144-011 French_144-005 French - Les troubles de l`humeur et de l

Évaluation et traitement des atteintes cognitives
chez les adultes souffrant de troubles de
l’humeur : récupération fonctionnelle
Par Vina M. Goghari, Ph.D., RPsych, et Glenda M. MacQueen, M.D., Ph.D., FRCPC Membres exécutifs du Conseil
consultatif du CANMAT
Sagar V. Parikh, M.D., FRCPC
Président chargé de l’éducation, Toronto
Rédacteur, Troubles de l’humeur et de
l’anxiété – Conférences scientifiques
Raymond W. Lam, M.D., FRCPC
Président exécutif, Vancouver
Sidney H. Kennedy, M.D., FRCPC
Président du groupe chargé de la dépression,
Toronto
Lakshmi N. Yatham, MBBS, FRCPC, MRCPsych
(R.-U.) – Président chargé des troubles
bipolaires, Vancouver
Jitender Sareen, M.D., FRCPC
Président du groupe chargé de l’anxiété,
Winnipeg
Roger S. McIntyre, M.D., FRCPC
Président – Développement commercial
et de la recherche, Toronto
Roumen Milev, M.D. Ph.D., FRCPsych, FRCPC
Président – Conférences internationales,
Kingston
Membres du Conseil
d’administration du CANMAT
Serge Beaulieu, M.D., Ph.D., FRCPC
Montréal
Glenda MacQueen, M.D. Ph.D., FRCPC
Calgary
Diane McIntosh, M.D., FRCPC
Vancouver
Arun V. Ravindran, M.B., Ph.D., FRCPC
Toronto
Association Canadienne pour le Traitement
des Troubles Anxieux et de l’Humeur
Bureau de l’éducation
Salle 9M-329, Toronto Western Hospital
399, rue Bathurst (Toronto) Ontario
CANADA M5T 2S8
Le CANMAT – ou Association Canadienne pour le
Traitement des Troubles Anxieux et de l’Humeur –
est un organisme de recherche indépendant dont les
membres sont issus de plusieurs universités
canadiennes. L’objectif final du CANMAT est
d’améliorer la qualité de vie des personnes souffrant
de troubles de l’humeur et de l’anxiété, par des
projets et des registres de recherches novatrices,
le développement de programmes d’éducation
fondés sur des données probantes et les meilleures
pratiques et l’élaboration de lignes
directrices/politiques.
CURRENT CLINICAL TOPICS FROM LEADING RA SPECIALISTS ACROSS CANADA AND AROUND THE
WORLD INVITED BY THE REBECCA MACDONALD CENTRE FOR ARTHRITIS AND AUTOIMMUNE DISEASE
UNE RESSOURCE ÉDUCATIVE POUR LES MÉDECINS DE L’ASSOCIATION CANADIENNE POUR LE TRAITEMENT DES TROUBLES ANXIEUX ET DE L’HUMEUR
VOLUME 2, NUMÉRO 4
Association Canadienne pour le Traitement des
Troubles Anxieux et de l’Humeur
Disponible sur Internet à www.humeuretanxieteconferences.ca
MD
Le trouble dépressif majeur (TDM) et le trouble bipolaire (TB) comptent parmi les dix maladies mentales ou
physiques les plus débilitantes en termes de nombre d’années de vie en bonne santé perdues en raison d’une
maladie1. Ces troubles ont un impact économique majeur en raison des coûts de santé et de la perte de produc-
tivité au travail qu’ils entraînent2. Le TDM et le TB sont tous deux associés à des atteintes cognitives qui
contribuent à une plus faible récupération fonctionnelle3-5. L’évaluation et le traitement des atteintes cogni-
tives sont donc un élément important de la récupération dans les troubles de l’humeur. Dans le présent
numéro de Les troubles de l’humeur et de l’anxiété – Conférences scientifiques, nous examinons les tests
neuropsychiatriques utilisés pour mesurer les atteintes cognitives associées au TDM et au TB ainsi qu’un éven-
tail d’options de traitements pharmacologiques et non pharmacologiques.
Étude de cas
Une réceptionniste âgée de 35 ans souffrant de trouble bipolaire I qui s’est rétablie récemment d’un épisode
dépressif continue de présenter des difficultés cognitives notables (mémoire, attention, accomplissement de
tâches multiples) qui sont une source de problèmes au travail. Son psychiatre l’oriente vers un neuropsycho-
logue pour une évaluation complète.
