Untitled - Lucy Nuzit

publicité
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Faites de l’art pas de la pub
À travers l’étude de deux groupes : The Billboard Liberation Front et Les Déboulonneurs
Introduction
« La publicité a envahi l’espace public. Des panneaux publicitaires surdimensionnés
défigurent nos paysages, rongent nos champs, bordent nos routes et signalent nos entrées
de villes »1, constatent les Désobéissants2 dans leur ouvrage Désobéir à la pub. Depuis une
trentaine d’année la publicité prolifère de manière exponentielle dans notre environnement,
l’évolution de Time Square à Manhattan demeure un exemple marquant. Cette prolifération
a conduit à une omniprésence de la publicité dans la vie quotidienne des populations. La
publicité se retrouve partout : à la radio, à la télévision, dans les boîtes mails, dans les
journaux, dans la rue, au cinéma, sur internet, sur les vêtements, sur les bâtiments en cours
de rénovation, dans les boîtes aux lettres, sur les sportifs... Aujourd’hui le simple logo d’une
marque fait figure de publicité, et cela grâce aux bonnes campagnes publicitaires réalisées
précédemment. L’exemple de la célèbre virgule de Nike, le Swoosh, se révèle tout à fait
significatif. Grâce à des campagnes réussies dans les années 1980 3, la marque sportive n’a
1
2
3
LES DÉSOBÉISSANTS, Désobéir à la Pub, Quetigny, Le passager clandestin, 2009, p. 7.
Les Désobéissants sont un groupe de désobéissance civile. Leur site : http://www.desobeir.net/.
En 1981, Nike devient numéro 1 de la chaussure de sport aux États-Unis. La même année, la marque entre
en bourse. Pendant cette décennie Michael Jordan devient l’égérie de marque, avec la création de la
chaussure Nike Air Jordan en 1984. En 1988, le logo de la marque reçoit un slogan : « Just do it », ce qui lui
confère une véritable notoriété.
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plus besoin d’apposer autre chose que son logo pour être reconnue et identifiée. Mark
Hughes de The Independant déclare qu’il s’agit de l’un des logos les plus instantanément
reconnaissable.4
La publicité n’est pas seulement envahissante, elle fait partie intégrante d’un
système de pensée : celui de la société de consommation et a fortiori celui du système
libéral capitaliste. La publicité se révèle être un outil de la consommation : le moyen pour le
producteur/vendeur de communiquer, d’informer, de susciter un désir et bien sûr de vendre
son produit au consommateur.
L’anti-publicité (ou anti-pub) apparaît donc comme une forme de résistance à cette
envahissante vitrine du capitalisme qu’est la publicité. L’anti-pub se caractérise par la lutte
active (sur le plan formel ou sur le plan intellectuel) contre la publicité. Cette résistance
peut prendre des formes très diverses, puisqu’elle attaque la publicité là où elle agit. Ainsi
les programmeurs de logiciels d’anti-pub comme Adblock Plus 5 qui empêchent la publicité
d’agir sur votre navigateur internet font partie de l’anti-pub, de même que les actions
éparses d’individus qui collent des autocollants « stop pub » sur les boîtes aux lettres6.
L’anti-pub caractérise également le courant de pensée lié à l’anticapitalisme qui se centre
sur la critique publicitaire. Le détournement sémiotique de logos de marque ou publicité, in
situ ou dans des œuvres réalisées en atelier appartiennent à l’anti-pub. Bien sûr la
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« The Swoosh is one of the world’s most instantly recognisable logos and is seen adorning countless
trainers and items of sportswear. » HUGHES Mark, « Logos that became legends : Icons from the world of
advertising » in The Independant, 4 janvier 2008.
Adblock Plus est une extension libre pour les navigateurs web les plus courants tels que Mozilla Firefox,
Google Chrome, Microsoft Internet Explorer et ASA Opera. Cette extension est une version forkée
(nouveau logiciel créé à partir du code source d’un logiciel existant) d’Adblock. Elle est chargée de filtrer le
contenu des pages web afin d’en bloquer certains éléments, en particulier les bannières de publicité.
En 2010 le jeune artiste Valentin WATTIER a réalisé avec l’aide de l’association de sérigraphie amiénoise
Les Éditions du Monstre, d’artistes et de graphistes, plus d’une centaine d’autocollants « Stop pub »
artistiques sérigraphiés. Il les a ensuite distribués autour de lui et collés sur des boites aux lettres au gré
des ses déplacements dans la métropole.
5
dénomination anti-pub qualifie également toute sorte d’interventions sur la publicité dans
son environnement naturel (rue, télévision, journaux, radio).
L’anti-pub n’est pas constitué en groupe artistique et encore moins en école, il s’agit de
personnalités hétéroclites, artistes ou activistes que leurs œuvres réunissent sous une même
bannière : la lutte contre la publicité.
La disparité des formes de l’anti-pub oblige à une délimitation du champs de
recherche. La publicité étant présente sur de nombreux médias, il s’agit tout d’abord de
concentrer l’analyse sur un seul lieu d’action de l’anti-pub. Nous nous focaliserons sur la
rue et les lieux publics. Tout individu peut choisir de refuser la publicité placée sur d’autres
support : il peut ne pas regarder la télévision, utiliser un bloqueur de publicité pour son
navigateur web, écouter des radios sans publicité, lire des journaux sans pub, ne pas porter
de vêtements de marques, etc. Mais il lui est impossible de ne pas recevoir la publicité dans
la rue et les lieux publics (tels que les gares ou le métro). C’est pour cette raison que l’étude
de la résistance à la publicité en milieu urbain semble à nos yeux plus stimulante.
Cependant restreindre notre étude à un seul lieu d’action anti-pub ne semblait pas
suffisant. L’anti-pub se révélait être encore un sujet extrêmement varié. Ainsi afin
d’analyser cet objet visuel complexe, il nous a semblé nécessaire de nous concentrer
essentiellement sur l’analyse de deux groupes : le Billboard Liberation Front (BLF) et les
Déboulonneurs.
Ces deux groupes, d’approche très différentes, nous permettent d’étudier l’anti-pub
sous divers aspects. Le Billboard Liberation Front et les Déboulonneurs sont deux groupes
très éloignés. Tout d’abord d’un point de vue historique : alors que Billboard Liberation
Front est le groupe pionnier de l’anti-pub et du détournement publicitaire né en 1979, les
Déboulonneurs font figure de groupe récent, puisqu’il se sont constitués en 2005. D’un
point de vue géographique ces deux groupes sont très éloignés ; l’un naît à San Francisco et
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opère principalement dans cette région tandis que l’autre vient au monde à Paris est se
développe dans plusieurs villes françaises. S’ils sont tous deux issus de mouvements
d’idéologie anticapitaliste, la plupart des membres agissant au sein des Déboulonneurs sont
également militants dans d’autres groupes d’extrême gauche (comme les Désobéissants).
Enfin ces deux groupes divergent quant à leurs modus operandi.
Le Billboard Liberation Front agit volontairement de manière subtile et presque
invisible en détournant de manière cynique et/ou humoristique les panneaux publicitaires.
Les anti-pubs du BLF agissent anonymement et en toute discrétion. Les Déboulonneurs
quant à eux dégradent volontairement et publiquement des panneaux publicitaires. Ils
détruisent les affiches ou y appliquent des slogans militant à la bombe indélébile.
L’étude de l’anti-pub nous a conduits à nous poser différentes questions. Il s’agit
d’analyser l’objet visuel complexe au statut ambigu qu’est l’anti-pub à travers l’étude de
deux groupes. Nous avons eu la volonté de présenter de façon non exhaustive comment
l’art peut répondre à l’omniprésence publicitaire.
Tout d’abord il nous a fallu nous interroger sur la naissance d’un tel mouvement, les
premières formes d’actions anti-pub et le contexte d’émergence de ces actions. Au fur et à
mesure de nos recherches nous avons pu mettre en lumière l’importance, tant sur un plan
esthétique qu’intellectuel, des liens entre l’anti-pub et d’autres courants de pensée et
mouvements artistiques. Bien sûr nous n’avons pu faire l’impasse du statut ambigu que
revêt l’anti-pub dans le monde de l’art. Les questions relatives à la réception de l’anti-pub, à
sa reconnaissance artistique et son institutionnalisation par le monde l’art nous sont
apparues importantes à développer.
Ainsi nous nous attacherons à élaborer une typologie raisonnée de l’anti-pub. Ce
premier chapitre nous permettra de définir les concepts qui sont la clef de l’objet d’étude :
7
la publicité, ainsi que l’anti-publicité. Puis nous nous pencherons sur l’émergence de l’antipub, afin de comprendre dans quel contexte économique et social sont apparus les quatre
groupes pionniers de l’anti-pub : Le Billboard Liberation Front, le Billboard Utilizing
Graffists Against Unhelthy Promotions (BUGA-UP), Les Humains Associés et Adbusters.
Dans un deuxième chapitre nous nous intéresserons à la perméabilité de l’anti-pub :
les liens qui se sont créé avec des mouvements artistiques et politiques proches. Nous
effectuerons ainsi un rapprochement entre le Street Art et l’anti-pub. Après une définition
de la notion de Street Art nous nous questionneront sur l’efficience d’un rapprochement sur
deux points : le lieu d’action (la rue) et la technique du Culture Jamming. Puis nous nous
focaliserons sur les passerelles existantes entre l’anti-pub et d’autres luttes sociales. De cette
façon nous pourrons définir quelques notions inhérentes à l’anti-pub, à savoir les notions
d’activisme et d’artivisme. Puis nous lierons l’anti-pub à d’autres luttes sociales : les luttes
contre la société capitaliste, contre la vidéo-surveillance ainsi que la défense de l’écologie.
Nous nous pencherons plus particulièrement sur la lutte contre les publicités sexistes, le
publisexisme, qui concerne une grande part de la l’anti-pub.
Dans un dernier chapitre, après avoir précédemment étudié les motivations des antipubs et leurs réalisations nous nous concentrerons sur la relation de l’anti-pub avec l’art.
Dans un premier temps nous étudierons les réactions que peuvent engendrer les actions
anti-pub. Le public de l’anti-pub ou du Street Art étant particulier (il s’agit de l’Homme de
la rue) nous chercherons alors à comprendre quelle peut en être sa réception. Nous nous
attacherons également à analyser les réactions des publicitaires. En nous penchant sur les
relations de ses derniers avec les médias nous analyserons la façon dont les journalistes
diffusent l’actualité anti-pub. Enfin nous nous chercherons à comprendre le processus
d’institutionnalisation de l’anti-pub. Sans minorer l’importance du Street Art dans ce
processus d’acceptation, nous nous centrerons sur la question de galeries pour l’anti-pub.
8
Chapitre I
Typologie de l’anti-pub
9
Afin d’établir une typologie de l’anti-pub, de disséquer les méthodes et les formes de
pensée qui s’y rattachent, il apparaît essentiel de revenir aux origines. Pour comprendre les
mouvements anti-publicitaires d’aujourd’hui il est devenu indispensable de se plonger dans
les premiers manifestes de barbouilleurs et détourneurs de panneaux.
Il nous est apparu important de se limiter aux quatre groupes pionniers, afin
d’obtenir une vision globale mais concise de ces premiers balbutiements anti-pub. Ces
quatre groupes sont éparpillés sur le globe terrestre : États-unis, Australie, France et
Canada. Leurs techniques sont différentes : alors que les Humains Associés proposent des
aires de réflexion philosophique en lieu et place des panneaux publicitaires, les trois autres
les détournent. Ces groupes ont laissé des manifestes, des écrits et toutes sortes de
productions qui permettent de les étudier avec délectation.
Cette plongée dans les actions des années 1980 permet de s’interroger sur les raisons
qui motivent leurs actions et les méthodes utilisées.
Pour réaliser cette classification de l’anti-pub il est apparu essentiel de définir les
termes sur lesquels se fonde toute analyse de ce phénomène, à savoir la publicité et l’antipublicité ainsi qu’évoquer le contexte économique, social et politique du tournant des
années 1970-1980 durant lesquels ont émergé les premiers groupes anti-pub.
1. Définition de publicité
La publicité vient du latin publicitas qui signifie « état de ce qui est public »7. La
publicité se définit donc l’action de rendre public, ou le résultat de cette action. La publicité
7
« Publicité », Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935).
10
s’adresse donc au peuple. L’analyse du concept de publicité réside dans cette notion
essentielle de « fait public ».
La publicité constitue le moyen de communication privilégié entre la classe
gouvernante (élites économiques et politiques) et le peuple. Il s’agit bien sûr d’une
communication à sens unique, et verticale : le public reçoit l’information publicitaire mais
ne peut pas y répondre. Cet aspect « voix du maître » confère à la publicité un caractère
sacré : ce qu’on y dit doit être vrai. N’a-ton pas souvent vu ce logo « vu à la TV » apposé
après un slogan publicitaire comme pour attester la valeur d’un produit ? Si cela est dit « à
la TV » et de plus dans une publicité, c’est que c’est la vérité. La publicité est la chose
publique, celle qui, parce que claironnée par-dessus de la foule, tient lieu de vérité.
La publicité a pratiquement toujours existé, sous forme plastique 8 à l’antiquité ou de
crieurs à l’époque médiévale. Ces annonces publiques résultent d’une nécessité dans
l’affermissement du pouvoir. À partir de 1628, Théophraste Renaudot 9 crée le premier
service chargé de diffuser diverses annonces, le Bureau d’adresses. Ce bureau consiste à
recueillir les offres et les demandes d’emplois. Pour agrémenter ce dispositif, Renaudot crée
le premier journal d’annonces en 1633 : La feuille du bureau d’adresses. Jusqu’au XIXe siècle
la publicité est néanmoins essentiellement constituée d’affichage muraux et de diffusion de
tracts. Le développement de l’industrie lui permet de se développer dans la presse écrite et
de migrer plus tard vers d’autres médias : la radio, la télévision sous forme de spot,
l’affichage urbain lumineux, Internet... Aujourd’hui la publicité est omniprésente : dans nos
8
9
Exemple de publicité antique sur un lécythe conservé au musée du Louvre :
Lécythe attique à trois figures noires, un homme et un jeune homme menant chacun un cheval y sont
représentés. Slogan publicitaire : « achète-moi et tu feras une bonne affaire ».
Lécythe à figures noires portant l’inscription : « achète-moi et tu feras une bonne affaire », vers 500 av. J.C.,28 × 13,60 cm, Paris, Musée du Louvre, Antiquité grecques, étrusques et romaines, Aile Sully.
Cote : F358. Annexes Tome 1 – 1.
Théophraste Renaudot (1586 -1653) : journaliste, médecin et philanthrope français, fondateur de la
publicité (création du Bureau d’adresses en 1629) et de la presse française (création du plus ancien journal
publié en France, La Gazette, en 1631).
11
boîtes aux lettres, sur nos paquets de céréales... Nous sommes même parfois nous-même
devenus des réclames ambulantes en arborant diverses marques sur nos vêtements.
La publicité est soumise à la législation. La loi protège la publicité sous couvert de la
liberté d’expression. Ce principe protège les annonceurs et leurs affichages (tant qu’il n’y
aucun propos discriminatoires ou publicité mensongère, l’auteur de la publicité peut y
inscrire ce qu’il veut). Les publicitaires, appartenant au secteur marchand, sont également
soumis au droit civil. Ainsi, la publicité est assujettie au code civil, au code du commerce, et
au code pénal. La loi française dispose ainsi que :
constitue une publicité toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou
autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y
compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d’une
activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d’assurer la
promotion commerciale d’une entreprise publique ou privée10
Les juges de la Cour de cassation précisent que la publicité consiste dans « tout moyen
d’information destiné à permettre à un client potentiel de se faire une opinion sur les
résultats qui peuvent être attendus du bien ou du service qui lui est proposé ». La Cour de
cassation donne même une définition plus large de la notion de publicité et s’attache à la
finalité de l’opération en énonçant que « toute utilisation publique d’une marque de
cigarette, quelle qu’en soit la finalité, constitue une publicité 11 ». La Chambre criminelle
confirme le courant jurisprudentiel et élargit la notion de publicité, qui peut aujourd’hui
être définie comme tout message à destination du public, quelle que soit sa finalité, et quel
que soit son auteur. Si les textes se centrent principalement sur la publicité télévisuelle, les
arrêts de la Cour de cassation élargissent la définition à toute forme d’information à visée
commerciale destinée au public.
10
11
L’article 2 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 relatif à la publicité et au parrainage audiovisuels. .
Cour de cassation à propos L’article 2 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 relatif à la publicité et au
parrainage audiovisuels.
12
La loi codifie également le type de publicité qui nous intéresse plus ici, les affiches et
enseignes dans le Code de l’environnement12 qui donne cette définition :
constitue une publicité, à l’exclusion des enseignes et pré-enseignes, toute inscription,
forme ou image destinée à informer le public ou à attirer son attention, les dispositifs
dont le principal objet est de recevoir lesdites inscriptions, formes ou images étant
assimilés à des publicités.13
La commission européenne quant à elle définit la publicité comme :
toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale
industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou
services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations. 14
Les définitions de la publicité que nous transmettent à la fois l’histoire, l’origine des
mots et les législateurs nous poussent à nous interroger sur la finalité publicitaire. La
publicité a pour but de parler au plus grand nombre, cosa publicitas, pour transmettre un
message. Ce message peut avoir plusieurs buts : commercial, informatif, éducatif...
La publicité est une forme de communication dont le but est de capter l’attention d’une
cible visée afin de lui faire adopter un comportement souhaité : consommer, participer à des
activités culturelles, adopter des comportements moins énergivores, participer à la vie
politique. La publicité est en quelque sorte le langage que la société libérale moderne utilise
pour communiquer avec la population. Pourtant cet échange est a sens unique : la
population reçoit ce message qui s’impose à elle : dans la rue, à la télévision, à la radio...
Mais ne peut pas répondre ! Et si l’anti-pub était une forme de dialogue ?
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14
Concernant l’affichage publicitaire : la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 fut codifié par l’ordonnance
n°2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie Législative du Code de l’environnement aux articles
L581-1 à L581-14.
Article L581-3 du Code de l’environnement.
La directive 84/450/CEE du 10 septembre 1984 de la Commission Européenne.
13
2. Définition de l’anti-pub
La dénomination « anti-pub » ou « anti-publicitaire » caractérise le fait de s’opposer
à la publicité. Employé comme adjectif il peut qualifier des actions mais aussi des groupes,
mouvements, ou artistes solitaires qui effectuent des actions visant à détourner, dégrader
ou boycotter la publicité. La notion d’anti-pub peut également évoquer le courant de pensée
contestataire issu de la dénonciation de la société de consommation qui se focalise sur la
critique de la publicité.
Pour les acteurs de l’anti-pub, la société de consommation emblématise le processus
de pensée à abattre. Fondée sur la stimulation et l’entretien systématiques d’un désir
d’acheter des biens de consommation et des services dans des quantités toujours plus
importantes, la société de consommation joue avec la publicité sur la construction d’un
désir d’achat chez le consommateur. Les anti-pubs s’attaquent à la vitrine du capitalisme :
la publicité.
Les anti-pub accusent la publicité d’être omniprésente dans leur vie quotidienne.
Cette forte présence crée selon eux un sentiment d’oppression, une impression d’être sans
cesse submergés par la publicité. Nous sommes en effet continuellement confrontés à la
publicité. Cette prolifération publicitaire pose un problème d’ordre formel aux anti-pubs : on
ne peut pas échapper à la publicité. La publicité s’est installée dans notre quotidien. 2 500,
c’est le nombre de messages publicitaires que nous absorbons chaque jour en moyenne 15.
Ce qui pousse les activistes de l’anti-pub à dire que « nous vivons “dans” la publicité »16.
15
16
RAMONET Ignacio, « La pieuvre publicitaire » in Le Monde diplomatique, juin 2001.
PIETRUCCI Sophie, VIENTIANE Chris et VINCENT Aude, « Chapitre 1 : Pourquoi s’attaquer à la
publicité ? »,Contre les publicités sexistes, Paris, L’échappée, 2012.
14
Cette omniprésence publicitaire est traitée de façon très originale par une œuvre du
groupe Nebudu17, Tabula rasa18. L’œuvre est une photographie modifiée qui représente une
femme allaitant un nouveau-né. Si la mère possède un unique tatouage composé de quatre
étoiles entourant l’auréole de son sein, l’enfant en revanche est maculé de tatouages à
l’effigie de marques ou de logos très connus.
Cette œuvre se base sur la notion philosophique de « Tabula rasa », notamment développée
par l’empiriste John Locke19. Selon cette théorie l’être humain naîtrait vierge, comme une
ardoise, sans aucune donnée ou règle précédant son existence. Toutes ces données
s’ajouteraient par la suite formées par nos expériences sensorielles. Locke sous-entend que
l’individu est l’auteur de sa propre âme. Chez Sartre 20 la notion de Tabula rasa est
déterminante dans le fondement de la philosophie existentialiste. Contrairement à
l’essentialisme où l’Homme est déterminé par son essence, ce qui confère un certain
déterminisme à son existence, la philosophie existentialiste stipule que l’existence façonne
l’essence de l’Homme. L’être humain est donc formé de ses expériences, de sa mémoire. À la
naissance l’individu fait figure de cire molle sur laquelle le monde imprime sa marque. Le
nouveau-né de Locke et de Sartre est une ardoise vierge, l’être humain peut se voir comparé
à une éponge qui se construit en absorbant les images générées par son environnement.
Dans cette œuvre ce n’est plus l’individu qui choisit ce qui va le marquer mais
l’environnement publicitaire qui le fait pour lui. L’enfant pourtant nourrisson baigne déjà
dans un monde empli de publicité et son esprit s’en trouve marqué autant que sa chaire.
Tabula rasa induit également l’idée de la publicité subie et non choisie. L’enfant figure ici
l’individu lambda, symbole de la passivité : il ne peut se défendre face à l’agression
publicitaire et ne peut que la recevoir.
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18
19
20
Nebudu est né de la rencontre entre trois artistes : Borjana Ventzislavova, Miroslav Nicic et Mladen Penev.
Leur art est au carrefour entre Street Art et art digital. Ces artistes sont actuellement basés à Vienne.
NEBUDU GROUP, Tabula rasa, art digital, 2004. Cette affiche a été installée sur douze panneaux
publicitaires dans différentes villes européennes. Annexes Tome 1 – 1.
LOCKE John, Essai sur l’entendement humain, 1690. et LOCKE John, Pensées sur l’éducation, 1693.
SARTRE Jean-Paul, L’existentialisme est un humanisme, Paris, Éditions Nagel, 1946.
15
La publicité véhicule des idées porteuses de l’idéologie capitaliste et la société de
consommation. Pour les anti-pub la publicité pousse à la surconsommation. La création
d’un désir fictif par la publicité chez le consommateur engendre une imitation du désir 21
consommés : l’effet grégaire de la consommation.
Il n’est également pas rare de voir dans les publicités certains clichés sexistes ou
racistes. Même si depuis les années 50 les annonceurs ont nettement réduit la quantité de
stéréotypes racistes dans les publicités. Cependant les stéréotypes sexistes n’ont pas
totalement disparus du champs publicitaire.
La réponse de l’anti-pub à cette pollution (idéologique ou visuelle) est toute aussi
multiple. Le terrain de l’anti-pub s’étend du courant artistique au mouvement politique.
L’anti-pub rassemble des acteurs variés : de l’artiste au militant. Protéiformes, les anti-pub
réagissent de différentes façons. En agissant directement sur le terrain, comme le font par
exemple les informaticiens qui s’évertuent à créer sans cesse de nouveaux logiciels pour
éradiquer la publicité sur Internet. Les acteurs de l’anti-pub étant hétéroclites, leurs
réponses artistiques et esthétiques sont très variées et vont de la désobéissance civile au
Street Art, et bien sûr rien ne les empêche de mélanger les deux. Il est difficile de ranger
l’anti-pub dans une case. L’anti-pub, c’est la résistance esthétique à la privatisation de
l’espace public par la publicité.
21
Le concept de désir imitatif est formalisé par GIRARD René dans Mensonge romantique et Vérité
romanesque, Paris, Grasset, 1ère éd. 1961, Chap 1 : « Le désir triangulaire. ».
16
3. L’émergence de l’anti-pub
L’opposition à la publicité naît à la fin des années 1970. Elle s’est d’abord construite
comme un mouvement idéologique de contestation avant de prendre forme concrète.
L’anti-pub voit le jour dans un contexte économique marqué par l’importance
grandissante de la publicité dans la société de consommation. Il s’agit également d’une
période faste pour l’émancipation intellectuelle. Si l’anti-pub naît dans un contexte
économique complexe s’étend sur plusieurs décennies. Il apparaît comme essentiel de
mettre en lumière l’environnement des anti-pub afin de comprendre les éléments
déclencheurs des premières actions.
◦ Contexte d’émergence
À la fin de la guerre de 1945, la société afin de relancer l’économie planifie un grand
boom de consommation. Ce processus se poursuit jusque dans les années 70-80. Cette
période est marquée par une situation économique délicate (augmentation du nombres de
chômeurs, crise pétrolière...) qui pousse les puissances de l’ouest à relancer la
consommation en jouant sur le modèle de la société de loisir pour relancer l’économie.
17
Le bloc de l’Ouest traverse plusieurs périodes économiquement difficiles dans les
années 1970-1980 : les deux chocs pétroliers en 197322 et en 197923, puis le krack boursier de
1987 qui fait trembler les bourses de New York, Paris, Londres, Francfort et Tokyo. La
conséquence la plus importante pour la population est l’augmentation du taux de
chômage24. Du choc du Kippour résulte le quadruplement de la facture énergétique des
pays occidentaux. Les entreprises répercutent dans leurs prix de vente le surcoût de
l’énergie, de sorte que l’indice des prix à la consommation passe de 5, 5 % (avant le choc du
Kippour) à d’amples fluctuations comprises entre 8 % et 14 %25. Cette augmentation des prix
a des répercutions importantes sur la population dont le pouvoir d’achat baisse. L’économie
est marquée par une baisse de la consommation et de l’investissement. En Europe les
entreprises européennes soumises à la concurrence des pays à bas salaires se délocalisent
vers les pays pauvres : le chômage double dans les pays occidentaux de 1971 à 1993 26.
22
23
24
25
26
Un choc pétrolier est un phénomène de hausse brutale des prix du pétrole. Le premier choc pétrolier se
caractérise par une crise internationale des prix du pétrole amorcée en 1971 à la suite du pic de production
de pétrole des États-Unis et à l’abandon du système Bretton Woods (accords financiers signés en 1944 afin
d’aider les pays économiquement touchés par la guerre, les États-Unis adoptent une posture de créditeur
de l’Europe). Le choc intervient réellement en 1973, où au terme d’une grave crise internationale au
Moyen-Orient, le prix du baril de pétrole passe de 3 dollars à 10 dollars. Les 16 et 17 octobre 1973, pendant
la guerre du Kippour, les pays arabes membres de l’OPEP, alors réunis au Koweït, annoncent un embargo
sur les livraisons de pétrole contre les États « qui soutiennent Israël ». Réunis le 16 octobre à Koweït City,
les principaux producteurs du Golfe décident d’augmenter unilatéralement de 70 % le prix du baril de
brut. Ils imposeront quelques jours plus tard une réduction mensuelle de 5 % de la production pétrolière et
un embargo sur les livraisons de pétrole à destination des États-Unis et de l’Europe occidentale.
Le second choc pétrolier qui éclate en 1979 (de 13 dollars, en 1978, le baril passe à 30 dollars en 1980), dans
le contexte de la révolution iranienne, elle-même suivie de la guerre entre l’Irak et l’Iran.
H.J., « Emploi et chômage aux États-Unis de 1967 à 1970 », in Population, n°3, 27e année, 1972, p 522-525.
« D’octobre à décembre 1973, au terme d’une grave crise internationale au Moyen-Orient, le prix du baril
de pétrole passe de 3 dollars à 10 dollars. »
DEMIER
Francis,
« Premier
choc
pétrolier »,
Encyclopædia Universalis
[en
ligne],
http://www.universalis.fr/.
Dernière consultation : 18 juillet 2014.
En 1971 au 4e trimestre le pourcentage de la population des États-Unis au chômage s’élevait à 5,1 % (soit
80,0 millions de personnes), il atteint 10 % en 1993.
H.J., « Emploi et chômage aux États-Unis. Perspectives jusqu’en 1974 » in Population, n°4-5, 27e année,
1972, p. 885-888.
18
Il s’agit alors de relancer l’économie. Pour cela les dirigeants se retrouvent face à
deux possibilités de relance économique. La première utilisée jusque dans les années 1980
est la politique de relance par la demande, qui a fortement marqué la politique économique
de Roosevelt au début du XXe siècle. La relance par la demande recourt aux principes de la
pensée keynésienne27. Ainsi pour relancer l’économie Keynes préconise un état fort qui
réalise de grands chantiers d’État afin de créer de l’emploi. Ces nouveaux salariés
dépensent ainsi leur argent en consommant, ce qui propulse la demande. Il en résulte une
relance de l’offre pour suivre cette demande et donc de créations d’emplois pour pouvoir
produire une offre suffisante. Ajoutons qu’un phénomène plus puissant encore se propage
aux entreprises : elles ont intérêt, dans un contexte d’inflation dû à la hausse des salaires et
des prestations sociales, à investir massivement (le capital non utilisé perdant
régulièrement de sa valeur). Ces investissements (modernisation, équipement, recherche et
autres) contribuent directement à la création d’emploi.
Depuis les années 1980 les gouvernements utilisent une autre politique de relance : la
politique de l’offre28. L’« économie de l’offre »29 est une école de pensée associée aux
changements de la politique économique américaine sous la présidence de Ronald Reagan
au point qu’on la désigne souvent par le terme « reaganomics ». Ce courant de pensée
apparaît au moment où les gouvernements abandonnent peu à peu la pensée keynésienne
pour se tourner vers ce que l’on appelle le néo-libéralisme, ou le néo-classicisme
économique. Selon les tenants de cette conception, la manière la plus efficace d’obtenir une
croissance économique élevée sur le moyen et le long terme est d’aider les entreprises à
produire davantage de biens et services, de les inciter à entrer sur de nouveaux marchés.
Selon l’analyse néo-libérale des salaires trop élevés causent une crise de l’embauche :
puisque les salaires sont trop élevés il n’y a pas de nouvelles embauches. Selon cette logique
27
28
29
KEYNES John Maynard, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, (The General Theory
of Employment, Interest and Money), trad. Jean de Largentaye, Paris, Éditions Payot, 1942.
BEAUD M. et DOSTALER G., La Pensée économique depuis Keynes, Paris, Le Seuil, 1996.
Le terme « Économie de l’offre » fut forgé par le journaliste américain Jude Wanniski en 1975.
19
si l’on baisse les salaires on augmente l’embauche. En résulte une inflation très faible (les
prix se stabilisent). Cette théorie fut utilisée et portées aux nues par Ronald Reagan 30 dont
l’élection à la présidence des États-Unis survient peu après le premier choc pétrolier, mais
aussi pour celle de Margaret Thatcher 31 et le « tournant de la rigueur »32 du gouvernement
de François Mitterrand33. Pour stimuler la consommation on a donc recourt à la publicité,
cela résulte d’un choix politique. Le chiffre d’affaire des agences de pub explose dans les
années 1980. Entre 1965 et 2014 le coût d’un spot publicitaire diffusé pendant 30 secondes à
la télévision américaine est passé de 19 700$ à 112 100$34.
Ce climat d’appel à la consommation incessant provoque la réaction de groupes qui
effectuent les premières actions anti-pub. Ces premières actions apparaissent dans un
climat idéologiquement favorable.
L’histoire récente est marquée par le soulèvement populaire contre l’autorité
étatique. À la fin des années 60 on peut voir de nombreuses manifestations au États-Unis
contre la guerre au Viêt Nam35. En France et en Europe le mois de mai 1968 concentre une
pluralité de luttes sociales et populaires. Ce processus nous pousse à nous interroger quant
à la corrélation entre ces différents éléments et la naissance de l’anti-pub.
30
31
32
33
34
35
Ronald Reagan (1911-2004) : 40e président des États-Unis (1981-1989).
Margaret Thatcher (1925-2013) : 71e premier ministre du Royaume-Uni (1979-1990).
Le « tournant de la rigueur » désigne le changement radical de politique économique, décidé en mars
1983 par François Mitterrand afin de réduire l’inflation. À partir de cette période les gouvernements
français successifs utilisent l’économie de l’offre comme système de relance.
François Mitterrand (1916-1996) : 21e président de la république française (1981-1995).
« TV Cost & CPM Trends-Network TV Primetime (M-SU) », TVB Local Media Marketing Solution,
http://www.tvb.org/.
TVB est une association américaine qui analyse l’industrie télévisuelle, notamment la place de la publicité
dans celle-ci.
Par exemple : la manifestation contre la guerre du Viêt Nam, Washington DC, octobre 1967.
20
La sur-représentation publicitaire dans les rues lié à un besoin imminent de relancer
l’économie pousse des activistes potentiels à se rassembler et à agir ensemble, de façon
organiser pour lutter contre la publicité. Les groupes pionniers s’attaquent à la publicité
pour différentes raisons : à cause de sa nature invasive, mais aussi à cause du caractère
« malsain » de publicité affichées (surtout pour les groupes anglo-saxons), ou encore pour
se réapproprier les panneaux publicitaires en tant qu’espaces de création.
◦ Groupes pionniers
The Billboard Liberation Front (USA)
Le Billboard Liberation Front36, le pionnier de l’anti-pub, est un collectif américain,
fondé par Jack Napier et Irving Glikk à San Francisco. Depuis la fondation du groupe en
1977, le Billboard Liberation Front (souvent réduit à l’acronyme BLF) transforme les
panneaux de pub de la région de San Francisco. Leur technique est simple : pervertir de
manière humoristique la publicité en « améliorant » les slogans avec des jeux de mots.
Cette technique est un détournement publicitaire, appelé « subvertising » en
anglais : un mot-valise formé de « subvert » (subversion) et « advertising » (publicité). Les
militants du site subvertising.org proposent une définition :
Le détournement publicitaire est l’art de la résistance culturelle. Ce sont les écrits sur
les murs, les autocollants sur les lampadaires, la reformulation des textes des affiches
36
Le Billboard Liberation Front est un mouvement d’anti-pub créé en 1977 à San Francisco. Ses principales
actions se caractérisent par la transformation de publicité. Le groupe altère le sens de la publicité de façon
humoristique.
21
publicitaires, les tee-shirts parodiques, mais c’est aussi l’acte de défi massif d’une fête
de rue. Le processus principal implique de redéfinir, ou même reprendre, notre
environnement au démon de l’entreprise.37
En septembre 1977, période que les membres du groupe appellent « pre-BLF era »38,
les deux hommes appartiennent au mystérieux San Francisco Suicide Club. Accompagnés
de 24 de leurs amis, ils effectuent leur premier détournement, en transformant le message
d’un panneau de publicité pour Ax Factor à San Francisco 39. La réclame originelle annonce
le message suivant : « Warning a pretty face isn’t safe in this city, fight back with. The new
mutilator Ax Factor ». (« Attention ! Un joli visage n’est pas en sûreté dans cette ville.
contre-attaquez avec une auto-agression, le nouveau mutilateur, AX Factor. »). Les futurs
activistes du BLF parodient ainsi l’affiche : « Warning a pretty face isn’t safe in this city,
fight crap with self-respect. The new moisturizer, by Max Factor » (Attention ! Un joli
visage n’est pas en sûreté dans cette ville, combattez les conneries avec le respect de soimême. Le nouvel hydratant par Max Factor »). Le procédé employé est simple : le groupe
change juste quelques lettres pour faire apparaître un message comique. L’élément
publicitaire devient alors un matériel de base qui pousse à l’ingéniosité et à la création. Par
la suite cette action prend le nom de Max Factor 26, Max Factor pour la signature apposée
en bas du panneau détourné et 26 pour le nombre de participants à l’action. Cette première
action collective est révélatrice de ce qui caractèrise l’action du Billboard Liberation Front :
des jeux de mots, de l’anti-pub et de l’humour.
Dans l’historique du Billboard Liberation Front P. Segal raconte ce qui les a poussé à
effectuer leur première action anti-pub en 1979. Ce texte corrobore cette impression de
submersion par des annonces mercantiles ressentie par les anti-pub.
37
38
39
Citation sur le site web militant subvertising.org (aujourd’hui repris par une entreprise) en 2005.
« Ère pré-BLF ». Cf. http://www.billboardliberation.com/max.html Sur l’action Max Factor 26.
Dernière consultation : 27 mai 2014.
BILLBOARD LIBERATION FRONT, Max Factor 26, septembre 1977, San Francisco, USA. Annexes
Tome 1 – 2.
22
In this the latter half of the twentieth century, human life has been overrun with media
of every stripe. Wherever media intrudes, advertising has been close at its heels, telling
us what to buy, think and resemble. Even in the encapsulation of our cars, with the
radio off, on uninhabited stretches of highway, the media reaches out in the monolithic
form of billboards.
For the last twenty-one years, the Billboard Liberation Front has taken a good-natured
swipe at the phenomena of outdoor advertising. Largely powerless to alter the
messages of television, radio or the print media, they could, in the dead of night, apply
improvements to the giant boards that tower over streets and highways. Their
philosophy requires that improvements be professionally accurate and easily removed;
they are not spray-paint renegades sans souci. [...]
In the closing years of the 1970s, while the rest of the world seemed busy with the work
of regrouping and returning to so called normalcy, a small group of San Franciscans
gathered to buck the tide. To this secret society, amusement and adventure were the
cardinal values, the more outrageous the challenge, the better. An element of danger
enhanced rather than diminished the fun, and their pranks and adventures challenged
the creative energies of the disparate personalities of the group. The San Francisco
Suicide Club spawned and influenced many subsequent creative groups, the BLF being
one of the longest lived and most nefarious.40
40
SEGAL P. « Indepth Look the Early History of BLF » in History and Timeline,
www.billboardliberation.com. Dernière consultation : 20 mai 2014.
« En cette seconde moitié du vingtième siècle, la vie humaine a été submergée par des media en tous
genres. Partout où les media s’immiscent, les publicité leur ont emboîté le pas, nous disant quoi acheter,
quoi penser, à quoi ressembler. Mais au sein du cocon de nos voitures, radio éteinte et lancés sur les
autoroutes désertes, les media nous atteignent sous la forme monumentale des panneaux publicitaires.
Ces vingt-et-une dernières années le Billboard Liberation Front a décidé de nettoyer avec bonhomie le
phénomène de la publicité en extérieur. Largement impuissants à altérer les messages de la télévision, de
la radio ou des imprimés, ses membres peuvent – sous couvert de la nuit – apporter des améliorations aux
gigantesques panneaux qui dominent les rues et les autoroutes. Leur philosophie requiert que ces
améliorations soient d’une précision professionnelle et faciles à ôter. Ils ne sont pas des renégats
désinvoltes armés de bombes de peinture. [...]
À la fin des années 70, alors que le reste du monde semblait se préoccuper de se recentrer sur soi et
de retourner à ce qu’on appelle la normalisation, un petit groupe d’habitants de San Francisco se
regroupèrent pour inverser la marée. Aux yeux de cette société secrète, l’amusement et l’aventure étaient
les valeurs cardinales. Plus défi à relever était important, mieux c’était. L’élément de danger augmentait
plutôt que diminuait le plaisir. Leurs canulars et leurs aventures opérèrent comme le catalyseur de les
énergies créatives des personnalités disparates du groupe. Le San Francisco Suicide Club suscita et
influença de nombreux autres groupes, parmi lesquels le BLF fut le plus efficace et ayant le plus
perduré. ». Toutes les traductions sont de Brendan Chabannes
23
C’est à partir du mois de décembre 1977 que Glikk et Napier forment véritablement
le Billboard Liberation Front, avec le détournement de neuf panneaux de la marque de
cigarettes Fact41 autour de San Francisco le jour de Noël. La fine équipe change alors le
slogan de la marque « I’m realistic, I only smoke Facts » (« Je suis réaliste, je ne fume que
des Facts ») en « I’m real sick, I only smoke Facts » (« Je suis complètement taré/malade, je
ne fume que des Facts »). La condamnation du tabac est très courante chez les activistes
américains. Cette aversion pour le tabac va de paire avec les procès intentés aux États-Unis
dans les années 1990. Les activistes utilisent le même procédé, transformant juste quelques
lettres. Grâce à l’aide de leur porte-parole de l’époque, Simon Wagstaff, cette première
action du BLF connaît un retentissement important.
Les publicités détournées ne sont pas choisies au hasard. Quelques fois le
détournement est suscité par un slogan que l’on veut changer (comme pour Max Factor 26,
où le slogan très agressif ne pouvait qu’être détourné par le BLF), d’autres fois le slogan
inspire au groupe un jeu de mot (comme pour Fact cigarette, où le détournement a une
consonance amusante entre « realistic » et « real sick »). Au moyen de peinture ou de
collage, toute la force humoristique du BLF se joue sur la confusion visuelle entre le
panneau d’origine et le panneau « amélioré ». Le passant ne doit pas voir au premier coup
d’œil que le panneau a été transformé, c’est en lisant le slogan qu’il doit se poser la
question : ce camouflage décuple l’effet « humoristique ». Les détournements de BLF ont
une réalisation assez simple : il suffit de masquer certaines lettres en utilisant la couleur de
l’arrière plan, d’en rajouter d’autres repeintes ou découpées sur d’autres panneaux.
