3 Faites de l’art pas de la pub À travers l’étude de deux groupes : The Billboard Liberation Front et Les Déboulonneurs Introduction « La publicité a envahi l’espace public. Des panneaux publicitaires surdimensionnés défigurent nos paysages, rongent nos champs, bordent nos routes et signalent nos entrées de villes »1, constatent les Désobéissants2 dans leur ouvrage Désobéir à la pub. Depuis une trentaine d’année la publicité prolifère de manière exponentielle dans notre environnement, l’évolution de Time Square à Manhattan demeure un exemple marquant. Cette prolifération a conduit à une omniprésence de la publicité dans la vie quotidienne des populations. La publicité se retrouve partout : à la radio, à la télévision, dans les boîtes mails, dans les journaux, dans la rue, au cinéma, sur internet, sur les vêtements, sur les bâtiments en cours de rénovation, dans les boîtes aux lettres, sur les sportifs... Aujourd’hui le simple logo d’une marque fait figure de publicité, et cela grâce aux bonnes campagnes publicitaires réalisées précédemment. L’exemple de la célèbre virgule de Nike, le Swoosh, se révèle tout à fait significatif. Grâce à des campagnes réussies dans les années 1980 3, la marque sportive n’a 1 2 3 LES DÉSOBÉISSANTS, Désobéir à la Pub, Quetigny, Le passager clandestin, 2009, p. 7. Les Désobéissants sont un groupe de désobéissance civile. Leur site : http://www.desobeir.net/. En 1981, Nike devient numéro 1 de la chaussure de sport aux États-Unis. La même année, la marque entre en bourse. Pendant cette décennie Michael Jordan devient l’égérie de marque, avec la création de la chaussure Nike Air Jordan en 1984. En 1988, le logo de la marque reçoit un slogan : « Just do it », ce qui lui confère une véritable notoriété. 4 plus besoin d’apposer autre chose que son logo pour être reconnue et identifiée. Mark Hughes de The Independant déclare qu’il s’agit de l’un des logos les plus instantanément reconnaissable.4 La publicité n’est pas seulement envahissante, elle fait partie intégrante d’un système de pensée : celui de la société de consommation et a fortiori celui du système libéral capitaliste. La publicité se révèle être un outil de la consommation : le moyen pour le producteur/vendeur de communiquer, d’informer, de susciter un désir et bien sûr de vendre son produit au consommateur. L’anti-publicité (ou anti-pub) apparaît donc comme une forme de résistance à cette envahissante vitrine du capitalisme qu’est la publicité. L’anti-pub se caractérise par la lutte active (sur le plan formel ou sur le plan intellectuel) contre la publicité. Cette résistance peut prendre des formes très diverses, puisqu’elle attaque la publicité là où elle agit. Ainsi les programmeurs de logiciels d’anti-pub comme Adblock Plus 5 qui empêchent la publicité d’agir sur votre navigateur internet font partie de l’anti-pub, de même que les actions éparses d’individus qui collent des autocollants « stop pub » sur les boîtes aux lettres6. L’anti-pub caractérise également le courant de pensée lié à l’anticapitalisme qui se centre sur la critique publicitaire. Le détournement sémiotique de logos de marque ou publicité, in situ ou dans des œuvres réalisées en atelier appartiennent à l’anti-pub. Bien sûr la 4 5 6 « The Swoosh is one of the world’s most instantly recognisable logos and is seen adorning countless trainers and items of sportswear. » HUGHES Mark, « Logos that became legends : Icons from the world of advertising » in The Independant, 4 janvier 2008. Adblock Plus est une extension libre pour les navigateurs web les plus courants tels que Mozilla Firefox, Google Chrome, Microsoft Internet Explorer et ASA Opera. Cette extension est une version forkée (nouveau logiciel créé à partir du code source d’un logiciel existant) d’Adblock. Elle est chargée de filtrer le contenu des pages web afin d’en bloquer certains éléments, en particulier les bannières de publicité. En 2010 le jeune artiste Valentin WATTIER a réalisé avec l’aide de l’association de sérigraphie amiénoise Les Éditions du Monstre, d’artistes et de graphistes, plus d’une centaine d’autocollants « Stop pub » artistiques sérigraphiés. Il les a ensuite distribués autour de lui et collés sur des boites aux lettres au gré des ses déplacements dans la métropole. 5 dénomination anti-pub qualifie également toute sorte d’interventions sur la publicité dans son environnement naturel (rue, télévision, journaux, radio). L’anti-pub n’est pas constitué en groupe artistique et encore moins en école, il s’agit de personnalités hétéroclites, artistes ou activistes que leurs œuvres réunissent sous une même bannière : la lutte contre la publicité. La disparité des formes de l’anti-pub oblige à une délimitation du champs de recherche. La publicité étant présente sur de nombreux médias, il s’agit tout d’abord de concentrer l’analyse sur un seul lieu d’action de l’anti-pub. Nous nous focaliserons sur la rue et les lieux publics. Tout individu peut choisir de refuser la publicité placée sur d’autres support : il peut ne pas regarder la télévision, utiliser un bloqueur de publicité pour son navigateur web, écouter des radios sans publicité, lire des journaux sans pub, ne pas porter de vêtements de marques, etc. Mais il lui est impossible de ne pas recevoir la publicité dans la rue et les lieux publics (tels que les gares ou le métro). C’est pour cette raison que l’étude de la résistance à la publicité en milieu urbain semble à nos yeux plus stimulante. Cependant restreindre notre étude à un seul lieu d’action anti-pub ne semblait pas suffisant. L’anti-pub se révélait être encore un sujet extrêmement varié. Ainsi afin d’analyser cet objet visuel complexe, il nous a semblé nécessaire de nous concentrer essentiellement sur l’analyse de deux groupes : le Billboard Liberation Front (BLF) et les Déboulonneurs. Ces deux groupes, d’approche très différentes, nous permettent d’étudier l’anti-pub sous divers aspects. Le Billboard Liberation Front et les Déboulonneurs sont deux groupes très éloignés. Tout d’abord d’un point de vue historique : alors que Billboard Liberation Front est le groupe pionnier de l’anti-pub et du détournement publicitaire né en 1979, les Déboulonneurs font figure de groupe récent, puisqu’il se sont constitués en 2005. D’un point de vue géographique ces deux groupes sont très éloignés ; l’un naît à San Francisco et 6 opère principalement dans cette région tandis que l’autre vient au monde à Paris est se développe dans plusieurs villes françaises. S’ils sont tous deux issus de mouvements d’idéologie anticapitaliste, la plupart des membres agissant au sein des Déboulonneurs sont également militants dans d’autres groupes d’extrême gauche (comme les Désobéissants). Enfin ces deux groupes divergent quant à leurs modus operandi. Le Billboard Liberation Front agit volontairement de manière subtile et presque invisible en détournant de manière cynique et/ou humoristique les panneaux publicitaires. Les anti-pubs du BLF agissent anonymement et en toute discrétion. Les Déboulonneurs quant à eux dégradent volontairement et publiquement des panneaux publicitaires. Ils détruisent les affiches ou y appliquent des slogans militant à la bombe indélébile. L’étude de l’anti-pub nous a conduits à nous poser différentes questions. Il s’agit d’analyser l’objet visuel complexe au statut ambigu qu’est l’anti-pub à travers l’étude de deux groupes. Nous avons eu la volonté de présenter de façon non exhaustive comment l’art peut répondre à l’omniprésence publicitaire. Tout d’abord il nous a fallu nous interroger sur la naissance d’un tel mouvement, les premières formes d’actions anti-pub et le contexte d’émergence de ces actions. Au fur et à mesure de nos recherches nous avons pu mettre en lumière l’importance, tant sur un plan esthétique qu’intellectuel, des liens entre l’anti-pub et d’autres courants de pensée et mouvements artistiques. Bien sûr nous n’avons pu faire l’impasse du statut ambigu que revêt l’anti-pub dans le monde de l’art. Les questions relatives à la réception de l’anti-pub, à sa reconnaissance artistique et son institutionnalisation par le monde l’art nous sont apparues importantes à développer. Ainsi nous nous attacherons à élaborer une typologie raisonnée de l’anti-pub. Ce premier chapitre nous permettra de définir les concepts qui sont la clef de l’objet d’étude : 7 la publicité, ainsi que l’anti-publicité. Puis nous nous pencherons sur l’émergence de l’antipub, afin de comprendre dans quel contexte économique et social sont apparus les quatre groupes pionniers de l’anti-pub : Le Billboard Liberation Front, le Billboard Utilizing Graffists Against Unhelthy Promotions (BUGA-UP), Les Humains Associés et Adbusters. Dans un deuxième chapitre nous nous intéresserons à la perméabilité de l’anti-pub : les liens qui se sont créé avec des mouvements artistiques et politiques proches. Nous effectuerons ainsi un rapprochement entre le Street Art et l’anti-pub. Après une définition de la notion de Street Art nous nous questionneront sur l’efficience d’un rapprochement sur deux points : le lieu d’action (la rue) et la technique du Culture Jamming. Puis nous nous focaliserons sur les passerelles existantes entre l’anti-pub et d’autres luttes sociales. De cette façon nous pourrons définir quelques notions inhérentes à l’anti-pub, à savoir les notions d’activisme et d’artivisme. Puis nous lierons l’anti-pub à d’autres luttes sociales : les luttes contre la société capitaliste, contre la vidéo-surveillance ainsi que la défense de l’écologie. Nous nous pencherons plus particulièrement sur la lutte contre les publicités sexistes, le publisexisme, qui concerne une grande part de la l’anti-pub. Dans un dernier chapitre, après avoir précédemment étudié les motivations des antipubs et leurs réalisations nous nous concentrerons sur la relation de l’anti-pub avec l’art. Dans un premier temps nous étudierons les réactions que peuvent engendrer les actions anti-pub. Le public de l’anti-pub ou du Street Art étant particulier (il s’agit de l’Homme de la rue) nous chercherons alors à comprendre quelle peut en être sa réception. Nous nous attacherons également à analyser les réactions des publicitaires. En nous penchant sur les relations de ses derniers avec les médias nous analyserons la façon dont les journalistes diffusent l’actualité anti-pub. Enfin nous nous chercherons à comprendre le processus d’institutionnalisation de l’anti-pub. Sans minorer l’importance du Street Art dans ce processus d’acceptation, nous nous centrerons sur la question de galeries pour l’anti-pub. 8 Chapitre I Typologie de l’anti-pub 9 Afin d’établir une typologie de l’anti-pub, de disséquer les méthodes et les formes de pensée qui s’y rattachent, il apparaît essentiel de revenir aux origines. Pour comprendre les mouvements anti-publicitaires d’aujourd’hui il est devenu indispensable de se plonger dans les premiers manifestes de barbouilleurs et détourneurs de panneaux. Il nous est apparu important de se limiter aux quatre groupes pionniers, afin d’obtenir une vision globale mais concise de ces premiers balbutiements anti-pub. Ces quatre groupes sont éparpillés sur le globe terrestre : États-unis, Australie, France et Canada. Leurs techniques sont différentes : alors que les Humains Associés proposent des aires de réflexion philosophique en lieu et place des panneaux publicitaires, les trois autres les détournent. Ces groupes ont laissé des manifestes, des écrits et toutes sortes de productions qui permettent de les étudier avec délectation. Cette plongée dans les actions des années 1980 permet de s’interroger sur les raisons qui motivent leurs actions et les méthodes utilisées. Pour réaliser cette classification de l’anti-pub il est apparu essentiel de définir les termes sur lesquels se fonde toute analyse de ce phénomène, à savoir la publicité et l’antipublicité ainsi qu’évoquer le contexte économique, social et politique du tournant des années 1970-1980 durant lesquels ont émergé les premiers groupes anti-pub. 1. Définition de publicité La publicité vient du latin publicitas qui signifie « état de ce qui est public »7. La publicité se définit donc l’action de rendre public, ou le résultat de cette action. La publicité 7 « Publicité », Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935). 10 s’adresse donc au peuple. L’analyse du concept de publicité réside dans cette notion essentielle de « fait public ». La publicité constitue le moyen de communication privilégié entre la classe gouvernante (élites économiques et politiques) et le peuple. Il s’agit bien sûr d’une communication à sens unique, et verticale : le public reçoit l’information publicitaire mais ne peut pas y répondre. Cet aspect « voix du maître » confère à la publicité un caractère sacré : ce qu’on y dit doit être vrai. N’a-ton pas souvent vu ce logo « vu à la TV » apposé après un slogan publicitaire comme pour attester la valeur d’un produit ? Si cela est dit « à la TV » et de plus dans une publicité, c’est que c’est la vérité. La publicité est la chose publique, celle qui, parce que claironnée par-dessus de la foule, tient lieu de vérité. La publicité a pratiquement toujours existé, sous forme plastique 8 à l’antiquité ou de crieurs à l’époque médiévale. Ces annonces publiques résultent d’une nécessité dans l’affermissement du pouvoir. À partir de 1628, Théophraste Renaudot 9 crée le premier service chargé de diffuser diverses annonces, le Bureau d’adresses. Ce bureau consiste à recueillir les offres et les demandes d’emplois. Pour agrémenter ce dispositif, Renaudot crée le premier journal d’annonces en 1633 : La feuille du bureau d’adresses. Jusqu’au XIXe siècle la publicité est néanmoins essentiellement constituée d’affichage muraux et de diffusion de tracts. Le développement de l’industrie lui permet de se développer dans la presse écrite et de migrer plus tard vers d’autres médias : la radio, la télévision sous forme de spot, l’affichage urbain lumineux, Internet... Aujourd’hui la publicité est omniprésente : dans nos 8 9 Exemple de publicité antique sur un lécythe conservé au musée du Louvre : Lécythe attique à trois figures noires, un homme et un jeune homme menant chacun un cheval y sont représentés. Slogan publicitaire : « achète-moi et tu feras une bonne affaire ». Lécythe à figures noires portant l’inscription : « achète-moi et tu feras une bonne affaire », vers 500 av. J.C.,28 × 13,60 cm, Paris, Musée du Louvre, Antiquité grecques, étrusques et romaines, Aile Sully. Cote : F358. Annexes Tome 1 – 1. Théophraste Renaudot (1586 -1653) : journaliste, médecin et philanthrope français, fondateur de la publicité (création du Bureau d’adresses en 1629) et de la presse française (création du plus ancien journal publié en France, La Gazette, en 1631). 11 boîtes aux lettres, sur nos paquets de céréales... Nous sommes même parfois nous-même devenus des réclames ambulantes en arborant diverses marques sur nos vêtements. La publicité est soumise à la législation. La loi protège la publicité sous couvert de la liberté d’expression. Ce principe protège les annonceurs et leurs affichages (tant qu’il n’y aucun propos discriminatoires ou publicité mensongère, l’auteur de la publicité peut y inscrire ce qu’il veut). Les publicitaires, appartenant au secteur marchand, sont également soumis au droit civil. Ainsi, la publicité est assujettie au code civil, au code du commerce, et au code pénal. La loi française dispose ainsi que : constitue une publicité toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d’assurer la promotion commerciale d’une entreprise publique ou privée10 Les juges de la Cour de cassation précisent que la publicité consiste dans « tout moyen d’information destiné à permettre à un client potentiel de se faire une opinion sur les résultats qui peuvent être attendus du bien ou du service qui lui est proposé ». La Cour de cassation donne même une définition plus large de la notion de publicité et s’attache à la finalité de l’opération en énonçant que « toute utilisation publique d’une marque de cigarette, quelle qu’en soit la finalité, constitue une publicité 11 ». La Chambre criminelle confirme le courant jurisprudentiel et élargit la notion de publicité, qui peut aujourd’hui être définie comme tout message à destination du public, quelle que soit sa finalité, et quel que soit son auteur. Si les textes se centrent principalement sur la publicité télévisuelle, les arrêts de la Cour de cassation élargissent la définition à toute forme d’information à visée commerciale destinée au public. 10 11 L’article 2 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 relatif à la publicité et au parrainage audiovisuels. . Cour de cassation à propos L’article 2 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 relatif à la publicité et au parrainage audiovisuels. 12 La loi codifie également le type de publicité qui nous intéresse plus ici, les affiches et enseignes dans le Code de l’environnement12 qui donne cette définition : constitue une publicité, à l’exclusion des enseignes et pré-enseignes, toute inscription, forme ou image destinée à informer le public ou à attirer son attention, les dispositifs dont le principal objet est de recevoir lesdites inscriptions, formes ou images étant assimilés à des publicités.13 La commission européenne quant à elle définit la publicité comme : toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations. 14 Les définitions de la publicité que nous transmettent à la fois l’histoire, l’origine des mots et les législateurs nous poussent à nous interroger sur la finalité publicitaire. La publicité a pour but de parler au plus grand nombre, cosa publicitas, pour transmettre un message. Ce message peut avoir plusieurs buts : commercial, informatif, éducatif... La publicité est une forme de communication dont le but est de capter l’attention d’une cible visée afin de lui faire adopter un comportement souhaité : consommer, participer à des activités culturelles, adopter des comportements moins énergivores, participer à la vie politique. La publicité est en quelque sorte le langage que la société libérale moderne utilise pour communiquer avec la population. Pourtant cet échange est a sens unique : la population reçoit ce message qui s’impose à elle : dans la rue, à la télévision, à la radio... Mais ne peut pas répondre ! Et si l’anti-pub était une forme de dialogue ? 12 13 14 Concernant l’affichage publicitaire : la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 fut codifié par l’ordonnance n°2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie Législative du Code de l’environnement aux articles L581-1 à L581-14. Article L581-3 du Code de l’environnement. La directive 84/450/CEE du 10 septembre 1984 de la Commission Européenne. 13 2. Définition de l’anti-pub La dénomination « anti-pub » ou « anti-publicitaire » caractérise le fait de s’opposer à la publicité. Employé comme adjectif il peut qualifier des actions mais aussi des groupes, mouvements, ou artistes solitaires qui effectuent des actions visant à détourner, dégrader ou boycotter la publicité. La notion d’anti-pub peut également évoquer le courant de pensée contestataire issu de la dénonciation de la société de consommation qui se focalise sur la critique de la publicité. Pour les acteurs de l’anti-pub, la société de consommation emblématise le processus de pensée à abattre. Fondée sur la stimulation et l’entretien systématiques d’un désir d’acheter des biens de consommation et des services dans des quantités toujours plus importantes, la société de consommation joue avec la publicité sur la construction d’un désir d’achat chez le consommateur. Les anti-pubs s’attaquent à la vitrine du capitalisme : la publicité. Les anti-pub accusent la publicité d’être omniprésente dans leur vie quotidienne. Cette forte présence crée selon eux un sentiment d’oppression, une impression d’être sans cesse submergés par la publicité. Nous sommes en effet continuellement confrontés à la publicité. Cette prolifération publicitaire pose un problème d’ordre formel aux anti-pubs : on ne peut pas échapper à la publicité. La publicité s’est installée dans notre quotidien. 2 500, c’est le nombre de messages publicitaires que nous absorbons chaque jour en moyenne 15. Ce qui pousse les activistes de l’anti-pub à dire que « nous vivons “dans” la publicité »16. 15 16 RAMONET Ignacio, « La pieuvre publicitaire » in Le Monde diplomatique, juin 2001. PIETRUCCI Sophie, VIENTIANE Chris et VINCENT Aude, « Chapitre 1 : Pourquoi s’attaquer à la publicité ? »,Contre les publicités sexistes, Paris, L’échappée, 2012. 14 Cette omniprésence publicitaire est traitée de façon très originale par une œuvre du groupe Nebudu17, Tabula rasa18. L’œuvre est une photographie modifiée qui représente une femme allaitant un nouveau-né. Si la mère possède un unique tatouage composé de quatre étoiles entourant l’auréole de son sein, l’enfant en revanche est maculé de tatouages à l’effigie de marques ou de logos très connus. Cette œuvre se base sur la notion philosophique de « Tabula rasa », notamment développée par l’empiriste John Locke19. Selon cette théorie l’être humain naîtrait vierge, comme une ardoise, sans aucune donnée ou règle précédant son existence. Toutes ces données s’ajouteraient par la suite formées par nos expériences sensorielles. Locke sous-entend que l’individu est l’auteur de sa propre âme. Chez Sartre 20 la notion de Tabula rasa est déterminante dans le fondement de la philosophie existentialiste. Contrairement à l’essentialisme où l’Homme est déterminé par son essence, ce qui confère un certain déterminisme à son existence, la philosophie existentialiste stipule que l’existence façonne l’essence de l’Homme. L’être humain est donc formé de ses expériences, de sa mémoire. À la naissance l’individu fait figure de cire molle sur laquelle le monde imprime sa marque. Le nouveau-né de Locke et de Sartre est une ardoise vierge, l’être humain peut se voir comparé à une éponge qui se construit en absorbant les images générées par son environnement. Dans cette œuvre ce n’est plus l’individu qui choisit ce qui va le marquer mais l’environnement publicitaire qui le fait pour lui. L’enfant pourtant nourrisson baigne déjà dans un monde empli de publicité et son esprit s’en trouve marqué autant que sa chaire. Tabula rasa induit également l’idée de la publicité subie et non choisie. L’enfant figure ici l’individu lambda, symbole de la passivité : il ne peut se défendre face à l’agression publicitaire et ne peut que la recevoir. 17 18 19 20 Nebudu est né de la rencontre entre trois artistes : Borjana Ventzislavova, Miroslav Nicic et Mladen Penev. Leur art est au carrefour entre Street Art et art digital. Ces artistes sont actuellement basés à Vienne. NEBUDU GROUP, Tabula rasa, art digital, 2004. Cette affiche a été installée sur douze panneaux publicitaires dans différentes villes européennes. Annexes Tome 1 – 1. LOCKE John, Essai sur l’entendement humain, 1690. et LOCKE John, Pensées sur l’éducation, 1693. SARTRE Jean-Paul, L’existentialisme est un humanisme, Paris, Éditions Nagel, 1946. 15 La publicité véhicule des idées porteuses de l’idéologie capitaliste et la société de consommation. Pour les anti-pub la publicité pousse à la surconsommation. La création d’un désir fictif par la publicité chez le consommateur engendre une imitation du désir 21 consommés : l’effet grégaire de la consommation. Il n’est également pas rare de voir dans les publicités certains clichés sexistes ou racistes. Même si depuis les années 50 les annonceurs ont nettement réduit la quantité de stéréotypes racistes dans les publicités. Cependant les stéréotypes sexistes n’ont pas totalement disparus du champs publicitaire. La réponse de l’anti-pub à cette pollution (idéologique ou visuelle) est toute aussi multiple. Le terrain de l’anti-pub s’étend du courant artistique au mouvement politique. L’anti-pub rassemble des acteurs variés : de l’artiste au militant. Protéiformes, les anti-pub réagissent de différentes façons. En agissant directement sur le terrain, comme le font par exemple les informaticiens qui s’évertuent à créer sans cesse de nouveaux logiciels pour éradiquer la publicité sur Internet. Les acteurs de l’anti-pub étant hétéroclites, leurs réponses artistiques et esthétiques sont très variées et vont de la désobéissance civile au Street Art, et bien sûr rien ne les empêche de mélanger les deux. Il est difficile de ranger l’anti-pub dans une case. L’anti-pub, c’est la résistance esthétique à la privatisation de l’espace public par la publicité. 21 Le concept de désir imitatif est formalisé par GIRARD René dans Mensonge romantique et Vérité romanesque, Paris, Grasset, 1ère éd. 1961, Chap 1 : « Le désir triangulaire. ». 16 3. L’émergence de l’anti-pub L’opposition à la publicité naît à la fin des années 1970. Elle s’est d’abord construite comme un mouvement idéologique de contestation avant de prendre forme concrète. L’anti-pub voit le jour dans un contexte économique marqué par l’importance grandissante de la publicité dans la société de consommation. Il s’agit également d’une période faste pour l’émancipation intellectuelle. Si l’anti-pub naît dans un contexte économique complexe s’étend sur plusieurs décennies. Il apparaît comme essentiel de mettre en lumière l’environnement des anti-pub afin de comprendre les éléments déclencheurs des premières actions. ◦ Contexte d’émergence À la fin de la guerre de 1945, la société afin de relancer l’économie planifie un grand boom de consommation. Ce processus se poursuit jusque dans les années 70-80. Cette période est marquée par une situation économique délicate (augmentation du nombres de chômeurs, crise pétrolière...) qui pousse les puissances de l’ouest à relancer la consommation en jouant sur le modèle de la société de loisir pour relancer l’économie. 17 Le bloc de l’Ouest traverse plusieurs périodes économiquement difficiles dans les années 1970-1980 : les deux chocs pétroliers en 197322 et en 197923, puis le krack boursier de 1987 qui fait trembler les bourses de New York, Paris, Londres, Francfort et Tokyo. La conséquence la plus importante pour la population est l’augmentation du taux de chômage24. Du choc du Kippour résulte le quadruplement de la facture énergétique des pays occidentaux. Les entreprises répercutent dans leurs prix de vente le surcoût de l’énergie, de sorte que l’indice des prix à la consommation passe de 5, 5 % (avant le choc du Kippour) à d’amples fluctuations comprises entre 8 % et 14 %25. Cette augmentation des prix a des répercutions importantes sur la population dont le pouvoir d’achat baisse. L’économie est marquée par une baisse de la consommation et de l’investissement. En Europe les entreprises européennes soumises à la concurrence des pays à bas salaires se délocalisent vers les pays pauvres : le chômage double dans les pays occidentaux de 1971 à 1993 26. 22 23 24 25 26 Un choc pétrolier est un phénomène de hausse brutale des prix du pétrole. Le premier choc pétrolier se caractérise par une crise internationale des prix du pétrole amorcée en 1971 à la suite du pic de production de pétrole des États-Unis et à l’abandon du système Bretton Woods (accords financiers signés en 1944 afin d’aider les pays économiquement touchés par la guerre, les États-Unis adoptent une posture de créditeur de l’Europe). Le choc intervient réellement en 1973, où au terme d’une grave crise internationale au Moyen-Orient, le prix du baril de pétrole passe de 3 dollars à 10 dollars. Les 16 et 17 octobre 1973, pendant la guerre du Kippour, les pays arabes membres de l’OPEP, alors réunis au Koweït, annoncent un embargo sur les livraisons de pétrole contre les États « qui soutiennent Israël ». Réunis le 16 octobre à Koweït City, les principaux producteurs du Golfe décident d’augmenter unilatéralement de 70 % le prix du baril de brut. Ils imposeront quelques jours plus tard une réduction mensuelle de 5 % de la production pétrolière et un embargo sur les livraisons de pétrole à destination des États-Unis et de l’Europe occidentale. Le second choc pétrolier qui éclate en 1979 (de 13 dollars, en 1978, le baril passe à 30 dollars en 1980), dans le contexte de la révolution iranienne, elle-même suivie de la guerre entre l’Irak et l’Iran. H.J., « Emploi et chômage aux États-Unis de 1967 à 1970 », in Population, n°3, 27e année, 1972, p 522-525. « D’octobre à décembre 1973, au terme d’une grave crise internationale au Moyen-Orient, le prix du baril de pétrole passe de 3 dollars à 10 dollars. » DEMIER Francis, « Premier choc pétrolier », Encyclopædia Universalis [en ligne], http://www.universalis.fr/. Dernière consultation : 18 juillet 2014. En 1971 au 4e trimestre le pourcentage de la population des États-Unis au chômage s’élevait à 5,1 % (soit 80,0 millions de personnes), il atteint 10 % en 1993. H.J., « Emploi et chômage aux États-Unis. Perspectives jusqu’en 1974 » in Population, n°4-5, 27e année, 1972, p. 885-888. 18 Il s’agit alors de relancer l’économie. Pour cela les dirigeants se retrouvent face à deux possibilités de relance économique. La première utilisée jusque dans les années 1980 est la politique de relance par la demande, qui a fortement marqué la politique économique de Roosevelt au début du XXe siècle. La relance par la demande recourt aux principes de la pensée keynésienne27. Ainsi pour relancer l’économie Keynes préconise un état fort qui réalise de grands chantiers d’État afin de créer de l’emploi. Ces nouveaux salariés dépensent ainsi leur argent en consommant, ce qui propulse la demande. Il en résulte une relance de l’offre pour suivre cette demande et donc de créations d’emplois pour pouvoir produire une offre suffisante. Ajoutons qu’un phénomène plus puissant encore se propage aux entreprises : elles ont intérêt, dans un contexte d’inflation dû à la hausse des salaires et des prestations sociales, à investir massivement (le capital non utilisé perdant régulièrement de sa valeur). Ces investissements (modernisation, équipement, recherche et autres) contribuent directement à la création d’emploi. Depuis les années 1980 les gouvernements utilisent une autre politique de relance : la politique de l’offre28. L’« économie de l’offre »29 est une école de pensée associée aux changements de la politique économique américaine sous la présidence de Ronald Reagan au point qu’on la désigne souvent par le terme « reaganomics ». Ce courant de pensée apparaît au moment où les gouvernements abandonnent peu à peu la pensée keynésienne pour se tourner vers ce que l’on appelle le néo-libéralisme, ou le néo-classicisme économique. Selon les tenants de cette conception, la manière la plus efficace d’obtenir une croissance économique élevée sur le moyen et le long terme est d’aider les entreprises à produire davantage de biens et services, de les inciter à entrer sur de nouveaux marchés. Selon l’analyse néo-libérale des salaires trop élevés causent une crise de l’embauche : puisque les salaires sont trop élevés il n’y a pas de nouvelles embauches. Selon cette logique 27 28 29 KEYNES John Maynard, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, (The General Theory of Employment, Interest and Money), trad. Jean de Largentaye, Paris, Éditions Payot, 1942. BEAUD M. et DOSTALER G., La Pensée économique depuis Keynes, Paris, Le Seuil, 1996. Le terme « Économie de l’offre » fut forgé par le journaliste américain Jude Wanniski en 1975. 19 si l’on baisse les salaires on augmente l’embauche. En résulte une inflation très faible (les prix se stabilisent). Cette théorie fut utilisée et portées aux nues par Ronald Reagan 30 dont l’élection à la présidence des États-Unis survient peu après le premier choc pétrolier, mais aussi pour celle de Margaret Thatcher 31 et le « tournant de la rigueur »32 du gouvernement de François Mitterrand33. Pour stimuler la consommation on a donc recourt à la publicité, cela résulte d’un choix politique. Le chiffre d’affaire des agences de pub explose dans les années 1980. Entre 1965 et 2014 le coût d’un spot publicitaire diffusé pendant 30 secondes à la télévision américaine est passé de 19 700$ à 112 100$34. Ce climat d’appel à la consommation incessant provoque la réaction de groupes qui effectuent les premières actions anti-pub. Ces premières actions apparaissent dans un climat idéologiquement favorable. L’histoire récente est marquée par le soulèvement populaire contre l’autorité étatique. À la fin des années 60 on peut voir de nombreuses manifestations au États-Unis contre la guerre au Viêt Nam35. En France et en Europe le mois de mai 1968 concentre une pluralité de luttes sociales et populaires. Ce processus nous pousse à nous interroger quant à la corrélation entre ces différents éléments et la naissance de l’anti-pub. 30 31 32 33 34 35 Ronald Reagan (1911-2004) : 40e président des États-Unis (1981-1989). Margaret Thatcher (1925-2013) : 71e premier ministre du Royaume-Uni (1979-1990). Le « tournant de la rigueur » désigne le changement radical de politique économique, décidé en mars 1983 par François Mitterrand afin de réduire l’inflation. À partir de cette période les gouvernements français successifs utilisent l’économie de l’offre comme système de relance. François Mitterrand (1916-1996) : 21e président de la république française (1981-1995). « TV Cost & CPM Trends-Network TV Primetime (M-SU) », TVB Local Media Marketing Solution, http://www.tvb.org/. TVB est une association américaine qui analyse l’industrie télévisuelle, notamment la place de la publicité dans celle-ci. Par exemple : la manifestation contre la guerre du Viêt Nam, Washington DC, octobre 1967. 20 La sur-représentation publicitaire dans les rues lié à un besoin imminent de relancer l’économie pousse des activistes potentiels à se rassembler et à agir ensemble, de façon organiser pour lutter contre la publicité. Les groupes pionniers s’attaquent à la publicité pour différentes raisons : à cause de sa nature invasive, mais aussi à cause du caractère « malsain » de publicité affichées (surtout pour les groupes anglo-saxons), ou encore pour se réapproprier les panneaux publicitaires en tant qu’espaces de création. ◦ Groupes pionniers The Billboard Liberation Front (USA) Le Billboard Liberation Front36, le pionnier de l’anti-pub, est un collectif américain, fondé par Jack Napier et Irving Glikk à San Francisco. Depuis la fondation du groupe en 1977, le Billboard Liberation Front (souvent réduit à l’acronyme BLF) transforme les panneaux de pub de la région de San Francisco. Leur technique est simple : pervertir de manière humoristique la publicité en « améliorant » les slogans avec des jeux de mots. Cette technique est un détournement publicitaire, appelé « subvertising » en anglais : un mot-valise formé de « subvert » (subversion) et « advertising » (publicité). Les militants du site subvertising.org proposent une définition : Le détournement publicitaire est l’art de la résistance culturelle. Ce sont les écrits sur les murs, les autocollants sur les lampadaires, la reformulation des textes des affiches 36 Le Billboard Liberation Front est un mouvement d’anti-pub créé en 1977 à San Francisco. Ses principales actions se caractérisent par la transformation de publicité. Le groupe altère le sens de la publicité de façon humoristique. 21 publicitaires, les tee-shirts parodiques, mais c’est aussi l’acte de défi massif d’une fête de rue. Le processus principal implique de redéfinir, ou même reprendre, notre environnement au démon de l’entreprise.37 En septembre 1977, période que les membres du groupe appellent « pre-BLF era »38, les deux hommes appartiennent au mystérieux San Francisco Suicide Club. Accompagnés de 24 de leurs amis, ils effectuent leur premier détournement, en transformant le message d’un panneau de publicité pour Ax Factor à San Francisco 39. La réclame originelle annonce le message suivant : « Warning a pretty face isn’t safe in this city, fight back with. The new mutilator Ax Factor ». (« Attention ! Un joli visage n’est pas en sûreté dans cette ville. contre-attaquez avec une auto-agression, le nouveau mutilateur, AX Factor. »). Les futurs activistes du BLF parodient ainsi l’affiche : « Warning a pretty face isn’t safe in this city, fight crap with self-respect. The new moisturizer, by Max Factor » (Attention ! Un joli visage n’est pas en sûreté dans cette ville, combattez les conneries avec le respect de soimême. Le nouvel hydratant par Max Factor »). Le procédé employé est simple : le groupe change juste quelques lettres pour faire apparaître un message comique. L’élément publicitaire devient alors un matériel de base qui pousse à l’ingéniosité et à la création. Par la suite cette action prend le nom de Max Factor 26, Max Factor pour la signature apposée en bas du panneau détourné et 26 pour le nombre de participants à l’action. Cette première action collective est révélatrice de ce qui caractèrise l’action du Billboard Liberation Front : des jeux de mots, de l’anti-pub et de l’humour. Dans l’historique du Billboard Liberation Front P. Segal raconte ce qui les a poussé à effectuer leur première action anti-pub en 1979. Ce texte corrobore cette impression de submersion par des annonces mercantiles ressentie par les anti-pub. 37 38 39 Citation sur le site web militant subvertising.org (aujourd’hui repris par une entreprise) en 2005. « Ère pré-BLF ». Cf. http://www.billboardliberation.com/max.html Sur l’action Max Factor 26. Dernière consultation : 27 mai 2014. BILLBOARD LIBERATION FRONT, Max Factor 26, septembre 1977, San Francisco, USA. Annexes Tome 1 – 2. 22 In this the latter half of the twentieth century, human life has been overrun with media of every stripe. Wherever media intrudes, advertising has been close at its heels, telling us what to buy, think and resemble. Even in the encapsulation of our cars, with the radio off, on uninhabited stretches of highway, the media reaches out in the monolithic form of billboards. For the last twenty-one years, the Billboard Liberation Front has taken a good-natured swipe at the phenomena of outdoor advertising. Largely powerless to alter the messages of television, radio or the print media, they could, in the dead of night, apply improvements to the giant boards that tower over streets and highways. Their philosophy requires that improvements be professionally accurate and easily removed; they are not spray-paint renegades sans souci. [...] In the closing years of the 1970s, while the rest of the world seemed busy with the work of regrouping and returning to so called normalcy, a small group of San Franciscans gathered to buck the tide. To this secret society, amusement and adventure were the cardinal values, the more outrageous the challenge, the better. An element of danger enhanced rather than diminished the fun, and their pranks and adventures challenged the creative energies of the disparate personalities of the group. The San Francisco Suicide Club spawned and influenced many subsequent creative groups, the BLF being one of the longest lived and most nefarious.40 40 SEGAL P. « Indepth Look the Early History of BLF » in History and Timeline, www.billboardliberation.com. Dernière consultation : 20 mai 2014. « En cette seconde moitié du vingtième siècle, la vie humaine a été submergée par des media en tous genres. Partout où les media s’immiscent, les publicité leur ont emboîté le pas, nous disant quoi acheter, quoi penser, à quoi ressembler. Mais au sein du cocon de nos voitures, radio éteinte et lancés sur les autoroutes désertes, les media nous atteignent sous la forme monumentale des panneaux publicitaires. Ces vingt-et-une dernières années le Billboard Liberation Front a décidé de nettoyer avec bonhomie le phénomène de la publicité en extérieur. Largement impuissants à altérer les messages de la télévision, de la radio ou des imprimés, ses membres peuvent – sous couvert de la nuit – apporter des améliorations aux gigantesques panneaux qui dominent les rues et les autoroutes. Leur philosophie requiert que ces améliorations soient d’une précision professionnelle et faciles à ôter. Ils ne sont pas des renégats désinvoltes armés de bombes de peinture. [...] À la fin des années 70, alors que le reste du monde semblait se préoccuper de se recentrer sur soi et de retourner à ce qu’on appelle la normalisation, un petit groupe d’habitants de San Francisco se regroupèrent pour inverser la marée. Aux yeux de cette société secrète, l’amusement et l’aventure étaient les valeurs cardinales. Plus défi à relever était important, mieux c’était. L’élément de danger augmentait plutôt que diminuait le plaisir. Leurs canulars et leurs aventures opérèrent comme le catalyseur de les énergies créatives des personnalités disparates du groupe. Le San Francisco Suicide Club suscita et influença de nombreux autres groupes, parmi lesquels le BLF fut le plus efficace et ayant le plus perduré. ». Toutes les traductions sont de Brendan Chabannes 23 C’est à partir du mois de décembre 1977 que Glikk et Napier forment véritablement le Billboard Liberation Front, avec le détournement de neuf panneaux de la marque de cigarettes Fact41 autour de San Francisco le jour de Noël. La fine équipe change alors le slogan de la marque « I’m realistic, I only smoke Facts » (« Je suis réaliste, je ne fume que des Facts ») en « I’m real sick, I only smoke Facts » (« Je suis complètement taré/malade, je ne fume que des Facts »). La condamnation du tabac est très courante chez les activistes américains. Cette aversion pour le tabac va de paire avec les procès intentés aux États-Unis dans les années 1990. Les activistes utilisent le même procédé, transformant juste quelques lettres. Grâce à l’aide de leur porte-parole de l’époque, Simon Wagstaff, cette première action du BLF connaît un retentissement important. Les publicités détournées ne sont pas choisies au hasard. Quelques fois le détournement est suscité par un slogan que l’on veut changer (comme pour Max Factor 26, où le slogan très agressif ne pouvait qu’être détourné par le BLF), d’autres fois le slogan inspire au groupe un jeu de mot (comme pour Fact cigarette, où le détournement a une consonance amusante entre « realistic » et « real sick »). Au moyen de peinture ou de collage, toute la force humoristique du BLF se joue sur la confusion visuelle entre le panneau d’origine et le panneau « amélioré ». Le passant ne doit pas voir au premier coup d’œil que le panneau a été transformé, c’est en lisant le slogan qu’il doit se poser la question : ce camouflage décuple l’effet « humoristique ». Les détournements de BLF ont une réalisation assez simple : il suffit de masquer certaines lettres en utilisant la couleur de l’arrière plan, d’en rajouter d’autres repeintes ou découpées sur d’autres panneaux. 