Évaluation neuropsychologique
Les objectifs de l’évaluation neuropsychologique sont de faciliter le diagnostic différentiel, d’examiner les
effets des troubles neurologiques, médicaux et émotionnels sur la cognition et le comportement dans le contexte
des facteurs biopsychosociaux, et de surveiller le fonctionnement de la personne dans le temps. Finalement, ces
informations sont utilisées pour déterminer les forces et les faiblesses cognitives de la personne, afin de faciliter
la planification du traitement. Les avantages des tests neuropsychologiques incluent la facilité d’utilisation, leur
standardisation, l’utilisation d’échantillons normatifs aux fins de comparaison et leur fiabilité et leur validité
documentées. En plus d’être utilisés dans des contextes cliniques, de nombreux tests neuropsychologiques sont
utilisés dans la recherche pour mesurer divers domaines du fonctionnement cognitif.
Tests neuropsychologiques fréquemment utilisés
Le tableau 1 contient des informations sur de nombreux instruments de mesure examinés ci-dessous.
L’intelligence est « une faculté mentale très générale qui entre autres permet de raisonner, de planifier, de
résoudre des problèmes, de penser abstraitement, de comprendre des idées complexes, d’apprendre rapidement et
d’apprendre de l’expérience ». Elle a une importance pratique, étant donné que l’on a constaté que ces aptitudes
sont fortement associées à la réussite scolaire, au succès professionnel et même à la longévité6. L’échelle d’intelli-
gence de Wechsler pour adultes – Quatrième édition (Wechsler Adult Intelligence Scale – Fourth Edition; WAIS-
IV) est un instrument de mesure de l’intelligence fréquemment utilisé, et l’intelligence prémorbide est générale-
ment mesurée au moyen du National Adult Reading Test (NART/NART-Revised).
Les outils de dépistage cognitif mesurent l’atteinte cognitive générale, et nombre d’entre eux ont été spéci-
fiquement développés pour dépister et évaluer la démence. Dans une évaluation neuropsychologique, ces tests
seraient probablement utilisés conjointement à d’autres tests. Les outils de mesure fréquemment utilisés sont le
mini-examen de l’état mental (Mini-Mental State Examination) ou le test d’estimation cognitive de Montréal
(Montreal Cognitive Assessment ; MoCA) plus sensible comme outils de dépistage d’une atteinte cognitive, et
l’échelle d’évaluation de la démence-2 (Dementia Rating Scale – 2) et la batterie répétable de tests pour l’évalua-
tion de l’état neuropsychologique (Repeatable Battery for the Assessment of Neuropsychological Status) sont des
outils de mesure plus exhaustifs.
Tableau 1: Tests neuropsychologiques pour adultes fréquemment utilisés pouvant être pertinents pour les troubles de l’humeur
Domain Description
Intelligence
Échelle d’intelligence pour
adultes de Wechsler – IV
(QI global et 4 indices)
Compréhension verbale
Raisonnement perceptif
Mémoire de travail
Vitesse de traitement
National Adult Reading Test
(NART/NART-Revised)
Composée de 10 sous-tests principaux et de 5 tâches supplémentaires
Similitudes : raisonnement verbal abstrait
Vocabulaire : capacité de comprendre et d’exprimer verbalement des mots
Information : connaissances générales
Compréhension : capacité d’appliquer des règles sociales abstraites
Cubes : perception spatiale, résolution de problèmes abstraits visuels
Matrices : résolution non verbale de problèmes abstraits, raisonnement inductif/spatial
Puzzles visuels : raisonnement spatial
Images à compléter : perception visuelle des détails chronométrée
Arrangement d’images : raisonnement quantitative et analogique
Mémoire de chiffres (en ordre direct, inverse) : attention, contrôle mental
Arithmétique : attention lors de résolution de problèmes mathématiques
Séquence lettres-chiffres : attention, contrôle mental
Recherche de symboles : perception visuelle, vitesse de lecture
Code : coordination visuo-motrice, vitesse motrice/mentale, mémoire de travail
Annulation : vitesse visuo-perceptuelle
Mesure l’intelligence prémorbide. Lire à haute voix une série de 50 mots qui peuvent être irréguliers
en termes de correspondances graphème-phonème.
