Séminaire Identités et Mobilisations Année 2007-2008 Les sciences sociales au secours du communiquant ? Des stratégies identitaires des professionnels en communication politique. par Nicolas FOUQUÉ, sous la direction de Christian LE BART 3 Avertissement : Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un apprentissage de la recherche. Il est donc nécessairement inabouti et présente des imperfections et des insuffisances. Par ailleurs, l’IEP n’entend donner aucune approbation aux informations et aux analyses contenues dans ce mémoire. Elles doivent être considérées comme relevant de la seule responsabilité de l’auteur. Remerciements : Je tiens à remercier tout particulièrement Claire, pour l’inspiration, le soutien et les traductions. Je remercie mes parents et mes colocataires, pour leur soutient et leur patience, ainsi que Charlotte pour ses conseils et Véronique pour son aide documentaire précieuse et quelque peu inespérée. Enfin je souhaite adresser mes remerciements à Messieurs Christian Le Bart, JeanFrançois Polo et Madame Dominique Maliesky, ainsi qu’à tous les membres et intervenants du séminaire Identités et Mobilisations 2006-2007 pour leur soutient dans cette première expérience de recherche, parfois difficile. Illustration page précédente : Raymond Barre et Jacques Chirac au Palais Omnisport de Bercy le 29/04/1988 par Raymond Depardon, Paris, Actes Sud, coll. Photo Poche n°81, 2006. « De toute façon, aujourd’hui on vend de la politique comme on vend de la lessive… » Madame Michu, Ménagère de moins de 50 ans. SOMMAIRE INTRODUCTION.....................................................................................................................................................8 Présentation du thème de recherche...................................................................................8 Choix du sujet.................................................................................................................. 10 Cadre théorique et définition de la problématique...........................................................12 Présentation de la démarche d’enquête et du plan d’argumentation................................22 CHAPITRE I 27 La communication politique : un champ professionnel en soi ?.............................................................................27 I. Le marketing politique : filiation et émancipation théorique........................................... 27 A. L’importation du modèle technique de marketing commercial................................... 28 B. L’émergence de la figure du conseiller en communication..........................................31 II. La place du communicant en politique : ambiguïtés et controverses d’un statut professionnel......................................................................................................................... 33 A. Le marketing politique comme facteur de mutation du champ politique.................... 33 A. Le flou constitutif de la communication politique....................................................... 35 CHAPITRE II 38 L’identité professionnelle du conseiller en communication politique : objet d’étude sociologique ?....................38 I. Le processus identitaire au travail : de la dualité identitaire à la démarche transactionnelle ............................................................................................................................................... 39 A. L’importance du cadre professionnel dans la construction identitaire.........................40 B. Les stratégies identitaires professionnelles.................................................................. 42 I. L'identité stigmatisée : la construction identitaire face à la catégorisation. ..................... 46 A. La catégorisation identitaire des communicants politiques. ........................................47 A. La transaction identitaire objective : du stigmate publicitaire à l'identité réelle..........49 CHAPITRE III 55 Les sciences sociales : ressource identitaire du communicant en politique ?......................................................... 55 I. Jacques Séguéla : les affinités électives.............................................................................56 A. L'identité affinitaire......................................................................................................56 A. Une prise de distance avec la science positive. ...........................................................58 ii. Des références activées en cas de "crise" identitaire.................................................... 