Article N°3 - UFR Lettres

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Productions Méthodologiques et Thématiques en Education – N° 2 – Février 2009
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« L'enjeu identitaire »
Département STAPS de Tarbes
Université de Pau et des Pays de l’Adour
Auteur de la synthèse :
S. VAXELAIRE
Mots clefs :
EP scolaire, conceptions, pratique, champ,
enjeu identitaire, culture, méthodes.
Références du texte :
J. P. Clément, Clermont-Ferrand, Editions AFRAPS, 1993
in « l'identité de l'éducation physique et scolaire au XXe siècle ».
p.13-25.
Problématique du texte :
La recherche de filiation s'accompagne d'une recherche de différenciation. Pour exister,
l'éducation physique doit en permanence, comme toute institution, préserver sa spécificité par
rapport aux institutions concurrentes (et non scolaire) s'occupant d'éducation corporelle au
sens large, comme l'armée, la médecine ou plus tard les sports. Dans cette perspective, les
théoriciens situés dans le champ scolaire et soucieux d'y imposer leur point de vue sont
amenés à fournir, en permanence dans leurs argumentations les preuves de la conformité à ce
qu'ils croient être les normes et les valeurs scolaires.
Citations :
« De manière générale, la préoccupation identitaire imprègne l'ensemble des «
conceptions » identifiables, c'est à dire des productions proposant d'établir des relations
cohérentes entre finalités, objectifs et moyens pour être théoriquement et politiquement
acceptables et généralisables dans le domaine de l'éducation physique scolaire. »
pages 16/17
Productions Méthodologiques et Thématiques en Education – N° 2 – Février 2009
« Toutes conceptions doivent en effet se situer dans l'espace des productions mais aussi
dans l'histoire de la discipline pour mieux indiquer les filiations qu'elles revendiquent et les
ruptures qu'elles préconisent. »
page 17
Synthèse :
La préoccupation identitaire constitue une permanence institutionnelle de la discipline
« éducation physique » (EP), au cours du XXème siècle. L'éducation physique scolaire est
une institution, une « histoire faite chose » (Bourdieu P. 1982). « L'identité de l'éducation
physique » fait donc appel aux approches de types historique, sociologique ou sociohistorique.
Institutionnellement, la « gymnastique scolaire » est classée « matière d'enseignement »
en 1851. Elle n'est toutefois pas reconnue en tant que discipline scolaire, malgré qu'elle soit
obligatoire dans tous les établissements à partir de 1880. Dès lors, l'éducation physique
devient un enjeu de lutte entre différentes « conceptions » qui vont s'affronter pour en définir
les objectifs, les moyens et les finalités.
Dans ce texte, l'identité de l'éducation physique est envisagée autour de quatre axes.
Tout d'abord la définition de l'identité, ensuite la constitution de son histoire. En troisième
lieu, les rapports entre théories et pratiques, et enfin, l'intégration des données culturelles dans
le champ.
La définition de l’identité comme enjeu de l’EP scolaire
La définition de l'identité comme enjeu de l'éducation physique et scolaire est l'objet
de diverses querelles, débats, conflits intra et interdisciplinaires. En effet la notion d'enjeu
identitaire est en permanence l'objet de luttes entre les différents acteurs du champ par
conceptions interposées. Dans les années soixante, l'identité de la discipline est vue par le
biais de la querelle de l' « objet ». Dans cette lutte pour la définition de l' « objet », la
didactique apparaît comme pouvoir occuper une place déterminante. Cette science ayant pour
objet les méthodes d'enseignement, soulève de nombreux débats théorico-pédagogiques à
propos de la définition de l'objet. Pour les partisans de la didactique il faut harmoniser 1a
discipline (l'EP) en faisant disparaître les conflits de méthodes ou les querelles sur l'objet
comme nous le dit C. Pineau en 1992 : « L'éducation physique, dont l'histoire nous montre
qu'elle fut pendant près d'un siècle le lieu d'affrontement de méthodes, allait, en recherchant
ses bases didactiques, construire son identité. Du même coup, elle s'affranchissait des luttes
d'écoles qui, jusqu'ici, la réduisait à confondre mises en œuvre et finalités ».