41 BILLBOARD LIBERATION FRONT, Fact cigarette, décembre 1977, San Francisco, USA. Annexes Tome 1 – 3. 24 Dans leur manifeste42 rédigé par Jack Napier et John Thomas expliquent plus précisément leurs motivations anti-pub déplorant la sur-représentation publicitaire dans tous les lieux de la vie quotidienne. Advertising suffuses all corners of our waking lives; it so permeates our consciousness that even our dreams are often indistinguishable from a rapid succession of TV commercials. 43 L’impression de voir son imaginaire pollué par la pub est courante chez les anti-pub. Des décennies plus tard les Déboulonneurs 44 reprendront cette même idée avec le slogan « La pub pollue nos rêves » souvent apposé à la bombe de peinture par une déboulonneuse parisienne sur des panneaux publicitaires 45. L’un des monuments de la culture populaire des années 2000, la série Futurama46 de Matt Groening utilise également l’image des « rêves publicitaires ». Dans l’épisode 6 de la première saison 47, le personnage principal, Philip J. Fry s’aperçoit que des publicités sont incrustées dans son rêve. Le cinéaste John Carpenter utilise également des panneaux publicitaires s’adressant au subconscient humain dans le film They Live (Invasion Los Angeles)48 sorti en 1988 dans lequel le personnage principal 42 43 44 45 46 47 48 NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto : http://www.billboardliberation.com/manifesto.html. Dernière consultation : 27 mai 2014. NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto. « La Publicité investit tous les lieux de notre vie éveillée. Elle s’insinue à tel point dans notre esprit qu’il nous est souvent impossible de distinguer nos rêves d’une succession rapide de spots télévisés. » Les Déboulonneurs est un collectif d’anti-pub français créé en 2005 en région parisienne. Des groupes sont présents dans plusieurs grandes villes de France. Leur action se caractérise par une mise à sac nonviolente et publique des panneaux publicitaires au moyen de peintures indélébiles. LES DÉBOULONNEURS, « la pub pollue nos rêves », 24 novembre 2012, Gare Saint-Lazare, Paris, France. Annexes Tome 1 – 3. Futurama est une série réalisée par Matt Groening (créateur de la célèbre série des Simpsons), difusée sur la Fox de 1999 à 2003. Cette série se déroule dans le futur et présente un univers loufoque inspiré de nombreux pontes de la science-fiction. « A Fishfull of Dollars » (« Cinquante millions d’anchois »), in Futurama, GROENING Matt, saison 1 épisode 6, 27 avril 1999, Fox. They Live (Invasion Los Angeles), CARPENTER John, État-unis, 1988, 93 min. Le film tire son inspiration d’une nouvelle de Ray Faraday Nelson, Eight O’Clock in the Morning (Les Fascinateurs), publiée en 1963. 25 peut percevoir le réel sens des messages publicitaires (des ordres tels que « Sleep », « Obey », « Consume », « Reproduce ») seulement à l’aide de lunettes spéciales. Les autres personnages n’y voient que de simples publicités standards. Tous ces exemples témoignent d’une peur profonde d’une publicité s’adressant directement à l’inconscient. Cette peur conduit le BLF a dénoncer la confrontation obligatoire de l’individu lambda à la publicité. You can switch off/smash/shoot/hack or in other ways avoid Television, Computers and Radio. You are not compelled to buy magazines or subscribe to newspapers. You can sic your rotweiler on door to door salesman. Of all the types of media used to disseminate the Ad there is only one which is entirely inescapable to all but the bedridden shut-in or the Thoreauian misanthrope. We speak, of course of the Billboard. Along with its lesser cousins, advertising posters and "bullet" outdoor graphics, the Billboard is ubiquitous and inescapable to anyone who moves through our world. Everyone knows the Billboard; the Billboard is in everyones mind. 49 Le panneau publicitaire représente la publicité que l’on ne peut pas éviter, que l’on est obligé de recevoir. Encore un parallèle intéressant avec les Déboulonneurs. Les Déboulonneurs dans leur combat contre la pub se battent pour obtenir « un droit de réception », sorte de pendant de la liberté d’expression. Lors d’une formation de préparation au déboulonnage50, l’un des militants m’a tenu le même discours : « Pourquoi on ne s’attaque qu’aux panneaux ? On peut éviter la pub partout, si on a pas de télé, si on écoute pas la radio, si on met un bloqueur [de pub] sur son navigateur [web]... Mais dans la rue on ne peut pas l’éviter ! »51. 49 50 51 NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto. « Vous pouvez éteindre/cogner/détruire/hacher menu ou faire ce que vous voudrez à votre Télévision, à votre Ordinateur, ou à votre Radio. Vous n’êtes pas dans l’obligation d’acheter des magazines ou de vous abonner aux journaux. Vous pouvez lâcher votre Rottweiler sur les VRP. Parmi tous les médias utilisés pour répandre la Pub, il n’y en a qu’un que nul ne peut éviter, à part le grabataire cloué au lit et le misanthrope lecteur de [Henry David] Thoreau. Nous parlons, bien sûr, du Panneau Publicitaire. Avec ses cousins, les posters promotionnels et les affiches, le Panneau Publicitaire est omniprésent et inévitable pour quiconque se déplace dans notre monde. Chacun connaît le Panneau Publicitaire ; le Panneau Publicitaire est dans l’esprit de chacun. » Formation au déboulonnage par les Déboulonneurs, 17 novembre 2012 en région parisienne. 17 novembre 2012, Formation au déboulonnage par Les Déboulonneurs en région parisienne, propos d’un militant anti-pub recueillis par Lucie Houlbrèque 26 Le combat du Billboard Liberation Front contre la publicité est aussi un combat pour l’art. Un combat pour s’approprier l’espace publicitaire et un combat contre l’art marchand. Deux paragraphes du manifeste du Billboard Liberation Front sont consacrés aux rapports entre commerce et art. Les attaques des panneaux de pub par le BLF revêtent alors une couleur plus revendicatrice. Old fashioned notions about art, science and spirituality being the peak achievements and the noblest goals of the spirit of man have been dashed on the crystalline shores of Acquisition; the holy pursuit of consumer goods. All old forms and philosophies have been cleverly co-opted and re"spun" as marketing strategies and consumer campaigns by the new shamans, the Ad men. Spiritualism, literature and the physical arts: painting, sculpture, music and dance are by and large produced, packaged and consumed in the same fashion as a new car. Product contents, dictated by trends in hipness, contain a half-life matching the producers calender for being supplanted by newer models. 52 Le BLF pose une question intéressante : si l’art se consomme comme un cornet de frite, pourquoi ne pas faire de l’art avec la pub ? Selon le groupe les publicités sont plus souvent observées que les œuvres d’art. Utiliser les panneaux publicitaires renforcent donc l’impact des œuvres : faire de l’art libre à la place de l’art marchand. Afin de limiter la domination des lieux de consommation sur les lieux artistiques le Billboard Liberation Front propose à tous les individus de s’accaparer les panneaux publicitaires. [...] to encourage the masses to use any means possible to commandeer the existing media and to alter it to their own design. 52 NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto. « Les idéaux dépassés au sujet de l’art, de la science et de la spiritualité qui donnent à l’esprit humain ses plus nobles buts ont été anéantis sur les rivages cristallins de l’Acquisition : la sainte course aux biens de consommation. Toutes les anciennes formes de philosophie ont été habilement re-« tournées » comme autant de stratégies marketing et campagnes de publicité par les nouveaux chamans, les Fils de Pub. La spiritualité, la littérature et les arts tels que la peinture, la sculpture, la musique et la danse sont produites, emballées et consommées de la même façon qu’une nouvelle voiture. Le contenu des produits, dicté par les modes, n’est qu’une demie-vie destinée à correspondre à l’agenda des producteurs qui les remplace bien vite par d’autres modèles. » 27 Each time you change the Advertising message in your own mind, whether you climb up onto the board and physically change the original copy and graphics or not, each time you improve the message, you enter in to the High Priesthood of Advertisers. 53 Le groupe encourage les lecteurs du manifeste à reverser la balance et d’ajouter de l’humanité et pourquoi pas de l’art aux panneaux publicitaires et à ne surtout pas les laisser dans les mains des publicitaires qui « re- ”tourn[ent]” comme autant de stratégies marketing et campagnes de publicité »54 les anciennes philosophies. Mais pour le Billboard Liberation Front les panneaux publicitaires sont aussi de grands espaces de jeux et d’expression artistique. Jack Napier cité dans Artivisme55 s’exprime à ce sujet : Les panneaux publicitaires sont d’extraordinaires avant-scènes, de vastes aires de jeux où s’amuser. Ce sont des plateformes urbaines où les troupes de théâtre devraient s’exposer. Ce sont des toiles géantes à l’usage des artistes, des bouffons, des politiciens pauvres et autres extravagants. Ils font partie des « anti-espaces » qu’on trouve dans les villes si on les cherche. Ce sont les cadeaux des grandes entreprises ; elles les construisent et les installent pour vous, pauvres citoyens, pour que vous puissiez les utiliser à votre guise, si seulement vous en avez l’inspiration et le courage. 56 Par la suite le mouvement se propage, et devient même une référence dans le monde de l’anti-pub. Choisissant de récupérer l’espace d’expression qu’est le panneau publicitaire, laissé jusqu’alors aux mains des publicitaires, le Billboard Liberation Front transforme les messages publicitaires en y ajoutant des jeux de mots, cyniques, grinçants, telles que Think 53 54 55 56 NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto. « [...] encourager les masses à réquisitionner les médias existants et à les modifier selon leur volonté. Chaque fois que vous changez le message Publicitaire pour le vôtre, que vous grimpiez sur le Panneau et changiez physiquement le texte ou le visuel originels ou non, à chaque fois que vous améliorez le message, vous pénétrez le Haut Sacerdoce des Publicitaires. » NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto. op.cit. LEMOINE Stéphanie et OUARDI Samira, Artivisme : Art, Action politique et Résistance Culturelle, Paris, Éditions Alternatives, 2010. NAPIER Jack du BILLBOARD LIBERATION FRONT cité in LEMOINE Stéphanie et OUARDI Samira, Artivisme : Art, Action politique et Résistance Culturelle, Paris, Éditions Alternatives, 2010, p. 128. 28 Doomed57 (« pensez préfabriqué58 »), à la place du « Think Different » (« pensez différemment ») d’Apple en 1998 à San Francisco. Ce mode d’action inspirera de nombreux successeurs tels que Poster Boy à New-York. The Billboard Utilizing grafftists against unhealthy promotions – BUGA-UP (Australie) Inspirés par les détournements du Billboard Liberation Front plusieurs acteurs de l’anti-pub australiens se rassemblent à la fin des années 70 sous une seule bannière : BUGAUP. Billboard Utilising Graffitists Against Unhealthy Promotions ou BUGA-UP est un mouvement anti-pub australien qui concentre ses actions (de dégradation et de détournement) sur les publicités qu’ils jugent « malsaines ». Le caractère « malsain » s’est élargie au fil des années : au départ il concernait les publicités qui font promotion de produits dangereux pour la santé comme le tabac, l’alcool puis très vite les publicités de produits alimentaires type « malbouffe » ont été les cibles de « dégradation », aujourd’hui de nombreuses publicités sexistes sont également visées par BUGA-UP. Tout commence en octobre 1979 dans le centre ville de Sydney. Trois hommes, Bill Snow, Ric Bolzan et Geoff Coleman, excédés par l’invasion de la publicité dans tous les 57 58 BILLBOARD LIBERATION FRONT, Think Doomed, 1998, San Francisco, USA. Annexes Tome 1 – 4. McCORMICK Carlo et WOOSTER COLLECTIVE., Trespass, une histoire de l’art urbain illicite , Paris, Taschen, 2010. L’édition française traduit l’expression « Think Doomed » par « Pensez préfabriqué ». Cependant la pomme d’Apple « améliorée » par le BLF fait apparaître une tête de mort. Ce qui rappelle la connotation originelle du terme anglais doom. Le double sens apostrophe sombrement le public, à la manière stoïcienne : « Nous sommes tous voués à mourir » 29 espaces de vie décident d’allier leurs forces et de fonder un mouvement d’anti-pub afin de coordonner les actions dispersées. In the 1970s in Australia, tobacco and other advertising was everywhere - indoor, outdoor, in cinemas and on television. Tobacco was also the most advertised product in the world, except for perhaps all food counted together. Food stores were identified by their complete coverage by tobacco ads. Huge tobacco advertisements covered the sides of buildings, or blared from their rooftops. Freeways and roads had tobacco signs along the way. Billboards were at railway stations and between stops, in train carriages and on buses. The medical profession wrote submissions to have them removed, in vain. The visual environment had become dominated by advertising and the few regulations that existed were ineffective. Someone had to do something about it! 59 Cette citation nous montre que l’anti-pub de BUGA-UP est surtout motivée par l’indignation suscitée par l’invasion des publicités vantant les mérites du tabac. Les trois compères n’en étaient pas à leur première action anti-pub. Bill Snow s’était illustré en détournant les panneaux de publicité pour des marques de tabac et est connu pour son activisme anti-tabac. Mais après avoir attaqué les panneaux à coups de graffitis et de bombes de peinture pendant plus d’un an, Bill Snow, Ric Bolzan et Geoff Coleman estimèrent pouvoir fédérer les différents types d’actions anti-pub en fondant BUGA-UP. Pour rendre leurs actions plus efficientes les activistes décident de les signer sous le même nom ce qui donne à BUGA-UP une meilleure visibilité. Le mouvement s’est d’abord implanté en octobre 1979 dans le centre-ville de Sydney puis s’est étendu à Melbourne, Hobart, Adelaide et Perth. BUGA-UP compte des membres venus d’horizons divers. 59 http://www.bugaup.org/faq.htm « Dans les années 70 en Australie, les publicités pour le tabac et d’autres produits étaient partout : à l’intérieur, dehors, dans les cinémas et à la télévision. Le tabac était le produit le plus vanté par la publicité, exceptés peut-être tous les aliments pris dans leur ensemble. Les magasins d’alimentation se reconnaissaient au fait qu’ils étaient recouverts de publicité pour le tabac. D’énormes publicités pour le tabac recouvraient les façades des immeubles ou bien pendaient de leurs toits. Les autoroutes comme les routes étaient truffées de panneaux en faveur du tabac. On croisait les panneaux publicitaires en gare, sur le trajet de la voie ferrée, dans les wagons, sur les autobus. Le corps médical tenta de les faire retirer, mais en vain. L’environnement visuel était devenu dominé par la publicité et le peu de réglementation encore en vigueur demeurait inefficace. Quelqu’un se devait d’agir ! » 30 BUGA-UP se définit60 comme un mouvement et refuse l’appellation de « groupe » : il n’existe pas d’adhésions ou de réunions. Il n’y a donc pas de liste exhaustive des membres du mouvement. Les graffeurs rejoignent le mouvement en ajoutant à leurs détournements la mention « BUGA-UP ». C’est ainsi que le mouvement s’est propagé rapidement en Australie et à l’étranger. En résulte une très grande diversité des membres dont certains sont célèbres : Arthur Chesterfield-Evans61, Lord Bloody Wog Rolo62 et Fred Cole63. Des catalogues annuels répertorient les panneaux sur lesquels la mention BUGA-UP a été apposée et constituent ainsi une mémoire non exhaustives des actions réalisées. Il n’y a donc pas véritablement de pensée commune théorisée au sein de BUGA-UP, contrairement au BLF qui s’appuie sur un manifeste. Les membres du mouvements jouissent d’une très grande liberté concernant les messages qu’ils inscrivent sur les panneaux. Sur leur site Internet BUGA-UP met a disposition un texte basé sur le principe du Do It Yourself expliquant aux usagers comment devenir un parfait activiste anti-pub : le Do It Yourself Graffiti Guide, publié en 1981 dans leur deuxième catalogue 64. Ce guide en plus de donner des techniques de détournement d’affiches tant sur le fond que sur la forme, pose les véritables piliers de la philosophie de BUGA-UP. 60 61 62 63 64 Voire page d’accueil du site officiel de BUGA-UP : http://www.bugaup.org/ Dernière consultation : 27 mai 2014. Arthur Chesterfield-Evans (1950- ) est un médecin, homme politique australien et militant de la paix et ancien membre du Conseil législatif de la New South Walles de 1998 à 2007. Rolo Mestman Tapier (1945-2007) également connu sous le nom de Lord Bloody Wog Rolo était une personnalité excentrique de la ville de Sydney en Australie. C’est l’un des membres fondateurs de BUGAUP mais aussi un activiste anti-monarchique (il a renoncé à prêter allégeance à la reine après l’officialisation de son immigration, au motif qu’il était un républicain et la reine n’était pas un représentant démocratiquement élu du peuple). Cette prise de position ainsi que les slogans « abolition de la monarchie » que Rolo portait ont conduit à son arrestation en 1981 « pour comportement susceptible de causer de graves troubles ». Fred Cole (1926-2009) est un activiste de BUGA-UP. Il est notamment connu pour une action anti-tabac les années 80 où il déambulait vêtu en homme sandwich (vantant différentes marques de cigarettes) dans la ville de Sydney. Il est l’un des membres de BUGA-UP a avoir été le plus arrêté pendant leurs actions. BUGA-UP, Spring catalogue 1981, 1981. Annexes Tome 1 – 4. 31 Despite the occasional organised Offensive and Blitz campaigns, the bulk of BUGA-UP graffiti is done on an ad hoc basis, whenever people can fit it in. For most people this means painting on billboards just before catching the train to and from work, or "painting the town red" at night or on their days off. Billboard graffiti is so simple you can organise it around just about anything. Even if you paint only one billboard per week you’ll be costing the corporate pushers between $500 and $5000 per year, depending on your thoroughness. It’s a sad fact, but we’ve learnt through long experience that money is the only language billboard advertising companies understand. Nothing will get those ads down faster that if their profits are reduced by. escalating maintenance costs. But even more important that this financial factor is the effect that the refaced ad will have on those who read it. At the very least you’ll be Speaking Up for Community Health - something none of our governments seem to care much about. So now, just to show you how easy the whole operation is, BUGA-UP presents the Doit-Yourself Graffiti Guide. First, you’ll need to buy and test your equipment. Go to a shop (big chain supermarkets are the cheapest) and get your spray cans. Black and chrome are the most versatile colours, but red, blue, purple and white are also effective on particular billboards. Spraycans must be shaken for at least a minute prior to use. Always test new cans as some are duds. You then find your tobacco and alcohol billboards and work out the easiest access and departure routes. Position somebody to watch for the rare cop who may happen upon you, and to chat with passers-by. Then, Go For It! Try to break down the power of the billboard ad by answering it, looking at the space available and the way in which the words and images lend themselves to addition, alteration or comment. We’ve found humour to be extremely effective in exposing the advertiser’s real intentions - turning the ad’s message back on itself. When you finish writing (avoiding spelling mistakes, the graffitist’s curse) you sign the billboard "B.U.G.A. U.P." Bang! You’re a member with full entitlement to the Fighting Fund65 should you need it.66 65 66 « Fighting Fund » ou « Fond de Défense » permet de payer la moitié de l’amende des graffeurs arrêtés pour avoir détourner des panneaux en signant BUGA-UP. BUGA-UP, « Do-It-Yourself Graffiti Guide », 1981, in How To, www.bugaup.org/ Dernière consultation : 5 juin 2014. 32 Ce texte décrit avec justesse la réalité des actions anti-pub : réalisé la nuit, en allant travailler, rapidement... Toutes ces actions sont tout à fait en phase avec la pensée de BUGA-UP qui vise à rassembler les manifestations anti-pub éparpillées. BUGA-UP va même jusqu’à valoriser ce type d’action en rappelant le coût du nettoyage des panneaux dégradés pour les annonceurs et en insistant sur l’impact du message transformé pour ceux qui le liront dans la rue. Philosophiquement BUGA-UP s’inscrit dans la continuité du Billboard Liberation Front : un mouvement anti-pub utilisant l’action directe pour modifier des panneaux « Malgré les campagnes éclairs et offensives organisées à l’occasion, la majorité des graffitis de BUGA UP est faite au cas-par-cas, quand les gens en ont la possibilité. Pour la plupart des gens, cela signifie peindre sur des panneaux juste avant de prendre le train en allant au travail ou en en revenant, ou bien « repeindre la ville en rouge » la nuit ou pendant les jours de congé. Le graffiti sur panneau est si simple que vous pouvez l’organiser très facilement. Même si vous ne repeignez qu’un seul panneau par semaine, vous occasionnerez un coût allant de 500 à 5 000 dollars par an en fonction de votre pugnacité. C’est un triste fait, mais nous avons appris par expérience que l’argent est bien la seule langue que comprennent les compagnies qui exploitent les panneaux publicitaires. Rien n’ôtera plus vite ces pubs que des profits en chute libre en raison des coûts de maintenance. Mais l’effet que la pub altérée aura sur ceux qui la lisent est plus important encore que le facteur financier. Le moins que l’on puisse dire est que vous Parlerez au nom de la Santé Publique – quelque chose dont aucun de nos gouvernements ne semble vraiment se préoccuper. C’est pourquoi maintenant, juste pour vous montrer avec quelle facilité on peut mener l’opération, BUGA-UP présente le Guide du graffiti do-it-yourself. D’abord, vous devrez acheter et tester votre équipement. Allez dans un magasin (les grandes chaînes de supermarchés sont les moins chères) et trouvez bombes de peinture. Le noir et l’argenté sont les couleurs les plus passe-partout, mais le rouge, le bleu, le violet et le blanc peuvent aussi faire l’affaire pour certains panneaux. Les bombes aérosols doivent être secouées au moins une minute avant usage. Essayez toujours les nouvelles bombes, car certaines sont défectueuses. Ensuite allez chercher vos panneaux de publicité pour le tabac et l’alcool et trouvez les voies d’accès les plus pratiques. Positionnez un guetteur pour vous prévenir du rare flic qui pourrait vous tomber dessus et discuter avec les passants. Puis, ALLEZ-Y ! Essayez de briser le pouvoir du panneau publicitaire en lui répondant, en observant l’espace disponible et la façon dont les mots et les images se prêtent à un ajout, une altération ou un commentaire. Nous avons découvert que l’humour est extrêmement efficace pour mettre en lumière les intentions véritables du publicitaire – il permet de retourner complètement le message sur lui-même. Lorsque vous avez fini d’écrire (en évitant les fautes d’orthographe, la malédiction du graffeur) vous signez « B. U. G. A - U. P. » Bingo ! Vous êtes désormais membre et vous aurez accès de plein droit au Fond de Défense si vous en avez besoin. ». 33 publicitaires aux messages choquants (ou qui promeuvent des produits malsains). Mais le mouvement australien se différencie dans son organisation interne. Les membres du BLF agissent en groupe et revendiquent par la suite leurs actions. Mais chez BUGA-UP tout à chacun peut devenir membre « de plein droit » du mouvement simplement en apposant la mention « BUGA-UP » sur un panneau rectifié. BUGA-UP utilise principalement le détournement. Pour détourner un panneau il s’agit de transformer les slogans publicitaires pour diffuser un message jugé plus « vrai » que ceux promus. Le détournement peut aller de la simple suppression de lettre à la réécriture du slogan pour scander le point de vue BUGA-UP et mettre en évidence le caractère malsain du produit vendu. Les sodas et boissons gazeuses sont aussi ciblés au nom de l’obésité que ces produits peuvent générer. Étant donné qu’il n’existe pas de travail de réflexion collectif préalable aux actions de BUGA-UP, leurs détournements sont formellement assez peu travaillés. Les activistes se bornent à apposer à la bombe aérosol le nom du mouvement, à modifier le slogan publicitaire en ajoutant ou en enlevant quelques lettres ou à ajouter un commentaire souvent acerbe sur la nature des produits et la façon dont ils sont vantés par la réclame. Dans son Do It Yourself Graffiti Guide, BUGA-UP propose des techniques de peinture rapide et efficaces pour les surfaces en hauteur : notamment un système de perche pour bombe de peinture ou encore la fabrication d’œufs de peinture. Comme BLF, BUGA-UP part du matériel de base (l’affiche publicitaire) pour détourner son sens selon le calembour qu’elle leur inspire. Les activistes de BUGA-UP ne cherchent pas à obtenir un résultat propre qui se fond dans la publicité. Contrairement au Billboard Liberation Front qui cherche à camoufler son intervention sur les panneaux publicitaire pour créer un effet de surprise, les détournements de BUGA-UP sont très 34 visibles. Ainsi le passant peut reconnaître les panneaux détournés. Les actions apparaissant comme de véritables attaques, des réponses aux annonceurs. Les Humains Associés (France) En France, un groupe fondateur se constitue : Les Humains Associés67. Les Humains Associés ne se restreignent pas seulement à l’anti-pub. Leur champ d’action est beaucoup plus large : ils se définissent comme « un mouvement culturel et artistique, s’intéressant à l’humain et à l’écologie, sans oublier le social 68». De 1987 à 1990 les Humains se lancent dans des campagnes de publicité humanistes. Il s’agit d’actions qui tendent à rassembler les hommes en convertissant les espaces publicitaires en « campagnes de publicité » philosophiques, humanistes et gratuites. Utilisant l’espace publicitaire que les afficheurs ont accepté mettre à leur disposition gratuitement (cas tout à fait exceptionnel et inattendu69 de collaboration entre anti-pub et publicitaires). Ces campagnes n’ont pour but ni de vendre, ni de faire la promotion d’un groupe, ni de recruter, mais simplement d’inviter à une réflexion humaniste et écologique pour un éveil des consciences. Quel est le moyen de toucher les gens de la rue sans passer par les médias ? Réponse... L’affichage sur des espaces publicitaires ! En 1986, les Humains proposent leur première action d’envergure. Le projet ? Lancer une campagne d’affichage gratuite aussi 67 68 69 Association humaniste fondée en 1984, connue pour son action de détournement publicitaire à visée philosophique et humaniste. Site des Humains associés : http://www.humains-associes.org/ Dernière consultation : 27 mai 2014 « La petite histoire des Humains Associés », in www.cyberhumanisme.org (site géré par les Humains Associés). Dernière consultation : 22 mai 2014. Op. Cit. « La petite histoire des Humains Associés ». Voir citation. Les Humains associés semblent euxmêmes surpris d’avoir obtenus ces espaces. 35 importante que celles des grands annonceurs de l’époque ! Un pari fou, délirant même aux dires de certains, quand on sait que cela nécessite un budget de plusieurs millions de francs. Car les Humains ont tout dans la tête, mais rien dans les poches. Qu’à cela ne tienne. En un an, le projet est monté : les Humains Associés s’adressent aux afficheurs (les loueurs d’espaces publicitaires) et leur demandent... de prêter gracieusement leurs panneaux 4 mètres sur 3 ! Le discours est direct : « Pour nous, la publicité sert essentiellement à asservir l’homme. Pour une fois, accepteriez-vous de mettre vos espaces au service de l’homme ? » Une gageure. Mais la réponse des afficheurs est à la hauteur de la question posée. De nombreux professionnels répondent positivement. Ils sont nombreux à entrer dans la danse et à participer gratuitement à l’opération (graphistes, photographes, imprimeurs et bien sûr afficheurs). 70 En 1987 Les Humains associés lancent leur première campagne d’une série de quatre : L’homme est unique ne le gâchons pas. 71 Ils investissent 1 000 panneaux de 4 × 3 m dans le métro parisien sur lesquels ils affichent une grande photographie en noir et blanc représentant une foule massée brandissant des panneaux formant la phrase « l’homme est unique ne le gâchons pas ». Ainsi dès février 1987 de nombreuses affiches fleurissent sur les murs d’Île de France. Ces affiches ne vendent rien, ne promeuvent rien. Elles ne portent aucune marque commerciale ni idéologie politique. Elles diffusent simplement un message philosophique aux humains. Cette campagne est un succès médiatique : les affiches collées dans les rues parisiennes et de nombreuses stations de métro sont décrites comme « in-con-tour-na-bles » par François Reynart dans Libération. Les Humains estiment qu’en trois semaines, ce sont des millions de français qui ont pu croiser chaque jour ce message. En 1988, Les Humains Associés s’investissent dans une campagne qui connaît un fort impact sur le public. Il s’agit de la campagne interactive, une invitation amoureuse et 70 71 Extrait de « La petite histoire des Humains Associés », in www.cyberhumanisme.org (site géré par les Humains Associés). Dernière consultation : 22 mai 2014. LES HUMAINS ASSOCIÉS, L’homme est unique ne le gâchons pas; 1987, affiche reproduite sur 1 000 panneaux, 4 × 3 m, Paris, France. Annexes Tome 1 – 5. 36 poétique : Et si on parlait d’amour 72, sur 600 panneaux 4 × 3 m. Son impact est lié au caractère innovant de cette campagne : elle invitait les passants à écrire librement à la main sur des grandes affiches blanches à hauteur d’homme sous le slogan écrit en haut, transformant les 600 panneaux en un espace d’expression poétique totalement libre et ouvert à tous. À l’instar des dazibaos chinois73, toutes les affiches ont donc été des créations uniques. Cette campagne a obtenu un large écho dans les médias nationaux (télévision, radio, presse écrite). L’association lance la même année la Revue Intemporelle74, revue annuelle gratuite qui prolonge la réflexion humaniste engagée par les campagnes. Les Humains Associés publient un texte fondateur : le Manifeste Planétaire en 1984 lors de la création de leur association. Ce texte fait montre d’une réelle volonté de redonner une place central à l’être humain, se pencher davantage sur sa valeur en tant qu’individu. Les Humains Associés utilisent un vocabulaire philosophique et plastique moins accès sur la lutte radicale que la plupart des groupes d’anti-pub. Cependant comme beaucoup de groupe d’anti-pub ils rejettent la société de consommation en général et la publicité en particulier. Ils réprouvent avec vigueur la dévaluation de l’individu, au profit des produits marchands, qu’elle induit. Sur notre planète bleue blues qui vit dans la peur terrifiante des guerres de toutes sortes, guerre fanatique, guerre psychologique, guerre bactériologique, guerre de haine, guerre religieuse, guerre économique...nous avons perdu presque toute valeur en tant qu’individu. Chacun de nous aujourd’hui vaut moins que le vêtement qu’il porte, à moins qu’il ne représente une puissance sans visage.75 72 73 74 75 LES HUMAINS ASSOCIÉS, Et si on parlait d’amour..., 1988, affiche photographique, reproduite sur 600 panneaux, 4 × 3 m, Paris. Annexes Tome 1 – 5. Le dazibao est un mode d’expression qui remonte à la Chine impériale. Il s’agit d’une affiche rédigée par un simple sujet, qui pouvait traiter d’un sujet politique ou moral. Elle était placardée pour être lue par tous. LES HUMAINS ASSOCIÉS, La revue intemporelle, n°1 : « L’amour », 3e trimestre 1988. LES HUMAINS ASSOCIÉS, Manifeste Planétaire, 1984 (Extrait) 37 Le but du Manifeste Planétaire des Humains Associés est d’inviter les autres humains à prendre conscience de leur condition humaine, de la force de l’union, de la solidarité, de lutter contre l’individualisation de la société libérale, dans un contexte de relance néolibérale insufflée par les gouvernements de Margaret Thatcher, Ronald Reagan ou encore le « tournant de la rigueur » de François Mitterrand. Les Humains Associés constitue par le caractère légal de son action (prêt de panneaux publicitaires, médiatisation de leurs campagnes « publicitaires ») et l’originalité de sa proposition artistique (pour Et si on parlait d’amour ) un cas à part dans le panorama de l’anti-pub. On ne peut pas considérer Les Humains associés s’affichent comme une d’alternative à la publicité, plus que comme une contestation de la publicité. Cependant l’incitation à l’occupation d’espace publicitaire comme utilisée pour l’action Et si on parlait d’amour est aussi le cheval de bataille de beaucoup d’anti-pub. Adbusters (Canada) Abusters est à la fois une fondation et un magazine. Née en 1989 à Vancouver au Canada par Kalle Lasn et Bill Schmalz, Adbusters Media Foundation se revendique comme un réseau d’activistes, d’écrivains et d’artistes qui veulent innover dans de nouvelles formes d’activisme propres à l’ère de l’information qui caractérise notre époque 76. Adbusters est formé des mots « ad », diminutif de « advertisment » publicité et « to bust » éliminer, détruire. On peut traduire littéralement par « casseurs de pub », le groupe se définit comme anti-publicitaire, et accuse cette dernière de coloniser l’espace public, mais aussi psychique 76 https://www.adbusters.org/about/adbusters. Dernière consultation : 27 mai 2014. 38 à cause de l’omniprésence de la publicité dans tous les lieux de la vie quotidienne : films, événements sportifs, boîte aux lettres, télévision mais aussi écoles et la rue. Adbusters se présente comme anti-capitaliste. C’est pourquoi une grande partie de leurs revendications cible les entreprises multinationales. Dans son journal, l’association défie les grandes marques : Nous prendrons les archétypes des pollueurs de la tête – Marlboro, Budweiser, Benetton, Coke, MacDonald’s, Calvin Klein – et nous les battrons à leur propre jeu. [...] Nous allons déglamouriser leurs images à coup de milliards de dollars, avec des nonpublicités à la télé, des « subversing » dans les magazines, et des anti-pubs juste à côté des leurs, dans le paysage urbain.77 L’un des symboles du groupe est le Corporate Flag78 (drapeau d’entreprises) depuis sa création en 2000. L’œuvre est une parodie du drapeau des États-Unis, il est aussi surnommé Brands and Bands (Marques et bandes) un jeu de mots imitant la paronomase 79 de l’expression « Stars and Stripes » (Étoiles et bandes) qui désigne habituellement le drapeau américain. Dans cette version les étoiles des états sont remplacées par les logos de grandes entreprises américaines. Le drapeau est réalisé par Shi-Zhe Yung, alors au Pratt Institute de New-York, une école d’art privée. Les trente marques représentées sont : CBS, Playboy, Coca-Cola, ABC, Camel, Windows, Sprint, Travelers/Citigroup, Apple, Nike, AT&T, Chrysler, Warner Bros, White Westinghouse, Chase, Intel, Pizza Hut, MacDonald’s, Xerox, Adobe, IBM, General Electric, Internet Explorer, Bell System, United Airlines, Shell, Adidas, NBC, Pepsi, Compaq. Le drapeau est utilisé lors de manifestations 80 où il est brûlé accompagnés de chants. Ce drapeau résolument anti-consummériste est devenu l’effigie du groupe. 77 78 79 80 ADBUSTERS cité in Libération du 2 octobre 1995. Shi-Zhe Yung pour Adbusters, Corporate flag, 2000, photomontage. Annexes Tome 1 – 6. La paronomase est une figure de style qui consiste a rapprocher deux paronymes (deux mots dont le sens diffère mais dont la graphie et/ou la prononciation sont fort proche de sortes qu’ils peuvent être confondus à la lecture ou à l’audition). Exemple connu : « qui vole un bœuf vole un œuf ». Par exemple comme lors de la manifestation anti-Bush The World Can’t Wait le 4 février 2006. 39 Adbusters agit comme une fédération de groupes d’anti-pub, regroupés en associations nationales dans divers pays : Casseurs de pub et Résistance à l’agression publicitaire (RAP) en France et en Belgique, Adbusters Norge en Norvège, Adbusters Sverige en Suède et Culture Jammers au Japon. Adbusters attaque la publicité au travers du détournement artistique de publicités. Contrairement à BUGA-UP les publicités détournées par Adbusters sont plus hétéroclites. Le groupe s’attaque au sport, à la mode, au tabac... Les attaques visent par exemple la publicité sur l’alcool, sur laquelle des militants de Vancouver apposent des textes comme : L’idée selon laquelle notre campagne de publicité a contribué à la progression de l’alcoolisme, la conduite en état d’ivresse et les violences domestiques contre les femmes et les enfants est une absurdité. Personne ne fait attention à la publicité. 81 La technique utilisée est elle aussi très diversifiée : il peut s’agir d’ajout de lettres ou d’effacement de mots pour créer des jeux de mots ou de véritables fausses publicités. Dans le cas de fausses publicités l’ironie est double : nous reconnaissons la référence utilisée dans la publicité parodiée parce que l’omniprésence de la publicité nous crée une culture commune. C’est entre autres dans cette optique que le groupe réalise une campagne visant la marque Nike, notamment les affiches Tiger Wood – Nike smile et Nike the ripper. Tiger Wood – Nike smile82 est un photomontage qui donne au golfeur professionnel un sourire qui reprend la forme de la célèbre virgule de la marque. Cette image interroge le spectateur en associant le sportif à un objet commercial. Nike the ripper83 réalisé de 2006 à 2010 à Munich traite le sujet de manière différente : un ajout sur une publicité de la marque montre une femme, vêtue de manière sportive qui semble presque décapitée par la virgule Nike. Affichée en rue, cette action questionne les rapports entre les sportifs et les sponsors. 81 82 83 ADBUSTERS, message sur une pub d’alcool, cité in LES DÉSOBÉISSANTS, Désobéir à la Pub, Paris, Le passager clandestin, 2010. ADBUSTERS, Tiger Wood – Nike smile, 2011, photomontage. Annexes Tome 1 – 6. BRAVE NEW ALPS pour Adbusters, Nike the ripper, 2008, collage sur panneau d’affichage, Munich, Allemagne. Annexes Tome 1 – 7. 40 Le groupe se focalise aussi sur les publicités pour des marques de tabac en parodiant la marque Camel avec le personnage récurrent Joe Chemo (un anti Joe Camel ou Old Camel, un dromadaire mascotte de la marque de tabac Camel de 1987 à 1997) visiblement atteint d’un cancer des poumons. Le personnage, mascotte anti-tabac 84, est représenté fatigué, chauve souvent escorté d’une perfusion ou alité, voire tout simplement mort. Cette campagne compte contrecarrer l’image positive de Joe Camel et prévenir des dangers du tabac. Ces affiches furent placardées sur plusieurs panneaux publicitaires. Adbusters s’est aussi beaucoup intéressé aux stéréotypes corporels qui apparaissent dans les publicités. La fondation critique les corps interchangeables et irréels des mannequins. Ces corps lisses font naître un sentiment de malaise chez le spectateur, voire une haine du corps (principale cause de l’anorexie). Ils expriment leur rejet de cette adoration de la minceur et cette mentalité de corps conformes par plusieurs détournements. Notamment Feed me85 qui reprend une photographie publicitaire de la mannequin Kate Moss à côté de laquelle sont inscrits les mots « Feed me » (« nourris-moi »). Cette affiche peut faire penser aux photographies accolées sur les prospectus de lutte contre la faim tant la top-model est maigre. La campagne « Obsession » dénonce également les dangers de la mode, les ravages du culte du corps parfait et les stéréotypes de genres. Obsession for men86 représente un homme à la musculature herculéenne visiblement très préoccupé par le contenu de son caleçon : on comprend alors que l’obsession des hommes c’est la taille. Obsession for women87 présente une femme penchée au dessus des toilettes. L’obsession de la femme c’est son régime. Formellement les deux affiches ont un aspect très plastique, léché : la photographie est en noir et blanc, les contours sont légèrement floutées pour la femme, les contrastes élevés pour l’homme, reprenant ainsi les codes de la photo de mode. 84 85 86 87 « Joe Chemo: A Camel Who Wishes He’d Never Smoked » : http://www.joechemo.org/ Dernière consultation : 27 mai 2014. ADBUSTERS, Feed me, 2011, photomontage, publié dans Adbusters Magazine. Annexes Tome 1 – 7. BLECK NAancy pour Adbusters, Obsession for men, 2006, photomontage, publié dans Adbusters Magazine. Annexes Tome 1 – 8. BLECK Nancy pour Adbusters, Obsession for women, 2006, photomontage, publié dans Adbusters Magazine. Annexes Tome 1 – 8. 