41
BILLBOARD LIBERATION FRONT, Fact cigarette, décembre 1977, San Francisco, USA. Annexes
Tome 1 – 3.
24
Dans leur manifeste42 rédigé par Jack Napier et John Thomas expliquent plus
précisément leurs motivations anti-pub déplorant la sur-représentation publicitaire dans
tous les lieux de la vie quotidienne.
Advertising suffuses all corners of our waking lives; it so permeates our consciousness
that even our dreams are often indistinguishable from a rapid succession of TV
commercials. 43
L’impression de voir son imaginaire pollué par la pub est courante chez les anti-pub. Des
décennies plus tard les Déboulonneurs 44 reprendront cette même idée avec le slogan « La
pub pollue nos rêves » souvent apposé à la bombe de peinture par une déboulonneuse
parisienne sur des panneaux publicitaires 45. L’un des monuments de la culture populaire des
années 2000, la série Futurama46 de Matt Groening utilise également l’image des « rêves
publicitaires ». Dans l’épisode 6 de la première saison 47, le personnage principal, Philip J.
Fry s’aperçoit que des publicités sont incrustées dans son rêve. Le cinéaste John Carpenter
utilise également des panneaux publicitaires s’adressant au subconscient humain dans le
film They Live (Invasion Los Angeles)48 sorti en 1988 dans lequel le personnage principal
42
43
44
45
46
47
48
NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto :
http://www.billboardliberation.com/manifesto.html.
Dernière consultation : 27 mai 2014.
NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto.
« La Publicité investit tous les lieux de notre vie éveillée. Elle s’insinue à tel point dans notre esprit qu’il
nous est souvent impossible de distinguer nos rêves d’une succession rapide de spots télévisés. »
Les Déboulonneurs est un collectif d’anti-pub français créé en 2005 en région parisienne. Des groupes sont
présents dans plusieurs grandes villes de France. Leur action se caractérise par une mise à sac nonviolente et publique des panneaux publicitaires au moyen de peintures indélébiles.
LES DÉBOULONNEURS, « la pub pollue nos rêves », 24 novembre 2012, Gare Saint-Lazare, Paris, France.
Annexes Tome 1 – 3.
Futurama est une série réalisée par Matt Groening (créateur de la célèbre série des Simpsons), difusée sur
la Fox de 1999 à 2003. Cette série se déroule dans le futur et présente un univers loufoque inspiré de
nombreux pontes de la science-fiction.
« A Fishfull of Dollars » (« Cinquante millions d’anchois »), in Futurama, GROENING Matt, saison 1
épisode 6, 27 avril 1999, Fox.
They Live (Invasion Los Angeles), CARPENTER John, État-unis, 1988, 93 min.
Le film tire son inspiration d’une nouvelle de Ray Faraday Nelson, Eight O’Clock in the Morning (Les
Fascinateurs), publiée en 1963.
25
peut percevoir le réel sens des messages publicitaires (des ordres tels que « Sleep »,
« Obey », « Consume », « Reproduce ») seulement à l’aide de lunettes spéciales. Les autres
personnages n’y voient que de simples publicités standards. Tous ces exemples témoignent
d’une peur profonde d’une publicité s’adressant directement à l’inconscient.
Cette peur conduit le BLF a dénoncer la confrontation obligatoire de l’individu lambda à la
publicité.
You can switch off/smash/shoot/hack or in other ways avoid Television, Computers and
Radio. You are not compelled to buy magazines or subscribe to newspapers. You can sic
your rotweiler on door to door salesman. Of all the types of media used to disseminate
the Ad there is only one which is entirely inescapable to all but the bedridden shut-in
or the Thoreauian misanthrope. We speak, of course of the Billboard. Along with its
lesser cousins, advertising posters and "bullet" outdoor graphics, the Billboard is
ubiquitous and inescapable to anyone who moves through our world. Everyone knows
the Billboard; the Billboard is in everyones mind. 49
Le panneau publicitaire représente la publicité que l’on ne peut pas éviter, que l’on est
obligé de recevoir. Encore un parallèle intéressant avec les Déboulonneurs. Les
Déboulonneurs dans leur combat contre la pub se battent pour obtenir « un droit de
réception », sorte de pendant de la liberté d’expression. Lors d’une formation de
préparation au déboulonnage50, l’un des militants m’a tenu le même discours : « Pourquoi
on ne s’attaque qu’aux panneaux ? On peut éviter la pub partout, si on a pas de télé, si on
écoute pas la radio, si on met un bloqueur [de pub] sur son navigateur [web]... Mais dans la
rue on ne peut pas l’éviter ! »51.
49
50
51
NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto.
« Vous pouvez éteindre/cogner/détruire/hacher menu ou faire ce que vous voudrez à votre Télévision, à
votre Ordinateur, ou à votre Radio. Vous n’êtes pas dans l’obligation d’acheter des magazines ou de vous
abonner aux journaux. Vous pouvez lâcher votre Rottweiler sur les VRP. Parmi tous les médias utilisés
pour répandre la Pub, il n’y en a qu’un que nul ne peut éviter, à part le grabataire cloué au lit et le
misanthrope lecteur de [Henry David] Thoreau. Nous parlons, bien sûr, du Panneau Publicitaire. Avec ses
cousins, les posters promotionnels et les affiches, le Panneau Publicitaire est omniprésent et inévitable
pour quiconque se déplace dans notre monde. Chacun connaît le Panneau Publicitaire ; le Panneau
Publicitaire est dans l’esprit de chacun. »
Formation au déboulonnage par les Déboulonneurs, 17 novembre 2012 en région parisienne.
17 novembre 2012, Formation au déboulonnage par Les Déboulonneurs en région parisienne, propos d’un
militant anti-pub recueillis par Lucie Houlbrèque
26
Le combat du Billboard Liberation Front contre la publicité est aussi un combat pour
l’art. Un combat pour s’approprier l’espace publicitaire et un combat contre l’art marchand.
Deux paragraphes du manifeste du Billboard Liberation Front sont consacrés aux
rapports entre commerce et art. Les attaques des panneaux de pub par le BLF revêtent alors
une couleur plus revendicatrice.
Old fashioned notions about art, science and spirituality being the peak achievements
and the noblest goals of the spirit of man have been dashed on the crystalline shores of
Acquisition; the holy pursuit of consumer goods. All old forms and philosophies have
been cleverly co-opted and re"spun" as marketing strategies and consumer campaigns
by the new shamans, the Ad men.
Spiritualism, literature and the physical arts: painting, sculpture, music and dance are
by and large produced, packaged and consumed in the same fashion as a new car.
Product contents, dictated by trends in hipness, contain a half-life matching the
producers calender for being supplanted by newer models. 52
Le BLF pose une question intéressante : si l’art se consomme comme un cornet de frite,
pourquoi ne pas faire de l’art avec la pub ? Selon le groupe les publicités sont plus souvent
observées que les œuvres d’art. Utiliser les panneaux publicitaires renforcent donc l’impact
des œuvres : faire de l’art libre à la place de l’art marchand.
Afin de limiter la domination des lieux de consommation sur les lieux artistiques le
Billboard Liberation Front propose à tous les individus de s’accaparer les panneaux
publicitaires.
[...] to encourage the masses to use any means possible to commandeer the existing
media and to alter it to their own design.
52
NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto.
« Les idéaux dépassés au sujet de l’art, de la science et de la spiritualité qui donnent à l’esprit humain ses
plus nobles buts ont été anéantis sur les rivages cristallins de l’Acquisition : la sainte course aux biens de
consommation. Toutes les anciennes formes de philosophie ont été habilement re-« tournées » comme
autant de stratégies marketing et campagnes de publicité par les nouveaux chamans, les Fils de Pub.
La spiritualité, la littérature et les arts tels que la peinture, la sculpture, la musique et la danse sont
produites, emballées et consommées de la même façon qu’une nouvelle voiture. Le contenu des produits,
dicté par les modes, n’est qu’une demie-vie destinée à correspondre à l’agenda des producteurs qui les
remplace bien vite par d’autres modèles. »
27
Each time you change the Advertising message in your own mind, whether you climb
up onto the board and physically change the original copy and graphics or not, each
time you improve the message, you enter in to the High Priesthood of Advertisers. 53
Le groupe encourage les lecteurs du manifeste à reverser la balance et d’ajouter de
l’humanité et pourquoi pas de l’art aux panneaux publicitaires et à ne surtout pas les laisser
dans les mains des publicitaires qui « re- ”tourn[ent]” comme autant de stratégies
marketing et campagnes de publicité »54 les anciennes philosophies.
Mais pour le Billboard Liberation Front les panneaux publicitaires sont aussi de
grands espaces de jeux et d’expression artistique. Jack Napier cité dans Artivisme55
s’exprime à ce sujet :
Les panneaux publicitaires sont d’extraordinaires avant-scènes, de vastes aires de jeux
où s’amuser. Ce sont des plateformes urbaines où les troupes de théâtre devraient
s’exposer. Ce sont des toiles géantes à l’usage des artistes, des bouffons, des politiciens
pauvres et autres extravagants. Ils font partie des « anti-espaces » qu’on trouve dans
les villes si on les cherche. Ce sont les cadeaux des grandes entreprises ; elles les
construisent et les installent pour vous, pauvres citoyens, pour que vous puissiez les
utiliser à votre guise, si seulement vous en avez l’inspiration et le courage. 56
Par la suite le mouvement se propage, et devient même une référence dans le monde
de l’anti-pub. Choisissant de récupérer l’espace d’expression qu’est le panneau publicitaire,
laissé jusqu’alors aux mains des publicitaires, le Billboard Liberation Front transforme les
messages publicitaires en y ajoutant des jeux de mots, cyniques, grinçants, telles que Think
53
54
55
56
NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto.
« [...] encourager les masses à réquisitionner les médias existants et à les modifier selon leur volonté.
Chaque fois que vous changez le message Publicitaire pour le vôtre, que vous grimpiez sur le Panneau
et changiez physiquement le texte ou le visuel originels ou non, à chaque fois que vous améliorez le
message, vous pénétrez le Haut Sacerdoce des Publicitaires. »
NAPIER Jack et THOMAS John, Billboard Liberation Front’s Manifesto. op.cit.
LEMOINE Stéphanie et OUARDI Samira, Artivisme : Art, Action politique et Résistance Culturelle, Paris,
Éditions Alternatives, 2010.
NAPIER Jack du BILLBOARD LIBERATION FRONT cité in LEMOINE Stéphanie et OUARDI Samira,
Artivisme : Art, Action politique et Résistance Culturelle, Paris, Éditions Alternatives, 2010, p. 128.
28
Doomed57 (« pensez préfabriqué58 »), à la place du « Think Different » (« pensez
différemment ») d’Apple en 1998 à San Francisco. Ce mode d’action inspirera de nombreux
successeurs tels que Poster Boy à New-York.
The Billboard Utilizing grafftists against unhealthy promotions – BUGA-UP
(Australie)
Inspirés par les détournements du Billboard Liberation Front plusieurs acteurs de
l’anti-pub australiens se rassemblent à la fin des années 70 sous une seule bannière : BUGAUP. Billboard Utilising Graffitists Against Unhealthy Promotions ou BUGA-UP est un
mouvement anti-pub australien qui concentre ses actions (de dégradation et de
détournement) sur les publicités qu’ils jugent « malsaines ». Le caractère « malsain » s’est
élargie au fil des années : au départ il concernait les publicités qui font promotion de
produits dangereux pour la santé comme le tabac, l’alcool puis très vite les publicités de
produits alimentaires type « malbouffe » ont été les cibles de « dégradation », aujourd’hui
de nombreuses publicités sexistes sont également visées par BUGA-UP.
Tout commence en octobre 1979 dans le centre ville de Sydney. Trois hommes, Bill
Snow, Ric Bolzan et Geoff Coleman, excédés par l’invasion de la publicité dans tous les
57
58
BILLBOARD LIBERATION FRONT, Think Doomed, 1998, San Francisco, USA. Annexes Tome 1 – 4.
McCORMICK Carlo et WOOSTER COLLECTIVE., Trespass, une histoire de l’art urbain illicite , Paris,
Taschen, 2010. L’édition française traduit l’expression « Think Doomed » par « Pensez préfabriqué ».
Cependant la pomme d’Apple « améliorée » par le BLF fait apparaître une tête de mort. Ce qui rappelle la
connotation originelle du terme anglais doom. Le double sens apostrophe sombrement le public, à la
manière stoïcienne : « Nous sommes tous voués à mourir »
29
espaces de vie décident d’allier leurs forces et de fonder un mouvement d’anti-pub afin de
coordonner les actions dispersées.
In the 1970s in Australia, tobacco and other advertising was everywhere - indoor,
outdoor, in cinemas and on television. Tobacco was also the most advertised product in
the world, except for perhaps all food counted together. Food stores were identified by
their complete coverage by tobacco ads. Huge tobacco advertisements covered the sides
of buildings, or blared from their rooftops. Freeways and roads had tobacco signs along
the way. Billboards were at railway stations and between stops, in train carriages and
on buses. The medical profession wrote submissions to have them removed, in vain.
The visual environment had become dominated by advertising and the few regulations
that existed were ineffective. Someone had to do something about it! 59
Cette citation nous montre que l’anti-pub de BUGA-UP est surtout motivée par
l’indignation suscitée par l’invasion des publicités vantant les mérites du tabac. Les trois
compères n’en étaient pas à leur première action anti-pub. Bill Snow s’était illustré en
détournant les panneaux de publicité pour des marques de tabac et est connu pour son
activisme anti-tabac. Mais après avoir attaqué les panneaux à coups de graffitis et de
bombes de peinture pendant plus d’un an, Bill Snow, Ric Bolzan et Geoff Coleman
estimèrent pouvoir fédérer les différents types d’actions anti-pub en fondant BUGA-UP.
Pour rendre leurs actions plus efficientes les activistes décident de les signer sous le même
nom ce qui donne à BUGA-UP une meilleure visibilité. Le mouvement s’est d’abord
implanté en octobre 1979 dans le centre-ville de Sydney puis s’est étendu à Melbourne,
Hobart, Adelaide et Perth. BUGA-UP compte des membres venus d’horizons divers.
59
http://www.bugaup.org/faq.htm
« Dans les années 70 en Australie, les publicités pour le tabac et d’autres produits étaient partout : à
l’intérieur, dehors, dans les cinémas et à la télévision. Le tabac était le produit le plus vanté par la
publicité, exceptés peut-être tous les aliments pris dans leur ensemble. Les magasins d’alimentation se
reconnaissaient au fait qu’ils étaient recouverts de publicité pour le tabac. D’énormes publicités pour le
tabac recouvraient les façades des immeubles ou bien pendaient de leurs toits. Les autoroutes comme les
routes étaient truffées de panneaux en faveur du tabac. On croisait les panneaux publicitaires en gare, sur
le trajet de la voie ferrée, dans les wagons, sur les autobus. Le corps médical tenta de les faire retirer, mais
en vain. L’environnement visuel était devenu dominé par la publicité et le peu de réglementation encore
en vigueur demeurait inefficace. Quelqu’un se devait d’agir ! »
30
BUGA-UP se définit60 comme un mouvement et refuse l’appellation de « groupe » : il
n’existe pas d’adhésions ou de réunions. Il n’y a donc pas de liste exhaustive des membres
du mouvement. Les graffeurs rejoignent le mouvement en ajoutant à leurs détournements
la mention « BUGA-UP ». C’est ainsi que le mouvement s’est propagé rapidement en
Australie et à l’étranger. En résulte une très grande diversité des membres dont certains
sont célèbres : Arthur Chesterfield-Evans61, Lord Bloody Wog Rolo62 et Fred Cole63. Des
catalogues annuels répertorient les panneaux sur lesquels la mention BUGA-UP a été
apposée et constituent ainsi une mémoire non exhaustives des actions réalisées. Il n’y a
donc pas véritablement de pensée commune théorisée au sein de BUGA-UP, contrairement
au BLF qui s’appuie sur un manifeste. Les membres du mouvements jouissent d’une très
grande liberté concernant les messages qu’ils inscrivent sur les panneaux. Sur leur site
Internet BUGA-UP met a disposition un texte basé sur le principe du Do It Yourself
expliquant aux usagers comment devenir un parfait activiste anti-pub : le Do It Yourself
Graffiti Guide, publié en 1981 dans leur deuxième catalogue 64. Ce guide en plus de donner
des techniques de détournement d’affiches tant sur le fond que sur la forme, pose les
véritables piliers de la philosophie de BUGA-UP.
60
61
62
63
64
Voire page d’accueil du site officiel de BUGA-UP : http://www.bugaup.org/
Dernière consultation : 27 mai 2014.
Arthur Chesterfield-Evans (1950- ) est un médecin, homme politique australien et militant de la paix et
ancien membre du Conseil législatif de la New South Walles de 1998 à 2007.
Rolo Mestman Tapier (1945-2007) également connu sous le nom de Lord Bloody Wog Rolo était une
personnalité excentrique de la ville de Sydney en Australie. C’est l’un des membres fondateurs de BUGAUP mais aussi un activiste anti-monarchique (il a renoncé à prêter allégeance à la reine après
l’officialisation de son immigration, au motif qu’il était un républicain et la reine n’était pas un
représentant démocratiquement élu du peuple). Cette prise de position ainsi que les slogans « abolition de
la monarchie » que Rolo portait ont conduit à son arrestation en 1981 « pour comportement susceptible
de causer de graves troubles ».
Fred Cole (1926-2009) est un activiste de BUGA-UP. Il est notamment connu pour une action anti-tabac
les années 80 où il déambulait vêtu en homme sandwich (vantant différentes marques de cigarettes) dans
la ville de Sydney. Il est l’un des membres de BUGA-UP a avoir été le plus arrêté pendant leurs actions.
BUGA-UP, Spring catalogue 1981, 1981. Annexes Tome 1 – 4.
31
Despite the occasional organised Offensive and Blitz campaigns, the bulk of BUGA-UP
graffiti is done on an ad hoc basis, whenever people can fit it in.
For most people this means painting on billboards just before catching the train to and
from work, or "painting the town red" at night or on their days off.
Billboard graffiti is so simple you can organise it around just about anything. Even if
you paint only one billboard per week you’ll be costing the corporate pushers between
$500 and $5000 per year, depending on your thoroughness. It’s a sad fact, but we’ve
learnt through long experience that money is the only language billboard advertising
companies understand. Nothing will get those ads down faster that if their profits are
reduced by. escalating maintenance costs.
But even more important that this financial factor is the effect that the refaced ad will
have on those who read it. At the very least you’ll be Speaking Up for Community
Health - something none of our governments seem to care much about.
So now, just to show you how easy the whole operation is, BUGA-UP presents the Doit-Yourself Graffiti Guide.
First, you’ll need to buy and test your equipment. Go to a shop (big chain supermarkets
are the cheapest) and get your spray cans. Black and chrome are the most versatile
colours, but red, blue, purple and white are also effective on particular billboards.
Spraycans must be shaken for at least a minute prior to use. Always test new cans as
some are duds.
You then find your tobacco and alcohol billboards and work out the easiest access and
departure routes. Position somebody to watch for the rare cop who may happen upon
you, and to chat with passers-by. Then, Go For It!
Try to break down the power of the billboard ad by answering it, looking at the space
available and the way in which the words and images lend themselves to addition,
alteration or comment. We’ve found humour to be extremely effective in exposing the
advertiser’s real intentions - turning the ad’s message back on itself.
When you finish writing (avoiding spelling mistakes, the graffitist’s curse) you sign the
billboard "B.U.G.A. U.P." Bang! You’re a member with full entitlement to the Fighting
Fund65 should you need it.66
65
66
« Fighting Fund » ou « Fond de Défense » permet de payer la moitié de l’amende des graffeurs arrêtés
pour avoir détourner des panneaux en signant BUGA-UP.
BUGA-UP, « Do-It-Yourself Graffiti Guide », 1981, in How To, www.bugaup.org/
Dernière consultation : 5 juin 2014.
32
Ce texte décrit avec justesse la réalité des actions anti-pub : réalisé la nuit, en allant
travailler, rapidement... Toutes ces actions sont tout à fait en phase avec la pensée de
BUGA-UP qui vise à rassembler les manifestations anti-pub éparpillées. BUGA-UP va même
jusqu’à valoriser ce type d’action en rappelant le coût du nettoyage des panneaux dégradés
pour les annonceurs et en insistant sur l’impact du message transformé pour ceux qui le
liront dans la rue.
Philosophiquement BUGA-UP s’inscrit dans la continuité du Billboard Liberation
Front : un mouvement anti-pub utilisant l’action directe pour modifier des panneaux
« Malgré les campagnes éclairs et offensives organisées à l’occasion, la majorité des graffitis de BUGA UP
est faite au cas-par-cas, quand les gens en ont la possibilité.
Pour la plupart des gens, cela signifie peindre sur des panneaux juste avant de prendre le train en
allant au travail ou en en revenant, ou bien « repeindre la ville en rouge » la nuit ou pendant les jours de
congé.
Le graffiti sur panneau est si simple que vous pouvez l’organiser très facilement. Même si vous ne
repeignez qu’un seul panneau par semaine, vous occasionnerez un coût allant de 500 à 5 000 dollars par
an en fonction de votre pugnacité. C’est un triste fait, mais nous avons appris par expérience que l’argent
est bien la seule langue que comprennent les compagnies qui exploitent les panneaux publicitaires. Rien
n’ôtera plus vite ces pubs que des profits en chute libre en raison des coûts de maintenance.
Mais l’effet que la pub altérée aura sur ceux qui la lisent est plus important encore que le facteur
financier. Le moins que l’on puisse dire est que vous Parlerez au nom de la Santé Publique – quelque
chose dont aucun de nos gouvernements ne semble vraiment se préoccuper.
C’est pourquoi maintenant, juste pour vous montrer avec quelle facilité on peut mener l’opération,
BUGA-UP présente le Guide du graffiti do-it-yourself.
D’abord, vous devrez acheter et tester votre équipement. Allez dans un magasin (les grandes chaînes
de supermarchés sont les moins chères) et trouvez bombes de peinture. Le noir et l’argenté sont les
couleurs les plus passe-partout, mais le rouge, le bleu, le violet et le blanc peuvent aussi faire l’affaire pour
certains panneaux. Les bombes aérosols doivent être secouées au moins une minute avant usage. Essayez
toujours les nouvelles bombes, car certaines sont défectueuses.
Ensuite allez chercher vos panneaux de publicité pour le tabac et l’alcool et trouvez les voies d’accès
les plus pratiques. Positionnez un guetteur pour vous prévenir du rare flic qui pourrait vous tomber dessus
et discuter avec les passants. Puis, ALLEZ-Y !
Essayez de briser le pouvoir du panneau publicitaire en lui répondant, en observant l’espace
disponible et la façon dont les mots et les images se prêtent à un ajout, une altération ou un commentaire.
Nous avons découvert que l’humour est extrêmement efficace pour mettre en lumière les intentions
véritables du publicitaire – il permet de retourner complètement le message sur lui-même.
Lorsque vous avez fini d’écrire (en évitant les fautes d’orthographe, la malédiction du graffeur) vous
signez « B. U. G. A - U. P. » Bingo ! Vous êtes désormais membre et vous aurez accès de plein droit au
Fond de Défense si vous en avez besoin. ».
33
publicitaires aux messages choquants (ou qui promeuvent des produits malsains). Mais le
mouvement australien se différencie dans son organisation interne. Les membres du BLF
agissent en groupe et revendiquent par la suite leurs actions. Mais chez BUGA-UP tout à
chacun peut devenir membre « de plein droit » du mouvement simplement en apposant la
mention « BUGA-UP » sur un panneau rectifié.
BUGA-UP utilise principalement le détournement. Pour détourner un panneau il
s’agit de transformer les slogans publicitaires pour diffuser un message jugé plus « vrai »
que ceux promus. Le détournement peut aller de la simple suppression de lettre à la
réécriture du slogan pour scander le point de vue BUGA-UP et mettre en évidence le
caractère malsain du produit vendu. Les sodas et boissons gazeuses sont aussi ciblés au
nom de l’obésité que ces produits peuvent générer.
Étant donné qu’il n’existe pas de travail de réflexion collectif préalable aux actions
de BUGA-UP, leurs détournements sont formellement assez peu travaillés. Les activistes se
bornent à apposer à la bombe aérosol le nom du mouvement, à modifier le slogan
publicitaire en ajoutant ou en enlevant quelques lettres ou à ajouter un commentaire
souvent acerbe sur la nature des produits et la façon dont ils sont vantés par la réclame.
Dans son Do It Yourself Graffiti Guide, BUGA-UP propose des techniques de peinture
rapide et efficaces pour les surfaces en hauteur : notamment un système de perche pour
bombe de peinture ou encore la fabrication d’œufs de peinture.
Comme BLF, BUGA-UP part du matériel de base (l’affiche publicitaire) pour
détourner son sens selon le calembour qu’elle leur inspire. Les activistes de BUGA-UP ne
cherchent pas à obtenir un résultat propre qui se fond dans la publicité. Contrairement au
Billboard Liberation Front qui cherche à camoufler son intervention sur les panneaux
publicitaire pour créer un effet de surprise, les détournements de BUGA-UP sont très
34
visibles. Ainsi le passant peut reconnaître les panneaux détournés. Les actions apparaissant
comme de véritables attaques, des réponses aux annonceurs.
Les Humains Associés (France)
En France, un groupe fondateur se constitue : Les Humains Associés67. Les Humains
Associés ne se restreignent pas seulement à l’anti-pub. Leur champ d’action est beaucoup
plus large : ils se définissent comme « un mouvement culturel et artistique, s’intéressant à
l’humain et à l’écologie, sans oublier le social 68». De 1987 à 1990 les Humains se lancent
dans des campagnes de publicité humanistes. Il s’agit d’actions qui tendent à rassembler les
hommes en convertissant les espaces publicitaires en « campagnes de publicité »
philosophiques, humanistes et gratuites. Utilisant l’espace publicitaire que les afficheurs
ont accepté mettre à leur disposition gratuitement (cas tout à fait exceptionnel et
inattendu69 de collaboration entre anti-pub et publicitaires). Ces campagnes n’ont pour but
ni de vendre, ni de faire la promotion d’un groupe, ni de recruter, mais simplement d’inviter
à une réflexion humaniste et écologique pour un éveil des consciences.
Quel est le moyen de toucher les gens de la rue sans passer par les médias ? Réponse...
L’affichage sur des espaces publicitaires ! En 1986, les Humains proposent leur première
action d’envergure. Le projet ? Lancer une campagne d’affichage gratuite aussi
67
68
69
Association humaniste fondée en 1984, connue pour son action de détournement publicitaire à visée
philosophique et humaniste.
Site des Humains associés : http://www.humains-associes.org/
Dernière consultation : 27 mai 2014
« La petite histoire des Humains Associés », in www.cyberhumanisme.org (site géré par les Humains
Associés).
Dernière consultation : 22 mai 2014.
Op. Cit. « La petite histoire des Humains Associés ». Voir citation. Les Humains associés semblent euxmêmes surpris d’avoir obtenus ces espaces.
35
importante que celles des grands annonceurs de l’époque ! Un pari fou, délirant même
aux dires de certains, quand on sait que cela nécessite un budget de plusieurs millions
de francs. Car les Humains ont tout dans la tête, mais rien dans les poches. Qu’à cela
ne tienne. En un an, le projet est monté : les Humains Associés s’adressent aux
afficheurs (les loueurs d’espaces publicitaires) et leur demandent... de prêter
gracieusement leurs panneaux 4 mètres sur 3 ! Le discours est direct : « Pour nous, la
publicité sert essentiellement à asservir l’homme. Pour une fois, accepteriez-vous de
mettre vos espaces au service de l’homme ? » Une gageure. Mais la réponse des
afficheurs est à la hauteur de la question posée. De nombreux professionnels répondent
positivement. Ils sont nombreux à entrer dans la danse et à participer gratuitement à
l’opération (graphistes, photographes, imprimeurs et bien sûr afficheurs). 70
En 1987 Les Humains associés lancent leur première campagne d’une série de
quatre : L’homme est unique ne le gâchons pas. 71 Ils investissent 1 000 panneaux de 4 × 3 m
dans le métro parisien sur lesquels ils affichent une grande photographie en noir et blanc
représentant une foule massée brandissant des panneaux formant la phrase « l’homme est
unique ne le gâchons pas ».
Ainsi dès février 1987 de nombreuses affiches fleurissent sur les murs d’Île de France. Ces
affiches ne vendent rien, ne promeuvent rien. Elles ne portent aucune marque commerciale
ni idéologie politique. Elles diffusent simplement un message philosophique aux humains.
Cette campagne est un succès médiatique : les affiches collées dans les rues parisiennes et
de nombreuses stations de métro sont décrites comme « in-con-tour-na-bles » par François
Reynart dans Libération. Les Humains estiment qu’en trois semaines, ce sont des millions
de français qui ont pu croiser chaque jour ce message.
En 1988, Les Humains Associés s’investissent dans une campagne qui connaît un
fort impact sur le public. Il s’agit de la campagne interactive, une invitation amoureuse et
70
71
Extrait de « La petite histoire des Humains Associés », in www.cyberhumanisme.org (site géré par les
Humains Associés).
Dernière consultation : 22 mai 2014.
LES HUMAINS ASSOCIÉS, L’homme est unique ne le gâchons pas; 1987, affiche reproduite sur 1 000
panneaux, 4 × 3 m, Paris, France. Annexes Tome 1 – 5.
36
poétique : Et si on parlait d’amour 72, sur 600 panneaux 4 × 3 m. Son impact est lié au
caractère innovant de cette campagne : elle invitait les passants à écrire librement à la main
sur des grandes affiches blanches à hauteur d’homme sous le slogan écrit en haut,
transformant les 600 panneaux en un espace d’expression poétique totalement libre et
ouvert à tous. À l’instar des dazibaos chinois73, toutes les affiches ont donc été des créations
uniques. Cette campagne a obtenu un large écho dans les médias nationaux (télévision,
radio, presse écrite). L’association lance la même année la Revue Intemporelle74, revue
annuelle gratuite qui prolonge la réflexion humaniste engagée par les campagnes.
Les Humains Associés publient un texte fondateur : le Manifeste Planétaire en 1984
lors de la création de leur association. Ce texte fait montre d’une réelle volonté de redonner
une place central à l’être humain, se pencher davantage sur sa valeur en tant qu’individu.
Les Humains Associés utilisent un vocabulaire philosophique et plastique moins accès sur la
lutte radicale que la plupart des groupes d’anti-pub. Cependant comme beaucoup de
groupe d’anti-pub ils rejettent la société de consommation en général et la publicité en
particulier. Ils réprouvent avec vigueur la dévaluation de l’individu, au profit des produits
marchands, qu’elle induit.
Sur notre planète bleue blues qui vit dans la peur terrifiante des guerres de toutes
sortes, guerre fanatique, guerre psychologique, guerre bactériologique, guerre de haine,
guerre religieuse, guerre économique...nous avons perdu presque toute valeur en tant
qu’individu.
Chacun de nous aujourd’hui vaut moins que le vêtement qu’il porte, à moins qu’il ne
représente une puissance sans visage.75
72
73
74
75
LES HUMAINS ASSOCIÉS, Et si on parlait d’amour..., 1988, affiche photographique, reproduite sur 600
panneaux, 4 × 3 m, Paris. Annexes Tome 1 – 5.
Le dazibao est un mode d’expression qui remonte à la Chine impériale. Il s’agit d’une affiche rédigée par
un simple sujet, qui pouvait traiter d’un sujet politique ou moral. Elle était placardée pour être lue par
tous.
LES HUMAINS ASSOCIÉS, La revue intemporelle, n°1 : « L’amour », 3e trimestre 1988.
LES HUMAINS ASSOCIÉS, Manifeste Planétaire, 1984 (Extrait)
37
Le but du Manifeste Planétaire des Humains Associés est d’inviter les autres humains à
prendre conscience de leur condition humaine, de la force de l’union, de la solidarité, de
lutter contre l’individualisation de la société libérale, dans un contexte de relance néolibérale insufflée par les gouvernements de Margaret Thatcher, Ronald Reagan ou encore le
« tournant de la rigueur » de François Mitterrand.
Les Humains Associés constitue par le caractère légal de son action (prêt de
panneaux publicitaires, médiatisation de leurs campagnes « publicitaires ») et l’originalité
de sa proposition artistique (pour Et si on parlait d’amour ) un cas à part dans le panorama
de l’anti-pub. On ne peut pas considérer Les Humains associés s’affichent comme une
d’alternative à la publicité, plus que comme une contestation de la publicité. Cependant
l’incitation à l’occupation d’espace publicitaire comme utilisée pour l’action Et si on parlait
d’amour est aussi le cheval de bataille de beaucoup d’anti-pub.
Adbusters (Canada)
Abusters est à la fois une fondation et un magazine. Née en 1989 à Vancouver au
Canada par Kalle Lasn et Bill Schmalz, Adbusters Media Foundation se revendique comme
un réseau d’activistes, d’écrivains et d’artistes qui veulent innover dans de nouvelles formes
d’activisme propres à l’ère de l’information qui caractérise notre époque 76. Adbusters est
formé des mots « ad », diminutif de « advertisment » publicité et « to bust » éliminer,
détruire. On peut traduire littéralement par « casseurs de pub », le groupe se définit comme
anti-publicitaire, et accuse cette dernière de coloniser l’espace public, mais aussi psychique
76
https://www.adbusters.org/about/adbusters.
Dernière consultation : 27 mai 2014.
38
à cause de l’omniprésence de la publicité dans tous les lieux de la vie quotidienne : films,
événements sportifs, boîte aux lettres, télévision mais aussi écoles et la rue.
Adbusters se présente comme anti-capitaliste. C’est pourquoi une grande partie de
leurs revendications cible les entreprises multinationales. Dans son journal, l’association
défie les grandes marques :
Nous prendrons les archétypes des pollueurs de la tête – Marlboro, Budweiser,
Benetton, Coke, MacDonald’s, Calvin Klein – et nous les battrons à leur propre jeu. [...]
Nous allons déglamouriser leurs images à coup de milliards de dollars, avec des nonpublicités à la télé, des « subversing » dans les magazines, et des anti-pubs juste à côté
des leurs, dans le paysage urbain.77
L’un des symboles du groupe est le Corporate Flag78 (drapeau d’entreprises) depuis sa
création en 2000. L’œuvre est une parodie du drapeau des États-Unis, il est aussi surnommé
Brands and Bands (Marques et bandes) un jeu de mots imitant la paronomase 79 de
l’expression « Stars and Stripes » (Étoiles et bandes) qui désigne habituellement le drapeau
américain. Dans cette version les étoiles des états sont remplacées par les logos de grandes
entreprises américaines. Le drapeau est réalisé par Shi-Zhe Yung, alors au Pratt Institute de
New-York, une école d’art privée. Les trente marques représentées sont : CBS, Playboy,
Coca-Cola, ABC, Camel, Windows, Sprint, Travelers/Citigroup, Apple, Nike, AT&T,
Chrysler, Warner Bros, White Westinghouse, Chase, Intel, Pizza Hut, MacDonald’s, Xerox,
Adobe, IBM, General Electric, Internet Explorer, Bell System, United Airlines, Shell, Adidas,
NBC, Pepsi, Compaq. Le drapeau est utilisé lors de manifestations 80 où il est brûlé
accompagnés de chants. Ce drapeau résolument anti-consummériste est devenu l’effigie du
groupe.
77
78
79
80
ADBUSTERS cité in Libération du 2 octobre 1995.
Shi-Zhe Yung pour Adbusters, Corporate flag, 2000, photomontage. Annexes Tome 1 – 6.
La paronomase est une figure de style qui consiste a rapprocher deux paronymes (deux mots dont le sens
diffère mais dont la graphie et/ou la prononciation sont fort proche de sortes qu’ils peuvent être
confondus à la lecture ou à l’audition). Exemple connu : « qui vole un bœuf vole un œuf ».
Par exemple comme lors de la manifestation anti-Bush The World Can’t Wait le 4 février 2006.
39
Adbusters agit comme une fédération de groupes d’anti-pub, regroupés en
associations nationales dans divers pays : Casseurs de pub et Résistance à l’agression
publicitaire (RAP) en France et en Belgique, Adbusters Norge en Norvège, Adbusters
Sverige en Suède et Culture Jammers au Japon.
Adbusters attaque la publicité au travers du détournement artistique de publicités.
Contrairement à BUGA-UP les publicités détournées par Adbusters sont plus hétéroclites.
Le groupe s’attaque au sport, à la mode, au tabac... Les attaques visent par exemple la
publicité sur l’alcool, sur laquelle des militants de Vancouver apposent des textes comme :
L’idée selon laquelle notre campagne de publicité a contribué à la progression de
l’alcoolisme, la conduite en état d’ivresse et les violences domestiques contre les
femmes et les enfants est une absurdité. Personne ne fait attention à la publicité. 81
La technique utilisée est elle aussi très diversifiée : il peut s’agir d’ajout de lettres ou
d’effacement de mots pour créer des jeux de mots ou de véritables fausses publicités.
Dans le cas de fausses publicités l’ironie est double : nous reconnaissons la référence
utilisée dans la publicité parodiée parce que l’omniprésence de la publicité nous crée une
culture commune. C’est entre autres dans cette optique que le groupe réalise une campagne
visant la marque Nike, notamment les affiches Tiger Wood – Nike smile et Nike the ripper.
Tiger Wood – Nike smile82 est un photomontage qui donne au golfeur professionnel un
sourire qui reprend la forme de la célèbre virgule de la marque. Cette image interroge le
spectateur en associant le sportif à un objet commercial. Nike the ripper83 réalisé de 2006 à
2010 à Munich traite le sujet de manière différente : un ajout sur une publicité de la marque
montre une femme, vêtue de manière sportive qui semble presque décapitée par la virgule
Nike. Affichée en rue, cette action questionne les rapports entre les sportifs et les sponsors.
81
82
83
ADBUSTERS, message sur une pub d’alcool, cité in LES DÉSOBÉISSANTS, Désobéir à la Pub, Paris, Le
passager clandestin, 2010.
ADBUSTERS, Tiger Wood – Nike smile, 2011, photomontage. Annexes Tome 1 – 6.
BRAVE NEW ALPS pour Adbusters, Nike the ripper, 2008, collage sur panneau d’affichage, Munich,
Allemagne. Annexes Tome 1 – 7.
40
Le groupe se focalise aussi sur les publicités pour des marques de tabac en parodiant
la marque Camel avec le personnage récurrent Joe Chemo (un anti Joe Camel ou Old
Camel, un dromadaire mascotte de la marque de tabac Camel de 1987 à 1997) visiblement
atteint d’un cancer des poumons. Le personnage, mascotte anti-tabac 84, est représenté
fatigué, chauve souvent escorté d’une perfusion ou alité, voire tout simplement mort. Cette
campagne compte contrecarrer l’image positive de Joe Camel et prévenir des dangers du
tabac. Ces affiches furent placardées sur plusieurs panneaux publicitaires.
Adbusters s’est aussi beaucoup intéressé aux stéréotypes corporels qui apparaissent
dans les publicités. La fondation critique les corps interchangeables et irréels des
mannequins. Ces corps lisses font naître un sentiment de malaise chez le spectateur, voire
une haine du corps (principale cause de l’anorexie). Ils expriment leur rejet de cette
adoration de la minceur et cette mentalité de corps conformes par plusieurs détournements.
Notamment Feed me85 qui reprend une photographie publicitaire de la mannequin Kate
Moss à côté de laquelle sont inscrits les mots « Feed me » (« nourris-moi »). Cette affiche
peut faire penser aux photographies accolées sur les prospectus de lutte contre la faim tant
la top-model est maigre. La campagne « Obsession » dénonce également les dangers de la
mode, les ravages du culte du corps parfait et les stéréotypes de genres. Obsession for men86
représente un homme à la musculature herculéenne visiblement très préoccupé par le
contenu de son caleçon : on comprend alors que l’obsession des hommes c’est la taille.
Obsession for women87 présente une femme penchée au dessus des toilettes. L’obsession de
la femme c’est son régime. Formellement les deux affiches ont un aspect très plastique,
léché : la photographie est en noir et blanc, les contours sont légèrement floutées pour la
femme, les contrastes élevés pour l’homme, reprenant ainsi les codes de la photo de mode.
84
85
86
87
« Joe Chemo: A Camel Who Wishes He’d Never Smoked » : http://www.joechemo.org/
Dernière consultation : 27 mai 2014.
ADBUSTERS, Feed me, 2011, photomontage, publié dans Adbusters Magazine. Annexes Tome 1 – 7.
BLECK NAancy pour Adbusters, Obsession for men, 2006, photomontage, publié dans Adbusters
Magazine. Annexes Tome 1 – 8.
BLECK Nancy pour Adbusters, Obsession for women, 2006, photomontage, publié dans Adbusters
Magazine. Annexes Tome 1 – 8.
