaliser.
Brutalement, ce patient va se retrouver dans l’état opposé, de tristesse, de mal être, accompagné d’un
ressenti très pénible, le sentiment d’être nul, une perte d’estime de soi, une dévalorisation, un
sentiment d’inutilité, une culpabilisation, une incapacité à se projeter dans un futur. Cette souffrance
est abominable et s’accompagne d’autres symptômes, pensée ralentie, efforts surhumains pour se
concentrer, fixer son attention, se souvenir, troubles du sommeil, perte de l’appétit, grande fatigue,
état d’aboulie (perte de la volonté) et désintérêt pour tout.
Entre ces phases d’excitation et ces phases de dépression se placent des intervalles libres. Le patient
a un niveau de fonctionnement normal, même s’il garde en mémoire cet état de fragilisation.
Beaucoup de maniaco-dépressifs ne sont jamais véritablement «bien» : ils ont toujours cette peur de
la rechute et conservent des séquelles post-dépressives et maniaques.
> Les différentes modalités évolutives
Ces modalités correspondent à différents modes d’expression de la maladie.
Il y a d’abord des formes d’excitation atténuées : on n’est pas “champion du monde”, on est deuxième
ou troisième sur le podium. Ces formes d’excitation modérée sont compatibles avec une vie normale,
mais la personne s’épuise tout de même : il existe une réduction du temps de sommeil, des projets
multiples, une hyperactivité, des facilités de contact...
Ensuite des formes délirantes. Ce matin, une patiente me disait qu’il y a 7 ans s’étant prise pour le
messie, elle avait enterré du miel dans son jardin. Persuadée que le miel était radioactif du fait des
abeilles qui venaient de Tchernobyl, elle ne voulait pas contaminer des gens. Elle n’en a parlé à
personne, elle ne m’en avait jamais parlé : j’ai mis 7 ans avant de poser le diagnostic correct.
Des formes mono-symptomatiques : un seul symptôme au premier plan. Ces sujets vont présenter
des troubles obsessionnels récurrents avec des intervalles libres et ou d’autres types de manifestation
qui masquent l’état de dépression et d’excitation.
Certaines formes de la maladie évoluent en fonction des saisons, d’autres évoluent très vite avec
plusieurs cycles au cours d’une année. On trouve des formes mixtes avec une intrication d’excitation
et de dépression. Le diagnostic est alors plus difficile à poser et s’oriente souvent vers des pathologies
comme la schizophrénie. Ces troubles sont beaucoup plus difficiles à traiter.
Quand les malades sont sous antidépresseurs, cela peut aggraver l’excitation et lorsqu’ils sont mis
sous neuroleptiques, cela peut favoriser l’apparition de la dépression. Il y a aussi des formes qui ont
une évolution complètement indéterminée, allant dans tous les sens.
Enfin, il existe une forme très particulière, qu’on appelle circulaire ou rémittente, c’est-à-dire, sans
intervalles libres. Ce sont des sujets qui ne sont jamais “ bien ”. Ils sont soit “ champions du monde ”
soit "nuls" et sans phases intermédiaires, sans répit. C’est très épuisant pour eux mais aussi pour la
famille.
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2. Comment en sortir ? médicaments, psychothérapie…
La prise en charge des troubles bipolaires
Par le Dr Chantal Henry,
Département de psychiatrie adulte, Hôpital Charles Perrens, Bordeaux.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Les troubles bipolaires sont méconnus avec des conséquences parfois dramatiques : il y a un risque
de désinsertion familiale, sociale et professionnelle chez les patients non traités et 19 % d’entre eux
décèdent par suicide. Il est nécessaire de développer des réseaux spécifiques pour améliorer la prise
en charge des patients en travaillant sur la prévention, en développant les soins spécialisés, en
formant les médecins, en informant les patients et en participant à l’effort de recherche.
> Comment organiser et concevoir la prévention et les soins ?
Il est nécessaire de développer des consultations de dépistage. Ces consultations auraient pour but
notamment de chercher des facteurs de risque de pathologie récurrente chez des patients présentant
une première dépression. Ces consultations auraient également pour but de faire du dépistage chez
les apparentés de patients souffrant de troubles bipolaires. En effet, lorsqu’un patient souffre de
troubles bipolaires, il y a plus de risques de développer cette pathologie au sein de la famille. Les
consultations de dépistage pourraient recevoir les familles et expliquer les stratégies de prévention.
Il faudrait aussi, évidemment, des consultations spécialisées afin de développer des stratégies de
bilan et d’aide au diagnostic. Ceci permet de constituer des réseaux avec des psychiatres libéraux ou
des médecins généralistes qui ont besoin parfois d’un avis mais peuvent participer à la prise en
charge des patients et de leurs familles. Ces consultations sont des aides au diagnostic, à la mise en
place et aux ajustements éventuels du traitement. Les traitements médicamenteux ont évolué, de
nouvelles stratégies se sont développées et de nouvelles molécules sortent actuellement sur le
marché. Le médecin généraliste ne saura peut -être pas utiliser les nouvelles molécules en fonction
des différentes formes cliniques de la maladie. Il est donc très important de pouvoir donner un avis,
des conduites générales à suivre et de réévaluer les patients de temps en temps. Au sein de ces
consultations il est aussi important de pouvoir proposer des approches pédagogiques mais également
des thérapies brèves par exemple de type cognitivo-comportemental. En effet, 20 à 40 % des patients
atteints de troubles bipolaires présentent des troubles anxieux associés et ces troubles peuvent
bénéficier de ce type de thérapies. D’autre part, on peut également développer des techniques de
gestion du stress dont on sait qu’il occasionne bon nombre de rechutes chez les patients bipolaires.