Dépistage des atteintes
cognitives/des démences
Mini-examen de l’état mental
ou test d’estimation cognitive
de Montréal
Échelle d’évaluation de la
démence – 2
Batterie répétable pour
l’évaluation de l’état
neuropsychologique
Tests sous forme de bref questionnaire en 30 points utilisés pour dépister une atteinte cognitive
(p. ex., la démence). Évaluent l’orientation dans le temps et l’espace, l’attention et le calcul, le rappel,
le langage, la répétition et les ordres complexes.
Mesure le niveau global du fonctionnement cognitif. Consiste en 5 sous-échelles, qui fournissent des
informations additionnelles sur des compétences particulières : attention, initiation/persévération,
construction, conceptualisation et mémoire.
Pour la détection et la caractérisation neurocognitive de la démence, mais est également utile pour
d’autres troubles entraînant une atteinte cognitive. Évalue la mémoire immédiate et différée, la
construction visuo-spatiale, le langage et l’attention.
Attention et
fonctionnement exécutif
Test de performance continue
de Conners – II
Le test des traces
Test de classement de cartes
de Wisconsin
Test des mots de couleur de
Stroop
Tour de Londres
Fluence verbale
Fluence verbale catégorielle
ou sémantique
Fluence lexicale ou
phonétique
Test de fluence figurale de Ruff
Mesure l’attention et l’impulsivité. Test informatisé qui consiste à appuyer sur un bouton pour toutes
les lettres qui sont présentées en série sur l’écran d’un ordinateur excepté un “X”.
La partie A mesure l’attention visuelle et consiste à relier les cercles contenant des chiffres
séquentiellement. La partie B mesure en plus le changement de tâches et consiste à relier des cercles
contenant des chiffres et des lettres séquentiellement, mais en ajoutant une composante
supplémentaire qui consiste à alterner les chiffres et les lettres.
Mesure le changement de stratégie de classement et la persévération. Consiste à classer des cartes en
fonction de différents paramètres (forme, couleur, nombre) présents pour toutes les cartes sur la base
du commentaire de l’examinateur (correct/incorrect) et le principe de classement de carte change
après qu’un certain nombre de bonnes réponses ont été obtenues.
Mesure l’attention et le contrôle cognitif (i.e., capacité d’inhiber une réponse automatique en faveur
d’une réponse pertinente à une tâche). Lire à haute voix une liste de mots identifiant des couleurs et
une liste de mots identifiant des couleurs imprimés dans des couleurs différentes. Troisième liste – lire
à haute voix la couleur dans laquelle un mot est imprimé, en ne tenant pas compte du mot, lorsque le
nom de couleur imprimé diffère de la couleur dans laquelle il est imprimé.
Mesure la capacité de planification et de résolution de problèmes. Deux séries de boules et de
planches surmontées de tiges sont présentes, selon deux schémas différents. Consiste à recréer le
même schéma de boules sur la planche que celui des examinateurs en effectuant le nombre de
déplacements minimum nécessaires pour repositionner les boules.
Deux types différents – sémantique et catégoriel – mesure la production spontanée d’information verbale
– Énumérer tous les mots dans une catégorie spécifique (p. ex., animaux) en 60 secondes
– Énumérer tous les mots qui commencent par une certaine lettre (p. ex., F, A, S) en 60 secondes
Mesure la production spontanée de schémas uniques. Relier des points pour former différents schémas.
Mémoire
Échelle de mémoire de
Weschler – IV
Tâches d’apprentissage verbal
d’une liste
Figure complexe de
Rey-Osterrieth
Inclut 7 sous-tests : examen spatial supplémentaire, symboles, mémoire de construction, examen
d’habileté cognitive générale, mémoire logique, associations verbales appariées et reproduction
visuelle. La performance est indiquée par 5 scores indiciels : mémoire auditive, mémoire visuelle,
mémoire de travail visuelle, mémoire immédiate et mémoire différée.
Mesure l’apprentissage et la mémoire verbale. Dans toutes les tâches d’apprentissage d’une liste, une
liste de mots est présentée à la personne et on lui demande de se rappeler les mots immédiatement et
après un court et long délai.
Mesure la mémoire visuo-spatiale ainsi que le fonctionnement exécutif (planification, organisation).