67 II. Thierry Saussez : Le professionnel.................................................................................. 70 A. L’identité négociatoire................................................................................................. 70 ii. La proximité au champ professionnel...........................................................................71 iii. La déférence aux sciences sociales..............................................................................73 III. René Zayan : l’analyste analysé. .................................................................................... 82 A. L’identité du retrait...................................................................................................... 82 ii. De la définition à la diffusion des communicationnelles politiques............................. 83 iii. Le glissement vers les sciences dures.......................................................................... 88 CONCLUSION....................................................................................................................................................... 93 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................................. 98 ANNEXES 103 7 INTRODUCTION Si nous ne les avons pas nous même déjà tenus, nous avons tous pu entendre, lors de nos discussions ou débats à prétention politique, ce constat sans appel qui attribue aux méthodes de communication politique les mêmes finalités et modalités que celles qui ont fait leurs preuves dans le cadre commercial. Finalement, les techniques seraient identiques lorsqu'il s'agit de représenter aussi bien une grande marque de services ou de produits manufacturés qu’un parti ou un homme politique en campagne. Pourtant, conclure à un parfait parallélisme entre les marketings commerciaux et politiques peut nous paraître excessivement catégorique. Poussant plus loin la discussion, les opposant à l’hypothèse d’un « décalquage » des stratégies de communication se retrouveront irrémédiablement amenés à convoquer les spécificités que l’on prêterait instinctivement au concept mis en débat qu’est le message de communication politique. Il convient alors le plus souvent de concéder au "produit politique" des un caractère particulier car portant par essence des valeurs que l’on ne saurait résoudre au cadre du simple objet de marketing. Présentation du thème de recherche Du « paquet de lessive » comme objet de la communication politique. Car on pourrait toutefois être tenté de donner du crédit à cette assertion commune de la “marchandisation” de la vie politique, notamment si l’on considère les dernières réalisations audiovisuelles et marketing réalisées pour les campagnes primaire et présidentielle qui ont eu lieu au deuxième semestre de l’année 2006, alors que la bataille électorale battait son plein. Cette période, stratégiquement agitée, nous aura fourni parmi les plus beaux exemples de ce que l’on a tôt fait de considérer comme des excès de communication politique. On aura pu y voir par exemple un candidat socialiste à l’investiture de son parti recycler le tube de la coupe 8 du monde de football pour animer musicalement ses meetings, comme on organiserait un show commercial préparant le lancement d’un nouveau produit (la suite des évènements n’aura pas donné crédit à la voie ainsi choisie par Dominique Strauss-Kahn). D’un autre côté, on a assisté à l’été 2006 à la distribution sur les plages de tongues imprimant dans le sable le logo du parti politique de l’UMP. Une telle méthode peut alors clairement nous renvoyer à des techniques développées dans le cadre des campagnes de marketing commercial, tel que le « street marketing ». De même, chaque échéance électorale est l’occasion de voir s’affronter de nombreux modèle de tee-shirt portant les couleurs et les devises des partis et des candidats, comme autant de logos et de slogans de marques. Enfin, quand ils ne se soucient pas de notre style vestimentaire, les partis politiques semblent aussi vouloir pourvoir à nos besoins alimentaires en organisant de grande distribution de leurs emblèmes fruitiers (cet étonnant mouvement lancé par les "pommes chiraquiennes" de 1995 ayant fait des émules en 2007 avec les "clémentines bayrouistes"). Il semblerait donc que depuis les années 1980, il soit devenu véritablement difficile de distinguer les caravanes politiques de celle du Tour de France, alimentant de ce fait le discours