Il est nécessaire de créer des unités de soins spécialisés. En France, on est hospitalisé en fonction du
lieu où l’on habite dans des unités de soins mixtes où l’on rencontre toutes les pathologies. Dans de
nombreux pays, des unités de soins spécialisées regroupent les patients par pathologie pour leur
proposer un soin plus spécifique, reposant sur des équipes soignantes ayant acquis des compétences
spécifiques dans ce domaine. Lors de l’hospitalisation, l’équipe a un travail d’accompagnement à faire
auprès du patient pour l’aider à repérer ses troubles et le soutenir. Les infirmiers sont souvent
totalement débordés en France, car ils ont à gérer des pathologies multiples et ne peuvent pas
réellement faire ce travail d’accompagnement essentiel pour la résolution rapide des troubles et une
meilleure compréhension de la pathologie par le patient.
Des réseaux de ce type permettraient aussi de répondre à la mission du service public de proposer
des soins spécialisés au niveau de la région. Dans toutes les spécialités médicales, le CHU régional
constitue a priori un pôle de référence. Ce n’est pas le cas en psychiatrie qui doit s’harmoniser avec
les autres spécialités médicales.
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> Quels sont les traitements ?
Ils reposent sur le traitement des accès aigus et sur la prévention des rechutes. Si les traitements
médicamenteux sont essentiels, il est indispensable de proposer une aide psychologique et éducative
adaptée au patient et à son entourage immédiat.
Traitement des accès dépressifs
Les caractéristiques de l’accès dépressif vont guider la conduite à tenir en premier lieu et déterminer
la nécessité (ou pas) d’une hospitalisation. Celle-ci se justifiera lors de la présence d’éléments
psychotiques (idées délirantes ou hallucinations) et/ou d’un risque suicidaire. Les recommandations
actuelles faisant l’objet d’un consensus préconisent en première intention diverses stratégies en
fonction de la symptomatologie. En l’absence d’éléments psychotiques, l’association d’un régulateur
de l’humeur et d’un antidépresseur s’avère représenter le traitement de choix.
Traitement des accès maniaques, hypomaniaques ou mixtes
L'accès maniaque justifie la plupart du temps une hospitalisation qui pourra, comme pour l'épisode
dépressif, s'effectuer de façon contrainte afin de protéger le patient des actes dommageables que
peut engendrer son état. Il conviendra également d'évaluer la nécessité de mesures de protection, au
premier rang desquelles figure la sauvegarde de justice si l'on suspecte des dépenses inconsidérées
ou tout acte contraire aux intérêts personnels du patient. L'entretien s'attachera à retrouver la prise de
produits susceptibles de favoriser l'émergence de cet état, tels que les antidépresseurs, les
corticoïdes ou les psychostimulants.
Le lithium et les anticonvulsivants, qui constituent les traitements régulateurs de l’humeur ou
thymorégulateurs, sont également les traitements de choix des accès maniaques et peuvent être
associés à des neuroleptiques en cas d'agitation importante et d'insomnie majeure. Tandis que
l'évolution spontanée des accès maniaques vers la guérison nécessiterait en moyenne 4 à 6 mois, un
traitement adéquat permet d'obtenir le retour à une humeur adaptée au bout de 4 à 6 semaines. Il est
alors nécessaire de s'assurer de l’acceptation et du suivi régulier des soins prodigués. Cela nécessite
d'une part une bonne connaissance de la part du patient de sa pathologie et des symptômes avantcoureurs des accès, d'autre part une alliance thérapeutique avec le psychiatre.
Traitement préventif des rechutes
Les troubles bipolaires étant caractérisés par leur récurrence, le risque de récidive justifie la mise en
oeuvre d'un traitement prophylactique (préventif). A l'heure actuelle, il est admis que ce traitement
peut être débuté dès le premier épisode maniaque ou mixte. Il repose essentiellement sur les
thymorégulateurs.
Dans la mesure où il s'agit d'un traitement préventif, la prescription de thymorégulateur peut se
concevoir comme un traitement à vie. En cas de souhait de la part du patient d'interrompre le
traitement, il importe de l'informer sur le risque important de rechutes (50% de rechutes à trois mois
en cas d'arrêt brutal). Lorsque les effets secondaires sont trop importants, on peut proposer une
réduction de la posologie ou un changement de thymorégulateur. Ici encore, l’acceptation du
traitement et son suivi régulier seront meilleurs si le patient a une bonne connaissance de son trouble,
si le traitement est efficace et les effets secondaires contrôlés.
Prise en charge psychologique
Au-delà du traitement médicamenteux, il est donc indispensable d’apporter au patient et à son
entourage un soutien pédagogique et psychologique. En effet, le patient devra apprendre à gérer sa
vulnérabilité. A cette fin, il est nécessaire qu’il connaisse parfaitement son trouble et qu’il puisse
repérer une symptomatologie atténuée annonçant une éventuelle décompensation. Assortie d’une
bonne alliance thérapeutique avec le médecin ou psychiatre, il devient alors possible de contrôler la
plupart des fluctuations thymiques en ambulatoire et d’éviter le recours aux hospitalisations. La famille
proche sera également sensibilisée au repérage des signes annonciateurs d’accès maniaques ou
dépressifs.