Reproduire un dessin ayant des lignes compliquées immédiatement de mémoire et après un laps de
temps, et le copier
Attention et fonctionnement exécutif. L’attention est un domaine de
la cognition qui implique de se concentrer sur certains aspects de l’envi-
ronnement. Le fonctionnement exécutif est un domaine de la cognition
qui inclut des processus, tels que la mémoire de travail, la planification,
l’inhibition, la souplesse mentale et le contrôle des actions7. Les outils de
mesure fréquemment utilisés dans ce domaine incluent : le test des
tracés (Trail Making Test), le test de performance continue de Conner
(Conner’s Continuous Performance Test), le test de classement de cartes
du Wisconsin (Wisconsin Card Scoring Test), le test des mots en couleurs
de Stroop (Stroop Color-Word Test), le test de la tour de Londres (Tower
of London), la fluence verbale (Verbal Fluency) et la fluence figurale de
Ruff (Ruff Figural Fluency).
La mémoire est le processus par lequel l’information est encodée,
stockée et récupérée. Elle est évaluée dans les domaines verbaux et
visuels. Les outils d’évaluation incluent l’échelle de mémoire de
Wechsler-Quatrième édition (Wechsler Memory Scale-Fourth Edition), le
test d’apprentissage verbal d’une liste (Verbal List Learning Task) (p. ex.
le test d’apprentissage audio-verbal de Rey (Rey Auditory Verbal Learning
Test), le test d’apprentissage verbal de Hopkins-R (Hopkins Verbal
Learning Test-R), le test d’apprentissage verbal de Californie-II
(California Verbal Learning Test-II) et le test de la figure complexe de
Rey-Osterrieth (Rey-Osterrieth Complex Figure).
Limites des tests neuropsychologiques
Bien que les tests neuropsychologiques aient de nombreux avan-
tages, il convient de signaler qu’ils ont certaines limites. Tout d’abord, la
plupart des tests neuropsychologiques ne mesure pas un seul domaine
cognitif et peuvent donc ne pas mesurer une atteinte spécifique. Par
exemple, bien que le test des tracés, partie B soit fréquemment considéré
comme une mesure du changement de tâches, il mesure également l’at-
tention visuelle, la vitesse de traitement et la mémoire de travail parmi
d’autres processus. Par conséquent, les problèmes dans la réalisation de
ces tâches peuvent être représentatifs d’une atteinte généralisée qui est
souvent présente dans les échantillons psychiatriques plutôt que d’une
atteinte spécifique. Deuxièmement, les échantillons normatifs utilisés à
titre de comparaison pour nombre de ces tests peuvent différer large-
ment quant aux individus inclus dans l’échantillon et la représentativité
de l’échantillon. Enfin, les différences dans la motivation entre les sujets
présentant une atteinte et les sujets dans l’échantillon normatif pour-
raient également expliquer les différences dans les scores. Pour éviter
certaines de ces lacunes, les chercheurs utilisent souvent des tâches
cognitives qui ont été développées expérimentalement pour exploiter un
processus spécifique en faisant en sorte qu’elles aient le même niveau de
difficulté dans les conditions expérimentales et de contrôle. Par exemple,
les initiatives intitulées Cognitive Neuroscience Treatment Research to
Improve Cognition in Schizophrenia (CNTRICS; http://cntrics.ucdavis.
edu/index.shtml) et Cognitive Neuroscience Test Reliability And Clinical
applications for Schizophrenia (CNTRACS; http://cntrics.ucdavis.
edu/publications.shtml) ont été compilées pour être utilisées dans la
recherche translationnelle en vue d’améliorer l’issue chez les patients
atteints de schizophrénie. Certaines des tâches recommandées pour la
recherche sur la schizophrénie peuvent également être appropriées pour
les troubles de l’humeur.
Revue de la cognition dans le trouble dépressif majeur
(TDM) et le trouble bipolaire (TB)
Au cours de ces dernières années, une série de méta-analyses ont
examiné les atteintes cognitives associées au TDM et au TB. Celles-ci
sont brièvement examinées.
Revue des atteintes cognitives dans le TDM
Premier épisode de TDM vs les témoins et épisode récurrent de TDM8.