profane sur la communication politique qui l’associe étroitement au marketing tel que nous le connaissons à travers les produits de grande consommation. On remarque aussi que cette imbrication de la communication politique et de la communication commerciale (que l'on acceptera sous l'appellation commune de « publicité ») se fait de plus en plus étroite quand la publicité elle-même pastiche justement ce nouveau modèle de communication politique. Cela a été le cas à la fin de l’année 2006, lorsque la marque de grande distribution de meubles Ikea a parodié très fidèlement le film de campagne « La France d’après » du candidat Nicolas Sarkozy (en reprenant certains des grands thèmes abordés dans le spot – insécurité face à l’avenir, conflit générationnel, morosité du moral des français – tout en accompagnant les images d’une imitation de la voix du futur président). Le plus étonnant étant que ledit spot politique était construit sur une reproduction particulièrement fidèle de nombreux extraits de films publicitaires immédiatement reconnaissables (les emprunts les plus frappants étant ceux faits aux bébés-nageurs de l’eau minérale Evian, aux groupes d’enfants multiethniques de l’opérateur Cisco ou aux plans de foules monts en vitesse accélérée d’un spot EDF, mais plus que tout, l’utilisation d’ombres de danseurs sur des fonds d’aplat colorés qui cite directement la campagne à succès du baladeur iPod d’Apple)1. L’enchaînement, dans un montage particulièrement découpé, de scènes 1 Cette vidéo peut encore être vue à l’adresse : http://www.dailymotion.com/video/xi0rg_clip-ump-la-france- dapres_ads 9 paradigmatiques d’une vie quotidienne faisant se succéder les images en lien avec les sphères privés (essentiellement familiale) et publics (avant tout professionnelles), venait en contrepoids de l’énoncé des grands axes du programme électoral par la superposition d’un discours en voix-off de Nicolas Sarkozy. On se trouvait alors face à un schéma particulièrement normé et facilement identifiable, la communication politique en étant arrivée à un niveau de “phénomène culturel”, avec un modèle, un “patron” de communication immédiatement repérable autour d’images stéréotypiques, de mots clefs, mais aussi dans le ton, la prononciation, le rythme de la voix, ainsi que dans les formules et slogans calibrés des programmes et des affiches électorales. Pour autant, cette communication politique, qui apparaît si omniprésente (et omnipotente ?) dans la bataille politique contemporaine se résume-t-elle à cette analogie aux techniques de marketing généralement admises ? De fait, pour envisager la multiplicité des enjeux et des modèles qui déterminent cette communication politique, il nous faut discerner les modalités internes de réalisation de ces campagnes de communication bien particulières. Il nous faudra déterminer les éléments théoriques et matériels à partir desquels sont conçues et réalisées ces campagnes. Et c’est auprès du principal intéressé qu’il nous faudra tenter de repérer ces informations. Car les « communicants », comme on les appelle, ne sont pas seulement des agents de leur statut professionnel, ils en sont aussi et surtout les acteurs. De ce fait, ils participent autant à la construction de ce statut que les méthodologies et les techniques qui leurs préexistaient. Aussi, ils sont dépendants des structures de leur environnement professionnel et des comportements qu’il induit chez eux. Notre premier questionnement s’attachera donc à découvrir quelles ressources le professionnel en communication mobilise-til dans le cadre d’une campagne politique. Choix du sujet La théorie en action : la société de la communication en campagne. En partant de cet élément de sens commun, le sujet ainsi retenu revêtait pour nous un premier intérêt personnel particulier, celui de chercher à entrevoir, et peut-être à dévoiler, les 10 rouages d’un phénomène qui s’apparente à un “mensonge consenti”, qui participerait de ce que l’on désigne en anglais comme le processus de “partipulation” (que l’on adapterait en “manipulation participative”), expression qui rendrait compte de cette participation à la manipulation expérimentée par les récepteurs du message politique. Cette “manipulation” des acteurs émetteurs du message politique recouvre donc les effets d’influences médiatiques à l’œuvre dans le déroulement d’une campagne de communication. Car si nous nous affirmons comme étant à même de repérer et de potentiellement déjouer ces techniques de communication, comment peuvent-elles à ce