Le respect de certaines règles hygiéno-diététiques telles que la régularité du temps de sommeil,
l’évitement de périodes de surmenage et le contrôle de la prise d’alcool et de toxiques, favoriseront
une bonne évolution de la maladie. La gestion des évènements de vie stressants s’appuiera sur le
renforcement momentané du soutien psychologique. Enfin, certains patients pourront bénéficier de la
mise en oeuvre de psychothérapies plus structurées.
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> Formation et information des professionnels, des patients et de leurs familles
En premier lieu, il faut informer les professionnels de la santé. Les médecins généralistes sont en
première ligne pour établir le diagnostic ou orienter le patient vers un spécialiste. Les psychiatres euxmêmes ont parfois besoin d’un avis spécialisé tellement cette pathologie est hétérogène. Enfin, les
psychologues pourraient avoir une part très active pour l’éducation des patients et de leur entourage
sur la maladie maniaco-dépressive.
Il est en effet essentiel d’informer les patients et leurs familles à travers des groupes d’information et
de soutien, qui sont nés des recommandations internationales. Il y a actuellement très peu de groupes
d’informations en France, Christian Gay en anime un à Sainte Anne à Paris et j’anime un autre groupe
à Bordeaux. Il paraît essentiel de développer de tels groupes en France afin que tous les patients et
leur famille puissent y avoir accès. Ce sont des groupes de discussion au cours desquels on donne
une information structurée. Les différents symptômes sont passés en revue : on parle de la manie, de
la dépression, du traitement pour que les patients apprennent à reconnaître leur pathologie. Les
familles sont également informées pour mieux gérer et soutenir le patient.
Les patients doivent aussi se mobiliser pour dire qu’ils existent et dénoncer ces manques en France.
Actuellement, chacun devrait pouvoir localiser sur un site Internet l’association de patients la plus
proche. On sait aujourd’hui que les programmes psycho-éducatifs pour les patients et leurs familles
ont une forte incidence sur la baisse des rechutes des patients bipolaires.
> La recherche clinique
Il est important également d’améliorer la recherche clinique sur ces maladies en France. Cela
permettra d’améliorer les stratégies thérapeutiques par une meilleure définition des troubles qui
tiendra compte de leur diversité clinique. Cela permettra aussi une meilleure compréhension des
mécanismes biologiques en cause dans cette pathologie et des facteurs environnementaux qui
favorisent son émergence et les rechutes.
Pour cela, des unités spécialisées devront participer à des activités de recherche afin de continuer à
proposer un soin spécialisé et diffuser largement les résultats de ces recherches dans chaque région.
Ces unités contribueront aussi à tisser un réseau repérable pouvant proposer de la prévention, des
consultations spécialisées, dispenser des formations et de l’information, en lien avec les associations
de patients et de familles, et également participer à des programmes de recherche.
Ces réseaux doivent être créés en France pour favoriser l’accès aux soins et développer la prévention
sur une pathologie qui a une forte mortalité et morbidité. Il s’agit aussi de lutter contre la stigmatisation
des troubles psychiatriques - ce type de rencontre y contribue également - et de renforcer les droits
des malades. Améliorer la qualité de la prise en charge contribuerait à diminuer la souffrance des
patients et des familles ainsi que le coût direct et indirect de cette maladie pour la société. Il s’agit,
enfin, de préserver d’autres richesses : la bipolarité est associée à une certaine créativité, mais son
expression en est compromise si les patients ne sont pas bien stabilisés.
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3. Quelles sont les voies de recherche actuelles ?
Par le professeur Marion Leboyer,
Service de psychiatrie adulte,
Hôpitaux Albert Chenevier et Henri-Mondor, Créteil.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Les troubles bipolaires sont des maladies fréquentes, qui touchent 1,5 % de la population, soit
500 000 Français. Ce sont des maladies chroniques, invalidantes et coûteuses qui figurent parmi les
10 premières maladies génératrices de handicaps et de coûts socio-économiques et leurs causes sont
complexes.
Il est essentiel de développer en France la recherche en psychiatrie et l’information sur la maladie, sur
les réseaux de soins, les résultats thérapeutiques et les résultats de cette recherche. Il s’agit d’aller
plus facilement voir le généraliste ou le psychiatre pour éviter des situations difficiles qui sont la
conséquence d’une information insuffisante.
Nous annonçons la naissance d’une nouvelle association, PARI (Psychiatrie : Agir Pour la Recherche
et l’Information) qui va réunir l’ensemble des associations de malades pour l’ensemble des
pathologies psychiatriques afin de développer l’information pour le grand public et de soutenir la
recherche sur les maladies psychiatriques. Un site Internet sera créé, le plus didactique et le plus
simple possible, sur lequel vous pourrez trouver les informations, les adresses des centres experts,
les outils du diagnostic, les outils du traitement, les adresses des associations, les calendriers des
manifestations, etc. L’association a aussi pour objectif de soutenir la recherche insuffisamment
développée dans ce pays alors qu’il s’agit de pathologies extrêmement graves et invalidantes.
> Quels sont les outils qui permettent de comprendre et de rechercher les
mécanismes de ces maladies ?
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L’outil épidémiologique cherche à décrire la fréquence des pathologies psychiatriques ainsi
que les facteurs environnementaux déclenchants.