41
La campagne connaît un pendant, Reality for men – Calvin Klein 88 qui représente le torse
d’un homme photographié en noir et blanc. L’homme ne répond pas aux canons de la
beauté actuel : son torse est ventru et poilu. Adbusters nous montre par là la différence
entre le corps type exhibé par la publicité et le corps réel des hommes, il n’y a pas qu’un
seul type de corps humain mais des milliards, qu’il ne faut pas figer pas le corps en une
seule représentation stéréotypée. Ces affiches se moquent des canons de beauté imposés
par la publicité et la mode.
4. Les Déboulonneurs
Nous avons délibérément choisi deux groupes très différents qui n’abordent pas
l’opposition à la publicité de la même manière : le Billboard Liberation Front et les
Déboulonneurs.
Le collectifs des Déboulonneurs89 voit le jour en 2005, en région parisienne. Peu après
l’important procès du Collectif des 62 en avril 2004, la désobéissance civile apparaît plus
que jamais comme l’ultime recourt aux militants. Le Collectif des 62 est né à la suite d’une
action de désobéissance civile, non-violente de centaines de personnes répondant à un
appel de lutte contre la privatisation des espaces publics par la publicité. Suite à cette action
soixante-deux personnes ont été assignées par la RATP et Métrobus (régie publicitaire du
métro parisien, filiale de Publicis) au civil. Les deux groupes réclamaient 1 000 000 €. Le
tribunal correctionnel du Paris condamne neuf militants anti-pub pour avoir dégradé des
88
89
BLECK Nancy pour Adbusters, Reality for men – Calvin Klein , 2006, photomontage, publié dans
Adbusters Magazine. Annexes Tome 1 – 9.
LES DÉBOULONNEURS, Manifeste des Déboulonneurs, septembre 2006, www.deboulonneurs.org
Dernière consultation : 27 mai 2014
42
affiches du métro. Le montant des dommages-intérêts varie de 400 à 2 000 €90. Ce procès et
ses retombées médiatiques ont poussés les militants à créer le collectif des Déboulonneurs.
Les Déboulonneurs, dont le nom vient d’une volonté de « déboulonner » la publicité,
la faire tomber de son piédestal, souhaitent l’ouverture d’un débat national sur la place de
la publicité dans l’espace public. Les Déboulonneurs, s’ils déplorent également les messages
véhiculés par la publicité ont décidé de ne centrer leur action que sur la forme, c’est-à-dire
la taille de l’espace occupé par la publicité dans les lieux publics. Les Déboulonneurs
souhaitent donc obtenir la réduction des panneaux publicitaires à 50 × 70 cm (taille de
l’affichage associatif), mais aussi la reconnaissance d’un nouveau droit : la liberté de (non)
réception comme corollaire à la liberté d’expression : la liberté de choisir de recevoir ou non
la publicité. Dans leur manifeste, texte fondateur des Déboulonneurs (un des seuls textes à
ne pas être signé par les Déboulonneurs en tant que groupe mais par des individus) le futur
collectif exprime point par point ses raisons de vouloir « déboulonner » la publicité :
a. Le système publicitaire monopolise toujours plus l’espace public : rues, transports,
cinémas, stades, musées, universités, écoles. Il parasite les activités culturelles et
pervertit les manifestations sportives. Antidémocratique, il favorise les annonceurs les
plus puissants.
b. Les médias financés par la publicité sont condamnés à une course à l’audience,
perdent leur liberté éditoriale et s’interdisent de critiquer les annonceurs, sous peine de
voir se fermer le robinet à finance. Ainsi deviennent intouchables les industries qui font
le plus de publicité (agro-alimentaire, automobile, nucléaire, pétrochimie, grande
distribution, loisirs et tourisme, cosmétiques).
c. Le système publicitaire sacrifie la santé et l’écosystème au commerce. Il occulte les
conséquences sanitaires (mauvaise alimentation, obésité, anorexie...) et se moque du
principe de précaution (nucléaire, produits chimiques, organismes génétiquement
modifiés [OGM], téléphones portables...).
d. Il incite à la surconsommation, au gaspillage, à la pollution et fait souvent l’apologie
de comportements irresponsables et individualistes. En entretenant la convoitise et la
90
Source : http://lecollectifdes62.free.fr/
Dernière consultation : 25 juin 2014
43
frustration, il est source de surendettement, de délinquance, de violence pour les plus
démunis.
e. Il déshabille femmes, hommes et enfants comme un proxénète, propage des modèles
artificiels et uniformes, et entretient le culte d’une perfection physique et d’une
éternelle jeunesse, engendrant – notamment chez les personnes handicapées, malades
ou âgées – le sentiment d’être rejeté.
f. Il réduit l’existence à la consommation, les fêtes à des opérations commerciales,
l’imaginaire et les idéaux à des arguments de vente.
g. C’est le consommateur qui paie la publicité (en moyenne 500 euros par an et par
personne), car, tel un impôt caché le coût des campagnes publicitaires est répercuté sur
le prix des produits achetés.91
Ce texte théorique des Déboulonneurs montre des convergences avec d’autres groupes. On
retrouve ainsi la critique de BUGA-UP sur les publicités vantant des produits malsains. La
critique principale des Déboulonneurs réside dans le système économique publicitaire :
l’aspect anti-démocratique (les plus gros annonceurs auront plus d’espace publicitaire), la
répercussion du coût de la campagne sur le prix du produit et l’incitation à la
surconsommation. Ce texte met l’accent sur l’existence de liens plusieurs mouvements
contestataires : comme les mouvements écologiques et féminismes.
Le modus operandi des Déboulonneurs est original. Fondée sur le concept de
désobéissance civile, leur action consiste a dégrader les panneaux publicitaires en y
inscrivant à la peinture indélébile des slogans, « barbouiller » en langage Déboulonneurs. À
la suite de ces déboulonnages les barbouilleurs se font interpeller par les forces de l’ordre.
Ces arrestations sont partie intégrante de l’action. Les Déboulonneurs abordent d’une façon
plus sereine l’arrestation puisqu’elle fait partie de leur mode opératoire . Lors de la journée
de formation du 17 novembre 2012, j’ai pu constater que les militants-barbouilleurs
faisaient en sorte de se préparer à toutes les éventualités. La formation des Déboulonneurs
n’est pas institutionnalisée mais elle se déroule généralement en deux étapes. La première
91
BARET Alex, GRADIS Yvan, JOURDE François, STERBOUL David et VAILLANT François, « Dégâts du
système publicitaire » in Manifeste des Déboulonneurs, septembre 2006.
44
partie constitue ce que l’on pourrait appeler le « bloc théorique », il s’agit d’une discussion
sur les raisons qui poussent les Déboulonneurs à agir contre la publicité et leurs
revendications. Les Déboulonneurs profitent de l’occasion pour expliquer le déroulement
d’un barbouillage standard. L’action type se structure ainsi : les barbouilleurs (ceux qui
effectivement saboteront les panneaux de pub) et leurs supporteurs se réunissent au point
de rendez-vous puis se déplacent en manifestation festive 92. Lorsque le joyeux groupe a
atteint le point de rendez-vous les barbouilleurs commencent leur office. Généralement les
forces de l’ordre interviennent, et emmènent les barbouilleurs pris sur le fait au poste. Ces
derniers se laissent faire sans opposer de résistance, à la manière non-violente. Selon le
militant qui dirigeait la formation, les barbouilleurs se retrouvent très rarement en garde à
vue. Pendant que les militants sont emmenés au poste de police, la foule venue soutenir
continue de manifester festivement, en expliquant aux passants les raisons de leur action.
Une fois rassurée sur le sort de ses compagnons (garde à vue ou non), elle se disperse. Les
rôles que s’attribuent les Déboulonneurs lors de leurs actions effectuent un roulement. Ils
sont tour à tour : barbouilleur, supporteur ou médiateur. Le médiateur se charge de
dialoguer avec les forces de l’ordre et de modérer les supporteurs. C’est généralement lui
qui annonce les étapes de l’action (déplacement, barbouillage, arrestation, dispersion).
Après cette explication les Déboulonneurs nous proposent de passer à la partie
pratique où l’on nous fait jouer un jeu de rôles à la manière du Théâtre-Forum. Armés de
bombes aérosols nous taguons tels de vrais barbouilleurs nos panneaux de pub factices. Les
Déboulonneurs–agent de police nous arrêtent et nous interrogent au poste de police (des
chaises de jardin). C’est l’occasion de nous expliquer ce que l’on est obligé de dire lors d’un
interrogatoire (son identité et son adresse) et ce qui n’est pas obligatoire.
Cette formation permet aux Déboulonneurs d’informer les barbouilleurs (ceux qui veulent
barbouiller doivent au préalable venir aux formations) de ce qui les attend sur le terrain afin
92
Lors de ce déplacement les Déboulonneurs sont généralement rejoints par d’autres groupes militants
comme la Brigade Activiste des Clowns (Clown Army de Paris) ou la Fanfare Invisible.
45
d’éviter les mauvaises surprises. Les Désobéissants résument clairement le mode d’action
des Déboulonneurs :
Sélectionner un nombre limité de panneaux bien visibles (4 × 3 mètres par exemple) et
regroupés au même endroit, en ville. Annoncez publiquement (et auprès des médias)
votre intention et le lieu du rendez-vous. Munissez-vous de peinture, éventuellement
effaçable, et de votre carte d’identité, ainsi que d’escabeaux, si les panneaux sont en
hauteur. Veillez à ce que vos amis assistent à l’action, afin de vous protéger de la
violence policière et de montrer que vous n’êtes pas seuls à dénoncer la publicité. Eux
ne commettent pas d’action illégale en ne faisant qu’assister à votre opération.
Expliquez à la cantonade les raisons de votre action, et faites circuler un tract avec le
moyen de contacter et de soutenir le collectif. [...] Peignez à la bombe des slogans antipub sur l’affiche (« obéis, consomme » ; « la pub fait dé-penser »...), mais ne débordez
pas sur le panneau lui-même. Veillez à ce qu’un militant « médiateur » gère la sécurité
de l’action, en restant attentif aux éventuels spectateurs ou employés de l’annonceur ou
de l’afficheur visés qui se montreraient hostiles, afin de leur expliquer, de les apaiser,
etc.
Attribuer à un militant le rôle de « contact police » : c’est lui qui guettera l’arrivée de la
police et présentera au responsable policier pour le rassurer sur le caractère non violent
de l’action et la volonté des militants à accepter l’interpellation. 93
Passer devant le tribunal pénal pour répondre de leurs dégradation est un moyen de
s’assurer une tribune pour exprimer leurs idées et ainsi de changer peut-être la loi en
faisant jurisprudence.
Les Déboulonneurs ont choisi la désobéissance civile pour plusieurs raisons :
3. Quand tout a déjà été dit sur une loi inique – celle, par exemple, qui autorise une
poignée d’afficheurs à envahir l’espace public –, quand ont déjà été prises maintes
initiatives (manifestations, pétitions, débats, notamment au Parlement), quand des
ministres eux-mêmes, parlant de « catastrophe », ont appelé à une refonte de la loi, et
que la loi n’est pas changée, il est du devoir des citoyens d’exercer sur les responsables
politiques une pression plus importante, aussi longtemps que cette situation perdurera.
Quitte à commettre en groupe des actes symboliques illégaux.
4. La désobéissance civile n’a pas pour but de faire croire que l’on pourrait vivre dans
une société sans lois ni règles. Elle se distingue de la désobéissance criminelle dans la
mesure où les transgresseurs annoncent leur intervention, agissent en public, à visage
découvert, et assument leurs actes, témoignant, par là même, d’un intérêt supérieur
pour le droit et la justice.
93
LES DÉSOBÉISSANTS, Désobéir à la pub, Le passager clandestin, 2009, p 41-42.
46
5. Face à l’agression publicitaire, face à l’inertie des autorités, la désobéissance civile est
une « légitime réponse ». [...]94
Les actions des Déboulonneurs volontairement illégales ont pour but avoué de faire évoluer
la loi et d’alerter l’opinion.
Conclusion
Aujourd’hui la publicité est aussi omniprésente que jadis, elle a même conquis de
nouveaux espaces. On voit de plus en plus de panneaux publicitaires dans les villes et dans
les campagnes. La taille des panneaux est devenue monumentale. La « pieuvre
publicitaire » étend ses tentacules dans tous les lieux de vie. La nuit n’est pas épargnée par
la réclame : de plus en plus de panneaux lumineux, vidéos voient le jour. Bien sûr
l’opposition des activistes anti-pub à la réclame n’est pas seulement liée à son inévitable
présence, mais aussi au système de pensée qui donne sa valeur à la publicité.
La fin des années 1970 est marquée par une grave crise économique, liée aux chocs
pétroliers, qui fait sombrer le monde occidental dans cercle infernal du chômage. Pour
relancer l’économie et diminuer le phénomène d’inflation les états occidentaux baissent le
coût de l’emploi et stimulent la consommation. Ce contexte permet à la publicité et aux
publicitaires de prospérer davantage encore à partir des années 1980.
En cette période de « pousse à la consommation » naquissent les premiers groupes
anti-pub. Ces groupes décident de répondre à l’invasion publicitaire. Chaque réponse a sa
spécificité. Le Billboard Liberation Front choisit de détourner de manière discrète les
94
BARET Alex, GRADIS Yvan, JOURDE François, STERBOUL David et VAILLANT François, « Désobéissance
civile et non-violence : un choix » in Manifeste des Déboulonneurs, septembre 2006.
47
publicités afin d’en faire ressortir le véritable message et de créer un effet « comique ».
BUGA-UP saccage les publicités malsaines armé de sa bombe aérosol. Les Humains
Associés proposent des espaces de réflexions aux usagers du métro parisien. Adbusters
mène une réflexion sur la publicité et propose des détournements publicitaires réalisés par
des artistes et photographes dans sa revue Adbusters.
Tous ces groupes sont encore actifs aujourd’hui. Leur réflexion sur l’anti-pub se
révèle être au croisement de plusieurs domaines. La pratique se rapproche de celle des
street artists de l’art de rue ainsi que celle des militants activistes d’extrême gauche. De ces
liens avérés découlent des échanges, des pratiques communes.
48
Chapitre II
L’anti-pub, au croisement entre l’art et la
politque
49
L’analyse du Billboard Liberation Front et des Déboulonneurs, invite à découvrir les
liens entre l’anti-pub et le Street Art et les mouvements anticapitalistes. L’anti-pub présente
des frontières poreuses avec plusieurs autres disciplines. Les différents modes opératoires
de l’anti-pub rejoignent celles du Street Art. Tous deux partagent le même terrain de jeu,
ainsi que les risques.
Ce chapitre sera consacré à l’analyse des liens entre l’anti-pub et les différentes
disciplines qu’il côtoie. Ces liens permettront de cerner au mieux la diversité anti-pub ainsi
que l’étendue de sa pensée.
Nous nous attacherons dans un premier temps à analyser comparativement le Street
Art et l’anti-pub. Il nous a semblé essentiel de proposer notre définitions du terme « Street
Art », en revenant ainsi sur l’histoire de ce mouvement. Puis nous nous intéresserons au
lieu d’action de l’anti-pub et du Street Art : la rue. Nous découvrirons aussi une technique
commune aux deux mouvements : le Culture Jamming.
Dans un second temps nous nous pencherons d’avantage sur la relation du
mouvement anti-pub avec les autres luttes sociales. Pour cela nous définirons les notions
d’activisme et d’artivisme. Nous nous attacherons tout d’abord à analyser l’anti-pub au sein
d’un mouvement plus global, celui de l’anticapitalisme. Puis nous tisserons des liens entre
anti-pub et vidéo-surveillance, deux luttes proches depuis l’arrivée des écrans vidéos. La
question écologique sera également abordée, toutes ces publicités étant énergivores.
Pour finir nous aborderons la question du publisexisme, une symbiose entre anti-pub
et féminisme. Le sexisme dans la publicité reste un point récurrent dans de nombreux
groupes anti-pub (entre autres le BLF et les Déboulonneurs).
50
1. L’anti-pub et le Street Art : des frontières perméables
Le Street-Art et l’anti-pub présentent de nombreux points en communs. Ils partagent
le même lieu d’expression : l’espace public. Mais si la majorité des acteurs de l’anti-pub
réalisent leurs actions dans la rue, tous les street artists n’interviennent pas dans la critique
de la publicité. Cependant il faut noter que de nombreux artistes de rue intègrent l’anti-pub
à leur pratique plastique. Le célèbre street artist Banksy en est un bon exemple. Il considère
que les graffitis sont une légitime réponse à l’oppression publicitaire :
Beaucoup de gens considèrent que le taguage est une activité criminelle. Pourtant, les
30 cm² de notre cerveau sont violés quotidiennement par des équipes entières de
publicitaires. Le graffiti est une réaction proportionnée aux objectifs d’une société
obsédée par la notoriété qui cherche perpétuellement à vendre l’inaccessible. C’est le
spectacle d’une économie libérale déréglementée recevant l’art qu’elle mérite. Vous
pouvez toujours dire que tout ça n’est qu’une énorme perte de temps, votre opinion
n’intéressera personne si votre nom n’est pas écrit en lettres énormes sur un immense
pont à l’entrée de votre ville.95
Si elles sont distinctes, les frontières entre ces deux pratiques sont perméables. Les
interventions pratiquées par un street artist ou un groupe anti-pub dans l’espace urbain
présentent les mêmes aspects. Cette similitude est due à une utilisation de techniques
semblables. L’anti-pub « agrémente » l’espace public de ses stickers, collages, peintures à la
bombe aérosol, comme peut le faire le Street Art. Néanmoins le Street-Art n’est pas miscible
dans l’anti-pub et inversement.
95
BANKSY en 2010 cité dans McCORMICK Carlo et WOOSTER COLLECTIVE, Trespass, une histoire de
l’art urbain illicite, Paris, Taschen, 2010.
51
◦ Définition Street Art
Le Street Art est une expression anglaise que l’on peut traduire par l’art urbain. Le
Street Art ou art urbain correspond à toute forme d’art en rue, ou dans les lieux publics en
général. C’est un « mouvement » artistique qui se constitue de toutes les formes d’art
réalisées dans la rue, ou dans des endroits publics. Cet art s’affirme dans une diversité de
pratiques telles que le graffiti, le pochoir, la mosaïque, les stickers, le collage, les
installations, la projection vidéo, la création d’affiches ou les dessins au pastel sur les rues
et les trottoirs. L’une des caractéristiques de l’art urbain est son aspect éphémère. Le Street
Art jouit d’un très large public bien qu’il soit malaisé de le mesurer.
En France, les premières expérimentations d’art urbain datent de la fin des années
1960 et du début des années 1970 avec par exemple le travail d’Ernest Pignon-Ernest 96.
Pignon-Ernest réalise en 1975 à Tours, Nice, Paris et Avignon de nombreux dessins d’une
série appelée Sur l’avortement97. Alors que les députés débattent sur le sujet à l’Assemblée
Nationale, l’artiste, par des dessins collés sur les murs exprime son opinion en faveur de
l’avortement.
Lors des débats à l’Assemblée sur la libéralisation de la loi sur l’avortement, j’ai voulu
retourner le mot d’ordre des opposants à la libéralisation : « l’avortement tue ».98
96
97
98
Ernest Pignon-Ernest (1942- ), artiste plasticien né à Nice, précurseur français de l’art urbain avec Daniel
Buren et Gérard Zlotykam. Son site artistique : http://www.pignon-ernest.com/
Dernière consultation : 9 juin 2014.
ERNEST PIGNON-ERNEST, Sur l’avortement, collages sur murs, 1975, Tours, Nice, Paris et Avignon.
Annexes Tome 1 – 9.
ERNEST PIGNON-ERNEST propos recueillis à propos de la série Sur l’avortement. Source :
http://www.pignon-ernest.com/
Dernière consultation : 9 juin 2014.
52
Sur son site, Ernest Pignon-Ernest met ce texte en regard d’un fragment d’un tract du
MLF99 :
Chaque année en France un million de femmes avortent clandestinement, cinq mille en
meurent.100
L’artiste montre au regard de tous le produit de l’avortement clandestin pour défendre un
avortement médicalisé et légal. Ce type d’œuvre est l’exemple-même de l’importance de
l’environnement chez les street artists. Pignon-Ernest expose son opinion dans la rue sur un
problème de société (de plus un problème qui divise la société). Le fait de créer dans la rue
et donc de se confronter à un public plus large donne un impact d’autant plus important à
ce type d’œuvre.
C’est vers la fin des années 1970 que le mouvement s’intensifie : de plus en plus de
graffitis et de tags ornent alors les murs des villes. Né de la réunion d’artistes graffeurs et
d’individus issus de la culture « punk », les street artists des premières heures utilisaient
principalement la peinture aérosol. Au fur et à mesure des techniques plus variées se sont
greffées à l’art de rue. Avec l’avènement des réseaux sociaux, d’Internet et d’autres moyens
de communication à échelle mondiale, le Street Art s’internationalise, et fleurit dans les
villes du monde entier. Son chevalet urbain, la rue, en fait un art éphémère et vu par un très
grand public. Le public du Street Art est particulier : il s’agit d’un art qui s’adresse à tous.
Le Street Art semble s’adresser d’avantage à une population qu’à un public culturellement
trié.
À tout moment, en tournant au coin de la rue, un monde peut se découvrir. Un
monde qui brise la monotonie du quotidien, égaye la grisaille urbaine. Ce monde, c’est l’art
de rue ou le Street Art. L’art de rue regroupe des artistes à l’esthétique et aux techniques
99
100
MLF : Mouvement de Libération de la Femme. Il s’agit d’un mouvement féministe issu des mouvements
contestataires de 1968 et du mouvement américain Women’s Lib. Ce mouvement emblématise la lutte
pour l’égalité des sexes, pour la libération de la femme et de son corps notamment en militant en faveur
du droit à l’avortement.
Tract du MLF, 1975, cité à propos de la série Sur l’avortement d’Ernest Pignon-Ernest sur son site.
53
variées. Travaillant souvent en autonomie et dans l’anonymat, les street artists résistent à la
pression commerciale des musées et offrent leur art gratuitement 101.
Les influences du Street Art se révèlent aussi diverses que peuvent l’être ses artistes.
La performance, le happening ou encore l’affichage du XIX e siècle, sont autant de sources
d’inspiration de nombreux street artists. Certains font de la performance une pratique
intégrée à leur art de rue. C’est le cas de l’artiste anglais Banksy 102 dans sa performance
McDonald’s® is stealing our children sur Picadilly Circus en 2004. L’artiste utilise l’art de la
performance pour exprimer une opinion : McDonald’s manipule et utilise les enfants (il les
« vole »). Pour réaliser cette performance Banksy se grime comme le personnage de la
marque, le clown Ronald McDonald’s et fait s’envoler avec un énorme ballon portant le M
jaune, un mannequin en plastique de la taille d’un enfant. McDonald’s est une icône de la
« junk food103 », de la surconsommation et du capitalisme. Bien souvent, les artistes
s’attaquent autant à la chaîne de restaurants qu’au symbole qu’elle véhicule.
Le Street Art est un art contestataire, subversif. Les motivations qui poussent un
artiste à exposer dans la rue peuvent s’avérer très variées. Certains artistes choisissent ainsi
d’exprimer leurs opinions politiques, un mécontentement face à un fait de société. La rue
devient alors une sorte de tribune libre. On remarque que souvent après un mouvement
social, la rue recouverte de graffitis est le miroir des opinions du peuple qui l’a habitée le
temps d’une barricade ou d’un blocage industriel. Ce phénomène rappelle les graffitis
101
102
103
Toutefois, il arrive que les plus connus d’entre eux participent à des expositions plus commerciales,
comme le street artist Banksy à son exposition « Barely Legal » à Los Angeles en 2006, où certaines de ses
pièces se sont vendues 25 000 £. Il se l’est d’ailleurs vu reprocher par ses collègues graffeurs, l’art urbain
étant par essence gratuit.
Banksy est un street artist originaire de Bristol en Angleterre. Pacifiste et révolutionnaire, il commence à
manier la bombe aérosol dans les années 1980. C’est à partir des années 1992 – 1994 qu’il devient
véritablement un artiste graff au sein du groupe « Bristol’s DrybreadZ Crew (DBZ) ». à partir des années
2000 il confectionne des pochoirs de plus en plus élaborés et vindicatifs. Aujourd’hui il est considéré
comme l’un des street artists les plus connus au monde, mais aussi l’un des plus mystérieux, tenant à son
anonymat.
« Junk food » terme anglais que l’on traduit volontiers en français par « malbouffe », ce qui correspond à
de la nourriture peu saine et grasse généralement servie dans les fast-food. Par extension, le terme
désigne également les produits vendus par les sociétés multinationales du secteur de l’agroalimentaire.
54
retrouvés dans l’enceinte de la Sorbonne après le mois de mai 1968. Des graffitis tels que
« On achète ton bonheur, vole-le! »104 ou « Désirer la réalité, c’est bien ! Réaliser ses désirs,
c’est mieux »105, sont à l’image du mouvement social qui les a créés.
Le street artist n’a pas grand chose en commun avec un artiste de chevalet : son art
n’est pas un art de galerie, le pratiquer peut lui attirer des ennuis avec la justice et sa toile
peut prendre la dimension d’une ville. La rue devient pour certains, un grand espace vierge
à combler de leurs œuvres. Si la ville est leur terrain de jeu, toutefois la conquérir n’est pas
une mince affaire. L’illégalité de l’art de rue peut aussi être un grand facteur de motivation
pour certains. L’adrénaline et les émotions ressenties lors de la pratique plastique dans des
endroits interdits (propriétés privées, bâtiments publics, etc.) peuvent être grisantes pour les
artistes.
Ce frisson peut toutefois entraîner de graves conséquences : arrestations,
contraventions, travaux d’intérêt général ... Pratiquer son art dans un lieu public peut être
punissable par la loi. Lorsqu’ils ne sont pas faits sur des supports autorisés, les graffitis
constituent, pour le droit pénal français, une « destruction, une dégradation ou une
détérioration volontaire d’un bien appartenant à autrui », qui est punie :
– d’une contravention de 5e classe (1 500 € ou plus) s’il n’en résulte qu’un dommage léger106;
– d’une amende pouvant atteindre 30 000 € et d’une punition pouvant atteindre 2 ans
d’emprisonnement dans les autres cas107.
Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable,
sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de
104
105
106
107
Graffiti réalisé durant le mouvement social de mai 1968 dans le Hall Richelieu de l’Université de la
Sorbonne.
Idem.
Article R.635-1 du Code Pénal.
Article 322-1 du Code Pénal.
55
3 750 € d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté
qu’un dommage léger108.
La sanction peut être relevée à 7 500 € d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général,
lorsque, entre autres, « le bien détruit, dégradé ou détérioré est destiné à l’utilité ou à la
décoration publiques et appartient à une personne publique ou chargée d’une mission de
service public »109.
Toutefois, de l’interdiction et de la menace de poursuite judiciaires résulte l’attrait
du Street-Art et de l’anti-pub.
◦ Un même lieu d’action : la rue comme toile
La désobéissance à la publicité a généralement pour objectif de susciter la réflexion,
le débat, l’autonomie de la pensée et la remise en question de « l’évidence » que représente
la présence publicitaire dans notre quotidien. Le lieu idéal pour parvenir à cet objectif est
bien évidement la rue et l’espace public.
L’anti-pub dispose de plusieurs voies pour lutter contre l’invasion publicitaire : lutter
contre la publicité sur Internet, dans nos boîtes aux lettres ou encore à la télévision. La rue
est le terrain de chasse privilégié de la plupart des groupes anti-pub, car il s’agit de la seule
pub que le quidam est forcé de subir. C’est dans la rue et dans les lieux publics que se
trouve la majorité des publicités et donc la majorité des lieux d’actions d’anti-pub. La
plupart des interventions anti-pub sont liées au détournement de publicité et occupent
ainsi les espaces publicitaires. Voulant diffuser son message au public le plus large possible,
108
109
Article 322-1 du Code Pénal.
Article 322-2 du Code Pénal.
56
c’est en tant qu’« art de rue » que l’anti-pub prend tout son sens. Il n’a pas pour objectif de
s’institutionnaliser, s’il veut transmettre un message de critique de la consommation
publicitaire et consommation marchande.
Peindre dans la rue est très éloigné du travail d’atelier. Il s’agit souvent de travailler
la nuit, rapidement, d’emporter son matériel partout avec soi, d’avoir préparé ses
interventions à l’avance. Un détournement réussi nécessite une double préparation : une
réflexion sur le message et son sens et une préparation matérielle. Le détournement ou le
barbouillage rapide est l’ami du bon activiste anti-pub. Les panneaux publicitaires sont
placés de façon à être visibles du trottoir afin de vanter efficacement les produits. Cette
caractéristique présente à la fois un avantage et un inconvénient pour les anti-pub : leurs
ajouts seront visibles par tous, mais ils risquent de se faire prendre au moment de leur
réalisation.
C’est le constat qu’a fait le Billboard Liberation Front en manquant de se faire
prendre par la police en décembre 1977 pour l’action Fact Cigarette.
The Front visited the Fact boards, checking for access, lighting, escape. They
measured letters, took paint samples, compared type styles and fabricated the overlays
that would be rubber-cemented to the boards.
They made their hits on Christmas day 1977, dressed in workman’s overalls that had
"Acme Sign" printed across the backs. It was late afternoon when they pasted up the
improvements on the sixth board, which now read, "I’m real sick. I only smoke Facts."
They also installed a large stylized arrow pointing from the word "Fact" down to the
surgeon generals warning.
The board was on a rooftop at the corner of Mission & Army Streets. Napier and his
team of liberators were just about to pick up their gear and go off to the next location
when a police car was seen driving up to the building and stopping. The officer got out
and looked up. Obscured by the roofs decorative facade, Napier and his assistant, Steve
Johnson crawled to the other side of the roof to descend the ladder. A peek over that
side revealed yet another peace officers vehicle pulling up.
57
Trapped and unable to safely join their ground crew, the two dispirited pranksters
turned their energy to creating alibis. Then suddenly, the officers on the south side of
the building jumped into their vehicle and sped off... They tore off the coveralls and
made a shaky escape. Down on the street, they ran into a smiling man in early middle
age carrying a cane. As they melted inconspicuously into the growing crowd of
gawkers, Mr. Glikk110, for that’s who the man was, beckoned them over. Behind Mr.
Glikk they could see the cops who had by then returned and were climbing a fire dept.
ladder truck ladder up onto the now vacant rooftop. "The cops?" Glikk responded to
their question: ’They got an anonymous call to assist an officer in distress a few blocks
away I guess it turned out to be a false alarm" he grinned, "and then they decided to
return to where the action is. 111
Cet exemple nous montre qu’une bonne préparation (repérage des lieux, déguisement,
membre de l’équipe resté en arrière pour faire le guet) ne sont pas toujours des précautions
110
111
Irving Glikk (né en 1934) membre fondateur du BLF, a pris sa « retraite » au sein du Billboard Liberation
Front en 1985. Lors de l’action Facts Cigarettes en 1977 il est âgé de 43 ans.
SEGAL P. « Indepth Look the Early History of BLF » in History and Timeline,
www.billboardliberation.com. Dernière consultation : 18 juin 2014.
« Le Front visita les panneaux de Fact, inspectant les accès, l’éclairage, les issues. Ils mesurèrent le
lettrage, prélevèrent des échantillons de peinture, comparèrent les types de fontes et fabriquèrent les
ajouts qui seraient thermocollés sur les panneaux.
Ils frappèrent à la Noël 1977, habillés de vêtements au dos desquels était imprimé « Acme Sign ». C’est
tard dans l’après-midi qu’ils collèrent les améliorations du sixième panneau qui affichait désormais : « Je
suis carrément malade. Je ne fume que des Facts. » Ils installèrent également une grande flèche stylisée
qui reliait le mot « Fact » à l’avertissement sanitaire.
Le panneau était fixé sur une toiture au coin des rues Mission et Army. Napier et son équipe de
libérateurs étaient sur le point de ramasser leurs affaires et de filer à l’autre endroit quand on vit une
voiture de police se diriger vers le bâtiment et s’arrêter. L’agent sortit du véhicule et regarda vers le haut.
Dissimulés par le fronton de la façade, Napier et son acolyte Steve Johnson rampèrent jusqu’à l’extrémité
du toit et s’apprêtèrent à descendre par l’échelle. Un regard lancé à la dérobée par-dessus le fronton
montra qu’encore une voiture de police approchait de ce côté.
Piégés et incapables de rejoindre en toute sécurité leur équipe au sol, les deux blagueurs désespérés
dépensèrent leurs dernières force pour se trouver des alibis. C’est alors que soudainement les agents
situés en bas de la façade sud de l’immeuble sautèrent dans leur véhicule et partirent en trombe... Ils
déchirèrent leurs déguisements et s’échappèrent tout tremblants. Dans la rue, ils se cognèrent à un
homme entre deux âges qui tenait une canne, tout sourire. Alors qu’ils se mêlaient discrètement à la foule
grandissante des badauds, M. Glikk – car c’était lui – les attira vers lui d’un geste. Derrière M. Glikk ils
purent voir les flics qui étaient revenus et qui escaladaient l’échelle d’un camion de pompier pour parvenir
au toit de l’immeuble, désormais désert. « les flics ? » Glikk répondit à leur question : « Ils ont reçu un
appel anonyme qui leur indiquait la présence d’un collègue en danger à quelques pâtés de maisons de là »
Il ajouta dans un rictus : « Je pense que c’était une fausse alerte, et ils ont décidé de retourner à l’action ».
58
suffisantes pour réaliser un détournement. L’activiste anti-pub n’est jamais à l’abri d’une
arrestation.
Pour gagner en rapidité lors des ses actions plastiques urbaines et éviter les
arrestations, l’artiste Banksy a abandonné la bombe aérosol pour des pochoirs préparés à
l’avance à partir de 2000. L’idée lui serait venue après avoir échappé à une poursuite
policière, alors qu’il s’était caché sous un wagon de train 112. Grâce à cette technique très
rapide l’artiste a pu peindre en 2005 en moins de 25 minutes sur le « mur de la honte »113 au
checkpoint de Ramallah114 en Palestine. Autre que des poursuites judiciaires, le street artist
risquait cette fois sa vie, puisque des gardes et des snipers le surveillaient. L’artiste réalise
sur le mur une peinture à visée politique. Il faut dire que l’emplacement choisi donne au
dessin poétique une portée contestataire. En effet, le mur de séparation enferme les
Palestiniens et les contraint dans leurs déplacements vers Israël. Banksy imagine des
dessins simples comme ce petit garçon sur un ciel bleu pour évoquer le souhait d’un retour
à une vie normale, faite de liberté.
Cet exemple montre l’importance de l’emplacement lors de la réalisation d’une
œuvre in situ. La question du lieu est aussi primordiale en ce qui concerne l’anti-pub, elle
détermine bien souvent le sens de l’œuvre. Ainsi la rue sert souvent à révéler des
problématiques urbaines comme dans Les expulsés115 en 1977 à Paris où Ernest Pignon
Ernest116 traduit une douleur personnelle et un drame urbain :
112
113
114
115
116
Source : http://www.banksy-art.com/
Nom péjoratif donné par les opposants à la barrière de séparation israélienne. Cette barrière est en cours
d’édification en Cisjordanie à l’initiative d’Israël depuis l’été 2002. L’objectif déclaré de cette mesure est
de protéger la population israélienne en empêchant physiquement toute « intrusion de terroristes
palestiniens » sur le territoire israélien.
BANKSY, [Intervention sur le mur de séparation], 2005, Checkpoint de Ramallah, Palestine. Annexes
Tome 1 – 10.
ERNEST PIGNON ERNEST, Les expulsés, 1977, Paris. Annexes Tome 1 – 10.
Ernest Pignon Ernest est un street artist niçois qui vit et travaille à Paris. Depuis plus de trente ans il
appose des images sur les murs des cités dans un style très réaliste.
59
À l’origine, il y avait deux choses. D’une part mes parents, qui habitaient Nice, avaient
été expulsés de leur logement. Ils avaient dû quitter le quartier où ils avaient
pratiquement toujours vécu, et où j’avais moi-même passé toute mon enfance. J’avais
ressenti cette douleur que l’on éprouve à être chassé des lieux de son histoire. D’autre
part durant cette période, de 1975 à 1980, il y a eu beaucoup d’expulsions à Paris. Je
trouvais saisissants, bouleversants, ces immeubles éventrés, cette mise à nu, cette
projection aux yeux de tous de l’intimité de la vie des gens.(...) Cette exhibition me
semblait d’une grande violence...117
Pour traduire l’émotion qu’il ressent face à ces expulsions, Pignon Ernest choisit de
placer ses portraits d’hommes et de femmes dépossédés de leurs logements sur des
bâtiments en ruine, éventrés, exposant l’intimité de leurs anciens habitants. Le choix du lieu
est rarement un hasard quand on travaille sur un médium aussi riche que le monde urbain.
Le choix du lieu importe pour le sens de l’œuvre mais aussi pour sa visibilité et la
diffusion de son message. Pour les Déboulonneurs qui veulent amener le débat de l’invasion
publicitaire sur la place publique ce dernier point est essentiel. Depuis deux ans les
Déboulonneurs de Paris se concentrent sur une lutte anti-publicitaire spécifique : la lutte
contre les écrans publicitaires118. Ces panneaux étant majoritairement installés dans les
gares les deux actions de 2012 et 2013 se sont déroulées respectivement à la Gare SaintLazare119 et à la Gare du Nord 120. Les actions sont réalisées aux heures d’influence, en
collaboration avec la Fanfare Invisible, la Clown Army 121 ou l’Église de la Très Saine
117
118
119
120
121
Ernest Pignon Ernest s’exprimant à propos de son œuvre Les expulsés.
Source : http://www.pignon-ernest.com
Écrans publicitaires à cristaux liquides avec caméras intégrées installés par la RATP en 2009.
LES DÉBOULONNEURS, action anti-pub Gare Saint-Lazare, 24 novembre 2012. Annexes Tome 1 – 11.
LES DÉBOULONNEURS, action anti-pub Gare du Nord, 30 novembre 2013. Annexes Tome 1 – 11.
Les armées de clowns ou Clown Army sont des groupes loufoques d’opposition. Le groupe originel, La
CIRCA (Clandestine Insurgent Rebel Clown Army ou en français Armée de clowns clandestine insurgée et
rebelle), a été crée en le 13 novembre 2003 au Royaume-Uni afin de manifester contre la venue de George
W. Bush sur le territoire britannique. À cette époque les clowns sont mués par la lutte contre la guerre en
Irak. Les clowns sont se reconnaissent de la mouvance altermondialistes et sont très inspirés par le souscommandant Marcos (leurs communiqués s’inspirent d’ailleurs des siens). Les clowns sont et ont été
soutenus par le sous-commandant lors de leur création.
Pendant une manifestation ou une action, les clowns parodient leurs cibles en empruntant leur langage,
leurs posture ou même leurs idées (en les poussant à l’extrême, l’absurde de celles-ci apparaissent au
grand jour). Ils peuvent aussi tenter toute forme d’action qui déstabiliserait la police, qui n’a pas
60
Consommation122. Les Déboulonneurs espèrent ainsi créer l’événement afin de faire
entendre leur discours.
L’artiste PosterBoy123, munit de son seul cutter, transforme les publicités dans le
métro new-yorkais en les mélangeant entre elles afin d’en créer une nouvelle révélant un
message humoristique. Son regard cynique sur la société donne des combinaisons
amusantes comme Dukin’ Dummy124 en septembre 2008 ou A tough biatch125 en janvier
2009. Les deux détournements témoignent d’une analyse acide de la société de
consommation et de la publicité. Le choix du métro n’est pas un hasard : c’est un choix
technique et politique. Tout d’abord, le métro étant à l’abri les collages tiennent plus
longtemps, de plus c’est un lieu de passage très important dans une métropole comme
New-York, et donc vu par un très grand nombre.
La rue est un lieu très particulier pour s’exprimer plastiquement. C’est un lieu de
contraintes géographiques (lieux difficiles d’accès) et légales (interdiction de dégrader les
bâtiments publics). Mais c’est aussi un lieu qui amplifie la sémiotique d’une œuvre. L’anti-
122
123
124
125
l’habitude de se confronter à des clowns, comme par exemple se cacher dans des poubelles, se mettre à
ramper ou avancer en courant et en rang comme une armée. Depuis de nombreux groupes ont fleuris un
peu partout en Europe. En France les groupes les plus connus sont : Le 73e BCA (Bureau des Clowns
Affranchis, brigade de Chambéry), L’Art-Nez-Rouge (brigade de Rennes), les GreenPitres (brigade
Vendéenne) et la BAC (Brigade Activiste des Clowns de Paris).
L’Église de la Très Saine Consommation est une organisation militante française qui manie l’absurde et la
dérision pour exprimer ses opinions anticapitalistes. Leurs actions tiennent de la performance burlesque :
prière de rues devant des centres commerciaux (temples de la consommation), messes ou baptêmes.
Site : http://www.consomme.org/
Dernière consultation : 7 juillet 2014.
PosterBoy est un street artist new-yorkais qui transforme des publicités dans le métro à l’aide de son seul
cutter.
POSTERBOY, Dukin’ Dummy, septembre 2008, Métro, New-York, USA. Annexes Tome 1 – 12.
POSTERBOY, A tought biatch, janvier 2009, Métro, New-York, USA. Annexes Tome 1 – 12.
61
pub et le Street Art se partagent ce lieu, la rue, le monde urbain, et s’« amusent » à en
détourner le sens. Ces sabotages de sens sont issus des interventions type Culture
Jamming.