point disposer de l'efficacité qu'on leur prête volontiers (l’augmentation quantitative des recours des groupes politiques aux entreprises de marketing en étant alors le révélateur). A ce premier aspect du sujet ayant retenu notre attention (l’efficience prétendument reconnue de tous de la communication politique), on rajoutera sa dimension pluridisciplinaire. Un tel questionnement se retrouve en effet à la croisée de thèmes qui ont pu être abordés autant par la science politique, les sociologies de la communication et des médias et aussi bien la sociologie professionnelle que la psychologie sociale. Ce thème de recherche nous permet par exemple d’envisager les questions identitaires, très étudiées en sociologie lors de ces deux dernières décennies et qui semblent représenter un grand axe de recherche contemporain de ce champ disciplinaire, tout en nous attachant à l’étude d’un groupe professionnel particulier. Mais en vérité, cet objet d’étude représente principalement à nos yeux une opportunité convaincante d’observer l’un des éléments nous renseignant sur l’une des mutations sociales actuelles majeures : ce que l’on a désigné comme l’avènement de la « Société de communication ». Car c’est bien la centralité de la communication dans les théories des sciences sociales et humaines qui nous amène à considérer le cas de la communication politique. Selon Jacques Gerstlé, la communication politique était considérée comme triviale et illégitime il y a encore trente ans avant de devenir aujourd’hui "à la mode". Alors que l’intérêt pour la politique décroît (on retrouve ici l’idée, largement développée et discutée en science politique, de crise de la représentativité politique, que Gerstlé désigne comme un «désenchantement démocratique »2), l’intérêt pour la communication est en augmentation constante et on en vient à parler de "culte" de la communication, dans une société basée sur le "tout communicationnel". Dans son principal ouvrage, La communication politique, Gerstlé parle de centralité de la communication dans la société car il est impossible de penser le lien social hors de la communication. Il s’applique d’ailleurs à faire remonter ce postulat jusqu’à 2 Gerstlé J., La communication politique, Paris, A. Colin, 2004, page 1. 11 l’isegoria d’Aristote, c’est-à-dire au droit fondamental à prendre la parole, principe fondateur du fonctionnement du système démocratique. Ce principe communicationnel apparaît donc comme l’un des axes d’étude sociologique les plus importants dégagé récemment. Ce constat épistémologique sera aussi présent chez Erik Neveu qui déclare dans son livre sur la société de la communication que dorénavant « de l’entreprise aux hommes politiques en passant par les administrations tout communique, chacun doit communiquer pour obéir à l’impératif de la modernité »3. Dans ce précis faisant la somme des principaux travaux de recherche sur le sujet, il démontre que des membres de l’Ecole de Francfort (en particulier Theodor W. Adorno puis Jürgen Habermas et Herbert Marcuse) à Serge Tchakhotine, Norbert Weiner, Daniel Bell, Michèle Crozier, Alain Touraine et bien évidement Marshall Mac Luhan, les thématiques communicationnelles ont irrigué les réflexions des plus grands auteurs en sciences humaines et sociales de la deuxième moitié du XXème siècle. Revenant à l’analyse de Gerstlé, celui-ci nous précise que le champ politique n’échappant pas à cet état de fait, « la politique sans communication serait impossible puisque la société elle-même sans communication est impensable »4. De ce fait, la communication s’impose ici comme « le pré-requis du lien social »5 indispensable à l’unité politique. Les deux tendances contradictoires que connaissent les champs du politique et de la communication sont-ils alors liés ? Y aurait-il, comme le suggère Gerstlé, une « corrélation négative »6, une causalité avérée, qui les placerait dans un système de "vases communicants" organisant un transfert de légitimité d’un champ vers l’autre ? Enfin, le calendrier de réalisation de ce travail de recherche offrait à ces théories générales l’occasion d’être mis en perspective empiriquement par la prise en compte du contexte électoral récent de la campagne électorale de 2007. Ce cadre particulier appuya dans un premier temps notre analyse avant d’en dessiner, comme nous le verrons par la suite, les limites méthodologiques. Cadre théorique et définition de la problématique L’acteur individuel et ses stratégies comme champ d’investigation. 