Les outils pharmacologiques comprennent le développement et l’étude de l’action des
médicaments.
L’imagerie cérébrale fait des progrès considérables et permet de mieux connaître les régions
du cerveau impliquées dans les symptômes présents dans les différentes pathologies
psychiatriques. On sait maintenant que, dans la dépression, il y a un hypo-fonctionnement
dans la région préfrontale gauche du cerveau.
La génétique, elle, a pour but l’identification des facteurs de vulnérabilité génétique en cause
dans les troubles bipolaires.
> A quoi sert la psychiatrie génétique ?
La mise en évidence de facteurs génétiques, prouvant l’existence d’une base biologique pour les
maladies psychiatriques, permet de modifier la perception sociale de ces maladies. Il s’agit d’une
maladie comme les autres, avec un terrain biologique, et qui se traite avec des médicaments.
Les progrès de la recherche clinique sont indispensables pour utiliser au mieux l’outil génétique. Nous
sommes, en effet, en train d’identifier les différentes formes cliniques de la MMD : on ne parle plus de
la maladie maniaco-dépressive mais de troubles bipolaires, des troubles très hétérogènes. Cela
nécessite donc d’identifier les différentes formes cliniques, mais aussi d’améliorer les diagnostics.
La psychiatrie génétique permettra, à moyen ou à long terme, de comprendre les mécanismes
génétiques et neurobiologiques qui sous-tendent cette maladie et de développer de nouveaux
traitements de plus en plus ciblés.
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> Quels arguments en faveur d’un terrain génétique dans la maladie maniacodépressive ?
Si on compare la fréquence de cette maladie dans la population générale (1/100) et au sein d’une
fratrie dont un membre est atteint de maladie maniaco-dépressive (10/100), le risque est multiplié par
10. Cela signifie que des facteurs familiaux entrent en jeux dans le développement de cette maladie.
Le poids des facteurs familiaux existe donc bien, mais il est faible. Cependant, si on compare cette
augmentation du risque de MMD au sein d’une fratrie avec l’augmentation du risque observée pour
d’autres maladies, on observe que les chiffres sont voisins de ceux observés dans les maladies à
hérédité complexe comme par exemple, le diabète de type I.
Autre stratégie de recherche, les études de jumeaux. Cette stratégie permet de comparer la
ressemblance, pour la maladie étudiée, entre des jumeaux dizygotes (qui se ressemblent comme
frères et soeurs et ont 50 % de gênes en commun, appelés aussi « faux jumeaux ») et des jumeaux
monozygotes (qui ont 100 % de leurs gènes en commun, « vrais jumeaux »). L’ensemble des études
faites pour les troubles bipolaires a trouvé une concordance de 69 % pour les jumeaux monozygotes,
et de 13 % pour les jumeaux dizygotes. L’augmentation du risque familial est donc pour partie
seulement expliquée par des facteurs génétiques, mais pas exclusivement, puisque deux personnes
qui ont exactement le même patrimoine héréditaire ne sont pas à 100 % malades. Il y a donc bien des
facteurs génétiques et des facteurs environnementaux qui jouent un rôle dans le déclenchement de la
maladie.
La maladie maniaco-dépressive fait donc partie des pathologies à hérédité complexe comme le
diabète, les maladies cardio-vasculaires, l’hypertension, l’obésité, l’asthme, etc. Pour toutes ces
maladies, il y a interaction de nombreux gènes à effet mineur et de facteurs environnementaux.
On sait aussi que les troubles bipolaires sont extrêmement hétérogènes, sur le plan clinique
(symptômes présents au cours de la maladie) mais aussi sur le plan des causes et des facteurs
génétiques. Ils ne sont pas déterminés par un seul gène, mais par l’interaction de très nombreux
facteurs génétiques et environnementaux.
> Comment étudier les facteurs génétiques liés à la MMD ?
Les stratégies génétiques qui identifient les facteurs de vulnérabilité génétique le font en deux temps.
A partir de très grands échantillons de familles avec plusieurs individus atteints, on procède à un
criblage du génome. Cela consiste à repérer les régions des chromosomes susceptibles de contenir
les facteurs de vulnérabilité génétique. Dans ces régions candidates, on va chercher s’il existe des «
gènes candidats » qui codent, a priori, pour un produit impliqué dans les causes de la maladie,
notamment ceux impliqués dans le métabolisme des neuromédiateurs . Par exemple, sont considérés
comme de bons candidats, les gènes qui jouent un rôle dans la synthèse, la fabrication, le transport
ou la dégradation de certains neuromédiateurs (sérotonine, noradrénaline et dopamine) sur lesquels
agissent les psychotropes, les antidépresseurs et les neuroleptiques.
La stratégie de recherche clinique consiste d’une part à identifier des formes cliniques homogènes
(dont les symptômes se ressemblent) et plus génétiques de la maladie et d’autre part à rechercher
des endophénotypes, c’est à dire des marqueurs de vulnérabilité à la maladie, chez des individus à
risque, non malades mais ayant un lien de parenté proche avec des malades.
Les stratégies génétiques : de très nombreuses études de criblage du génome ont été réalisées sur
de grands échantillons de population dans différents pays et ont permis de repérer différentes régions
du génome susceptibles de contenir ces facteurs de vulnérabilité génétique. Dans ces régions, ont été
repérés des « gènes candidats », dont on a pu montrer qu’il existait une association entre certaines
formes de ces gènes et les troubles bipolaires, en les étudiant sur une population de malades
comparée à une population témoin.