41 La campagne connaît un pendant, Reality for men – Calvin Klein 88 qui représente le torse d’un homme photographié en noir et blanc. L’homme ne répond pas aux canons de la beauté actuel : son torse est ventru et poilu. Adbusters nous montre par là la différence entre le corps type exhibé par la publicité et le corps réel des hommes, il n’y a pas qu’un seul type de corps humain mais des milliards, qu’il ne faut pas figer pas le corps en une seule représentation stéréotypée. Ces affiches se moquent des canons de beauté imposés par la publicité et la mode. 4. Les Déboulonneurs Nous avons délibérément choisi deux groupes très différents qui n’abordent pas l’opposition à la publicité de la même manière : le Billboard Liberation Front et les Déboulonneurs. Le collectifs des Déboulonneurs89 voit le jour en 2005, en région parisienne. Peu après l’important procès du Collectif des 62 en avril 2004, la désobéissance civile apparaît plus que jamais comme l’ultime recourt aux militants. Le Collectif des 62 est né à la suite d’une action de désobéissance civile, non-violente de centaines de personnes répondant à un appel de lutte contre la privatisation des espaces publics par la publicité. Suite à cette action soixante-deux personnes ont été assignées par la RATP et Métrobus (régie publicitaire du métro parisien, filiale de Publicis) au civil. Les deux groupes réclamaient 1 000 000 €. Le tribunal correctionnel du Paris condamne neuf militants anti-pub pour avoir dégradé des 88 89 BLECK Nancy pour Adbusters, Reality for men – Calvin Klein , 2006, photomontage, publié dans Adbusters Magazine. Annexes Tome 1 – 9. LES DÉBOULONNEURS, Manifeste des Déboulonneurs, septembre 2006, www.deboulonneurs.org Dernière consultation : 27 mai 2014 42 affiches du métro. Le montant des dommages-intérêts varie de 400 à 2 000 €90. Ce procès et ses retombées médiatiques ont poussés les militants à créer le collectif des Déboulonneurs. Les Déboulonneurs, dont le nom vient d’une volonté de « déboulonner » la publicité, la faire tomber de son piédestal, souhaitent l’ouverture d’un débat national sur la place de la publicité dans l’espace public. Les Déboulonneurs, s’ils déplorent également les messages véhiculés par la publicité ont décidé de ne centrer leur action que sur la forme, c’est-à-dire la taille de l’espace occupé par la publicité dans les lieux publics. Les Déboulonneurs souhaitent donc obtenir la réduction des panneaux publicitaires à 50 × 70 cm (taille de l’affichage associatif), mais aussi la reconnaissance d’un nouveau droit : la liberté de (non) réception comme corollaire à la liberté d’expression : la liberté de choisir de recevoir ou non la publicité. Dans leur manifeste, texte fondateur des Déboulonneurs (un des seuls textes à ne pas être signé par les Déboulonneurs en tant que groupe mais par des individus) le futur collectif exprime point par point ses raisons de vouloir « déboulonner » la publicité : a. Le système publicitaire monopolise toujours plus l’espace public : rues, transports, cinémas, stades, musées, universités, écoles. Il parasite les activités culturelles et pervertit les manifestations sportives. Antidémocratique, il favorise les annonceurs les plus puissants. b. Les médias financés par la publicité sont condamnés à une course à l’audience, perdent leur liberté éditoriale et s’interdisent de critiquer les annonceurs, sous peine de voir se fermer le robinet à finance. Ainsi deviennent intouchables les industries qui font le plus de publicité (agro-alimentaire, automobile, nucléaire, pétrochimie, grande distribution, loisirs et tourisme, cosmétiques). c. Le système publicitaire sacrifie la santé et l’écosystème au commerce. Il occulte les conséquences sanitaires (mauvaise alimentation, obésité, anorexie...) et se moque du principe de précaution (nucléaire, produits chimiques, organismes génétiquement modifiés [OGM], téléphones portables...). d. Il incite à la surconsommation, au gaspillage, à la pollution et fait souvent l’apologie de comportements irresponsables et individualistes. En entretenant la convoitise et la 90 Source : http://lecollectifdes62.free.fr/ Dernière consultation : 25 juin 2014 43 frustration, il est source de surendettement, de délinquance, de violence pour les plus démunis. e. Il déshabille femmes, hommes et enfants comme un proxénète, propage des modèles artificiels et uniformes, et entretient le culte d’une perfection physique et d’une éternelle jeunesse, engendrant – notamment chez les personnes handicapées, malades ou âgées – le sentiment d’être rejeté. f. Il réduit l’existence à la consommation, les fêtes à des opérations commerciales, l’imaginaire et les idéaux à des arguments de vente. g. C’est le consommateur qui paie la publicité (en moyenne 500 euros par an et par personne), car, tel un impôt caché le coût des campagnes publicitaires est répercuté sur le prix des produits achetés.91 Ce texte théorique des Déboulonneurs montre des convergences avec d’autres groupes. On retrouve ainsi la critique de BUGA-UP sur les publicités vantant des produits malsains. La critique principale des Déboulonneurs réside dans le système économique publicitaire : l’aspect anti-démocratique (les plus gros annonceurs auront plus d’espace publicitaire), la répercussion du coût de la campagne sur le prix du produit et l’incitation à la surconsommation. Ce texte met l’accent sur l’existence de liens plusieurs mouvements contestataires : comme les mouvements écologiques et féminismes. Le modus operandi des Déboulonneurs est original. Fondée sur le concept de désobéissance civile, leur action consiste a dégrader les panneaux publicitaires en y inscrivant à la peinture indélébile des slogans, « barbouiller » en langage Déboulonneurs. À la suite de ces déboulonnages les barbouilleurs se font interpeller par les forces de l’ordre. Ces arrestations sont partie intégrante de l’action. Les Déboulonneurs abordent d’une façon plus sereine l’arrestation puisqu’elle fait partie de leur mode opératoire . Lors de la journée de formation du 17 novembre 2012, j’ai pu constater que les militants-barbouilleurs faisaient en sorte de se préparer à toutes les éventualités. La formation des Déboulonneurs n’est pas institutionnalisée mais elle se déroule généralement en deux étapes. La première 91 BARET Alex, GRADIS Yvan, JOURDE François, STERBOUL David et VAILLANT François, « Dégâts du système publicitaire » in Manifeste des Déboulonneurs, septembre 2006. 44 partie constitue ce que l’on pourrait appeler le « bloc théorique », il s’agit d’une discussion sur les raisons qui poussent les Déboulonneurs à agir contre la publicité et leurs revendications. Les Déboulonneurs profitent de l’occasion pour expliquer le déroulement d’un barbouillage standard. L’action type se structure ainsi : les barbouilleurs (ceux qui effectivement saboteront les panneaux de pub) et leurs supporteurs se réunissent au point de rendez-vous puis se déplacent en manifestation festive 92. Lorsque le joyeux groupe a atteint le point de rendez-vous les barbouilleurs commencent leur office. Généralement les forces de l’ordre interviennent, et emmènent les barbouilleurs pris sur le fait au poste. Ces derniers se laissent faire sans opposer de résistance, à la manière non-violente. Selon le militant qui dirigeait la formation, les barbouilleurs se retrouvent très rarement en garde à vue. Pendant que les militants sont emmenés au poste de police, la foule venue soutenir continue de manifester festivement, en expliquant aux passants les raisons de leur action. Une fois rassurée sur le sort de ses compagnons (garde à vue ou non), elle se disperse. Les rôles que s’attribuent les Déboulonneurs lors de leurs actions effectuent un roulement. Ils sont tour à tour : barbouilleur, supporteur ou médiateur. Le médiateur se charge de dialoguer avec les forces de l’ordre et de modérer les supporteurs. C’est généralement lui qui annonce les étapes de l’action (déplacement, barbouillage, arrestation, dispersion). Après cette explication les Déboulonneurs nous proposent de passer à la partie pratique où l’on nous fait jouer un jeu de rôles à la manière du Théâtre-Forum. Armés de bombes aérosols nous taguons tels de vrais barbouilleurs nos panneaux de pub factices. Les Déboulonneurs–agent de police nous arrêtent et nous interrogent au poste de police (des chaises de jardin). C’est l’occasion de nous expliquer ce que l’on est obligé de dire lors d’un interrogatoire (son identité et son adresse) et ce qui n’est pas obligatoire. Cette formation permet aux Déboulonneurs d’informer les barbouilleurs (ceux qui veulent barbouiller doivent au préalable venir aux formations) de ce qui les attend sur le terrain afin 92 Lors de ce déplacement les Déboulonneurs sont généralement rejoints par d’autres groupes militants comme la Brigade Activiste des Clowns (Clown Army de Paris) ou la Fanfare Invisible. 45 d’éviter les mauvaises surprises. Les Désobéissants résument clairement le mode d’action des Déboulonneurs : Sélectionner un nombre limité de panneaux bien visibles (4 × 3 mètres par exemple) et regroupés au même endroit, en ville. Annoncez publiquement (et auprès des médias) votre intention et le lieu du rendez-vous. Munissez-vous de peinture, éventuellement effaçable, et de votre carte d’identité, ainsi que d’escabeaux, si les panneaux sont en hauteur. Veillez à ce que vos amis assistent à l’action, afin de vous protéger de la violence policière et de montrer que vous n’êtes pas seuls à dénoncer la publicité. Eux ne commettent pas d’action illégale en ne faisant qu’assister à votre opération. Expliquez à la cantonade les raisons de votre action, et faites circuler un tract avec le moyen de contacter et de soutenir le collectif. [...] Peignez à la bombe des slogans antipub sur l’affiche (« obéis, consomme » ; « la pub fait dé-penser »...), mais ne débordez pas sur le panneau lui-même. Veillez à ce qu’un militant « médiateur » gère la sécurité de l’action, en restant attentif aux éventuels spectateurs ou employés de l’annonceur ou de l’afficheur visés qui se montreraient hostiles, afin de leur expliquer, de les apaiser, etc. Attribuer à un militant le rôle de « contact police » : c’est lui qui guettera l’arrivée de la police et présentera au responsable policier pour le rassurer sur le caractère non violent de l’action et la volonté des militants à accepter l’interpellation. 93 Passer devant le tribunal pénal pour répondre de leurs dégradation est un moyen de s’assurer une tribune pour exprimer leurs idées et ainsi de changer peut-être la loi en faisant jurisprudence. Les Déboulonneurs ont choisi la désobéissance civile pour plusieurs raisons : 3. Quand tout a déjà été dit sur une loi inique – celle, par exemple, qui autorise une poignée d’afficheurs à envahir l’espace public –, quand ont déjà été prises maintes initiatives (manifestations, pétitions, débats, notamment au Parlement), quand des ministres eux-mêmes, parlant de « catastrophe », ont appelé à une refonte de la loi, et que la loi n’est pas changée, il est du devoir des citoyens d’exercer sur les responsables politiques une pression plus importante, aussi longtemps que cette situation perdurera. Quitte à commettre en groupe des actes symboliques illégaux. 4. La désobéissance civile n’a pas pour but de faire croire que l’on pourrait vivre dans une société sans lois ni règles. Elle se distingue de la désobéissance criminelle dans la mesure où les transgresseurs annoncent leur intervention, agissent en public, à visage découvert, et assument leurs actes, témoignant, par là même, d’un intérêt supérieur pour le droit et la justice. 93 LES DÉSOBÉISSANTS, Désobéir à la pub, Le passager clandestin, 2009, p 41-42. 46 5. Face à l’agression publicitaire, face à l’inertie des autorités, la désobéissance civile est une « légitime réponse ». [...]94 Les actions des Déboulonneurs volontairement illégales ont pour but avoué de faire évoluer la loi et d’alerter l’opinion. Conclusion Aujourd’hui la publicité est aussi omniprésente que jadis, elle a même conquis de nouveaux espaces. On voit de plus en plus de panneaux publicitaires dans les villes et dans les campagnes. La taille des panneaux est devenue monumentale. La « pieuvre publicitaire » étend ses tentacules dans tous les lieux de vie. La nuit n’est pas épargnée par la réclame : de plus en plus de panneaux lumineux, vidéos voient le jour. Bien sûr l’opposition des activistes anti-pub à la réclame n’est pas seulement liée à son inévitable présence, mais aussi au système de pensée qui donne sa valeur à la publicité. La fin des années 1970 est marquée par une grave crise économique, liée aux chocs pétroliers, qui fait sombrer le monde occidental dans cercle infernal du chômage. Pour relancer l’économie et diminuer le phénomène d’inflation les états occidentaux baissent le coût de l’emploi et stimulent la consommation. Ce contexte permet à la publicité et aux publicitaires de prospérer davantage encore à partir des années 1980. En cette période de « pousse à la consommation » naquissent les premiers groupes anti-pub. Ces groupes décident de répondre à l’invasion publicitaire. Chaque réponse a sa spécificité. Le Billboard Liberation Front choisit de détourner de manière discrète les 94 BARET Alex, GRADIS Yvan, JOURDE François, STERBOUL David et VAILLANT François, « Désobéissance civile et non-violence : un choix » in Manifeste des Déboulonneurs, septembre 2006. 47 publicités afin d’en faire ressortir le véritable message et de créer un effet « comique ». BUGA-UP saccage les publicités malsaines armé de sa bombe aérosol. Les Humains Associés proposent des espaces de réflexions aux usagers du métro parisien. Adbusters mène une réflexion sur la publicité et propose des détournements publicitaires réalisés par des artistes et photographes dans sa revue Adbusters. Tous ces groupes sont encore actifs aujourd’hui. Leur réflexion sur l’anti-pub se révèle être au croisement de plusieurs domaines. La pratique se rapproche de celle des street artists de l’art de rue ainsi que celle des militants activistes d’extrême gauche. De ces liens avérés découlent des échanges, des pratiques communes. 48 Chapitre II L’anti-pub, au croisement entre l’art et la politque 49 L’analyse du Billboard Liberation Front et des Déboulonneurs, invite à découvrir les liens entre l’anti-pub et le Street Art et les mouvements anticapitalistes. L’anti-pub présente des frontières poreuses avec plusieurs autres disciplines. Les différents modes opératoires de l’anti-pub rejoignent celles du Street Art. Tous deux partagent le même terrain de jeu, ainsi que les risques. Ce chapitre sera consacré à l’analyse des liens entre l’anti-pub et les différentes disciplines qu’il côtoie. Ces liens permettront de cerner au mieux la diversité anti-pub ainsi que l’étendue de sa pensée. Nous nous attacherons dans un premier temps à analyser comparativement le Street Art et l’anti-pub. Il nous a semblé essentiel de proposer notre définitions du terme « Street Art », en revenant ainsi sur l’histoire de ce mouvement. Puis nous nous intéresserons au lieu d’action de l’anti-pub et du Street Art : la rue. Nous découvrirons aussi une technique commune aux deux mouvements : le Culture Jamming. Dans un second temps nous nous pencherons d’avantage sur la relation du mouvement anti-pub avec les autres luttes sociales. Pour cela nous définirons les notions d’activisme et d’artivisme. Nous nous attacherons tout d’abord à analyser l’anti-pub au sein d’un mouvement plus global, celui de l’anticapitalisme. Puis nous tisserons des liens entre anti-pub et vidéo-surveillance, deux luttes proches depuis l’arrivée des écrans vidéos. La question écologique sera également abordée, toutes ces publicités étant énergivores. Pour finir nous aborderons la question du publisexisme, une symbiose entre anti-pub et féminisme. Le sexisme dans la publicité reste un point récurrent dans de nombreux groupes anti-pub (entre autres le BLF et les Déboulonneurs). 50 1. L’anti-pub et le Street Art : des frontières perméables Le Street-Art et l’anti-pub présentent de nombreux points en communs. Ils partagent le même lieu d’expression : l’espace public. Mais si la majorité des acteurs de l’anti-pub réalisent leurs actions dans la rue, tous les street artists n’interviennent pas dans la critique de la publicité. Cependant il faut noter que de nombreux artistes de rue intègrent l’anti-pub à leur pratique plastique. Le célèbre street artist Banksy en est un bon exemple. Il considère que les graffitis sont une légitime réponse à l’oppression publicitaire : Beaucoup de gens considèrent que le taguage est une activité criminelle. Pourtant, les 30 cm² de notre cerveau sont violés quotidiennement par des équipes entières de publicitaires. Le graffiti est une réaction proportionnée aux objectifs d’une société obsédée par la notoriété qui cherche perpétuellement à vendre l’inaccessible. C’est le spectacle d’une économie libérale déréglementée recevant l’art qu’elle mérite. Vous pouvez toujours dire que tout ça n’est qu’une énorme perte de temps, votre opinion n’intéressera personne si votre nom n’est pas écrit en lettres énormes sur un immense pont à l’entrée de votre ville.95 Si elles sont distinctes, les frontières entre ces deux pratiques sont perméables. Les interventions pratiquées par un street artist ou un groupe anti-pub dans l’espace urbain présentent les mêmes aspects. Cette similitude est due à une utilisation de techniques semblables. L’anti-pub « agrémente » l’espace public de ses stickers, collages, peintures à la bombe aérosol, comme peut le faire le Street Art. Néanmoins le Street-Art n’est pas miscible dans l’anti-pub et inversement. 95 BANKSY en 2010 cité dans McCORMICK Carlo et WOOSTER COLLECTIVE, Trespass, une histoire de l’art urbain illicite, Paris, Taschen, 2010. 51 ◦ Définition Street Art Le Street Art est une expression anglaise que l’on peut traduire par l’art urbain. Le Street Art ou art urbain correspond à toute forme d’art en rue, ou dans les lieux publics en général. C’est un « mouvement » artistique qui se constitue de toutes les formes d’art réalisées dans la rue, ou dans des endroits publics. Cet art s’affirme dans une diversité de pratiques telles que le graffiti, le pochoir, la mosaïque, les stickers, le collage, les installations, la projection vidéo, la création d’affiches ou les dessins au pastel sur les rues et les trottoirs. L’une des caractéristiques de l’art urbain est son aspect éphémère. Le Street Art jouit d’un très large public bien qu’il soit malaisé de le mesurer. En France, les premières expérimentations d’art urbain datent de la fin des années 1960 et du début des années 1970 avec par exemple le travail d’Ernest Pignon-Ernest 96. Pignon-Ernest réalise en 1975 à Tours, Nice, Paris et Avignon de nombreux dessins d’une série appelée Sur l’avortement97. Alors que les députés débattent sur le sujet à l’Assemblée Nationale, l’artiste, par des dessins collés sur les murs exprime son opinion en faveur de l’avortement. Lors des débats à l’Assemblée sur la libéralisation de la loi sur l’avortement, j’ai voulu retourner le mot d’ordre des opposants à la libéralisation : « l’avortement tue ».98 96 97 98 Ernest Pignon-Ernest (1942- ), artiste plasticien né à Nice, précurseur français de l’art urbain avec Daniel Buren et Gérard Zlotykam. Son site artistique : http://www.pignon-ernest.com/ Dernière consultation : 9 juin 2014. ERNEST PIGNON-ERNEST, Sur l’avortement, collages sur murs, 1975, Tours, Nice, Paris et Avignon. Annexes Tome 1 – 9. ERNEST PIGNON-ERNEST propos recueillis à propos de la série Sur l’avortement. Source : http://www.pignon-ernest.com/ Dernière consultation : 9 juin 2014. 52 Sur son site, Ernest Pignon-Ernest met ce texte en regard d’un fragment d’un tract du MLF99 : Chaque année en France un million de femmes avortent clandestinement, cinq mille en meurent.100 L’artiste montre au regard de tous le produit de l’avortement clandestin pour défendre un avortement médicalisé et légal. Ce type d’œuvre est l’exemple-même de l’importance de l’environnement chez les street artists. Pignon-Ernest expose son opinion dans la rue sur un problème de société (de plus un problème qui divise la société). Le fait de créer dans la rue et donc de se confronter à un public plus large donne un impact d’autant plus important à ce type d’œuvre. C’est vers la fin des années 1970 que le mouvement s’intensifie : de plus en plus de graffitis et de tags ornent alors les murs des villes. Né de la réunion d’artistes graffeurs et d’individus issus de la culture « punk », les street artists des premières heures utilisaient principalement la peinture aérosol. Au fur et à mesure des techniques plus variées se sont greffées à l’art de rue. Avec l’avènement des réseaux sociaux, d’Internet et d’autres moyens de communication à échelle mondiale, le Street Art s’internationalise, et fleurit dans les villes du monde entier. Son chevalet urbain, la rue, en fait un art éphémère et vu par un très grand public. Le public du Street Art est particulier : il s’agit d’un art qui s’adresse à tous. Le Street Art semble s’adresser d’avantage à une population qu’à un public culturellement trié. À tout moment, en tournant au coin de la rue, un monde peut se découvrir. Un monde qui brise la monotonie du quotidien, égaye la grisaille urbaine. Ce monde, c’est l’art de rue ou le Street Art. L’art de rue regroupe des artistes à l’esthétique et aux techniques 99 100 MLF : Mouvement de Libération de la Femme. Il s’agit d’un mouvement féministe issu des mouvements contestataires de 1968 et du mouvement américain Women’s Lib. Ce mouvement emblématise la lutte pour l’égalité des sexes, pour la libération de la femme et de son corps notamment en militant en faveur du droit à l’avortement. Tract du MLF, 1975, cité à propos de la série Sur l’avortement d’Ernest Pignon-Ernest sur son site. 53 variées. Travaillant souvent en autonomie et dans l’anonymat, les street artists résistent à la pression commerciale des musées et offrent leur art gratuitement 101. Les influences du Street Art se révèlent aussi diverses que peuvent l’être ses artistes. La performance, le happening ou encore l’affichage du XIX e siècle, sont autant de sources d’inspiration de nombreux street artists. Certains font de la performance une pratique intégrée à leur art de rue. C’est le cas de l’artiste anglais Banksy 102 dans sa performance McDonald’s® is stealing our children sur Picadilly Circus en 2004. L’artiste utilise l’art de la performance pour exprimer une opinion : McDonald’s manipule et utilise les enfants (il les « vole »). Pour réaliser cette performance Banksy se grime comme le personnage de la marque, le clown Ronald McDonald’s et fait s’envoler avec un énorme ballon portant le M jaune, un mannequin en plastique de la taille d’un enfant. McDonald’s est une icône de la « junk food103 », de la surconsommation et du capitalisme. Bien souvent, les artistes s’attaquent autant à la chaîne de restaurants qu’au symbole qu’elle véhicule. Le Street Art est un art contestataire, subversif. Les motivations qui poussent un artiste à exposer dans la rue peuvent s’avérer très variées. Certains artistes choisissent ainsi d’exprimer leurs opinions politiques, un mécontentement face à un fait de société. La rue devient alors une sorte de tribune libre. On remarque que souvent après un mouvement social, la rue recouverte de graffitis est le miroir des opinions du peuple qui l’a habitée le temps d’une barricade ou d’un blocage industriel. Ce phénomène rappelle les graffitis 101 102 103 Toutefois, il arrive que les plus connus d’entre eux participent à des expositions plus commerciales, comme le street artist Banksy à son exposition « Barely Legal » à Los Angeles en 2006, où certaines de ses pièces se sont vendues 25 000 £. Il se l’est d’ailleurs vu reprocher par ses collègues graffeurs, l’art urbain étant par essence gratuit. Banksy est un street artist originaire de Bristol en Angleterre. Pacifiste et révolutionnaire, il commence à manier la bombe aérosol dans les années 1980. C’est à partir des années 1992 – 1994 qu’il devient véritablement un artiste graff au sein du groupe « Bristol’s DrybreadZ Crew (DBZ) ». à partir des années 2000 il confectionne des pochoirs de plus en plus élaborés et vindicatifs. Aujourd’hui il est considéré comme l’un des street artists les plus connus au monde, mais aussi l’un des plus mystérieux, tenant à son anonymat. « Junk food » terme anglais que l’on traduit volontiers en français par « malbouffe », ce qui correspond à de la nourriture peu saine et grasse généralement servie dans les fast-food. Par extension, le terme désigne également les produits vendus par les sociétés multinationales du secteur de l’agroalimentaire. 54 retrouvés dans l’enceinte de la Sorbonne après le mois de mai 1968. Des graffitis tels que « On achète ton bonheur, vole-le! »104 ou « Désirer la réalité, c’est bien ! Réaliser ses désirs, c’est mieux »105, sont à l’image du mouvement social qui les a créés. Le street artist n’a pas grand chose en commun avec un artiste de chevalet : son art n’est pas un art de galerie, le pratiquer peut lui attirer des ennuis avec la justice et sa toile peut prendre la dimension d’une ville. La rue devient pour certains, un grand espace vierge à combler de leurs œuvres. Si la ville est leur terrain de jeu, toutefois la conquérir n’est pas une mince affaire. L’illégalité de l’art de rue peut aussi être un grand facteur de motivation pour certains. L’adrénaline et les émotions ressenties lors de la pratique plastique dans des endroits interdits (propriétés privées, bâtiments publics, etc.) peuvent être grisantes pour les artistes. Ce frisson peut toutefois entraîner de graves conséquences : arrestations, contraventions, travaux d’intérêt général ... Pratiquer son art dans un lieu public peut être punissable par la loi. Lorsqu’ils ne sont pas faits sur des supports autorisés, les graffitis constituent, pour le droit pénal français, une « destruction, une dégradation ou une détérioration volontaire d’un bien appartenant à autrui », qui est punie : – d’une contravention de 5e classe (1 500 € ou plus) s’il n’en résulte qu’un dommage léger106; – d’une amende pouvant atteindre 30 000 € et d’une punition pouvant atteindre 2 ans d’emprisonnement dans les autres cas107. Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 104 105 106 107 Graffiti réalisé durant le mouvement social de mai 1968 dans le Hall Richelieu de l’Université de la Sorbonne. Idem. Article R.635-1 du Code Pénal. Article 322-1 du Code Pénal. 55 3 750 € d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté qu’un dommage léger108. La sanction peut être relevée à 7 500 € d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général, lorsque, entre autres, « le bien détruit, dégradé ou détérioré est destiné à l’utilité ou à la décoration publiques et appartient à une personne publique ou chargée d’une mission de service public »109. Toutefois, de l’interdiction et de la menace de poursuite judiciaires résulte l’attrait du Street-Art et de l’anti-pub. ◦ Un même lieu d’action : la rue comme toile La désobéissance à la publicité a généralement pour objectif de susciter la réflexion, le débat, l’autonomie de la pensée et la remise en question de « l’évidence » que représente la présence publicitaire dans notre quotidien. Le lieu idéal pour parvenir à cet objectif est bien évidement la rue et l’espace public. L’anti-pub dispose de plusieurs voies pour lutter contre l’invasion publicitaire : lutter contre la publicité sur Internet, dans nos boîtes aux lettres ou encore à la télévision. La rue est le terrain de chasse privilégié de la plupart des groupes anti-pub, car il s’agit de la seule pub que le quidam est forcé de subir. C’est dans la rue et dans les lieux publics que se trouve la majorité des publicités et donc la majorité des lieux d’actions d’anti-pub. La plupart des interventions anti-pub sont liées au détournement de publicité et occupent ainsi les espaces publicitaires. Voulant diffuser son message au public le plus large possible, 108 109 Article 322-1 du Code Pénal. Article 322-2 du Code Pénal. 56 c’est en tant qu’« art de rue » que l’anti-pub prend tout son sens. Il n’a pas pour objectif de s’institutionnaliser, s’il veut transmettre un message de critique de la consommation publicitaire et consommation marchande. Peindre dans la rue est très éloigné du travail d’atelier. Il s’agit souvent de travailler la nuit, rapidement, d’emporter son matériel partout avec soi, d’avoir préparé ses interventions à l’avance. Un détournement réussi nécessite une double préparation : une réflexion sur le message et son sens et une préparation matérielle. Le détournement ou le barbouillage rapide est l’ami du bon activiste anti-pub. Les panneaux publicitaires sont placés de façon à être visibles du trottoir afin de vanter efficacement les produits. Cette caractéristique présente à la fois un avantage et un inconvénient pour les anti-pub : leurs ajouts seront visibles par tous, mais ils risquent de se faire prendre au moment de leur réalisation. C’est le constat qu’a fait le Billboard Liberation Front en manquant de se faire prendre par la police en décembre 1977 pour l’action Fact Cigarette. The Front visited the Fact boards, checking for access, lighting, escape. They measured letters, took paint samples, compared type styles and fabricated the overlays that would be rubber-cemented to the boards. They made their hits on Christmas day 1977, dressed in workman’s overalls that had "Acme Sign" printed across the backs. It was late afternoon when they pasted up the improvements on the sixth board, which now read, "I’m real sick. I only smoke Facts." They also installed a large stylized arrow pointing from the word "Fact" down to the surgeon generals warning. The board was on a rooftop at the corner of Mission & Army Streets. Napier and his team of liberators were just about to pick up their gear and go off to the next location when a police car was seen driving up to the building and stopping. The officer got out and looked up. Obscured by the roofs decorative facade, Napier and his assistant, Steve Johnson crawled to the other side of the roof to descend the ladder. A peek over that side revealed yet another peace officers vehicle pulling up. 57 Trapped and unable to safely join their ground crew, the two dispirited pranksters turned their energy to creating alibis. Then suddenly, the officers on the south side of the building jumped into their vehicle and sped off... They tore off the coveralls and made a shaky escape. Down on the street, they ran into a smiling man in early middle age carrying a cane. As they melted inconspicuously into the growing crowd of gawkers, Mr. Glikk110, for that’s who the man was, beckoned them over. Behind Mr. Glikk they could see the cops who had by then returned and were climbing a fire dept. ladder truck ladder up onto the now vacant rooftop. "The cops?" Glikk responded to their question: ’They got an anonymous call to assist an officer in distress a few blocks away I guess it turned out to be a false alarm" he grinned, "and then they decided to return to where the action is. 111 Cet exemple nous montre qu’une bonne préparation (repérage des lieux, déguisement, membre de l’équipe resté en arrière pour faire le guet) ne sont pas toujours des précautions 110 111 Irving Glikk (né en 1934) membre fondateur du BLF, a pris sa « retraite » au sein du Billboard Liberation Front en 1985. Lors de l’action Facts Cigarettes en 1977 il est âgé de 43 ans. SEGAL P. « Indepth Look the Early History of BLF » in History and Timeline, www.billboardliberation.com. Dernière consultation : 18 juin 2014. « Le Front visita les panneaux de Fact, inspectant les accès, l’éclairage, les issues. Ils mesurèrent le lettrage, prélevèrent des échantillons de peinture, comparèrent les types de fontes et fabriquèrent les ajouts qui seraient thermocollés sur les panneaux. Ils frappèrent à la Noël 1977, habillés de vêtements au dos desquels était imprimé « Acme Sign ». C’est tard dans l’après-midi qu’ils collèrent les améliorations du sixième panneau qui affichait désormais : « Je suis carrément malade. Je ne fume que des Facts. » Ils installèrent également une grande flèche stylisée qui reliait le mot « Fact » à l’avertissement sanitaire. Le panneau était fixé sur une toiture au coin des rues Mission et Army. Napier et son équipe de libérateurs étaient sur le point de ramasser leurs affaires et de filer à l’autre endroit quand on vit une voiture de police se diriger vers le bâtiment et s’arrêter. L’agent sortit du véhicule et regarda vers le haut. Dissimulés par le fronton de la façade, Napier et son acolyte Steve Johnson rampèrent jusqu’à l’extrémité du toit et s’apprêtèrent à descendre par l’échelle. Un regard lancé à la dérobée par-dessus le fronton montra qu’encore une voiture de police approchait de ce côté. Piégés et incapables de rejoindre en toute sécurité leur équipe au sol, les deux blagueurs désespérés dépensèrent leurs dernières force pour se trouver des alibis. C’est alors que soudainement les agents situés en bas de la façade sud de l’immeuble sautèrent dans leur véhicule et partirent en trombe... Ils déchirèrent leurs déguisements et s’échappèrent tout tremblants. Dans la rue, ils se cognèrent à un homme entre deux âges qui tenait une canne, tout sourire. Alors qu’ils se mêlaient discrètement à la foule grandissante des badauds, M. Glikk – car c’était lui – les attira vers lui d’un geste. Derrière M. Glikk ils purent voir les flics qui étaient revenus et qui escaladaient l’échelle d’un camion de pompier pour parvenir au toit de l’immeuble, désormais désert. « les flics ? » Glikk répondit à leur question : « Ils ont reçu un appel anonyme qui leur indiquait la présence d’un collègue en danger à quelques pâtés de maisons de là » Il ajouta dans un rictus : « Je pense que c’était une fausse alerte, et ils ont décidé de retourner à l’action ». 58 suffisantes pour réaliser un détournement. L’activiste anti-pub n’est jamais à l’abri d’une arrestation. Pour gagner en rapidité lors des ses actions plastiques urbaines et éviter les arrestations, l’artiste Banksy a abandonné la bombe aérosol pour des pochoirs préparés à l’avance à partir de 2000. L’idée lui serait venue après avoir échappé à une poursuite policière, alors qu’il s’était caché sous un wagon de train 112. Grâce à cette technique très rapide l’artiste a pu peindre en 2005 en moins de 25 minutes sur le « mur de la honte »113 au checkpoint de Ramallah114 en Palestine. Autre que des poursuites judiciaires, le street artist risquait cette fois sa vie, puisque des gardes et des snipers le surveillaient. L’artiste réalise sur le mur une peinture à visée politique. Il faut dire que l’emplacement choisi donne au dessin poétique une portée contestataire. En effet, le mur de séparation enferme les Palestiniens et les contraint dans leurs déplacements vers Israël. Banksy imagine des dessins simples comme ce petit garçon sur un ciel bleu pour évoquer le souhait d’un retour à une vie normale, faite de liberté. Cet exemple montre l’importance de l’emplacement lors de la réalisation d’une œuvre in situ. La question du lieu est aussi primordiale en ce qui concerne l’anti-pub, elle détermine bien souvent le sens de l’œuvre. Ainsi la rue sert souvent à révéler des problématiques urbaines comme dans Les expulsés115 en 1977 à Paris où Ernest Pignon Ernest116 traduit une douleur personnelle et un drame urbain : 112 113 114 115 116 Source : http://www.banksy-art.com/ Nom péjoratif donné par les opposants à la barrière de séparation israélienne. Cette barrière est en cours d’édification en Cisjordanie à l’initiative d’Israël depuis l’été 2002. L’objectif déclaré de cette mesure est de protéger la population israélienne en empêchant physiquement toute « intrusion de terroristes palestiniens » sur le territoire israélien. BANKSY, [Intervention sur le mur de séparation], 2005, Checkpoint de Ramallah, Palestine. Annexes Tome 1 – 10. ERNEST PIGNON ERNEST, Les expulsés, 1977, Paris. Annexes Tome 1 – 10. Ernest Pignon Ernest est un street artist niçois qui vit et travaille à Paris. Depuis plus de trente ans il appose des images sur les murs des cités dans un style très réaliste. 59 À l’origine, il y avait deux choses. D’une part mes parents, qui habitaient Nice, avaient été expulsés de leur logement. Ils avaient dû quitter le quartier où ils avaient pratiquement toujours vécu, et où j’avais moi-même passé toute mon enfance. J’avais ressenti cette douleur que l’on éprouve à être chassé des lieux de son histoire. D’autre part durant cette période, de 1975 à 1980, il y a eu beaucoup d’expulsions à Paris. Je trouvais saisissants, bouleversants, ces immeubles éventrés, cette mise à nu, cette projection aux yeux de tous de l’intimité de la vie des gens.(...) Cette exhibition me semblait d’une grande violence...117 Pour traduire l’émotion qu’il ressent face à ces expulsions, Pignon Ernest choisit de placer ses portraits d’hommes et de femmes dépossédés de leurs logements sur des bâtiments en ruine, éventrés, exposant l’intimité de leurs anciens habitants. Le choix du lieu est rarement un hasard quand on travaille sur un médium aussi riche que le monde urbain. Le choix du lieu importe pour le sens de l’œuvre mais aussi pour sa visibilité et la diffusion de son message. Pour les Déboulonneurs qui veulent amener le débat de l’invasion publicitaire sur la place publique ce dernier point est essentiel. Depuis deux ans les Déboulonneurs de Paris se concentrent sur une lutte anti-publicitaire spécifique : la lutte contre les écrans publicitaires118. Ces panneaux étant majoritairement installés dans les gares les deux actions de 2012 et 2013 se sont déroulées respectivement à la Gare SaintLazare119 et à la Gare du Nord 120. Les actions sont réalisées aux heures d’influence, en collaboration avec la Fanfare Invisible, la Clown Army 121 ou l’Église de la Très Saine 117 118 119 120 121 Ernest Pignon Ernest s’exprimant à propos de son œuvre Les expulsés. Source : http://www.pignon-ernest.com Écrans publicitaires à cristaux liquides avec caméras intégrées installés par la RATP en 2009. LES DÉBOULONNEURS, action anti-pub Gare Saint-Lazare, 24 novembre 2012. Annexes Tome 1 – 11. LES DÉBOULONNEURS, action anti-pub Gare du Nord, 30 novembre 2013. Annexes Tome 1 – 11. Les armées de clowns ou Clown Army sont des groupes loufoques d’opposition. Le groupe originel, La CIRCA (Clandestine Insurgent Rebel Clown Army ou en français Armée de clowns clandestine insurgée et rebelle), a été crée en le 13 novembre 2003 au Royaume-Uni afin de manifester contre la venue de George W. Bush sur le territoire britannique. À cette époque les clowns sont mués par la lutte contre la guerre en Irak. Les clowns sont se reconnaissent de la mouvance altermondialistes et sont très inspirés par le souscommandant Marcos (leurs communiqués s’inspirent d’ailleurs des siens). Les clowns sont et ont été soutenus par le sous-commandant lors de leur création. Pendant une manifestation ou une action, les clowns parodient leurs cibles en empruntant leur langage, leurs posture ou même leurs idées (en les poussant à l’extrême, l’absurde de celles-ci apparaissent au grand jour). Ils peuvent aussi tenter toute forme d’action qui déstabiliserait la police, qui n’a pas 60 Consommation122. Les Déboulonneurs espèrent ainsi créer l’événement afin de faire entendre leur discours. L’artiste PosterBoy123, munit de son seul cutter, transforme les publicités dans le métro new-yorkais en les mélangeant entre elles afin d’en créer une nouvelle révélant un message humoristique. Son regard cynique sur la société donne des combinaisons amusantes comme Dukin’ Dummy124 en septembre 2008 ou A tough biatch125 en janvier 2009. Les deux détournements témoignent d’une analyse acide de la société de consommation et de la publicité. Le choix du métro n’est pas un hasard : c’est un choix technique et politique. Tout d’abord, le métro étant à l’abri les collages tiennent plus longtemps, de plus c’est un lieu de passage très important dans une métropole comme New-York, et donc vu par un très grand nombre. La rue est un lieu très particulier pour s’exprimer plastiquement. C’est un lieu de contraintes géographiques (lieux difficiles d’accès) et légales (interdiction de dégrader les bâtiments publics). Mais c’est aussi un lieu qui amplifie la sémiotique d’une œuvre. L’anti- 122 123 124 125 l’habitude de se confronter à des clowns, comme par exemple se cacher dans des poubelles, se mettre à ramper ou avancer en courant et en rang comme une armée. Depuis de nombreux groupes ont fleuris un peu partout en Europe. En France les groupes les plus connus sont : Le 73e BCA (Bureau des Clowns Affranchis, brigade de Chambéry), L’Art-Nez-Rouge (brigade de Rennes), les GreenPitres (brigade Vendéenne) et la BAC (Brigade Activiste des Clowns de Paris). L’Église de la Très Saine Consommation est une organisation militante française qui manie l’absurde et la dérision pour exprimer ses opinions anticapitalistes. Leurs actions tiennent de la performance burlesque : prière de rues devant des centres commerciaux (temples de la consommation), messes ou baptêmes. Site : http://www.consomme.org/ Dernière consultation : 7 juillet 2014. PosterBoy est un street artist new-yorkais qui transforme des publicités dans le métro à l’aide de son seul cutter. POSTERBOY, Dukin’ Dummy, septembre 2008, Métro, New-York, USA. Annexes Tome 1 – 12. POSTERBOY, A tought biatch, janvier 2009, Métro, New-York, USA. Annexes Tome 1 – 12. 