Mais la stratégie de mise en œuvre de l’EPS ne peut être conçue à partir des
didactiques propres des activités physiques et sportives (APS). Un débat a donc lieu entre les
partisans de la didactique des APS, et ceux de la « didactique de l’EP ». La question
didactique et ses conséquences (programmes, contenus, évaluations...) deviennent alors l'objet
centrai de la lutte pour l'identité de 1'EP, alors que les partisans de la transversalité et des
conduites motrices (autre débat pour la définition de l' « objet » de l' EP) sont les perdants au
début des années 70. La préoccupation identitaire se définie donc comme les productions
proposant d'établir des relations cohérentes entre finalités, objectifs et moyens dans le
domaine de l’EP. Néanmoins, la question demeure de savoir autour de quel « objet » doit
s'effectuer l'unité : le sport, les sports ou la rééducation motrice avec toutes ses variantes.
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L’histoire comme enjeu identitaire
La seconde partie du texte traite de l'histoire comme enjeu identitaire. Effectivement, on
s'aperçoit que dans la recherche de légitimité institutionnelle le recours à « l'histoire » est
permanent. D'après P. Parlebas (« l'EP en miettes », 1967), les oppositions entre les
différentes méthodes classiques (naturelle, sportive et gymnastique de maintien) n'ont plus
lieu d'être, et il prône une orientation vers un « enrichissement psychomoteur ». Parlebas
affirme aussi que l'éducation physique place l'enfant au centre de l'éducation avec 50 ans de
retard : « I'EP accomplit sa révolution copernicienne avec un demi-siècle de retard ». Ce
texte participe à l'histoire de l'EPS car la « révolution copernicienne » est considérée comme
un « fait historique ». Parlebas va plus loin dans un second texte de 1986, dans lequel il
expose sa conception de l'EP, il propose de fonder une « science de l'action motrice » censée
instaurer l'indépendance de la discipline dans le champ scolaire et scientifique. On peut noter
que les débats et les contestations sont toujours présents, comme le démontre Vigarello qui
conteste les positions de Parlebas trop formelles et dogmatiques.
Du côté de la didactique des APS (productions de l'académie de Lyon autour de P.
Goirand ) et du recours aux sports comme « pratiques sociales de référence », deux niveaux
historiques sont mis en évidence. Le premier, inspiré du courant marxiste dans les années 60
accorde une grande importance aux sports et à la recherche de performance ; même si l'EP
doit se singulariser du sport, elle ne peut prétendre fonder une « science de l'action motrice ».
Le second est plus sûr une perspective didactique. En effet, on note une évolution des
APS par rapport à la « technique » ou aux représentations de l'efficacité des élèves en cours
d'apprentissage (stratégies, techniques, règlements du jeu ...). On s'oriente, ici, vers l'histoire
des sports au service de la didactique des APS.
Conceptions et pratiques : des relations problématiques
Mais il est difficile, voire impossible d'adopter un point de vue objectif sur la question
de l'identité de la discipline dans les périodes récentes. Effectivement la plupart des historiens
sont aussi des enseignants d'EPS, et donc les données et les analyses sont susceptibles d'être
interprétées dans une perspective partisane ou polémique par l'auteur lui-même ou par des
acteurs du champ. Cependant, d'autres approches peuvent servir certaines conceptions de l'EP.
En exemple, Ulmann apporte une réflexion de haute qualité à un moment ou l'EP, en
distinguant ses objectifs de ceux du sport, affirmait son identité en tant que discipline
d'enseignement. On peut lire en filigrane que l'EP était en crise d'identité auparavant comme
le pense B.During qui, lui aussi, prône une « science de l'action motrice » pour aboutir à la
construction d'un « objet ». Les partisans de la conduite motrice semblent occuper une place
dominante aujourd'hui.
I1 faudrait faire une « histoire des histoires » ( B.X. René) pour comprendre ce qui
était pensable à l'époque et à qui était destinée la production.
Dans cette partie Clément va évoquer les différents points de vue pour les débats de
conceptions et leurs relations avec les « pratiques ».
Dans un premier temps, Clément distingue, dans les débats de conceptions, les
théoriciens qui veulent convaincre les praticiens de la validité de leur démarche grâce à
l'argumentation. Pour les théoriciens, les idées comptent plus que le geste. Ces approches sont
qualifiées d' « histoire des idées ».