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Les stratégies cliniques visent essentiellement à identifier chez les patients des formes cliniques
homogènes et plus génétiques de la maladie. On recherche chez les malades des critères cliniques
qui permettent de repérer des formes homogènes de la maladie comme l’âge de début du premier
épisode dépressif ou maniaque ou l’existence de tentatives de suicide. Un indicateur aussi simple que
l’âge de début a permis d’identifier trois formes de la maladie : une forme à début précoce
(adolescence) qui concerne environ 30% des malades maniaco-dépressifs, une forme à début
intermédiaire (entre 20 et 30 ans) qui touche 50% des malades et une forme à début tardif (45-50 ans)
présente dans 20% des cas. Nous avons également pu montrer que ces différentes formes de MMD
présentent des tableaux cliniques différents (ensemble des symptômes) et qu’elles ont probablement
des origines, notamment génétiques, spécifiques. On sait aujourd’hui que la maladie maniacodépressive à début précoce est une forme clinique homogène, caractérisée par un handicap
important, de nombreux troubles associés (troubles anxieux, alcoolisme, présence d’épisodes
délirants) et un risque familial élevé de développer la maladie.
Pour la première fois, un mode de transmission de cette forme clinique de la MMD a été identifié. Il est
probablement déterminé par un gène majeur avec une composante polygénique (plusieurs gènes
influençant la survenue de la maladie). Pour cette forme spécifique, il sera sans doute possible
d’identifier plus vite des facteurs de vulnérabilité en faisant des études génétiques.
La recherche de marqueurs de vulnérabilité
Chez des sujets à risques, ayant un lien de parenté avec des malades mais n’étant pas eux-mêmes
atteints par la maladie, on peut utiliser différents outils pour repérer des facteurs de vulnérabilité
comme l’électrophysiologie, la biologie, les tests cognitifs, l’imagerie. Cette stratégie de recherche, qui
permettra d’identifier les différents composants de la maladie, est en pleine expansion. En effet, on ne
cherche plus à identifier le ou les gènes qui sous-tendent cette maladie, mais les gènes de
vulnérabilité aux différentes composantes de la maladie également appelés endophénotypes.
> Les troubles bipôlaires, en conclusion
Les troubles bipolaires font partie des maladies à hérédité complexe, déterminées par des facteurs de
vulnérabilité génétiques et environnementaux. L’existence de ce terrain génétique est un formidable
espoir pour comprendre ces maladies et les “déstigmatiser”, en faire des maladies comme les autres.
La génétique permettra d’accéder aux causes de ces maladies, d’identifier des formes cliniques
homogènes et probablement de trouver des traitements plus ciblés.
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Les réponses à vos questions
Ce débat fut l'occasion, pour le public venu nombreux, de poser ses questions sur la dépression et les maniacodépressions.
Retour sur les échanges entre les trois spécialistes et la salle du studio Charles Trenet de la Maison de la Radio
(Paris) où avait lieu cette rencontre.
Des maladies aux multiples visages
> Quelles sont les évolutions moyennes de cette maladie ?
En moyenne, on fait un épisode d’excitation et un épisode dépressif par an, mais les intervalles
peuvent durer 2, 3, 5 ou 10 ans. On observe souvent un premier épisode d’excitation maniaque à
l’âge de 18 ans et un deuxième à 28 ans.
Le cycle rapide, qui compte au moins 4 épisodes par ans, concerne 20 % des maniaco-dépressifs. Il
est beaucoup plus invalidant et déstabilisant. Le sujet est confronté en permanence à des récidives et
ne peut avoir une bonne intégration professionnelle. Cela pose donc un réel problème thérapeutique,
d’autant que ces formes sont les plus difficiles à traiter.
Après un premier épisode d’excitation, il y a 95 % de risques d’entrer dans la maladie, d’où la
nécessité de traiter le plus tôt possible : plus on attend, plus la prise en charge est difficile.
> La maladie maniaco-dépressive empêche ou favorise la créativité et la réussite sociale ?
Les Américains font généralement référence à Napoléon lorsqu’ils commencent leur exposé sur la
MMD. Nous, nous faisons référence à Lincoln, à Churchill ou à T. D. Roosevelt. Il y a énormément de
créateurs, musiciens, écrivains ou peintres, qui sont maniaco-dépressifs. Cela pose d’énormes
questions : est-ce un tempérament particulier qui amène la créativité ou est-ce le stress de la
créativité qui peut générer la maladie ?
Cette maladie est tout à fait compatible avec une vie normale et à responsabilités. Bourguiba était
maniaco-dépressif. C’est une activité qui expose considérablement et le stress est là en permanence.
Le maniaco-dépressif a une vie familiale chaotique, avec des séparations, des replis, des fugues.
Certains hommes politiques sont un peu calqués là-dessus, par exemple quand ils se séparent
brutalement de leur parti. Mais, il faut un tempérament particulier pour être un homme politique, qui
peut conduire vers cela. Et ce n’est pas spécifique à la politique, on voit cela dans le monde de la
médecine etc., partout où il y a des leaders, qui sont peut -être plus exposés que d’autres à de tels
troubles. Néanmoins, il y a aussi des hyper-thymiques qui fonctionnent à 200 km/heure en
permanence et dorment 4 heures par nuit. Très souvent, des chefs d’entreprise hyper-thymiques qui
ont eu d’énormes responsabilités, s’effondrent brutalement à 50 ans et font une dépression
d’épuisement. On les met sous antidépresseurs et l’on rentre alors dans un cycle infernal.