61 pub et le Street Art se partagent ce lieu, la rue, le monde urbain, et s’« amusent » à en détourner le sens. Ces sabotages de sens sont issus des interventions type Culture Jamming. ◦ Une technique commune : le Culture Jamming Le Culture Jamming (sabotage culturel ou détournement culturel) est l’action d’intervenir sur un média de masse existant et de le détourner en utilisant la même méthode de communication. Il s’agit d’une forme d’action issue de la culture Street Art qui est souvent reprise par les groupes anti-pub. Le musicien canadien Mark Dery définit aussi son utilisation dans la musique : Le « Jamming » vient de l’argot cibiste et désigne l’interruption illégale des programmes radios ou de conversations entre cibistes avec des bruits de bouche, des obscénités ou d’autres blagues d’ados. Le « Culture Jamming », par contraste, a pour cible une techno-culture instrumentale encore plus intrusive, et dont le mode opératoire est la fabrique du consentement par la manipulation des symboles. 126 Souvent humoristique, quelques fois satirique et grinçant, le Culture Jamming s’oppose généralement à la société de marché et à son système commercial de médiatisation. Ces actions s’apparentent à une « guérilla des communications », vu que l’image détournée utilise les mêmes codes et le même emplacement. Le détournement agit comme un renversement sémiotique de l’image, parfois qualifié d’« attentat sémiotique ». Ces sabotages de sens ont pour but de révéler le « vrai » sens de la publicité. Il s’agit d’un détournement du sens, du symbole (la marque ou même la publicité). 126 DERY Mark, « Culture Jamming : Hacking, Slashing and Sniping in Empire of Signs », in Open Magazine Pamphlet Series, Open Magazine, 1993. 62 Comme Le Billboard Liberation Front lors de sa première action en 1977, l’artiste DC Gecko127 s’attaque à un panneau publicitaire de type M. U. P. I. 128 pour son œuvre Hypocrisie (de nuit)129 réalisée à Madrid en 2008. L’artiste transforme le reflet de la jeune femme en un sinistre squelette, comme une réflexion sur la mort, un jeu sur l’ironie de l’image de la jeunesse éternelle choisie par les publicitaires, c’est le traditionnel memento mori Souvent le but de cette transformation de sens vise à mettre habilement en lumière les présupposés qui sous-tendent la culture publicitaire. Sur un album intitulé JAMCON’84, un membre de Negativland130 explique : Le panneau-réclame habilement retravaillé incite le spectateur à examiner la stratégie commerciale originale .131 Toutefois le détournement n’a pas toujours pour but de dénigrer l’objet de sa transformation. Il peut s’agir d’une pratique nourrie d’une passion pour un objet commercial, ou d’une volonté humoristique dépourvue de revendication politique. 127 128 129 130 131 DC Gecko (prononcez Docteur Gecko) est street artist toulousain qui explore l’espace urbain depuis 2003. Ses principales cibles sont les affiches des abribus. Les pubs géantes qui défilent indifféremment sous nos yeux en journée prennent une allure cauchemardesque la nuit. Toutefois, DC Gecko n’est pas un casseur de pub : « Je critique les messages que véhiculent les publicités, tout ce rêve qu’elles vendent, mais je ne les détruis pas. Je les pirate pour montrer l’envers du décor ». L’artiste se consacre surtout aux villes de Toulouse, Barcelone et Madrid. MUPI (Mobilier Urbain Pour l’Information) ou panneau sucette, est un panneau publicitaire de 1,20 m × 1,76 m, soit environ 2 m², avec une face pour l’affichage publicitaire et la seconde pour l’information municipale. Le principe est proche de celui de l’Abribus, et fut appliqué pour la première fois en 1972 par la société multinationale JCDecaux. Les MUPI sont généralement équipés d’un système d’éclairage intérieur. DC GECKO, Hypocrisie (de nuit), 2008, Madrid. Annexes Tome 1- 13. Negativland est un groupe californien de musique expérimentale formé en 1979 à Berkeley. Selon Mark Dery dans Culture Jamming: Hacking, Slashing, and Sniping in the Empire of Signs 2 , la première occurrence du terme « Culture Jamming » serait apparue en 1984 sur l’album JAMCON ’84 de Negativland. Le groupe pratique beaucoup le détournement d’extraits sonores de médias de masse (émissions de radios, publicités ... ) Extrait de Over the Edge Vol. 1 sur l’album JAMCON’84 par Negativland en 1984. 63 Les modes d’action du Culture Jamming sont diversifiés. Ils peuvent aller de la réappropriation de logos au détournement de slogans publicitaires, en passant par la déformation des codes d’une images de marques. Le détournement par le Culture Jamming est le symptôme d’une société où les multinationales font partie du quotidien des individus. Les multinationales et leurs symboles sont ancrés dans une culture visuelle commune comme le résume Shepard Fairey : Je pense que dans le monde actuel nous sommes tous des enfants de Marx et de CocaCola. Nous n’avons aucun moyen de nous extraire d’une culture profondément marquée par le capitalisme et par le marxisme. 132 Le Culture Jamming par son détournement de publicités ou de marques essait de rendre à l’art sa place naturelle, dans le quotidien de l’homme, en utilisant les espaces alloués aux publicités. C’est le cas du collectif CutUp 133, groupe d’artistes anglais qui revisitent les publicités selon le procédé du cut up 134 (découpage – collage) défini par William Burroughs 135. Pour leurs détournements d’affiches en 2004 à Londres – Courtesy Seventeen Gallery 136, le collectif CutUp emploie la technique de Burroughs transportée à l’art graphique. Après avoir méticuleusement décollé les affiches, ils les découpent en petits carrés (ou pixels) puis les réorganisent de manière à créer de nouvelles images sans aucun lien avec l’original. Cette nouvelle image reprend cependant les mêmes nuances chromatiques. CutUp tente par ses 132 133 134 135 136 Citation de Shepard Fairey in McCORMICK Carlo et WOOSTER COLLECTIVE., Trespass : une histoire de l’art urbain illicite, Paris, Taschen, 2010, p 125. CutUp collectif est un groupe d’artistes anglais qui officient depuis 2005. Dans la lignée des collages de Wolman et Debord, ils utilisent la technique du cut up en se servant de la publicité comme support de création. Le cut up consiste à créer un texte à partir de fragments d’autres écrits de toutes origines (littérature, articles de presse, catalogues de vente par correspondance...) découpés de manière régulière, et remontés selon une logique prédéfinie, afin de faire émerger l’implicite, l’inavoué des textes de départ. William S. Burroughs est un romancier américain de la Beat Generation, connu pour son utilisation littéraire du cup up. CUTUP, [détournements d’affiches], Courtesy Seventeen Gallery, Londres. Annexes Tome 1 – 13. 64 détournements de redonner à l’art une place de choix dans la société. Ils choisissent donc des endroits bien situés, dans de grandes avenues passantes, les panneaux publicitaires. CutUp revendique un art omniprésent dans la ville, il « emprunte » donc l’espace publicitaire. L’artiste américain KAWS subtilise lui aussi l’espace publicitaire, comme pour son intervention sur un panneau M. U. P. I. en 1998 à New-York 137. Le street artist utilise les panneaux publicitaires pour placer son avatar, une sorte de personnage aux traits simplifiés figurant une tête de mort. CutUp et KAWS « empruntent » les espaces d’affichages publicitaires sans réellement exprimer une opinion contestataire vis à vis de la réclame. Il s’agit plus d’une réappropriation de l’espace public et des lieux visibles par tous (comme les panneaux publicitaires). Cependant leur action peut-être considérée comme « anti-pub » puisqu’ils utilisent ces espaces au détriment des affiches originales. C’est un argument développé par plusieurs groupes qui se revendiquent anti-pub comme les Humains Associés et le BLF. Il est possible d’utiliser la même méthode de communication du média de masse en détournant son support. C’est dans cette optique que le street artist américain John Fekner138 prend possession d’un panneau publicitaire à Sunnyside, New-York en 1980, pour son œuvre My Ad is no Ad139. Ce panneau, l’artiste l’utilise à contre-emploi en remplaçant son contenu par une absence de contenu. Le panneau est dépossédé de sa fonction originelle, il ne diffuse pas de message commercial, mais un message politique implicite : « il n’y a pas de publicité, et c’est heureux ». Tout en gardant son identité graphique Fekner met son art au profit de causes qui l’interpellent comme les problématiques urbaines ou l’omniprésence de la publicité. Il se sert des médiums liés à ces problématiques pour s’exprimer. 137 138 139 KAWS, [intervention sur panneau publicitaire], 1998, New – York. Annexes Tome 1 – 14. John Fekner est un street & multimedia artist américain. Depuis la fin des années 1960 il est le créateur d’une centaine de travaux environnementaux, sociaux, politiques et conceptuels exposés dans les rues des États-Unis, de la Suède, du Canada, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. FEKNER John, My ad is no ad, 1980, Sunnyside, New-York, USA. Annexes Tome 1 – 14. 65 Détourner le support publicitaire pour créer un espace de liberté est la spécialité des Déboulonneurs. En déboulonnant, les militants affichent leurs revendications ainsi que ce qu’ils pensent de la publicité. Le panneau publicitaire devient alors une tribune par laquelle les Déboulonneurs font entendre leur voix. Le collectif n’impose pas de mot d’ordre précis, les militants sont libres d’inscrire leur propres slogans. Lors de l’action du 30 novembre 2013140 où 5 barbouilleuses et 6 barbouilleurs sont entrés en action sur des écrans publicitaires type ACL appartenant à la société MédiaGare et ont pu s’exprimer sur leur aversion publicitaire. Les habituels « 50 × 70 » (pour réclamer la réduction de la taille des affiches publicitaires à 50 cm par 70 cm, soit la taille de l’affichage associatif) et « la pub tue » ont bien sûr été tagués sur les panneaux. Quelques inscriptions semblaient presque philosophiques : « Libérez nos regards » ; « Pollution visuelle et mentale ». Ces slogans expriment manière subtile la présence quotidienne de la pub, jusque dans notre subconscient. Certaines revendications interpellaient le spectateur, le questionnant : « À qui profite la pub ? » ; « Trop d’intérêts privés dans l’espace public ». Ces questionnements replacent le problème publicitaire au centre du débat politique économique. La publicité n’est pas une entité abstraite contre laquelle il faut lutter, mais plutôt la face émergée de l’iceberg-consommation. La technique de détournement Culture Jamming permet aux Déboulonneurs d’utiliser à leurs propres fins l’objet de leur aversion, afin de faire connaître leur lutte. Quelques artistes centrent leurs détournements à la manière de la Culture Jamming seulement sur les logos des grandes marques. Il ne s’agit plus d’utiliser l’espace publicitaire en s’exprimant sur les panneaux comme peuvent le faire CutUp ou DC Gecko. 140 LES DÉBOULONNEURS, action du 30 novembre 2013, déboulonnage, Gare du Nord, Paris. 62 e action du collectifs des Déboulonneurs de Paris. 66 L’artiste français ZEVS (Zone d’Expérience Visuelle et Sonore) s’attaque aux logos à partir de 2005. Son premier « meurtre » est la virgule Nike. ZEVS explique son point de vue sur ses Liquidated Logos ainsi : J’exerce une forme de retournement de la force, comme en aïkido. Pour moi, en tant que consommateur et regardeur dans la villes. Les logos sont des attaquants. Comme ils sont conçus afin d’être les plus visibles possible, je retourne cette force par une action simple. Sans retirer le logo, je le prolonge à l’inverse par de la peinture de la même teinte, marquant sa faiblesse.141 Afin de ne pas dégrader les bâtiments sur lesquels il s’exprime, ZEVS utilise toujours de la peinture facile à retirer car, dit-il : L’intention n’est pas de produire une marque indélébile sur le bâtiment, mais de révéler le côté délébile du logo.142 ZEVS a « liquidé » ainsi de nombreux logos de grandes marques : Chanel, Armani, CocaCola, Vuiton ou encore McDonald’s en 2006 à Paris pour son Liquidated Logo – McDonald’s143, où il a peint directement sur un des restaurants de la chaîne. Il s’agit pour ZEVS d’une revendication contre l’aspect mercantile de la publicité et des logos des compagnies internationales. L’une des action les plus courante de la Culture Jamming est le détournement du message publicitaire. L’affiche publicitaire est toujours présente mais transformée. Les interventions se révèlent parfois minimales comme pour Shit Happens144 par le Billboard Liberation Front en 1989. Le groupe a ironiquement transformé le slogan de la société pétrolière américaine Exxon. « Hits Happen – New X-100 » (« les tubes arrivent – nouveau X-100 ») en « Shit Happens – Exxon » (« La merde, ça vous tombe dessus – Exxon ») en 141 142 143 144 Entretien avec ZEVS in ARDENNE Paul et MAERTENS Marie, 100 artistes du Street Art , Paris, Éditions de la Martinière, 2011, p. 96. Ibidem ZEVS, Liquidated logo – McDonnald’s, 2006, Paris. Annexes Tome 1 – 15. BILLBOARD LIBERATION FRONT, Shit Happens, 1989, San Francisco. Annexes Tome 1 – 15. 67 changeant tout simplement le « S » d’emplacement et en en ajoutant un autre. Le résultat crée un effet comique tout en critiquant le système pétrolier. Plus tard, en 1994, le groupe récidive dans une action d’« amélioration » de panneau d’affichage avec LSD145 au Centre commercial Hillsdale de San Mateo en Californie. Cette fois le Billboard Libération Front transforme le slogan du centre commercial « HILLSDALE, The Begining Of Something Wonderfull. » (« Hillsdale, le début de quelque chose de merveilleux ») par « LSD, The Begining Of Something Wonderfull. » (« LSD, le début de quelque chose de merveilleux »). En éteignant les lettres néons du logo « HILLSDALE » qui leur paraissaient inutiles, le BLF réussi à produire un message à contre-courant et volontairement choquant. On peut observer une volonté de marquer une appartenance à une sous-culture dérivée de la Beat Generation par une consommation assumée de drogues. Cette tendance se retrouve souvent dans le Street Art. Le manifeste du Billboard Liberation Front écrit en 1977 explique la finalité de telles interventions : Notre objectif est que chaque citoyen jouisse d’un panneau d’expression personnel. En attendant ce jour de gloire pour la communication mondiale où chaque homme, chaque femme et chaque enfant pourra crier ou chanter son message en caractère corps 100 depuis son propre toit, nous continuons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour encourager les masses à se réapproprier l’espace médiatique. 146 Le BLF souhaite transformer une lutte contre quelque chose (ici la publicité) en force positive et créatrice : l’occupation d’espace public. Dans une même optique de détournement sémiotique d’une publicité et de réappropriation collective de l’espace public, l’artiste Ji Lee 147 a fondé le Bubble project. Digne descendant des Humains Associés, le projet de Ji Lee consiste à coller des phylactères de bandes dessinées sur les publicités afin que les passants puissent y inscrire leurs pensées. Ainsi on peut arriver à saisir de caustiques remarques comme celle du Bubbled project en 2007 à 145 146 147 BILLBOARD LIBERATION FRONT, LSD, 1994, Centre commercial Hillsdale, San Mateo. Annexes Tome 1 - 16. Extrait du manifeste du Billboard Liberation Front rédigé en 1977 par Jack Napier et John Thomas. Ji Lee est un street artist coréen, travaillant à New-York, fondateur du Bubble Project. 68 New-York, où un anonyme a noté « I wish these were joints! »148 (« Si seulement c’était des joints ! »). Encore une fois, le caractère volontairement déviant de la remarque est fait pour faire sourire et choquer. La Culture Jamming est une pratique du Street Art qui se prête très bien à la critique de la publicité. Réflexions et actions spectaculaires lancées par l’Internationale situationniste, détournements caustiques du Billboard Liberation Front de San Francisco, fausses pubs lancées par des critiques anti-pub ou des terroristes esthétiques, campagnes de lancement de produits dévoyées et piratage de panneaux d’affichage électroniques, toutes ces imitations d’une stratégie d’inversion ironique. C’est l’appropriation du langage dominant par celui qui n’a pas son mot à dire, pour retourner l’hypocrisie et les mensonges à l’envoyeur. Loin d’être entièrement politique et polémique, la plupart de ces remises en questions sont empreintes de fantaisie absurde. 149 Cette appropriation d’une toile comme peut l’être un panneau publicitaire est une pratique artistique partagée autant par les street artists que par les militants de l’anti-pub. La filiation entre le Street Art et l’anti-pub peut être établie grâce aux nombreux points en commun que les deux formes d’expression partagent. Tous deux évoluent dans le même espace : la rue, avec ses complexités et son public. Le Culture Jamming est une forme d’action au carrefour de l’anti-pub et du Street Art, puisqu’elle se réapproprie les structures médiatiques et les détourne. Le détournement de panneaux publicitaires n’a pas toujours pour objet de contester la publicité en tant qu’agression mercantile. Il peut s’agir d’une volonté de réappropriation urbaine. L’anti-pub conteste la submersion quotidienne de publicité que subit l’individu lambda. Cette contestation s’accompagne souvent d’une critique de la consommation à outrance. 148 149 JI LEE, Bubble Project, [I wish these were joints!], 2007, New-York. Annexes Tome 1 – 16. McCORMICK Carlo, Trespass, une histoire de l’art urbain illicite, Paris, Ethel Seno, Taschen, 2011, p132. 69 Cependant le Street Art et l’anti-pub ne sont pas miscibles l’un dans l’autre. Le Street Art n’a pas la même finalité que l’anti-pub. La réappropriation artistique de l’espace public n’a pas toujours pour but de combattre la publicité. Les motivations des artistes de rues ne sont pas celles des anti-pubs. Certains artistes peuvent choisir de combattre la publicité par l’art comme ZEVS ou PosterBoy mais leur but n’est pas essentiellement antipublicitaire. Il peut s’agir d’occuper l’espace publicitaire. Cette finalité qu’elle soit défendue par un artiste ou un anti-pub revêt plusieurs significations. Occuper un panneau pour remplacer la publicité par l’art en est une. Mais certains artistes choisissent de détourner le sens du message ou de la pensée publicitaire, dans une démarche réellement anti-pub. Les street artists réalisent leurs œuvres de façon individuel. Les œuvres sont généralement signées, identifiables à un artiste. Les anti-pubs agissent collectivement. Même s’il opèrent seuls comme BUGA-UP la signature est collective. Cette notion de collectivité est importante pour les problèmes encourus liés à l’illégalité des actions. Les anti-pub payent collectivement leurs amendes. Il existe une réelle solidarité entre les membres d’un groupe. 2. L’anti-pub, un carrefour de luttes sociales Pourquoi résister à la publicité ? La publicité s’impose à notre regard. Elle est omniprésente. S’attaquer à la publicité c’est s’attaquer à la vitrine du capital. Ce n’est pas seulement l’aspect commercial et intrusif de la publicité que les activistes et les artistes souhaitent combattre. Il s’agit de s’opposer à tout un système, le système ultra-libéral de tous les pays du G8. L’anti-pub délivre donc un message volontairement politique. Résister à la publicité est un acte politique issu d’un mouvement de contestation plus large lié à 70 l’anti-capitalisme en général. En s’attaquant à la publicité, les activistes s’attaquent à la consommation et au système qui l’engendre et s’en nourrit. ◦ Définition activisme Étymologiquement l’activisme est un anglicisme. Il vient du terme « activist » que l’on pourrait traduire par militant. Cependant en français le mot activiste revêt une signification plus forte que le mot militant : il est utilisé pour qualifier un engagement ou un action politique dont on désire souligner l’intensité. Toutefois ce terme peut aussi être employé de manière dépréciative : selon l’analyse marxiste, l’activiste aurait tendance à favoriser l’action à court terme et à délaisser la théorie à long terme 150. C’est l’éternelle bataille entre les théoriciens et les activistes. L’activisme désigne un engagement politique qui privilégie l’action directe. L’action directe consiste a penser, agir à propos d’un problème auquel on est confronté sans passer par un intermédiaire politique ou bureaucratique. Il existe plusieurs sortes d’action directe. L’action directe peut être non-violente, comme lors de l’occupation de lieux publics ou privés (pour les squats ou occupation de rues) sans autorisation légale. Ce type d’action n’est pas toujours mue par une opinion politique, il peut s’agir d’une manifestation festive, ou d’une urgence sociale.151 150 151 L’activisme est également une composante naturelle de l’action politique marxiste. Celui-ci apparaît comme un dernier recours contre un système politique qui ne permet pas l’expression de la contestation ou d’idées différentes. En effet, il juge que la démocratie libérale bourgeoise est une façade offrant des libertés qui ne permettant pas un véritable renversement du système de propriété capitaliste. Dans ce cadre, marqué par la répression et les massacres des révolutions de 1848 et de la Commune de Paris, l’usage de la violence révolutionnaire est considérée comme une contrainte nécessaire, lié à l’emploi de la violence par la bourgeoisie. Il s’agit d’un acte nécessaire qui ne doit pas prendre le pas sur la théorie. MARX Karl, Manifeste du Parti communiste, 1848. Définition de l’action directe sur le site : Alternative libertaire (www.alternativelibertaire.org). 71 Pour être qualifiée de directe l’action doit au moins répondre à ces critères : autogestion, illégalité et caractère impromptu (aucun média prévenu). En France l’activisme remonte à la IIIe République avec l’action des mouvements socialistes depuis le début du XIX e siècle152. La révolution de 1848 fait apparaître des divergences entre les démocrates socialistes. Ainsi on peut distinguer des réformistes (Ledru-Rollin, Louis Blanc) plus proches d’un Lamartine et les partisans d’une rupture avec le capitalisme, ne refusant pas l’action violente (Blanqui, Barbès). Cette scission dans la pensée socialiste structure la théorie de l’action directe. L’activisme prend de l’ampleur au tournant du XXe siècle avec des mouvements anarchistes comme la bande à Bonnot 153, ou des mouvements de grèves interdits par la loi 154. Le courant anarcho-syndicaliste, qui domine le syndicalisme français de 1890 à 1914, théorise la notion d’action directe 155 . Cette première phase de l’activisme vise à réellement provoquer une situation révolutionnaire. Aujourd’hui l’activisme s’est diversifié et n’est pas seulement synonyme d’action violente. Les SEL156 sont un exemple d’action directe non-violente. L’action directe peut aussi conduire à une destruction de biens. L’un des exemples les plus connus en France demeure 152 153 154 155 156 DUBART Jacques, « Dico anticapitaliste : qu’est-ce que l’action directe », in Alternative Libertaire, 3 avril 2008. Dernière consultation : 20 juin 2014. Exemple de mouvements insurrectionnels socialistes du XIX e siècle : révolte des canuts lyonnais en 1831, journées de juin 1848, Commune de Paris en 1871... La bande à Bonnot est un groupe anarchiste mené par Jules Bonnot (1876-1912) qui a multiplié les braquages et les meurtres en 1911 et 1912. La grève des salariée est progressivement légalisée à partir de 1864 mais est interdite aux fonctionnaires jusqu’en 1944. POUGET Émile (secrétaire national de la CGT), L’Action directe, Paris, Éditions CNT-AIT, 1910. SEL (Système d’Échange Local) est un système d’échange de produits ou de services qui se font au sein d’un groupe fermé (généralement associatif). Le SEL permet à tout individu d’échanger des compétences, des savoir-faire et des produits avec les autres membres du groupe. Chaque SEL est un groupe de personnes vivant dans un même secteur géographique. Pour comptabiliser les échanges, le SEL crée sa propre monnaie, appelée unité d’échange, le plus souvent basée sur le temps (1 heure = 60 unités). Sel’idaire : association d’information et de promotion des SEL : www.selidaire.org/ 72 les actions des faucheurs volontaires, comme celle du 13 avril 2000 157. Entre également dans cette catégorie la destruction de matériel servant à la surveillance et celle de de panneaux publicitaire. L’action directe est souvent impulsive et peut également faire office de réaction face aux violences policière dans le cas de « l’action directe avec usage de la force sur la police ». C’est souvent le rôle des Black Blocs158 lors des manifestations. L’action directe révolutionnaire et l’action directe radicale violente sont deux formes d’action dont le principal vecteur est l’idéologie politique (anarchiste ou communiste par exemple) contre un système de pensée dominant. L’action directe radicale a été mise en œuvre par des groupes anarchistes au début du siècle et reprise entre autres par le groupe Action Directe159 au début des années 80. Ce type d’action peut aller jusqu’à l’attentat à la bombe ou l’exécution d’individus. Les Déboulonneurs utilisent l’action directe pour leurs barbouillages. Les Déboulonneurs sont une organisation nationale complètement autogérée : aucune instance nationale n’intervient dans les décisions et actions des groupes locaux. Leur action de barbouillage est illégale. Les déboulonnages sont toujours impromptus : un lieu de rendezvous est donné mais jamais le lieu de l’action, de sorte que les militant ont toujours une longueur d’avance sur les forces de l’ordre. Non-violents, les barbouilleurs sont proches de la désobéissance civile. La désobéissance civile est une forme de contestation politique, collective et non violente. Souvent fondée par le refus d’une loi ou d’une norme, elle a pour 157 158 159 Action du 13 avril 2000 : à l’aide de faux, José Bové et quelques 400 manifestants anti-OGM fauchent un champ de colza transgénique à Belpech dans l’Ariège. Black Bloc : apparu au cours des années 80 en Allemagne, il s’agit d’un groupe d’individus habillés de noir au cours d’une manifestation. Le but de ce groupe est de créer une foule anonyme et non identifiable par la police afin de réaliser des actions illégales au cours de la manifestation ainsi que de protéger les manifestants des « attaques policières ». Les Black Blocs sont des structures informelles qui fonctionnent en autogestion. La majorité de leurs activistes se réclament des mouvances anarchistes. Groupe Action Directe est un mouvement anarcho-communiste fondé en 1979, connu pour avoir perpétré plus de 80 attentats ou assassinats en France de 1979 à 1987. 73 but de transformer celle-ci pour le bien de la communauté. Le philosophe américain John Rawls dans son ouvrage Théorie de la justice définit la désobéissance civile comme : un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s’adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon son opinion mûrement réfléchie, les principes de la coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas actuellement respectés.160 Dans cette citation Rawls nous parle de « sens de la justice ». Il touche ici du doigt le caractère ambigu de la désobéissance civile : des actes illégaux pour la justice. Les désobéissants ont généralement un haute idée de la justice mais une « piètre » opinion des lois (du moins celles qu’ils refusent par leurs actions), d’où une volonté de s’opposer pour changer les lois. Le philosophe allemand Jürgen Habermas la détermine comme incluant des actes illégaux généralement collectifs et publics à portée symbolique. Il stipule également que ces actes doivent appeler à la capacité de raisonner et au sens de la justice du peuple161. Ces notions de symbolisme et d’appeler à la capacité de raisonner sont réellement caractéristiques de la désobéissance civile, sans pour autant lui être consubstantiels : une action n’a pas nécessairement besoin d’être symbolique pour relever de la désobéissance civile. L’élément symbolique est cependant inhérent à ces actions, tout simplement parce qu’une action symbolique est plus marquante, plus choquante. Il suffit d’analyser la marche du sel de Gandhi ou le mode opératoire de la résistance de Rosa Parks. Cette démarche nous amène d’ailleurs au deuxième point important développé par Habermas, la volonté d’en appeler à la capacité de raisonnement de la population. Ces actions sont publiques, elles ont pour but de changer un aspect de la société pour le bien commun, il ne s’agit donc pas uniquement toucher de les élites auxquelles on s’oppose mais 160 161 RAWLS John, Théorie de la Justice, Paris, Seuil, 1997, traduit de l’anglais par Catherine Audard. Citation de Jürgen Habermas à propos de la désobéissance civile : « La désobéissance civile inclut des actes illégaux, généralement dus à leurs auteurs collectifs, définis à la fois par leur caractère public et symbolique et par le fait d’avoir des principes, actes qui comportent en premier lieu des moyens de protestation non violents et qui appellent à la capacité de raisonner et au sens de la justice du peuple. » HABERMAS Jürgen et RAWLS John, Débat sur la justice politique, Paris, Le Cerf, 1997. 74 aussi le peuple. Il s’agit de lui faire prendre conscience qu’il doit aussi désobéir (ou au moins soutenir l’action de désobéissance). Quatre éléments sont donc caractéristiques de la désobéissance civile : – une infraction consciente et intentionnelle à la loi (Rawls définit cette ambiguïté comme « une désobéissance à la loi dans le cadre de la fidélité à la loi ») ; – un acte public ; – un acte politique qui ne défend pas les intérêts d’un groupe mais la majorité de la communauté. Généralement il s’agit donc de mouvements à vocation collective ; – un acte non-violent. L’activisme apparaît donc comme une forme de militantisme qui fait souvent fi des lois et peut tendre vers la désobéissance civile ou vers l’action violente. Si traditionnellement on associe la notion d’activisme à la gauche en politique, l’activisme n’a pas d’ancrage politique propre. Il peut s’attacher à défendre aussi bien des causes idéologiques (religieuses, sociales ou politiques), que communautaires ou nationales. ◦ Définition artivisme L’artivisme est un néologisme né de la contraction des mots « art » et « activisme » qui désigne l’art relatif aux préoccupations politiques, souvent proches de mouvements altermondialistes et pacifiques. Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi, auteures de Artivisme : art action politique et résistance culturelle , le définissent ainsi : 75 De même que le queer pose l’existence d’un troisième genre par delà féminin et masculin, de même l’artisvisme suggère qu’il existe un troisième terme entre esthétique et politique.162 Elles caractérisent l’artivisme comme l’art regroupant toutes les formes actuelles de mobilisation artistiques, toutes les pratiques dont l’enjeu est d’opposer l’imagination et la créativité à l’ennui, la liberté d’action à la surveillance généralisée, la révolte collective au repli individuel. L’art devient un moyen d’action du politique. Le terme d’artivisme semble s’être développé depuis 1999 et vise à faire prendre conscience de problèmes politiques à travers la création artistique. Bien sûr les relations entre art et politique sont très anciennes. Le philosophe Albert Camus en 1951 effectuait déjà un parallèle entre l’art et la rébellion dans son livre L’homme révolté : En art, la révolte s’achève et se perpétue dans la vraie création, non dans la critique ou le commentaire. [...] Les deux questions que pose désormais notre temps à une société dans l’impasse : la création est-elle possible, la révolution est-elle possible, n’en font qu’une.163 Art et politique sont deux notions qui vont souvent de pair. Les puissants se sont longtemps servi de l’art pour appuyer leur pouvoir, la création et l’entretien de symboles étant essentiels au pouvoir. Avec l’artivisme on assiste à un retournement de situation. Entre les mains des artivistes l’art a pour finalité de changer, voire de renverser le système en place. Un art proche de ceux qui luttent, au plus près des réalités sociales. L’un des principaux buts de l’artivisme est de parvenir à mobiliser le spectateur, à le sortir de son inertie supposée, à lui faire prendre position. Pour atteindre ce but les artistes emploient souvent des formes d’actions visibles, urbaines, qui interpellent. 162 163 LEMOINE Stéphanie et OUARDI Samira, Artivisme : Art, Action politique et Résistance Culturelle, Paris, Éditions Alternatives, 2010. quatrième de couverture. CAMUS Albert, L’Homme révolté, Paris, Gallimard, 1959. 76 Un sentiment d’unité et de partage international regroupe les artivistes. Le No Border en est un bon exemple. Il s’agit d’un réseau international de collectifs et d’individus investis dans les luttes pour la liberté de circulation et l’abolition des frontières qui lutte contre les politiques de contrôle de l’immigration, ainsi que pour la régularisation des étrangers en situation irrégulière, la fermeture des centres de rétention administrative et l’arrêt des expulsions. Ainsi le street artist JR parcoure le monde pour le recouvrir de ses affiches photographiques représentant d’énormes visages d’anonymes. Il les colle sur le mur de séparation entre Israël et la Palestine en 2007 164, mais aussi ses Womens are Heroes165 au Kenya en 2009. JR pose ses portraits dans les lieux conflictuels de la planète afin de remettre au centre du débat les oubliés, les invisibles : les simples humains. La critique de la société de consommation et l’anti-pub qui en découle font bien sûr partie des sujet phares de l’artivisme. Certains artistes se servent de leur art pour dénoncer l’omniprésence de la publicité. C’est l’exemple que nous donne le projet Brandalism166 qui réunit une quarantaine d’artistes. Banksy définit ainsi le Brandalism : Any advertisement in public space that gives you no choice whether you see it or not is yours. It belongs to you. It’s yours to take, re-arrange and re-use. Asking for permission is like asking to keep a rock someone just threw at your head. 167 Les street artists participant à ce projet envahissent les panneaux publicitaires de plus d’une dizaine de villes en Angleterre détournant ainsi plus 360 panneaux ! Le street artist 164 165 166 167 JR, Affiches photographiques, 2007, mur de séparation Israël-Palestine. Annexes Tome 1 – 17. JR, Women are Heroes, 2009, Kenya. Annexes Tome 1 – 17. Le projet Brandalism a débuté en 2012. Ce projet réunit des artistes qui veulent réagir face à la « pollution publicitaire ». Pour cette raison ils décident d’occuper les panneaux avec leurs propres œuvres. Le projet Brandalism a connu deux saisons : l’une en 2012 et la seconde en 2014. Source :http://www.brandalism.org.uk/ Dernière consultation : 23 juin 2014. BANKSY, Wall and piece, Century, 2006, Londres. « Toute publicité dans l’espace public qui ne vous donne pas le choix quant au fait de la voir ou non est à vous. Libre à vous de la prendre, de la réarranger, de la réutiliser. En demander la permission serait comme demander à quelqu’un si l’on peut conserver la pierre qu’il vient de nous jeter à la tête. » 77 américain John Fekner 168 participe à l’édition de 2014 avec une affiche réalisée posée à Bristol au pochoir : Your eyes read this silently, no ads. 169 Pour ce projet, comme pour le travail du Billboard Liberation Front, l’occupation des panneaux de pub semblent être un moyen que les artistes ont trouvé pour s’exprimer et faire connaître leur aversion publicitaire au public. L’artivisme regroupe des artistes variés venant d’horizons divers : du clown manifestant de la Clown Army à l’entarteur Noël Godin. Les modes d’actions se révèlent originaux afin d’exprimer une contestation de la société marchande, l’espoir d’un monde meilleur et sans frontières. ◦ S’attaquer à la vitrine du capital L’anti-pub est depuis les origines une forme de contestation située à gauche sur l’échiquier politique. L’un des premiers groupes à réfléchir sur l’anti-pub est celui des situationnistes. L’Internationale Situationniste constituée en 1957 était une organisation révolutionnaire désireuse d’en finir avec la société de classe et la dictature de la marchandise. Son membre le plus connu, Guy Debord, rédige en 1957 Le Rapport sur la construction de situations, son texte fondateur. Debord pose l’exigence de « changer le monde » et envisage le dépassement de toutes formes artistiques par « un emploi unitaire 168 169 John Fekner est aussi un activiste, engagé dans la lutte contre la publicité comme le prouve ses œuvres : DE-EMPHASIZE ADVERTISMENTS (Dégonfler La Publicité), Pochoir, New York, 1978 et SOFT BRAINS WATCH THE SCREEN AND BUY THE JEANS (Les Têtes Molles Regardent L’écran et Achètent des Jeans), 1980 Pochoir, à l’angle de la 47e avenue et de Central Park. New York, USA. Annexes Tome 1 – 18. FEKNER John, Your eyes read this silently, no ads, 2014, pochoir, Bristol. Annexes Tome 1 – 19. 78 de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne ». Dans le monde politique comme dans le monde de l’anti-pub, les situationnistes firent d’abord parler d’eux par l’utilisation du calembour comme arme politique. Les activistes situationnistes tournaient en dérision l’art contemporain pour démontrer l’inanité et le superficiel d’une culture dite bourgeoise. Ce sont les situationnistes, dont Guy Debord, qui avaient exprimé les premiers la force du détournement de l’image, de la publicité, et les premières expérimentations pratiques eurent sans doute lieu en mai 1968 en France. En mai 1971 dans la revue bimestrielle Planète consacré à l’Internationale Situationniste, le journaliste Pierre Hahn écrit à propos de leurs détournements publicitaires : Ce sont eux qui « piratent » la publicité en la surchargeant de graffitis, ce sont eux qui savent rire de toutes les révolutions, de toutes les récupérations, [...] ce sont eux toujours qui affirment : « Nous avons fondé notre cause sur presque rien : l’insatisfaction et le désir irréductible à propos de la vie. »170 L’Internationale Situationniste s’est par la suite orientée vers la critique de la société du spectacle, en tant que société « spectaculaire-marchande », ce qui conduit à une scission entre les artistes et les révolutionnaires au sein de l’organisation. La publicité, produit de la société de consommation, dépeint de façon positive vie fondée sur un bonheur acquis par l’accumulation de biens matériels afin d’influencer les spectateur a l’adopter. La pub par définition est optimiste... Elle montre des personnages heureux, en bonne santé, sympathiques et intelligents, qui vivent dans un paradis de la consommation [...] où tous les rêves sont permis et possibles, même celui de l’éternelle jeunesse. 171 Considérée comme propagande de l’idéologie dominante par les activistes, la publicité vise a créer des réflexes de consommation plutôt que de la réflexion. Elle conditionne la 170 171 HAHN Pierre, « Les Situationnistes », Le Nouveau Planète , Mai 1971, n°22, p 78-99 BROCHAND Bernard préface de CATHELAT Bernard, Publicité et société, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2001. 