◦ Une technique commune : le Culture Jamming
Le Culture Jamming (sabotage culturel ou détournement culturel) est l’action
d’intervenir sur un média de masse existant et de le détourner en utilisant la même
méthode de communication. Il s’agit d’une forme d’action issue de la culture Street Art qui
est souvent reprise par les groupes anti-pub. Le musicien canadien Mark Dery définit aussi
son utilisation dans la musique :
Le « Jamming » vient de l’argot cibiste et désigne l’interruption illégale des
programmes radios ou de conversations entre cibistes avec des bruits de bouche, des
obscénités ou d’autres blagues d’ados. Le « Culture Jamming », par contraste, a pour
cible une techno-culture instrumentale encore plus intrusive, et dont le mode opératoire
est la fabrique du consentement par la manipulation des symboles. 126
Souvent humoristique, quelques fois satirique et grinçant, le Culture Jamming s’oppose
généralement à la société de marché et à son système commercial de médiatisation. Ces
actions s’apparentent à une « guérilla des communications », vu que l’image détournée
utilise les mêmes codes et le même emplacement. Le détournement agit comme un
renversement sémiotique de l’image, parfois qualifié d’« attentat sémiotique ». Ces
sabotages de sens ont pour but de révéler le « vrai » sens de la publicité. Il s’agit d’un
détournement du sens, du symbole (la marque ou même la publicité).
126
DERY Mark, « Culture Jamming : Hacking, Slashing and Sniping in Empire of Signs », in Open Magazine
Pamphlet Series, Open Magazine, 1993.
62
Comme Le Billboard Liberation Front lors de sa première action en 1977, l’artiste DC
Gecko127 s’attaque à un panneau publicitaire de type M. U. P. I. 128 pour son œuvre
Hypocrisie (de nuit)129 réalisée à Madrid en 2008. L’artiste transforme le reflet de la jeune
femme en un sinistre squelette, comme une réflexion sur la mort, un jeu sur l’ironie de
l’image de la jeunesse éternelle choisie par les publicitaires, c’est le traditionnel memento
mori
Souvent le but de cette transformation de sens vise à mettre habilement en lumière les
présupposés qui sous-tendent la culture publicitaire. Sur un album intitulé JAMCON’84, un
membre de Negativland130 explique :
Le panneau-réclame habilement retravaillé incite le spectateur à examiner la stratégie
commerciale originale .131
Toutefois le détournement n’a pas toujours pour but de dénigrer l’objet de sa
transformation. Il peut s’agir d’une pratique nourrie d’une passion pour un objet
commercial, ou d’une volonté humoristique dépourvue de revendication politique.
127
128
129
130
131
DC Gecko (prononcez Docteur Gecko) est street artist toulousain qui explore l’espace urbain depuis 2003.
Ses principales cibles sont les affiches des abribus. Les pubs géantes qui défilent indifféremment sous nos
yeux en journée prennent une allure cauchemardesque la nuit. Toutefois, DC Gecko n’est pas un casseur
de pub : « Je critique les messages que véhiculent les publicités, tout ce rêve qu’elles vendent, mais je ne
les détruis pas. Je les pirate pour montrer l’envers du décor ». L’artiste se consacre surtout aux villes de
Toulouse, Barcelone et Madrid.
MUPI (Mobilier Urbain Pour l’Information) ou panneau sucette, est un panneau publicitaire de
1,20 m × 1,76 m, soit environ 2 m², avec une face pour l’affichage publicitaire et la seconde pour
l’information municipale. Le principe est proche de celui de l’Abribus, et fut appliqué pour la première fois
en 1972 par la société multinationale JCDecaux. Les MUPI sont généralement équipés d’un système
d’éclairage intérieur.
DC GECKO, Hypocrisie (de nuit), 2008, Madrid. Annexes Tome 1- 13.
Negativland est un groupe californien de musique expérimentale formé en 1979 à Berkeley. Selon Mark
Dery dans Culture Jamming: Hacking, Slashing, and Sniping in the Empire of Signs 2 , la première
occurrence du terme « Culture Jamming » serait apparue en 1984 sur l’album JAMCON ’84 de
Negativland. Le groupe pratique beaucoup le détournement d’extraits sonores de médias de masse
(émissions de radios, publicités ... )
Extrait de Over the Edge Vol. 1 sur l’album JAMCON’84 par Negativland en 1984.
63
Les modes d’action du Culture Jamming sont diversifiés. Ils peuvent aller de la
réappropriation de logos au détournement de slogans publicitaires, en passant par la
déformation des codes d’une images de marques. Le détournement par le Culture Jamming
est le symptôme d’une société où les multinationales font partie du quotidien des individus.
Les multinationales et leurs symboles sont ancrés dans une culture visuelle commune
comme le résume Shepard Fairey :
Je pense que dans le monde actuel nous sommes tous des enfants de Marx et de CocaCola. Nous n’avons aucun moyen de nous extraire d’une culture profondément
marquée par le capitalisme et par le marxisme. 132
Le Culture Jamming par son détournement de publicités ou de marques essait de
rendre à l’art sa place naturelle, dans le quotidien de l’homme, en utilisant les espaces
alloués aux publicités.
C’est le cas du collectif CutUp 133, groupe d’artistes anglais qui revisitent les publicités selon
le procédé du cut up 134 (découpage – collage) défini par William Burroughs 135. Pour leurs
détournements d’affiches en 2004 à Londres – Courtesy Seventeen Gallery 136, le collectif
CutUp emploie la technique de Burroughs transportée à l’art graphique. Après avoir
méticuleusement décollé les affiches, ils les découpent en petits carrés (ou pixels) puis les
réorganisent de manière à créer de nouvelles images sans aucun lien avec l’original. Cette
nouvelle image reprend cependant les mêmes nuances chromatiques. CutUp tente par ses
132
133
134
135
136
Citation de Shepard Fairey in McCORMICK Carlo et WOOSTER COLLECTIVE., Trespass : une histoire de
l’art urbain illicite, Paris, Taschen, 2010, p 125.
CutUp collectif est un groupe d’artistes anglais qui officient depuis 2005. Dans la lignée des collages de
Wolman et Debord, ils utilisent la technique du cut up en se servant de la publicité comme support de
création.
Le cut up consiste à créer un texte à partir de fragments d’autres écrits de toutes origines (littérature,
articles de presse, catalogues de vente par correspondance...) découpés de manière régulière, et remontés
selon une logique prédéfinie, afin de faire émerger l’implicite, l’inavoué des textes de départ.
William S. Burroughs est un romancier américain de la Beat Generation, connu pour son utilisation
littéraire du cup up.
CUTUP, [détournements d’affiches], Courtesy Seventeen Gallery, Londres. Annexes Tome 1 – 13.
64
détournements de redonner à l’art une place de choix dans la société. Ils choisissent donc
des endroits bien situés, dans de grandes avenues passantes, les panneaux publicitaires.
CutUp revendique un art omniprésent dans la ville, il « emprunte » donc l’espace
publicitaire. L’artiste américain KAWS subtilise lui aussi l’espace publicitaire, comme pour
son intervention sur un panneau M. U. P. I. en 1998 à New-York 137. Le street artist utilise les
panneaux publicitaires pour placer son avatar, une sorte de personnage aux traits simplifiés
figurant une tête de mort. CutUp et KAWS « empruntent » les espaces d’affichages
publicitaires sans réellement exprimer une opinion contestataire vis à vis de la réclame. Il
s’agit plus d’une réappropriation de l’espace public et des lieux visibles par tous (comme les
panneaux publicitaires). Cependant leur action peut-être considérée comme « anti-pub »
puisqu’ils utilisent ces espaces au détriment des affiches originales. C’est un argument
développé par plusieurs groupes qui se revendiquent anti-pub comme les Humains Associés
et le BLF.
Il est possible d’utiliser la même méthode de communication du média de masse en
détournant son support. C’est dans cette optique que le street artist américain John
Fekner138 prend possession d’un panneau publicitaire à Sunnyside, New-York en 1980, pour
son œuvre My Ad is no Ad139. Ce panneau, l’artiste l’utilise à contre-emploi en remplaçant
son contenu par une absence de contenu. Le panneau est dépossédé de sa fonction
originelle, il ne diffuse pas de message commercial, mais un message politique implicite :
« il n’y a pas de publicité, et c’est heureux ». Tout en gardant son identité graphique Fekner
met son art au profit de causes qui l’interpellent comme les problématiques urbaines ou
l’omniprésence de la publicité. Il se sert des médiums liés à ces problématiques pour
s’exprimer.
137
138
139
KAWS, [intervention sur panneau publicitaire], 1998, New – York. Annexes Tome 1 – 14.
John Fekner est un street & multimedia artist américain. Depuis la fin des années 1960 il est le créateur
d’une centaine de travaux environnementaux, sociaux, politiques et conceptuels exposés dans les rues des
États-Unis, de la Suède, du Canada, du Royaume-Uni et de l’Allemagne.
FEKNER John, My ad is no ad, 1980, Sunnyside, New-York, USA. Annexes Tome 1 – 14.
65
Détourner le support publicitaire pour créer un espace de liberté est la spécialité des
Déboulonneurs. En déboulonnant, les militants affichent leurs revendications ainsi que ce
qu’ils pensent de la publicité. Le panneau publicitaire devient alors une tribune par laquelle
les Déboulonneurs font entendre leur voix. Le collectif n’impose pas de mot d’ordre précis,
les militants sont libres d’inscrire leur propres slogans. Lors de l’action du 30 novembre
2013140 où 5 barbouilleuses et 6 barbouilleurs sont entrés en action sur des écrans
publicitaires type ACL appartenant à la société MédiaGare et ont pu s’exprimer sur leur
aversion publicitaire. Les habituels « 50 × 70 » (pour réclamer la réduction de la taille des
affiches publicitaires à 50 cm par 70 cm, soit la taille de l’affichage associatif) et « la pub
tue » ont bien sûr été tagués sur les panneaux. Quelques inscriptions semblaient presque
philosophiques : « Libérez nos regards » ; « Pollution visuelle et mentale ». Ces slogans
expriment manière subtile la présence quotidienne de la pub, jusque dans notre
subconscient. Certaines revendications interpellaient le spectateur, le questionnant : « À qui
profite la pub ? » ; « Trop d’intérêts privés dans l’espace public ». Ces questionnements
replacent le problème publicitaire au centre du débat politique économique. La publicité
n’est pas une entité abstraite contre laquelle il faut lutter, mais plutôt la face émergée de
l’iceberg-consommation. La technique de détournement Culture Jamming permet aux
Déboulonneurs d’utiliser à leurs propres fins l’objet de leur aversion, afin de faire connaître
leur lutte.
Quelques artistes centrent leurs détournements à la manière de la Culture Jamming
seulement sur les logos des grandes marques. Il ne s’agit plus d’utiliser l’espace publicitaire
en s’exprimant sur les panneaux comme peuvent le faire CutUp ou DC Gecko.
140
LES DÉBOULONNEURS, action du 30 novembre 2013, déboulonnage, Gare du Nord, Paris. 62 e action du
collectifs des Déboulonneurs de Paris.
66
L’artiste français ZEVS (Zone d’Expérience Visuelle et Sonore) s’attaque aux logos à
partir de 2005. Son premier « meurtre » est la virgule Nike. ZEVS explique son point de vue
sur ses Liquidated Logos ainsi :
J’exerce une forme de retournement de la force, comme en aïkido. Pour moi, en tant
que consommateur et regardeur dans la villes. Les logos sont des attaquants. Comme ils
sont conçus afin d’être les plus visibles possible, je retourne cette force par une action
simple. Sans retirer le logo, je le prolonge à l’inverse par de la peinture de la même
teinte, marquant sa faiblesse.141
Afin de ne pas dégrader les bâtiments sur lesquels il s’exprime, ZEVS utilise toujours de la
peinture facile à retirer car, dit-il :
L’intention n’est pas de produire une marque indélébile sur le bâtiment, mais de révéler
le côté délébile du logo.142
ZEVS a « liquidé » ainsi de nombreux logos de grandes marques : Chanel, Armani, CocaCola, Vuiton ou encore McDonald’s en 2006 à Paris pour son Liquidated Logo –
McDonald’s143, où il a peint directement sur un des restaurants de la chaîne. Il s’agit pour
ZEVS d’une revendication contre l’aspect mercantile de la publicité et des logos des
compagnies internationales.
L’une des action les plus courante de la Culture Jamming est le détournement du
message publicitaire. L’affiche publicitaire est toujours présente mais transformée. Les
interventions se révèlent parfois minimales comme pour Shit Happens144 par le Billboard
Liberation Front en 1989. Le groupe a ironiquement transformé le slogan de la société
pétrolière américaine Exxon. « Hits Happen – New X-100 » (« les tubes arrivent – nouveau
X-100 ») en « Shit Happens – Exxon » (« La merde, ça vous tombe dessus – Exxon ») en
141
142
143
144
Entretien avec ZEVS in ARDENNE Paul et MAERTENS Marie, 100 artistes du Street Art , Paris, Éditions de
la Martinière, 2011, p. 96.
Ibidem
ZEVS, Liquidated logo – McDonnald’s, 2006, Paris. Annexes Tome 1 – 15.
BILLBOARD LIBERATION FRONT, Shit Happens, 1989, San Francisco. Annexes Tome 1 – 15.
67
changeant tout simplement le « S » d’emplacement et en en ajoutant un autre. Le résultat
crée un effet comique tout en critiquant le système pétrolier. Plus tard, en 1994, le groupe
récidive dans une action d’« amélioration » de panneau d’affichage avec LSD145 au Centre
commercial Hillsdale de San Mateo en Californie. Cette fois le Billboard Libération Front
transforme le slogan du centre commercial « HILLSDALE, The Begining Of Something
Wonderfull. » (« Hillsdale, le début de quelque chose de merveilleux ») par « LSD, The
Begining Of Something Wonderfull. » (« LSD, le début de quelque chose de merveilleux »).
En éteignant les lettres néons du logo « HILLSDALE » qui leur paraissaient inutiles, le BLF
réussi à produire un message à contre-courant et volontairement choquant. On peut
observer une volonté de marquer une appartenance à une sous-culture dérivée de la Beat
Generation par une consommation assumée de drogues. Cette tendance se retrouve souvent
dans le Street Art. Le manifeste du Billboard Liberation Front écrit en 1977 explique la
finalité de telles interventions :
Notre objectif est que chaque citoyen jouisse d’un panneau d’expression personnel. En
attendant ce jour de gloire pour la communication mondiale où chaque homme, chaque
femme et chaque enfant pourra crier ou chanter son message en caractère corps 100
depuis son propre toit, nous continuons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour
encourager les masses à se réapproprier l’espace médiatique. 146
Le BLF souhaite transformer une lutte contre quelque chose (ici la publicité) en force
positive et créatrice : l’occupation d’espace public.
Dans une même optique de détournement sémiotique d’une publicité et de réappropriation
collective de l’espace public, l’artiste Ji Lee 147 a fondé le Bubble project. Digne descendant
des Humains Associés, le projet de Ji Lee consiste à coller des phylactères de bandes
dessinées sur les publicités afin que les passants puissent y inscrire leurs pensées. Ainsi on
peut arriver à saisir de caustiques remarques comme celle du Bubbled project en 2007 à
145
146
147
BILLBOARD LIBERATION FRONT, LSD, 1994, Centre commercial Hillsdale, San Mateo. Annexes
Tome 1 - 16.
Extrait du manifeste du Billboard Liberation Front rédigé en 1977 par Jack Napier et John Thomas.
Ji Lee est un street artist coréen, travaillant à New-York, fondateur du Bubble Project.
68
New-York, où un anonyme a noté « I wish these were joints! »148 (« Si seulement c’était des
joints ! »). Encore une fois, le caractère volontairement déviant de la remarque est fait pour
faire sourire et choquer.
La Culture Jamming est une pratique du Street Art qui se prête très bien à la critique
de la publicité.
Réflexions et actions spectaculaires lancées par l’Internationale situationniste,
détournements caustiques du Billboard Liberation Front de San Francisco, fausses pubs
lancées par des critiques anti-pub ou des terroristes esthétiques, campagnes de
lancement de produits dévoyées et piratage de panneaux d’affichage électroniques,
toutes ces imitations d’une stratégie d’inversion ironique. C’est l’appropriation du
langage dominant par celui qui n’a pas son mot à dire, pour retourner l’hypocrisie et les
mensonges à l’envoyeur. Loin d’être entièrement politique et polémique, la plupart de
ces remises en questions sont empreintes de fantaisie absurde. 149
Cette appropriation d’une toile comme peut l’être un panneau publicitaire est une pratique
artistique partagée autant par les street artists que par les militants de l’anti-pub.
La filiation entre le Street Art et l’anti-pub peut être établie grâce aux nombreux
points en commun que les deux formes d’expression partagent. Tous deux évoluent dans le
même espace : la rue, avec ses complexités et son public. Le Culture Jamming est une forme
d’action au carrefour de l’anti-pub et du Street Art, puisqu’elle se réapproprie les structures
médiatiques et les détourne. Le détournement de panneaux publicitaires n’a pas toujours
pour objet de contester la publicité en tant qu’agression mercantile. Il peut s’agir d’une
volonté de réappropriation urbaine. L’anti-pub conteste la submersion quotidienne de
publicité que subit l’individu lambda. Cette contestation s’accompagne souvent d’une
critique de la consommation à outrance.
148
149
JI LEE, Bubble Project, [I wish these were joints!], 2007, New-York. Annexes Tome 1 – 16.
McCORMICK Carlo, Trespass, une histoire de l’art urbain illicite, Paris, Ethel Seno, Taschen, 2011, p132.
69
Cependant le Street Art et l’anti-pub ne sont pas miscibles l’un dans l’autre. Le
Street Art n’a pas la même finalité que l’anti-pub. La réappropriation artistique de l’espace
public n’a pas toujours pour but de combattre la publicité. Les motivations des artistes de
rues ne sont pas celles des anti-pubs. Certains artistes peuvent choisir de combattre la
publicité par l’art comme ZEVS ou PosterBoy mais leur but n’est pas essentiellement antipublicitaire. Il peut s’agir d’occuper l’espace publicitaire. Cette finalité qu’elle soit défendue
par un artiste ou un anti-pub revêt plusieurs significations. Occuper un panneau pour
remplacer la publicité par l’art en est une. Mais certains artistes choisissent de détourner le
sens du message ou de la pensée publicitaire, dans une démarche réellement anti-pub.
Les street artists réalisent leurs œuvres de façon individuel. Les œuvres sont généralement
signées, identifiables à un artiste. Les anti-pubs agissent collectivement. Même s’il opèrent
seuls comme BUGA-UP la signature est collective. Cette notion de collectivité est
importante pour les problèmes encourus liés à l’illégalité des actions. Les anti-pub payent
collectivement leurs amendes. Il existe une réelle solidarité entre les membres d’un groupe.
2. L’anti-pub, un carrefour de luttes sociales
Pourquoi résister à la publicité ? La publicité s’impose à notre regard. Elle est
omniprésente. S’attaquer à la publicité c’est s’attaquer à la vitrine du capital. Ce n’est pas
seulement l’aspect commercial et intrusif de la publicité que les activistes et les artistes
souhaitent combattre. Il s’agit de s’opposer à tout un système, le système ultra-libéral de
tous les pays du G8. L’anti-pub délivre donc un message volontairement politique. Résister
à la publicité est un acte politique issu d’un mouvement de contestation plus large lié à
70
l’anti-capitalisme en général. En s’attaquant à la publicité, les activistes s’attaquent à la
consommation et au système qui l’engendre et s’en nourrit.
◦ Définition activisme
Étymologiquement l’activisme est un anglicisme. Il vient du terme « activist » que
l’on pourrait traduire par militant. Cependant en français le mot activiste revêt une
signification plus forte que le mot militant : il est utilisé pour qualifier un engagement ou
un action politique dont on désire souligner l’intensité. Toutefois ce terme peut aussi être
employé de manière dépréciative : selon l’analyse marxiste, l’activiste aurait tendance à
favoriser l’action à court terme et à délaisser la théorie à long terme 150. C’est l’éternelle
bataille entre les théoriciens et les activistes. L’activisme désigne un engagement politique
qui privilégie l’action directe.
L’action directe consiste a penser, agir à propos d’un problème auquel on est
confronté sans passer par un intermédiaire politique ou bureaucratique. Il existe
plusieurs sortes d’action directe. L’action directe peut être non-violente, comme
lors de l’occupation de lieux publics ou privés (pour les squats ou occupation de
rues) sans autorisation légale. Ce type d’action n’est pas toujours mue par une
opinion politique, il peut s’agir d’une manifestation festive, ou d’une urgence
sociale.151
150
151
L’activisme est également une composante naturelle de l’action politique marxiste. Celui-ci apparaît
comme un dernier recours contre un système politique qui ne permet pas l’expression de la contestation
ou d’idées différentes. En effet, il juge que la démocratie libérale bourgeoise est une façade offrant des
libertés qui ne permettant pas un véritable renversement du système de propriété capitaliste. Dans ce
cadre, marqué par la répression et les massacres des révolutions de 1848 et de la Commune de Paris,
l’usage de la violence révolutionnaire est considérée comme une contrainte nécessaire, lié à l’emploi de la
violence par la bourgeoisie. Il s’agit d’un acte nécessaire qui ne doit pas prendre le pas sur la théorie.
MARX Karl, Manifeste du Parti communiste, 1848.
Définition de l’action directe sur le site : Alternative libertaire (www.alternativelibertaire.org).
71
Pour être qualifiée de directe l’action doit au moins répondre à ces critères :
autogestion, illégalité et caractère impromptu (aucun média prévenu).
En France l’activisme remonte à la IIIe République avec l’action des mouvements
socialistes depuis le début du XIX e siècle152. La révolution de 1848 fait apparaître des
divergences entre les démocrates socialistes. Ainsi on peut distinguer des réformistes
(Ledru-Rollin, Louis Blanc) plus proches d’un Lamartine et les partisans d’une rupture avec
le capitalisme, ne refusant pas l’action violente (Blanqui, Barbès). Cette scission dans la
pensée socialiste structure la théorie de l’action directe. L’activisme prend de l’ampleur au
tournant du XXe siècle avec des mouvements anarchistes comme la bande à Bonnot 153, ou
des mouvements de grèves interdits par la loi 154. Le courant anarcho-syndicaliste, qui
domine le syndicalisme français de 1890 à 1914, théorise la notion d’action directe 155 . Cette
première phase de l’activisme vise à réellement provoquer une situation révolutionnaire.
Aujourd’hui l’activisme s’est diversifié et n’est pas seulement synonyme d’action violente.
Les SEL156 sont un exemple d’action directe non-violente. L’action directe peut aussi
conduire à une destruction de biens. L’un des exemples les plus connus en France demeure
152
153
154
155
156
DUBART Jacques, « Dico anticapitaliste : qu’est-ce que l’action directe », in Alternative Libertaire, 3 avril
2008.
Dernière consultation : 20 juin 2014.
Exemple de mouvements insurrectionnels socialistes du XIX e siècle : révolte des canuts lyonnais en 1831,
journées de juin 1848, Commune de Paris en 1871...
La bande à Bonnot est un groupe anarchiste mené par Jules Bonnot (1876-1912) qui a multiplié les
braquages et les meurtres en 1911 et 1912.
La grève des salariée est progressivement légalisée à partir de 1864 mais est interdite aux fonctionnaires
jusqu’en 1944.
POUGET Émile (secrétaire national de la CGT), L’Action directe, Paris, Éditions CNT-AIT, 1910.
SEL (Système d’Échange Local) est un système d’échange de produits ou de services qui se font au sein
d’un groupe fermé (généralement associatif). Le SEL permet à tout individu d’échanger des compétences,
des savoir-faire et des produits avec les autres membres du groupe. Chaque SEL est un groupe de
personnes vivant dans un même secteur géographique. Pour comptabiliser les échanges, le SEL crée sa
propre monnaie, appelée unité d’échange, le plus souvent basée sur le temps (1 heure = 60 unités).
Sel’idaire : association d’information et de promotion des SEL : www.selidaire.org/
72
les actions des faucheurs volontaires, comme celle du 13 avril 2000 157. Entre également dans
cette catégorie la destruction de matériel servant à la surveillance et celle de de panneaux
publicitaire. L’action directe est souvent impulsive et peut également faire office de réaction
face aux violences policière dans le cas de « l’action directe avec usage de la force sur la
police ». C’est souvent le rôle des Black Blocs158 lors des manifestations.
L’action directe révolutionnaire et l’action directe radicale violente sont deux formes
d’action dont le principal vecteur est l’idéologie politique (anarchiste ou communiste par
exemple) contre un système de pensée dominant. L’action directe radicale a été mise en
œuvre par des groupes anarchistes au début du siècle et reprise entre autres par le groupe
Action Directe159 au début des années 80. Ce type d’action peut aller jusqu’à l’attentat à la
bombe ou l’exécution d’individus.
Les Déboulonneurs utilisent l’action directe pour leurs barbouillages. Les
Déboulonneurs sont une organisation nationale complètement autogérée : aucune instance
nationale n’intervient dans les décisions et actions des groupes locaux. Leur action de
barbouillage est illégale. Les déboulonnages sont toujours impromptus : un lieu de rendezvous est donné mais jamais le lieu de l’action, de sorte que les militant ont toujours une
longueur d’avance sur les forces de l’ordre. Non-violents, les barbouilleurs sont proches de
la désobéissance civile. La désobéissance civile est une forme de contestation politique,
collective et non violente. Souvent fondée par le refus d’une loi ou d’une norme, elle a pour
157
158
159
Action du 13 avril 2000 : à l’aide de faux, José Bové et quelques 400 manifestants anti-OGM fauchent un
champ de colza transgénique à Belpech dans l’Ariège.
Black Bloc : apparu au cours des années 80 en Allemagne, il s’agit d’un groupe d’individus habillés de noir
au cours d’une manifestation. Le but de ce groupe est de créer une foule anonyme et non identifiable par
la police afin de réaliser des actions illégales au cours de la manifestation ainsi que de protéger les
manifestants des « attaques policières ». Les Black Blocs sont des structures informelles qui fonctionnent
en autogestion. La majorité de leurs activistes se réclament des mouvances anarchistes.
Groupe Action Directe est un mouvement anarcho-communiste fondé en 1979, connu pour avoir perpétré
plus de 80 attentats ou assassinats en France de 1979 à 1987.
73
but de transformer celle-ci pour le bien de la communauté. Le philosophe américain John
Rawls dans son ouvrage Théorie de la justice définit la désobéissance civile comme :
un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et
accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la
politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s’adresse au sens de la justice de la
majorité de la communauté et on déclare que, selon son opinion mûrement réfléchie,
les principes de la coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas
actuellement respectés.160
Dans cette citation Rawls nous parle de « sens de la justice ». Il touche ici du doigt le
caractère ambigu de la désobéissance civile : des actes illégaux pour la justice. Les
désobéissants ont généralement un haute idée de la justice mais une « piètre » opinion des
lois (du moins celles qu’ils refusent par leurs actions), d’où une volonté de s’opposer pour
changer les lois. Le philosophe allemand Jürgen Habermas la détermine comme incluant
des actes illégaux généralement collectifs et publics à portée symbolique. Il stipule
également que ces actes doivent appeler à la capacité de raisonner et au sens de la justice
du peuple161. Ces notions de symbolisme et d’appeler à la capacité de raisonner sont
réellement caractéristiques de la désobéissance civile, sans pour autant lui être
consubstantiels : une action n’a pas nécessairement besoin d’être symbolique pour relever
de la désobéissance civile. L’élément symbolique est cependant inhérent à ces actions, tout
simplement parce qu’une action symbolique est plus marquante, plus choquante. Il suffit
d’analyser la marche du sel de Gandhi ou le mode opératoire de la résistance de Rosa Parks.
Cette démarche nous amène d’ailleurs au deuxième point important développé par
Habermas, la volonté d’en appeler à la capacité de raisonnement de la population. Ces
actions sont publiques, elles ont pour but de changer un aspect de la société pour le bien
commun, il ne s’agit donc pas uniquement toucher de les élites auxquelles on s’oppose mais
160
161
RAWLS John, Théorie de la Justice, Paris, Seuil, 1997, traduit de l’anglais par Catherine Audard.
Citation de Jürgen Habermas à propos de la désobéissance civile : « La désobéissance civile inclut des
actes illégaux, généralement dus à leurs auteurs collectifs, définis à la fois par leur caractère public et
symbolique et par le fait d’avoir des principes, actes qui comportent en premier lieu des moyens de
protestation non violents et qui appellent à la capacité de raisonner et au sens de la justice du peuple. »
HABERMAS Jürgen et RAWLS John, Débat sur la justice politique, Paris, Le Cerf, 1997.
74
aussi le peuple. Il s’agit de lui faire prendre conscience qu’il doit aussi désobéir (ou au
moins soutenir l’action de désobéissance).
Quatre éléments sont donc caractéristiques de la désobéissance civile :
– une infraction consciente et intentionnelle à la loi (Rawls définit cette ambiguïté comme
« une désobéissance à la loi dans le cadre de la fidélité à la loi ») ;
– un acte public ;
– un acte politique qui ne défend pas les intérêts d’un groupe mais la majorité de la
communauté. Généralement il s’agit donc de mouvements à vocation collective ;
– un acte non-violent.
L’activisme apparaît donc comme une forme de militantisme qui fait souvent fi des
lois et peut tendre vers la désobéissance civile ou vers l’action violente. Si
traditionnellement on associe la notion d’activisme à la gauche en politique, l’activisme n’a
pas d’ancrage politique propre. Il peut s’attacher à défendre aussi bien des causes
idéologiques (religieuses, sociales ou politiques), que communautaires ou nationales.
◦ Définition artivisme
L’artivisme est un néologisme né de la contraction des mots « art » et « activisme »
qui désigne l’art relatif aux préoccupations politiques, souvent proches de mouvements
altermondialistes et pacifiques. Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi, auteures de
Artivisme : art action politique et résistance culturelle , le définissent ainsi :
75
De même que le queer pose l’existence d’un troisième genre par delà féminin et
masculin, de même l’artisvisme suggère qu’il existe un troisième terme entre esthétique
et politique.162
Elles caractérisent l’artivisme comme l’art regroupant toutes les formes actuelles de
mobilisation artistiques, toutes les pratiques dont l’enjeu est d’opposer l’imagination et la
créativité à l’ennui, la liberté d’action à la surveillance généralisée, la révolte collective au
repli individuel. L’art devient un moyen d’action du politique.
Le terme d’artivisme semble s’être développé depuis 1999 et vise à faire prendre
conscience de problèmes politiques à travers la création artistique. Bien sûr les relations
entre art et politique sont très anciennes. Le philosophe Albert Camus en 1951 effectuait
déjà un parallèle entre l’art et la rébellion dans son livre L’homme révolté :
En art, la révolte s’achève et se perpétue dans la vraie création, non dans la critique ou
le commentaire. [...] Les deux questions que pose désormais notre temps à une société
dans l’impasse : la création est-elle possible, la révolution est-elle possible, n’en font
qu’une.163
Art et politique sont deux notions qui vont souvent de pair. Les puissants se sont longtemps
servi de l’art pour appuyer leur pouvoir, la création et l’entretien de symboles étant
essentiels au pouvoir. Avec l’artivisme on assiste à un retournement de situation. Entre les
mains des artivistes l’art a pour finalité de changer, voire de renverser le système en place.
Un art proche de ceux qui luttent, au plus près des réalités sociales. L’un des principaux
buts de l’artivisme est de parvenir à mobiliser le spectateur, à le sortir de son inertie
supposée, à lui faire prendre position. Pour atteindre ce but les artistes emploient souvent
des formes d’actions visibles, urbaines, qui interpellent.
162
163
LEMOINE Stéphanie et OUARDI Samira, Artivisme : Art, Action politique et Résistance Culturelle, Paris,
Éditions Alternatives, 2010. quatrième de couverture.
CAMUS Albert, L’Homme révolté, Paris, Gallimard, 1959.
76
Un sentiment d’unité et de partage international regroupe les artivistes. Le No
Border en est un bon exemple. Il s’agit d’un réseau international de collectifs et d’individus
investis dans les luttes pour la liberté de circulation et l’abolition des frontières qui lutte
contre les politiques de contrôle de l’immigration, ainsi que pour la régularisation des
étrangers en situation irrégulière, la fermeture des centres de rétention administrative et
l’arrêt des expulsions. Ainsi le street artist JR parcoure le monde pour le recouvrir de ses
affiches photographiques représentant d’énormes visages d’anonymes. Il les colle sur le mur
de séparation entre Israël et la Palestine en 2007 164, mais aussi ses Womens are Heroes165 au
Kenya en 2009. JR pose ses portraits dans les lieux conflictuels de la planète afin de remettre
au centre du débat les oubliés, les invisibles : les simples humains.
La critique de la société de consommation et l’anti-pub qui en découle font bien sûr
partie des sujet phares de l’artivisme. Certains artistes se servent de leur art pour dénoncer
l’omniprésence de la publicité. C’est l’exemple que nous donne le projet Brandalism166 qui
réunit une quarantaine d’artistes. Banksy définit ainsi le Brandalism :
Any advertisement in public space that gives you no choice whether you see it or not is
yours. It belongs to you. It’s yours to take, re-arrange and re-use. Asking for permission
is like asking to keep a rock someone just threw at your head. 167
Les street artists participant à ce projet envahissent les panneaux publicitaires de plus
d’une dizaine de villes en Angleterre détournant ainsi plus 360 panneaux ! Le street artist
164
165
166
167
JR, Affiches photographiques, 2007, mur de séparation Israël-Palestine. Annexes Tome 1 – 17.
JR, Women are Heroes, 2009, Kenya. Annexes Tome 1 – 17.
Le projet Brandalism a débuté en 2012. Ce projet réunit des artistes qui veulent réagir face à la « pollution
publicitaire ». Pour cette raison ils décident d’occuper les panneaux avec leurs propres œuvres. Le projet
Brandalism a connu deux saisons : l’une en 2012 et la seconde en 2014.
Source :http://www.brandalism.org.uk/
Dernière consultation : 23 juin 2014.
BANKSY, Wall and piece, Century, 2006, Londres.
« Toute publicité dans l’espace public qui ne vous donne pas le choix quant au fait de la voir ou non est à
vous. Libre à vous de la prendre, de la réarranger, de la réutiliser. En demander la permission serait comme
demander à quelqu’un si l’on peut conserver la pierre qu’il vient de nous jeter à la tête. »
77
américain John Fekner 168 participe à l’édition de 2014 avec une affiche réalisée posée à
Bristol au pochoir : Your eyes read this silently, no ads. 169 Pour ce projet, comme pour le
travail du Billboard Liberation Front, l’occupation des panneaux de pub semblent être un
moyen que les artistes ont trouvé pour s’exprimer et faire connaître leur aversion
publicitaire au public.
L’artivisme regroupe des artistes variés venant d’horizons divers : du clown
manifestant de la Clown Army à l’entarteur Noël Godin. Les modes d’actions se révèlent
originaux afin d’exprimer une contestation de la société marchande, l’espoir d’un monde
meilleur et sans frontières.
◦ S’attaquer à la vitrine du capital
L’anti-pub est depuis les origines une forme de contestation située à gauche sur
l’échiquier politique. L’un des premiers groupes à réfléchir sur l’anti-pub est celui des
situationnistes. L’Internationale Situationniste constituée en 1957 était une organisation
révolutionnaire désireuse d’en finir avec la société de classe et la dictature de la
marchandise. Son membre le plus connu, Guy Debord, rédige en 1957 Le Rapport sur la
construction de situations, son texte fondateur. Debord pose l’exigence de « changer le
monde » et envisage le dépassement de toutes formes artistiques par « un emploi unitaire
168
169
John Fekner est aussi un activiste, engagé dans la lutte contre la publicité comme le prouve ses œuvres :
DE-EMPHASIZE ADVERTISMENTS (Dégonfler La Publicité), Pochoir, New York, 1978 et SOFT BRAINS
WATCH THE SCREEN AND BUY THE JEANS (Les Têtes Molles Regardent L’écran et Achètent des Jeans),
1980 Pochoir, à l’angle de la 47e avenue et de Central Park. New York, USA. Annexes Tome 1 – 18.
FEKNER John, Your eyes read this silently, no ads, 2014, pochoir, Bristol. Annexes Tome 1 – 19.
78
de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne ». Dans le monde politique
comme dans le monde de l’anti-pub, les situationnistes firent d’abord parler d’eux par
l’utilisation du calembour comme arme politique. Les activistes situationnistes tournaient
en dérision l’art contemporain pour démontrer l’inanité et le superficiel d’une culture dite
bourgeoise. Ce sont les situationnistes, dont Guy Debord, qui avaient exprimé les premiers
la force du détournement de l’image, de la publicité, et les premières expérimentations
pratiques eurent sans doute lieu en mai 1968 en France. En mai 1971 dans la revue
bimestrielle Planète consacré à l’Internationale Situationniste, le journaliste Pierre Hahn
écrit à propos de leurs détournements publicitaires :
Ce sont eux qui « piratent » la publicité en la surchargeant de graffitis, ce sont eux qui
savent rire de toutes les révolutions, de toutes les récupérations, [...] ce sont eux
toujours qui affirment : « Nous avons fondé notre cause sur presque rien :
l’insatisfaction et le désir irréductible à propos de la vie. »170
L’Internationale Situationniste s’est par la suite orientée vers la critique de la société du
spectacle, en tant que société « spectaculaire-marchande », ce qui conduit à une scission
entre les artistes et les révolutionnaires au sein de l’organisation.
La publicité, produit de la société de consommation, dépeint de façon positive vie
fondée sur un bonheur acquis par l’accumulation de biens matériels afin d’influencer les
spectateur a l’adopter.
La pub par définition est optimiste... Elle montre des personnages heureux, en bonne
santé, sympathiques et intelligents, qui vivent dans un paradis de la consommation [...]
où tous les rêves sont permis et possibles, même celui de l’éternelle jeunesse. 171
Considérée comme propagande de l’idéologie dominante par les activistes, la publicité vise
a créer des réflexes de consommation plutôt que de la réflexion. Elle conditionne la
170
171
HAHN Pierre, « Les Situationnistes », Le Nouveau Planète , Mai 1971, n°22, p 78-99
BROCHAND Bernard préface de CATHELAT Bernard, Publicité et société, Paris, Petite Bibliothèque
Payot, 2001.
79
population en cherchant à instaurer des rapports marchands entre les individus. La
publicité est une justification de la société, une façon de la faire perdurer implicitement
sans la remettre en cause. La résistance à la publicité s’emploie à éveiller la lucidité des
individus en dégradant la publicité et en la remettant ainsi en question.
L’anti-pub est parti d’un constat : la publicité fait partie du paysage. La plupart des
individus ne la remarque même plus. Le documentaire sur l’anti-pub grenobloise, Le
bonheur publicitaire est une chimère 172, réalisé en 2007, présente différentes actions antipub (remplacement de vraies publicités par des pubs détournées, dégradations, tags de
slogans anti-pub...) qui visent à rappeler à la population l’aspect négatif et omniprésent de
la publicité. Le groupe déplore le peu de choix laissé à l’individu tant les affiches s’imposent
au regard : de plus en plus de grands formats, lumineux, dans tout l’espace public. L’acte de
dégradation d’une publicité est un acte violent (c’est une destruction) dont le but est de
provoquer une réaction chez le spectateur : pourquoi cette publicité à t-elle été détruite ? Le
discours était-il incorrect ? Pourquoi détruire la publicité ? Ces premiers questionnements
peuvent être le début d’une réflexion plus large sur le sens de la publicité, sa présence et ses
répercussions sur notre système économique, politique et social. Ce processus violent de
destruction peut être discutable. Non conscientisés, les passants prennent parfois peur et ne
comprenne pas le but de l’action. La transmission du message n’est pas toujours efficace.
Les différents groupes anti-pub ne « rechignent » pas à faire connaître le but de leurs
actions lors de leurs différentes interventions de dégradation afin de faire comprendre et
peut être de convaincre leurs concitoyens. Lors d’actions médiatisées comme celles des
Déboulonneurs, les militants n’hésitent pas à clamer haut et fort leurs dégoût de la
publicité en entonnant notamment cette chanson :
Si je suis prisonnier,
C’est bien du matraquage
De toutes ces images
172
CAPONE et BLOCKY, Le bonheur publicitaire est une chimère, France, 2007, 14 min.
80
Qui me font consommer .
Ces corps prostitués,
Autant de faux modèles,
Font de moi un rebelle
Qui ne veut saliver.
Je dois fermer les yeux
Et aussi les oreilles
À ces fausses merveilles
Qui me rendent envieux .
La manipulation
À des fins mercantiles
Livre toute la ville
À la pubtréfaction.173
Jouant de références culturelles militantes (Boris Vian, connu pour ses
positionnements ancrés à gauche) et de jeux de mots (pubtréfaction), les activistes tentent
d’exprimer un point de vue minoritaire, de se poser en contrepoint aux classes dirigeantes.
Si les anti-pub se reconnaissent des affinités politiques avec des mouvements
politiques de gauche, voire d’extrême gauche, l’inverse est également vrai. Pendant les
actions des Déboulonneurs on peut souvent croiser des personnalités politiques portant
écharpes en sautoir qui viennent soutenir le mouvement.