3 Neveu E., Une société de communication ?, Paris, Montchrestien, 2006, page 7. Ibid., page 16 5 Ibid., page 16 6 Ibid., page 10. 4 12 Au regard de la production littéraire sociologique, le corpus théorique se penchant sur les questions de communication politique se fait paradoxalement assez pauvre, surtout concernant les travaux français, pour un sujet que l’on dit tellement d’actualité. C’est que, si l’on peut compter de nombreux travaux réalisés sur la communication publique, ils se font plus rares à s’être portés sur la communication politique en particulier. Le travail de Jacques Gerstlé dans son livre La communication politique, fait, comme on a pu déjà le voir, toutefois office d’ouvrage incontournable sur le sujet. Mais peu de travaux se sont spécifiquement concentrés sur le marketing politique en tant que tel et encore moins sur les acteurs représentants de cette activité professionnelle. A ce titre, les deux ouvrages qui s’imposent comme des références sur cet objet sont le livre de Philippe J. Maarek Communication et marketing de l’homme politique ainsi que le Marketing et communication politique de Serge Albouy. Ces derniers prennent malheureusement parfois trop largement valeur de manuels normatifs et prescriptifs ne s’attachant pas à proposer de véritable travail d’analyse sociologique de ce groupe professionnel. Ces considérations sur l’état de la recherche sociologique sur le sujet de la communication politique nous mettent aussi face à la nécessité d’une première précision concernant les termes de notre recherche. Il nous faut effectivement dresser ici les limites de notre champ d’investigation et effectuer une nécessaire distinction entre communication publique et politique. Nous étudierons dans le cadre de cette recherche la communication « politique » et non « publique » (qui prend en compte les stratégies de communication des institutions, organismes, entreprises et représentants publics). Pierre Zémor, spécialiste de la communication publique propose de faire le tri « entre la communication attachée à la conquête du pouvoir, à coup sûr politique, voire politicienne, et celle de l'exercice du pouvoir »7. Il ne s’agira donc pas d’étudier le système "étatique" ou institutionnel de la communication (on ne se livrera pas, par exemple, à l’étude des politiques publiques construites et mises en place par le Ministère de la Culture et de la Communication, ou par une région administrative, un département, etc.). Dans ce cadre désormais délimité, nous avons estimé qu’il pourrait être pertinent de retenir la personne du communicant en politique, autant que possible issu des organes privés de marketing commercial, comme angle d’attaque de notre étude. Cet acteur représente en effet à nos yeux une figure intéressante car située à l’entre deux de la communication et de 7 Zémor P., La communication publique, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, n° 2940, 2005, page 113 13 l’action politique. De plus, cet individu particulier trouve pertinemment sa place dans le cadre théorique que nous avons retenu. Pour encadrer théoriquement notre recherche, nous avons tout d’abord fait appel au travail de Daniel Gaxie et plus particulièrement à sa conception des structures et des modes de fonctionnement du système politique de la démocratie participative. Son postulat étant singulièrement définitif (d’aucun dirait qu’il peut être "catégorique"), notons qu'il relève bien d'une vision particulière du champ politique. Gaxie déclare en effet que « la démocratie représentative se donne à voir comme une compétition pour la conquête de positions de pouvoir dans l’Etat »8. Les champs politiques (en relation avec les autres milieux de spécialistes), apparaissent ainsi comme la structure d’offre d’un marché politique, c’est-à-dire « d’un espace de transactions entre les agents politiquement actifs et des profanes, des groupes, des organisations et des institutions »9. Il place donc le champ politique au cœur d’une analogie avec un modèle de marché économique, présentant les mêmes caractéristiques et étant régi par les même mouvements, à commencer par un système classique de lois d’offre et de demande et d’inflation des moyens alloués à l’action menée sur ce marché concurrentiel10. De fait, si les professionnels (individuels ou collectifs) de la politique sont présentés comme des entrepreneurs offreurs de « discours, de conceptions du monde, de promesses ou de programme d’action, de services, d’interventions, etc., que l’on peut analyser comme des biens»11, donc des produits