79 population en cherchant à instaurer des rapports marchands entre les individus. La publicité est une justification de la société, une façon de la faire perdurer implicitement sans la remettre en cause. La résistance à la publicité s’emploie à éveiller la lucidité des individus en dégradant la publicité et en la remettant ainsi en question. L’anti-pub est parti d’un constat : la publicité fait partie du paysage. La plupart des individus ne la remarque même plus. Le documentaire sur l’anti-pub grenobloise, Le bonheur publicitaire est une chimère 172, réalisé en 2007, présente différentes actions antipub (remplacement de vraies publicités par des pubs détournées, dégradations, tags de slogans anti-pub...) qui visent à rappeler à la population l’aspect négatif et omniprésent de la publicité. Le groupe déplore le peu de choix laissé à l’individu tant les affiches s’imposent au regard : de plus en plus de grands formats, lumineux, dans tout l’espace public. L’acte de dégradation d’une publicité est un acte violent (c’est une destruction) dont le but est de provoquer une réaction chez le spectateur : pourquoi cette publicité à t-elle été détruite ? Le discours était-il incorrect ? Pourquoi détruire la publicité ? Ces premiers questionnements peuvent être le début d’une réflexion plus large sur le sens de la publicité, sa présence et ses répercussions sur notre système économique, politique et social. Ce processus violent de destruction peut être discutable. Non conscientisés, les passants prennent parfois peur et ne comprenne pas le but de l’action. La transmission du message n’est pas toujours efficace. Les différents groupes anti-pub ne « rechignent » pas à faire connaître le but de leurs actions lors de leurs différentes interventions de dégradation afin de faire comprendre et peut être de convaincre leurs concitoyens. Lors d’actions médiatisées comme celles des Déboulonneurs, les militants n’hésitent pas à clamer haut et fort leurs dégoût de la publicité en entonnant notamment cette chanson : Si je suis prisonnier, C’est bien du matraquage De toutes ces images 172 CAPONE et BLOCKY, Le bonheur publicitaire est une chimère, France, 2007, 14 min. 80 Qui me font consommer . Ces corps prostitués, Autant de faux modèles, Font de moi un rebelle Qui ne veut saliver. Je dois fermer les yeux Et aussi les oreilles À ces fausses merveilles Qui me rendent envieux . La manipulation À des fins mercantiles Livre toute la ville À la pubtréfaction.173 Jouant de références culturelles militantes (Boris Vian, connu pour ses positionnements ancrés à gauche) et de jeux de mots (pubtréfaction), les activistes tentent d’exprimer un point de vue minoritaire, de se poser en contrepoint aux classes dirigeantes. Si les anti-pub se reconnaissent des affinités politiques avec des mouvements politiques de gauche, voire d’extrême gauche, l’inverse est également vrai. Pendant les actions des Déboulonneurs on peut souvent croiser des personnalités politiques portant écharpes en sautoir qui viennent soutenir le mouvement. Samedi 30 novembre 2013 à 15h, une soixantaine de sympathisant-e-s et de militant-e-s (dont un conseiller régional Alternatifs avec son écharpe : Jean-François Pellissier) se sont retrouvés place Franz Liszt en compagnie de la Fanfare invisible et de la Brigade activiste des clowns (BAC), ami-e-s indispensables pour donner à cette action toute sa dimension humaine, non violente, pacifique et sympathique et permettre par là même de toucher et interloquer davantage de passants. Cinq journalistes étaient également présents (dont Télé BOCAL), ainsi que des étudiants en sociologie et en journalisme. 174 173 174 Extrait de la chanson militante Le Barbouilleur d’après Le déserteur de Boris Vian. Paroles écrites par GRADIS Yvan les 21 et 22 juin 2003. LES DÉBOULONNEURS, Compte rendu de la 62ème action du Collectif des Déboulonneurs et Déboulonneuses de Paris (extrait), publié le 5 décembre 2013. Source : http://www.deboulonneurs.org/. Dernière consultation : 23 juin 2014. 81 Les politiques soutiennent également les mouvements anti-pub dans leurs programmes électoraux. Par exemple lors de la présidentielle 2012 le Front de Gauche et Europe Écologie–Les Verts ont inclus dans leurs programmes les arguments et les désirs des antipub. Nous lutterons contre l’aliénation consumériste en limitant la publicité dans l’espace public et sur toutes les chaînes de télévision.175 Pour les écologistes la publicité est au centre du débat électoral, en 2012, le parti y consacre toute un chapitre de son programme électoral : La publicité remise à sa place Le rôle de la publicité a de tout temps été critiqué par les écologistes. Le plus souvent, elle prône la surconsommation, l’individualisme, l’immédiateté, l’apparence ou le gaspillage. Sur la forme, elle s’impose à nous, s’incruste dans tous les aspects de la vie collective et pervertit le fonctionnement démocratique. Bien au-delà des enjeux environnementaux liés au modèle productiviste, la publicité a façonné des pans entiers de notre société, de la femme-objet au culte de la vitesse et de l’apparence en passant par un déséquilibre entre l’intérêt général et les lobbies. Les écologistes proposent : – la diminution drastique des formats et densités de l’affichage publicitaire (révision complète du Code de l’environnement sur ce sujet) ; – l’obligation de recueillir le consentement explicite préalable des individus pour la distribution de prospectus (autocollant sur la boîte aux lettres), pour la création de cookies lors de la navigation sur Internet, pour le démarchage téléphonique et pour l’envoi de messages sur les téléphones portables ou par courrier électronique ; – l’indépendance et la neutralité des services publics : le financement de services publics par la publicité est une aberration. Sous couvert de gratuité, elle abuse les élus pour proposer toujours plus de services en échange d’espaces de diffusion. Notre position : suppression totale de la publicité sur le service public de l’audiovisuel. Interdiction de la publicité dans et autour des établissements scolaires et du bâchage par des marques privées des bâtiments publics ou des monuments. Interdiction aux acteurs privés, notamment alcooliers et marques de tabac, actions de prévention santé, 175 FRONT DE GAUCHE, L’humain d’abord : programme de Jean-Luc Mélanchon pour les élections présidentielles de 2012. Source : http://www.jean-luc-melenchon.fr/ Dernière consultation : 23 juin 2014. 82 notamment auprès des publics jeunes et des femmes enceintes. Réduction drastique de l’affichage publicitaire dans les transports en commun. Interdiction de la publicité télévisée destinée aux enfants et suppression des publicités lors des programmes jeunesse ; – l’encadrement des procédés publicitaires (écoblanchiment, stéréotypes sexistes, marchandisation du corps...)et la création d’une autorité indépendante chargée de la régulation pour tous les supports composée de représentants de l’État, des ONG, des associations de consommateurs, des professionnels du secteur ; – la prévention des internautes lorsqu’il y a collecte et conservation de données personnelles. Traçabilité de l’utilisation qui est faite des données ; – l’abandon des facilités sur la publicité pour l’alcool accordées ces dernières années, notamment sur Internet.176 Afin de mieux évaluer les partis politiques proches de la lutte contre la publicité, le RAP a envoyé aux différents candidats aux présidentielles 2012 un questionnaire sur la question publicitaire. Puis suivant les réponses (ou l’absence de réponses) reçues le collectif a classé les candidats. Voici un extrait du palmarès : François Bayrou – Modem : 0,75/10 : Un silence complice L’envahissement publicitaire n’intéresse pas F. Bayrou. Aucune réponse au questionnaire, aucune trace dans son programme, il s’est même prononcé contre la suppression de la publicité sur l’audiovisuel public. Au final, ce silence traduit soit un désintérêt soit une franche publi-philie. Contacté par téléphone au moment du vote de la loi Grenelle, il nous avouait benoîtement ne pas pouvoir faire grand chose étant donné le peu de parlementaires du Modem. [...] Nicolas Dupont-Aignan : 2,3/10 : Des mesurettes Dans sa réponse à notre questionnaire, il se dit intéressé et trouve même nos propositions « sympathiques ». Mais sur les points précis, il reste silencieux ou flou. Dans son programme, il propose quelques mesurettes, comme le renforcement de la loi Toubon sur l’anglais dans la publicité, l’interdiction de la publicité sur le crédit. Il prône 176 EUROPE ÉCOLOGIE – LES VERTS, Vivre mieux. Vers une société écologique : programme d’Éva Joly pour les élections présidentielles 2012, 2012. Source : http://eelv.fr/ Dernière consultation : 23 juin 2014. 83 également un « meilleur contrôle des pratiques publicitaires ». Au bout du compte, cela ne pèse pas très lourd. [...] Nathalie Arthaud – Lutte Ouvrière : 4/10 : La révolution sinon rien Dans sa réponse au questionnaire, LO partage notre analyse et est d’accord sur le diagnostic économique. Mais elle ne répond pas avec précision au questionnaire, pour eux la seule solution à l’agression publicitaire est la sortie du capitalisme. LO propose que « l’information commerciale doit se substituer à la publicité ». On aimerait savoir concrètement ce que cela veut dire. Rien n’est dit dans son programme sur la question de la publicité. Les pratiques de campagne de LO peuvent être publicitaires (voir campagne de 4 × 3 d’Arlette Laguillier). Jean-Luc Mélenchon – Front de Gauche : 9/10 : Une place importante dans son programme Le FG s’exprime en faveur de la liberté de réception et place la lutte contre l’envahissement publicitaire au cœur de sa lutte contre le consumérisme. Ses réponses au questionnaire sont un sans faute, à l’exception des pratiques concernant la campagne électorale. De fait le Front de Gauche pratique l’affichage sauvage à haute dose. Le programme du Parti de Gauche est très détaillé sur le sujet de la publicité. Peu de choses dans celui du PCF. Le programme présidentiel du FG est moins détaillé, mais reprend l’essentiel des objectifs et des orientations. Côté bilan des élus des partis du FG, nous notons la très bonne coopération avec A. Corbières (pour le RLP de Paris) et avec M. Billard (pour les amendements à la loi Grenelle). Cependant on peut noter que les RLP des mairies communistes ne sont pas des modèles de lutte contre l’agression publicitaire. Le soutien aux Déboulonneurs, les débats organisés par le parti de gauche sur la publicité, les prises de position de Jean-Luc Mélenchon sur l’agression publicitaire et les écrans du métro lui donnent un bonus de 1 point.177 La résistance à la publicité se reconnaît d’une culture d’extrême gauche, influencée par les milieux anti-capitalistes, voire situationnistes, dans leur combat contre la société marchande. Dire non à la publicité est une réaction face à la commercialisation de la vie 177 RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, « Pubomètre des candidats à la présidentielle de 2012 », in http://antipub.org/. Dernière consultation : 10 juillet 2014 84 quotidienne. Les artivistes s’engagent à mettre en valeur cette marchandisation, afin que ses effets puissent être observés et analysés par tous. L’un des principaux obstacles à l’anti-pub est l’accord passif de la population avec la publicité. ◦ Un mouvement lié à d’autres contestations Si l’anti-pub découle d’un mouvement plus large de contestation lié à la critique de la société de consommation et à l’anti-capitalisme, on peut toutefois noter une grande diversité des groupes anti-pub. On peut ainsi trouver chez des groupes venant de milieux militants différents la même volonté de mettre fin à la publicité. De façon non exhaustive, une liste des différentes tendances anti-publicitaires répertorieraient : les féministes de La Meute178, les anarchistes de la Confédération Nationale des Travailleurs (CNT), les écologistes de Paysages de France 179, les mouvements non-violents d’Alternatives non-violence, les légalistes de la Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP)180, la Brigade AntiPub181 donnant des indications très utiles pour dégrader 178 179 180 181 La Meute est un réseau international créé en 2000 engagé contre les publicités sexistes. Paysage de France est une association qui a pour but de lutter contre toutes les formes de pollution visuelle en milieu urbain et non urbain, ainsi que contre les publicités mensongères. Source : http://paysagesdefrance.org/ Dernière consultation : 24 juin 2014 La Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP) lutte contre les effets négatifs, directs et indirects, des activités publicitaires sur l’environnement et les citoyens. La RAP préfère agir dans le cadre légal et ne pousse pas à la désobéissance civile (sans pour autant la blâmer). Source : www.antipub.org Dernière consultation : 24 juin 2014 La Brigade Antipub (BAP) est un site d’information libre et participative sur l’actualité de la lutte antipublicitaire, avec de nombreux échanges de points de vue et de savoir-faire de militants. Source : www.bap.propagande.org Dernière consultation : 24 juin 2014 85 et détourner les publicités la nuit, le Journal des Murs collant des articles engagés sur les murs du métro parisien, Les Déboulonneurs préférant l’action juridique, Les Reposeurs 182 armés de leurs post-it subversifs, mais aussi des électrons libres voulant réinvestir l’espace public par l’art. Malgré tout, deux principes sont largement partagés par tous les groupes : la lutte contre la société de surveillance ainsi que l’aspect l’écologique. Le refus d’une société vidéo-surveillée L’aversion de Big Brother183 est très ancrée dans la culture collective des militants anti-pub. Dans le roman dystopique de Georges Orwell, 1984184, Big Brother est le chef du parti et de l’État d’Océania. Présent sur les télécrans et les affiches, c’est une entité omnisciente qui dirige d’une main de fer la société des Hommes et leurs pensées. À la suite du succès du roman, Big Brother est devenu la représentation de l’État policier et de la perte des droits individuels de la population dans la culture populaire anglo-saxonne. Big brother is watching you est devenu une façon de dénoncer les systèmes de surveillance (vidéo, voyeurisme, etc.). Big Brother symbolise depuis lors une puissance liberticide s’immisçant dans les vies privées. 182 183 184 Les Reposeurs est un groupe francilien d’anti-pub. Leur mode d’action est atypique : ils pose des « papillons repositionnables » sur lesquels ils ont au préalable écrit des slogans sur les panneaux publicitaires. Le but étant de recouvrir le panneau. Source : http://reposeurs.eu.org/ Dernière consultation : 24 juin 2014 Big Brother est un personnage de fiction du roman 1984 de George Orwell. L’expression « Big Brother » ou « Big Brother is watching you » est utilisée pour qualifier toutes les institutions ou pratiques portant atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée des populations ou des individus. ORWELL George, 1984, (1948), Gallimard, Paris, 1972. 86 L’appellation Big Brother est très employée chez les anti-pub. François Brune 185 écrivain et anti-pub est l’auteur d’un livre Sous le soleil de Big Brother. Précis sur « 1984 » à l’usage des années « 2000 »,186 qui dénonce l’édification de l’état policier et le système de surveillance actuels. Comme dans le roman les activistes craignent le fichage, la vidéo-surveillance, le traçage, la carte d’identité biométrique, le fichage ADN... Et non sans raison : le fichage ADN, par exemple a fortement augmenté en 10 ans, comme le montre Jean-Marc Manach, journaliste, collaborateur occasionnel du journal Le Monde : En 2002, 65% des personnes fichées y étaient enregistrées en tant que « personnes condamnées » (leur empreinte génétique sera conservée pendant 40 ans). En 2012, la proportion de « personnes condamnées » n’est plus que de 18% : 80% des gens qui y sont nommément fichés n’ont en effet été que « mis en cause », et sont donc toujours considérés comme « présumés innocents » aux yeux de la Justice... Ce qui n’empêchera pas leur empreinte d’être conservée pendant 25 ans.187 Il en est de même pour les caméras de vidéo-surveillance. La vidéo-surveillance est appelée par ses défenseur « système de vidéo-protection ». Ce néologisme a été crée dans le but de rassurer les populations quant à l’utilisation de ces caméras. D’une manière générale le champ lexical utilisé pour le système de surveillance fait appel à la sécurité, afin de se faire accepter et rassurer la population. Depuis l’initiative de Patrick Balkany dans les années 1990 à Levallois-Perret (première ville française à s’équiper massivement de caméras de vidéo-surveillance), la vidéo-surveillance s’est généralisée : les professionnels reconnaissent installer chaque année entre 25 et 30 000 nouveaux systèmes de vidéo-surveillance 188. Noé 185 186 187 François Brune (1940 -) collabore aux journaux Le Monde diplomatique et La Décroissance, ainsi qu’au magazine Casseurs de pub. Il a fondé en 1992 avec Yvan Gradis et René Macaire Résistance à l’Agression Publicitaire. BRUNE François, Sous le soleil de Big Brother. Précis sur « 1984 » à l’usage des années « 2000 », éd. L’Harmattan, Paris, 2000. MANACH Jean-Marc, « Fichier ADN : 80% des 2,2M de gens fichés sont “innocents“ », in Bug Brother (Le Monde Blog), 25 février 2013. Source : http://bugbrother.blog.lemonde.fr/ Dernière consultation : 24 juin 2014. 87 Le Blanc, journaliste spécialiste de la vidéo-surveillance, s’inquiète de cette situation sur Radio Libertaire en 2009 : En France, on dénombrerait de 300 à 350 000 caméras déclarées, plus 2 à 3 millions qui ne seraient pas déclarées. [...] En Grande-Bretagne, les caméras avaient été installées à l’aveuglette, et les études, réalisées 10 ans après, estiment que la vidéo-surveillance, ça ne marche pas : il y aurait moins d’une arrestation tous les 40 jours, et encore, une bonne partie aurait aussi pu avoir lieu sans caméra. [...] Et il n’y a pas plus de résolution des crimes et délits dans les quartiers vidéo-surveillés que dans ceux qui ne le sont pas. Il y aurait même plutôt une augmentation de la délinquance dans les zones avec caméras... : elles génèrent presque du crime ! [...] Pourquoi elles sont inefficaces ? Parce que les installations ont été laissées aux entreprises qui ont fait ça à la va-vite, que la moitié des systèmes sont inutilisables dans la nuit (trop éblouies ou trop sombres), et que le principal problème, c’est le tri de l’information, une question propre aux technologies de surveillance : il faut trouver le moyens de trier toutes ces données, et c’est très compliqué, donc les opérateurs se focalisent sur des repères plus facilement détectables, qui recoupent les clichés sur les populations criminogènes (les jeunes, les pauvres, etc.) qui ne sont pas forcément ceux qui commettent les délits. [...] Ainsi, 68% des Noirs sont qui surveillés le sont sans raison spéciale, tout comme 86% des jeunes de moins de 30 ans, et 93% des hommes. En résumé, un jeune homme noir a beaucoup plus de probabilité d’être vidéo-surveillé par les caméras, mais du coup, ça ne correspond plus à la délinquance. [...] De plus, 15% du temps passé par les opérateurs devant leurs écrans de contrôle relèverait du voyeurisme, mais je pense que c’est bien pire : faut comprendre, les gens s’ennuient, devant les caméras ! En règle générale, on dénombrerait un opérateur pour 10 écrans, avec 5 caméras par écran...189 Pour les anti-pubs tous ces nouveaux processus mis en place sous couvert de lutte antiterroriste (de plus en plus active depuis les attentats du 11 septembre 2001) permettent aux 188 189 http://www.rfi.fr/actufr/articles/067/article_37700.asp [archive] Paris et Londres coopèrent dans la lutte contre le terrorisme, RFI, article publié le 25 juillet 2005. LE BLANC Noé, propos recueillis lors de l’émission Les Amis d’Orwell, sur Radio Libertaire, le 13 janvier 2009. 88 pouvoirs publics et industriels de développer des modes de contrôle social de plus en plus sophistiqués. La lutte contre Big Brother rejoint le combat des anti-pub lorsqu’en 2009 apparaissent les premiers écrans publicitaires. Cette année-là, la RATP autorise l’implantation à titre expérimental des premiers écrans publicitaires à cristaux liquides avec caméras intégrées. Ces panneaux déclenchent une vague de protestation chez les anti-pubs. Pour nous, la lutte contre les écrans publicitaires numériques est primordiale. Ces écrans constituent une triple pollution : - pollution visuelle : L’œil humain est attiré par ces écrans animés et la lumière qu’ils émettent. Ils devraient donc être considérés comme une source de danger pour la sécurité routière détournant l’attention des automobilistes ; - pollution énergétique : À l’heure où les prix de l’énergie augmentent et où les citoyens doivent se serrer la ceinture en conséquence, les publicitaires poursuivent eux un gaspillage énergétique sans précédent, peuvent assécher les dernières gouttes de matières premières, rejeter toujours plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et peser dans la création de nouveaux déchets radioactifs ; - pollution mentale : Notre cerveau est désormais gavé avec un entonnoir publicitaire. Ces dispositifs auxquels il devient quasi-impossible d’échapper nous imposent des messages aux images et aux normes agressives et néfastes. Quand s’arrêtera cet asservissement idéologique et mental des masses ?190 Mais ces écrans ne sont pas seulement attractifs, ils possèdent également un caractère intrusif. En 2009 la RATP annonce son intention d’introduire dans métro parisien plus de 400 écrans publicitaires présentés comme « intelligents », c’est-à-dire, dotés de caméras analysant le comportement des usagers passant devant eux et capables d’envoyer des SMS sur leurs portables. Lors de l’annonce de l’installation de 800 panneaux semblables dans les gares SNCF, les anti-pub et les anti-Big Brother s’unissent pour lutter contre l’espionnage 190 RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, Appel à mobilisation nationale contre les écrans publicitaires numériques le 26 avril 2014 (extrait), avril 2014. Source : http://antipub.org/ Dernière consultation : 24 juin 2014 89 policier et publicitaire. Les militants anti-pub organisent des actions de die-in191 dans le métro. En 2010, quand les 400 panneaux sont installés, la colère monte d’un cran. En juin, des militants masqués brisent plusieurs écrans. En novembre, forts de la réunion de leurs deux groupes, les militants organisent une démonstration de force : en une soirée une centaine d’activistes recouvrent plusieurs dizaines de ces panneaux de larges autocollants qui en dénoncent le rôle. Quelques panneaux sont également recouverts de peinture 192. Une plainte est déposée par 5 associations et soutenue par Les Verts, le PCF et le Parti de Gauche pour violation de la législation sur la vidéo-surveillance 193. La RATP recule et renonce en juillet 2009 aux dispositifs de vidéo-surveillance publicitaire. Mais les anti-pub continuent de s’inquiéter : Dans le métro parisien, si la tentative d’équiper les écrans de capteurs Bluetooth a été officiellement abandonnée, le projet d’activer les caméras pour analyser les passants est en revanche toujours d’actualité. Médiatransport, la régie de la SNCF et de la RATP attend que les citoyennes et citoyens soient habitués aux écrans pour activer les caméras de surveillance publicitaire déjà présentes dans les écrans. Ces expérimentations parisiennes ne sont que le début d’un déploiement national. 194 Les écrans publicitaires sont vraiment devenus la « bête noire » des Déboulonneurs. Depuis novembre 2012, ceux-ci concentrent leurs barbouillages sur les écrans. Les écrans sont généralement très présents dans les gares (grâce au monopole de Médiatransport – exMétrobus). Et les gares sont les lieux privilégiés des Déboulonneurs ces deux dernières années. Les panneaux sont nombreux et la foule est dense. Pour les anti-pubs ces actions s’avèrent être de vraies réussites : beaucoup de panneaux tagués devant un public important et varié. Les slogans évoluent eux aussi, on peut maintenant lire sur des écrans 191 192 193 194 Le die-in, aussi appelé « tas de morts », est une forme de sit-in, il se définit par l’action de s’allonger par terre pour montrer son opposition ou au contraire son soutien. Par exemple : Au festival Solidays de 2004 avec Antoine de Caunes et -M-, le public de 50 000 personnes s’est allongé dans la boue en signe de solidarité envers les personnes atteintes du SIDA. Le site du collectif formé pour l’occasion : www.danger-ecranpub.tk Dossier juridique : http://antipub.org/spip.php?article48 Dernière consultation : 24 juin 2014. RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, Appel à mobilisation nationale contre les écrans publicitaires numériques le 26 avril 2014 (extrait), avril 2014. 90 barbouillés « La pub nous filme, je refuse, refusons »195, plus en corrélation avec le support. La lutte contre la vidéo-surveillance s’est naturellement intégrée à l’anti-pub des Déboulonneurs. Depuis la fin des années 1990, plusieurs thèmes apparaissent de manière récurrente dans les œuvres des street artists, comme la critique de la société sous surveillance. Venant du pays le plus filmé d’Europe, l’artiste anglais Banksy exprime la tension qu’induisent les caméras de vidéo-surveillance : La quantité de caméras de sécurité me porte sur les nerfs. [...] Je déteste quand les gens disent que quand on n’a rien fait de mal, alors on a rien à cacher. On a tous quelque chose à cacher, ou alors c’est qu’on a vraiment un problème. 196 Un certain nombre de ses pochoirs se rapportent à cette problématique, comme celui réalisé à Londres en 2004 sur Marble Arch. Le pochoir fait face à une caméra pointée vers lui et la questionne ironiquement What are you looking at ? 197(« Qu’est-ce que tu regardes ? »). Banksy pointe le voyeurisme de la caméra de surveillance. Comme pour la publicité, la surabondance de la vidéo-surveillance a tendance à la banaliser, à la faire oublier du public. Banksy rappelle sa présence à ses compatriotes. 195 196 197 Slogan tagué sur un écran publicitaire de la Gare Saint-Lazare le 24 novembre 2012 lors de la 61 e action des Déboulonneurs de Paris. Interview de Banksy in LEMOINE Stéphanie et OUARDI Samira, Artivisme : Art, Action politique et Résistance Culturelle, Paris, Éditions Alternatives, 2010, p. 145. Banksy, What are you looking at ?, 2004, Marble Arch, Londres, Royaume-Uni. Annexes Tome 1 – 19. 91 Liens avec l’activisme écologique La protection de l’environnement et les problématiques écologiques prennent également une place importante dans la lutte contre la publicité. Il s’agit d’une question qui apparaît au cœur des manifestes fondateurs de nombreux groupes d’anti-pub comme les Humains Associés, le Billboard Liberation Front ou encore les Déboulonneurs. Beaucoup d’arguments anti-publicitaire se rapportent à la question écologique, comme l’indique dans le RAP sur leur site : La question de l’environnement est centrale dans la lutte contre les abus de la publicité, et c’est tout naturellement que R.A.P. a progressivement renforcé son orientation vers les questions environnementales depuis 1998. Les statuts de l’association ont été modifiés en 2002 pour marquer cette évolution, et ils le seront de nouveau prochainement pour un nouveau renforcement dans ce sens. La publicité pose de nombreux problèmes écologiques que nous tentons de combattre : – affichage publicitaire contrevenant largement aux dispositions du code de l’environnement (loi du 30 décembre 1979) et défigurant les paysages et le cadre de vie des français ; – gaspillage de papier par la distribution souvent aveugle et intrusive de prospectus publicitaires (1 million de tonnes par an en comptant les journaux gratuits d’annonces... et un coût de 150 M € par an assumé par le contribuable pour le retraitement sous forme de déchets) ; – les autres supports ne sont pas sans impacts sur l’environnement non plus (affiches et leurs encres, leurs colles et leur retraitement ; consommations d’électricité des éclairages publicitaires, pollution sonore, véhicules terrestres et aériens publicitaires, etc.) ; – apologie du gaspillage, promotion de produits dangereux (pesticides, voitures surpuissantes...) et diffusion de mensonges objectifs sur l’innocuité prétendue des produits ; 92 – et de manière générale, les pressions exercées par les annonceurs et la publicité (et leurs organes représentatifs) sur les politiques, les médias, les décideurs... Elles sont rarement favorables à l’environnement (c’est un euphémisme). 198 Cette critique écologique de la publicité regroupe deux catégories d’arguments liés à deux media : les affiches et les écrans. Les affiches publicitaires entraînent une production d’encre et de colle très polluantes pour l’environnement. Les écrans, outre le problème intrusif qu’ils posent, sont de véritables machines énergivores. Les Déboulonneurs dénoncent ce problème : Les écrans publicitaires, actuellement installés dans le métro parisien et qui commencent à apparaître aux bords des routes, vont bientôt envahir le paysage. Le gouvernement et le parlement ont systématiquement refusé d’aborder la question des nouvelles techniques publicitaires lors des travaux du Grenelle II. Agression publicitaire supplémentaire, pollution visuelle accrue, libertés individuelles bafouées (capteurs espions analysant les passants) et aberration écologique (consommation énergétique de trois foyers moyens, émission de 10 fois plus de CO2 qu’une affiche 4 × 3) : ce type de dispositif doit purement et simplement être interdit. Nous n’en voulons ni dans le métro, ni ailleurs.199 Il existe plusieurs propositions anti-pub pour lutter contre cette menace pour la planète. L’association Paysage de France 200, association de protection de l’environnement créée le 28 février 1992 à Grenoble, lutte contre toute forme de pollution visuelle dans les paysages urbains et non-urbains. Elle a pour objet de combattre toutes les atteintes au paysage et au cadre de vie et contre toutes les formes de pollution visuelle dans les paysages urbains et non urbains, y compris maritimes et aériens. Elle lutte notamment contre la prolifération des panneaux publicitaires dans les paysages urbains et non-urbains ainsi que de divers équipements ou aménagements qui défigurent voire qui détruisent le paysage. Outre l’anti-pub, Paysage de France intervient sur des sujets comme les antennes 198 199 200 RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, « R.A.P. et la question de l’environnement » in http://antipub.org/ LES DÉBOULONNEURS, « Tract pour l’action de désobéissance civile des Déboulonneurs le 24 novembre 2012 à 15h » in http://www.deboulonneurs.org/, article publié le mercredi 14 novembre 2012. http://paysagesdefrance.org/ 93 relais de téléphonie mobile, les carrières, les décharges et dépôts sauvages, les lignes aériennes mais aussi les éoliennes (sujet qui apparaît plus discutable aux Déboulonneurs 201). Association agréée au Plan National depuis 1996, Paysage de France, utilise des moyens légaux pour abolir la publicité illégale 202. Selon eux, près de 40 % du parc publicitaire français serait illégal (trop près des écoles, des monuments historiques, etc.). Depuis quelques décennies, l’affichage publicitaire a envahi dans des proportions jamais connues la périphérie des villes. Les débordements de l’affichage publicitaire sont considérés, aussi bien par nos concitoyens que par les visiteurs étrangers, comme l’un des principaux facteurs de dégradation de nos paysages. C’est pourquoi, sachant notamment que de très nombreux dispositifs publicitaires sont illégaux mais aussi que chaque commune ou EPCI peut adapter la réglementation nationale, l’association en a tout naturellement fait l’une de ses priorités. Votre territoire est pollué par un affichage publicitaire chaotique ? L’image de la commune en est altéré et le cadre de vie de vos administrés en pâtit ? Alors que les actions en matière d’urbanisme sont souvent très onéreuses et longues, l’action dans le domaine de l’affichage publicitaire et des enseignes peut conduire moyennant un très bas coût des résultats aussi rapides que spectaculaires. Paysages de France, association agréée au plan national, est un expert indépendant, reconnu notamment par le ministère de l’Écologie pour sa compétence. Alors n’hésitez pas à contacter notre association : nous pouvons vous aider, vous conseiller et accompagner votre démarche.203 Paysages de France utilise plusieurs moyens d’actions : sensibilisation auprès des pouvoirs publics, des collectivités territoriales, du grand public et des scolaires, communiqués de presse, manifestations, etc. À force de pressions sur les pouvoirs publics, l’association obtient quelques résultats comme le démontage d’une enseigne géante (25 mètres de hauteur) dans une zone commerciale de la banlieue grenobloise en janvier 2011 201 202 203 Propos d’un militant des Déboulonneurs de Paris lors de la formation au barbouillage le 17 novembre 2012. Propos recueillis par nos soins. Paysages de France est une association agréée dans le cadre national au titre des articles L. 141-1 et suivants du Code de l’environnement. PAYSAGE DE FRANCE, « Assistance aux collectivités (affichage publicitaire et enseignes), in http://paysagesdefrance.org/ Dernière consultation : 27 juin 2014. 94 ou le démontage de panneaux publicitaires illégaux. 204 Néanmoins, ces procédures sont très longues car les collectivités n’ont financièrement aucun intérêt à démanteler des panneaux publicitaires. Paysage de France se base sur la loi pour obliger les annonceurs à retirer leurs publicités illégales. Dans leur document à l’usage des citoyens horrifiés par la pub diffusé sur internet, Avec Kivoitou menez la vie dure aux panneaux illégaux , l’association explique quels sont les types de panneaux illégaux en citant la loi : Emplacements interdits à la publicité en tous lieux (Article L.581-4 du Code de l’Environnement) : – sur monuments naturels dans les sites classés et les secteurs sauvegardés ; – dans les parcs nationaux et les réserves naturelles ; – sur les monuments historiques ; – sur les arbres. Emplacement interdits à la publicité (Article R. 581-8 du Code de l’environnement) : – sur tous les panneaux réglementant la circulation ; – sur tous les ouvrages EDF, supports d’éclairage public et plantations. Publicité hors agglomération (Articles L. 581-7 et L. 581-14 du Code de l’environnement) : – toute publicité est interdite en dehors des lieux qualifiés d’agglomération par les règlements relatifs à la circulation routière, sauf dans les zones dénommées « zones de publicité autorisées ». Publicité sur bâtiments et sur clôtures (Articles R. 581-10, 11 et 12 du Code de l’environnement) : 204 Exemple d’enlèvement de panneaux illégaux par Paysages de France Tome 1 – 20. 95 à Lombez en 2009. Annexes – population = ou < à 2 000 habitants : surface : 4 m² maximum, hauteur par rapport au sol : 4 m maximum [...] ; – agglomération de plus de 2 000 habitants et de moins de 10 000 : surface : 12 m² maximum, hauteur par rapport au sol : 6 m maximum [...] ; – agglomération de plus de 10 000 habitants : surface 16 m² maximum, hauteur par rapport au sol 7,5 m maximum ; [...] Emplacements interdits à la publicité sur bâtiments (Article R. 582-9 du Code de l’environnement) : – La publicité ne doit pas dépasser la limite du mur qui la supporte ; – la publicité est interdite sur toitures et terrasses.[...] 205 L’aspect légaliste de Paysage de France le rend assez atypique dans la famille de l’anti-pub. Les actions nocturnes réalisées par les anti-pubs croisent parfois le chemin d’un autre groupe, au carrefour de la lutte écologique et de la lutte anti-publicitaire : Le Clan du Néon206. Le Clan du Néon est apparu à Paris en 2007. Autour d’un blog 207, noyau de la diffusion du mouvement, les fondateurs ont tout d’abord cherché à partager leur idée d’éteindre les néons et ont montré la méthode par un mode d’emploi animé, ainsi que des vidéos des premières actions filmées et postées sur des sites de partage. Peu à peu des groupes se sont développés dans toute la France. Ces groupes qui luttent contre la pollution lumineuse émise par les néons des enseignes des magasins, ou des enseignes publicitaire, promeut des actions directes et non-violentes. Elles consistent à éteindre des enseignes qui restent souvent allumées toute la nuit, en abaissant 205 206 207 PAYSAGE DE FRANCE, Kivoitou, Menez la vie dure aux panneaux illégaux, novembre 2012. Disponible sur : www.paysagesdefrance.org Le Clan du Néon ou Pêcheurs d’Énergie sont de petits groupes de toute la France réunis autour de la lutte contre la pollution lumineuse. http://clanduneon.over-blog.com/ 96 les leviers des interrupteurs inter-pompiers situés à l’extérieur des magasins. Comme les enseignes sont souvent commerciales, les actions rejoignent le mouvement des Déboulonneurs dans leur lutte contre l’agression publicitaire. La portée du Clan du Néon est aussi écologique, il s’agit d’éviter de consommer inutilement de l’énergie. Le Clan du Néon n’est pas une organisation à part entière. Les groupes sont en totale auto-gestion. Les membres se réfèrent au un traité fondateur posté sur le blog : La nuit, dans les rues commerçantes parisiennes, nous nous retrouvons souvent face à des enseignes lumineuses restées allumées. Des néons de boutiques qui ont pourtant fermé leurs portes... À quoi servent ces néons ? À rendre la ville plus belle ? À continuer à marquer la présence d’un commerce ? À imposer une marque, un logo, une « identité » ? État des lieux : Les enseignes des boutiques allumées toute la nuit représentent tout d’abord une agression publicitaire supplémentaire. Mais même au-delà de ce sentiment de harcèlement pesant, quel commerçant peut sincèrement considérer que ces néons allumés dans des rues presque désertes sont efficaces pour augmenter ses ventes ? De plus, ces néons consomment une quantité importante d’énergie. Alors qu’on gaspille, des gens dorment dans les renfoncements des boutiques. Sans parler de l’impact écologique de ces consommations d’énergie dans le contexte actuel de raréfaction des ressources et de réchauffement climatique. Les néons engendrent donc une double pollution, celle pour produire l’électricité mais aussi celle, lumineuse, qui nous empêche de voir les étoiles... Consommation : Les néons ont une puissance moyenne d’environ 50 W / mètre. La facture annuelle d’électricité liée au néon seul (sans compter l’éclairage intérieur des vitrines) représente donc quelques centaines d’euros. Multipliez par les milliers de commerces laissant ces enseignes allumées, on obtient des centaines de milliers d’euros gaspillés, sans parler de l’impact écologique Une action sensée et non violente : On peut tous lutter contre cette dérive, en éteignant simplement ces néons. Il suffit de désactiver les boîtiers néons (voir vidéo de démonstration). C’est un geste simple et non violent, qui ne dégrade pas les biens. Nous avons commencé à agir et nous comptons sur vous pour que le mouvement se diffuse. Toutefois, dans certains cas, nous reconnaissons l’intérêt des enseignes lumineuses. Nous luttons avant tout contre leur utilisation abusive, au service de la publicité. Nous sélectionnons avec attention les néons que nous éteignons. nous n’agissons jamais sur un commerce ouvert, un café ouvert, une pharmacie ouverte... En revanche, en cas 97 d’abus, nous n’hésitons pas. Le plus marquant étant le cas de certaines banques, dont les horaires sont restreints mais qui continuent d’afficher fièrement leur logo... de banque... la nuit. Des repères ? Oui mais trop de néons tuent le néon utile ! Trop de lumière éblouit ! Une enseigne indiquant un distributeur de billets, d’accord ; toute la banque allumée pour un distributeur de billets, non. 208 Les actions du Clan du Néon se veulent ludiques et non-dégradantes, puisque les lumières peuvent toujours être rallumées. Quelques fois les « pêcheurs » joignent un tract expliquant leur démarche. Plusieurs techniques sont utilisées quant à la conception de la perche : manche à balais scotché à un cintre, rouleaux à peinture télescopiques... Toujours dans le cadre de la défense écologique, le Billboard Liberation Front a récemment relevé un détournement anonyme effectué sur un panneau signalétique d’un parc aquatique, le Sea World de San Diego209. Les « libérateurs », comme le BLF les nomme, ont ajouté la mention « sucks » au panneau indiquant Sea World. Le Billboard commente avec humour : And as you know, ‘sucks’ is aquarium slang for ‘keeps tank clean and treats captive animals with respect and dignity’, so we applaud these Signage Liberators bring to the attention of the public what great stewards of the ocean, Sea World is. So long and thanks for all the fish.210 Si la question écologique n’est pas la priorité des détournements du BLF, les artivistes ne sont pour autant pas insensibles à cette question. Ils saluent ainsi avec humour cette action 208 209 210 DALI & BRUCE, « Traité fondateur » in http://clanduneon.over-blog.com/, juillet 2007. « Sea World Sucks » 2014, San Diego. Annexes Tome 1 – 21. BILLBOARD LIBERATION FRONT, « Liberation of San Diego Freeway Sign Celebrates Sea World. », in http://www.billboardliberation.com/, 27 mai 2014. « Et, comme vous le savez, « suce » est un terme d'argot des aquariums pour « garde propre les aquariums et traite les animaux avec dignité et respect ». Par conséquent nous applaudissons ces Libérateurs de Panneaux qui attirent l’attention du public sur ce bon gardien de l’océan qu’est Sea World. Salut, et merci pour tout le poisson. » Dernière Consultation : 6 juillet 2014. 98 pointant du doigt la maltraitance des animaux dans les parcs aquatiques en citant l’œuvre de Douglas Adams211. L’anti-pub est proche d’autres mouvements contestataires qui mettent d’avantage l’accent sur l’écologie ou sur la lutte contre la société de surveillance. Partageant tous une critique de la société de consommation, ces groupes se rejoignent sur de nombreux points. Si leurs angles d’attaque peuvent quelques fois différer, ils s’accordent bien souvent sur une base anti-capitaliste, comme l’analyse la journaliste Naomi Klein212 dans son livre No Logo : Pour un nombre croissant de jeunes activistes, le cassage de pub s’est présenté comme l’outil parfait par lequel affirmer leur désapprobation des multinationales qui leur ont si agressivement fait la chasse en tant que consommateurs, et les ont si précipitamment laissés sur le carreau en tant que travailleurs.213 L’anti-pub porte en lui l’héritage de luttes d’opposition à la marchandisation de la société. Cette base théorique est commune à de nombreux groupes de contestations. Les diverses formes de résistance face à la publicité ne sont pas fermées à cette seule problématique. Les frontières entre les différentes luttes sont perméables. 