Une analyse combinée de 15 échantillons indépendants (N = 644
patients ; âge moyen 39,4 ans) a révélé des déficits significatifs au niveau
de la vitesse psychomotrice, de l’attention, de l’apprentissage et de la
mémoire visuelle, du changement de tâches, de la fluence verbale, de la
souplesse cognitive comparativement aux témoins chez des patients
présentant un premier épisode de TDM. La mémoire de travail et l’ap-
prentissage et la mémoire verbaux n’étaient pas différents entre les
groupes (Figure 1). Cette méta-analyse a également démontré que les
troubles du fonctionnement exécutif ne sont pas associés à la sévérité de
la maladie et peuvent donc représenter le marqueur d’un trait du TDM.
En revanche, la vitesse psychomotrice, l’apprentissage et la mémoire
visuels et verbaux et la mémoire de travail étaient associés aux mesures
de la sévérité de la maladie, tels que l’état thymique et l’hospitalisation.
De plus, les troubles neuropsychologiques n’étaient pas plus sévères chez
les patients présentant un épisode récurrent de TDM que chez les
patients qui présentaient un premier épisode.
Sévérité du TDM. Dans leur revue de 14 études9, les auteurs ont
constaté que la performance dans la réalisation de tâches faisant appel à
la mémoire verbale, au fonctionnement exécutif et à la vitesse de traite-
ment, mais non à la fluence sémantique ou à la mémoire visuo-spatiale
était négativement associée à la sévérité accrue de la maladie.
TDM avec psychose vs TDM sans psychose10. Comme le révèlent les
5 études (N = 325 ; 150 patients atteints de TDM sans psychose, 175
atteints de TDM avec psychose), la présence de symptômes psychotiques
était associée à une atteinte plus marquée au niveau des tâches visuo-
spatiales, de l’attention/la mémoire de travail, de la vitesse/dextérité
psychomotrice, du fonctionnement exécutif et de la mémoire compara-
tivement aux patients ne présentant pas de psychose.
Revue des atteintes cognitives dans le trouble bipolaire
Les patients atteints de TB euthymique vs les témoins. Plusieurs méta-
analyses ont examiné les atteintes cognitives chez des patients
Étude de cas (suite)
Le neuropsychologue commence par réaliser un entretien auprès de la
patiente, recueillant des informations sur ses antécédents personnels
et familiaux de troubles psychiatriques et médicaux, son environ-
nement social et sa formation et l’historique de son développement. La
patiente rapporte qu’elle a présenté son premier épisode dépressif il y
a environ 10 ans, qui a été suivi de 4 autres épisodes dépressifs et de
2 épisodes maniaques. Elle signale qu’elle est sous lithium et que
le médicament est efficace. Elle ne répond pas aux critères
d’un épisode dépressif, maniaque ou mixte. La patiente rapporte
également que la peur de prendre du retard dans son travail et le juge-
ment perçu de son superviseur lui causent une forte anxiété. De plus,
elle indique qu’elle a arrêté son programme d’exercice régulier depuis
le début de son épisode dépressif. Les observations comportementales
suggèrent que son humeur est euthymique, bien que son affect soit
quelque peu émoussé.
La patiente est coopérative pour tous les tests et effectue toutes les tâches
qu’on lui présente. Une batterie complète de tests est sélectionnée, incluant 4
sous-tests de WAIS-IV mesurant le vocabulaire, la mémoire de travail, la
vitesse de traitement et le raisonnement perceptuel ; des tests de fonction-
nement attentionnel et exécutif et des tests de mémoire visuelle et verbale.
De plus, pour mesurer ses symptômes thymiques actuels, la patiente a rempli
un questionnaire d’autoévaluation comprenant des mesures évaluant la
dépression et l’anxiété actuelles. Conformément au rapport de la patiente,
ses scores se situent dans la gamme faible-moyenne des mesures de l’atten-
tion et du fonctionnement exécutif, de la mémoire, du langage et de la
perception, de la mémoire de travail, de la vitesse de traitement et du raison-
nement perceptuel comparativement aux pairs du même âge et du même
niveau scolaire. L’intelligence verbale se situe dans la gamme moyenne
élevée. Les scores de dépression se situent dans la gamme moyenne inférieure
et les scores d’anxiété se situent dans la gamme moyenne.