politiques proposés « intentionnellement ou de facto » à des électeurs consommateurs, il n’est pas interdit de penser que, comme dans le cas des échanges commerciaux, une classe professionnelle à part entière se charge de jouer un rôle d’intermédiaire entre ces acteurs. Sa tâche sera ainsi de relayer les données nécessaires à la réalisation de cette transaction que devient alors le transfert de souveraineté légitime dans le cadre de la représentation politique. Ce qu’un publicitaire réalise pour la vente d’un produit manufacturé ou d’une prestation de service, un professionnel en communication politique serait tout autant à même de le faire pour le produit politique. Car il s’agirait alors dans chacun de ces cas de figure de communiquer de la façon la plus efficace possible sur les caractéristiques de l’entité à représenter en formulant le meilleur message, l’émergence de la 8 Gaxie D., La démocratie représentative, Paris, Montchrestien, 2003, page 11. Ibid., page 27. 10 « La tendance à l’unification des divers espaces de luttes et de transactions politiques a pour effet d’intensifier la compétition. […] Cette accentuation de la concurrence accroît les investissements nécessaires », ibid., page 55. 11 Ibid., page 27. 9 14 figure professionnelle du conseiller en communication politique apparaissant alors comme « l’expression d’un effort systématique de rationalisation de l’activité politique »12. On pourra retrouver ce cadre d’analyse dans les écrits de Jean-Marie Cotteret, qui inscrit « l’utilisation de la communication dans la phase de conquête du pouvoir »13, ce qui constitue pour lui la définition même du « marketing politique ». Partant de ce cadre théorique global, nous pouvons désormais en venir plus directement aux théories qui se sont appliquées à établir les caractéristiques, les structures et les mouvements inhérents au champ professionnel de la communication politique. Cotteret nous en propose une première définition, qu'il introduit de façon relativement globale. Selon lui, la communication politique : « c’est l’action d’un homme, ou d’un parti, qui, par les moyens de communication dont il dispose, tente de renforcer ou de modifier l’opinion et le comportement des électeurs pour obtenir le maximum de voix et être élu »14. Ce premier éclaircissement semble s’inspirer d’une définition d’ordre psychosociale, en mettant en avant l’utilisation de techniques de modification comportementale pour amener un individu à réaliser une action en infléchissant sur l’orientation de sa volonté. Il nous paraît ainsi nécessaire de pousser plus avant la précision de la définition de l’activité de communication politique, et pour ce faire, nous nous intéresserons aux travaux de Jacques Gerstlé, qui nous propose notamment de distinguer avant toute chose quatre approches de la communication politique : Dans un premier temps, il présente ce qu’il désigne comme une vision « œcuménique » de l’objet. Pour préciser ce concept, il s’appui sur les travaux de Pippa Norris, qui proposent d’envisager la communication politique comme « un processus interactif concernant la transmission de l’information entre les acteurs politiques, les médias d’information et le public (Norris, 2000)»15. On se trouve ici au sein d’un échange systémique d’informations, sans qu’y soient mentionnés les possibles rapports de force entre les acteurs ou l’asymétrie d’information pouvant régir ces relations. Car l’égalité supposée des acteurs préside dans ce cas à la communication. On ne considère donc ici qu’une seule et unique communication politique hypothétiquement légale et conventionnelle dans laquelle on n’échangerait 12 Ibid., page 56. Cotteret J-M., Gouverner c’est paraître : réflexion sur la communication politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, page 81. 14 Ibid.., page 81. 15 Gerstlé J., op. cit., page 10. 