> Est -on plus créatif pendant la phase d’excitation ou pendant la phase dépressive ?
J’ai rarement rencontré quelqu’un qui était créatif dans une phase dépressive. Généralement, le sujet
est bloqué, annihilé, il n’arrive plus à se concentrer et à créer. Que ce soit Rossini, Hugo Wolf, Berlioz,
(éventuellement Mozart et Haendel, mais nous ne disposons pas de données précises), ou encore
Balzac, Zola ou Hugo, c’est au cours de phases d’excitation qui ont été reconnues, qu’ils arrivaient à
produire : Rossini a écrit “ Le Barbier de Séville ” en 15 jours…
> Que veulent dire les termes bipolaire, maniaque et hypomaniaque ?
Bipolaire est le terme actuel pour caractériser les maniaco-dépressifs. Il renvoie à deux pôles, un pôle
positif (dit aussi hyperactif ou maniaque) et un pôle négatif (dépressif) et à cette fluctuation avec des
hauts et des bas. La manie correspond à une excitation euphorique. L’hypomanie est une manie
atténuée, avec une hyperactivité qui reste compatible avec une vie normale.
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Prise en charge de ces maladies
> Faudrait-il envoyer davantage les patients vers les psychiatres ?
Généralement, les médecins généralistes demandent un avis spécialisé qui confirme le diagnostic.
Certains suivent ensuite les patients, mais assez souvent en interaction avec le psychiatre, compte
tenu de leur charge de travail : cela prend beaucoup de temps, on ne traite pas un patient bipolaire en
5 minutes.
> Est -ce qu’il est facile pour un dépressif de rejoindre une association et d’être ainsi étiqueté
comme dépressif chronique ?
Il y a des réticences, mais il faut pouvoir pousser cette porte pour se trouver avec des gens qui sont
dans le même cas. Il y a des groupes de parole, on expose ses problèmes personnels, on a le temps
d’en parler. C’est une aide psychologique très importante, pour les dépressifs et les bipolaires.
D’ailleurs, la plupart des malades demande où trouver des associations. Les associations ont un rôle
fondamental pour pouvoir accepter son trouble. Il n’y a pas de honte à être maniaco-dépressif, de
même qu’il n’y a pas de honte à avoir une hypertension artérielle ou un diabète. Il faut lutter contre la
discrimination de cette maladie.
> Comment surmonter la honte d’une personne qui a été en phase maniaque vis-à-vis de son
environnement ?
Même à ce niveau, il y a un travail d’accompagnement et d’explication. Lorsqu’on lit un livre comme
celui de Kate Jamison, “ De l’exaltation à la dépression ”, où cette grande spécialiste parle de sa
maladie, on a un autre regard sur la maladie. Les « bêtises » que l’on fait dans la phase d’excitation
favorisent l’entrée dans la dépression, parce que la culpabilité est très importante. Si on est capable
d’expliquer à la population la signification de ces symptômes, il y aura un autre vécu. Le travail ne doit
donc pas être mené uniquement au niveau du patient, mais de toutes les personnes concernées dans
l’entourage et du reste de la population. D’où l’intérêt des réunions comme celle d’aujourd’hui.
> Comment trouver des interlocuteurs et s’orienter vers ces associations de soutien aux
patients et à leurs familles ?
France Dépression existe depuis 1992, Argos depuis 2001 et l’UNAFAM est très active et participe à
cet effort de communication. Il y a un travail en collaboration avec ces associations et des services
hospitaliers pour diffuser ces informations et communiquer avec les personnes. Les réunions
organisées sont interactives : il y a un retour, une discussion et, chaque fois, un ajustement de cette
information. Cette information doit aussi être consensuelle, il faut qu’elle soit reconnue et définie
scientifiquement. Il faut enfin qu’elle soit accessible, pour que l’individu puisse l’intégrer et l’utiliser. Le
travail des associations joue là un rôle fondamental. Elles ont des sites Internet. On peut aussi les
contacter par téléphone et participer aux réunions hebdomadaires.
> Quelle place accorder aux psychothérapies et aux psychanalyses ?
Les troubles bipolaires nécessitent un traitement médicamenteux et la plupart des patients
conviennent qu’il y a une amélioration sous traitement. Mais certaines personnes peuvent aussi tirer
bénéfice des psychothérapies, en particulier d’inspiration analytique. Par rapport à une pathologie
aussi invalidante, on doit se servir de tous les outils thérapeutiques. Il faut éviter de tomber dans des
querelles de chapelle qui nuisent souvent à la prise en charge des patients.
Néanmoins, ce sont des maladies très douloureuses et le sujet en phase dépressive nous dit que sa
souffrance est pire qu’une souffrance physique. La psychothérapie ne sert pas à grand-chose quand
la souffrance est intense. On n’apprend pas à nager à quelqu’un qui se noie, on lui jette une bouée de
sauvetage. Pour le déprimé ou le maniaco-dépressif, il y a une urgence : il faut atténuer sa douleur.
Un travail psychologique pourra être fait ensuite pour essayer de lutter contre les causes de cette
dépression.
> Peut-on guérir des troubles bipolaires ?
Ce n’est pas une pathologie chronique mais récurrente, avec des rémissions qui peuvent être
extrêmement longues. Cependant, le risque de rechute est toujours là.