euthymiques souffrant de TB. Une méta-analyse récente (28
études ; 1026 patients atteints de trouble bipolaire euthymique et
1384 témoins en bonne santé) a démontré que tous les domaines
du fonctionnement cognitif ont une taille d’effet moyen à fort
pour l’atteinte cognitive dans le TB euthymique comparativement
aux témoins, excepté en ce qui concerne l’intelligence verbale, ce
qui suggère que l’intelligence cristallisée peut demeurer plus
intacte11. Il est surprenant que cette méta-analyse de 28 études ait
démontré qu’à mesure que l’âge et la durée de la maladie
augmentent, l’importance de l’atteinte cognitive diminue. On a
constaté que le sexe n’a pas d’effet sur la taille d’effet, alors qu’un
niveau d’éducation plus élevé était associé à une atteinte moindre.
Le fonctionnement exécutif global était plus altéré chez les indi-
vidus dont l’évolution clinique de la maladie était défavorable
comparativement à une évolution clinique favorable.
Les patients atteints de TB-II vs les témoins12. Dans cette revue
quantitative de 9 études (263 patients atteints de TB-II et 415
témoins en bonne santé), les patients atteints de TB-II ont mont
des atteintes cognitives significatives au niveau de la cognition
globale, du fonctionnement exécutif, de la mémoire visuelle, de la
mémoire verbale, de la planification et de la mémoire de travail
comparativement aux témoins. Les variables cliniques et démo-
graphiques n’ont pas eu d’impact sur la taille d’effet.
TB-I vs TB-II. Les patients atteints de TB-II avaient une
meilleure capacité cognitive globale, un meilleur fonctionnement
exécutif, une meilleure mémoire visuelle et une meilleure mémoire
verbale que les patients atteints de TB-I dans une analyse de 11
études (444 patients atteints de TB-I et 285 patients atteints de
TB-II)12. On n’a pas noté de différence dans l’attention, la planifi-
cation et la mémoire de travail entre les groupes.
Impact de la psychose. Les auteurs de cette méta-analyse de 11
études (N = 774 ; 435 patients atteints de TB psychotique et 339
patients atteints de TB non psychotique)13 ont constaté que les
patients atteints de psychose présentaient une moins bonne perfor-
mance au niveau de la cognition globale, du fonctionnement
exécutif, de la mémoire verbale, de la mémoire de travail et de la
planification comparativement aux patients atteints de TB sans
psychose. On n’a pas noté de différence dans l’attention et la
mémoire visuelle entre les groupes. Un nombre élevé d’épisodes
maniaques était également associé à une cognition globale inférieure.
Options thérapeutiques pour améliorer la cognition
La forte corrélation existant entre la cognition et l’issue
fonctionnelle, telle que le maintien d’une relation et la perfor-
mance au travail, souligne que l’amélioration de la cognition est
un objectif clé dans le traitement des troubles psychiatriques.
Lorsqu’on vise à améliorer le fonctionnement cognitif chez les
patients atteints de troubles de l’humeur, il est important de
prendre en considération plusieurs facteurs inhibant le fonction-
nement. Il est important de s’assurer que les patients ont une fonc-
tion thyroïdienne normale lorsqu’on cible les symptômes cogni-
tifs. Les troubles primaires du sommeil peuvent exacerber les
problèmes cognitifs et doivent être exclus chez les patients atteints
de troubles de l’humeur. L’abus d’alcool ou de substances illicites
peut également avoir un impact négatif sur la cognition, et les
patients doivent comprendre qu’il peut être impossible d’améliorer
leur fonctionnement cognitif en raison de l’abus de substances. Les
médicaments tels que les benzodiazépines peuvent également avoir
un impact négatif sur la cognition. Les patients peuvent devoir
évaluer si le bénéfice de ces médicaments et d’autres hypnotiques
compense leur impact négatif sur la cognition. Le fardeau cognitif
cumulatif imposé par les maladies physiques et les médicaments
pris pour les traiter peut être important, en particulier chez les
patients âgés ou chez ceux atteints de maladies co-existantes. Un
traitement optimisé des maladies physiques, tel que le contrôle de
la glycémie chez les patients diabétiques ou l’optimisation de
l’écoulement de l’air dans les voies aériennes chez les patients
atteints de maladie pulmonaire obstructive chronique, pourrait
être un complément important au traitement.