13 15 que de l’information et non pas des symboles, des valeurs, des représentations, bref, des biens symboliques. Poursuivant cette conception, Gerstlé s’inspire de l’analyse de Dominique Wolton qui considère quant à lui que la communication politique est « l’espace où s’échange les discours contradictoires des trois acteurs qui ont la légitimité à s’exprimer publiquement sur la politique et qui sont les hommes politiques, les journalistes et l’opinion publique, au travers des sondages »16. On note alors que le professionnel en communication se trouve être absent de cette définition, ce qui le rendrait illégitime à s’exprimer sur le message politique. Gerstlé poursuit sa démonstration en nous présentant la conception « délibérative », où « la communication et la politique sont consubstantielles »17, car de ce point de vue, « c’est dans la discussion, le débat collectif que se trouvent les conditions d’une démocratie élargie où l’inclusion des citoyens en nombre grandissant (…) permet la formation d’un véritable espace public »18. La communication est entendue cette foisci comme un principe nécessaire au débat public sur les termes de l’association politique dans le cadre d’une démocratie délibérative, donc comme le moyen fondamental permettant l’établissement d’un débat sur les termes de l’association politique dans l’espace public. Il propose ensuite une conception « compétitive ». On part ici de l’analyse de Jay G. Blumler qui institue la communication politique comme « une compétition pour influencer et contrôler, grâce aux principaux médias, les perceptions publiques des évènements politiques majeurs et des enjeux »19. Il s’agit dans ce cas d’un instrument de la lutte qui vise à s’assurer le contrôle des perceptions symbolique que se feront les individus de la société dans laquelle ils évoluent. Cet accès à la position d’autorité dans la définition et l’imposition de ces représentations collectives pourra se réaliser par le biais des médias de masse. On attribue dans ce cas un rôle central à l’utilisation des outils cognitifs et symboliques dans les processus politiques car l’objectif est de construire et de diffuser du sens que les récepteurs (électeurs-administrés) devront à terme intégrer. Vient enfin la vision dite « instrumentale » de la communication politique. Elle est ici constituée par « l’ensemble des techniques et des procédés dont disposent les acteurs politiques, le plus souvent les gouvernements, pour séduire, gérer et circonvenir 16 Ibid., page 14. Ibid., page 12. 18 Ibid., page 12. 19 Ibid., page 11. 17 16 l’opinion »20. C’est un procédé, une "boîte à outils" que mobiliseront des techniciens spécialisés. Cette perception induit donc une distinction entre le champ politique et celui de la communication, et on y assimile la communication politique au marketing politique qui est présenté comme le produit de trois instruments principaux : la télévision, les sondages et la publicité. Ici, la communication politique s’axe principalement autour du savoir-faire et de l’expertise dans l’utilisation de ces outils. C’est cette dernière perspective qui retient notre intérêt, car donnant une importance primordiale au volet pragmatique de la construction de la figure du professionnel en communication politique, c'est-à-dire une communication politique circonscrite à un ensemble de spécialités techniques et de pratiques professionnelles. On se concentrera alors sur les pratiques communicationnelles de conquêtes du pouvoir (le marketing politique, en période électorale ou non) plutôt que d’exercice du pouvoir (les relations publiques, la communication administrative ou gouvernementale), quand à elles plus souvent mises en œuvre dans le cadre de la vision délibérative de la communication politique (où la finalité devient celle de la construction d'un espace public). Ainsi, dans une vie politique médiatisée, le marketing politique apparaît comme un outil de « rationalisation » de la compétition politique. Comme les sondages d’opinion, le marketing politique se réclamerait dès lors d’une démarche scientifique dans l’élaboration de ses programmes et ses stratégies de communication. Philippe J. Maarek, spécialiste de cette thématique de la communication politique, avance comme définition du marketing politique « l’élaboration d’une « politique » de la « communication politique » »21. Faisant de ces techniques une démarche générale appliquée au cadre de la compétition politique, il la définit comme « la conception, la rationalisation et l’accomplissement de la politique moderne »22. Cette démarche consiste donc en l’application de techniques de marketing commercial par les organisations politiques (partis, groupes de pression, organisations salariales) et par les pouvoirs public (administration, gouvernement) pour susciter, recueillir et gérer le soutient concentré (en période électorale par exemple) ou diffus de groupes sociaux ciblés. Le marketing politique est, dans cette conception, fondé sur le postulat d’une analogie dans l’analyse des comportements d’ « électeur » et de « consommateur », conception que l’on a déjà rencontrée dans les travaux de Daniel Gaxie. On cherche alors à représenter la société en segments dont il devient impératif de connaître les caractéristiques socio-démographiques, 20 Ibid., page 9 Maarek P. J., Communication et marketing de l’homme politique, Paris, Litec, 2007, page 3. 