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> Comment intervenir auprès d’un maniaco-dépressif pour lui faire comprendre qu’il faut
consulter ?
Parmi tous les exclus, les SDF, les gens qui sont en prison, il y a énormément de maniaco-dépressifs
qui n’ont jamais été diagnostiqués. Dans une phase d’excitation maniaco-dépressive, on est très
souvent obligé de faire intervenir les forces de l’ordre quand le malade se met en danger et met en
danger son entourage. Il y a une agressivité et une irritabilité, ce n’est pas simplement de la douce
euphorie et cela peut être un état d’urgence. Le médecin généraliste peut jouer un rôle d’intermédiaire
très important, mais il a encore une mauvaise information sur les troubles bipolaires. On propose donc
des réseaux de collaboration entre psychiatres et généralistes, parce qu’il est difficile d’intervenir en
urgence lorsque quelqu’un y est opposé et de l’amener à consulter.
Les voies de recherche actuelles
> Lorsqu’on aura trouvé les gènes responsables des maladies maniaco-dépressives, va-t-on
faire de la thérapie génique ?
Il n’est pas question de thérapie génique quand on parle de maladies qui ne sont pas monogéniques
(dues à la défection d’un seul gène), qui sont des maladies à hérédité complexe comme la maladie
maniaco-dépressive. La prévention passe par l’information sur la maladie, pour expliquer qu’il y a un
risque, même s’il reste relativement faible, qui justifie la poursuite des recherches en cours. S’il y a
des signes de la maladie, on ne doit pas avoir peur d’aller voir le psychiatre ou le généraliste. Le
pronostic dépend de la rapidité du diagnostic et de la mise en route des traitements.
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Dépressions et MMD : quelques idées reçues...
> "La dépression n’est pas une maladie, il suffit d’un peu de volonté pour en sortir"
La dépression est pourtant bien une maladie qui est causée par une altération des fonctions
biologiques du cerveau. Les recherches (pharmacologiques, génétiques et en imagerie cérébrale) ont
accumulé de nombreux arguments dans ce sens.
Et même si les facteurs déclenchants restent encore à l’état d’hypothèses, l’existence d’un support
biologique n’est plus remise en cause. Cela implique nécessairement que le malade ne peut se guérir
par la seule force de sa volonté (peut-on soigner une grippe de la sorte ?).
De même, il ne sert à rien d’essayer de raisonner une personne dépressive en lui montrant qu’elle a
tout pour être heureuse ou que ses problèmes ne sont pas si graves en regard d’autres beaucoup
plus dramatiques : la maladie n’est pas plus accessible au raisonnement qu’à la volonté et son
déclenchement ne dépend pas non plus de la « dose » de malheur ou de difficultés accumulée dans
l’existence. Dans certains cas, la dépression peut même survenir sans qu’aucune cause n’apparaisse
de façon évidente. Cependant, quel que soit le cas de figure, une prise en charge médicale spécifique
(antidépresseur, thymorégulateur, éventuellement associés à une psychothérapie) est indispensable,
et pour cela une démarche volontaire est nécessaire.
> "Les maniaco-dépressifs sont des fous, les dépressifs sont des faibles ou des gens fragiles"
Les symptômes de la dépression sont généralement bien identifiés, mais encore trop souvent
considérés comme les manifestations d'une faiblesse de caractère, d'un laisser-aller. À l'inverse, les
troubles bipolaires de l’humeur, ou maladies maniaco-dépressives, sont moins bien connus et les
personnes qui en sont atteintes sont souvent classées comme folles sans autres formes de procès. La
maladie maniaco-dépressive est pourtant une forme particulière de dépression qui nécessite un
diagnostic précoce et une prise en charge spécifique. Les malades (1.5 % de la population, soit
500.000 personnes en France) présentent des phases de dépression (tristesse perdurant sur une
longue période, idées suicidaires, baisse d'énergie, troubles du sommeil, de l'appétit, de la mémoire,
de la concentration, etc.) qui alternent avec des phases maniaques. Au cours de ces phases, au
contraire, le patient est excessivement euphorique, témoigne d'un niveau d'activité débordant et a peu
besoin de sommeil. Il sous-estime les difficultés de la réalité et surestime ses capacités, ce qui le
conduit souvent à se mettre en situation de danger (conduite à vitesse élevée, pratique sexuelle à
risque, dépenses financières inconsidérées, etc.). La plupart du temps, il ne reconnaît pas le caractère
anormal de son état.
Ces maladies, dont l'intensité des symptômes peut varier d'un individu à un autre, correspondent à
des dysfonctionnements du cerveau, qui comme tout autre organe peut être atteint de troubles, que
l'on peut soigner par des traitements adaptés.
> "La dépression, il n’y a rien à faire. On ne peut pas en guérir !"
Au contraire, les dépressions peuvent être soignées, et ceci d’autant plus efficacement que l’on se
soigne rapidement auprès de spécialistes. Malheureusement, le diagnostic de la maladie maniacodépressive est souvent posé trop tard, en moyenne 8 à 10 ans après l’apparition des premiers
symptômes. Que de temps perdu et de conséquences désastreuses au niveau personnel, familial et
professionnel, alors que des traitements efficaces existent ! Les antidépresseurs, diminuent l’intensité
et la durée des épisodes dépressifs. Résultat : une rémission complète dans près de 70% des cas.