Lithium
Le lithium est principalement utilisé dans le traitement du
TB, en particulier pour la manie. Une méta-analyse réalisée par
Wingo et ses collaborateurs (12 études ; N = 539)14 a démontré
que le traitement au lithium était associé à un déficit léger, mais
significatif, de l’apprentissage verbal immédiat et de la mémoire et
de la créativité. En revanche, la mémoire verbale différée, la
mémoire visuelle, l’attention, le fonctionnement exécutif, la vitesse
de traitement et la performance psychomotrice n’étaient pas signi-
ficativement affectés.
Figure 1. Résultats d’une méta-analyse de la cognition suite à un premier épisode de trouble dépressif majeur
comparativement à des sujets témoins
G de Hedge
0,1
0,2
0,3
0,4
0,5
0,6
Vitesse Attention Apprentissage Changement Fluence Flexibilité moire Apprentissage
psychomotrice et mémoire de tâches verbale cognitive de travail verbal et
visuels mémoire
Adapté avec la permission de Lee RS et coll. J Affect Disord. 2012;140(2):113-124. Copyright © 2012.
Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS)
et inhibiteurs sélectifs de la récapture de la sérotonine
et de la norépinéphrine (ISRSN)
Une petite méta-analyse (3 études ; N = 122)15 a démontré
une amélioration dans un domaine du fonctionnement exécutif
(performance au test de Stroop) au cours d’un traitement par des
antidépresseurs chez des patients atteints de TDM sans psychose.
Cependant, des recherches plus approfondies dans un plus grand
nombre de domaines de la cognition sont nécessaires.
Lamotrigine
Deux revues d’études chez des patients atteints de TB
suggèrent que la lamotrigine n’altère pas la cognition, certaines
données suggérant plutôt des avantages16,17. D’autres anticonvulsi-
vants (acide valproïque, carbamazépine, topiramate) ont été asso-
ciés à des effets négatifs sur la cognition16,17.
Antipsychotiques atypiques
Une revue de l’utilisation d’antipsychotiques atypiques dans
le TB suggère que les antipsychotiques ont plus d’effets négatifs sur
la cognition que le lithium et les anticonvulsivants16. De plus
amples recherches ont été effectuées pour la schizophrénie avec des
résultats contradictoires. L’essai CATIE (Clinical Antipsychotics
Trials of Intervention Effectiveness)18 du National Institute of Mental
Health a révélé qu’il n’y avait aucune différence significative après
le traitement dans tous les domaines cognitifs avec la rispéridone,
l’olanzapine, la quétiapine ou la ziprasidone pour la schizophrénie
comparativement à la perphénazine. De légers effets bénéfiques
ont été constatés dans tous les groupes.
Remédiation cognitive
La remédiation cognitive est une stratégie prometteuse visant
à augmenter les capacités cognitives. Elle consiste généralement en
un entraînement des processus mentaux à l’aide de tâches19. Une
méta-analyse de 7 études (N = 104)20 sur la remédiation cognitive
chez des patients atteints de troubles affectifs a révélé une taille
d’effet moyen (0,44) pour les changements cognitifs après l’en-
traînement. À l’appui de ces conclusions, notre récente étude a
révélé une augmentation de l’activité cérébrale mesurée par la
neuro-imagerie fonctionnelle après 10 semaines d’entraînement
cognitif chez 38 patients atteints de troubles de l’humeur21. Cette
augmentation a été observée au niveau des régions préfrontale,
temporale et pariétale pendant une tâche faisant appel à la
mémoire de travail et une activation accrue a été observée dans
l’hippocampe lors de tâches de mémoire après l’entraînement.
Exercice
L’exercice peut avoir un effet positif sur la cognition, tant chez
les personnes en bonne santé que chez celles atteintes d’un trouble
de l’humeur. Les mécanismes neuronaux supposés par lesquels
l’exercice peut avoir des avantages cognitifs incluent une survie et
un fonctionnement neuronaux accrus, une diminution de l’in-
flammation, une amélioration de la fonction vasculaire et une
diminution du niveau de réponse neuroendocrinienne liée au
stress22,23. Quelques études ont suggéré que chez les patients
atteints de TDM, l’exercice a des avantages cognitifs24,25.
Cependant, une amélioration de la cognition n’a pas été notée de
façon constante et uniforme26.