Samedi 30 novembre 2013 à 15h, une soixantaine de sympathisant-e-s et de militant-e-s
(dont un conseiller régional Alternatifs avec son écharpe : Jean-François Pellissier) se
sont retrouvés place Franz Liszt en compagnie de la Fanfare invisible et de la Brigade
activiste des clowns (BAC), ami-e-s indispensables pour donner à cette action toute sa
dimension humaine, non violente, pacifique et sympathique et permettre par là même
de toucher et interloquer davantage de passants. Cinq journalistes étaient également
présents (dont Télé BOCAL), ainsi que des étudiants en sociologie et en journalisme. 174
173
174
Extrait de la chanson militante Le Barbouilleur d’après Le déserteur de Boris Vian. Paroles écrites par
GRADIS Yvan les 21 et 22 juin 2003.
LES DÉBOULONNEURS, Compte rendu de la 62ème action du Collectif des Déboulonneurs et
Déboulonneuses de Paris (extrait), publié le 5 décembre 2013. Source : http://www.deboulonneurs.org/.
Dernière consultation : 23 juin 2014.
81
Les politiques soutiennent également les mouvements anti-pub dans leurs programmes
électoraux. Par exemple lors de la présidentielle 2012 le Front de Gauche et Europe
Écologie–Les Verts ont inclus dans leurs programmes les arguments et les désirs des antipub.
Nous lutterons contre l’aliénation consumériste en limitant la publicité dans l’espace
public et sur toutes les chaînes de télévision.175
Pour les écologistes la publicité est au centre du débat électoral, en 2012, le parti y consacre
toute un chapitre de son programme électoral :
La publicité remise à sa place
Le rôle de la publicité a de tout temps été critiqué par les écologistes. Le plus souvent,
elle prône la surconsommation, l’individualisme, l’immédiateté, l’apparence ou le
gaspillage. Sur la forme, elle s’impose à nous, s’incruste dans tous les aspects de la vie
collective et pervertit le fonctionnement démocratique. Bien au-delà des enjeux
environnementaux liés au modèle productiviste, la publicité a façonné des pans entiers
de notre société, de la femme-objet au culte de la vitesse et de l’apparence en passant
par un déséquilibre entre l’intérêt général et les lobbies.
Les écologistes proposent :
– la diminution drastique des formats et densités de l’affichage publicitaire (révision
complète du Code de l’environnement sur ce sujet) ;
– l’obligation de recueillir le consentement explicite préalable des individus pour la
distribution de prospectus (autocollant sur la boîte aux lettres), pour la création de
cookies lors de la navigation sur Internet, pour le démarchage téléphonique et pour
l’envoi de messages sur les téléphones portables ou par courrier électronique ;
– l’indépendance et la neutralité des services publics : le financement de services
publics par la publicité est une aberration. Sous couvert de gratuité, elle abuse les élus
pour proposer toujours plus de services en échange d’espaces de diffusion. Notre
position : suppression totale de la publicité sur le service public de l’audiovisuel.
Interdiction de la publicité dans et autour des établissements scolaires et du bâchage
par des marques privées des bâtiments publics ou des monuments. Interdiction aux
acteurs privés, notamment alcooliers et marques de tabac, actions de prévention santé,
175
FRONT DE GAUCHE, L’humain d’abord : programme de Jean-Luc Mélanchon pour les élections
présidentielles de 2012. Source : http://www.jean-luc-melenchon.fr/
Dernière consultation : 23 juin 2014.
82
notamment auprès des publics jeunes et des femmes enceintes. Réduction drastique de
l’affichage publicitaire dans les transports en commun. Interdiction de la publicité
télévisée destinée aux enfants et suppression des publicités lors des programmes
jeunesse ;
– l’encadrement des procédés publicitaires (écoblanchiment, stéréotypes sexistes,
marchandisation du corps...)et la création d’une autorité indépendante chargée de la
régulation pour tous les supports composée de représentants de l’État, des ONG, des
associations de consommateurs, des professionnels du secteur ;
– la prévention des internautes lorsqu’il y a collecte et conservation de données
personnelles. Traçabilité de l’utilisation qui est faite des données ;
– l’abandon des facilités sur la publicité pour l’alcool accordées ces dernières années,
notamment sur Internet.176
Afin de mieux évaluer les partis politiques proches de la lutte contre la publicité, le
RAP a envoyé aux différents candidats aux présidentielles 2012 un questionnaire sur la
question publicitaire. Puis suivant les réponses (ou l’absence de réponses) reçues le collectif
a classé les candidats. Voici un extrait du palmarès :
François Bayrou – Modem : 0,75/10 : Un silence complice
L’envahissement publicitaire n’intéresse pas F. Bayrou. Aucune réponse au
questionnaire, aucune trace dans son programme, il s’est même prononcé contre la
suppression de la publicité sur l’audiovisuel public. Au final, ce silence traduit soit un
désintérêt soit une franche publi-philie. Contacté par téléphone au moment du vote de
la loi Grenelle, il nous avouait benoîtement ne pas pouvoir faire grand chose étant
donné le peu de parlementaires du Modem. [...]
Nicolas Dupont-Aignan : 2,3/10 : Des mesurettes
Dans sa réponse à notre questionnaire, il se dit intéressé et trouve même nos
propositions « sympathiques ». Mais sur les points précis, il reste silencieux ou flou.
Dans son programme, il propose quelques mesurettes, comme le renforcement de la loi
Toubon sur l’anglais dans la publicité, l’interdiction de la publicité sur le crédit. Il prône
176
EUROPE ÉCOLOGIE – LES VERTS, Vivre mieux. Vers une société écologique : programme d’Éva Joly pour
les élections présidentielles 2012, 2012. Source : http://eelv.fr/
Dernière consultation : 23 juin 2014.
83
également un « meilleur contrôle des pratiques publicitaires ». Au bout du compte, cela
ne pèse pas très lourd. [...]
Nathalie Arthaud – Lutte Ouvrière : 4/10 : La révolution sinon rien
Dans sa réponse au questionnaire, LO partage notre analyse et est d’accord sur le
diagnostic économique. Mais elle ne répond pas avec précision au questionnaire, pour
eux la seule solution à l’agression publicitaire est la sortie du capitalisme. LO propose
que « l’information commerciale doit se substituer à la publicité ». On aimerait savoir
concrètement ce que cela veut dire.
Rien n’est dit dans son programme sur la question de la publicité. Les pratiques de
campagne de LO peuvent être publicitaires (voir campagne de 4 × 3 d’Arlette Laguillier).
Jean-Luc Mélenchon – Front de Gauche : 9/10 : Une place importante dans son
programme
Le FG s’exprime en faveur de la liberté de réception et place la lutte contre
l’envahissement publicitaire au cœur de sa lutte contre le consumérisme. Ses réponses
au questionnaire sont un sans faute, à l’exception des pratiques concernant la
campagne électorale. De fait le Front de Gauche pratique l’affichage sauvage à haute
dose.
Le programme du Parti de Gauche est très détaillé sur le sujet de la publicité. Peu de
choses dans celui du PCF. Le programme présidentiel du FG est moins détaillé, mais
reprend l’essentiel des objectifs et des orientations.
Côté bilan des élus des partis du FG, nous notons la très bonne coopération avec A.
Corbières (pour le RLP de Paris) et avec M. Billard (pour les amendements à la loi
Grenelle). Cependant on peut noter que les RLP des mairies communistes ne sont pas
des modèles de lutte contre l’agression publicitaire.
Le soutien aux Déboulonneurs, les débats organisés par le parti de gauche sur la
publicité, les prises de position de Jean-Luc Mélenchon sur l’agression publicitaire et les
écrans du métro lui donnent un bonus de 1 point.177
La résistance à la publicité se reconnaît d’une culture d’extrême gauche, influencée
par les milieux anti-capitalistes, voire situationnistes, dans leur combat contre la société
marchande. Dire non à la publicité est une réaction face à la commercialisation de la vie
177
RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, « Pubomètre des candidats à la présidentielle de 2012 », in
http://antipub.org/.
Dernière consultation : 10 juillet 2014
84
quotidienne. Les artivistes s’engagent à mettre en valeur cette marchandisation, afin que ses
effets puissent être observés et analysés par tous. L’un des principaux obstacles à l’anti-pub
est l’accord passif de la population avec la publicité.
◦ Un mouvement lié à d’autres contestations
Si l’anti-pub découle d’un mouvement plus large de contestation lié à la critique de
la société de consommation et à l’anti-capitalisme, on peut toutefois noter une grande
diversité des groupes anti-pub. On peut ainsi trouver chez des groupes venant de milieux
militants différents la même volonté de mettre fin à la publicité.
De façon non exhaustive, une liste des différentes tendances anti-publicitaires
répertorieraient : les féministes de La Meute178, les anarchistes de la Confédération
Nationale des Travailleurs (CNT), les écologistes de Paysages de France 179, les mouvements
non-violents d’Alternatives non-violence, les légalistes de la Résistance à l’Agression
Publicitaire (RAP)180, la Brigade AntiPub181 donnant des indications très utiles pour dégrader
178
179
180
181
La Meute est un réseau international créé en 2000 engagé contre les publicités sexistes.
Paysage de France est une association qui a pour but de lutter contre toutes les formes de pollution
visuelle en milieu urbain et non urbain, ainsi que contre les publicités mensongères.
Source : http://paysagesdefrance.org/
Dernière consultation : 24 juin 2014
La Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP) lutte contre les effets négatifs, directs et indirects, des
activités publicitaires sur l’environnement et les citoyens. La RAP préfère agir dans le cadre légal et ne
pousse pas à la désobéissance civile (sans pour autant la blâmer).
Source : www.antipub.org
Dernière consultation : 24 juin 2014
La Brigade Antipub (BAP) est un site d’information libre et participative sur l’actualité de la lutte antipublicitaire, avec de nombreux échanges de points de vue et de savoir-faire de militants.
Source : www.bap.propagande.org
Dernière consultation : 24 juin 2014
85
et détourner les publicités la nuit, le Journal des Murs collant des articles engagés sur les
murs du métro parisien, Les Déboulonneurs préférant l’action juridique, Les Reposeurs 182
armés de leurs post-it subversifs, mais aussi des électrons libres voulant réinvestir l’espace
public par l’art. Malgré tout, deux principes sont largement partagés par tous les groupes :
la lutte contre la société de surveillance ainsi que l’aspect l’écologique.
Le refus d’une société vidéo-surveillée
L’aversion de Big Brother183 est très ancrée dans la culture collective des militants
anti-pub. Dans le roman dystopique de Georges Orwell, 1984184, Big Brother est le chef du
parti et de l’État d’Océania. Présent sur les télécrans et les affiches, c’est une entité
omnisciente qui dirige d’une main de fer la société des Hommes et leurs pensées.
À la suite du succès du roman, Big Brother est devenu la représentation de l’État policier et
de la perte des droits individuels de la population dans la culture populaire anglo-saxonne.
Big brother is watching you est devenu une façon de dénoncer les systèmes de surveillance
(vidéo, voyeurisme, etc.). Big Brother symbolise depuis lors une puissance liberticide
s’immisçant dans les vies privées.
182
183
184
Les Reposeurs est un groupe francilien d’anti-pub. Leur mode d’action est atypique : ils pose des
« papillons repositionnables » sur lesquels ils ont au préalable écrit des slogans sur les panneaux
publicitaires. Le but étant de recouvrir le panneau.
Source : http://reposeurs.eu.org/
Dernière consultation : 24 juin 2014
Big Brother est un personnage de fiction du roman 1984 de George Orwell. L’expression « Big Brother »
ou « Big Brother is watching you » est utilisée pour qualifier toutes les institutions ou pratiques portant
atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée des populations ou des individus.
ORWELL George, 1984, (1948), Gallimard, Paris, 1972.
86
L’appellation Big Brother est très employée chez les anti-pub. François Brune 185 écrivain et
anti-pub est l’auteur d’un livre Sous le soleil de Big Brother. Précis sur « 1984 » à l’usage
des années « 2000 »,186 qui dénonce l’édification de l’état policier et le système de
surveillance actuels.
Comme dans le roman les activistes craignent le fichage, la vidéo-surveillance, le traçage, la
carte d’identité biométrique, le fichage ADN... Et non sans raison : le fichage ADN, par
exemple a fortement augmenté en 10 ans, comme le montre Jean-Marc Manach, journaliste,
collaborateur occasionnel du journal Le Monde :
En 2002, 65% des personnes fichées y étaient enregistrées en tant que « personnes
condamnées » (leur empreinte génétique sera conservée pendant 40 ans). En 2012, la
proportion de « personnes condamnées » n’est plus que de 18% : 80% des gens qui y
sont nommément fichés n’ont en effet été que « mis en cause », et sont donc toujours
considérés comme « présumés innocents » aux yeux de la Justice... Ce qui n’empêchera
pas leur empreinte d’être conservée pendant 25 ans.187
Il en est de même pour les caméras de vidéo-surveillance. La vidéo-surveillance est appelée
par ses défenseur « système de vidéo-protection ». Ce néologisme a été crée dans le but de
rassurer les populations quant à l’utilisation de ces caméras. D’une manière générale le
champ lexical utilisé pour le système de surveillance fait appel à la sécurité, afin de se faire
accepter et rassurer la population. Depuis l’initiative de Patrick Balkany dans les années
1990 à Levallois-Perret (première ville française à s’équiper massivement de caméras de
vidéo-surveillance), la vidéo-surveillance s’est généralisée : les professionnels reconnaissent
installer chaque année entre 25 et 30 000 nouveaux systèmes de vidéo-surveillance 188. Noé
185
186
187
François Brune (1940 -) collabore aux journaux Le Monde diplomatique et La Décroissance, ainsi qu’au
magazine Casseurs de pub. Il a fondé en 1992 avec Yvan Gradis et René Macaire Résistance à l’Agression
Publicitaire.
BRUNE François, Sous le soleil de Big Brother. Précis sur « 1984 » à l’usage des années « 2000 », éd.
L’Harmattan, Paris, 2000.
MANACH Jean-Marc, « Fichier ADN : 80% des 2,2M de gens fichés sont “innocents“ », in Bug Brother (Le
Monde Blog), 25 février 2013.
Source : http://bugbrother.blog.lemonde.fr/
Dernière consultation : 24 juin 2014.
87
Le Blanc, journaliste spécialiste de la vidéo-surveillance, s’inquiète de cette situation sur
Radio Libertaire en 2009 :
En France, on dénombrerait de 300 à 350 000 caméras déclarées, plus 2 à 3 millions qui
ne seraient pas déclarées. [...]
En Grande-Bretagne, les caméras avaient été installées à l’aveuglette, et les études,
réalisées 10 ans après, estiment que la vidéo-surveillance, ça ne marche pas : il y aurait
moins d’une arrestation tous les 40 jours, et encore, une bonne partie aurait aussi pu
avoir lieu sans caméra. [...]
Et il n’y a pas plus de résolution des crimes et délits dans les quartiers vidéo-surveillés
que dans ceux qui ne le sont pas. Il y aurait même plutôt une augmentation de la
délinquance dans les zones avec caméras... : elles génèrent presque du crime ! [...]
Pourquoi elles sont inefficaces ? Parce que les installations ont été laissées aux
entreprises qui ont fait ça à la va-vite, que la moitié des systèmes sont inutilisables
dans la nuit (trop éblouies ou trop sombres), et que le principal problème, c’est le tri de
l’information, une question propre aux technologies de surveillance : il faut trouver le
moyens de trier toutes ces données, et c’est très compliqué, donc les opérateurs se
focalisent sur des repères plus facilement détectables, qui recoupent les clichés sur les
populations criminogènes (les jeunes, les pauvres, etc.) qui ne sont pas forcément ceux
qui commettent les délits. [...]
Ainsi, 68% des Noirs sont qui surveillés le sont sans raison spéciale, tout comme 86%
des jeunes de moins de 30 ans, et 93% des hommes. En résumé, un jeune homme noir a
beaucoup plus de probabilité d’être vidéo-surveillé par les caméras, mais du coup, ça ne
correspond plus à la délinquance. [...]
De plus, 15% du temps passé par les opérateurs devant leurs écrans de contrôle
relèverait du voyeurisme, mais je pense que c’est bien pire : faut comprendre, les gens
s’ennuient, devant les caméras ! En règle générale, on dénombrerait un opérateur pour
10 écrans, avec 5 caméras par écran...189
Pour les anti-pubs tous ces nouveaux processus mis en place sous couvert de lutte antiterroriste (de plus en plus active depuis les attentats du 11 septembre 2001) permettent aux
188
189
http://www.rfi.fr/actufr/articles/067/article_37700.asp [archive] Paris et Londres coopèrent dans la lutte
contre le terrorisme, RFI, article publié le 25 juillet 2005.
LE BLANC Noé, propos recueillis lors de l’émission Les Amis d’Orwell, sur Radio Libertaire, le 13 janvier
2009.
88
pouvoirs publics et industriels de développer des modes de contrôle social de plus en plus
sophistiqués.
La lutte contre Big Brother rejoint le combat des anti-pub lorsqu’en 2009
apparaissent les premiers écrans publicitaires. Cette année-là, la RATP autorise
l’implantation à titre expérimental des premiers écrans publicitaires à cristaux liquides avec
caméras intégrées. Ces panneaux déclenchent une vague de protestation chez les anti-pubs.
Pour nous, la lutte contre les écrans publicitaires numériques est primordiale. Ces
écrans constituent une triple pollution :
- pollution visuelle : L’œil humain est attiré par ces écrans animés et la lumière qu’ils
émettent. Ils devraient donc être considérés comme une source de danger pour la
sécurité routière détournant l’attention des automobilistes ;
- pollution énergétique : À l’heure où les prix de l’énergie augmentent et où les citoyens
doivent se serrer la ceinture en conséquence, les publicitaires poursuivent eux un
gaspillage énergétique sans précédent, peuvent assécher les dernières gouttes de
matières premières, rejeter toujours plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et
peser dans la création de nouveaux déchets radioactifs ;
- pollution mentale : Notre cerveau est désormais gavé avec un entonnoir publicitaire.
Ces dispositifs auxquels il devient quasi-impossible d’échapper nous imposent des
messages aux images et aux normes agressives et néfastes. Quand s’arrêtera cet
asservissement idéologique et mental des masses ?190
Mais ces écrans ne sont pas seulement attractifs, ils possèdent également un caractère
intrusif. En 2009 la RATP annonce son intention d’introduire dans métro parisien plus de
400 écrans publicitaires présentés comme « intelligents », c’est-à-dire, dotés de caméras
analysant le comportement des usagers passant devant eux et capables d’envoyer des SMS
sur leurs portables. Lors de l’annonce de l’installation de 800 panneaux semblables dans les
gares SNCF, les anti-pub et les anti-Big Brother s’unissent pour lutter contre l’espionnage
190
RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, Appel à mobilisation nationale contre les écrans
publicitaires numériques le 26 avril 2014 (extrait), avril 2014.
Source : http://antipub.org/
Dernière consultation : 24 juin 2014
89
policier et publicitaire. Les militants anti-pub organisent des actions de die-in191 dans le
métro. En 2010, quand les 400 panneaux sont installés, la colère monte d’un cran. En juin,
des militants masqués brisent plusieurs écrans. En novembre, forts de la réunion de leurs
deux groupes, les militants organisent une démonstration de force : en une soirée une
centaine d’activistes recouvrent plusieurs dizaines de ces panneaux de larges autocollants
qui en dénoncent le rôle. Quelques panneaux sont également recouverts de peinture 192. Une
plainte est déposée par 5 associations et soutenue par Les Verts, le PCF et le Parti de
Gauche pour violation de la législation sur la vidéo-surveillance 193. La RATP recule et
renonce en juillet 2009 aux dispositifs de vidéo-surveillance publicitaire. Mais les anti-pub
continuent de s’inquiéter :
Dans le métro parisien, si la tentative d’équiper les écrans de capteurs Bluetooth a été
officiellement abandonnée, le projet d’activer les caméras pour analyser les passants est
en revanche toujours d’actualité. Médiatransport, la régie de la SNCF et de la RATP
attend que les citoyennes et citoyens soient habitués aux écrans pour activer les
caméras de surveillance publicitaire déjà présentes dans les écrans. Ces
expérimentations parisiennes ne sont que le début d’un déploiement national. 194
Les écrans publicitaires sont vraiment devenus la « bête noire » des Déboulonneurs.
Depuis novembre 2012, ceux-ci concentrent leurs barbouillages sur les écrans. Les écrans
sont généralement très présents dans les gares (grâce au monopole de Médiatransport – exMétrobus). Et les gares sont les lieux privilégiés des Déboulonneurs ces deux dernières
années. Les panneaux sont nombreux et la foule est dense. Pour les anti-pubs ces actions
s’avèrent être de vraies réussites : beaucoup de panneaux tagués devant un public
important et varié. Les slogans évoluent eux aussi, on peut maintenant lire sur des écrans
191
192
193
194
Le die-in, aussi appelé « tas de morts », est une forme de sit-in, il se définit par l’action de s’allonger par
terre pour montrer son opposition ou au contraire son soutien. Par exemple : Au festival Solidays de 2004
avec Antoine de Caunes et -M-, le public de 50 000 personnes s’est allongé dans la boue en signe de
solidarité envers les personnes atteintes du SIDA.
Le site du collectif formé pour l’occasion : www.danger-ecranpub.tk
Dossier juridique : http://antipub.org/spip.php?article48
Dernière consultation : 24 juin 2014.
RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, Appel à mobilisation nationale contre les écrans
publicitaires numériques le 26 avril 2014 (extrait), avril 2014.
90
barbouillés « La pub nous filme, je refuse, refusons »195, plus en corrélation avec le support.
La lutte contre la vidéo-surveillance s’est naturellement intégrée à l’anti-pub des
Déboulonneurs.
Depuis la fin des années 1990, plusieurs thèmes apparaissent de manière récurrente
dans les œuvres des street artists, comme la critique de la société sous surveillance. Venant
du pays le plus filmé d’Europe, l’artiste anglais Banksy exprime la tension qu’induisent les
caméras de vidéo-surveillance :
La quantité de caméras de sécurité me porte sur les nerfs. [...] Je déteste quand
les gens disent que quand on n’a rien fait de mal, alors on a rien à cacher. On a
tous quelque chose à cacher, ou alors c’est qu’on a vraiment un problème. 196
Un certain nombre de ses pochoirs se rapportent à cette problématique, comme celui réalisé
à Londres en 2004 sur Marble Arch. Le pochoir fait face à une caméra pointée vers lui et la
questionne ironiquement What are you looking at ? 197(« Qu’est-ce que tu regardes ? »).
Banksy pointe le voyeurisme de la caméra de surveillance. Comme pour la publicité, la surabondance de la vidéo-surveillance a tendance à la banaliser, à la faire oublier du public.
Banksy rappelle sa présence à ses compatriotes.
195
196
197
Slogan tagué sur un écran publicitaire de la Gare Saint-Lazare le 24 novembre 2012 lors de la 61 e action
des Déboulonneurs de Paris.
Interview de Banksy in LEMOINE Stéphanie et OUARDI Samira, Artivisme : Art, Action politique et
Résistance Culturelle, Paris, Éditions Alternatives, 2010, p. 145.
Banksy, What are you looking at ?, 2004, Marble Arch, Londres, Royaume-Uni. Annexes Tome 1 – 19.
91
Liens avec l’activisme écologique
La protection de l’environnement et les problématiques écologiques prennent
également une place importante dans la lutte contre la publicité. Il s’agit d’une question qui
apparaît au cœur des manifestes fondateurs de nombreux groupes d’anti-pub comme les
Humains Associés, le Billboard Liberation Front ou encore les Déboulonneurs. Beaucoup
d’arguments anti-publicitaire se rapportent à la question écologique, comme l’indique dans
le RAP sur leur site :
La question de l’environnement est centrale dans la lutte contre les abus de la publicité,
et c’est tout naturellement que R.A.P. a progressivement renforcé son orientation vers
les questions environnementales depuis 1998. Les statuts de l’association ont été
modifiés en 2002 pour marquer cette évolution, et ils le seront de nouveau
prochainement pour un nouveau renforcement dans ce sens.
La publicité pose de nombreux problèmes écologiques que nous tentons de combattre :
– affichage
publicitaire contrevenant largement aux dispositions du code de
l’environnement (loi du 30 décembre 1979) et défigurant les paysages et le cadre de vie
des français ;
– gaspillage de papier par la distribution souvent aveugle et intrusive de prospectus
publicitaires (1 million de tonnes par an en comptant les journaux gratuits
d’annonces... et un coût de 150 M € par an assumé par le contribuable pour le
retraitement sous forme de déchets) ;
– les autres supports ne sont pas sans impacts sur l’environnement non plus (affiches et
leurs encres, leurs colles et leur retraitement ; consommations d’électricité des
éclairages publicitaires, pollution sonore, véhicules terrestres et aériens publicitaires,
etc.) ;
– apologie du gaspillage, promotion de produits dangereux (pesticides, voitures
surpuissantes...) et diffusion de mensonges objectifs sur l’innocuité prétendue des
produits ;
92
– et de manière générale, les pressions exercées par les annonceurs et la publicité (et
leurs organes représentatifs) sur les politiques, les médias, les décideurs... Elles sont
rarement favorables à l’environnement (c’est un euphémisme). 198
Cette critique écologique de la publicité regroupe deux catégories d’arguments liés à deux
media : les affiches et les écrans. Les affiches publicitaires entraînent une production
d’encre et de colle très polluantes pour l’environnement. Les écrans, outre le problème
intrusif qu’ils posent, sont de véritables machines énergivores. Les Déboulonneurs
dénoncent ce problème :
Les écrans publicitaires, actuellement installés dans le métro parisien et qui
commencent à apparaître aux bords des routes, vont bientôt envahir le paysage. Le
gouvernement et le parlement ont systématiquement refusé d’aborder la question des
nouvelles techniques publicitaires lors des travaux du Grenelle II. Agression publicitaire
supplémentaire, pollution visuelle accrue, libertés individuelles bafouées (capteurs
espions analysant les passants) et aberration écologique (consommation énergétique de
trois foyers moyens, émission de 10 fois plus de CO2 qu’une affiche 4 × 3) : ce type de
dispositif doit purement et simplement être interdit. Nous n’en voulons ni dans le
métro, ni ailleurs.199
Il existe plusieurs propositions anti-pub pour lutter contre cette menace pour la planète.
L’association Paysage de France 200, association de protection de l’environnement
créée le 28 février 1992 à Grenoble, lutte contre toute forme de pollution visuelle dans les
paysages urbains et non-urbains. Elle a pour objet de combattre toutes les atteintes au
paysage et au cadre de vie et contre toutes les formes de pollution visuelle dans les
paysages urbains et non urbains, y compris maritimes et aériens. Elle lutte notamment
contre la prolifération des panneaux publicitaires dans les paysages urbains et non-urbains
ainsi que de divers équipements ou aménagements qui défigurent voire qui détruisent le
paysage. Outre l’anti-pub, Paysage de France intervient sur des sujets comme les antennes
198
199
200
RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, « R.A.P. et la question de l’environnement » in
http://antipub.org/
LES DÉBOULONNEURS, « Tract pour l’action de désobéissance civile des Déboulonneurs le 24 novembre
2012 à 15h » in http://www.deboulonneurs.org/, article publié le mercredi 14 novembre 2012.
http://paysagesdefrance.org/
93
relais de téléphonie mobile, les carrières, les décharges et dépôts sauvages, les lignes
aériennes mais aussi les éoliennes (sujet qui apparaît plus discutable aux Déboulonneurs 201).
Association agréée au Plan National depuis 1996, Paysage de France, utilise des moyens
légaux pour abolir la publicité illégale 202. Selon eux, près de 40 % du parc publicitaire
français serait illégal (trop près des écoles, des monuments historiques, etc.).
Depuis quelques décennies, l’affichage publicitaire a envahi dans des proportions
jamais connues la périphérie des villes. Les débordements de l’affichage publicitaire
sont considérés, aussi bien par nos concitoyens que par les visiteurs étrangers, comme
l’un des principaux facteurs de dégradation de nos paysages. C’est pourquoi, sachant
notamment que de très nombreux dispositifs publicitaires sont illégaux mais aussi que
chaque commune ou EPCI peut adapter la réglementation nationale, l’association en a
tout naturellement fait l’une de ses priorités.
Votre territoire est pollué par un affichage publicitaire chaotique ? L’image de la
commune en est altéré et le cadre de vie de vos administrés en pâtit ?
Alors que les actions en matière d’urbanisme sont souvent très onéreuses et longues,
l’action dans le domaine de l’affichage publicitaire et des enseignes peut conduire
moyennant un très bas coût des résultats aussi rapides que spectaculaires.
Paysages de France, association agréée au plan national, est un expert indépendant,
reconnu notamment par le ministère de l’Écologie pour sa compétence. Alors n’hésitez
pas à contacter notre association : nous pouvons vous aider, vous conseiller et
accompagner votre démarche.203
Paysages de France utilise plusieurs moyens d’actions : sensibilisation auprès des
pouvoirs publics, des collectivités territoriales, du grand public et des scolaires,
communiqués de presse, manifestations, etc. À force de pressions sur les pouvoirs publics,
l’association obtient quelques résultats comme le démontage d’une enseigne géante (25
mètres de hauteur) dans une zone commerciale de la banlieue grenobloise en janvier 2011
201
202
203
Propos d’un militant des Déboulonneurs de Paris lors de la formation au barbouillage le 17 novembre
2012. Propos recueillis par nos soins.
Paysages de France est une association agréée dans le cadre national au titre des articles L. 141-1 et
suivants du Code de l’environnement.
PAYSAGE DE FRANCE, « Assistance aux collectivités (affichage publicitaire et enseignes), in
http://paysagesdefrance.org/
Dernière consultation : 27 juin 2014.
94
ou le démontage de panneaux publicitaires illégaux. 204 Néanmoins, ces procédures sont très
longues car les collectivités n’ont financièrement aucun intérêt à démanteler des panneaux
publicitaires.
Paysage de France se base sur la loi pour obliger les annonceurs à retirer leurs
publicités illégales. Dans leur document à l’usage des citoyens horrifiés par la pub diffusé
sur internet, Avec Kivoitou menez la vie dure aux panneaux illégaux , l’association explique
quels sont les types de panneaux illégaux en citant la loi :
Emplacements interdits à la publicité en tous lieux (Article L.581-4 du Code de
l’Environnement) :
– sur monuments naturels dans les sites classés et les secteurs sauvegardés ;
– dans les parcs nationaux et les réserves naturelles ;
– sur les monuments historiques ;
– sur les arbres.
Emplacement interdits à la publicité (Article R. 581-8 du Code de l’environnement) :
– sur tous les panneaux réglementant la circulation ;
– sur tous les ouvrages EDF, supports d’éclairage public et plantations.
Publicité hors agglomération (Articles L. 581-7 et L. 581-14 du Code de
l’environnement) :
– toute publicité est interdite en dehors des lieux qualifiés d’agglomération par
les règlements relatifs à la circulation routière, sauf dans les zones dénommées
« zones de publicité autorisées ».
Publicité sur bâtiments et sur clôtures (Articles R. 581-10, 11 et 12 du Code de
l’environnement) :
204
Exemple d’enlèvement de panneaux illégaux par Paysages de France
Tome 1 – 20.
95
à Lombez en 2009. Annexes
– population = ou < à 2 000 habitants : surface : 4 m² maximum, hauteur par
rapport au sol : 4 m maximum [...] ;
– agglomération de plus de 2 000 habitants et de moins de 10 000 : surface :
12 m² maximum, hauteur par rapport au sol : 6 m maximum [...] ;
– agglomération de plus de 10 000 habitants : surface 16 m² maximum, hauteur
par rapport au sol 7,5 m maximum ; [...]
Emplacements interdits à la publicité sur bâtiments (Article R. 582-9 du Code de
l’environnement) :
– La publicité ne doit pas dépasser la limite du mur qui la supporte ;
– la publicité est interdite sur toitures et terrasses.[...] 205
L’aspect légaliste de Paysage de France le rend assez atypique dans la famille de
l’anti-pub. Les actions nocturnes réalisées par les anti-pubs croisent parfois le chemin d’un
autre groupe, au carrefour de la lutte écologique et de la lutte anti-publicitaire : Le Clan du
Néon206. Le Clan du Néon est apparu à Paris en 2007. Autour d’un blog 207, noyau de la
diffusion du mouvement, les fondateurs ont tout d’abord cherché à partager leur idée
d’éteindre les néons et ont montré la méthode par un mode d’emploi animé, ainsi que des
vidéos des premières actions filmées et postées sur des sites de partage. Peu à peu des
groupes se sont développés dans toute la France.
Ces groupes qui luttent contre la pollution lumineuse émise par les néons des enseignes des
magasins, ou des enseignes publicitaire, promeut des actions directes et non-violentes. Elles
consistent à éteindre des enseignes qui restent souvent allumées toute la nuit, en abaissant
205
206
207
PAYSAGE DE FRANCE, Kivoitou, Menez la vie dure aux panneaux illégaux, novembre 2012.
Disponible sur : www.paysagesdefrance.org
Le Clan du Néon ou Pêcheurs d’Énergie sont de petits groupes de toute la France réunis autour de la lutte
contre la pollution lumineuse.
http://clanduneon.over-blog.com/
96
les leviers des interrupteurs inter-pompiers situés à l’extérieur des magasins. Comme les
enseignes sont souvent commerciales, les actions rejoignent le mouvement des
Déboulonneurs dans leur lutte contre l’agression publicitaire. La portée du Clan du Néon
est aussi écologique, il s’agit d’éviter de consommer inutilement de l’énergie. Le Clan du
Néon n’est pas une organisation à part entière. Les groupes sont en totale auto-gestion. Les
membres se réfèrent au un traité fondateur posté sur le blog :
La nuit, dans les rues commerçantes parisiennes, nous nous retrouvons souvent face à
des enseignes lumineuses restées allumées. Des néons de boutiques qui ont pourtant
fermé leurs portes...
À quoi servent ces néons ? À rendre la ville plus belle ? À continuer à marquer la
présence d’un commerce ? À imposer une marque, un logo, une « identité » ?
État des lieux : Les enseignes des boutiques allumées toute la nuit représentent tout
d’abord une agression publicitaire supplémentaire. Mais même au-delà de ce sentiment
de harcèlement pesant, quel commerçant peut sincèrement considérer que ces néons
allumés dans des rues presque désertes sont efficaces pour augmenter ses ventes ?
De plus, ces néons consomment une quantité importante d’énergie. Alors qu’on
gaspille, des gens dorment dans les renfoncements des boutiques. Sans parler de
l’impact écologique de ces consommations d’énergie dans le contexte actuel de
raréfaction des ressources et de réchauffement climatique.
Les néons engendrent donc une double pollution, celle pour produire l’électricité mais
aussi celle, lumineuse, qui nous empêche de voir les étoiles...
Consommation : Les néons ont une puissance moyenne d’environ 50 W / mètre. La
facture annuelle d’électricité liée au néon seul (sans compter l’éclairage intérieur des
vitrines) représente donc quelques centaines d’euros. Multipliez par les milliers de
commerces laissant ces enseignes allumées, on obtient des centaines de milliers d’euros
gaspillés, sans parler de l’impact écologique
Une action sensée et non violente : On peut tous lutter contre cette dérive, en éteignant
simplement ces néons. Il suffit de désactiver les boîtiers néons (voir vidéo de
démonstration). C’est un geste simple et non violent, qui ne dégrade pas les biens. Nous
avons commencé à agir et nous comptons sur vous pour que le mouvement se diffuse.
Toutefois, dans certains cas, nous reconnaissons l’intérêt des enseignes lumineuses.
Nous luttons avant tout contre leur utilisation abusive, au service de la publicité. Nous
sélectionnons avec attention les néons que nous éteignons. nous n’agissons jamais sur
un commerce ouvert, un café ouvert, une pharmacie ouverte... En revanche, en cas
97
d’abus, nous n’hésitons pas. Le plus marquant étant le cas de certaines banques, dont
les horaires sont restreints mais qui continuent d’afficher fièrement leur logo... de
banque... la nuit. Des repères ? Oui mais trop de néons tuent le néon utile ! Trop de
lumière éblouit ! Une enseigne indiquant un distributeur de billets, d’accord ; toute la
banque allumée pour un distributeur de billets, non. 208
Les actions du Clan du Néon se veulent ludiques et non-dégradantes, puisque les lumières
peuvent toujours être rallumées. Quelques fois les « pêcheurs » joignent un tract expliquant
leur démarche. Plusieurs techniques sont utilisées quant à la conception de la perche :
manche à balais scotché à un cintre, rouleaux à peinture télescopiques...
Toujours dans le cadre de la défense écologique, le Billboard Liberation Front a
récemment relevé un détournement anonyme effectué sur un panneau signalétique d’un
parc aquatique, le Sea World de San Diego209. Les « libérateurs », comme le BLF les nomme,
ont ajouté la mention « sucks » au panneau indiquant Sea World. Le Billboard commente
avec humour :
And as you know, ‘sucks’ is aquarium slang for ‘keeps tank clean and treats captive
animals with respect and dignity’, so we applaud these Signage Liberators bring to the
attention of the public what great stewards of the ocean, Sea World is. So long and
thanks for all the fish.210
Si la question écologique n’est pas la priorité des détournements du BLF, les artivistes ne
sont pour autant pas insensibles à cette question. Ils saluent ainsi avec humour cette action
208
209
210
DALI & BRUCE, « Traité fondateur » in http://clanduneon.over-blog.com/, juillet 2007.
« Sea World Sucks » 2014, San Diego. Annexes Tome 1 – 21.
BILLBOARD LIBERATION FRONT, « Liberation of San Diego Freeway Sign Celebrates Sea World. », in
http://www.billboardliberation.com/, 27 mai 2014.
« Et, comme vous le savez, « suce » est un terme d'argot des aquariums pour « garde propre les
aquariums et traite les animaux avec dignité et respect ». Par conséquent nous applaudissons ces
Libérateurs de Panneaux qui attirent l’attention du public sur ce bon gardien de l’océan qu’est Sea World.
Salut, et merci pour tout le poisson. »
Dernière Consultation : 6 juillet 2014.
98
pointant du doigt la maltraitance des animaux dans les parcs aquatiques en citant l’œuvre
de Douglas Adams211.
L’anti-pub est proche d’autres mouvements contestataires qui mettent d’avantage
l’accent sur l’écologie ou sur la lutte contre la société de surveillance. Partageant tous une
critique de la société de consommation, ces groupes se rejoignent sur de nombreux points.
Si leurs angles d’attaque peuvent quelques fois différer, ils s’accordent bien souvent sur une
base anti-capitaliste, comme l’analyse la journaliste Naomi Klein212 dans son livre No Logo :
Pour un nombre croissant de jeunes activistes, le cassage de pub s’est présenté comme
l’outil parfait par lequel affirmer leur désapprobation des multinationales qui leur ont si
agressivement fait la chasse en tant que consommateurs, et les ont si précipitamment
laissés sur le carreau en tant que travailleurs.213
L’anti-pub porte en lui l’héritage de luttes d’opposition à la marchandisation de la société.
Cette base théorique est commune à de nombreux groupes de contestations. Les diverses
formes de résistance face à la publicité ne sont pas fermées à cette seule problématique. Les
frontières entre les différentes luttes sont perméables.
211
212
213
« So long and thanks for all the fish » (« Salut et encore merci pour le poisson ») est une réplique culte de
la « trilogie en cinq volumes » The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy (H2G2) imaginée par Douglas Adams
en 1978. Cette série se présente à l’origine sous forme de feuilleton radiophoniques avant changer de
medium avec la publication du premier tome en 1979. So long and thanks for all the fish est aussi le titre
du quatrième volume publié en 1984.
ADAMS Douglas, The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy (Le Guide du voyageur intergalactique), Paris,
Denoël, 1982 – 1994.
Naomi Klein est une journaliste, auteure et militante canadienne. Elle est devenue une représentante du
courant l’altermondialiste grâce à son livre No Logo en 2000, qui est vite devenu une sorte d’emblème du
mouvement anticapitaliste. Elle dénonce y la réduction de l’espace public, social et citoyen au profit des
multinationales au travers de la prolifération de leurs logos. Elle évoque également l’exploitation de la
misère que conduisent selon elle les multinationales envahissantes telles que McDonald’s, Nike, CocaCola, Starbucks ou encore Wal-Mart.
Naomi Klein, No Logo, Actes sud, coll. « Babel », 2002, p. 428.