Son second point de vue concerne les approches d'inspiration marxiste, qui situent les
conceptions au niveau de l'idéologie. L'histoire s'inscrit ici dans la panoplie des arguments de
l'action militante au service au service d'un projet de société. Dans cette approche les
méthodes et conceptions non – marxistes sont critiquées, tel que le « naturalisme » de Hébert,
« l’individualisme » de J. Le Boulch ou même le « nihilisme petit-bourgeois » de J.M. Brohm,
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pourtant marxiste lui-même. L’influence des approches marxistes dans le domaine des
conceptions actuelles de l'EP est incontournable. Ce sont elles qui inspireront les méthodes
sportives dans les années 60 par l’intermédiaire du travail théoriciens-praticiens du CPSFSGT. Ces approches réfutent « l'empirisme » de l'action et ont pour ambition de mettre en
œuvre concrètement sur le terrain la liaison théorie-pratique. Dans cette perspective, la
conception et les pratiques sont étroitement liées.
Le troisième point de vue de Clément se situe autour des thèses développées pas J.M.
Brohm et ses collaborateurs. Ces approches rompent cet usage orthodoxe du marxisme. Elles
réfutent l'idée du sport éducatif, pour J.M. Brohm le sport reproduit les valeurs structurelles
du système (compétition, rendement, etc.), les pratiques et le spectacle sont des produits du
système capitaliste. Pour lui aucun traitement pédagogique ne saurait transformer ce « sport ».
Mais, ces thèses n'ont pas la part belle avec les agents de l'EP scolaire au moment ou la
discipline officialise la domination sportive dans les années 60. Enfin, la dernière approche
est celle de G. Canguilhem et surtout celle de M. Foucault qui est une démarche
d'épistémologie historique. D'après Foucault l'histoire ne consiste pas à analyser des
comportements ou des idées (des conceptions ou des pratiques) mais « les problématisations
à travers lesquelles l'être se donne comme pouvant être pensé et les pratiques à partir
desquelles elles se forment. » Foucault avance que « l'énoncé » (les conceptions) et le «
visible » (le savoir) sont deux niveaux d'un même processus de problématisation.
Ces approches de Foucault vont servir pour aborder le thème des influences corporelles
et des conceptions et pratiques. Dans un premier temps elles permettent de comprendre que
toutes productions de « savoir » est toujours un enjeu de « pouvoir ». En second lieu on
comprend que ces renouvellements de conceptions dans le domaine de l'EP scolaire ne sont
pas seulement en relation avec les mutations culturelles au sens large mais qu'ils « expriment
et participent à ces évolutions qu'ils formalisent » ( M. Foucault ) en suggérant des pratiques.
L'EP scolaire fonctionne en effet comme un champ ou un sous-champ du système
scolaire. Un champ qui possède ses propres institutions et qui fonctionne de façon
« relativement » autonome par rapport aux grandes évolutions culturelles, sociales,
scientifiques, etc. Cette autonomie relative permet d'aborder la question vaste et complexe des
rapports de l'EP scolaire avec le système culturelle.
Clément va définir la culture comme « un univers symbolique qui intègre tout objet,
acte, événement, qualité ou relation servant de support à une représentation, toutes les
productions humaines, dont les sports et les éducations corporelles, en font partie. »
Les influences culturelles et leurs usages
L'analyse qui intéresse le plus Clément est le rapport entre le système culturel (comme
système symbolique) et un système de production particulier (ici l'EP scolaire). Ces rapports
sont établis par l'intermédiaire de producteurs identifiables (Demeny, Hébert, Le Boulch, ...)
qui décryptent et intègrent certaines caractéristiques ou évolutions culturelles en fonction des
préoccupations internes de la discipline et leur position dans le champ.
Le succès d'une méthode découle de trois raisons différentes. Tout d'abord, l'utilisation
de références légitimes dans le champ scolaire ( les « acquis des sciences ») ; ensuite la
cohérence par rapport aux références culturelles utilisées ; et enfin il faut aussi qu'elle réponde
aux préoccupations institutionnelles du champ. D'après Clément, c'est ce rapport différencié à
la culture, ce processus actif, qu'il faut tenter de repérer dans les productions qui prétendent
donner une identité à la discipline.
On peut définir les conceptions comme des productions formalisées qui proposent des
finalités éducatives, fixent des objectifs pédagogiques et prescrivent les moyens susceptibles
de les atteindre avec une cohérence optimum.
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Conclusion
Pour conclure, la question de l'identité est d'une grande portée heuristique. L'enjeu
identitaire est la lutte entre les divers courants pour la conquête du pouvoir. Il est recherché la
mise en évidence le sens caché de ces acteurs, le pouvoir et les stratégies de conquête.
L'identité est une construction, une référence, qui ne se comprend qu'à l'intérieur d'un système
explicatif, ici une institution : l'éducation physique scolaire.
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