211 212 213 « So long and thanks for all the fish » (« Salut et encore merci pour le poisson ») est une réplique culte de la « trilogie en cinq volumes » The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy (H2G2) imaginée par Douglas Adams en 1978. Cette série se présente à l’origine sous forme de feuilleton radiophoniques avant changer de medium avec la publication du premier tome en 1979. So long and thanks for all the fish est aussi le titre du quatrième volume publié en 1984. ADAMS Douglas, The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy (Le Guide du voyageur intergalactique), Paris, Denoël, 1982 – 1994. Naomi Klein est une journaliste, auteure et militante canadienne. Elle est devenue une représentante du courant l’altermondialiste grâce à son livre No Logo en 2000, qui est vite devenu une sorte d’emblème du mouvement anticapitaliste. Elle dénonce y la réduction de l’espace public, social et citoyen au profit des multinationales au travers de la prolifération de leurs logos. Elle évoque également l’exploitation de la misère que conduisent selon elle les multinationales envahissantes telles que McDonald’s, Nike, CocaCola, Starbucks ou encore Wal-Mart. Naomi Klein, No Logo, Actes sud, coll. « Babel », 2002, p. 428. 99 3. Lutte contre le publisexisme, une symbiose entre anti-pub et féminisme Le terme publisexisme est un néologisme créé en octobre 2001 par des militants issus de différents groupes libertaires214. L’invention de ce terme s’accompagne de la fondation du Collectif Contre le Publisexisme215, à Paris, pour lutter contre les stéréotypes sexistes véhiculés par la publicité. Les activistes du collectif définissent le publisexisme ainsi : L’ensemble des images exposées dans l’espace public qui exploitent les clichés sexistes, les stéréotypes de la virilité et de la féminité, ou encore la banalisation de l’hétérosexualité par rapport aux autres orientations sexuelles, relève selon nous d’un phénomène que nous appelons le publisexisme. Dans notre société de l’image où le virtuel est roi, et devient lui-même le réel, la reproduction constante et omniprésente de ces visuels n’est pas anodine. La publicité à elle seule, nous bombarde en moyenne 2 500 fois par jour de messages qui sont autant d’injonctions à consommer, mais aussi de commandements pour atteindre les normes caricaturales et irréelles qu’elle nous présente. Le corps féminin est le principal argument des publisexistes pour faire passer leur message, quel qu’il soit. Soumis aux normes aliénantes d’une beauté stéréotypée et symbole du plaisir sexuel ou de la maternité, le corps des femmes est plus que jamais instrumentalisé. On peut nous rétorquer que les hommes aussi sont traités comme des objets et enfermés dans des clichés, c’est oublier qu’il n’y a jamais de symétrie et que les uns sont présentés comme dominants et les autres comme soumises. 216 L’anti-publisexisme est une forme particulière d’anti-pub, à mi-chemin entre le féminisme et l’anti-consommation. Il se caractérise par la condamnation des stéréotypes féminins utilisés dans les publicités. C’est aussi l’un des sujets de prédilection des groupes anti-pub. Se cachant bien souvent derrière l’humour, la publicité véhicule des images stéréotypées qui ont un énorme impact sur les consciences. La construction de stéréotypes 214 215 216 PIETRUCCI Sophie, VIENTIANE Chris et VINCENT Aude, « Annexe n° 6 : Historique des actions du Collectif Contre le Publisexisme », in Contre les publicités sexistes, L’Échappée, 2012. Le Collectif Contre le Publisexisme (CCP) est crée à l’automne 2001 à Paris pour lutter contre les stéréotypes sexistes véhiculés par la publicité. Site internet : http://ccp.samizdat.net/ COLLECTIF CONTRE LE PUBLISEXIME, « Qu’est-ce que le publisexime ? », in http://ccp.samizdat.net/ Dernière consultation : 1er juillet 2014 100 se fait aussi par un univers visuel quotidien. Si notre univers est pollué par l’imagerie publicitaire, il influencera la construction de stéréotypes sociaux sexués. Toutes ces normes sexuées (et sexistes) sont martelées dans les esprits et participent à la construction du genre féminin et masculin. Des ravages liés à cette normalisation s’observent dans tous les domaines de la vie : les cas d’anorexies féminines, les viols, une proportion moindre d’accès à l’enseignement supérieur chez les femmes, des professions sexuées... Prenons un exemple familier : quand arrive le mois de novembre, les publicités pour jouets s’accumulent sur les panneaux d’affichages et à la télévision. Ces publicités de jouets pour enfant sont généralement très sexués : des poupées pour les demoiselles et voitures ou figurines d’actions pour les garçons. Ce genre d’habitudes n’est pas propice à l’ouverture d’esprit et peuvent donner lieu à des raisonnements tels celui du vendeur de jouet dans le documentaire de Patric Jean217. De plus c’est aussi par le jeu que l’esprit de l’enfant se forme et se conditionne. Pour contrer tous ces stéréotypes le Collectif contre le Publisexisme 218219 et d’autres collectifs lancent une campagne en 2007 contre les jouets sexistes à travers le catalogue Contre les jouets sexistes220. Ce catalogue questionne de façon humoristique les habitudes des autres catalogues de jouets : Aux petites filles les dînettes, les poupons, les Barbies, les robes de princesses et les machines à laver miniatures... Comme maman ! Aux petits garçons les ateliers de bricolage, les personnages musclés et guerriers, les jeux de conquête... Comme papa ? Non, plus viril que papa ! Pourquoi trouve-t-on des pages bleues et des pages roses dans les catalogues de jouets ?221 217 218 219 220 La domination Masculine, JEAN Patric, France, 2009, 103 min. Dans ce documentaire le vendeur jouet décrit les rayons filles-garçons en tenant des propos tels que « dans le domaine de la cuisine vous avez tout ce qui est imitation [il montre une cafetière jouet] et ça c’est spécialement pour les filles » Le Collectif Contre le Publisexisme (CCP) est créé à l’automne 2001 pour lutter contre les stéréotypes sexistes véhiculés par la publicité. Le publisexisme est un néologisme forgé par les activistes de la lutte féministe né de la contraction des mots « publicité » et « sexisme ». Il regroupe toutes les publicités à caractère sexiste qui enferment la femme dans un carcan sexué (femme ménagère, soumise, objet sexuel, stéréotype du « mince-belle-jeunesexy », etc.). COLLECTIF CONTRE LE PUBLISEXISME, Contre les jouets sexistes, Paris, Éditions de L’Échappée, 2007. 101 Le livre propose une analyse de l’importance des jouets dans la construction du genre féminin, du genre masculin et de la norme hétérosexuelle. Il propose aussi des pistes alternatives (livres non-sexistes, utilisation différente des jouets, jeux coopératifs...) et des témoignages qui montrent comment lutter contre le sexisme dans les jouets. Alors que la lutte contre le sexisme progresse pas à pas, la publicité impose de véritables carcans sociaux apposés en fonction du sexe biologique. • Un mouvement issu de la deuxième vague féministe La deuxième vague féministe apparaît à partir du milieu des années 1960 et pendant les années 1970. Elle est précédée d’une période peu faste en matière de féminisme : les années 1950. Cette décennie quelques fois appelée « creux de la vague »222, se caractérise par une stagnation des acquis pour la liberté des femmes. Le début des années 1960 connaît une progression sur la légalisation de l’égalité des droits aux États-Unis. En 1963, la loi sur l’égalité des salaires (Equal Pay Act) est votée. Le 2 juillet 1964, la loi sur les droits civiques (Civil Rights Act) abolit théoriquement toute forme de discrimination aux États-Unis. L’aspect modéré de groupes comme le National Organisation for Women (NOW)223 suscite par réaction la création de groupes féministes plus radicaux. À cette période naissent deux 221 222 223 Site du Collectif contre le Publisexisme : http://ccp.samizdat.net/ à propos de la sortie du catalogue Contre les jouets sexistes. Dernière consultation : 20 mai 2014. Terme employé par les féministes québécois dans le documentaire La domination masculine de JEAN Patric (2009). National Organisation for Women est une organisation politique et juridique inspirée par la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), une association de lutte contre la ségrégation et la discrimination raciale. La NOW est fondée en 1966 à Washington, DC sous l’impulsion de la féministe Betty Freidan, auteure de The feminine mystique (1963). 102 groupes phares de la deuxième vague : le Women’s lib224 dans les pays anglo-saxons et le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) en France. Ces nouveaux groupes radicaux marquent leur opposition avec le réformisme de NOW par des formes de mobilisation volontairement provocatrices pour attirer les médias. Des groupes de réflexion, les Consciousness-raising groups225, s’organisent afin de permettre aux femmes de prendre conscience de la condition des femmes, de leur oppression et de la dimension politique du féminisme. Durant cette période les militants féministes effectuent un très important travail d’information et de prise de conscience auprès des femmes et de la société. Cette deuxième vague est aussi celle de la théorisation de la lutte féminine. Ce nouveau féminisme rejette les objectifs d’égalité dans le système. Il s’appuie sur la théorie Simone de Beauvoir en 1949 dans Le Deuxième Sexe226. Dans son ouvrage de Beauvoir conteste l’existence d’une nature féminine douce et fragile tournée presque exclusivement vers la maternité et dont la sexualité est déniée. Elle approfondit cette thèse en étudiant les modalité de la construction sociale de la différence des sexes, c’est-à-dire la manière par laquelle la socialisation impose des rôles sociaux différents aux personnes des deux sexes. Les féministes de la deuxième vague construisent le concept de patriarcat qui définit le système social d’oppression des femmes. Ce concept fonde leur rejet de la lutte pour une égalité des sexes. Pour eux, aucune égalité entre les sexes ne peut être obtenue à l’intérieur du système « patriarcal ». Aujourd’hui encore, les groupes qui critiquent le publisexisme se basent sur ce concept de subordination à la société patriarcale. La publicité utilise des icônes du système phallocrate. La femme soumise aux désirs de son mari en est une. 224 225 226 Le Women’s lib est une appellation qui regroupe les organisations féministes américaines depuis les années 1960. Aujourd’hui, le Women’s Lib américain est incarné par plusieurs organisations, NOW ou National Organization of Women, Feminist Majority, Planned Parenthood... Consciousness-raising group aussi appelés awareness raising sont des groupes d’activisme politique popularisé par les féministes américaines à la fin des années 1960. Ces groupes ont pour but d’éveiller les consciences au travers de séances de réflexion sur des sujets politique (féminisme, génocide du Darfour, réchauffement climatique). Les Feminism Consciousness-raising groups ont été créé par New York Radical Women et Women’s Liberation group à New-York avant de se propager dans tous les États-unis. BEAUVOIR Simone (de), Le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949. 103 Les théories élaborées par la deuxième vague conduisent à une féminisation des sciences humaines. Ainsi apparaissent la philosophie féministe, l’anthropologie féministe, l’histoire des femmes. Une relecture de la lutte des classe d’un point de vue féministe permet aussi de mettre en lumière la subordination que subissent les femmes dans le domaine de la reproduction (maternité, corps, famille, travail domestique... ). À partir de cette époque le terme sexisme se répand, son concept se développe, entraîne une théorisation des comportements sociaux quotidiens. La maîtrise du corps est au centre des préoccupations de la deuxième vague. Cette libéralisation du corps se manifeste dans la lutte pour le contrôle des naissances, divisée en deux revendications principales : le libre accès à la contraception mais surtout le droit à l’avortement. Ces revendications sont les plus marquantes du mouvement mais aussi les plus contestées et restent dans les années 1970 un sujet de division à l’intérieur même des groupes féministes. En France, suite aux Manifeste des 343227 et Manifeste des 331228, se fonde en 1973 le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception (MLAC)229. Il s’appuie notamment sur l’aile la plus radicale du Mouvement Français pour le Planning Familial qui se prononce peu après « en faveur de l’avortement et de la contraception libres et remboursés par la Sécurité sociale » et ouvre des cliniques 227 228 229 Le Manifeste des 343 (également appelé Le Manifeste des 343 salopes ) est une pétition parue le 5 avril 1971 dans le no 334 du magazine Le Nouvel Observateur en faveur de la dépénalisation et la légalisation de interruption volontaire de grossesse. Il s’agit de la liste des 343 françaises qui ont le courage de signer le manifeste « Je me suis fait avorter », s’exposant ainsi à l’époque à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement. Le Manifeste des 331 est une pétition, parue le 3 février 1973 dans Le Nouvel Observateur, et signée par 331 médecins revendiquant avoir pratiqué des avortements malgré l’interdiction de la loi française. Il s’agit d’un soutien aux femmes du Manifeste des 343. Le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, fondé en avril 1973, est une association féministe dont l’existence répond aux difficultés rencontrées par les femmes désirant avorter. Le but premier de l’association est de rencontrer les femmes dans les permanences et les aider à avorter en organisant leur voyage vers l’Angleterre et la Hollande ou en réalisant leur avortement sur place le cas échéant. Cependant le MLAC exerce également une activité de promotion et de lutte pour l’avortement par l’organisation de campagnes, de manifestations. Quand la loi Veil est adoptée, le MLAC n’ayant plus de raison d’être disparaît progressivement. 104 d’interruption volontaire de grossesse (IVG) 230. Cette lutte s’inscrit dans le cadre plus large de la dissociation de la sexualité et de la reproduction. Ancrées dans la révolution sexuelle qui fait suite aux mouvement d’émancipation de mai 1968, le féministes de la deuxième vague se jugent seules maîtresses de leurs corps, de leur sexualité. Une sexualité qu’elles assument et qu’elles revendiquent. L’étude de la sexologie féminine met en valeur une nouvelle subordination au monde masculin. La sexualité est un domaine où s’exerce la domination masculine, minorant le plaisir clitoridien. La féministe radicale américaine Anne Koedt pointe du doigt la psychanalyse et la sexologie classiques qui définissent sexuellement les femmes « en fonction de ce qui fait jouir les hommes »231. Ces théories restent fondamentales pour les activistes de l’anti-pub qui s’attachent critiquer les mêmes comportements machistes ou sexistes que ceux que les féministes de la deuxième vague ont dénoncés. Les militants de la deuxième vague se sont aussi employés à lutter contre le viol et les agressions faites au femmes. Considérant que l’image marchande de la femme que renvoie la publicité favorise les agressions sur celles-ci. L’accès, les féministes se mobilisent contre l’image utilisé par les médias. La deuxième vague féministe prend la forme d’une base théorique pour les militants de l’anti-publisexisme. Leurs actions découlent des luttes menées dans les 1970 et 1980 par les féministes de groupes comme Mouvement de Libération de la Femme. 230 231 L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est légalisée en France par la « loi Veil » (nommée ainsi d’après le patronyme de Simone Veil, alors Ministre de la Santé), promulguée le 17 janvier 1975. Cette loi dépénalise l’avortement dans certaines conditions. Avec la loi Veil, l’Interruption médicale de grossesse (IMG) peut alors être pratiquée selon des conditions très particulières et bien définies : volonté de la mère, maladie grave et incurable dans l’étendue des connaissances actuelles de la science, autorisation d’experts, pas d’autres alternatives. L’IMG n’a pas de limites dans le temps et peut être pratiquée à tout instant de la grossesse dans le cas de malformations graves du fœtus ou encore en cas de danger vital pour la mère (article 111 alinea 20). La Loi Veil légalise également l’IVG . Cette dernière étant pratiquée sous l’unique volonté de la mère dans un délai en France de 14 semaines d’aménorrhée. KOEDT Anne, « Le mythe de l’orgasme vaginal », Partisans, n°54-55, Maspero, 1970, p. 55. 105 • Le publisexisme : l’image de la femme La femme est un des sujets de prédilection de la publicité. Son image est déclinée pour une gamme de biens de consommation très variées. La construction de l’image de la femme dans les publicités date de la normalisation de celle-ci au début du XX e siècle. Toutefois la période fondatrice pour l’image de la femme dans la réclame date des années 1960232. Selon ce que vend la publicité, la femme peut prendre l’aspect d’une enfant, d’une ménagère, d’une séductrice. La figure de la femme à la maison est généralement utilisée pour les produits comme les ustensiles de cuisines, les préparations alimentaires, les produits ménagers (liquide vaisselle, produit WC, nettoyant machine à laver la vaisselle, lessive...). Dans ce cas, la femme est généralement représentée comme une ménagère, une mère de famille, reprenant les attributs de la femme au foyer des années 50. Elle se retrouve alors souvent figurée dans une cuisine, aux fourneaux, quelques fois encore avec le tablier. Cette image de la femme induit une notion de soumission à l’époux, à l’homme, mais aussi au ménage et à sa tenue. Les publicités des années 1950 présentent une femme entièrement dévouée à la bonne tenue de la maison, tant au ménage qu’à la cuisine. Une publicité de la marque d’aspirateurs Hoover de 1960 présente une jeune femme souriante à qui on vient d’offrir un aspirateur de la marque : elle est visiblement épanouie. Le slogan souligne d’ailleurs cette impression : « Chrismath morning she’ll be happier with a Hoover »233. En France, en 1956, on retrouve cette même exaltation à s’occuper de la maison avec une publicité pour Moulinex portant le slogan « Pour elle un Moulinex, pour lui les bons petits plats »234. 232 233 234 Décennie à laquelle est inventé le concept publicitaire de la « ménagère de moins 50 ans », un public peu précis considéré comme déterminant dans les dépenses du ménage. Publicité HOOVER, « Chrismath morning she’ll be happier with a Hoover », 1960. « Le matin de Noël elle sera la plus heureuse avec un Hoover ». Annexes Tome 1 – 21. Publicité MOULINEX, « Pour elle un Moulinex, pour lui les bons petits plats », 1950. Annexes Tome 1 - 22. 106 Moulinex dans les années 1950 avec son mot d’ordre antiphrastique « Moulinex libère la femme » a contribué à créer l’image d’une femme telle, ravie de faire la cuisine pour son époux. Les années 1950-1970 sont riches en images synonymes de subordination au rôle social qui était imparti à la femme dans les années 1950 jusque dans les années 1980. « Je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole »235 : cette publicité pour la crème Babette de la marque Candia en 2000, n’est qu’un exemple parmi tant d’autres du sexisme de la publicité qui existe encore de nos jours. Le message implicite est clair : la relation entre la femme et la crème fraîche est la même qu’entre l’homme et la femme. L’association d’un corps féminin à des termes faisant allusion à la violence d’une séance sado-masochiste ou d’un viol a déclenché de nombreuses réactions en 2000. Pourtant le BVP (Bureau de Vérification de la Publicité 236) de l’époque ne s’était pas offusqué de cette publicité. Jean-Pierre Teyssier alors président du BVP (Bureau de Vérification de la Publicité) raconte : Ce soir d’avril, se trouvait posée sur notre bureau l’affiche de la crème fouettée Babette, assortie d’un slogan à l’humour provocateur « je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole », largement étalé sur le tablier d’une cuisinière plutôt sexy. Cette affiche ne nous a pas interpellés outre mesure. Les instruments de cuisine mis clairement en évidence, permettent de décoder, de façon immédiate, le jeu de mots présenté en accroche. L’humour est évident et le jeu de mots plutôt bien trouvé. Nous en parlons entre nous et aboutissons rapidement à une conclusion : Babette est un clin d’œil plus qu’une provocation. Son humour nous aura convaincus. La suite immédiate nous donnera raison. Diffusée entre le 12 et le 19 avril 2000, la première campagne d’affichage Babette sur 5500 panneaux ne soulèvera que peu de réclamations auprès du BVP. Quatre pour être tout à fait précis. Nous ne sommes pas surpris. Avant de donner son feu vert à la campagne, l’agence d’Arcy a pris soin de tester sa création sur un échantillon de femmes représentatives. Lesquelles n’y ont rien trouvé à redire. En un an, les ventes ont progressé de 35,9%. Les consommatrices, visiblement, ont apprécié l’humour. Du moins ne les a-t-il pas fait fuir. 237 235 236 237 Publicité CANDIA, « Je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole », 2000. Annexes Tome 1 - 22. Le Bureau de vérification de la publicité - association des professionnels pour une publicité responsable (BVP), devenu, depuis le 25 juin 2008, l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), est un organisme privé d’autorégulation de la publicité en France. TESSIER Jean-Pierre cité sur « Quand la publicité déchaîne les féministes », in http://www.vivelapub.fr/, 22 février 2012. 107 Les publicitaires de la marque Babette sont des habitués du sous-entendu sexiste, et des connotations de violence conjugales banalisées, comme on peut le voir par la suite en 2001 « Babette j’en fais ce que je veux », en 2002 « Babette si vous saviez tout ce que je lui fais » et en 2003 « Babette elle vous fait quoi ce soir ? ». Candia réutilise dans chaque campagne d’affiche de la série la même image de femme sans tête (donc non personnifiée, juste un corps de femme) vêtue d’un tablier et tenant dans ses mains des ustensiles de cuisine. La série de campagnes publicitaires Babette des années 2000 est un bon exemple de l’évolution de l’image de la femme à la cuisine depuis les années 1960. Ces publicités combinent d’ailleurs les stéréotypes puisque la femme est également présentée comme un objet sexuel soumis. La femme dans la publicité est peu à peu passée de la cuisine à la chambre à coucher. L’image la femme est de plus en plus érotisée. Cette autre image est utilisée dans la publicité lorsqu’il s’agit de vendre des produits de beauté (shampoings, maquillages, produits amincissant, de rasage, etc. ), du prêt-à-porter (lingerie, haute couture... ), des produits de luxe (voitures, parfums, bijoux). Cette fois la femme prend des allures de séductrice, voire d’actrice pornographique. Dans certaines publicités comme les campagnes des années 2006-2007 de la marque Dolce & Gabanna 238 figurent très explicitement des connotations au viol. Si l’image ne porte pas de références implicites à la violence physique, elle évoque, en raison de la position passive et désarmée de la femme face aux hommes qui l’entourent, la représentation d’un abus ou l’idée d’une violence à son encontre. Toujours en 2007, Dolce & Gabanna diffuse une version homosexuelle de cette publicité. Les références semblent encore plus explicite, puisqu’un homme au premier plan semble se rhabiller. Lorsque ces publicités utilisent des allusions sexuelles, la femme est alors perçue comme un objet de désir, qui exalte la passion des hommes et des consommateurs. Encore une fois, ces pubs mettent en scène une femme soumise aux désirs de l’homme. Cette fois elle prend plus l’aspect d’un objet sexuel. L’affiche réalisée pour la marque de cigarette 238 Dernière consultation : 1er juillet 2014. Publicités DOLCE & GABANNA, 2006–2007. Annexes Tome 1 – 23. 108 Tipalet239 dans les années 1960 utilisait déjà l’image de la femme de cette manière. En gros plan on peut y voir le visage d’un homme et d’une femme. La femme, très belle, regarde amoureusement l’homme qui en fumant lui expire la fumée dans le visage. La publicité arbore le slogan « Blow in her face and she’ll follow you anywhere ». La femme est ici présentée comme un objet, soumise aux moindres désirs, ici implicitement sexuels, de l’homme. La marque allemande Mercedes-Benz va encore plus loin en 2007 lors de sa campagne pour la nouvelle Class-S240. La publicité présente quatre poitrine féminine côte à côte. Au milieu de ces seins anonymes on peut lire la formule « 8 airbags », associant ainsi les huit seins de femme à des coussins gonflables de sécurité. La femme est complètement réifiée : elle n’est plus ici un être humain mais réellement un objet. L’image utilisée est très stéréotypée : il s’agit de la femme « mince-belle-jeunesexy », conforme aux canons féminins du moment. Contrairement à la femme ménagère dont l’image ne semble inchangée depuis les années 1950, la femme qui séduit et attire change suivant les modes. Le physique féminin parfait utilisé pour ce genre de publicité a beaucoup évolué : dans les années 1960 la femme « parfaite » était moins menue qu’aujourd’hui. La femme dans la publicité peut aussi prendre des figures de femme-mère, symbole de fertilité et de dévotion pour ses enfants. Dans la culture actuelle on chérit le corps de la femme enceinte, ce havre de paix pour nourrissons. Il s’agit cette fois d’une imagerie à connotation positive, même s’il elle reste un cliché social, la maternité étant présentée comme la finalité de la femme. Ce rôle est parfois associé à celui de la mère au foyer, surtout dans les années 1950. Si on trouve toujours énormément de publicités sexistes mettant en scène des femmes on peut noter une certaine amélioration : de plus en plus de femmes d’affaire, 239 240 Publicité TILAPET, « Blow in her face and she’ll follow you anywhere », 1960. Annexes Tome 1 – 24. « Souffle-lui la fumée dans le visage, elle te suivra partout » Publicité MERCEDES-BENZ, campagne pour la nouvelle Classe-S, « 8 airbags », 2007. Annexes Tome 1 – 24. 109 indépendantes, modernes, en dehors des carcans sexistes se retrouvent dans les publicités, même si ce n’est pas le cas pour la majorité. La femmes est généralement présentée comme une séductrice, parfois réduite à sa simple utilité d’objet sexuel, comme une ménagère, réduite à sa simple utilité de robot ménager multi-tâches ou comme mère, une simple génitrice. C’est pour cette raison que des féministes comme la journaliste Mona Chollet 241 s’insurgent contre l’emprise de la publicité qui tend a enfermer la femme dans des stéréotypes : une prostituée, une mère ou une bonne.242 Les hommes sont eux aussi les victimes des représentations de la publicité. Ils incarnent dans l’univers de la pub un idéale de virilité. L’idéal masculin moderne né à la fin du XVIIIe siècle dans la bourgeoisie européenne se caractérise par la puissance, l’honneur et le courage. Dans les publicités contemporaines, les hommes-publicités se caractérisent d’abord par des attributs physiques précis qui correspondent au stéréotype de la virilité. Les principaux sont la haute stature, la musculature saillante (avec les fameuses « tablettes de chocolat » des abdominaux, la mâchoire carrée, les cheveux courts. Parmi les traits psychologiques, l’assurance (avec visage fermé et le regard droit et impassible qui l’accompagnent) est le plus récurrent. L’attitude virile des hommes-publicité se manifeste par le fait qu’ils sont protecteurs, actifs, maîtres d’eux-mêmes, dominateurs, puissants (par l’argent ou le pouvoir).243 Pour eux comme pour les femmes, ces représentations induisent des comportements et un physique stéréotypés qu’il faut adopter pour s’intégrer dans la société, puisque ceux-ci sont devenus la norme. 241 242 243 Mona Chollet est journaliste au Monde Diplomatique et co-animatrice du site Periferies.net. Elle a notamment publié La Tyrannie de la réalité (Calmann – Lévy, 2004) et Rêves de droite. Défaire l’imaginaire sarkozyste (Zones, 2008) Thèse défendue par Mona Chollet dans son analyse des normes entretenues par la publicité dans son livre CHOLLET Mona, Beauté fatale : les nouveaux visages de l’aliénation féminine, Paris, Zones, 2012. PIETRUCCI Sophie, VIENTIANE Chris et VINCENT Aude, Contre les publicités sexistes, Paris, Éditions L’Échappée, 2012. 110 • Lutter contre le sexisme dans la pub Partout en France, des corps de femmes à demi nues, sans graisse ni défaut (mais « améliorées » grâce à des logiciels de retouche photographique), sont offertes au regard de tous sur des affiches géantes dans les rues, sur des autobus, les panneaux lumineux, les couvertures des magazines. Cet étalage de chair excitant les sens produit un très fort impact sur les consciences. Ces femmes de publicité vues par des enfants faussent leur représentation des genres, leur offrant une perception simpliste de la femme entre séductrice et mère soumise. Ces représentations clichées se répercutent sur la construction de la personnalité et la reproduction des modèles sociaux. Contre ces stéréotypes infligés à la vue de tous et les agressions sexistes de la publicité, aussi bien pour l’homme que pour la femme, les voix des militants et des artistes se sont élevées et ont choisi de dire non au publisexisme. En septembre 2000, Florence Montreynaud 244 rédige le manifeste245 de La Meute qui s’adresse aux consommateurs, aux publicitaires, aux médias et aux élus . Celui-ci lance un appel à un boycott de tous les individus des produits vantés par les publicités sexistes. Il interpelle également les publicitaires et leur demande de s’engager à ne pas représenter des êtres humains de manière dégradante, dévalorisante ou déshumanisante. Il demande aux médias de refuser de diffuser des publicités sexistes. Enfin le manifeste s’adresse aux élus et leur demande prendre des mesures afin de faire cesser ces publicités et de voter une loi 244 245 Florence Montreynaud est une féministe, écrivaine et historienne, engagée dans le Mouvement pour la Liberté de la Femme depuis 1971, date à partir de laquelle elle milite pour le Mouvement Français pour le Planning Familial de Paris. Elle a lancé le mouvement des Chiennes de Garde en 1999 et cofonde en 2011 le réseau Zéromacho contre le système de la prostitution. Le Manifeste de La Meute a été lancé le 28 septembre 2000 par Florence Montreynaud, fondatrice des Chiennes de garde et animatrice de La Meute ainsi que l’ensemble des signataires. Source : http://www.lameute.fr/texte/ Dernière consultation : 1er juillet 2014 111 anti-sexiste pour encadrer les pratiques publicitaires. Dans son manifeste, La Meute déplore la reconduites de clichés sexualisés et genrés : Les publicitaires renforcent les clichés sexistes... • en enfermant les femmes dans des rôles : « maman ou putain », « femme-enfant ou salope », « ange ou démon », « maîtresse ou esclave », « ménagère ou femmeobjet », etc ; • en montrant les femmes entre elles comme des rivales jalouses ou comme des lesbiennes exhibitionnistes ; • en représentant les hommes comme des machos obsédés par leur puissance, des hommes-objets ou des « papas-poules » ; • en opposant petites filles passives et garçons actifs.246 La Meute a principalement une activité de vigilance vis à vis de la publicité. L’association recueille les témoignages, les répertorie, dénonce par des courriers et communiqués et décerne chaque année un « prix macho ». Sur internet La Meute épingle les publicités les plus sexistes suivant trois catégories : « violences, prostitution et pornographie », « nudité ou sexualité sans rapport avec le produit » et « clichés sexistes ». En 2009, l’association a « récompensé » dans la catégorie « Nudité ou sexualité sans rapport avec le produit » la marque de café Lavazza au slogan : « The Italian expresso experience »247. Cette publicité était visible sur des panneaux 4 × 3 m dans la rue. Elle présente une femme-louve, à quatre pattes, une fourrure de longs poils recouvrant son dos. Presque nue à l’intérieur du Colisée, elle tient une tasse de café à la main. Sous son ventre se tiennent deux nourrissons nus et dodus. Sous couvert d’une référence à l’origine de la Rome antique248, Lavazza offre aux consommateurs une femme à l’animalité d’une louve, combinant le cliché de la mère et celui de la séductrice. Inconsciemment ou non les faiseurs 246 247 248 Ibidem. Publicité Lavazza, « The Italian, Expresso Experience », 2009. Annexes Tome 1 – 24. Selon la légende, Romulus et Remus, jumeaux fondateurs de la ville de Rome, auraient été jetés dans le Tibre à la naissance. Ils survécurent grâce à une louve qui les allaita. 112 de pub ne font que reprendre un cliché très ancien. En effet la louve ou « lupa » en latin a donné la racine étymologique du mot « lupanar ». Si ces méthodes s’apparentent plus aux recours juridiques (pétitions, lettres aux publicitaires, commentaires sur internet...), la Meute n’est pas en mal d’action. En 1997, l’association s’est mobilisée aux côtés de Mix-Cité 249 et des Chiennes de gardes contre la présence de mannequins vivantes dans les vitrines du rayon lingerie des Galeries Lafayette à Paris : rassemblement devant les vitrines, barbouillages de publicité et apposition d’autocollants auront raison de la grande enseigne commerciale. Le Collectif Contre le Publisexisme propose des actions qui tiennent plus de l’antipub classique. Son activité principale n’est pas sur Internet contrairement aux Chiennes de gardes ou à La Meute. Il utilise d’avantage le détournement, le barbouillage ou le collage de stickers. Le sticker du collectif250, disponible en libre téléchargement sur Internet, présente une photographie de l’actrice Gena Rowlands braquant une arme 251, entourée du slogan « Ni à prendre, ni à vendre : les femmes ne sont pas des objets. Publisexistes, gare à vous, on vous rendra les coups ». Les militantes du collectif invitent à coller ces autocollants sur tous les panneaux sexistes rencontrés, ou faute d’autocollants de taguer ceux-ci de formules tels que « publicités sexistes ». Lors de leurs actions les Déboulonneurs gratifient souvent les panneaux barbouillés d’une remarque sur le sexisme publicitaire. Les chants scandés lors des barbouillages – chants, qui font d’ailleurs partie intégrante de l’action – critiquent les corps représentés sur les affiches publicitaires. Ces corps prostitués, Autant de faux modèles, Font de moi un rebelle 249 250 251 Mix-Cité est une association mixte de luttes féministes. Collectif Contre le Publisexisme, autocollant « ni à vendre, ni à prendre ». Annexes Tome 1 – 25. Gena Rowlads in Gloria de John Cassavetes, États-Unis, 1980, 123 min. Annexes Tome 1 – 25. 113 Qui ne veut saliver.252 Dans ce chant écrit par Yvan Gradis, aujourd’hui repris par les Déboulonneurs, les anti-pub s’insurgent contre le fait que la publicité serve de modèle et des connotations stéréotypées qu’elle véhicule. L’artiste ZEVS propose une solution pour mettre un terme à l’identification des jeunes filles aux modèles anorexiques des publicités. Au début des années 2000, l’artiste marque d’un point rouge sanglant les publicités qu’il trouve sur son passage. Il explique son action dans une interview avec Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi en 2010 : La publicité est une attaque. Elle envoie des messages sur des cibles et tente d’attirer l’attention des gens dans la ville. C’est dans ce sens que j’ai contre-attaqué : j’ai utilisé la bombe aérosol, qui était à l’époque mon pinceau, et j’ai commencé, formellement, à tuer ces images, donc la possibilité d’une identification. Plus personne n’a envie de s’identifier à une image morte.253 Ainsi ZEVS shoot plusieurs publicités comme Visual attack, Eau de Rochas 254 à Paris en 2001. ou Visual Attack, GAP 255à Paris, la même année. Le Billboard Liberation Front s’insurge lui aussi contre les publicités sexistes. En septembre 2010 il rectifie un panneau de la marque de bière Stella Artois portant le slogan « She is a thing of beauty »256. La publicité présente un couple : un homme à l’extrême gauche regardant une femme blonde buvant une bière à l’extrême droite, le tout sur un fond blanc. L’annonceur fait un rapprochement « humoristique » entre la bière et la femme, blondes toutes deux. La formulation employée « She is a thing of beauty » laisse planer le doute sur le sujet. C’est une formule de réification : la transformation d’un être humain en un objet. Le BLF choisi de montrer au grand jour ce processus en enlevant la mention « of 252 253 254 255 256 GRADIS Yvan, Le barbouilleur , (chanson d’après Le Déserteur de Boris Vian), [extrait] 21 et 22 juin 2003. ZEVS, entretien avec Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi in Artivisme : Art, Action politique et Résistance Culturelle, Paris, Éditions Alternatives, 2010. p125. ZEVS, Visual attack, Eau de Rochas, 2001, Paris. Annexes Tome 1 – 26. ZEVS, Visual attack, GAP, 2001, Paris. Annexes Tome 1 – 26. BILLBOARD LIBERATION FRONT, Stella Artois, a thing of beauty, septembre 2010, au croisement de la 38e et de la 8e avenue, New-York. Annexes Tome 1 – 27. 114 beauty ». Le panneau amélioré apparaît donc ainsi « She is a thing », révélant ainsi au public une fonction classique de la femme dans le milieu publicitaire : celle d’un objet. Thornill le préposé à l’éducation du BLF explique la démarche du groupe sur leur site : We at the BLF have been assisting fatigued advertising copywriters to strengthen their corporate messages for over thirty years. Advertising is the language of our Culture, as BLF CEO Jack Napier noted almost as many years ago. And the primary use of language is to to communicate ideas. The most efficient and direct communication of an idea comes through the most elegant use of the least amount of words to communicate that idea. It’s quite clear from the image in this Stella Artois billboard ad what the message IS. The BLF merely wishes to assist this campaign by paring down the words in order to match that message most perfectly. 257 Employant des méthodes venant à la fois du militantisme, de l’anti-pub et du Street Art, la résistance au publisexisme ne cesse d’innover face au déferlement quotidiens de stéréotypes sexués. Les associations féministes qui combattent la publicités ont avant tout une fonction d’information des répercussion de ces clichés sexistes sur la construction des normes chez l’individu. La résistance au sexisme dans la publicité utilise des formes d’action de l’anti-pub ou du Street Art. Ces formes restent en lien avec l’art de rue féministe comme celui de la parisienne Miss’tic258 qui égraine dans la ville ses pensées sur l’art, la liberté et la femme. Si elle ne s’intéresse pas particulièrement à la publicité ses peintures diffusent un message féministe en lien avec la lutte contre le publisexisme. Ces groupes rappellent aussi les activités des américaines Guerrilla Girls 259 qui au moyen d’affiches s’insurgent contre la sous-représentation féminine dans les musées, le viol, l’avortement, ou les salaires inégaux. 257 258 259 THORNHILL R.O., « Stella Artois, a thing of beauty », in http://www.billboardliberation.com/, 30 septembre 2010. Miss’tic est une street artist française qui œuvre principalement à Paris. Les Guerrilla Girls sont un groupe d’artistes féministes fondé à New York en 1985 et connu pour créer et diffuser des affiches afin de promouvoir la place des femmes et des personnes de couleur dans les arts. Leur site : http://www.guerrillagirls.com/ Dernière consultation : 7 juillet 2014. 115 Les Guerrilla Girls ont arpenté le monde en affichant un de leur poster les plus célèbres : Do Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? 260. Ce poster représente trois campagne d’affichage en 1989, en 2004 et en 2011. Le poster en lui-même a évolué depuis la première campagne. Sur le poster originel on pouvait lire le message suivant : « Less than 5 % of the artists in the Modern Art sections are women, but 85 % of nudes are female. »261. En 2004 la situation ne s’étant amélioré Guerrilla Girls réitère son affichage : « Less than 3 % of the artists in Modern Art sections are women, but 83 % of nudes are female. »262. L’action est répétée une nouvelle fois en 2011 : « Less than 4% of the artists in Modern Art sections are women, but 76 % of nudes are female. »263. Ces actions de Guerrilla Girls permettent de mesurer l’évolution (ou la stagnation dans ce cas précis) du sexisme dans le monde de l’art. Les posters Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? sont affichés en rues, sur des endroits réservés habituellement aux panneaux publicitaires mais aussi dans des galeries. Tous ces mouvements, associations sont issus de la pensée philosophique de la deuxième vague féministe. Contre la dégradation de l’image de la femme dans la publicité, les féministes s’élèvent. S’ils critiquent souvent les connotations sexuelles dans les publicités, il ne faut pas croire que les militants sont opposés à l’exercice de la sexualité, comme l’exprime La Meute dans son manifeste. 260 261 262 263 GUERRILLA GIRLS, Do Women 2012. Annexes Tome 1 – 28. « Moins de 5 % des artistes de féminins », GUERRILLA GIRLS, 1989. « Moins de 3 % des artistes de féminins », GUERRILLA GIRLS, 2004. « Moins de 4 % des artistes de féminins », GUERRILLA GIRLS, 2011. Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? , poster 1989 – 2005 – la section art moderne sont des femmes, pourtant 85 % des nus sont Do Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? , poster, la section art moderne sont des femmes, pourtant 83 % des nus sont Do Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? , poster, la section art moderne sont des femmes, pourtant 76 % des nus sont Do Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? , poster, 116 Oui à la sexualité — dialogue de désirs entre des personnes Oui au respect de la personne humaine !264 Militant autant sur le terrain en indiquant les publicités sexistes que sur internet en informant des conséquences de ses publicités et des dégradations quotidiennes de l’image de la femme, les groupes anti-publicitaires combattent la marchandisation de l’humanité et en particulier de la femme. Conclusion L’anti-pub offre des formes esthétiques proches du Street Art. Elle partage avec l’art de rue un même lieu d’action, ainsi que les mêmes risques de répression pour dégradation. Les pratiques des street artists et des acteurs de l’anti-pub sont semblables : ils agissent dans la rue et offrent leurs pièces au public. Ce public est d’ailleurs le même. Très éloigné d’un public de galerie, il n’est ni mesurable, ni culturellement trié. Certains groupes comme le BLF utilisent la technique du Cultural Jamming, le détournement d’éléments médiatiques, une technique également utilisée par des street artists comme ZEVS et PosterBoy. Les formes d’action anti-pub se révèlent similaires aux actions des autres luttes sociales, telles que la lutte contre la vidéo-surveillance et la défense de l’environnement. Mieux : ces luttes sont liées et les acteurs interviennent souvent au sein de ces différents combats. 264 Extrait du Manifeste de La Meute lancé le 28 septembre 2000 par Florence Montreynaud. 117 La question du sexisme dans la publicité se révèle prendre une part importante pour les différents groupes cités. Ceux-ci consacrent plusieurs détournement ou action à lutter contre les slogans dégradants ou stéréotypés. Le publisexisme n’est pas seulement une passerelle entre deux mouvements de lutte, il s’agit d’une part entière de l’anti-pub. Ce chapitre nous a permis de mieux comprendre l’anti-pub, ses pratiques comme son idéologie. Ce mouvement se retrouve situé à gauche sur l’échiquier politique, ses actions sont généralement illégales, voire anonymes, toujours réalisées en rue. Ces derniers points rapprochent l’anti-pub sur Street Art. Le public de l’anti-pub se révèle être le même que celui du Street Art : le public de la rue. Une telle identité conduit nécessairement à s’interroger sur la réception de l’anti-pub par ce public : comment il réagit lorsque l’on l’invite à réfléchir sur la pub en pleine rue pose question. 118 Chapitre III L’art dans l’anti-pub, l’anti-pub dans l’art 119 Ce dernier chapitre permettra d’aborder les rapports de l’anti-pub avec le monde de l’art. Depuis plusieurs années le Street Art bénéficie d’une cote de popularité exceptionnel. L’anti-pub en tant qu’art de rue un peu particulier, profite un peu de cette couverture médiatique. Grâce à la popularité du Street Art l’anti-pub a pu peu à gravir les échelons du monde de l’art, et peut-être même entrer aussi un jour dans les galeries. Cette médiatisation nous permet aussi de nous pencher sur la question de la réception de l’antipub, à savoir ce que pense l’homme de la rue de l’anti-pub, mais aussi les publicitaires (les premiers concernés) et les médias. La question du statut de l’anti-pub dans le monde de l’art se pose ici. Il est intéressant de se pencher sur la reconnaissance ou non des acteurs de l’anti-pub comme artiste. Comment peut-on déterminer ou non ce qu’est un artiste et qui le décide. Ce chapitre pose également la question de la réception ou plutôt de la réaction à l’anti-pub. Ce que pensent les publicitaires des actions anti-publicitaires. La réaction des publicitaires nous interroge également sur les relations entre le monde de la pub et les journalistes. Dans un premier temps nous aborderons la question de la réception de l’anti-pub. Ainsi nous nous pencherons sur l’opinion du public de la rue, puis sur celui des publicitaires. Enfin nous nous attacherons au traitement de l’anti-pub par les médias. Pour cela nous traiterons différemment les connivences entre les géants publicitaires et les journalistes. Puis nous aborderons comment les médias traitent et retransmettent les actions anti-pub. Dans un second temps nous nous interrogerons sur l’institutionnalisation de l’antipub, son rapport avec le monde de l’art. Tout d’abord nous intéresserons au Street Art et à son importance dans l’acceptation de l’anti-pub. Enfin nous étudierons l’exemple d’une exposition anti-pub en galerie. 120 1. La réception de l’anti-pub Contrairement aux formes d’art traditionnelles que l’on retrouve en galeries, l’antipub est une forme d’expression au caractère illégal. Cette caractéristique conditionne sa réception. De fait le public rencontre rarement l’auteur du détournement qu’il observe. Sauf dans le cas des Déboulonneurs, il n’y a pas d’échange direct entre public et artiviste. Le militant anti-pub n’a pas de possibilité de s’expliquer à son public autrement que par le biais de son site ou par des communiqués de presse. Pour cette raison la médiatisation du mouvement anti-pub est essentielle. C’est par la presse, qu’elle relaie des démêlés avec les publicitaires ou des actions, que les anti-pubs peuvent faire entendre leurs voix à un public néophyte. ◦ Le public de la rue L’analyse du public d’une œuvre d’art permet souvent de caractériser une œuvre d’art. Le public de l’anti-pub comme celui du Street Art n’est pas un public culturellement trié, que ce soit par l’institution — musée ou galerie. Il s’agit du simple passant venant de tous horizons. Le Street Art ne s’adresse donc pas à un public qui désire sa présence. Si l’art de rue trouve des amateurs, il a longtemps été décrié par la critique, associé à une « maladie urbaine »265. 265 MAC DONALD Heather, « Graffiti Is Metastasizing Again in New York, and Guess Who’s Applauding » in New York Sun, 17 juillet 2002. 121 Le Street Art, c’est l’art de choisir le bon lieu pour « poser son œuvre ». Un bon lieu c’est-à-dire pouvoir créer illégalement sans se faire arrêter par les forces de l’ordre donc suffisamment discret. Mais il faut aussi que ce que l’on a produit puisse être vu depuis la rue ; un dilemme donc. Dans son Do It Yourself Graffiti Guide, BUGA-UP explique à l’apprenti graffeur anti-pub quelle est le meilleur moment pour opérer : One word of warning. Contrary to popular myth, the worst time to graffiti on billboards is between 10pm and 8am. During this period there are proportionately more police out on the road than at any other time, and often they haven’t got anything better to do than arrest you. The majority of BUGA-UP arrests (small in number compared to the number of billboards that have been refaced) have been made after midnight.266 Si le meilleur moment n’est pas forcément la nuit, demeure toujours pour les artivistes la question du lieu. Concernant les anti-pubs, cette question est plus limitée, puisqu’ils agissent essentiellement sur des panneaux ou écrans publicitaires. L’avantage dans le détournement publicitaire réside dans le fait que le support qu’on barbouille est impérativement visible de la rue. Les emplacements des panneaux publicitaire sont stratégiquement choisis afin de toucher le maximum de personne. Il s’agit donc d’un podium idéal pour les anti-pub. Les action produites par l’anti-pub et l’art de rue sont intrinsèquement liées au lieu où elles ont été réalisées. Si le choix du lieu est judicieux il renforce la polysémie de l’œuvre, ce qui influe sur la réception. Les lieux sont eux-mêmes bien souvent chargés d’histoire, y introduire un élément artistique peut permettre de raviver une mémoire collective. L’artiste français Ernest Pignon-Ernest a réalisé en 1971 267 pour le centenaire de la Commune de Paris plusieurs centaines de sérigraphies représentant les victimes qui ont émaillé la lutte 266 267 BUGA-UP, Do It Yourself Graffiti Guide, 1981. « Court avertissement. Contrairement à la croyance populaire, le pire moment où faire un graffiti sur les panneaux est entre dix heures du soir et huit heures du matin. Pendant ce laps de temps il y a proportionnellement plus de policiers dans les rues que durant toute autre période, et bien souvent ils n’ont rien de mieux à faire que de vous arrêter. La majorité des interpellations de membres de BUGA-UP – rares comparées au nombre de publicités réagencées – ont été réalisées après minuit. » ERNEST PIGNON-ERNEST, La commune, 1971, sérigraphies, Paris. Annexes Tome 1 – 29. 122 des parisiens pour la liberté. L’artiste les a collées dans les endroits conservant la mémoire de ces événements historiques (comme Montmartre par exemple). Cette œuvre vise à apostropher les habitants sur l’histoire de leur ville, de leur quartier et de leur pays, et plus particulièrement sur les hommes et les femmes qui se sont battus pour la liberté. Plus ancré dans l’actualité des habitants John Fekner réalise en 1980 Broken Promises/Falsas promesas268 sur un bâtiment en décrépitude au sud du Bronx. Cette phrase simple, bilingue, peinte en noir et blanc interroge sobrement sur la faille sociale de la ville de New-York. Il s’agit d’une œuvre qui s’adresse réellement aux habitants du quartier, questionnant leurs conditions de vie et les problématiques urbaines. L’anti-pub et certaines formes de Street Art cherchent souvent à interpeller, faire réfléchir ou même « éveiller les consciences ». Cet aspect n’est pas forcement peut être considéré comme déplacé, simpliste ou même intrusif. Le street artist Banksy a remis en question sa démarche lors de ses interventions sur la Barrière de séparation israélienne en 2005. L’artiste anglais a réalisé plusieurs peintures et pochoirs évoquant l’évasion (échelle, cadre à découper, petite fille s’envolant avec des ballons...) sur différents endroits du mur. Dans son livre Wall and Piece269, Banksy retranscrit l’un de ses échanges avec un autochtone : 268 269 270 Old man : You paint the wall, you make it look beautiful Me : Thanks Old man : We don’t want it to be beautiful, we hate this wall, go home 270 FEKNER John, Broken Promises/Falsas Promesas, 1980, fresque, Sud du Bronx, New-York. Annexes Tome 1 – 29. BANKSY, Wall and piece,Londres, Century, 2005, Ibidem, p142. « Vieil homme : Vous peignez sur le mur, vous le rendez beau. Moi : Merci. Vieil homme : Nous ne voulons pas qu’il soit beau, nous détestons ce mur, rentrez chez vous ! ». Traduit par nos soins. 123 Banksy se trouve confronté à la réception de son œuvre, ce qui est assez rare dans l’art de rue, puisqu’il y a rarement un vernissage. Le vieil homme lui montre que même avec des intentions nobles (une volonté de montrer la cruauté et l’aspect carcéral du mur) l’artiste ne répond pas forcement aux attentes du public qu’il vise. S’il se reconnaissent plus comme des activistes que des artivistes, les Déboulonneurs utilisent des techniques proches du happening pour leurs actions. Accompagnés de musique, voire de clowns ou de prieurs, ils barbouillent joyeusement. Après le barbouillage (et l’arrestation s’il y a) les militants et sympathisants chantent ensemble et répondent aux questions du public. Contrairement aux happenings le public ne participe pas forcement à l’action mais il peut venir grossir la foule des sympathisants. Les Déboulonneurs se confrontent à la réaction du public en ouvrant des débats publics sur les lieux d’action. Les Déboulonneurs attendent et souhaitent provoquer une réaction du public. Ils prennent à témoin ce public composé généralement du simple passant au militant. Le parti pris volontairement choquant pour le public a pour but de susciter une remise en question du spectateur. Pour parvenir à ce sentiment l’anti-pub utilise des techniques similaires à celles qui sont employées par les publicitaires. Il s’agit là d’un bien étrange paradoxe. Il s’agit pourtant d’un des reproches fait aux anti-pubs. Si l’on observe les pièces anti-pub on ne peut que remarquer des similitudes avec les affiches publicitaires. En effet, le contre-affichage et le barbouillage de slogans relèvent d’une simplification des messages propagés. Les Déboulonneurs proposent sur leur site une anthologie des slogans inscrits sur les panneaux barbouillés qu’ils appellent la phrasothèque. En voici quelques exemples : Regarder la publicité, c’est la faire vivre. Regarder la publicité n’est pas un droit, c’est un devoir. Quand la publicité n’est pas là, les cervelles dansent. 124 Regardez-vous cette affiche librement ? Publicité, marée noire sur la matière grise La publicité déforme, regardez-vous Pour tuer une affiche, il suffit de tourner la tête La publicité réduit l’espace public L’esprit se noie dans la publicité Publicité, gélatine mentale271 Ces slogans s’appuient sur une rhétorique similaire à celle des slogans publicitaire. Le rythme des phrase est binaire. Les deux membres de la phrase ont la même construction, ce qui permet d’obtenir une symétrie qui induit le parallélisme ou l’opposition des idées. On peut citer par exemple : « Regarder la publicité, c’est la faire vivre. », « Pour tuer une affiche, il suffit de tourner la tête » ou « Publicité, gélatine mentale ». On retrouve les mêmes schémas rythmiques employés par les agences publicitaires de grandes marques : « La vie, la vraie » (Auchan), « Si t’as pas d’amis... Prends un Curly ! » etc. Poussons plus loin l’analyse rhétorique : un slogan n’est pas seulement fait pour être lu, il doit résonner. L’étude des phénomènes de l’accentuation et de l’intonation, la prosodie, nous apprend à mesurer les variations de hauteur, de durée et d’intensité. On distingue dans une phrase complexe trois périodes dans une phrase : la protase (voix montante), l’acmé (voix au paroxysme, élément le plus appuyé de la phrase) et l’apodose (voix descendante). Si l’on applique cette théorie aux exemples de la phrasothèque, voici ce que cela nous donne : 271 LES DÉBOULONNEURS, « Prasothèque », in http://www.deboulonneurs.org/, 18 janvier 2009. Dernière consultation : 9 juillet 2014. 125 « Regarder la publicité n’est pas un droit, c’est un devoir ». On distingue nettement l’acmé dans le mot « droit ». La virgule oblige le lecteur à faire une pause, produisant ainsi l’effet emphatique sur le terme qui la précède. « Quand la publicité n’est pas là, les cervelles dansent. ». Ici l’acmé insiste sur la formulation « pas là » encore soutenu par la virgule. Il est important de noter une autre technique souvent employée par les publicitaires, celle de référence à la culture populaire. La phrase reprend le célèbre proverbe « Quand le chat n’est pas là les souris dansent ». Les annonceurs s’approprient eux aussi des éléments de la culture populaire, jusqu’à devenir eux-mêmes une nouvelle forme de culture populaire. La marque de fromage industriel Babybel s’est fait connaître grâce à une publicité télévisuelle qui reprenait, pour ses consonances avec le nom Babybel, le thème de la chanson Marylène du groupe Martin Circus272. Pour beaucoup de jeunes français l’air de cette chanson évoque d’abord un petit fromage rond et rouge plutôt qu’une musique des années 1960. Pour la phrase « Regardez-vous cette affiche librement ? » l’acmé appuie sur le « vous ». Cette phrase n’est pas construite sur un rythme binaire, de plus elle est interrogative, ce qui place l’acmé non pas vers le milieu de la phrase mais sur le sujet. L’intonation de la phrase apostrophe le public comme si elle s’adressait à lui en particulier. Encore une fois on retrouve cette technique pour beaucoup de publicités. On peut opérer un rapproche entre cette formulation et les nombreuses affiches sur lesquelles les individus photographiés semblent regarder le spectateur droit dans les yeux. Un exemple parmi tant d’autres : la publicité pour la machine à café Nespresso273, où le comédien George Clowney dévisage le spectateur. Cet effet de style crée un sentiment d’unicité chez le spectateur. La publicité, ou l’anti-publicité s’adresse à lui et à lui seul. Il est concerné. 272 273 MARTIN CIRCUS, Marylène, 1975. Cette chanson est elle-même est une adaptation du tube Barbara Ann écrite en 1961 par le groupe The Regents et popularisée par ses reprises des Beach Boys et des Who en 1965. NESPRESSO, « Nespresso. What else ? ». Annexes Tome 1 – 30. 126 On reproche souvent aux acteurs du mouvement anti-publicitaire d’utiliser les moyens qu’ils dénoncent, à savoir les techniques publicitaires. En effet, le contre-affichage et le barbouillage de slogans relèvent d’une simplification des messages propagés. Ces techniques ont cependant un caractère artisanal, à l’opposé des techniques industrielles utilisées dans la publicité permettant de diffuser un même message à très grande échelle. En ce qui concerne le Billboard Liberation Front, le fait de se fondre dans la matière publicitaire relève d’une véritable volonté artistique. Afin de créer un effet de surprise et pousser le caractère ironique du détournement à son paroxysme il est important que le public ne s’aperçoive pas immédiatement des améliorations qui on été ajoutées. De plus, les techniques publicitaires comme le slogan ou le refrain ne sont que des récupérations de méthodes rhétorique déjà employées à la Rome Antique telles l’aphorisme, le proverbe, l’adage ou le dicton. Leur utilisation par les anti-pubs n’est donc qu’une réappropriation de ces outils à des fins différentes de celles de la propagande consumériste. Il faut en outre pas négliger l’engouement que peut susciter pour lui même le phénomène publicitaire, qui n’est pas majoritairement décrié – bien au contraire. Avec la popularisation de la télévision dans les années 1970, beaucoup d’enfants ont grandi avec des images publicitaires qui font partie de leur univers visuel. Si le nombre de publiphiles diminue depuis quelques années (de 20 % en 2004 à 14 % en 2013), les français aiment encore la pub. En 2013, 71% la jugent utile et/ou agréable et 52% utile 274. On est bien loin des modes de pensée anti-pub. Beaucoup d’éléments montrent des tensions possibles entre les anti-pubs et leur public : des différences de point de vue, l’aspect transgressif du Street Art ou encore 274 Source : sondages réalisés en 2013 par l’agence Australie – TNS Sofres. Australie est une agence qui assure les fonctions de conseil en stratégie média et achat d’espace publicitaire. 127 l’interpellation constante des anti-pub. Cependant les anti-pubs possèdent de nombreux sympathisants, la foule qui accompagne les Déboulonneurs à chacune de leurs actions le prouve. ◦ Réaction des publicitaires S’il est difficile de mesurer les réactions du public de la rue face aux actions et détournements anti-pub, celles des publicitaires sont plus aisément identifiables, et cela notamment grâce aux Déboulonneurs. Les barbouilleurs sont régulièrement convoqués au tribunal pour dégradation ce qui permet d’avoir un assez bon aperçu de l’opinion des publicitaires sur cette forme d’anti-pub. Contrairement aux annonceurs bienveillants des Humains Associés qui ont permis à l’association humanistes d’utiliser plusieurs centaines d’espaces publicitaires, les agences publicitaires se montrent rarement bienveillantes envers les Déboulonneurs. Selon Florence Amalou les publicitaires considèrent l’anti-pub comme ayant peu d’impact : En France, les contestataires n’existent pas. « Ils ne s’agit que de quelques excités », m’ont souvent affirmé des publicitaires d’un ton condescendant. 275 Pourtant lors des procès des Déboulonneurs les agences de pub comme Metrobus 276, JCDecaux, ou Publicis277 ne cessent de demander de fortes amendes pour les barbouilleurs. 275 276 277 AMALOU Florence, Le livre noir de la pub, quand la communication va trop loin, Paris, Stock, 2001, p317. Metrobus appartient au groupe de régie publicitaire Media Transport, spécialisé dans la communication au sein des transports publics. Metrobus a été crée en 1947 par Havas et Publicis pour l’explotation de la publicité du réseau de la RATP. Les principaux actionnaires de la société sont Publicis et JCDecaux. Publicis est un groupe de communication français fondé en 1926 par Marcel Bleustein-Blanchet. Le chiffre d’affaire de Publicis groupe s’élève à 6 953 milliards € en 2013. 128 Sur leur site, les Déboulonneurs relatent le jugement de six barbouilleurs au tribunal correctionnel du 25 mars 2013 : Chefs d’accusation pour les six prévenus : Refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son empreinte génétique par soupçonnée de crime ou délit ; dégradation ou détérioration grave de panneaux publicitaires commise en réunion. [...] La société JCDecaux se constituait partie civile et versait aux débats une facture de nettoyage du panneau de 895 euros.278 Un coût important pour des militants et bien faible pour les agences publicitaires. Pourtant certaines de leurs réactions nous donne l’occasion d’observer l’impact de l’anti-pub sur le monde de la publicité. Un article sur le site de la Brigade Anti-Pub cite Gérad Unger, conseiller du président de Publicis et président-directeur général de Médiavision279 s’en prenant aux actions anti-pubs : L’opération panneaux blancs aura permis à la RATP sinon de prendre de court les contestataires, au moins de tempérer son image d’intransigeance. Pour pas cher. Sur le papier, la campagne est généreuse : 47 affiches blanches de 4 mètres par 3 sont mises à disposition pour tous les gribouillages dans 24 stations de métro jusqu’au 18 mars. La station Liberté, sur la ligne Balard-Créteil, a même été rebaptisée Liberté d’expression. Mais le coût est négligeable. «Nous nous sommes contentés de repousser d’une semaine les campagnes prévues sur ces panneaux, explique Gérard Unger, le PDG de Metrobus. Or les campagnes se calculent généralement par 500 panneaux.» À combien se chiffre la renonciation aux 47 emplacements ? À peine 20 000 euros, si on se fie aux tarifs de Metrobus: la formule la moins chère pour une semaine sur 150 panneaux vaut 65 800 euros. [...] 278 279 LES DÉBOULONNEURS, « Jugement correctionnel (relaxe) du 25 http://www.deboulonneurs.org/, 5 juillet 2013. Dernière consultation : 10 juillet 2014. Médiavison ou Jean Mineur, régie publicitaire de cinéma (filiale du groupe Publicis) 129 mars 2013 », in Si le métro joue sur les deux tableaux, c’est que l’enjeu est d’importance. Metrobus est la première touchée par les anti-pubs. Concessionnaire de la RATP, elle lui verse chaque année 77,25 % pour les affiches dans le métro et sur les bus, soit 65 millions d’euros en 2003. Or les quatre « raids » anti-publicitaires entre octobre et décembre ont représenté près de 1,3 million d’euros de manque à gagner. « À chaque opération, les anti-pub ne maculent pas seulement quelques affiches, s’enflamme Gérard Unger. Ce sont 2 500 à 3 000 panneaux qui sont graffités. Nous avons versé 850 000 euros de compensations à nos clients et 440 000 euros ont été consacrés à la remise en état des panneaux. » Gérard Unger et Anne-Marie Idrac (PDG de la RATP), n’attendront pas le 18 mars pour savoir si l’opération « Liberté d’expression » est une réussite. « Ce qui compte, souligne le publicitaire, c’est le résultat du sondage que nous avons financé avec la RATP et qui montre que l’opinion n’est pas favorable aux anti-pubs. » D’après une enquête de BVA auprès de 800 personnes le mois dernier, 75 % des Franciliens désapprouvent les barbouillages. Ils ne sont toutefois que 63 % à admettre que la publicité soit nécessaire au financement des transports publics.280 Il faut toutefois que les actions anti-pubs aient un certain impact pour susciter de telles réactions. Un autre exemple démontre la gêne causée par les anti-pubs aux régies publicitaires. L’hebdomadaire Le canard enchaîné révèle un surprenant fait divers : Fin juin 2013, le jeune Tanguy Aubé [...] croise, en plein centre ville de Toulouse, quatre « sucettes »281[...]. La pub, il n’aime pas. À l’aide d’une clé Allen, il ouvre les sucettes, déchire les affiches et fait disjoncter l’alimentation électrique du cinquième panneau 282. C’est alors que déboule, comme par enchantement, un employé de JCDecaux. « J’ai vu une fourgonnette juste derrière moi, dit le jeune anti-pub. J’ai entendu le conducteur crier ‘je vais te crever’ à plusieurs reprises. Il a accéléré pour me rattraper. Il m’a talonné un moment avant de toucher la roue arrière du vélo. » Effrayé, le jeune homme 280 281 282 BRIGADE ANTI PUBLICITAIRE, « 20 000 euros pour amadouer les antipubs », www.bap.propagande.org/ À propos de l’opération « Liberté d’expression » en mars 2004. La RATP offrit au public l’ensemble des espaces publicitaires de la station Liberté pour écrire ce qu’ils voulaient. Cette opération répondait aux dégradations des publicités dans le métro aux mois d’octobre et novembre 2003. Panneau sucette ou MUPI (Mobilier Urbain Pour l’Information) est un panneau publicitaire de 1,20 m × 1,76 m, soit environ 2 m², avec une face pour l’affichage publicitaire et la seconde pour l’information municipale. Le principe est proche de celui de l’Abribus, et fut appliqué pour la première fois en 1972 par la société multinationale JCDecaux. Les MUPI sont généralement équipés d’un système d’éclairage intérieur. Cette technique d’anti-pub « en solo » ou « sur le pouce » est souvent utilisée par les différents groupes d’anti-pub. Elle est expliquée en détail sur le site des Brigades anti-pub : « Ouvrir tous les panneaux JCD ». 130 file au commissariat pour porter plaine pour mise en danger de la vie d’autrui. Mauvaise pioche ! l’afficheur était déjà là pour déposer, lui aussi, un plainte pour dégradation de bien privé. [...] L’affaire est passée au tribunal correctionnel de Toulouse ce jeudi 13. Le procureur a demandé 140 heures de travail d’intérêt général, et JCDecaux 946 euros de dommages et intérêts [...]. Mais par quel miracle l’employé de JCDecaux s’est-il retrouvé sur les lieux ? Pur hasard ? Pas du tout. Tout simplement parce que le panneau de pub est équipé d’un très discret mouchard. « C’est en fait un système téléphonique, genre petit modem, qui est intégré directement dans le panneau, détaille Jean-Pierre Viaud, délégué CGT chez le roi de l’affichage. En cas de dysfonctionnement, ça envoie un SMS en direction du PC central et sur le téléphone portable de l’afficheur chargé du secteur géographique où a été détecté le problème ». De la rapidité de l’intervention dépend la prime de l’afficheur : 250 euros par trimestre – appréciable lorsqu’on touche un salaire en 1 300 et 1 700 euros. « Normalement, on ne doit pas réagir si on prend quelqu’un sur le vif en train de dégrader » assure Patrick Mir, lui aussi délégué CGT Toulousain. 283 Bien sûr il s’agit d’une initiative personnelle non revendiquée par le groupe JCDecaux, néanmoins de telles actions dénotent une volonté de stopper ces dégradations qui nuisent à l’image des sociétés de régie publicitaire. Le groupe Media Transport s’est lui aussi illustré dans « l’aversion anti-publicitaire » en portant plainte contre l’hébergeur de sites internet Ouvaton afin d’obtenir l’identité des créateur d’un site web : http://stopub.ouvaton.org. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a finalement ordonné à l’hébergeur Ouvaton de communiquer à Metrobus « les données strictement nécessaires à l’identification » des animateurs du site stopub.ouvaton.org. Ouvaton avait toujours affirmé être prêt à communiquer les coordonnées des responsables du site, à condition que cette demande soit formulée dans un cadre légal, autrement dit par un juge.[...] Cette décision du juge des référés intervient après le spectaculaire déploiement de forces de police, vendredi dernier (28 novembre), pour empêcher les sympathisants du mouvement StoPub d’envahir à nouveau sept stations de métro et de badigeonner de graffitis et slogans les espaces publicitaires de la RATP (gérés par la régie Metrobus). 284 283 PROFESSEUR CANARDO, « Un mouchard était caché dans le panneau », in Le Canard enchaîné, mercredi 19 février 2014, p5. 131 Après maints rebondissements, la plainte s’est soldée en demi-teinte. Ouvaton a dû livrer les informations qu’il possédait, mais n’a pas eu d’amende. L’identité fournie par le créateur du site s’est révélée fausse et le site s’est vu aussitôt dupliqué sur de multiples serveurs. C’était à prévoir : les publicitaires ne sont pas favorables aux anti-pubs. Les deux camps luttent l’un contre l’autre. Les anti-pub détériorent les publicités, ce qui occasionne une perte d’argent pour les afficheurs. Mais comme le dit si bien le groupe australien BUGA-UP : It’s a sad fact, but we’ve learnt through long experience that money is the only language billboard advertising companies understand. 285 ◦ La médiatisation de l’anti-pub Au début du XXIe siècle un débat sur la question du graffiti (art ou vandalisme ?) fait rage entre deux importants quotidiens new-yorkais, le New York Times et le New York Sun286. Depuis le début des années 2000 la rédaction du New York Times a choisi de traiter à plusieurs reprises l’aspect artistique de certains graffiti. Sa plus farouche opposante, Heather Mac Donald287, le souligne dans son article What Aerosol! : 284 285 286 287 DUVAL Loïc, « Ouvaton doit livrer les coordonnées de StoPub à Metrobus », in http://www.01net.com/, 1er décembre 2003. Dernière consultation : 10 juillet 2014 BUGA-UP, Do-It-Yourself Graffiti Guide, 1981. « C’est un triste fait, mais nous avons appris par expérience que l’argent est bien la seule langue que comprennent les compagnies qui exploitent les panneaux publicitaires. » Le New York Sun est un quotidien new-yorkais conservateur publié d’avril 2002 à septembre 2008. Heather Mac Donald (1956 – )est une journaliste politique conservatrice. Elle contribue à la rédaction de journaux new-yorkais comme le City Journal. 132 – September 21, 2000: the Times reports a dispute between graffiti “artists” and an art gallery over who owns the “art” works (graffiti-splattered stolen subway doors) in a museum show. The Times overlooks the irony of the vandals’ ownership claims. – September 22, 2000: the Times lauds the “exuberantly pictorial writing of graffiti art.” – September 27, 2000: the Times quotes a “graffiti artist” who calls graffiti part of the “visual arts.” – October 10, 2000: the Times notes with surprise that the police “consider the spraypainting of other people’s property a crime and not art,” a misconception that led to the arrest of an “artist” in a gallery show of graffiti. – June 19, 2001: N. R. Kleinfeld reports on some “graffiti writers” who began by “decorating” subway cars. – March 1, 2001: the Times fawningly profiles one of the “most sophisticated of the graffiti writers who moved aerosol art from the New York subway system to the embrace of the gallery world,” an “aesthete” who made “even the hostile environs of the subway his own.”288 Dans l’éditorial du New York Sun289 du 17 juillet 2002, elle compare le graffiti à des métastases et s’en prend violemment au New York Times qui n’évoque que les questions artistiques, concluant par cette phrase : « The Times is a fitting mouthpiece for a generation 288 289 MAC DONALD Heather, « What Aerosol! » in City Journal, été 2002. « – 21 septembre 2000 : le Times rend compte d’un débat entre des street- “artistes” et une galerie d’art au sujet de qui possède les œuvres d’”art” (des portes de métro couvertes de graffitis) dans une exposition de musée. Le Times néglige le caractère ironique des revendications des vandales. – 22 septembre 2000 : le Times loue ”l’écriture picturale exubérante de l’art du graffiti”. – 27 septembre 2000 : le Times cite un “artiste” pour qui le graffiti fait partie des “arts visuels”. – 10 octobre 2000 : le Times rapporte avec étonnement que la police “considère que peindre à la bombe sur la propriété d’autrui est une infraction et non de l’art”, une erreur qui conduisit à l’arrestation d’un “artiste”dans une exposition de graffitis. – 19 juin 2001 : N. R. Kleinfeld produit un papier sur quelques “écrivains du graffiti“ qui commencèrent par “décorer” les voitures du métro. – 1er mars 2001 : le Times fait le portrait de l’un des « écrivains du graffiti les plus sophistiqués qui fit déménager la peinture aérosol du réseau du métro de New York pour le faire conquérir le monde des “galeries”, un “esthète” qui réussit à dompter “même les environs du métro”. » MAC DONALD Heather, « Graffiti Is Metastasizing Again in New York, and Guess Who’s Applauding » in New York Sun, 17 juillet 2002. 133 that refuses to grow up. »290. Heather Mac Donald considère ses articles comme la voix du public conservateur. Considéré par une partie de la population comme une dégradation, le Street Art n’a pas encore acquis son public. Cherchant à égayer et à prendre possession de la toile urbaine, l’art de rue reste un art en dehors des conventions artistiques classiques. Il ne cherche pas être rangé dans une case, confiné dans une galerie. De part sa nature politique, l’anti-pub est confronté à d’avantages de difficultés pour trouver son public. Comme pour le Street Art, l’anti-pub peut déplaire par son caractère illégal, associé aux tags et à la dégradation de biens publics. Mais c’est aussi d’un point de vue politique que la lutte contre la publicité peut déplaire. Comme toute forme d’action politique, elle trouve ses opposants. Les plus farouches opposants de l’anti-pub sont, comme nous l’avons vu, les publicitaires. Or les grands groupes publicitaires français sont proches des milieux politiques et médiatiques. Le livre de Serge Halimi291 Les nouveaux Chiens de garde292 (ainsi que son adaptation documentaire293), fait l’étalage de la collusion entre les pouvoirs médiatiques, politiques et économiques. Halimi s’inspire du livre de Paul Nizan, Les Chiens de garde294, publié en 1932. Ce dernier est un essai pamphlétaire dirigé à l’encontre de philosophes connus de l’époque (Bergson, Émile Boutroux, Lalande...). Nizan, philosophe communiste, juge ces penseurs trop éloignés du quotidien des individus sur lesquels ils 290 291 292 293 294 Ibidem « Le Times fournit le discours idéal pour une génération qui refuse de grandir » Source : http://www.manhattan-institute.org/html/_nys-graffiti.htm Dernière consultation : 7 juillet 2014 Serge Halimi est un écrivain et journaliste français. Il est membre de l’équipe de rédaction du Monde diplomatique depuis 1992. Depuis mars 2008 il en est le directeur. HALIMI Serge, Les nouveaux Chiens de garde, Paris, Liber-Raison d’agir, 1997. Les nouveaux Chiens de garde, réalisé par Gilles BALBASTRE et Yannick KERGOAT, France, 2012, 104 min. NIZAN Paul, Les Chiens de garde, Paris, Rieder, 1932. 134 énoncent leurs théories : ils parlent de l’homme sans le connaître. Il considère que ces hommes n’ont d’autre but que de justifier la reproduction des clivages sociaux et de perpétuer la morale et les valeurs de la classe bourgeoise. Les « chiens de garde » sont pour Paul Nizan ces philosophes qui s’intéressent à l’Homme (en tant que concept philosophique) mais pas à l’homme. Il déplore ces penseurs qui ne font que reproduire le schéma social et qui ne semblent philosopher que pour leur classe sociale : la bourgeoisie. Halimi réactualise son œuvre en se penchant sur ses contemporains : il cible ceux qui font l’information et qui transmettent l’idéologie. À base d’images d’archives, d’enquêtes, et d’interviews Halimi résume sa thèse dans l’explicit de son essai : Parlant des journalistes de son pays, un syndicaliste américain a observé : « Il y a vingt ans, ils déjeunaient avec nous dans des cafés. Aujourd’hui, ils dînent avec des industriels. » En ne rencontrant que des « décideurs », en se dévoyant dans une société de cour et d’argent, en se transformant en machine à propagande de la pensée de marché, le journalisme s’est enfermé dans une classe et dans une caste. Il a perdu des lecteurs et son crédit. Il a précipité l’appauvrissement du débat public. Cette situation est le propre d’un système: les codes de déontologie n’y changeront pas grand-chose. Mais, face à ce que Paul Nizan appelait « les concepts dociles que rangent les caissiers soigneux de la pensée bourgeoise », la lucidité est une forme de résistance. 295 Serge Halimi remet en question l’impartialité des grands médias, des journalistes, des spécialistes. Le rôle des médias est très important dans la vie quotidienne des individus, et des personnalités considérées comme des spécialistes ont un fort impact sur les raisonnements de chacun. Le documentaire de Kergoat et Balbastre montre la concentration de la presse, le corps-commun idéologique et financier, qui va à l’encontre d’une expertise impartiale attendue. Les auteurs démontrent également les liens entre les journalistes et les grandes firmes internationales (comme Bouygues, Boloré...), ainsi que la collusion avec les grands partis politiques. Des images d’archive montrent les journalistes Anne Sinclair et Christine Ockrent louer mutuellement leur indépendance journalistique et leur totale liberté d’action. Parallèlement le documentaire nous apprend que de nombreux journalistes célèbres (dont Christine Ockrent) acceptent de vanter les mérites d’entreprises 295 Serge Halimi, Les nouveaux Chiens de garde, Paris, Liber-Raison d’agir, 1997, p 155. 135 multinationales contre d’importants cachets — pratique que l’on nomme « faire des ménages ». Il y a là d’évidents conflits d’intérêts. Serge Halimi, comme Paul Nizan avant lui, rapproche cette collusion entre médias et pouvoir du fait que tous ces individus évoluent de le même environnement, la même classe sociale. En effet les journalistes comme la classe dirigeante appartiennent au même monde (comme ce fut le cas des philosophe des années 1930 de Nizan). Ils tentent alors de préserver le système économique et social qui leur permet de conserver le même rang social. Serge Halimi nous montre que dans notre monde contemporain les principaux acteurs économiques semblent tous s’accorder pour protéger le système capitaliste. Comme la publicité qui reconduit insidieusement auprès des individus des systèmes de valeurs, des désirs de consommation, une normalisation des individus, les médias permettent au système économique et social de perdurer. Au lieu d’enrichir le débat public par l’art comme le proposent certains anti-pubs afin de diversifier l’idéologie représentée sur les panneaux publicitaires ou d’idées comme le propose Frédéric Lordon 296 afin de réfléchir tous ensemble à un système économique plus égalitaire pour les hommes, les médias l’appauvrissent en s’accordant tous sur une pensée favorable à leur milieu, à leur classe. Marie Bénilde rédige un article sur la relation entre Publicis et le pouvoir dans le Monde diplomatique : [...] Une agence comme Publicis entretient des rapports très étroits avec les médias, tout en servant de conseil aux grands patrons. [...] Fort de ses réseaux Starcom Mediavest et Zenith Optimedia, le groupe, leader mondial de l’achat d’espace publicitaire, détient aussi un pouvoir considérable sur de très nombreux médias dont il peut affecter l’équilibre économique. 296 Frédéric Lordon (1962 -), économiste et philosophe français d’inspiration spinoziste. 136 [...] l’agence qui se prétend apolitique ne dédaignait pas, via Marcel BleusteinBlanchet297, de conseiller le général de Gaulle avant ses interventions télévisées. Et, aux Etats-Unis, le groupe Léo Barnett, filiale de Publicis, a conçu une campagne de recrutement de l’armée américaine qui a déclenché l’ire des manifestants pacifistes pendant la guerre d’Irak. [...] En France, via Publicis Consultant, M. Lévy 298 s’est employé à promouvoir le plan Fillon de réforme des retraites. On doit également au groupe la campagne de lancement de l’euro dans les pays européens et la mise en place de la monnaie unique en France. Le budget de « mise en circulation de l’euro » est revenu à Publicis en novembre 2000 sur décision du ministre de l’économie et des finances, M. Laurent Fabius, fidèle allié de l’agence.299 Outre les réseaux communs que partagent les publicitaires, la presse et les politiciens, Amalou met en exergue les moyens de pression utilisés par les afficheurs sur la presse. À l’exception de quelques irréductibles, la presse française est largement rémunérée par la publicité. Le Canard enchaîné est l’un des rares quotidien d’investigation à n’admettre aucune publicité dans ses pages. C’est pour cette raison que l’on y apprend les pressions subies par les médias qui ne peuvent les décrire dans leurs propres pages. Un exemple tiré du Canard cité par Florence Amalou dans son Livre noir de la pub : Dans son édition du 25 octobre 2000, sous le titre « Bernard Arnault prive de dessert Le Nouvel Obs », l’hebdomadaire300 affirme que le patron du groupe LVMH – sixième annonceur de la presse en 1998 avec ses 387 millions de francs de publicité – a fait annuler des campagnes prévues dans Le Nouvel Observateur parce que le magazine a critiqué sa stratégie. Cela faisait longtemps que ce type de micro-événement n’avait pas été mentionné dans la presse. On aurait presque cru qu’il n’en existait plus. Un article consacré aux déboires de LMVH sur Internet aurait fortement mécontenté le patron du groupe de luxe. Que contenait-il donc ? Pas d’attaques personnelles, pas d’insulte. Un journaliste s’interrogeait simplement sur les raisons du report à répétition de l’ouverture de la banque virtuelle Ze Bank. Ze Bank, c’est le projet étendard de Bernard Arnault dans l’e-buisness 301. Et voilà Bernard Arnault renouant avec des 297 298 299 300 301 Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de Publicis en 1926. Maurice Lévy, président du directoire de Publicis depuis 1988 BÉNILDE Maris, « Publicis, un pouvoir », Le Monde diplomatique, juin 2004. Le Canard enchaîné « Arnault bogue sur le Net », in Le Nouvel Observateur, 28 septembre 2000. 