99
3. Lutte contre le publisexisme, une symbiose entre anti-pub et féminisme
Le terme publisexisme est un néologisme créé en octobre 2001 par des militants issus
de différents groupes libertaires214. L’invention de ce terme s’accompagne de la fondation du
Collectif Contre le Publisexisme215, à Paris, pour lutter contre les stéréotypes sexistes
véhiculés par la publicité. Les activistes du collectif définissent le publisexisme ainsi :
L’ensemble des images exposées dans l’espace public qui exploitent les clichés sexistes,
les stéréotypes de la virilité et de la féminité, ou encore la banalisation de
l’hétérosexualité par rapport aux autres orientations sexuelles, relève selon nous d’un
phénomène que nous appelons le publisexisme. Dans notre société de l’image où le
virtuel est roi, et devient lui-même le réel, la reproduction constante et omniprésente de
ces visuels n’est pas anodine. La publicité à elle seule, nous bombarde en moyenne
2 500 fois par jour de messages qui sont autant d’injonctions à consommer, mais aussi
de commandements pour atteindre les normes caricaturales et irréelles qu’elle nous
présente. Le corps féminin est le principal argument des publisexistes pour faire passer
leur message, quel qu’il soit. Soumis aux normes aliénantes d’une beauté stéréotypée et
symbole du plaisir sexuel ou de la maternité, le corps des femmes est plus que jamais
instrumentalisé. On peut nous rétorquer que les hommes aussi sont traités comme des
objets et enfermés dans des clichés, c’est oublier qu’il n’y a jamais de symétrie et que
les uns sont présentés comme dominants et les autres comme soumises. 216
L’anti-publisexisme est une forme particulière d’anti-pub, à mi-chemin entre le
féminisme et l’anti-consommation. Il se caractérise par la condamnation des stéréotypes
féminins utilisés dans les publicités. C’est aussi l’un des sujets de prédilection des groupes
anti-pub.
Se cachant bien souvent derrière l’humour, la publicité véhicule des images
stéréotypées qui ont un énorme impact sur les consciences. La construction de stéréotypes
214
215
216
PIETRUCCI Sophie, VIENTIANE Chris et VINCENT Aude, « Annexe n° 6 : Historique des actions du
Collectif Contre le Publisexisme », in Contre les publicités sexistes, L’Échappée, 2012.
Le Collectif Contre le Publisexisme (CCP) est crée à l’automne 2001 à Paris pour lutter contre les
stéréotypes sexistes véhiculés par la publicité. Site internet : http://ccp.samizdat.net/
COLLECTIF CONTRE LE PUBLISEXIME, « Qu’est-ce que le publisexime ? », in http://ccp.samizdat.net/
Dernière consultation : 1er juillet 2014
100
se fait aussi par un univers visuel quotidien. Si notre univers est pollué par l’imagerie
publicitaire, il influencera la construction de stéréotypes sociaux sexués. Toutes ces normes
sexuées (et sexistes) sont martelées dans les esprits et participent à la construction du genre
féminin et masculin. Des ravages liés à cette normalisation s’observent dans tous les
domaines de la vie : les cas d’anorexies féminines, les viols, une proportion moindre d’accès
à l’enseignement supérieur chez les femmes, des professions sexuées...
Prenons un exemple familier : quand arrive le mois de novembre, les publicités pour
jouets s’accumulent sur les panneaux d’affichages et à la télévision. Ces publicités de jouets
pour enfant sont généralement très sexués : des poupées pour les demoiselles et voitures ou
figurines d’actions pour les garçons. Ce genre d’habitudes n’est pas propice à l’ouverture
d’esprit et peuvent donner lieu à des raisonnements tels celui du vendeur de jouet dans le
documentaire de Patric Jean217. De plus c’est aussi par le jeu que l’esprit de l’enfant se forme
et se conditionne. Pour contrer tous ces stéréotypes le Collectif contre le Publisexisme 218219
et d’autres collectifs lancent une campagne en 2007 contre les jouets sexistes à travers le
catalogue Contre les jouets sexistes220. Ce catalogue questionne de façon humoristique les
habitudes des autres catalogues de jouets :
Aux petites filles les dînettes, les poupons, les Barbies, les robes de princesses et les
machines à laver miniatures... Comme maman ! Aux petits garçons les ateliers de
bricolage, les personnages musclés et guerriers, les jeux de conquête... Comme papa ?
Non, plus viril que papa ! Pourquoi trouve-t-on des pages bleues et des pages roses dans
les catalogues de jouets ?221
217
218
219
220
La domination Masculine, JEAN Patric, France, 2009, 103 min.
Dans ce documentaire le vendeur jouet décrit les rayons filles-garçons en tenant des propos tels que
« dans le domaine de la cuisine vous avez tout ce qui est imitation [il montre une cafetière jouet] et ça
c’est spécialement pour les filles »
Le Collectif Contre le Publisexisme (CCP) est créé à l’automne 2001 pour lutter contre les stéréotypes
sexistes véhiculés par la publicité.
Le publisexisme est un néologisme forgé par les activistes de la lutte féministe né de la contraction des
mots « publicité » et « sexisme ». Il regroupe toutes les publicités à caractère sexiste qui enferment la
femme dans un carcan sexué (femme ménagère, soumise, objet sexuel, stéréotype du « mince-belle-jeunesexy », etc.).
COLLECTIF CONTRE LE PUBLISEXISME, Contre les jouets sexistes, Paris, Éditions de L’Échappée, 2007.
101
Le livre propose une analyse de l’importance des jouets dans la construction du genre
féminin, du genre masculin et de la norme hétérosexuelle. Il propose aussi des pistes
alternatives (livres non-sexistes, utilisation différente des jouets, jeux coopératifs...) et des
témoignages qui montrent comment lutter contre le sexisme dans les jouets.
Alors que la lutte contre le sexisme progresse pas à pas, la publicité impose de
véritables carcans sociaux apposés en fonction du sexe biologique.
•
Un mouvement issu de la deuxième vague féministe
La deuxième vague féministe apparaît à partir du milieu des années 1960 et pendant
les années 1970. Elle est précédée d’une période peu faste en matière de féminisme : les
années 1950. Cette décennie quelques fois appelée « creux de la vague »222, se caractérise
par une stagnation des acquis pour la liberté des femmes. Le début des années 1960 connaît
une progression sur la légalisation de l’égalité des droits aux États-Unis. En 1963, la loi sur
l’égalité des salaires (Equal Pay Act) est votée. Le 2 juillet 1964, la loi sur les droits civiques
(Civil Rights Act) abolit théoriquement toute forme de discrimination aux États-Unis.
L’aspect modéré de groupes comme le National Organisation for Women (NOW)223 suscite
par réaction la création de groupes féministes plus radicaux. À cette période naissent deux
221
222
223
Site du Collectif contre le Publisexisme : http://ccp.samizdat.net/ à propos de la sortie du catalogue
Contre les jouets sexistes.
Dernière consultation : 20 mai 2014.
Terme employé par les féministes québécois dans le documentaire La domination masculine de JEAN
Patric (2009).
National Organisation for Women est une organisation politique et juridique inspirée par la National
Association for the Advancement of Colored People (NAACP), une association de lutte contre la
ségrégation et la discrimination raciale. La NOW est fondée en 1966 à Washington, DC sous l’impulsion
de la féministe Betty Freidan, auteure de The feminine mystique (1963).
102
groupes phares de la deuxième vague : le Women’s lib224 dans les pays anglo-saxons et le
Mouvement de Libération des Femmes (MLF) en France. Ces nouveaux groupes radicaux
marquent leur opposition avec le réformisme de NOW par des formes de mobilisation
volontairement provocatrices pour attirer les médias. Des groupes de réflexion, les
Consciousness-raising groups225, s’organisent afin de permettre aux femmes de prendre
conscience de la condition des femmes, de leur oppression et de la dimension politique du
féminisme. Durant cette période les militants féministes effectuent un très important travail
d’information et de prise de conscience auprès des femmes et de la société.
Cette deuxième vague est aussi celle de la théorisation de la lutte féminine. Ce
nouveau féminisme rejette les objectifs d’égalité dans le système. Il s’appuie sur la théorie
Simone de Beauvoir en 1949 dans Le Deuxième Sexe226. Dans son ouvrage de Beauvoir
conteste l’existence d’une nature féminine douce et fragile tournée presque exclusivement
vers la maternité et dont la sexualité est déniée. Elle approfondit cette thèse en étudiant les
modalité de la construction sociale de la différence des sexes, c’est-à-dire la manière par
laquelle la socialisation impose des rôles sociaux différents aux personnes des deux sexes.
Les féministes de la deuxième vague construisent le concept de patriarcat qui définit le
système social d’oppression des femmes. Ce concept fonde leur rejet de la lutte pour une
égalité des sexes. Pour eux, aucune égalité entre les sexes ne peut être obtenue à l’intérieur
du système « patriarcal ». Aujourd’hui encore, les groupes qui critiquent le publisexisme se
basent sur ce concept de subordination à la société patriarcale. La publicité utilise des
icônes du système phallocrate. La femme soumise aux désirs de son mari en est une.
224
225
226
Le Women’s lib est une appellation qui regroupe les organisations féministes américaines depuis les
années 1960. Aujourd’hui, le Women’s Lib américain est incarné par plusieurs organisations, NOW ou
National Organization of Women, Feminist Majority, Planned Parenthood...
Consciousness-raising group aussi appelés awareness raising sont des groupes d’activisme politique
popularisé par les féministes américaines à la fin des années 1960. Ces groupes ont pour but d’éveiller les
consciences au travers de séances de réflexion sur des sujets politique (féminisme, génocide du Darfour,
réchauffement climatique). Les Feminism Consciousness-raising groups ont été créé par New York Radical
Women et Women’s Liberation group à New-York avant de se propager dans tous les États-unis.
BEAUVOIR Simone (de), Le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949.
103
Les théories élaborées par la deuxième vague conduisent à une féminisation des
sciences humaines. Ainsi apparaissent la philosophie féministe, l’anthropologie féministe,
l’histoire des femmes. Une relecture de la lutte des classe d’un point de vue féministe
permet aussi de mettre en lumière la subordination que subissent les femmes dans le
domaine de la reproduction (maternité, corps, famille, travail domestique... ). À partir de
cette époque le terme sexisme se répand, son concept se développe, entraîne une
théorisation des comportements sociaux quotidiens.
La maîtrise du corps est au centre des préoccupations de la deuxième vague. Cette
libéralisation du corps se manifeste dans la lutte pour le contrôle des naissances, divisée en
deux revendications principales : le libre accès à la contraception mais surtout le droit à
l’avortement. Ces revendications sont les plus marquantes du mouvement mais aussi les
plus contestées et restent dans les années 1970 un sujet de division à l’intérieur même des
groupes féministes. En France, suite aux Manifeste des 343227 et Manifeste des 331228, se
fonde en 1973 le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception
(MLAC)229. Il s’appuie notamment sur l’aile la plus radicale du Mouvement Français pour le
Planning Familial qui se prononce peu après « en faveur de l’avortement et de la
contraception libres et remboursés par la Sécurité sociale » et ouvre des cliniques
227
228
229
Le Manifeste des 343 (également appelé Le Manifeste des 343 salopes ) est une pétition parue le 5 avril
1971 dans le no 334 du magazine Le Nouvel Observateur en faveur de la dépénalisation et la légalisation
de interruption volontaire de grossesse. Il s’agit de la liste des 343 françaises qui ont le courage de signer
le manifeste « Je me suis fait avorter », s’exposant ainsi à l’époque à des poursuites pénales pouvant aller
jusqu’à l’emprisonnement.
Le Manifeste des 331 est une pétition, parue le 3 février 1973 dans Le Nouvel Observateur, et signée par
331 médecins revendiquant avoir pratiqué des avortements malgré l’interdiction de la loi française. Il
s’agit d’un soutien aux femmes du Manifeste des 343.
Le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, fondé en avril 1973, est une
association féministe dont l’existence répond aux difficultés rencontrées par les femmes désirant avorter.
Le but premier de l’association est de rencontrer les femmes dans les permanences et les aider à avorter
en organisant leur voyage vers l’Angleterre et la Hollande ou en réalisant leur avortement sur place le cas
échéant. Cependant le MLAC exerce également une activité de promotion et de lutte pour l’avortement
par l’organisation de campagnes, de manifestations. Quand la loi Veil est adoptée, le MLAC n’ayant plus
de raison d’être disparaît progressivement.
104
d’interruption volontaire de grossesse (IVG) 230. Cette lutte s’inscrit dans le cadre plus large
de la dissociation de la sexualité et de la reproduction. Ancrées dans la révolution sexuelle
qui fait suite aux mouvement d’émancipation de mai 1968, le féministes de la deuxième
vague se jugent seules maîtresses de leurs corps, de leur sexualité. Une sexualité qu’elles
assument et qu’elles revendiquent. L’étude de la sexologie féminine met en valeur une
nouvelle subordination au monde masculin. La sexualité est un domaine où s’exerce la
domination masculine, minorant le plaisir clitoridien. La féministe radicale américaine Anne
Koedt pointe du doigt la psychanalyse et la sexologie classiques qui définissent
sexuellement les femmes « en fonction de ce qui fait jouir les hommes »231. Ces théories
restent fondamentales pour les activistes de l’anti-pub qui s’attachent critiquer les mêmes
comportements machistes ou sexistes que ceux que les féministes de la deuxième vague ont
dénoncés.
Les militants de la deuxième vague se sont aussi employés à lutter contre le viol et
les agressions faites au femmes. Considérant que l’image marchande de la femme que
renvoie la publicité favorise les agressions sur celles-ci. L’accès, les féministes se mobilisent
contre l’image utilisé par les médias.
La deuxième vague féministe prend la forme d’une base théorique pour les militants
de l’anti-publisexisme. Leurs actions découlent des luttes menées dans les 1970 et 1980 par
les féministes de groupes comme Mouvement de Libération de la Femme.
230
231
L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est légalisée en France par la « loi Veil » (nommée ainsi
d’après le patronyme de Simone Veil, alors Ministre de la Santé), promulguée le 17 janvier 1975. Cette loi
dépénalise l’avortement dans certaines conditions. Avec la loi Veil, l’Interruption médicale de grossesse
(IMG) peut alors être pratiquée selon des conditions très particulières et bien définies : volonté de la mère,
maladie grave et incurable dans l’étendue des connaissances actuelles de la science, autorisation
d’experts, pas d’autres alternatives. L’IMG n’a pas de limites dans le temps et peut être pratiquée à tout
instant de la grossesse dans le cas de malformations graves du fœtus ou encore en cas de danger vital
pour la mère (article 111 alinea 20). La Loi Veil légalise également l’IVG . Cette dernière étant pratiquée
sous l’unique volonté de la mère dans un délai en France de 14 semaines d’aménorrhée.
KOEDT Anne, « Le mythe de l’orgasme vaginal », Partisans, n°54-55, Maspero, 1970, p. 55.
105
•
Le publisexisme : l’image de la femme
La femme est un des sujets de prédilection de la publicité. Son image est déclinée
pour une gamme de biens de consommation très variées. La construction de l’image de la
femme dans les publicités date de la normalisation de celle-ci au début du XX e siècle.
Toutefois la période fondatrice pour l’image de la femme dans la réclame date des années
1960232. Selon ce que vend la publicité, la femme peut prendre l’aspect d’une enfant, d’une
ménagère, d’une séductrice.
La figure de la femme à la maison est généralement utilisée pour les produits comme
les ustensiles de cuisines, les préparations alimentaires, les produits ménagers (liquide
vaisselle, produit WC, nettoyant machine à laver la vaisselle, lessive...). Dans ce cas, la
femme est généralement représentée comme une ménagère, une mère de famille, reprenant
les attributs de la femme au foyer des années 50. Elle se retrouve alors souvent figurée dans
une cuisine, aux fourneaux, quelques fois encore avec le tablier. Cette image de la femme
induit une notion de soumission à l’époux, à l’homme, mais aussi au ménage et à sa tenue.
Les publicités des années 1950 présentent une femme entièrement dévouée à la bonne
tenue de la maison, tant au ménage qu’à la cuisine. Une publicité de la marque
d’aspirateurs Hoover de 1960 présente une jeune femme souriante à qui on vient d’offrir un
aspirateur de la marque : elle est visiblement épanouie. Le slogan souligne d’ailleurs cette
impression : « Chrismath morning she’ll be happier with a Hoover »233. En France, en 1956,
on retrouve cette même exaltation à s’occuper de la maison avec une publicité pour
Moulinex portant le slogan « Pour elle un Moulinex, pour lui les bons petits plats »234.
232
233
234
Décennie à laquelle est inventé le concept publicitaire de la « ménagère de moins 50 ans », un public peu
précis considéré comme déterminant dans les dépenses du ménage.
Publicité HOOVER, « Chrismath morning she’ll be happier with a Hoover », 1960. « Le matin de Noël elle
sera la plus heureuse avec un Hoover ». Annexes Tome 1 – 21.
Publicité MOULINEX, « Pour elle un Moulinex, pour lui les bons petits plats », 1950. Annexes
Tome 1 - 22.
106
Moulinex dans les années 1950 avec son mot d’ordre antiphrastique « Moulinex libère la
femme » a contribué à créer l’image d’une femme telle, ravie de faire la cuisine pour son
époux. Les années 1950-1970 sont riches en images synonymes de subordination au rôle
social qui était imparti à la femme dans les années 1950 jusque dans les années 1980.
« Je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole »235 : cette publicité pour la
crème Babette de la marque Candia en 2000, n’est qu’un exemple parmi tant d’autres du
sexisme de la publicité qui existe encore de nos jours. Le message implicite est clair : la
relation entre la femme et la crème fraîche est la même qu’entre l’homme et la femme.
L’association d’un corps féminin à des termes faisant allusion à la violence d’une séance
sado-masochiste ou d’un viol a déclenché de nombreuses réactions en 2000. Pourtant le
BVP (Bureau de Vérification de la Publicité 236) de l’époque ne s’était pas offusqué de cette
publicité. Jean-Pierre Teyssier alors président du BVP (Bureau de Vérification de la
Publicité) raconte :
Ce soir d’avril, se trouvait posée sur notre bureau l’affiche de la crème fouettée Babette,
assortie d’un slogan à l’humour provocateur « je la lie, je la fouette, et parfois elle passe
à la casserole », largement étalé sur le tablier d’une cuisinière plutôt sexy. Cette affiche
ne nous a pas interpellés outre mesure. Les instruments de cuisine mis clairement en
évidence, permettent de décoder, de façon immédiate, le jeu de mots présenté en
accroche. L’humour est évident et le jeu de mots plutôt bien trouvé. Nous en parlons
entre nous et aboutissons rapidement à une conclusion : Babette est un clin d’œil plus
qu’une provocation. Son humour nous aura convaincus. La suite immédiate nous
donnera raison. Diffusée entre le 12 et le 19 avril 2000, la première campagne
d’affichage Babette sur 5500 panneaux ne soulèvera que peu de réclamations auprès du
BVP. Quatre pour être tout à fait précis. Nous ne sommes pas surpris. Avant de donner
son feu vert à la campagne, l’agence d’Arcy a pris soin de tester sa création sur un
échantillon de femmes représentatives. Lesquelles n’y ont rien trouvé à redire. En un
an, les ventes ont progressé de 35,9%. Les consommatrices, visiblement, ont apprécié
l’humour. Du moins ne les a-t-il pas fait fuir. 237
235
236
237
Publicité CANDIA, « Je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole », 2000. Annexes
Tome 1 - 22.
Le Bureau de vérification de la publicité - association des professionnels pour une publicité responsable
(BVP), devenu, depuis le 25 juin 2008, l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), est
un organisme privé d’autorégulation de la publicité en France.
TESSIER Jean-Pierre cité sur « Quand la publicité déchaîne les féministes », in http://www.vivelapub.fr/,
22 février 2012.
107
Les publicitaires de la marque Babette sont des habitués du sous-entendu sexiste, et
des connotations de violence conjugales banalisées, comme on peut le voir par la suite en
2001 « Babette j’en fais ce que je veux », en 2002 « Babette si vous saviez tout ce que je lui
fais » et en 2003 « Babette elle vous fait quoi ce soir ? ». Candia réutilise dans chaque
campagne d’affiche de la série la même image de femme sans tête (donc non personnifiée,
juste un corps de femme) vêtue d’un tablier et tenant dans ses mains des ustensiles de
cuisine. La série de campagnes publicitaires Babette des années 2000 est un bon exemple de
l’évolution de l’image de la femme à la cuisine depuis les années 1960. Ces publicités
combinent d’ailleurs les stéréotypes puisque la femme est également présentée comme un
objet sexuel soumis.
La femme dans la publicité est peu à peu passée de la cuisine à la chambre à
coucher. L’image la femme est de plus en plus érotisée. Cette autre image est utilisée dans
la publicité lorsqu’il s’agit de vendre des produits de beauté (shampoings, maquillages,
produits amincissant, de rasage, etc. ), du prêt-à-porter (lingerie, haute couture... ), des
produits de luxe (voitures, parfums, bijoux). Cette fois la femme prend des allures de
séductrice, voire d’actrice pornographique. Dans certaines publicités comme les campagnes
des années 2006-2007 de la marque Dolce & Gabanna 238 figurent très explicitement des
connotations au viol. Si l’image ne porte pas de références implicites à la violence physique,
elle évoque, en raison de la position passive et désarmée de la femme face aux hommes qui
l’entourent, la représentation d’un abus ou l’idée d’une violence à son encontre. Toujours en
2007, Dolce & Gabanna diffuse une version homosexuelle de cette publicité. Les références
semblent encore plus explicite, puisqu’un homme au premier plan semble se rhabiller.
Lorsque ces publicités utilisent des allusions sexuelles, la femme est alors perçue
comme un objet de désir, qui exalte la passion des hommes et des consommateurs. Encore
une fois, ces pubs mettent en scène une femme soumise aux désirs de l’homme. Cette fois
elle prend plus l’aspect d’un objet sexuel. L’affiche réalisée pour la marque de cigarette
238
Dernière consultation : 1er juillet 2014.
Publicités DOLCE & GABANNA, 2006–2007. Annexes Tome 1 – 23.
108
Tipalet239 dans les années 1960 utilisait déjà l’image de la femme de cette manière. En gros
plan on peut y voir le visage d’un homme et d’une femme. La femme, très belle, regarde
amoureusement l’homme qui en fumant lui expire la fumée dans le visage. La publicité
arbore le slogan « Blow in her face and she’ll follow you anywhere ». La femme est ici
présentée comme un objet, soumise aux moindres désirs, ici implicitement sexuels, de
l’homme. La marque allemande Mercedes-Benz va encore plus loin en 2007 lors de sa
campagne pour la nouvelle Class-S240. La publicité présente quatre poitrine féminine côte à
côte. Au milieu de ces seins anonymes on peut lire la formule « 8 airbags », associant ainsi
les huit seins de femme à des coussins gonflables de sécurité. La femme est complètement
réifiée : elle n’est plus ici un être humain mais réellement un objet.
L’image utilisée est très stéréotypée : il s’agit de la femme « mince-belle-jeunesexy », conforme aux canons féminins du moment. Contrairement à la femme ménagère
dont l’image ne semble inchangée depuis les années 1950, la femme qui séduit et attire
change suivant les modes. Le physique féminin parfait utilisé pour ce genre de publicité a
beaucoup évolué : dans les années 1960 la femme « parfaite » était moins menue
qu’aujourd’hui.
La femme dans la publicité peut aussi prendre des figures de femme-mère, symbole
de fertilité et de dévotion pour ses enfants. Dans la culture actuelle on chérit le corps de la
femme enceinte, ce havre de paix pour nourrissons. Il s’agit cette fois d’une imagerie à
connotation positive, même s’il elle reste un cliché social, la maternité étant présentée
comme la finalité de la femme. Ce rôle est parfois associé à celui de la mère au foyer,
surtout dans les années 1950.
Si on trouve toujours énormément de publicités sexistes mettant en scène des
femmes on peut noter une certaine amélioration : de plus en plus de femmes d’affaire,
239
240
Publicité TILAPET, « Blow in her face and she’ll follow you anywhere », 1960. Annexes Tome 1 – 24.
« Souffle-lui la fumée dans le visage, elle te suivra partout »
Publicité MERCEDES-BENZ, campagne pour la nouvelle Classe-S, « 8 airbags », 2007. Annexes
Tome 1 – 24.
109
indépendantes, modernes, en dehors des carcans sexistes se retrouvent dans les publicités,
même si ce n’est pas le cas pour la majorité. La femmes est généralement présentée comme
une séductrice, parfois réduite à sa simple utilité d’objet sexuel, comme une ménagère,
réduite à sa simple utilité de robot ménager multi-tâches ou comme mère, une simple
génitrice. C’est pour cette raison que des féministes comme la journaliste Mona Chollet 241
s’insurgent contre l’emprise de la publicité qui tend a enfermer la femme dans des
stéréotypes : une prostituée, une mère ou une bonne.242
Les hommes sont eux aussi les victimes des représentations de la publicité. Ils
incarnent dans l’univers de la pub un idéale de virilité. L’idéal masculin moderne né à la fin
du XVIIIe siècle dans la bourgeoisie européenne se caractérise par la puissance, l’honneur et
le courage.
Dans les publicités contemporaines, les hommes-publicités se caractérisent d’abord par
des attributs physiques précis qui correspondent au stéréotype de la virilité. Les
principaux sont la haute stature, la musculature saillante (avec les fameuses « tablettes
de chocolat » des abdominaux, la mâchoire carrée, les cheveux courts. Parmi les traits
psychologiques, l’assurance (avec visage fermé et le regard droit et impassible qui
l’accompagnent) est le plus récurrent. L’attitude virile des hommes-publicité se
manifeste par le fait qu’ils sont protecteurs, actifs, maîtres d’eux-mêmes, dominateurs,
puissants (par l’argent ou le pouvoir).243
Pour eux comme pour les femmes, ces représentations induisent des comportements et un
physique stéréotypés qu’il faut adopter pour s’intégrer dans la société, puisque ceux-ci sont
devenus la norme.
241
242
243
Mona Chollet est journaliste au Monde Diplomatique et co-animatrice du site Periferies.net. Elle a
notamment publié La Tyrannie de la réalité (Calmann – Lévy, 2004) et Rêves de droite. Défaire
l’imaginaire sarkozyste (Zones, 2008)
Thèse défendue par Mona Chollet dans son analyse des normes entretenues par la publicité dans son livre
CHOLLET Mona, Beauté fatale : les nouveaux visages de l’aliénation féminine, Paris, Zones, 2012.
PIETRUCCI Sophie, VIENTIANE Chris et VINCENT Aude, Contre les publicités sexistes, Paris, Éditions
L’Échappée, 2012.
110
•
Lutter contre le sexisme dans la pub
Partout en France, des corps de femmes à demi nues, sans graisse ni défaut (mais
« améliorées » grâce à des logiciels de retouche photographique), sont offertes au regard de
tous sur des affiches géantes dans les rues, sur des autobus, les panneaux lumineux, les
couvertures des magazines. Cet étalage de chair excitant les sens produit un très fort
impact sur les consciences. Ces femmes de publicité vues par des enfants faussent leur
représentation des genres, leur offrant une perception simpliste de la femme entre
séductrice et mère soumise. Ces représentations clichées se répercutent sur la construction
de la personnalité et la reproduction des modèles sociaux. Contre ces stéréotypes infligés à
la vue de tous et les agressions sexistes de la publicité, aussi bien pour l’homme que pour la
femme, les voix des militants et des artistes se sont élevées et ont choisi de dire non au
publisexisme.
En septembre 2000, Florence Montreynaud 244 rédige le manifeste245 de La Meute qui
s’adresse aux consommateurs, aux publicitaires, aux médias et aux élus . Celui-ci lance un
appel à un boycott de tous les individus des produits vantés par les publicités sexistes. Il
interpelle également les publicitaires et leur demande de s’engager à ne pas représenter des
êtres humains de manière dégradante, dévalorisante ou déshumanisante. Il demande aux
médias de refuser de diffuser des publicités sexistes. Enfin le manifeste s’adresse aux élus et
leur demande prendre des mesures afin de faire cesser ces publicités et de voter une loi
244
245
Florence Montreynaud est une féministe, écrivaine et historienne, engagée dans le Mouvement pour la
Liberté de la Femme depuis 1971, date à partir de laquelle elle milite pour le Mouvement Français pour le
Planning Familial de Paris. Elle a lancé le mouvement des Chiennes de Garde en 1999 et cofonde en 2011
le réseau Zéromacho contre le système de la prostitution.
Le Manifeste de La Meute a été lancé le 28 septembre 2000 par Florence Montreynaud, fondatrice des
Chiennes de garde et animatrice de La Meute ainsi que l’ensemble des signataires.
Source : http://www.lameute.fr/texte/
Dernière consultation : 1er juillet 2014
111
anti-sexiste pour encadrer les pratiques publicitaires. Dans son manifeste, La Meute déplore
la reconduites de clichés sexualisés et genrés :
Les publicitaires renforcent les clichés sexistes...
•
en enfermant les femmes dans des rôles : « maman ou putain », « femme-enfant ou
salope », « ange ou démon », « maîtresse ou esclave », « ménagère ou femmeobjet », etc ;
•
en montrant les femmes entre elles comme des rivales jalouses ou comme des
lesbiennes exhibitionnistes ;
•
en représentant les hommes comme des machos obsédés par leur puissance, des
hommes-objets ou des « papas-poules » ;
•
en opposant petites filles passives et garçons actifs.246
La Meute a principalement une activité de vigilance vis à vis de la publicité.
L’association recueille les témoignages, les répertorie, dénonce par des courriers et
communiqués et décerne chaque année un « prix macho ». Sur internet La Meute épingle
les publicités les plus sexistes suivant trois catégories : « violences, prostitution et
pornographie », « nudité ou sexualité sans rapport avec le produit » et « clichés sexistes ».
En 2009, l’association a « récompensé » dans la catégorie « Nudité ou sexualité sans
rapport avec le produit » la marque de café Lavazza au slogan : « The Italian expresso
experience »247. Cette publicité était visible sur des panneaux 4 × 3 m dans la rue. Elle
présente une femme-louve, à quatre pattes, une fourrure de longs poils recouvrant son dos.
Presque nue à l’intérieur du Colisée, elle tient une tasse de café à la main. Sous son ventre
se tiennent deux nourrissons nus et dodus. Sous couvert d’une référence à l’origine de la
Rome antique248, Lavazza offre aux consommateurs une femme à l’animalité d’une louve,
combinant le cliché de la mère et celui de la séductrice. Inconsciemment ou non les faiseurs
246
247
248
Ibidem.
Publicité Lavazza, « The Italian, Expresso Experience », 2009. Annexes Tome 1 – 24.
Selon la légende, Romulus et Remus, jumeaux fondateurs de la ville de Rome, auraient été jetés dans le
Tibre à la naissance. Ils survécurent grâce à une louve qui les allaita.
112
de pub ne font que reprendre un cliché très ancien. En effet la louve ou « lupa » en latin a
donné la racine étymologique du mot « lupanar ».
Si ces méthodes s’apparentent plus aux recours juridiques (pétitions, lettres aux
publicitaires, commentaires sur internet...), la Meute n’est pas en mal d’action. En 1997,
l’association s’est mobilisée aux côtés de Mix-Cité 249 et des Chiennes de gardes contre la
présence de mannequins vivantes dans les vitrines du rayon lingerie des Galeries Lafayette
à Paris : rassemblement devant les vitrines, barbouillages de publicité et apposition
d’autocollants auront raison de la grande enseigne commerciale.
Le Collectif Contre le Publisexisme propose des actions qui tiennent plus de l’antipub classique. Son activité principale n’est pas sur Internet contrairement aux Chiennes de
gardes ou à La Meute. Il utilise d’avantage le détournement, le barbouillage ou le collage de
stickers. Le sticker du collectif250, disponible en libre téléchargement sur Internet, présente
une photographie de l’actrice Gena Rowlands braquant une arme 251, entourée du slogan
« Ni à prendre, ni à vendre : les femmes ne sont pas des objets. Publisexistes, gare à vous,
on vous rendra les coups ». Les militantes du collectif invitent à coller ces autocollants sur
tous les panneaux sexistes rencontrés, ou faute d’autocollants de taguer ceux-ci de formules
tels que « publicités sexistes ».
Lors de leurs actions les Déboulonneurs gratifient souvent les panneaux barbouillés
d’une remarque sur le sexisme publicitaire. Les chants scandés lors des barbouillages –
chants, qui font d’ailleurs partie intégrante de l’action – critiquent les corps représentés sur
les affiches publicitaires.
Ces corps prostitués,
Autant de faux modèles,
Font de moi un rebelle
249
250
251
Mix-Cité est une association mixte de luttes féministes.
Collectif Contre le Publisexisme, autocollant « ni à vendre, ni à prendre ». Annexes Tome 1 – 25.
Gena Rowlads in Gloria de John Cassavetes, États-Unis, 1980, 123 min. Annexes Tome 1 – 25.
113
Qui ne veut saliver.252
Dans ce chant écrit par Yvan Gradis, aujourd’hui repris par les Déboulonneurs, les anti-pub
s’insurgent contre le fait que la publicité serve de modèle et des connotations stéréotypées
qu’elle véhicule.
L’artiste ZEVS propose une solution pour mettre un terme à l’identification des
jeunes filles aux modèles anorexiques des publicités. Au début des années 2000, l’artiste
marque d’un point rouge sanglant les publicités qu’il trouve sur son passage. Il explique son
action dans une interview avec Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi en 2010 :
La publicité est une attaque. Elle envoie des messages sur des cibles et tente d’attirer
l’attention des gens dans la ville. C’est dans ce sens que j’ai contre-attaqué : j’ai utilisé
la bombe aérosol, qui était à l’époque mon pinceau, et j’ai commencé, formellement, à
tuer ces images, donc la possibilité d’une identification. Plus personne n’a envie de
s’identifier à une image morte.253
Ainsi ZEVS shoot plusieurs publicités comme Visual attack, Eau de Rochas 254 à Paris en
2001. ou Visual Attack, GAP 255à Paris, la même année.
Le Billboard Liberation Front s’insurge lui aussi contre les publicités sexistes. En
septembre 2010 il rectifie un panneau de la marque de bière Stella Artois portant le slogan
« She is a thing of beauty »256. La publicité présente un couple : un homme à l’extrême
gauche regardant une femme blonde buvant une bière à l’extrême droite, le tout sur un
fond blanc. L’annonceur fait un rapprochement « humoristique » entre la bière et la femme,
blondes toutes deux. La formulation employée « She is a thing of beauty » laisse planer le
doute sur le sujet. C’est une formule de réification : la transformation d’un être humain en
un objet. Le BLF choisi de montrer au grand jour ce processus en enlevant la mention « of
252
253
254
255
256
GRADIS Yvan, Le barbouilleur , (chanson d’après Le Déserteur de Boris Vian), [extrait] 21 et 22 juin 2003.
ZEVS, entretien avec Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi in Artivisme : Art, Action politique et
Résistance Culturelle, Paris, Éditions Alternatives, 2010. p125.
ZEVS, Visual attack, Eau de Rochas, 2001, Paris. Annexes Tome 1 – 26.
ZEVS, Visual attack, GAP, 2001, Paris. Annexes Tome 1 – 26.
BILLBOARD LIBERATION FRONT, Stella Artois, a thing of beauty, septembre 2010, au croisement de la
38e et de la 8e avenue, New-York. Annexes Tome 1 – 27.
114
beauty ». Le panneau amélioré apparaît donc ainsi « She is a thing », révélant ainsi au
public une fonction classique de la femme dans le milieu publicitaire : celle d’un objet.
Thornill le préposé à l’éducation du BLF explique la démarche du groupe sur leur site :
We at the BLF have been assisting fatigued advertising copywriters to strengthen their
corporate messages for over thirty years. Advertising is the language of our Culture, as
BLF CEO Jack Napier noted almost as many years ago. And the primary use of
language is to to communicate ideas. The most efficient and direct communication of
an idea comes through the most elegant use of the least amount of words to
communicate that idea. It’s quite clear from the image in this Stella Artois billboard ad
what the message IS. The BLF merely wishes to assist this campaign by paring down
the words in order to match that message most perfectly. 257
Employant des méthodes venant à la fois du militantisme, de l’anti-pub et du Street
Art, la résistance au publisexisme ne cesse d’innover face au déferlement quotidiens de
stéréotypes sexués. Les associations féministes qui combattent la publicités ont avant tout
une fonction d’information des répercussion de ces clichés sexistes sur la construction des
normes chez l’individu.
La résistance au sexisme dans la publicité utilise des formes d’action de l’anti-pub
ou du Street Art. Ces formes restent en lien avec l’art de rue féministe comme celui de la
parisienne Miss’tic258 qui égraine dans la ville ses pensées sur l’art, la liberté et la femme. Si
elle ne s’intéresse pas particulièrement à la publicité ses peintures diffusent un message
féministe en lien avec la lutte contre le publisexisme. Ces groupes rappellent aussi les
activités des américaines Guerrilla Girls 259 qui au moyen d’affiches s’insurgent contre la
sous-représentation féminine dans les musées, le viol, l’avortement, ou les salaires inégaux.
257
258
259
THORNHILL R.O., « Stella Artois, a thing of beauty », in http://www.billboardliberation.com/, 30
septembre 2010.
Miss’tic est une street artist française qui œuvre principalement à Paris.
Les Guerrilla Girls sont un groupe d’artistes féministes fondé à New York en 1985 et connu pour créer et
diffuser des affiches afin de promouvoir la place des femmes et des personnes de couleur dans les arts.
Leur site : http://www.guerrillagirls.com/
Dernière consultation : 7 juillet 2014.
115
Les Guerrilla Girls ont arpenté le monde en affichant un de leur poster les plus célèbres : Do
Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? 260. Ce poster représente trois
campagne d’affichage en 1989, en 2004 et en 2011. Le poster en lui-même a évolué depuis la
première campagne. Sur le poster originel on pouvait lire le message suivant : « Less than
5 % of the artists in the Modern Art sections are women, but 85 % of nudes are female. »261.
En 2004 la situation ne s’étant amélioré Guerrilla Girls réitère son affichage : « Less than
3 % of the artists in Modern Art sections are women, but 83 % of nudes are female. »262.
L’action est répétée une nouvelle fois en 2011 : « Less than 4% of the artists in Modern Art
sections are women, but 76 % of nudes are female. »263. Ces actions de Guerrilla Girls
permettent de mesurer l’évolution (ou la stagnation dans ce cas précis) du sexisme dans le
monde de l’art. Les posters Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? sont
affichés en rues, sur des endroits réservés habituellement aux panneaux publicitaires mais
aussi dans des galeries.
Tous ces mouvements, associations sont issus de la pensée philosophique de la
deuxième vague féministe. Contre la dégradation de l’image de la femme dans la publicité,
les féministes s’élèvent. S’ils critiquent souvent les connotations sexuelles dans les
publicités, il ne faut pas croire que les militants sont opposés à l’exercice de la sexualité,
comme l’exprime La Meute dans son manifeste.
260
261
262
263
GUERRILLA GIRLS, Do Women
2012. Annexes Tome 1 – 28.
« Moins de 5 % des artistes de
féminins », GUERRILLA GIRLS,
1989.
« Moins de 3 % des artistes de
féminins », GUERRILLA GIRLS,
2004.
« Moins de 4 % des artistes de
féminins », GUERRILLA GIRLS,
2011.
Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? , poster 1989 – 2005 –
la section art moderne sont des femmes, pourtant 85 % des nus sont
Do Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? , poster,
la section art moderne sont des femmes, pourtant 83 % des nus sont
Do Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? , poster,
la section art moderne sont des femmes, pourtant 76 % des nus sont
Do Women Have to be Naked to Get Into the Met. Museum? , poster,
116
Oui à la sexualité — dialogue de désirs entre des personnes
Oui au respect de la personne humaine !264
Militant autant sur le terrain en indiquant les publicités sexistes que sur internet en
informant des conséquences de ses publicités et des dégradations quotidiennes de l’image
de la femme, les groupes anti-publicitaires combattent la marchandisation de l’humanité et
en particulier de la femme.
Conclusion
L’anti-pub offre des formes esthétiques proches du Street Art. Elle partage avec l’art
de rue un même lieu d’action, ainsi que les mêmes risques de répression pour dégradation.
Les pratiques des street artists et des acteurs de l’anti-pub sont semblables : ils agissent
dans la rue et offrent leurs pièces au public. Ce public est d’ailleurs le même. Très éloigné
d’un public de galerie, il n’est ni mesurable, ni culturellement trié. Certains groupes comme
le BLF utilisent la technique du Cultural Jamming, le détournement d’éléments
médiatiques, une technique également utilisée par des street artists comme ZEVS et
PosterBoy.
Les formes d’action anti-pub se révèlent similaires aux actions des autres luttes
sociales, telles que la lutte contre la vidéo-surveillance et la défense de l’environnement.
Mieux : ces luttes sont liées et les acteurs interviennent souvent au sein de ces différents
combats.
264
Extrait du Manifeste de La Meute lancé le 28 septembre 2000 par Florence Montreynaud.
117
La question du sexisme dans la publicité se révèle prendre une part importante pour
les différents groupes cités. Ceux-ci consacrent plusieurs détournement ou action à lutter
contre les slogans dégradants ou stéréotypés. Le publisexisme n’est pas seulement une
passerelle entre deux mouvements de lutte, il s’agit d’une part entière de l’anti-pub.
Ce chapitre nous a permis de mieux comprendre l’anti-pub, ses pratiques comme
son idéologie. Ce mouvement se retrouve situé à gauche sur l’échiquier politique, ses
actions sont généralement illégales, voire anonymes, toujours réalisées en rue. Ces derniers
points rapprochent l’anti-pub sur Street Art.
Le public de l’anti-pub se révèle être le même que celui du Street Art : le public de la
rue. Une telle identité conduit nécessairement à s’interroger sur la réception de l’anti-pub
par ce public : comment il réagit lorsque l’on l’invite à réfléchir sur la pub en pleine rue
pose question.