Acides gras
De multiples enquêtes transversales et prospectives ont révélé le
rôle protecteur des acides gras polyinsaturés de la membrane des
globules rouges, en particulier l’acide docosahéxaénoïque (DHA)
contre le déclin cognitif27. Bien que quelques études aient spécifique-
ment examiné la relation existant entre la composition en lipides
érythrocytaires et la cognition chez des adultes, on a noté qu’une
carence en acides gras polyinsaturés Ω-3, tels que le DHA, a des effets
néfastes sur la cognition27, alors qu’une supplémentation en acides
gras polyinsaturés Ω-3 peut avoir des effets bénéfiques sur le fonc-
tionnement cognitif28. On a également rapporté qu’une supplémen-
tation en acides gras polyinsaturés améliore les symptômes du TB29,
bien qu’on ne sache pas précisément si le fonctionnement cognitif est
amélioré. Pour le TDM, les données sur la cognition sont plus
mitigées. Antypa et ses collaborateurs30 ont constaté une améliora-
tion dans la prise de décisions émotionnelles chez des sujets rétablis.
Cependant, ces avantages n’ont pas été observés dans d’autres
domaines de la cognition chez les sujets rétablis ou déprimés dans
leur étude ou dans celle de Rogers et ses collaborateurs31.
Inhibiteurs de l’acétylcholinestérase
Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase exercent un effet
bénéfique sur la cognition en bloquant l’acétylcholinestérase et en
améliorant la fonction cholinergique. Cette classe de médicaments
était prescrite initialement pour améliorer la cognition chez les
patients atteints de la maladie d’Alzheimer et a été utilisée plus
récemment dans les troubles psychiatriques, principalement la
schizophrénie32. Bien que des données préliminaires provenant de
plus petites études non contrôlées chez des patients atteints de TB
montrent des résultats prometteurs, cet effet bénéfique n’a pas été
observé dans la majorité des études contrôlées plus importantes et
mieux conçues réalisées chez des patients atteints de schizo-
phrénie17. Des résultats préliminaires plus prometteurs sont
signalés pour le TDM. Notre groupe a effectué une étude pilote
avec répartition aléatoire, à double insu et contrôlée avec placebo
sur la galantamine chez des patients atteints de TDM33. Le groupe
traité avec la galantamine (n = 9) a présenté une amélioration
numérique des mesures de la dépression et de la cognition,
comparativement au groupe traité avec le placebo, bien que l’on
n’ait pas noté une différence statistique entre les groupes33. Une
autre étude récente à double insu, contrôlée avec placebo sur la
galantamine administrée à des patients durant leur thérapie élec-
troconvulsive a révélé une amélioration cognitive de la mémoire
différée, mais non dans d’autres domaines34.
Stimulants
Les psychostimulants augmentent l’activité cérébrale, amélio-
rant ainsi la vigilance, l’humeur et l’éveil. Principalement utilisés
pour le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité
(TDAH), les stimulants facilitent de nombreux aspects de la cogni-
tion. Le modafinil est recommandé comme choix de deuxième ligne
pour le TB et le TDAH comorbides35. Le modafinil, un agent de
maintien de l’éveil, a été évalué dans quelques études chez des
patients atteints de schizophrénie. Des essais ouverts sur le modafinil
administré conjointement à des antipsychotiques pour la schizo-
phrénie ont révélé une amélioration du fonctionnement exécutif, de
la mémoire de travail et de la mémoire visuelle17. Sur la base des
observations faites chez des patients schizophrènes, le modafinil
peut également être utilisé chez des patients atteints de troubles de
l’humeur, mais des recherches plus approfondies sont nécessaires17.
Étude de cas (suite)
Le neuropsychologue recommande que la patiente subdivise ses
tâches, afin de dépendre dans une moindre mesure du traitement
exécutif et de la mémoire, et de reprendre son programme d’ex-
ercice. Il l’oriente vers la thérapie cognitivo-comportementale
pour l’aider à gérer ses symptômes dépressifs subcliniques persis-
tants et à élaborer un plan pour gérer son anxiété, qui réduit
probablement davantage son rendement au travail. Elle a été
informée que le lithium peut jouer un rôle dans certains de ses
atteintes cognitives et encouragée à continuer à discuter de la
gestion de ses médicaments avec son psychiatre.
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144-011 French_144-005 French - Les troubles de l`humeur et de l

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