137 pratiques que l’on croyait oubliées. Voilà que son état-major, vengeur, punit par la suppression de la publicité le journal trouble-fête. Perte sèche pour le magazine : 1,5 million de francs. À ce moment Le Nouvel Observateur est fortement tributaire de sa pub. Le coup est dur.302 En 2012, les recettes publicitaires nettes des médias s’élevaient à 13,32 milliards d’euros 303. Un quotidien comme Le Monde a accordé 1 672 pages304 en 2012 à la publicité, Le Figaro 2 556305. L’impact d’une campagne de publicité sur le budget d’un journal ou d’une chaîne de télé est significative. Il est difficile dans ces conditions de défendre des groupes antipublicitaires. Pourtant, pour le Billboard Liberation Front comme pour les Déboulonneurs il est essentiel que leurs actions soient relayées dans les médias. Heureusement les médias alternatifs existent. Le Canard enchaîné ou la chaîne de télévision associative parisienne Télé bocal sont de fervents soutiens des Déboulonneurs. Grâce à leurs procès les Déboulonneurs jouissent d’un relais médiatique plus important qui permet de faire connaître leur action au grand public. Dans leur compte-rendu du procès en appel du 3 avril 2012, les Déboulonneurs parisiens dressent la liste des médias leur ayant accordé un article pour l’occasion : Les 8 militants avaient été relaxés en avril 2010 , une première pour le Collectif des déboulonneurs. Le parquet ayant fait appel de cette décision, nous nous sommes présentés une nouvelle fois à la barre pour dénoncer les méfaits du système publicitaire ainsi que l’hypocrisie et la complicité des pouvoirs politiques. [...] Revue de presse : – 2 avril, Le Parisien : Les antipubs retournent devant la justice demain ; – 2 avril, Le Figaro : Les antipubs de retour devant la justice à Paris ; 302 303 304 305 AMALOU Florence, Le livre noir de la Pub, quand la communication va trop loin, Paris, Stock, 2001, p247248. Source : IRPE 2012. Sondage réalisé pour l’observatoire de l’ePub SRI, par Capgemini Consulting, en partenariat avec l’UDECAM. Cette mesure ne prend pas en compte la publicité sur les médias en ligne. Source : Kantar Media 2012 Source : Kantar Media 2012 138 – 3 avril, Libération : Repas de soutien aux anti-pub avant leur procès ; – 3 avril, Actu Conso : Les déboulonneurs au tribunal ; – 3 avril, AFP : Publicité : les Déboulonneurs se battent pour voir confirmer leur relaxe ; – 4 avril, Le Monde : Au tribunal, les "Déboulonneurs" dénoncent le matraquage de la pub ; – 4 avril, Le Parisien : Les Barbouilleurs de pub revendiquent une action citoyenne ; – 4 avril, Libération : Les antipub à l’affiche ; – 4 avril, Les Inrocks : Pub : les déboulonneurs prônent la désobéissance civile ; – 3 avril, Blog Mediapart : Les Déboulonneurs plaident la désobéissance civile devant la Cour d’appel.306 Dans un monde où la publicité domine le microcosme de la presse, il est difficile pour les anti-pub d’obtenir un relais médiatique efficace. Grâce à leurs procès, les Déboulonneurs parviennent néanmoins à informer la population sur leurs actions. 2. L’institutionnalisation de l’anti-pub L’anti-pub est un art en rue, qui n’a pas forcement pour objectif de s’exposer en galerie. Grâce au Street Art et à sa popularité qui s’est développé ces dernières années, l’anti-pub se découvre un nouveau statut. Les groupes pionniers comme le Billboard Liberation Front sont ainsi élevés au rang de groupe d’artistes de rue, comme les Guerilla 306 LES DÉBOULONNEURS, « Compte-rendu du http://www.deboulonneurs.org/, Paris, 4 avril 2012. 139 procès en appel du 3 avril 2012 », in Girls. Alors que le Street Art s’installe peu à peu dans les galeries, nous sommes en droit de nous demander si l’anti-pub n’entrerait dans une phase d’institutionnalisation. ◦ Esthétique de la réception des arts urbains Les années 2000-2010 connaissent un engouement exceptionnel pour le Street Art. Les livres, expositions, articles sur le sujet se sont multipliés. Il est difficile de trouver une librairie d’art qui ne contienne d’ouvrage sur le sujet.Le Street Art intéresse de plus en plus les galeristes et le marché de l’art. Cet art autrefois sulfureux, occupant exclusivement la rue s’exile sans cesse plus vers les lieux traditionnels d’exposition. Preuve en est la prolifération d’expositions de ce type : l’artiste Kaws à la More Gallery en Suisse durant l’Art Basel de 2013307, l’exposition Parcours308 d’octobre à janvier 2013 qui laissait aux street artists libre cours à leur imagination dans 170 m2 en plein cœur de Montpellier, ou encore l’exposition Ex situ309, d’avril à juin 2013 installée dans le haut lieu de l’art actuel français, le Centre George Pompidou : le Street Art a décidément le vent en poupe. L’un des street artists les plus connus et les plus populaires reste Banksy. Son parcours dresse un portrait de la popularisation du Street Art ces dernières années. Banksy a commencé sa carrière de street artist underground en 1988 au Walls of Fire310 de Bristol. Il acquiert ainsi une notoriété dans le monde du Street Art. En 2003, il participe à une exposition dans une galerie londonienne, où il présente quelques toiles ( Show me the Monet311 entre autres). De 2003 à 2005 il s’infiltre dans les prestigieux musées du monde 307 308 309 310 311 « Kaws », exposition à la More Gallery, 9 juin au 26 août 2013, Giswil, Suisse. « Parcours », exposition à la ZAT (Zone Artistique Temporaire), 20 octobre au 6 janvier 2013, Montpellier. « Ex situ », exposition au Centre d’Art contemporain George Pompidou, 13 avril au 16 juin 2013, Paris. Walls of Fire : rendez-vous du monde du Street Art de Bristol. BANKSY, Show me the Monet, huile sur toile, 2003. Annexes Tome 1 – 30. 140 pour y accrocher ses propres toiles. Il pénètre ainsi dans le Louvre, le Metropolitan Museum of Art, Brooklyn Museum, Museum of Modern Art, le British Museum et le Natural History Museum de New-York. Ces actions connaissent un certain retentissement dans les journaux. À partir de l’année 2004 sa popularité grandit de façon exponentielle : L’année suivante312, il tient l’exposition appelée « Barely Legal » (à peine légal) à Los Angeles. C’est dans le cadre de celle-ci qu’il expose le tableau Éléphant dans la pièce (Elephant in a room) avec le fameux animal peint de motifs or et parsemé de fleurs, à la façon d’une tapisserie. Peu de temps plus tard, il présente la top modèle Kate Moss façon Warhol. La top y est dépeinte comme Marilyn Monroe sur quelques toiles, dans des palettes de couleurs variées. Ses impressions sur toile se vendent à un prix dépassant largement leurs valeurs estimées dans le cadre d’un encan chez Sotheby’s à Londres. »313 Cette exposition marque l’entrée officielle de Banksy dans le monde de l’art, et de son marché. Les toiles de l’artistes s’arrachent à prix d’or : Keep it Spotless314, vendu 1 230 000 € chez Sotheby’s à New York, le 14 février 2008 et The Rude Lord315, une peinture détournée, vendue 463 000 € chez Sotheby’s à Londres le 12 octobre 2007. Son documentaire Exit Through the Gift Shop (Faites le mur!) 316 sorti en salle en 2010 a beaucoup contribué à élargir sa renommée. Banksy domine le marché de l’art du Street Art, ses œuvres sont celles qui se vendent au prix le plus élevé. Cet engouement du marché de l’art pose une question éthique. Le Street Art est à l’origine un art gratuit, qui se partage dans la rue. Un art très éloigné des galeries chics de l’Upper East Side et des salles de vente, donc. Cet art est-il juste devenu un filon artistique commercial ? L’artiste Banksy donne son point de vue concernant cette question sur son site officiel : 312 313 314 315 316 En 2004. « La popularité de Banksy » in http://www.banksy-art.com/ (site officiel français de l’artiste) BANKSY, Keep it Spotless, 214 × 305 cm, bombe aérosol sur toile, 2007. Annexes Tome 1 – 31. BANKSY, The Rude Lord, 88 × 76 cm, huile sur toile, cadre d’origine, 2006. Annexes Tome 1 – 31. Exit Through the Gift Shop (Faites le mur!), Banksy, 2010, 87 min. 141 What’s the deal with Sotheby’s? As a kid I always dreamed of growing up to be a character in Robin Hood. I never realised I’d end up playing one of the gold coins. [...] Banksy is not represented by an art gallery, is not on Facebook and has never used Twitter.317 S’il profite du marché de l’art, Banksy reste un artiste hors-norme. Lors de sa résidence au mois d’octobre 2013 dans la ville de New-York, l’artiste s’est littéralement moqué du marché de l’art en installant une étale près de Central Park, sur la 5 e avenue. Le 14 octobre l’artiste installe sur des œuvres originales et signées au prix de 60$ pièce. Peu d’acheteurs ont été au rendez-vous de cette vente informelle. Sur la journée la vente a seulement rapporté 240$, ce qui est mince quand on voit à combien s’arrachent les Banksy chez Sotheby’s. Il s’agit d’un véritable pied de nez au monde du marché de l’art. L’artiste a décidé à cette occasion de revenir vers son public originel : l’homme de la rue. Cet esprit sulfureux ainsi que le mystère autour de l’artiste (l’anonymat de Banksy n’a encore jamais été révélé) contribuent à sa popularité. L’anti-pub en tant que « sous-genre » du Street Art (ou du moins partageant le même terrain de jeu) bénéficie de cet engouement populaire. l’anti-pub comme sous-genre du marché de l’art bénéficie de l’engouement. Carlo McCormick et le Wooster Collective ont réalisé un ouvrage qui tente de tracer une histoire de l’art urbain illicite. Ce livre regroupe à la fois des artistes de rue et des artistes anti-pub. Dans leur préface Marc et Sara Schiller du Wooster Collective318 expriment et défendent leur notion du Street Art : 317 318 BANKSY, « Q+A », in http://www.banksy.co.uk/ « C’est quoi l’embrouille avec Sotheby’s ? Enfant, j’ai toujours rêvé de devenir un des personnages de Robin des Bois une fois adulte. Je n’ai jamais réalisé que je finirais comme celui qui joue avec les pièces d’or. [...] Banksy n’est pas représenté par une galerie, n’est pas sur Facebook et n’utilise pas Twitter. » Wooster Collective a été fondé en 2001 par Sara et Marc Schiller. Ce collectif a pour but de rassembler et découvrir l’art urbain à travers le monde afin de cataloguer et classer l’ensemble des publications sur le 142 Souvent on voit un peu hâtivement le street art par la lorgnette du vandalisme. On croit à tort que les artistes s’emparent de beaux bâtiments pour les défigurer. Mais la plupart des artistes street interviennent dans des quartiers délaissés et placent leurs œuvres sur des immeubles « oubliés », dégradés, avec de la peinture écaillée et de l’herbe qui pousse sur le trottoir. Leur motivation est d’embellir ces bâtiments et de créer quelque chose d’exceptionnel. Ils sont persuadés que leurs créations mettent en valeur les bâtiments délabrés. Quand vous placez une œuvre d’art sur une publicité insipide omniprésente, la communauté condamne-t-elle vos efforts ? Quand vous embellissez une porte d’immeuble vétuste, ses habitants ne vous applaudissent-ils pas ?319 Trespass n’est pas un exemple isolé. Paul Ardenne et Marie Maertens dans leur recueil sur le Street Art, 100 artistes du Street Art320, qui présente à la manière d’un catalogue des artistes très variés, n’oublient pas d’intégrer les Déboulonneurs. Dans ces ouvrages le Street Art et l’anti-pub sont placés sur un pied d’égalité, comme deux formes d’art égales. ◦ Des galeries pour l’anti-pub Cette assimilation de l’anti-pub au Street Art et à l’art en général lui confère un statut privilégié par rapport aux autres formes d’activisme, celui d’un véritable courant artistique. Les groupes pionniers comme BUGA-UP employaient déjà un vocabulaire artistique. Dès 1980, BUGA-UP publie un catalogue 321 non exhaustif des pièces annuelles du mouvement. Ce catalogue présente les détournements comme des œuvres. Au fil des années l’entrée de l’anti-pub dans le monde de l’art s’est concrétisé. 319 320 321 sujet sur leur site mis en ligne en 2003 : www.woostercollective.com SCHILLER Marc et Sara, « Vue sur la ville », préface in McCORMICK Carlo, Trespass, une histoire de l’art urbain illicite, Paris, Taschen, 2010, p11. ARDENNE Paul et MAERTENS Marie, 100 ARTISTES DE STREET ART , Paris, Éditions de la Martinière, 2011. BUGA-UP, Autumn Catalogue of 1980, 1980. Annexes Tome 1 – 32. 143 En 2010 Le Billboard Liberation Front est invité à s’exprimer au musée DeYoung 322 lors d’une conférence sur le Street Art : Street Art San Francisco: Mission Muralismo series presents “Directional Signals: Pranksters and Preachers, Paste and Stencil” featuring talks by Rigo, and John Jota Leaños. Also, Jack Napier, BLF co-founder, and Milton Rand, Kalman BLF chief scientist, will give a presentation titled “The Art and Science of Billboard Improvement,” plus stencil cutting demonstration by Russell Howze author of Stencil Nation: Graffiti, Community and Art.323 Les membres du Billboard Liberation Front sont reçus dans un musée en tant que professionnels et références du monde du Street Art. Comme le Street Art, l’anti-pub s’est aussi essayé à la galerie. L’anti-pub évolue naturellement dans la rue, le lieu des panneaux publicitaires. L’installation de création antipub en galeries peut donc paraître absurde. Et pourtant le groupe Casseurs de Pub 324 proposait une exposition à Genève en 2012325. Les Casseurs de Pub sont un groupe d’anti-pub lyonnais organisé autour du journal La décroissance326 et de son supplément annuel Casseur de pub. Le directeur de la rédaction 322 323 324 325 326 Jack Napier et Milton Rand Kalman du Billboard Liberation Front participent à la conférence « Mission Muralismo series » le 7 mai 2010. BILLBOARD LIBERATION FRONT, « BLF Speak at DeYoung Museum, May 7th. », in http://www.billboardliberation.com/, 4 mai 2010. Dernière consultation : 12 juillet 2014. « La série Mission Muralismo présente « Panneaux indicateurs: blagueurs et prêcheurs, colle et pochoir » comprenant des interventions de Rigo et Jota Leaños. Jack Napier, co-fondateur du BLF, et Milton Rand, chef du département scientifique du BLF, feront une présentation intutlée « l’Art et la Science de l’amélioration de Panneau Publicitaire », ainsi qu’une démonstration de découpe de pochoir par Russel Howze, auteur de Stencil Nation: Graffiti, Community and Art. » Casseurs de Pub est une association anti-pub fondée à Lyon en 1999. L’association publie la revue Casseur de Pub dirigée par Vincent Cheynet, jointe comme supplément au journal La Décroissance, le journal de la joie de vivre. L’association propose une vision critique de la société de consommation et promeut des alternatives à la croissance. CASSEURS DE PUB, « Tout doit disparaître », du 24 février au 15 avril 2012 au Zabriskie Point, Genève. La décroissance, le journal de la joie de vivre : journal mensuel crée en 2004 à Lyon, édité par l’association Casseurs de pub, dirigé par Vincent Cheynet. 144 n’est autre que Vincent Cheynet327, auteur de Casseurs de pub, un pavé dans la gueule de la pub328 et personnage phare de la scène anti-pub française. L’association s’engage dans de nombreuses luttes afin de mener un « combat non-violent fondé sur l’argumentation »329 contre la publicité. Leur idéologie est proche de la désobéissance civile. Ils prônent une réduction voire un arrêt de la publicité qu’ils catégorisent comme une « machine à casser ». Patrick Le Lay, président directeur général de la chaîne de télévision TF1 de 1988 à 2008, donne en 2004 un exemple parfait de ce que condamnent les Casseurs de Pub à l’occasion de sa déclaration devenue célèbre sur le « temps de cerveau disponible » : Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective « business », soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit.[...] Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.[...] Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise... [...] La télévision, c’est une activité sans mémoire. Si l’on compare cette industrie à celle de l’automobile, par exemple, pour un constructeur d’autos, le processus de création est bien plus lent ; et si son véhicule est un succès il aura au moins le loisir de le savourer. Nous, nous n’en aurons même pas le temps ! [...] Tout se joue chaque jour sur les chiffres d’audience. Nous sommes le seul produit au monde où l’on « connaît » ses clients à la seconde, après un délai de vingt-quatre heures. 330 Pour leur exposition intitulée Tout doit disparaître les Casseurs de Pub s’envolent pour la Suisse, à l’espace d’art contemporain Zabriskie Point331 de Genève plus exactement. 327 328 329 330 331 Vincent Cheynet (1966 - ) : ancien directeur artistique chez Publicis Lyon, maintenant farouche militant anti-pub. Il fonde l’association Casseurs de Pub en 1999 et La décroissance en 2003. CHEYNET Vincent (dir.), Casseurs de pub, un pavé dans la gueule de la pub, Paris, Éditions Parangon, 2006. Casseurs de Pub, Pourquoi nous appelons-nous casseurs de pub ?, in http://www.casseursdepub.org/. Ibidem pour les citations suivantes. Dépêche AFP du 9 juillet 2004, reprise notamment par Libération (10-11/07/04) : « Patrick Le Lay, le décerveleur ». Zabriskie Point est un espace d’art contemporain sans but lucratif. Site : http://www.zabriskiepoint.ch/ 145 Étaient présentées des œuvres originales ainsi que certaines déjà publiées dans Casseurs de Pub. Il ne s’agit pas de la première exposition d’un groupe d’activistes anti-pub. Les « Casseurs de Pub » ont déjà exposé en 2008 à Lons, puis à Villeneuve. Ils proposent sur leur site de louer l’exposition. Il ne s’agit pas de la première exposition des Casseurs de Pub, qui avaient déjà tenté l’expérience en 2009 à la MJC Maladière 332. L’exposition se déroule dans un lieu d’art contemporain particulier : le Zabriskie Point. Ce lieu est en fait un ancien arrêt de tramway de la ville Genève aujourd’hui désaffecté. Les œuvres des Casseurs de Pub ont donc été exposés à l’intérieur de l’arrêt et sont visibles de l’extérieur au moyen de vitres. Il est donc impossible d’entrer dans l’arrêt, le public n’a pas de lien direct avec les œuvres qui sont protégées. Cet espace est à mi-chemin entre l’art de la rue et le galerie type white cube. Le Zabriskie Point n’est pas un lieu socialement et économiquement trié ce qui en fait un lieu tout à fait indiqué pour exposer du Street Art. L’exposition présente diverses œuvres : créations originales ou coupures de journaux (provenant de La décroissance et de Casseur de Pub). Cette exposition est donc paradoxalement un coup de pub pour le quotidien lyonnais et son supplément annuel. Les œuvres sont inspirées de culture jamming et reprennent une esthétique publicitaire qu’elles détournent. L’exposition comporte 28 visuels de publicités « améliorées ». L’affiche de l’exposition333 présentant un homme avec une tête de produit ménager souligne la consommation compulsive et grégaire des individus dénoncée par les anti-pubs. Cette idée est reprise dans Shampoing Conditionneur334 qui joue sur un jeu de mot polyglotte en reprenant le terme « conditioner » qui en anglais signifie « après-shampoing » l’utilisation de l’orthographe française lui confère un autre sens : celui du conditionnement. L’affiche représente une femme dont la tête est un flacon de shampoing. Le slogan inscrit sur la 332 333 334 CASSEURS DE PUB, exposition à la MJC Maladière, du 19 janvier au 19 février 2009. CASSEURS DE PUB, Tout doit disparaître, affiche de l’exposition, 2012, Zabriskie Point, Genève. Annexes Tome 1 – 33. CASSEURS DE PUB, Shampoing Conditionneur, 2012. Annexes Tome 1 – 33. 146 bouteille est le suivant : « Shampoing Conditionneur : lave la tête en profondeur, jusqu’à la racine des idées. Rince la tête ». Encore une fois, les Casseurs de Pub mettent en image la publicité décervelante. Les activistes lyonnais réalisent un visuel de fausses publicités vantant les mérites des produits à vendre 335. Ces produits sont renommés pour l’occasion : bonheur, amour, joie... Le style de l’ancien directeur artistique de Publicis Lyon, Vincent Cheynet, se ressent dans ces réalisations à l’esthétique publicitaire. L’exposition « Tout doit disparaître » symbolise l’institutionnalisation des différentes formes d’art de rue comme l’anti-pub. L’art de rue se conçoit comme un don, une participation artistique dénuée de valeur marchande à la toile vivante de la ville. Un street artist qui dessine dans la rue n’envisage pas de faire payer le public, il conçoit son art comme un don. Le public peut d’ailleurs contribuer à l’œuvre d’art en ajoutant des motifs, participant ainsi à une forme d’art in progress. Ici l’exposition pose le problème du lien brisé entre le public et l’artiste. Il y a une sorte de contradiction entre vouloir ouvrir les yeux du public sur l’omniprésence de la publicité et s’en éloigner pour s’enfermer dans un espace protégé, estampillé « art contemporain ». L’anti-pub cherche à remettre en question la place de la publicité dans l’espace public. À la manière du culture jamming, la majorité des artistes utilisent les lieux de la publicité pour s’exprimer, renversant ainsi le but original des panneaux d’affichage. Tout doit disparaître n’est pas une exposition marchande : les œuvres sont visibles de la rue, le public n’est pas culturellement trié (l’exposition est située près d’un arrêt de tramway en service, son public est donc principalement constitué de passants qui attendent le prochain tram), et l’entrée n’est pas payante. Si l’anti-pub ne s’est pas institutionnalisé avec cette exposition, toutefois les œuvres d’arts n’étaient plus vraiment dans la rue mais derrière une vitre. Cette barrière matérielle pose une limite entre le récepteur et l’art, une limite qui n’existe pas dans la rue, où les œuvres sont des dons. 335 CASSEURS DE PUB, OGM – Amour – Prozac, 2012. Annexes Tome 1 – 34. 147 L’exposition des Casseurs de Pub pose de nombreuses questions sur l’avenir de la lutte contre la publicité. Cette exposition touche de près la problématique de la médiatisation de l’anti-pub et de la nécessité d’entrer dans les galeries pour avoir un relais médiatique. La question du public reste en suspens : la possibilité d’un éloignement entre le public de la rue et l’anti-pub, si cette dernière s’enferme dans l’espace muséal. Conclusion L’anti-pub est un art que l’artiste conceptuel Jeremy Deller 336 définirait comme de l’art populaire dans le sens de popular (de masse) et non dans le sens de Folk (lié à un peuple). Il ne s’agit pas d’un art divertissant comme peuvent l’être le cinéma ou la musique r’n’b. L’anti-pub est un art militant qui a pour objectif de faire prendre conscience à son public (l’homme de la rue) de la prédominance de la publicité à tous les instants de la vie quotidienne et ses répercussions sur le système de normes sociales de chaque individu. Cet aspect « prise de conscience » peut être une entrave quant à l’acceptation de l’anti-pub par l’Homme de la rue. Contrairement aux publicités l’anti-pub ne se reçoit pas bêtement : les détournements interrogent, les barbouillages questionnent, font réfléchir. L’anti-pub étant un art de rue il est délicat de mesurer son acceptation par le public. Il est cependant évident que tous les individus n’acceptent pas cette forme d’expression qui dégrade et détourne leur environnement publicitaire naturel. L’anti-pub souffre également d’une méconnaissance du public. Les médias transmettent pas ou peu les actions anti-pub. Il faut dire que pour eux la situation est compliquée : une part non négligeable de la presse est financée par les médias. Il est donc 336 Jeremy Deller artiste plasticien et vidéaste londonnien qui a beaucoup réflechi sur la notion d’art populaire (popular) 148 difficile pour ces derniers de défendre les actions anti-publicitaires. Heureusement il reste les journaux indépendants qui ont banni tout forme de publicité. Depuis quelques années cependant les détournements et barbouillages ont le vent en poupe, et cela grâce au Street Art. L’aspect subversif et illégal du Street Art a séduit le marché de l’art. Cette popularité a permis aux formes voisines du Street Art (comme l’antipub et l’artivisme) de voir leur côte de popularité grimper en flèche. À tel point que l’antipub se retrouve invitée aux conférences sur le Street Art, participe à des ouvrages sur sur l’art illégal et l’art urbain et même s’expose (ou presque). La médiatisation positive ou négative de l’anti-pub permet à ce mouvement de toucher de plus en plus de personnes. Grâce à la couverture médiatique des néophytes rencontre le combat contre la publicité. Le Billboard Liberation Front et les Déboulonneurs sont les grands bénéficiaires de cet engouement. 149 Conclusion Établir une typologie de l’anti-pub n’est pas une chose aisée, tant l’objet d’étude revêt des formes diverses. Les acteurs de l’anti-pub apparaissent eux aussi sous différents aspects : l’artiste isolé, le groupe nocturne, les militants qui agissent au grand jour. Afin d’éviter tout éparpillement, nous avons souhaité réduire le champ de recherche en centrant notre analyse sur deux groupes. Ces deux groupes, le Billboard Liberation Front et les Déboulonneurs, expriment leur aversion de la publicité de manière opposée, car leurs actions ne revêtent pas les mêmes objectifs. Tandis que les uns se moquent de la publicité et utilisent les panneaux publicitaires comme toiles, les autres dégradent publiquement, passent en justice et souhaitent obtenir un changement de loi pour l’affichage publicitaire. Afin de comprendre comment au sein d’une même lutte, différentes pratiques sont nées, il nous a paru essentiel de revenir aux origines de l’anti-pub. Pour comprendre la naissance du mouvement anti-publicitaire il nous a fallu nous pencher sur le contexte d’émergence. L’anti-pub voit le jour à la fin des années 1970. Cette décennie concentre plusieurs crises économiques de grande importance : les deux chocs pétroliers. Ces chocs pétroliers et la politique de relance de Reagan engendre un climat de surconsommation. Bien sûr la part de la publicité dans l’environnement urbain progresse inévitablement. C’est à cette époque qu’apparaissent les premières réactions anti-publicitaires. Déjà la variété de ces réaction marque. Le Billboard Liberation Front détourne la publicité, tandis que BUGA-UP invitent tout à chacun à apposer son tag sur les panneaux malsains, les Humains Associés offrent des espaces de réflexion, tandis qu’Adbusters rédige un journal afin de lutter contre la publicité. Les pratiques sont différents et les groupes 150 géographiquement très éloignés. Pourtant ils sont tous nés à la même période, symptômes d’une société de surconsommation. Au fil de nos recherches il nous est apparu qu’il est très difficile de définir les limites de l’anti-pub. L’anti-pub, comme ses acteurs se retrouvent au croisement de plusieurs disciplines. De nombreux artistes de rues ont une pratique anti-pub (ZEVS, Banksy, Fekner...). De même, de nombreux activistes anticapitalistes militent ou assistent en tant que sympathisants aux actions anti-pub (il suffit de relever le nom des personnalités politiques qui soutiennent les Déboulonneurs). Pour ces raisons il nous a semblé essentiel d’analyser comparativement le Street Art et l’activisme politique anticapitaliste. Ainsi il nous est apparu intéressant d’accentuer les liens entre la vidéosurveillance, la défense de l’écologie et l’anti-pub. Ces deux domaines font à présent partie de l’argumentaire anti-pub. Ils ont intégré tout un pan de la lutte anti-pub. Des groupes comme le Clan du Néon, au carrefour entre l’anti-pub et la lutte contre les dépenses inutiles d’énergie, ont vu le jour. On s’est attaché à dépeindre avec précision le phénomène du publisexisme. Ce phénomène, sorte de symbiose entre anti-pub et féminisme, occupe une part primordiale de la lutte contre la publicité. Cette importance est du à la véritable colonisation de publicité sexistes sur les panneaux. Ces publicités enferment les genres dans des carcans stéréotypés néfastes pour l’émancipation des sexes. Même si, contrairement au Collectif Contre le Publisexisme, ils ne sont pas spécialisés dans le publisexisme les différents groupes d’antipub luttent contre ces publicités sexistes. Il s’agit d’un point sur lequel tous les groupes d’anti-pub se retrouvent. Après avoir abordé le point de vue des acteurs de l’anti-pub, leurs pratiques et leurs manifestes, nous nous sommes interrogé sur sa réception et sa place dans le monde de l’art. Il s’est avéré qu’il demeure difficile de cerner le public de l’anti-pub, ainsi que son 151 acceptation. En nous penchant sur les réactions des publicitaires nous avons toutefois mieux compris l’ascendant qu’ils exercent sur les médias. Évoluant tous dans les mêmes cercles, journalistes et publicitaires ne semblent pas toujours échapper à cette collusion. Les intérêts partagés ne sont pas le seul frein à l’autonomie de la presse. Une grande part du budget des journaux ou des chaînes télévisées se révèle être l’argent de la publicité. Or pour un groupe comme les Déboulonneurs, la retransmission médiatique reste très importante. Les barbouilleurs ont besoin de soutien lors des procès. Or toucher un nouveau public par voie de presse, c’est créer de nouveaux soutiens. Les sites Internet des groupes permettent aux individus conscientisés d’obtenir des informations mais les néophytes y viennent rarement de leur plein gré. Si l’anti-pub en vertu de son illégalité et de ses dégradations n’est pas acceptée par toute une partie de la société, en revanche la soudaine popularité du Street Art lui a permit de faire son entrée dans le monde de l’art. Le Street Art autrefois considéré comme un acte de vandalisme, entre depuis le milieu des années 2000 dans le monde de l’art. Un institutionnalisation de l’art de rue assez contraire aux pratiques initiales : un art fait dans la rue, conçu comme un don aux habitants. Aujourd’hui le Street Art se retrouve dans les galeries, il est acheté par les salles de vente du marché de l’art, il est exposé dans les musées. Même s’ils jouent le jeu du marché de l’art, les street artists sont encore nombreux à réaliser des œuvres de rues, et même les plus célèbres comme Banksy, Fekner ou Fairey. L’anti-pub profite de la popularité dont joui le Street Art. Le Billboard Liberation Front se retrouve ainsi invité à parler lors d’un conférence sur l’art de rue dans un musée. Les Déboulonneurs et le BLF sont tous deux cités dans des ouvrages sur le Street Art ou l’art illégal. Nous notons que l’anti-pub est accepté dans le milieu de l’art pour ses rapports avec le Street Art, ou son statut de pratique artistique illégale. Ils sont cependant cités comme références ce qui donne à l’anti-pub un véritable statut au sein du monde artistique. Il s’est agi enfin d’une exposition anti-pub réalisée par les Casseurs de Pub. Le groupe lyonnais expose habituellement ses coupures de presses et créations anti152 publicitaires dans des lieux associatifs (type MJC). En 2012, ils exposent à Genève au Zabriskie point. Ce lieu n’est pas une galerie au sens conventionnel du terme. Il s’agit d’un ancien arrêt de tramway. Les œuvres ne peuvent être vues de que de l’extérieur, séparées du public par une vitre. Drôle de façon de concevoir l’anti-pub : pas d’utilisation de support publicitaire contrairement à tous les autres groupes cités précédemment. Comme Adbusters, les Casseurs de Pub agissent principalement pour leur revue. Cependant Adbusters publie des photomontages de détournements publicitaires installés à l’emplacement de véritables publicités. Les Casseurs de Pubs s’éloignent ainsi du public en ne se soumettant à la dégradation progressive de toute pièce de l’art de rue et de l’anti-pub. Le Street Art et l’anti-pub sont des arts éphémères, soumises au recouvrement d’autres artistes ou à l’enlèvement par les brigades anti-tag. Ainsi les œuvres sont protégées des intempéries. Cependant il est difficile de dire que l’anti-pub s’institutionnalise par cette exposition. Il s’agit pas véritablement d’une galerie conventionnelle. Plus que le Street Art l’anti-pub semble opposée au monde de la galerie. Les pièces étant généralement réalisée in situ sur les panneaux publicitaires. C’est ainsi qu’elles offrent le plus d’impact et de visibilité. Bien sûr comme pour le Land Art des photographies d’actions pourraient être exposées. L’anti-pub semble se situer au carrefour de plusieurs disciplines entre art de rue et activisme politique. L’importance du politique diffère en fonction des œuvres. L’artiste Kaws et les Humains Associés utilisent l’espace publicitaire comme un espace que les artistes (et le peuple) doivent réapproprier. Le Billboard Liberation Front et Dc Gecko veulent révéler le message sous-jacent des publicités. BUGA-UP et les Déboulonneurs souhaitent pouvoir donner une légitime réponse aux annonceurs. Des pratiques artistiques variables qui atteignent des objectifs politiques différents. L’artistique de ces pièces antipub s’exprime lui aussi de manière différente. L’anti-pub est une part de la pratique artistique de certains comme Kaws, Fekner, Banksy Cut-Up... Tandis que pour d’autre il 153 s’agit de l’essentiel de leur pratique (PosterBoy, BLF, Déboulonneurs, BUGA-UP...). Pour un domaine comme l’anti-pub où la frontière semble mince entre art et politique comment définir ce qui appartient au domaine de l’art. Certains groupes ont été élevés au rang d’artistes en étant cités comme référence dans des ouvrages artistiques ou dans des musées. Reconnus ainsi par leurs pairs ils accèdent au milieu de l’art. D’autres comme BUGA-UP et Casseurs de Pub utilisent des pratiques et un vocabulaire propre au monde de l’art, s’élevant ainsi eux-même au rang d’artiste. L’anti-pub a connu un essor ces dix dernières années. Plusieurs groupes notables ce sont développés notamment les Déboulonneurs en 2005. La réunion annuelle du Brandalism composée de street artists qui occupent les espaces publicitaires en peu partout sur le Royaume-Uni, symbolise cet engouement pour l’anti-pub. Les espaces publicitaires apparaissent comme de nouveaux espaces à conquérir. Extrêmement bien situés, il offrent des toiles urbaines à la visibilité incomparable. 154 Bibliographie Ouvrages spécialisés ◦ Textes fondateurs BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, Paris, Gallimard, 1970. BAUDRILLARD Jean, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968. BRUNE François, De l'idéologie aujourd'hui, Paris, Parangon, 2004. BRUNE François, Le Bonheur conforme, Paris, Gallimard, 1996. 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Définition de publicité.....................................................................................................9 2. Définition de l’anti-pub.................................................................................................13 3. L’émergence de l’anti-pub............................................................................................16 Contexte d’émergence.................................................................................................16 Groupes pionniers........................................................................................................20 The Billboard Liberation Front (USA).......................................................................20 Les Humains Associés (France)..............................................................................34 Adbusters (Canada).................................................................................................37 4. Les Déboulonneurs......................................................................................................41 Conclusion........................................................................................................................ 46 Chapitre II.............................................................................................................................. 48 L’anti-pub, au croisement entre l’art et la politque.................................................................48 1. L’anti-pub et le Street Art : des frontières perméables..................................................50 Définition Street Art......................................................................................................51 Un même lieu d’action : la rue comme toile..................................................................55 Une technique commune : le Culture Jamming............................................................61 2. L’anti-pub, un carrefour de luttes sociales....................................................................69 Définition activisme......................................................................................................70 Définition artivisme.......................................................................................................74 S’attaquer à la vitrine du capital...................................................................................77 Un mouvement lié à d’autres contestations..................................................................84 Le refus d’une société vidéo-surveillée....................................................................85 Liens avec l’activisme écologique............................................................................91 3. Lutte contre le publisexisme, une symbiose entre anti-pub et féminisme.....................99 Un mouvement issu de la deuxième vague féministe.................................................101 Le publisexisme : l’image de la femme.......................................................................105 Lutter contre le sexisme dans la pub..........................................................................110 Conclusion...................................................................................................................... 116 Chapitre III........................................................................................................................... 118 L’art dans l’anti-pub, l’anti-pub dans l’art.............................................................................118 1. La réception de l’anti-pub...........................................................................................120 Le public de la rue......................................................................................................120 Réaction des publicitaires..........................................................................................127 La médiatisation de l’anti-pub.....................................................................................131 175 2. L’institutionnalisation de l’anti-pub..............................................................................138 Esthétique de la réception des arts urbains................................................................139 Des galeries pour l’anti-pub........................................................................................142 Conclusion...................................................................................................................... 147 Conclusion.......................................................................................................................... 149 Bibliographie....................................................................................................................... 154 Ouvrages spécialisés......................................................................................................154 Textes fondateurs.......................................................................................................154 Écrits sur la publicité..................................................................................................155 Le Publisexisme.........................................................................................................156 Le Street-Art............................................................................................................... 158 Ouvrages généraux........................................................................................................ 159 Art.............................................................................................................................. 159 Révolte sociale...........................................................................................................160 Philosophie et économie............................................................................................163 Culture anti-pub.......................................................................................................... 164 Périodiques et articles.....................................................................................................165 Tracts.............................................................................................................................. 167 Filmographie................................................................................................................... 170 Webographie..................................................................................................................171 Sites anti-pub............................................................................................................. 171 Sites de street artists..................................................................................................172 Sites de luttes alternatives.........................................................................................172 176