118
Chapitre III
L’art dans l’anti-pub, l’anti-pub dans l’art
119
Ce dernier chapitre permettra d’aborder les rapports de l’anti-pub avec le monde de
l’art. Depuis plusieurs années le Street Art bénéficie d’une cote de popularité exceptionnel.
L’anti-pub en tant qu’art de rue un peu particulier, profite un peu de cette couverture
médiatique. Grâce à la popularité du Street Art l’anti-pub a pu peu à gravir les échelons du
monde de l’art, et peut-être même entrer aussi un jour dans les galeries. Cette
médiatisation nous permet aussi de nous pencher sur la question de la réception de l’antipub, à savoir ce que pense l’homme de la rue de l’anti-pub, mais aussi les publicitaires (les
premiers concernés) et les médias.
La question du statut de l’anti-pub dans le monde de l’art se pose ici. Il est
intéressant de se pencher sur la reconnaissance ou non des acteurs de l’anti-pub comme
artiste. Comment peut-on déterminer ou non ce qu’est un artiste et qui le décide. Ce
chapitre pose également la question de la réception ou plutôt de la réaction à l’anti-pub. Ce
que pensent les publicitaires des actions anti-publicitaires. La réaction des publicitaires
nous interroge également sur les relations entre le monde de la pub et les journalistes.
Dans un premier temps nous aborderons la question de la réception de l’anti-pub.
Ainsi nous nous pencherons sur l’opinion du public de la rue, puis sur celui des publicitaires.
Enfin nous nous attacherons au traitement de l’anti-pub par les médias. Pour cela nous
traiterons différemment les connivences entre les géants publicitaires et les journalistes.
Puis nous aborderons comment les médias traitent et retransmettent les actions anti-pub.
Dans un second temps nous nous interrogerons sur l’institutionnalisation de l’antipub, son rapport avec le monde de l’art. Tout d’abord nous intéresserons au Street Art et à
son importance dans l’acceptation de l’anti-pub. Enfin nous étudierons l’exemple d’une
exposition anti-pub en galerie.
120
1. La réception de l’anti-pub
Contrairement aux formes d’art traditionnelles que l’on retrouve en galeries, l’antipub est une forme d’expression au caractère illégal. Cette caractéristique conditionne sa
réception. De fait le public rencontre rarement l’auteur du détournement qu’il observe. Sauf
dans le cas des Déboulonneurs, il n’y a pas d’échange direct entre public et artiviste. Le
militant anti-pub n’a pas de possibilité de s’expliquer à son public autrement que par le
biais de son site ou par des communiqués de presse. Pour cette raison la médiatisation du
mouvement anti-pub est essentielle. C’est par la presse, qu’elle relaie des démêlés avec les
publicitaires ou des actions, que les anti-pubs peuvent faire entendre leurs voix à un public
néophyte.
◦ Le public de la rue
L’analyse du public d’une œuvre d’art permet souvent de caractériser une œuvre
d’art. Le public de l’anti-pub comme celui du Street Art n’est pas un public culturellement
trié, que ce soit par l’institution — musée ou galerie. Il s’agit du simple passant venant de
tous horizons. Le Street Art ne s’adresse donc pas à un public qui désire sa présence. Si l’art
de rue trouve des amateurs, il a longtemps été décrié par la critique, associé à une
« maladie urbaine »265.
265
MAC DONALD Heather, « Graffiti Is Metastasizing Again in New York, and Guess Who’s Applauding » in
New York Sun, 17 juillet 2002.
121
Le Street Art, c’est l’art de choisir le bon lieu pour « poser son œuvre ». Un bon lieu
c’est-à-dire pouvoir créer illégalement sans se faire arrêter par les forces de l’ordre donc
suffisamment discret. Mais il faut aussi que ce que l’on a produit puisse être vu depuis la
rue ; un dilemme donc. Dans son Do It Yourself Graffiti Guide, BUGA-UP explique à
l’apprenti graffeur anti-pub quelle est le meilleur moment pour opérer :
One word of warning. Contrary to popular myth, the worst time to graffiti on
billboards is between 10pm and 8am. During this period there are proportionately more
police out on the road than at any other time, and often they haven’t got anything
better to do than arrest you. The majority of BUGA-UP arrests (small in number
compared to the number of billboards that have been refaced) have been made after
midnight.266
Si le meilleur moment n’est pas forcément la nuit, demeure toujours pour les artivistes la
question du lieu. Concernant les anti-pubs, cette question est plus limitée, puisqu’ils
agissent essentiellement sur des panneaux ou écrans publicitaires. L’avantage dans le
détournement publicitaire réside dans le fait que le support qu’on barbouille est
impérativement visible de la rue. Les emplacements des panneaux publicitaire sont
stratégiquement choisis afin de toucher le maximum de personne. Il s’agit donc d’un
podium idéal pour les anti-pub.
Les action produites par l’anti-pub et l’art de rue sont intrinsèquement liées au lieu
où elles ont été réalisées. Si le choix du lieu est judicieux il renforce la polysémie de l’œuvre,
ce qui influe sur la réception. Les lieux sont eux-mêmes bien souvent chargés d’histoire, y
introduire un élément artistique peut permettre de raviver une mémoire collective. L’artiste
français Ernest Pignon-Ernest a réalisé en 1971 267 pour le centenaire de la Commune de
Paris plusieurs centaines de sérigraphies représentant les victimes qui ont émaillé la lutte
266
267
BUGA-UP, Do It Yourself Graffiti Guide, 1981.
« Court avertissement. Contrairement à la croyance populaire, le pire moment où faire un graffiti sur les
panneaux est entre dix heures du soir et huit heures du matin. Pendant ce laps de temps il y a
proportionnellement plus de policiers dans les rues que durant toute autre période, et bien souvent ils
n’ont rien de mieux à faire que de vous arrêter. La majorité des interpellations de membres de BUGA-UP –
rares comparées au nombre de publicités réagencées – ont été réalisées après minuit. »
ERNEST PIGNON-ERNEST, La commune, 1971, sérigraphies, Paris. Annexes Tome 1 – 29.
122
des parisiens pour la liberté. L’artiste les a collées dans les endroits conservant la mémoire
de ces événements historiques (comme Montmartre par exemple). Cette œuvre vise à
apostropher les habitants sur l’histoire de leur ville, de leur quartier et de leur pays, et plus
particulièrement sur les hommes et les femmes qui se sont battus pour la liberté.
Plus ancré dans l’actualité des habitants John Fekner réalise en 1980 Broken
Promises/Falsas promesas268 sur un bâtiment en décrépitude au sud du Bronx. Cette phrase
simple, bilingue, peinte en noir et blanc interroge sobrement sur la faille sociale de la ville
de New-York. Il s’agit d’une œuvre qui s’adresse réellement aux habitants du quartier,
questionnant leurs conditions de vie et les problématiques urbaines.
L’anti-pub et certaines formes de Street Art cherchent souvent à interpeller, faire
réfléchir ou même « éveiller les consciences ». Cet aspect n’est pas forcement peut être
considéré comme déplacé, simpliste ou même intrusif. Le street artist Banksy a remis en
question sa démarche lors de ses interventions sur la Barrière de séparation israélienne en
2005. L’artiste anglais a réalisé plusieurs peintures et pochoirs évoquant l’évasion (échelle,
cadre à découper, petite fille s’envolant avec des ballons...) sur différents endroits du mur.
Dans son livre Wall and Piece269, Banksy retranscrit l’un de ses échanges avec un
autochtone :
268
269
270
Old man :
You paint the wall, you make it look beautiful
Me :
Thanks
Old man :
We don’t want it to be beautiful, we hate this wall, go home 270
FEKNER John, Broken Promises/Falsas Promesas, 1980, fresque, Sud du Bronx, New-York. Annexes
Tome 1 – 29.
BANKSY, Wall and piece,Londres, Century, 2005,
Ibidem, p142.
« Vieil homme : Vous peignez sur le mur, vous le rendez beau.
Moi : Merci.
Vieil homme : Nous ne voulons pas qu’il soit beau, nous détestons ce mur, rentrez chez vous ! ».
Traduit par nos soins.
123
Banksy se trouve confronté à la réception de son œuvre, ce qui est assez rare dans l’art de
rue, puisqu’il y a rarement un vernissage. Le vieil homme lui montre que même avec des
intentions nobles (une volonté de montrer la cruauté et l’aspect carcéral du mur) l’artiste ne
répond pas forcement aux attentes du public qu’il vise.
S’il se reconnaissent plus comme des activistes que des artivistes, les Déboulonneurs
utilisent des techniques proches du happening pour leurs actions. Accompagnés de
musique, voire de clowns ou de prieurs, ils barbouillent joyeusement. Après le barbouillage
(et l’arrestation s’il y a) les militants et sympathisants chantent ensemble et répondent aux
questions du public. Contrairement aux happenings le public ne participe pas forcement à
l’action mais il peut venir grossir la foule des sympathisants. Les Déboulonneurs se
confrontent à la réaction du public en ouvrant des débats publics sur les lieux d’action. Les
Déboulonneurs attendent et souhaitent provoquer une réaction du public. Ils prennent à
témoin ce public composé généralement du simple passant au militant.
Le parti pris volontairement choquant pour le public a pour but de susciter une
remise en question du spectateur. Pour parvenir à ce sentiment l’anti-pub utilise des
techniques similaires à celles qui sont employées par les publicitaires. Il s’agit là d’un bien
étrange paradoxe. Il s’agit pourtant d’un des reproches fait aux anti-pubs.
Si l’on observe les pièces anti-pub on ne peut que remarquer des similitudes avec les
affiches publicitaires. En effet, le contre-affichage et le barbouillage de slogans relèvent
d’une simplification des messages propagés. Les Déboulonneurs proposent sur leur site une
anthologie des slogans inscrits sur les panneaux barbouillés qu’ils appellent la
phrasothèque. En voici quelques exemples :
Regarder la publicité, c’est la faire vivre.
Regarder la publicité n’est pas un droit, c’est un devoir.
Quand la publicité n’est pas là, les cervelles dansent.
124
Regardez-vous cette affiche librement ?
Publicité, marée noire sur la matière grise
La publicité déforme, regardez-vous
Pour tuer une affiche, il suffit de tourner la tête
La publicité réduit l’espace public
L’esprit se noie dans la publicité
Publicité, gélatine mentale271
Ces slogans s’appuient sur une rhétorique similaire à celle des slogans publicitaire. Le
rythme des phrase est binaire. Les deux membres de la phrase ont la même construction, ce
qui permet d’obtenir une symétrie qui induit le parallélisme ou l’opposition des idées. On
peut citer par exemple : « Regarder la publicité, c’est la faire vivre. », « Pour tuer une
affiche, il suffit de tourner la tête » ou « Publicité, gélatine mentale ». On retrouve les
mêmes schémas rythmiques employés par les agences publicitaires de grandes marques :
« La vie, la vraie » (Auchan), « Si t’as pas d’amis... Prends un Curly ! » etc.
Poussons plus loin l’analyse rhétorique : un slogan n’est pas seulement fait pour être
lu, il doit résonner. L’étude des phénomènes de l’accentuation et de l’intonation, la
prosodie, nous apprend à mesurer les variations de hauteur, de durée et d’intensité. On
distingue dans une phrase complexe trois périodes dans une phrase : la protase (voix
montante), l’acmé (voix au paroxysme, élément le plus appuyé de la phrase) et l’apodose
(voix descendante). Si l’on applique cette théorie aux exemples de la phrasothèque, voici ce
que cela nous donne :
271
LES DÉBOULONNEURS, « Prasothèque », in http://www.deboulonneurs.org/, 18 janvier 2009.
Dernière consultation : 9 juillet 2014.
125
« Regarder la publicité n’est pas un droit, c’est un devoir ». On distingue nettement l’acmé
dans le mot « droit ». La virgule oblige le lecteur à faire une pause, produisant ainsi l’effet
emphatique sur le terme qui la précède.
« Quand la publicité n’est pas là, les cervelles dansent. ». Ici l’acmé insiste sur la
formulation « pas là » encore soutenu par la virgule. Il est important de noter une autre
technique souvent employée par les publicitaires, celle de référence à la culture populaire.
La phrase reprend le célèbre proverbe « Quand le chat n’est pas là les souris dansent ». Les
annonceurs s’approprient eux aussi des éléments de la culture populaire, jusqu’à devenir
eux-mêmes une nouvelle forme de culture populaire. La marque de fromage industriel
Babybel s’est fait connaître grâce à une publicité télévisuelle qui reprenait, pour ses
consonances avec le nom Babybel, le thème de la chanson Marylène du groupe Martin
Circus272. Pour beaucoup de jeunes français l’air de cette chanson évoque d’abord un petit
fromage rond et rouge plutôt qu’une musique des années 1960.
Pour la phrase « Regardez-vous cette affiche librement ? » l’acmé appuie sur le
« vous ». Cette phrase n’est pas construite sur un rythme binaire, de plus elle est
interrogative, ce qui place l’acmé non pas vers le milieu de la phrase mais sur le sujet.
L’intonation de la phrase apostrophe le public comme si elle s’adressait à lui en particulier.
Encore une fois on retrouve cette technique pour beaucoup de publicités. On peut opérer un
rapproche entre cette formulation et les nombreuses affiches sur lesquelles les individus
photographiés semblent regarder le spectateur droit dans les yeux. Un exemple parmi tant
d’autres : la publicité pour la machine à café Nespresso273, où le comédien George Clowney
dévisage le spectateur. Cet effet de style crée un sentiment d’unicité chez le spectateur. La
publicité, ou l’anti-publicité s’adresse à lui et à lui seul. Il est concerné.
272
273
MARTIN CIRCUS, Marylène, 1975.
Cette chanson est elle-même est une adaptation du tube Barbara Ann écrite en 1961 par le groupe The
Regents et popularisée par ses reprises des Beach Boys et des Who en 1965.
NESPRESSO, « Nespresso. What else ? ». Annexes Tome 1 – 30.
126
On reproche souvent aux acteurs du mouvement anti-publicitaire d’utiliser les
moyens qu’ils dénoncent, à savoir les techniques publicitaires. En effet, le contre-affichage
et le barbouillage de slogans relèvent d’une simplification des messages propagés. Ces
techniques ont cependant un caractère artisanal, à l’opposé des techniques industrielles
utilisées dans la publicité permettant de diffuser un même message à très grande échelle.
En ce qui concerne le Billboard Liberation Front, le fait de se fondre dans la matière
publicitaire relève d’une véritable volonté artistique. Afin de créer un effet de surprise et
pousser le caractère ironique du détournement à son paroxysme il est important que le
public ne s’aperçoive pas immédiatement des améliorations qui on été ajoutées.
De plus, les techniques publicitaires comme le slogan ou le refrain ne sont que des
récupérations de méthodes rhétorique déjà employées à la Rome Antique telles
l’aphorisme, le proverbe, l’adage ou le dicton. Leur utilisation par les anti-pubs n’est donc
qu’une réappropriation de ces outils à des fins différentes de celles de la propagande
consumériste.
Il faut en outre pas négliger l’engouement que peut susciter pour lui même le
phénomène publicitaire, qui n’est pas majoritairement décrié – bien au contraire. Avec la
popularisation de la télévision dans les années 1970, beaucoup d’enfants ont grandi avec
des images publicitaires qui font partie de leur univers visuel. Si le nombre de publiphiles
diminue depuis quelques années (de 20 % en 2004 à 14 % en 2013), les français aiment
encore la pub. En 2013, 71% la jugent utile et/ou agréable et 52% utile 274. On est bien loin des
modes de pensée anti-pub.
Beaucoup d’éléments montrent des tensions possibles entre les anti-pubs et leur
public : des différences de point de vue, l’aspect transgressif du Street Art ou encore
274
Source : sondages réalisés en 2013 par l’agence Australie – TNS Sofres. Australie est une agence qui assure
les fonctions de conseil en stratégie média et achat d’espace publicitaire.
127
l’interpellation constante des anti-pub. Cependant les anti-pubs possèdent de nombreux
sympathisants, la foule qui accompagne les Déboulonneurs à chacune de leurs actions le
prouve.
◦ Réaction des publicitaires
S’il est difficile de mesurer les réactions du public de la rue face aux actions et
détournements anti-pub, celles des publicitaires sont plus aisément identifiables, et cela
notamment grâce aux Déboulonneurs. Les barbouilleurs sont régulièrement convoqués au
tribunal pour dégradation ce qui permet d’avoir un assez bon aperçu de l’opinion des
publicitaires sur cette forme d’anti-pub. Contrairement aux annonceurs bienveillants des
Humains Associés qui ont permis à l’association humanistes d’utiliser plusieurs centaines
d’espaces publicitaires, les agences publicitaires se montrent rarement bienveillantes envers
les Déboulonneurs.
Selon Florence Amalou les publicitaires considèrent l’anti-pub comme ayant peu d’impact :
En France, les contestataires n’existent pas. « Ils ne s’agit que de quelques excités »,
m’ont souvent affirmé des publicitaires d’un ton condescendant. 275
Pourtant lors des procès des Déboulonneurs les agences de pub comme Metrobus 276,
JCDecaux, ou Publicis277 ne cessent de demander de fortes amendes pour les barbouilleurs.
275
276
277
AMALOU Florence, Le livre noir de la pub, quand la communication va trop loin, Paris, Stock, 2001, p317.
Metrobus appartient au groupe de régie publicitaire Media Transport, spécialisé dans la communication
au sein des transports publics. Metrobus a été crée en 1947 par Havas et Publicis pour l’explotation de la
publicité du réseau de la RATP. Les principaux actionnaires de la société sont Publicis et JCDecaux.
Publicis est un groupe de communication français fondé en 1926 par Marcel Bleustein-Blanchet. Le chiffre
d’affaire de Publicis groupe s’élève à 6 953 milliards € en 2013.
128
Sur leur site, les Déboulonneurs relatent le jugement de six barbouilleurs au tribunal
correctionnel du 25 mars 2013 :
Chefs d’accusation pour les six prévenus :
Refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son
empreinte génétique par soupçonnée de crime ou délit ;
dégradation ou détérioration grave de panneaux publicitaires commise en réunion.
[...]
La société JCDecaux se constituait partie civile et versait aux débats une facture de
nettoyage du panneau de 895 euros.278
Un coût important pour des militants et bien faible pour les agences publicitaires.
Pourtant certaines de leurs réactions nous donne l’occasion d’observer l’impact de
l’anti-pub sur le monde de la publicité. Un article sur le site de la Brigade Anti-Pub cite
Gérad Unger, conseiller du président de Publicis et président-directeur général de
Médiavision279 s’en prenant aux actions anti-pubs :
L’opération panneaux blancs aura permis à la RATP sinon de prendre de court les
contestataires, au moins de tempérer son image d’intransigeance. Pour pas cher.
Sur le papier, la campagne est généreuse : 47 affiches blanches de 4 mètres par 3 sont
mises à disposition pour tous les gribouillages dans 24 stations de métro jusqu’au 18
mars. La station Liberté, sur la ligne Balard-Créteil, a même été rebaptisée Liberté
d’expression. Mais le coût est négligeable. «Nous nous sommes contentés de repousser
d’une semaine les campagnes prévues sur ces panneaux, explique Gérard Unger, le PDG
de Metrobus. Or les campagnes se calculent généralement par 500 panneaux.» À
combien se chiffre la renonciation aux 47 emplacements ? À peine 20 000 euros, si on se
fie aux tarifs de Metrobus: la formule la moins chère pour une semaine sur 150
panneaux vaut 65 800 euros. [...]
278
279
LES DÉBOULONNEURS, « Jugement correctionnel (relaxe) du 25
http://www.deboulonneurs.org/, 5 juillet 2013.
Dernière consultation : 10 juillet 2014.
Médiavison ou Jean Mineur, régie publicitaire de cinéma (filiale du groupe Publicis)
129
mars
2013 »,
in
Si le métro joue sur les deux tableaux, c’est que l’enjeu est d’importance. Metrobus est
la première touchée par les anti-pubs. Concessionnaire de la RATP, elle lui verse chaque
année 77,25 % pour les affiches dans le métro et sur les bus, soit 65 millions d’euros en
2003. Or les quatre « raids » anti-publicitaires entre octobre et décembre ont représenté
près de 1,3 million d’euros de manque à gagner.
« À chaque opération, les anti-pub ne maculent pas seulement quelques affiches,
s’enflamme Gérard Unger. Ce sont 2 500 à 3 000 panneaux qui sont graffités. Nous
avons versé 850 000 euros de compensations à nos clients et 440 000 euros ont été
consacrés à la remise en état des panneaux. »
Gérard Unger et Anne-Marie Idrac (PDG de la RATP), n’attendront pas le 18 mars pour
savoir si l’opération « Liberté d’expression » est une réussite. « Ce qui compte, souligne
le publicitaire, c’est le résultat du sondage que nous avons financé avec la RATP et qui
montre que l’opinion n’est pas favorable aux anti-pubs. » D’après une enquête de BVA
auprès de 800 personnes le mois dernier, 75 % des Franciliens désapprouvent les
barbouillages. Ils ne sont toutefois que 63 % à admettre que la publicité soit nécessaire
au financement des transports publics.280
Il faut toutefois que les actions anti-pubs aient un certain impact pour susciter de telles
réactions. Un autre exemple démontre la gêne causée par les anti-pubs aux régies
publicitaires. L’hebdomadaire Le canard enchaîné révèle un surprenant fait divers :
Fin juin 2013, le jeune Tanguy Aubé [...] croise, en plein centre ville de Toulouse, quatre
« sucettes »281[...]. La pub, il n’aime pas. À l’aide d’une clé Allen, il ouvre les sucettes,
déchire les affiches et fait disjoncter l’alimentation électrique du cinquième panneau 282.
C’est alors que déboule, comme par enchantement, un employé de JCDecaux. « J’ai vu
une fourgonnette juste derrière moi, dit le jeune anti-pub. J’ai entendu le conducteur
crier ‘je vais te crever’ à plusieurs reprises. Il a accéléré pour me rattraper. Il m’a
talonné un moment avant de toucher la roue arrière du vélo. » Effrayé, le jeune homme
280
281
282
BRIGADE ANTI PUBLICITAIRE, « 20 000 euros pour amadouer les antipubs », www.bap.propagande.org/
À propos de l’opération « Liberté d’expression » en mars 2004. La RATP offrit au public l’ensemble des
espaces publicitaires de la station Liberté pour écrire ce qu’ils voulaient. Cette opération répondait aux
dégradations des publicités dans le métro aux mois d’octobre et novembre 2003.
Panneau sucette ou MUPI (Mobilier Urbain Pour l’Information) est un panneau publicitaire de
1,20 m × 1,76 m, soit environ 2 m², avec une face pour l’affichage publicitaire et la seconde pour
l’information municipale. Le principe est proche de celui de l’Abribus, et fut appliqué pour la première fois
en 1972 par la société multinationale JCDecaux. Les MUPI sont généralement équipés d’un système
d’éclairage intérieur.
Cette technique d’anti-pub « en solo » ou « sur le pouce » est souvent utilisée par les différents groupes
d’anti-pub. Elle est expliquée en détail sur le site des Brigades anti-pub : « Ouvrir tous les panneaux
JCD ».
130
file au commissariat pour porter plaine pour mise en danger de la vie d’autrui.
Mauvaise pioche ! l’afficheur était déjà là pour déposer, lui aussi, un plainte pour
dégradation de bien privé. [...] L’affaire est passée au tribunal correctionnel de Toulouse
ce jeudi 13. Le procureur a demandé 140 heures de travail d’intérêt général, et
JCDecaux 946 euros de dommages et intérêts [...].
Mais par quel miracle l’employé de JCDecaux s’est-il retrouvé sur les lieux ? Pur
hasard ? Pas du tout. Tout simplement parce que le panneau de pub est équipé d’un
très discret mouchard.
« C’est en fait un système téléphonique, genre petit modem, qui est intégré
directement dans le panneau, détaille Jean-Pierre Viaud, délégué CGT chez le roi de
l’affichage. En cas de dysfonctionnement, ça envoie un SMS en direction du PC central
et sur le téléphone portable de l’afficheur chargé du secteur géographique où a été
détecté le problème ». De la rapidité de l’intervention dépend la prime de l’afficheur :
250 euros par trimestre – appréciable lorsqu’on touche un salaire en 1 300 et
1 700 euros.
« Normalement, on ne doit pas réagir si on prend quelqu’un sur le vif en train de
dégrader » assure Patrick Mir, lui aussi délégué CGT Toulousain. 283
Bien sûr il s’agit d’une initiative personnelle non revendiquée par le groupe JCDecaux,
néanmoins de telles actions dénotent une volonté de stopper ces dégradations qui nuisent à
l’image des sociétés de régie publicitaire. Le groupe Media Transport s’est lui aussi illustré
dans « l’aversion anti-publicitaire » en portant plainte contre l’hébergeur de sites internet
Ouvaton afin d’obtenir l’identité des créateur d’un site web : http://stopub.ouvaton.org.
Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a finalement ordonné à
l’hébergeur Ouvaton de communiquer à Metrobus « les données strictement
nécessaires à l’identification » des animateurs du site stopub.ouvaton.org. Ouvaton
avait toujours affirmé être prêt à communiquer les coordonnées des responsables du
site, à condition que cette demande soit formulée dans un cadre légal, autrement dit
par un juge.[...]
Cette décision du juge des référés intervient après le spectaculaire déploiement de
forces de police, vendredi dernier (28 novembre), pour empêcher les sympathisants du
mouvement StoPub d’envahir à nouveau sept stations de métro et de badigeonner de
graffitis et slogans les espaces publicitaires de la RATP (gérés par la régie Metrobus). 284
283
PROFESSEUR CANARDO, « Un mouchard était caché dans le panneau », in Le Canard enchaîné,
mercredi 19 février 2014, p5.
131
Après maints rebondissements, la plainte s’est soldée en demi-teinte. Ouvaton a dû livrer
les informations qu’il possédait, mais n’a pas eu d’amende. L’identité fournie par le
créateur du site s’est révélée fausse et le site s’est vu aussitôt dupliqué sur de multiples
serveurs.
C’était à prévoir : les publicitaires ne sont pas favorables aux anti-pubs. Les deux
camps luttent l’un contre l’autre. Les anti-pub détériorent les publicités, ce qui occasionne
une perte d’argent pour les afficheurs. Mais comme le dit si bien le groupe australien
BUGA-UP :
It’s a sad fact, but we’ve learnt through long experience that money is the only
language billboard advertising companies understand. 285
◦ La médiatisation de l’anti-pub
Au début du XXIe siècle un débat sur la question du graffiti (art ou vandalisme ?) fait
rage entre deux importants quotidiens new-yorkais, le New York Times et le New York
Sun286. Depuis le début des années 2000 la rédaction du New York Times a choisi de traiter à
plusieurs reprises l’aspect artistique de certains graffiti. Sa plus farouche opposante,
Heather Mac Donald287, le souligne dans son article What Aerosol! :
284
285
286
287
DUVAL Loïc, « Ouvaton doit livrer les coordonnées de StoPub à Metrobus », in http://www.01net.com/, 1er
décembre 2003.
Dernière consultation : 10 juillet 2014
BUGA-UP, Do-It-Yourself Graffiti Guide, 1981.
« C’est un triste fait, mais nous avons appris par expérience que l’argent est bien la seule langue que
comprennent les compagnies qui exploitent les panneaux publicitaires. »
Le New York Sun est un quotidien new-yorkais conservateur publié d’avril 2002 à septembre 2008.
Heather Mac Donald (1956 – )est une journaliste politique conservatrice. Elle contribue à la rédaction de
journaux new-yorkais comme le City Journal.
132
– September 21, 2000: the Times reports a dispute between graffiti “artists” and an art
gallery over who owns the “art” works (graffiti-splattered stolen subway doors) in a
museum show. The Times overlooks the irony of the vandals’ ownership claims.
– September 22, 2000: the Times lauds the “exuberantly pictorial writing of graffiti art.”
– September 27, 2000: the Times quotes a “graffiti artist” who calls graffiti part of the
“visual arts.”
– October 10, 2000: the Times notes with surprise that the police “consider the spraypainting of other people’s property a crime and not art,” a misconception that led to the
arrest of an “artist” in a gallery show of graffiti.
– June 19, 2001: N. R. Kleinfeld reports on some “graffiti writers” who began by
“decorating” subway cars.
– March 1, 2001: the Times fawningly profiles one of the “most sophisticated of the
graffiti writers who moved aerosol art from the New York subway system to the
embrace of the gallery world,” an “aesthete” who made “even the hostile environs of the
subway his own.”288
Dans l’éditorial du New York Sun289 du 17 juillet 2002, elle compare le graffiti à des
métastases et s’en prend violemment au New York Times qui n’évoque que les questions
artistiques, concluant par cette phrase : « The Times is a fitting mouthpiece for a generation
288
289
MAC DONALD Heather, « What Aerosol! » in City Journal, été 2002.
« – 21 septembre 2000 : le Times rend compte d’un débat entre des street- “artistes” et une galerie d’art
au sujet de qui possède les œuvres d’”art” (des portes de métro couvertes de graffitis) dans une exposition
de musée. Le Times néglige le caractère ironique des revendications des vandales.
– 22 septembre 2000 : le Times loue ”l’écriture picturale exubérante de l’art du graffiti”.
– 27 septembre 2000 : le Times cite un “artiste” pour qui le graffiti fait partie des “arts visuels”.
– 10 octobre 2000 : le Times rapporte avec étonnement que la police “considère que peindre à la bombe
sur la propriété d’autrui est une infraction et non de l’art”, une erreur qui conduisit à l’arrestation d’un
“artiste”dans une exposition de graffitis.
– 19 juin 2001 : N. R. Kleinfeld produit un papier sur quelques “écrivains du graffiti“ qui commencèrent
par “décorer” les voitures du métro.
– 1er mars 2001 : le Times fait le portrait de l’un des « écrivains du graffiti les plus sophistiqués qui fit
déménager la peinture aérosol du réseau du métro de New York pour le faire conquérir le monde des
“galeries”, un “esthète” qui réussit à dompter “même les environs du métro”. »
MAC DONALD Heather, « Graffiti Is Metastasizing Again in New York, and Guess Who’s Applauding » in
New York Sun, 17 juillet 2002.
133
that refuses to grow up. »290. Heather Mac Donald considère ses articles comme la voix du
public conservateur. Considéré par une partie de la population comme une dégradation, le
Street Art n’a pas encore acquis son public. Cherchant à égayer et à prendre possession de
la toile urbaine, l’art de rue reste un art en dehors des conventions artistiques classiques. Il
ne cherche pas être rangé dans une case, confiné dans une galerie.
De part sa nature politique, l’anti-pub est confronté à d’avantages de difficultés pour
trouver son public. Comme pour le Street Art, l’anti-pub peut déplaire par son caractère
illégal, associé aux tags et à la dégradation de biens publics. Mais c’est aussi d’un point de
vue politique que la lutte contre la publicité peut déplaire. Comme toute forme d’action
politique, elle trouve ses opposants.
Les plus farouches opposants de l’anti-pub sont, comme nous l’avons vu, les
publicitaires. Or les grands groupes publicitaires français sont proches des milieux
politiques et médiatiques. Le livre de Serge Halimi291 Les nouveaux Chiens de garde292 (ainsi
que son adaptation documentaire293), fait l’étalage de la collusion entre les pouvoirs
médiatiques, politiques et économiques. Halimi s’inspire du livre de Paul Nizan, Les Chiens
de garde294, publié en 1932. Ce dernier est un essai pamphlétaire dirigé à l’encontre de
philosophes connus de l’époque (Bergson, Émile Boutroux, Lalande...). Nizan, philosophe
communiste, juge ces penseurs trop éloignés du quotidien des individus sur lesquels ils
290
291
292
293
294
Ibidem
« Le Times fournit le discours idéal pour une génération qui refuse de grandir »
Source : http://www.manhattan-institute.org/html/_nys-graffiti.htm
Dernière consultation : 7 juillet 2014
Serge Halimi est un écrivain et journaliste français. Il est membre de l’équipe de rédaction du Monde
diplomatique depuis 1992. Depuis mars 2008 il en est le directeur.
HALIMI Serge, Les nouveaux Chiens de garde, Paris, Liber-Raison d’agir, 1997.
Les nouveaux Chiens de garde, réalisé par Gilles BALBASTRE et Yannick KERGOAT, France, 2012, 104
min.
NIZAN Paul, Les Chiens de garde, Paris, Rieder, 1932.
134
énoncent leurs théories : ils parlent de l’homme sans le connaître. Il considère que ces
hommes n’ont d’autre but que de justifier la reproduction des clivages sociaux et de
perpétuer la morale et les valeurs de la classe bourgeoise. Les « chiens de garde » sont pour
Paul Nizan ces philosophes qui s’intéressent à l’Homme (en tant que concept
philosophique) mais pas à l’homme. Il déplore ces penseurs qui ne font que reproduire le
schéma social et qui ne semblent philosopher que pour leur classe sociale : la bourgeoisie.
Halimi réactualise son œuvre en se penchant sur ses contemporains : il cible ceux qui font
l’information et qui transmettent l’idéologie. À base d’images d’archives, d’enquêtes, et
d’interviews Halimi résume sa thèse dans l’explicit de son essai :
Parlant des journalistes de son pays, un syndicaliste américain a observé : « Il y a vingt
ans, ils déjeunaient avec nous dans des cafés. Aujourd’hui, ils dînent avec des
industriels. » En ne rencontrant que des « décideurs », en se dévoyant dans une société
de cour et d’argent, en se transformant en machine à propagande de la pensée de
marché, le journalisme s’est enfermé dans une classe et dans une caste. Il a perdu des
lecteurs et son crédit. Il a précipité l’appauvrissement du débat public. Cette situation
est le propre d’un système: les codes de déontologie n’y changeront pas grand-chose.
Mais, face à ce que Paul Nizan appelait « les concepts dociles que rangent les caissiers
soigneux de la pensée bourgeoise », la lucidité est une forme de résistance. 295
Serge Halimi remet en question l’impartialité des grands médias, des journalistes, des
spécialistes. Le rôle des médias est très important dans la vie quotidienne des individus, et
des personnalités considérées comme des spécialistes ont un fort impact sur les
raisonnements de chacun. Le documentaire de Kergoat et Balbastre montre la
concentration de la presse, le corps-commun idéologique et financier, qui va à l’encontre
d’une expertise impartiale attendue. Les auteurs démontrent également les liens entre les
journalistes et les grandes firmes internationales (comme Bouygues, Boloré...), ainsi que la
collusion avec les grands partis politiques. Des images d’archive montrent les journalistes
Anne Sinclair et Christine Ockrent louer mutuellement leur indépendance journalistique et
leur totale liberté d’action. Parallèlement le documentaire nous apprend que de nombreux
journalistes célèbres (dont Christine Ockrent) acceptent de vanter les mérites d’entreprises
295
Serge Halimi, Les nouveaux Chiens de garde, Paris, Liber-Raison d’agir, 1997, p 155.
135
multinationales contre d’importants cachets — pratique que l’on nomme « faire des
ménages ». Il y a là d’évidents conflits d’intérêts.
Serge Halimi, comme Paul Nizan avant lui, rapproche cette collusion entre médias et
pouvoir du fait que tous ces individus évoluent de le même environnement, la même classe
sociale. En effet les journalistes comme la classe dirigeante appartiennent au même monde
(comme ce fut le cas des philosophe des années 1930 de Nizan). Ils tentent alors de
préserver le système économique et social qui leur permet de conserver le même rang
social.
Serge Halimi nous montre que dans notre monde contemporain les principaux
acteurs économiques semblent tous s’accorder pour protéger le système capitaliste. Comme
la publicité qui reconduit insidieusement auprès des individus des systèmes de valeurs, des
désirs de consommation, une normalisation des individus, les médias permettent au
système économique et social de perdurer. Au lieu d’enrichir le débat public par l’art comme
le proposent certains anti-pubs afin de diversifier l’idéologie représentée sur les panneaux
publicitaires ou d’idées comme le propose Frédéric Lordon 296 afin de réfléchir tous ensemble
à un système économique plus égalitaire pour les hommes, les médias l’appauvrissent en
s’accordant tous sur une pensée favorable à leur milieu, à leur classe.
Marie Bénilde rédige un article sur la relation entre Publicis et le pouvoir dans le
Monde diplomatique :
[...] Une agence comme Publicis entretient des rapports très étroits avec les médias,
tout en servant de conseil aux grands patrons.
[...] Fort de ses réseaux Starcom Mediavest et Zenith Optimedia, le groupe, leader
mondial de l’achat d’espace publicitaire, détient aussi un pouvoir considérable sur de
très nombreux médias dont il peut affecter l’équilibre économique.
296
Frédéric Lordon (1962 -), économiste et philosophe français d’inspiration spinoziste.
136
[...] l’agence qui se prétend apolitique ne dédaignait pas, via Marcel BleusteinBlanchet297, de conseiller le général de Gaulle avant ses interventions télévisées. Et, aux
Etats-Unis, le groupe Léo Barnett, filiale de Publicis, a conçu une campagne de
recrutement de l’armée américaine qui a déclenché l’ire des manifestants pacifistes
pendant la guerre d’Irak.
[...] En France, via Publicis Consultant, M. Lévy 298 s’est employé à promouvoir le plan
Fillon de réforme des retraites. On doit également au groupe la campagne de lancement
de l’euro dans les pays européens et la mise en place de la monnaie unique en France.
Le budget de « mise en circulation de l’euro » est revenu à Publicis en novembre 2000
sur décision du ministre de l’économie et des finances, M. Laurent Fabius, fidèle allié de
l’agence.299
Outre les réseaux communs que partagent les publicitaires, la presse et les
politiciens, Amalou met en exergue les moyens de pression utilisés par les afficheurs sur la
presse. À l’exception de quelques irréductibles, la presse française est largement rémunérée
par la publicité. Le Canard enchaîné est l’un des rares quotidien d’investigation à
n’admettre aucune publicité dans ses pages. C’est pour cette raison que l’on y apprend les
pressions subies par les médias qui ne peuvent les décrire dans leurs propres pages. Un
exemple tiré du Canard cité par Florence Amalou dans son Livre noir de la pub :
Dans son édition du 25 octobre 2000, sous le titre « Bernard Arnault prive de dessert Le
Nouvel Obs », l’hebdomadaire300 affirme que le patron du groupe LVMH – sixième
annonceur de la presse en 1998 avec ses 387 millions de francs de publicité – a fait
annuler des campagnes prévues dans Le Nouvel Observateur parce que le magazine a
critiqué sa stratégie. Cela faisait longtemps que ce type de micro-événement n’avait
pas été mentionné dans la presse. On aurait presque cru qu’il n’en existait plus.
Un article consacré aux déboires de LMVH sur Internet aurait fortement mécontenté le
patron du groupe de luxe. Que contenait-il donc ? Pas d’attaques personnelles, pas
d’insulte. Un journaliste s’interrogeait simplement sur les raisons du report à répétition
de l’ouverture de la banque virtuelle Ze Bank. Ze Bank, c’est le projet étendard de
Bernard Arnault dans l’e-buisness 301. Et voilà Bernard Arnault renouant avec des
297
298
299
300
301
Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de Publicis en 1926.
Maurice Lévy, président du directoire de Publicis depuis 1988
BÉNILDE Maris, « Publicis, un pouvoir », Le Monde diplomatique, juin 2004.
Le Canard enchaîné
« Arnault bogue sur le Net », in Le Nouvel Observateur, 28 septembre 2000.
137
pratiques que l’on croyait oubliées. Voilà que son état-major, vengeur, punit par la
suppression de la publicité le journal trouble-fête. Perte sèche pour le magazine : 1,5
million de francs. À ce moment Le Nouvel Observateur est fortement tributaire de sa
pub. Le coup est dur.302
En 2012, les recettes publicitaires nettes des médias s’élevaient à 13,32 milliards d’euros 303.
Un quotidien comme Le Monde a accordé 1 672 pages304 en 2012 à la publicité, Le Figaro
2 556305. L’impact d’une campagne de publicité sur le budget d’un journal ou d’une chaîne
de télé est significative. Il est difficile dans ces conditions de défendre des groupes antipublicitaires.
Pourtant, pour le Billboard Liberation Front comme pour les Déboulonneurs il est
essentiel que leurs actions soient relayées dans les médias. Heureusement les médias
alternatifs existent. Le Canard enchaîné ou la chaîne de télévision associative parisienne
Télé bocal sont de fervents soutiens des Déboulonneurs. Grâce à leurs procès les
Déboulonneurs jouissent d’un relais médiatique plus important qui permet de faire
connaître leur action au grand public.
Dans leur compte-rendu du procès en appel du 3 avril 2012, les Déboulonneurs parisiens
dressent la liste des médias leur ayant accordé un article pour l’occasion :
Les 8 militants avaient été relaxés en avril 2010 , une première pour le Collectif des
déboulonneurs. Le parquet ayant fait appel de cette décision, nous nous sommes
présentés une nouvelle fois à la barre pour dénoncer les méfaits du système publicitaire
ainsi que l’hypocrisie et la complicité des pouvoirs politiques. [...]
Revue de presse :
– 2 avril, Le Parisien : Les antipubs retournent devant la justice demain ;
– 2 avril, Le Figaro : Les antipubs de retour devant la justice à Paris ;
302
303
304
305
AMALOU Florence, Le livre noir de la Pub, quand la communication va trop loin, Paris, Stock, 2001, p247248.