Pour les troubles bipolaires, les traitements thymorégulateurs tels que le lithium, prescrits au long
cours, préviennent efficacement les rechutes et soignent les épisodes maniaques ou dépressifs. Dans
tous les cas, une prise en charge psychothérapique, la mise en place d'une bonne hygiène de vie et
l’éducation du patient sont indispensables à la prévention des rechutes (un patient sur 2 rechute dans
les 2 ans en l’absence de traitement adapté) et à la reprise d’une vie sociale normale.
> « La dépression, c’est génétique ! »
Des études scientifiques, dont celles du professeur Marion Leboyer, ont montré qu’il existait
effectivement un terrain génétique à la maladie maniaco-dépressive, comme pour d’autres maladies à
hérédité complexe telles que les maladies cardio-vasculaires, le diabète, etc. Au cours de ces
maladies interagissent facteurs de vulnérabilité génétique et facteurs environnementaux (stress,
séparation, deuil, etc.). Les recherches menées, en particulier en France, ont pour but d’identifier ces
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facteurs, afin de progresser dans la compréhension de cette maladie et de développer de nouveaux
outils thérapeutiques.
> "Les dépressifs sont des gens négligés et pas très propres sur eux"
La dépression est une maladie qui fatigue : les personnes qui en sont atteintes se sentent exténuées ;
la moindre activité demande un effort qui leur paraît insurmontable. Ainsi, l'attention habituellement
apportée aux soins du corps et à la tenue vestimentaire peut être relâchée du fait de cet épuisement.
De plus, il est fréquent que ces malades souffrent d'une grande perte de l'estime de soi. Ils se sentent
insignifiants, introduisent une distance entre eux et la réalité. Ils n'attachent alors plus grande
importance à leur apparence. Cela n'est bien sûr pas un choix délibéré, mais l'une des conséquences
de la maladie.
> "C’est l’éducation ou l’entourage qui est responsable de leur état"
Cette affirmation trop souvent répétée a longtemps contribué (et contribue encore) à culpabiliser les
familles des malades. Grâce aux avancées de la recherche, les médecins savent aujourd'hui que les
choses ne sont pas si simples. Concernant l'autisme par exemple, il a été clairement démontré que
les facteurs génétiques étaient prépondérants dans le déclenchement de la maladie, alors que l'on
accusait jusque là une relation mère-enfant déficitaire. On découvre depuis peu que des facteurs
génétiques existent également pour les dépressions et les troubles bipolaires. Mêmes si les causes de
ces maladies ne sont pas encore clairement identifiées, les facteurs génétiques constituent un terrain
favorable, une fragilité, qui peut être révélée à l'occasion d'un événement traumatisant (choc affectif,
décès, séparation, etc.).
> "Il a fait trop d’études, ça l’a rendu fou"
Le fait de pratiquer une activité intellectuelle, même à un haut niveau, ne peut constituer en soi la
cause d'une dépression, de troubles bipolaires, ni d'aucun autre trouble mental. En revanche, une
période de travail très intense associée à un manque de sommeil et à un niveau de stress élevé,
comme peuvent l'être les périodes d'examens par exemple, peut constituer un facteur déclenchant
d'une maladie maniaco-dépressive chez des personnes possédant un terrain génétique favorable.
> "On est fou ou normal, il n’y a pas de demi-mesure dans ce domaine"
Bien que le terme « fou » n'ait pas grand sens, on peut dire qu'une personne est ou n'est pas malade
suivant qu'il existe ou non un retentissement important sur sa vie sociale. Bien sûr, l'incapacité, le
handicap généré par la maladie, peut être plus ou moins important suivant les personnes, mais quel
que soit le cas de figure, une prise en charge médicale spécifique est indispensable.
> "Les médicaments m’empêchent d’être moi-même, j’ai l’impression de perdre le contrôle de
ce que je suis"
Antidépresseurs et thymorégulateurs n’entraînent pas de modifications de la personnalité. En
revanche, les neuroleptiques, parfois employés pour calmer des états d’agitation importants associés
à des épisodes maniaques, peuvent modifier la perception des choses en feutrant les ressentis de la
réalité (peur, colère, joie…) et en diminuant la réactivité au stress. Le patient peut alors avoir
l’impression de ne plus être vraiment lui-même. L'utilisation ponctuelle de ces médicaments peut
néanmoins être indispensable lorsque l’état d’agitation du malade empêche toute communication avec
lui.
> "Lorsque l’on commence ce type de traitement, on ne peut plus s’en passer"
Contrairement aux croyances répandues, la prise d'un traitement antidépresseur ne provoque pas de
dépendance. Seuls les anxiolytiques, souvent prescrits au cours d'épisodes dépressifs pour calmer
les accès d'angoisse, sont susceptibles d'entraîner une telle dépendance. Ils ne doivent donc être
prescrits que ponctuellement et être arrêtés très progressivement.
En revanche, la prescription d'un antidépresseur sans thymorégulateur à un patient maniaco-dépressif
risque d'aggraver sa maladie. Les thymorégulateurs doivent donc être prescrits au long cours chez
ces malades, non pas parce qu'ils en sont dépendants, mais parce que leur état le nécessite, de la
même façon que les diabétiques (de type 1) ont besoin d'insuline tout au long de leur vie.
Ce sont donc bien les symptômes de la maladie qui sont aliénants et privent le malade de sa volonté,
non les médicaments. Les traitements constituent au contraire une démarche active et une action
possible contre la maladie.
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