Source : IRPE 2012. Sondage réalisé pour l’observatoire de l’ePub SRI, par Capgemini Consulting, en
partenariat avec l’UDECAM. Cette mesure ne prend pas en compte la publicité sur les médias en ligne.
Source : Kantar Media 2012
Source : Kantar Media 2012
138
– 3 avril, Libération : Repas de soutien aux anti-pub avant leur procès ;
– 3 avril, Actu Conso : Les déboulonneurs au tribunal ;
– 3 avril, AFP : Publicité : les Déboulonneurs se battent pour voir confirmer leur relaxe ;
– 4 avril, Le Monde : Au tribunal, les "Déboulonneurs" dénoncent le matraquage de la
pub ;
– 4 avril, Le Parisien : Les Barbouilleurs de pub revendiquent une action citoyenne ;
– 4 avril, Libération : Les antipub à l’affiche ;
– 4 avril, Les Inrocks : Pub : les déboulonneurs prônent la désobéissance civile ;
– 3 avril, Blog Mediapart : Les Déboulonneurs plaident la désobéissance civile devant la
Cour d’appel.306
Dans un monde où la publicité domine le microcosme de la presse, il est difficile pour les
anti-pub d’obtenir un relais médiatique efficace. Grâce à leurs procès, les Déboulonneurs
parviennent néanmoins à informer la population sur leurs actions.
2. L’institutionnalisation de l’anti-pub
L’anti-pub est un art en rue, qui n’a pas forcement pour objectif de s’exposer en
galerie. Grâce au Street Art et à sa popularité qui s’est développé ces dernières années,
l’anti-pub se découvre un nouveau statut. Les groupes pionniers comme le Billboard
Liberation Front sont ainsi élevés au rang de groupe d’artistes de rue, comme les Guerilla
306
LES DÉBOULONNEURS, « Compte-rendu du
http://www.deboulonneurs.org/, Paris, 4 avril 2012.
139
procès
en
appel
du
3
avril
2012 »,
in
Girls. Alors que le Street Art s’installe peu à peu dans les galeries, nous sommes en droit de
nous demander si l’anti-pub n’entrerait dans une phase d’institutionnalisation.
◦ Esthétique de la réception des arts urbains
Les années 2000-2010 connaissent un engouement exceptionnel pour le Street Art.
Les livres, expositions, articles sur le sujet se sont multipliés. Il est difficile de trouver une
librairie d’art qui ne contienne d’ouvrage sur le sujet.Le Street Art intéresse de plus en plus
les galeristes et le marché de l’art. Cet art autrefois sulfureux, occupant exclusivement la
rue s’exile sans cesse plus vers les lieux traditionnels d’exposition. Preuve en est la
prolifération d’expositions de ce type : l’artiste Kaws à la More Gallery en Suisse durant
l’Art Basel de 2013307, l’exposition Parcours308 d’octobre à janvier 2013 qui laissait aux street
artists libre cours à leur imagination dans 170 m2 en plein cœur de Montpellier, ou encore
l’exposition Ex situ309, d’avril à juin 2013 installée dans le haut lieu de l’art actuel français, le
Centre George Pompidou : le Street Art a décidément le vent en poupe.
L’un des street artists les plus connus et les plus populaires reste Banksy. Son
parcours dresse un portrait de la popularisation du Street Art ces dernières années. Banksy
a commencé sa carrière de street artist underground en 1988 au Walls of Fire310 de Bristol. Il
acquiert ainsi une notoriété dans le monde du Street Art. En 2003, il participe à une
exposition dans une galerie londonienne, où il présente quelques toiles ( Show me the
Monet311 entre autres). De 2003 à 2005 il s’infiltre dans les prestigieux musées du monde
307
308
309
310
311
« Kaws », exposition à la More Gallery, 9 juin au 26 août 2013, Giswil, Suisse.
« Parcours », exposition à la ZAT (Zone Artistique Temporaire), 20 octobre au 6 janvier 2013, Montpellier.
« Ex situ », exposition au Centre d’Art contemporain George Pompidou, 13 avril au 16 juin 2013, Paris.
Walls of Fire : rendez-vous du monde du Street Art de Bristol.
BANKSY, Show me the Monet, huile sur toile, 2003. Annexes Tome 1 – 30.
140
pour y accrocher ses propres toiles. Il pénètre ainsi dans le Louvre, le Metropolitan Museum
of Art, Brooklyn Museum, Museum of Modern Art, le British Museum et le Natural History
Museum de New-York. Ces actions connaissent un certain retentissement dans les
journaux. À partir de l’année 2004 sa popularité grandit de façon exponentielle :
L’année suivante312, il tient l’exposition appelée « Barely Legal » (à peine légal) à
Los Angeles. C’est dans le cadre de celle-ci qu’il expose le tableau Éléphant dans
la pièce (Elephant in a room) avec le fameux animal peint de motifs or et
parsemé de fleurs, à la façon d’une tapisserie. Peu de temps plus tard, il
présente la top modèle Kate Moss façon Warhol. La top y est dépeinte comme
Marilyn Monroe sur quelques toiles, dans des palettes de couleurs variées. Ses
impressions sur toile se vendent à un prix dépassant largement leurs valeurs
estimées dans le cadre d’un encan chez Sotheby’s à Londres. »313
Cette exposition marque l’entrée officielle de Banksy dans le monde de l’art, et de son
marché. Les toiles de l’artistes s’arrachent à prix d’or : Keep it Spotless314, vendu 1 230 000 €
chez Sotheby’s à New York, le 14 février 2008 et The Rude Lord315, une peinture détournée,
vendue 463 000 € chez Sotheby’s à Londres le 12 octobre 2007. Son documentaire Exit
Through the Gift Shop (Faites le mur!) 316 sorti en salle en 2010 a beaucoup contribué à
élargir sa renommée.
Banksy domine le marché de l’art du Street Art, ses œuvres sont celles qui se
vendent au prix le plus élevé. Cet engouement du marché de l’art pose une question
éthique. Le Street Art est à l’origine un art gratuit, qui se partage dans la rue. Un art très
éloigné des galeries chics de l’Upper East Side et des salles de vente, donc. Cet art est-il
juste devenu un filon artistique commercial ? L’artiste Banksy donne son point de vue
concernant cette question sur son site officiel :
312
313
314
315
316
En 2004.
« La popularité de Banksy » in http://www.banksy-art.com/ (site officiel français de l’artiste)
BANKSY, Keep it Spotless, 214 × 305 cm, bombe aérosol sur toile, 2007. Annexes Tome 1 – 31.
BANKSY, The Rude Lord, 88 × 76 cm, huile sur toile, cadre d’origine, 2006. Annexes Tome 1 – 31.
Exit Through the Gift Shop (Faites le mur!), Banksy, 2010, 87 min.
141
What’s the deal with Sotheby’s?
As a kid I always dreamed of growing up to be a character in Robin Hood.
I never realised I’d end up playing one of the gold coins. [...]
Banksy is not represented by an art gallery, is not on Facebook and has never used
Twitter.317
S’il profite du marché de l’art, Banksy reste un artiste hors-norme. Lors de sa
résidence au mois d’octobre 2013 dans la ville de New-York, l’artiste s’est littéralement
moqué du marché de l’art en installant une étale près de Central Park, sur la 5 e avenue. Le
14 octobre l’artiste installe sur des œuvres originales et signées au prix de 60$ pièce. Peu
d’acheteurs ont été au rendez-vous de cette vente informelle. Sur la journée la vente a
seulement rapporté 240$, ce qui est mince quand on voit à combien s’arrachent les Banksy
chez Sotheby’s. Il s’agit d’un véritable pied de nez au monde du marché de l’art. L’artiste a
décidé à cette occasion de revenir vers son public originel : l’homme de la rue. Cet esprit
sulfureux ainsi que le mystère autour de l’artiste (l’anonymat de Banksy n’a encore jamais
été révélé) contribuent à sa popularité.
L’anti-pub en tant que « sous-genre » du Street Art (ou du moins partageant le
même terrain de jeu) bénéficie de cet engouement populaire. l’anti-pub comme sous-genre
du marché de l’art bénéficie de l’engouement. Carlo McCormick et le Wooster Collective
ont réalisé un ouvrage qui tente de tracer une histoire de l’art urbain illicite. Ce livre
regroupe à la fois des artistes de rue et des artistes anti-pub. Dans leur préface Marc et Sara
Schiller du Wooster Collective318 expriment et défendent leur notion du Street Art :
317
318
BANKSY, « Q+A », in http://www.banksy.co.uk/
« C’est quoi l’embrouille avec Sotheby’s ?
Enfant, j’ai toujours rêvé de devenir un des personnages de Robin des Bois une fois adulte.
Je n’ai jamais réalisé que je finirais comme celui qui joue avec les pièces d’or. [...]
Banksy n’est pas représenté par une galerie, n’est pas sur Facebook et n’utilise pas Twitter. »
Wooster Collective a été fondé en 2001 par Sara et Marc Schiller. Ce collectif a pour but de rassembler et
découvrir l’art urbain à travers le monde afin de cataloguer et classer l’ensemble des publications sur le
142
Souvent on voit un peu hâtivement le street art par la lorgnette du vandalisme. On croit
à tort que les artistes s’emparent de beaux bâtiments pour les défigurer. Mais la plupart
des artistes street interviennent dans des quartiers délaissés et placent leurs œuvres sur
des immeubles « oubliés », dégradés, avec de la peinture écaillée et de l’herbe qui
pousse sur le trottoir. Leur motivation est d’embellir ces bâtiments et de créer quelque
chose d’exceptionnel. Ils sont persuadés que leurs créations mettent en valeur les
bâtiments délabrés. Quand vous placez une œuvre d’art sur une publicité insipide
omniprésente, la communauté condamne-t-elle vos efforts ? Quand vous embellissez
une porte d’immeuble vétuste, ses habitants ne vous applaudissent-ils pas ?319
Trespass n’est pas un exemple isolé. Paul Ardenne et Marie Maertens dans leur recueil sur
le Street Art, 100 artistes du Street Art320, qui présente à la manière d’un catalogue des
artistes très variés, n’oublient pas d’intégrer les Déboulonneurs. Dans ces ouvrages le Street
Art et l’anti-pub sont placés sur un pied d’égalité, comme deux formes d’art égales.
◦ Des galeries pour l’anti-pub
Cette assimilation de l’anti-pub au Street Art et à l’art en général lui confère un
statut privilégié par rapport aux autres formes d’activisme, celui d’un véritable courant
artistique. Les groupes pionniers comme BUGA-UP employaient déjà un vocabulaire
artistique. Dès 1980, BUGA-UP publie un catalogue 321 non exhaustif des pièces annuelles du
mouvement. Ce catalogue présente les détournements comme des œuvres. Au fil des années
l’entrée de l’anti-pub dans le monde de l’art s’est concrétisé.
319
320
321
sujet sur leur site mis en ligne en 2003 : www.woostercollective.com
SCHILLER Marc et Sara, « Vue sur la ville », préface in McCORMICK Carlo, Trespass, une histoire de l’art
urbain illicite, Paris, Taschen, 2010, p11.
ARDENNE Paul et MAERTENS Marie, 100 ARTISTES DE STREET ART , Paris, Éditions de la Martinière,
2011.
BUGA-UP, Autumn Catalogue of 1980, 1980. Annexes Tome 1 – 32.
143
En 2010 Le Billboard Liberation Front est invité à s’exprimer au musée DeYoung 322
lors d’une conférence sur le Street Art :
Street Art San Francisco: Mission Muralismo series presents “Directional Signals:
Pranksters and Preachers, Paste and Stencil” featuring talks by Rigo, and John Jota
Leaños. Also, Jack Napier, BLF co-founder, and Milton Rand, Kalman BLF chief
scientist, will give a presentation titled “The Art and Science of Billboard Improvement,”
plus stencil cutting demonstration by Russell Howze author of Stencil Nation: Graffiti,
Community and Art.323
Les membres du Billboard Liberation Front sont reçus dans un musée en tant que
professionnels et références du monde du Street Art.
Comme le Street Art, l’anti-pub s’est aussi essayé à la galerie. L’anti-pub évolue
naturellement dans la rue, le lieu des panneaux publicitaires. L’installation de création antipub en galeries peut donc paraître absurde. Et pourtant le groupe Casseurs de Pub 324
proposait une exposition à Genève en 2012325.
Les Casseurs de Pub sont un groupe d’anti-pub lyonnais organisé autour du journal
La décroissance326 et de son supplément annuel Casseur de pub. Le directeur de la rédaction
322
323
324
325
326
Jack Napier et Milton Rand Kalman du Billboard Liberation Front participent à la conférence « Mission
Muralismo series » le 7 mai 2010.
BILLBOARD LIBERATION FRONT, « BLF Speak at DeYoung Museum, May 7th. », in
http://www.billboardliberation.com/, 4 mai 2010.
Dernière consultation : 12 juillet 2014.
« La série Mission Muralismo présente « Panneaux indicateurs: blagueurs et prêcheurs, colle et pochoir »
comprenant des interventions de Rigo et Jota Leaños. Jack Napier, co-fondateur du BLF, et Milton Rand,
chef du département scientifique du BLF, feront une présentation intutlée « l’Art et la Science de
l’amélioration de Panneau Publicitaire », ainsi qu’une démonstration de découpe de pochoir par Russel
Howze, auteur de Stencil Nation: Graffiti, Community and Art. »
Casseurs de Pub est une association anti-pub fondée à Lyon en 1999. L’association publie la revue
Casseur de Pub dirigée par Vincent Cheynet, jointe comme supplément au journal La Décroissance, le
journal de la joie de vivre. L’association propose une vision critique de la société de consommation et
promeut des alternatives à la croissance.
CASSEURS DE PUB, « Tout doit disparaître », du 24 février au 15 avril 2012 au Zabriskie Point, Genève.
La décroissance, le journal de la joie de vivre : journal mensuel crée en 2004 à Lyon, édité par l’association
Casseurs de pub, dirigé par Vincent Cheynet.
144
n’est autre que Vincent Cheynet327, auteur de Casseurs de pub, un pavé dans la gueule de la
pub328 et personnage phare de la scène anti-pub française. L’association s’engage dans de
nombreuses luttes afin de mener un « combat non-violent fondé sur l’argumentation »329
contre la publicité. Leur idéologie est proche de la désobéissance civile. Ils prônent une
réduction voire un arrêt de la publicité qu’ils catégorisent comme une « machine à casser ».
Patrick Le Lay, président directeur général de la chaîne de télévision TF1 de 1988 à 2008,
donne en 2004 un exemple parfait de ce que condamnent les Casseurs de Pub à l’occasion
de sa déclaration devenue célèbre sur le « temps de cerveau disponible » :
Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective
« business », soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par
exemple, à vendre son produit.[...] Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut
que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le
rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux
messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain
disponible.[...] Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se
trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui
marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information
s’accélère, se multiplie et se banalise... [...]
La télévision, c’est une activité sans mémoire. Si l’on compare cette industrie à celle de
l’automobile, par exemple, pour un constructeur d’autos, le processus de création est
bien plus lent ; et si son véhicule est un succès il aura au moins le loisir de le savourer.
Nous, nous n’en aurons même pas le temps ! [...] Tout se joue chaque jour sur les
chiffres d’audience. Nous sommes le seul produit au monde où l’on « connaît » ses
clients à la seconde, après un délai de vingt-quatre heures. 330
Pour leur exposition intitulée Tout doit disparaître les Casseurs de Pub s’envolent
pour la Suisse, à l’espace d’art contemporain Zabriskie Point331 de Genève plus exactement.
327
328
329
330
331
Vincent Cheynet (1966 - ) : ancien directeur artistique chez Publicis Lyon, maintenant farouche militant
anti-pub. Il fonde l’association Casseurs de Pub en 1999 et La décroissance en 2003.
CHEYNET Vincent (dir.), Casseurs de pub, un pavé dans la gueule de la pub, Paris, Éditions Parangon,
2006.
Casseurs de Pub, Pourquoi nous appelons-nous casseurs de pub ?, in http://www.casseursdepub.org/.
Ibidem pour les citations suivantes.
Dépêche AFP du 9 juillet 2004, reprise notamment par Libération (10-11/07/04) : « Patrick Le Lay, le
décerveleur ».
Zabriskie Point est un espace d’art contemporain sans but lucratif. Site : http://www.zabriskiepoint.ch/
145
Étaient présentées des œuvres originales ainsi que certaines déjà publiées dans Casseurs de
Pub. Il ne s’agit pas de la première exposition d’un groupe d’activistes anti-pub. Les
« Casseurs de Pub » ont déjà exposé en 2008 à Lons, puis à Villeneuve. Ils proposent sur
leur site de louer l’exposition. Il ne s’agit pas de la première exposition des Casseurs de Pub,
qui avaient déjà tenté l’expérience en 2009 à la MJC Maladière 332.
L’exposition se déroule dans un lieu d’art contemporain particulier : le Zabriskie
Point. Ce lieu est en fait un ancien arrêt de tramway de la ville Genève aujourd’hui
désaffecté. Les œuvres des Casseurs de Pub ont donc été exposés à l’intérieur de l’arrêt et
sont visibles de l’extérieur au moyen de vitres. Il est donc impossible d’entrer dans l’arrêt, le
public n’a pas de lien direct avec les œuvres qui sont protégées. Cet espace est à mi-chemin
entre l’art de la rue et le galerie type white cube. Le Zabriskie Point n’est pas un lieu
socialement et économiquement trié ce qui en fait un lieu tout à fait indiqué pour exposer
du Street Art.
L’exposition présente diverses œuvres : créations originales ou coupures de journaux
(provenant de La décroissance et de Casseur de Pub). Cette exposition est donc
paradoxalement un coup de pub pour le quotidien lyonnais et son supplément annuel. Les
œuvres sont inspirées de culture jamming et reprennent une esthétique publicitaire qu’elles
détournent. L’exposition comporte 28 visuels de publicités « améliorées ». L’affiche de
l’exposition333 présentant un homme avec une tête de produit ménager souligne la
consommation compulsive et grégaire des individus dénoncée par les anti-pubs. Cette idée
est reprise dans Shampoing Conditionneur334 qui joue sur un jeu de mot polyglotte en
reprenant le terme « conditioner » qui en anglais signifie « après-shampoing » l’utilisation
de l’orthographe française lui confère un autre sens : celui du conditionnement. L’affiche
représente une femme dont la tête est un flacon de shampoing. Le slogan inscrit sur la
332
333
334
CASSEURS DE PUB, exposition à la MJC Maladière, du 19 janvier au 19 février 2009.
CASSEURS DE PUB, Tout doit disparaître, affiche de l’exposition, 2012, Zabriskie Point, Genève. Annexes
Tome 1 – 33.
CASSEURS DE PUB, Shampoing Conditionneur, 2012. Annexes Tome 1 – 33.
146
bouteille est le suivant : « Shampoing Conditionneur : lave la tête en profondeur, jusqu’à la
racine des idées. Rince la tête ». Encore une fois, les Casseurs de Pub mettent en image la
publicité décervelante. Les activistes lyonnais réalisent un visuel de fausses publicités
vantant les mérites des produits à vendre 335. Ces produits sont renommés pour l’occasion :
bonheur, amour, joie... Le style de l’ancien directeur artistique de Publicis Lyon, Vincent
Cheynet, se ressent dans ces réalisations à l’esthétique publicitaire.
L’exposition
« Tout
doit
disparaître »
symbolise
l’institutionnalisation
des
différentes formes d’art de rue comme l’anti-pub. L’art de rue se conçoit comme un don,
une participation artistique dénuée de valeur marchande à la toile vivante de la ville. Un
street artist qui dessine dans la rue n’envisage pas de faire payer le public, il conçoit son art
comme un don. Le public peut d’ailleurs contribuer à l’œuvre d’art en ajoutant des motifs,
participant ainsi à une forme d’art in progress. Ici l’exposition pose le problème du lien brisé
entre le public et l’artiste. Il y a une sorte de contradiction entre vouloir ouvrir les yeux du
public sur l’omniprésence de la publicité et s’en éloigner pour s’enfermer dans un espace
protégé, estampillé « art contemporain ». L’anti-pub cherche à remettre en question la
place de la publicité dans l’espace public. À la manière du culture jamming, la majorité des
artistes utilisent les lieux de la publicité pour s’exprimer, renversant ainsi le but original des
panneaux d’affichage. Tout doit disparaître n’est pas une exposition marchande : les œuvres
sont visibles de la rue, le public n’est pas culturellement trié (l’exposition est située près
d’un arrêt de tramway en service, son public est donc principalement constitué de passants
qui attendent le prochain tram), et l’entrée n’est pas payante. Si l’anti-pub ne s’est pas
institutionnalisé avec cette exposition, toutefois les œuvres d’arts n’étaient plus vraiment
dans la rue mais derrière une vitre. Cette barrière matérielle pose une limite entre le
récepteur et l’art, une limite qui n’existe pas dans la rue, où les œuvres sont des dons.
335
CASSEURS DE PUB, OGM – Amour – Prozac, 2012. Annexes Tome 1 – 34.
147
L’exposition des Casseurs de Pub pose de nombreuses questions sur l’avenir de la
lutte contre la publicité. Cette exposition touche de près la problématique de la
médiatisation de l’anti-pub et de la nécessité d’entrer dans les galeries pour avoir un relais
médiatique. La question du public reste en suspens : la possibilité d’un éloignement entre le
public de la rue et l’anti-pub, si cette dernière s’enferme dans l’espace muséal.
Conclusion
L’anti-pub est un art que l’artiste conceptuel Jeremy Deller 336 définirait comme de
l’art populaire dans le sens de popular (de masse) et non dans le sens de Folk (lié à un
peuple). Il ne s’agit pas d’un art divertissant comme peuvent l’être le cinéma ou la musique
r’n’b. L’anti-pub est un art militant qui a pour objectif de faire prendre conscience à son
public (l’homme de la rue) de la prédominance de la publicité à tous les instants de la vie
quotidienne et ses répercussions sur le système de normes sociales de chaque individu. Cet
aspect « prise de conscience » peut être une entrave quant à l’acceptation de l’anti-pub par
l’Homme de la rue. Contrairement aux publicités l’anti-pub ne se reçoit pas bêtement : les
détournements interrogent, les barbouillages questionnent, font réfléchir. L’anti-pub étant
un art de rue il est délicat de mesurer son acceptation par le public. Il est cependant évident
que tous les individus n’acceptent pas cette forme d’expression qui dégrade et détourne leur
environnement publicitaire naturel.
L’anti-pub souffre également d’une méconnaissance du public. Les médias
transmettent pas ou peu les actions anti-pub. Il faut dire que pour eux la situation est
compliquée : une part non négligeable de la presse est financée par les médias. Il est donc
336
Jeremy Deller artiste plasticien et vidéaste londonnien qui a beaucoup réflechi sur la notion d’art
populaire (popular)
148
difficile pour ces derniers de défendre les actions anti-publicitaires. Heureusement il reste
les journaux indépendants qui ont banni tout forme de publicité.
Depuis quelques années cependant les détournements et barbouillages ont le vent
en poupe, et cela grâce au Street Art. L’aspect subversif et illégal du Street Art a séduit le
marché de l’art. Cette popularité a permis aux formes voisines du Street Art (comme l’antipub et l’artivisme) de voir leur côte de popularité grimper en flèche. À tel point que l’antipub se retrouve invitée aux conférences sur le Street Art, participe à des ouvrages sur sur
l’art illégal et l’art urbain et même s’expose (ou presque).
La médiatisation positive ou négative de l’anti-pub permet à ce mouvement de
toucher de plus en plus de personnes. Grâce à la couverture médiatique des néophytes
rencontre le combat contre la publicité. Le Billboard Liberation Front et les Déboulonneurs
sont les grands bénéficiaires de cet engouement.
149
Conclusion
Établir une typologie de l’anti-pub n’est pas une chose aisée, tant l’objet d’étude
revêt des formes diverses. Les acteurs de l’anti-pub apparaissent eux aussi sous différents
aspects : l’artiste isolé, le groupe nocturne, les militants qui agissent au grand jour. Afin
d’éviter tout éparpillement, nous avons souhaité réduire le champ de recherche en centrant
notre analyse sur deux groupes. Ces deux groupes, le Billboard Liberation Front et les
Déboulonneurs, expriment leur aversion de la publicité de manière opposée, car leurs
actions ne revêtent pas les mêmes objectifs. Tandis que les uns se moquent de la publicité et
utilisent les panneaux publicitaires comme toiles, les autres dégradent publiquement,
passent en justice et souhaitent obtenir un changement de loi pour l’affichage publicitaire.
Afin de comprendre comment au sein d’une même lutte, différentes pratiques sont
nées, il nous a paru essentiel de revenir aux origines de l’anti-pub. Pour comprendre la
naissance du mouvement anti-publicitaire il nous a fallu nous pencher sur le contexte
d’émergence. L’anti-pub voit le jour à la fin des années 1970. Cette décennie concentre
plusieurs crises économiques de grande importance : les deux chocs pétroliers. Ces chocs
pétroliers et la politique de relance de Reagan engendre un climat de surconsommation.
Bien sûr la part de la publicité dans l’environnement urbain progresse inévitablement.
C’est à cette époque qu’apparaissent les premières réactions anti-publicitaires. Déjà
la variété de ces réaction marque. Le Billboard Liberation Front détourne la publicité, tandis
que BUGA-UP invitent tout à chacun à apposer son tag sur les panneaux malsains, les
Humains Associés offrent des espaces de réflexion, tandis qu’Adbusters rédige un journal
afin de lutter contre la publicité. Les pratiques sont différents et les groupes
150
géographiquement très éloignés. Pourtant ils sont tous nés à la même période, symptômes
d’une société de surconsommation.
Au fil de nos recherches il nous est apparu qu’il est très difficile de définir les limites
de l’anti-pub. L’anti-pub, comme ses acteurs se retrouvent au croisement de plusieurs
disciplines. De nombreux artistes de rues ont une pratique anti-pub (ZEVS, Banksy,
Fekner...). De même, de nombreux activistes anticapitalistes militent ou assistent en tant
que sympathisants aux actions anti-pub (il suffit de relever le nom des personnalités
politiques qui soutiennent les Déboulonneurs). Pour ces raisons il nous a semblé essentiel
d’analyser comparativement le Street Art et l’activisme politique anticapitaliste. Ainsi il
nous est apparu intéressant d’accentuer les liens entre la vidéosurveillance, la défense de
l’écologie et l’anti-pub. Ces deux domaines font à présent partie de l’argumentaire anti-pub.
Ils ont intégré tout un pan de la lutte anti-pub. Des groupes comme le Clan du Néon, au
carrefour entre l’anti-pub et la lutte contre les dépenses inutiles d’énergie, ont vu le jour.
On s’est attaché à dépeindre avec précision le phénomène du publisexisme. Ce
phénomène, sorte de symbiose entre anti-pub et féminisme, occupe une part primordiale de
la lutte contre la publicité. Cette importance est du à la véritable colonisation de publicité
sexistes sur les panneaux. Ces publicités enferment les genres dans des carcans stéréotypés
néfastes pour l’émancipation des sexes. Même si, contrairement au Collectif Contre le
Publisexisme, ils ne sont pas spécialisés dans le publisexisme les différents groupes d’antipub luttent contre ces publicités sexistes. Il s’agit d’un point sur lequel tous les groupes
d’anti-pub se retrouvent.
Après avoir abordé le point de vue des acteurs de l’anti-pub, leurs pratiques et leurs
manifestes, nous nous sommes interrogé sur sa réception et sa place dans le monde de l’art.
Il s’est avéré qu’il demeure difficile de cerner le public de l’anti-pub, ainsi que son
151
acceptation. En nous penchant sur les réactions des publicitaires nous avons toutefois
mieux compris l’ascendant qu’ils exercent sur les médias. Évoluant tous dans les mêmes
cercles, journalistes et publicitaires ne semblent pas toujours échapper à cette collusion. Les
intérêts partagés ne sont pas le seul frein à l’autonomie de la presse. Une grande part du
budget des journaux ou des chaînes télévisées se révèle être l’argent de la publicité. Or pour
un groupe comme les Déboulonneurs, la retransmission médiatique reste très importante.
Les barbouilleurs ont besoin de soutien lors des procès. Or toucher un nouveau public par
voie de presse, c’est créer de nouveaux soutiens. Les sites Internet des groupes permettent
aux individus conscientisés d’obtenir des informations mais les néophytes y viennent
rarement de leur plein gré.
Si l’anti-pub en vertu de son illégalité et de ses dégradations n’est pas acceptée par
toute une partie de la société, en revanche la soudaine popularité du Street Art lui a permit
de faire son entrée dans le monde de l’art. Le Street Art autrefois considéré comme un acte
de vandalisme, entre depuis le milieu des années 2000 dans le monde de l’art. Un
institutionnalisation de l’art de rue assez contraire aux pratiques initiales : un art fait dans
la rue, conçu comme un don aux habitants. Aujourd’hui le Street Art se retrouve dans les
galeries, il est acheté par les salles de vente du marché de l’art, il est exposé dans les
musées. Même s’ils jouent le jeu du marché de l’art, les street artists sont encore nombreux
à réaliser des œuvres de rues, et même les plus célèbres comme Banksy, Fekner ou Fairey.
L’anti-pub profite de la popularité dont joui le Street Art. Le Billboard Liberation
Front se retrouve ainsi invité à parler lors d’un conférence sur l’art de rue dans un musée.
Les Déboulonneurs et le BLF sont tous deux cités dans des ouvrages sur le Street Art ou
l’art illégal. Nous notons que l’anti-pub est accepté dans le milieu de l’art pour ses rapports
avec le Street Art, ou son statut de pratique artistique illégale. Ils sont cependant cités
comme références ce qui donne à l’anti-pub un véritable statut au sein du monde artistique.
Il s’est agi enfin d’une exposition anti-pub réalisée par les Casseurs de Pub. Le
groupe lyonnais expose habituellement ses coupures de presses et créations anti152
publicitaires dans des lieux associatifs (type MJC). En 2012, ils exposent à Genève au
Zabriskie point. Ce lieu n’est pas une galerie au sens conventionnel du terme. Il s’agit d’un
ancien arrêt de tramway. Les œuvres ne peuvent être vues de que de l’extérieur, séparées du
public par une vitre. Drôle de façon de concevoir l’anti-pub : pas d’utilisation de support
publicitaire contrairement à tous les autres groupes cités précédemment. Comme
Adbusters, les Casseurs de Pub agissent principalement pour leur revue. Cependant
Adbusters publie des photomontages de détournements publicitaires installés à
l’emplacement de véritables publicités. Les Casseurs de Pubs s’éloignent ainsi du public en
ne se soumettant à la dégradation progressive de toute pièce de l’art de rue et de l’anti-pub.
Le Street Art et l’anti-pub sont des arts éphémères, soumises au recouvrement d’autres
artistes ou à l’enlèvement par les brigades anti-tag. Ainsi les œuvres sont protégées des
intempéries. Cependant il est difficile de dire que l’anti-pub s’institutionnalise par cette
exposition. Il s’agit pas véritablement d’une galerie conventionnelle. Plus que le Street Art
l’anti-pub semble opposée au monde de la galerie. Les pièces étant généralement réalisée in
situ sur les panneaux publicitaires. C’est ainsi qu’elles offrent le plus d’impact et de
visibilité. Bien sûr comme pour le Land Art des photographies d’actions pourraient être
exposées.
L’anti-pub semble se situer au carrefour de plusieurs disciplines entre art de rue et
activisme politique. L’importance du politique diffère en fonction des œuvres. L’artiste
Kaws et les Humains Associés utilisent l’espace publicitaire comme un espace que les
artistes (et le peuple) doivent réapproprier. Le Billboard Liberation Front et Dc Gecko
veulent révéler le message sous-jacent des publicités. BUGA-UP et les Déboulonneurs
souhaitent pouvoir donner une légitime réponse aux annonceurs. Des pratiques artistiques
variables qui atteignent des objectifs politiques différents. L’artistique de ces pièces antipub s’exprime lui aussi de manière différente. L’anti-pub est une part de la pratique
artistique de certains comme Kaws, Fekner, Banksy Cut-Up... Tandis que pour d’autre il
153
s’agit de l’essentiel de leur pratique (PosterBoy, BLF, Déboulonneurs, BUGA-UP...). Pour un
domaine comme l’anti-pub où la frontière semble mince entre art et politique comment
définir ce qui appartient au domaine de l’art. Certains groupes ont été élevés au rang
d’artistes en étant cités comme référence dans des ouvrages artistiques ou dans des
musées. Reconnus ainsi par leurs pairs ils accèdent au milieu de l’art. D’autres comme
BUGA-UP et Casseurs de Pub utilisent des pratiques et un vocabulaire propre au monde de
l’art, s’élevant ainsi eux-même au rang d’artiste.
L’anti-pub a connu un essor ces dix dernières années. Plusieurs groupes notables ce
sont développés notamment les Déboulonneurs en 2005. La réunion annuelle du Brandalism
composée de street artists qui occupent les espaces publicitaires en peu partout sur le
Royaume-Uni, symbolise cet engouement pour l’anti-pub. Les espaces publicitaires
apparaissent comme de nouveaux espaces à conquérir. Extrêmement bien situés, il offrent
des toiles urbaines à la visibilité incomparable.
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manifestation du 5 mai 2013 à Paris. Annexes Tome 2 – 7.
RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, Stop pub, autocollant diffusé depuis une
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lors de la manifestation du 5 mai 2013 à Paris. Annexe Tome 2 – 7.
RÉSISTANCE À L’AGRESSION PUBLICITAIRE, La pusb, c’est là qu’elle attaque, autocollant
diffusé notamment lors de la manifestation du 5 mai 2013 à Paris. Annexes Tome 2 – 8.
LES DÉSOBÉISSANTS, Tous les jours je lave mon cerveau avec la pub, autocollant diffusé
depuis une quinzaine d’années sur les lieux d’actions anti-pub et lors des manifestations,
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à Paris. Annexes Tome 2 – 11.
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LES DÉBOULONNEURS, Pari tenu : l’action des Déboulonneurs était vraiment
extraordinaire, http://www.deboulonneurs.org/, 25 novembre 2012. Annexes Tome 2 – 17.
LES DÉBOULONNEURS, Compte rendu de la 62ème action du Collectif des Déboulonneurs
et Déboulonneuses de Paris. Action du 30 novembre 2013 à Paris gare du Nord ,
http://www.deboulonneurs.org/, 25 novembre 2012 Annexes Tome 2 – 18.
170
Filmographie
« A Fishfull of Dollars » (« Cinquante millions d’anchois »), in Futurama, GROENING Matt,
saison 1 épisode 6, 27 avril 1999, Fox.
Český sen, (Un rêve Tchèque) , Vít Klusák et Filip Remunda, République Tchèque, 2005, 90
min.
D'elles à Nous ... Les publicités sexistes, Marjorie Champagne, Canada, 2012, 8 min.
The Yes Men : Changing the world one prank at a time, The Yes Men, MGM studios inc.,
États-Unis, 2006, 83 min.
Exit Through the Gift Shop, (Faites le mur), Banksy, États-Unis et Royaume-Uni, 2010, 86
min.
Femmes affiches, femmes potiches, on en a plein les miches !, Collectif contre le
publisexisme, France, 2002, 37 min.
La domination masculine, Patric Jean, France, 2009, 103 min.
La société du spectacle, Guy Debord, France, 1973, 88 min.
Le bonheur publicitaire est une chimère, Capone et Blocky, France, 2007, 14 min.
Le Distrait, Pierre Richard , France, 1970, 85 min.
Logorama, H5 (François Alaux, Hervé de Crecy et Ludovic Houplain), France, 2009, 16 min.
Montauban et les 400 panneaux, Alex Smith, France, 2006, 56 min.
Prêt à jeter, Cosima Dannoritzer, France, Suisse, Espagne, 2010, 74 min.
171
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil , Jean Yanne, France, 1972, 105 min.
They Live (Invasion Los Angeles ), John Carpenter, États-unis, 1988, 93 min. D'après la
nouvelle de Ray Faraday Nelson Eight O'Clock in the Morning (Les Fascinateurs) écrite en
1963.
Webographie
◦ Sites anti-pub
Billboard Liberation Front : http://www.billboardliberation.com/
BUGA-UP
Adbusters
L’église de la très sainte consommation : http://www.consomme.org/
Brigade Anti Pub, site crée en 2004 par Francisco Burzy : http://bap.propagande.org/
Casseurs de Pub : http://www.casseursdepub.org/
Collectif des 62 : http://lecollectifdes62.free.fr/
Collectif contre le Publisexisme (CCP) : http://ccp.samizdat.net/
« Joe Chemo: A Camel Who Wishes He’d Never Smoked » : http://www.joechemo.org/
« Danger écrans publicitaires » : www.danger-ecranpub.tk
La Meute : http://www.lameute.fr
172
Les Humains associés : http://www.humains-associes.org/
Paysages de France : http://www.paysagesdefrance.free.fr /
Résistance à l'agression publicitaire (RAP) : http://antipub.org/
Collectif des Déboulonneurs : http://www.deboulonneurs.org/
◦ Sites de street artists
Le M. U. R. association (Modulable, Urbain, Réactif) : http://lemur.asso.fr/
Banksy (site officiel) : http://www.banksy.co.uk
Banksy-art (site français) : http://www.banksy-art.com/
Bubble project : http://www.thebubbleproject.com/
Ernest Pignon-Ernest : http://www.pignon-ernest.com/
Guerrilla Girls : http://www.guerrillagirls.com/
Wooster Collective : www.woostercollective.com
ZEVS : http://www.gzzglz.com/
◦ Sites de luttes alternatives
173
Alternatives non-violentes : http://www.anv-irnc.org/
Les Désobéissants : http://www.desobeir.net/
Non-violence Midi-Pyrénées (Centre de Ressources sur la non-violence de Midi-Pyrénées) :
http://www.non-violence-mp.org/
Clan du Néon : http://clanduneon.over-blog.com/
La Gazette des femmes : tout sur la conditions des femmes du Quebec et d'ailleurs :
http://www.gazettedesfemmes.ca/
Les Chiennes de Gardes : http://www.chiennesdegarde.com/
Mix-Cités : http://www.mix-cite.org/
174
Table des matières
Introduction............................................................................................................................. 3
Chapitre I................................................................................................................................. 8
Typologie de l’anti-pub............................................................................................................ 8
1. Définition de publicité.....................................................................................................9
2. Définition de l’anti-pub.................................................................................................13
3. L’émergence de l’anti-pub............................................................................................16
Contexte d’émergence.................................................................................................16
Groupes pionniers........................................................................................................20
The Billboard Liberation Front (USA).......................................................................20
Les Humains Associés (France)..............................................................................34
Adbusters (Canada).................................................................................................37
4. Les Déboulonneurs......................................................................................................41
Conclusion........................................................................................................................ 46
Chapitre II.............................................................................................................................. 48
L’anti-pub, au croisement entre l’art et la politque.................................................................48
1. L’anti-pub et le Street Art : des frontières perméables..................................................50
Définition Street Art......................................................................................................51
Un même lieu d’action : la rue comme toile..................................................................55
Une technique commune : le Culture Jamming............................................................61
2. L’anti-pub, un carrefour de luttes sociales....................................................................69
Définition activisme......................................................................................................70
Définition artivisme.......................................................................................................74
S’attaquer à la vitrine du capital...................................................................................77
Un mouvement lié à d’autres contestations..................................................................84
Le refus d’une société vidéo-surveillée....................................................................85
Liens avec l’activisme écologique............................................................................91
3. Lutte contre le publisexisme, une symbiose entre anti-pub et féminisme.....................99
Un mouvement issu de la deuxième vague féministe.................................................101
Le publisexisme : l’image de la femme.......................................................................105
Lutter contre le sexisme dans la pub..........................................................................110
Conclusion...................................................................................................................... 116
Chapitre III........................................................................................................................... 118
L’art dans l’anti-pub, l’anti-pub dans l’art.............................................................................118
1. La réception de l’anti-pub...........................................................................................120
Le public de la rue......................................................................................................120
Réaction des publicitaires..........................................................................................127
La médiatisation de l’anti-pub.....................................................................................131
175
2. L’institutionnalisation de l’anti-pub..............................................................................138
Esthétique de la réception des arts urbains................................................................139
Des galeries pour l’anti-pub........................................................................................142
Conclusion...................................................................................................................... 147
Conclusion.......................................................................................................................... 149
Bibliographie....................................................................................................................... 154
Ouvrages spécialisés......................................................................................................154
Textes fondateurs.......................................................................................................154
Écrits sur la publicité..................................................................................................155
Le Publisexisme.........................................................................................................156
Le Street-Art............................................................................................................... 158
Ouvrages généraux........................................................................................................ 159
Art.............................................................................................................................. 159
Révolte sociale...........................................................................................................160
Philosophie et économie............................................................................................163
Culture anti-pub.......................................................................................................... 164
Périodiques et articles.....................................................................................................165
Tracts.............................................................................................................................. 167
Filmographie................................................................................................................... 170
Webographie..................................................................................................................171
Sites anti-pub............................................................................................................. 171
Sites de street artists..................................................................................................172
Sites de luttes alternatives.........................................................................................172
176
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