22 Ibid., page 3. 21 17 économiques, culturelles et politiques pour apprécier leur demande politique, afin d’y formuler une réponse. Cette étude de la demande prend sa forme la plus poussée lors de la compétition électorale pendant laquelle il sera nécessaire d’assister l’offre politique pour lui permettre de s’ajuster aux sections de la demande politique retenues. Pour faire appel à un vocabulaire commercial, on veut ici vendre un produit en persuadant la cible de ses qualités et/ou ajuster ce produit politique pour l’adapter au groupe de consommateurs ciblé, à la "niche commerciale" retenue. Dans sa réalisation pratique, le marketing politique fait appel à tout un éventail d’outils méthodologiques : à la sociologie électorale, aux sondages d’opinions et d’intentions de vote, aux entretiens (individuels et de groupe) et aux analyses statistiques (analyses de similarités et de préférences, modèles de simulation,…). Les sondages électoraux sont donc un outil privilégié d’analyse des prévisions de vote en rendant possible l’identification des cibles stratégiques. Toutefois, les médias utilisés dans le marketing commercial sont ouverts au marketing politique sous certaines conditions réglementaires variables selon les pays. En France, ces pratiques sont précisément régies par le cadre juridique issu de la loi du 15 janvier 199023. Le résultat en est une concentration sur la communication de masse avec accès payant ou gratuit (affichage, presse écrite, radio, télévision). Un marketing plus personnalisé comme le marketing téléphonique, le publipostage ou le démarchage est interdit en France par cette loi, tandis que ces techniques de télémarketing direct sont en plein essor ailleurs car se présentant comme particulièrement adaptées à la promotion du message et à la collecte de fonds. La communication de masse reste pour sa part cruellement anonyme, a pour effet d’uniformiser le message politique et ne permet pas l’acquisition de données sur les segments ciblés. Mais l’utilisation de tels fichiers nominatifs où seraient identifiés les électeurs reste problématique de part la collecte d’informations personnelles discriminantes. Une réponse juridique y a toutefois été apportée, puisque l’utilisation politique qui vise à détourner de tels fichiers commerciaux est interdite en France depuis une délibération de la Commission Nationale Informatique et Libertés de 1985. De cette rationalisation théorique du marketing politique a émergée une spécialisation indéniable de la technicité de la pratique communicante dans le cadre de la compétition politique, ce qui a conduit à la professionnalisation de cette activité. Pourtant, les théories 23 Pour de plus amples informations sur ce point, l’on peut se référer à l’analyse de cette loi disponible dans le texte de Guénaire M., Triet G., La nouvelle communication en période électorale : analyse de la loi du 15 janvier 1990, Paris, GLN-Joly, 1992. 18 générales de la communication politique ne rendent pas compte de cette spécificité. Les techniques de marketing politique apparaîtraient comme illégitimes aussi bien en théorie qu’aux yeux des acteurs avec lesquels ils rentrent en relation lors de la conduite de cette activité. Il semblerait même que, tour à tour, les publics de cette communication politique et les professionnels de l’action politique, sollicitant pourtant l’intervention de ces professionnels, s’accordent, de par des intérêts et des motifs certes différents, pour désigner cette catégorie comme le nouveau "bouc émissaire" de la politique contemporaine. A ce propos, Jacques Gerstlé précise que : « le développement de cette industrie politique nécessite un travail de légitimation sociale qui se heurte à un dilemme majeur : comment convaincre en même temps les candidats-clients potentiels que le marketing politique est efficace et les citoyens-cibles qu’il ne comporte pas de risque de manipulation, c'est-à-dire qu’il ne l’est pas ? »24. Aussi, c’est en revenant sur la vision œcuménique évoquée précédemment que l’on peut être amené à un premier questionnement sur la personnalité de ce professionnel, celui de savoir s’il se vit, lui-même, comme un acteur illégitime dans son expression et son action professionnelle, de par les répercutions qu’elles peuvent avoir sur le fonctionnement du champ politique ? Cela peut-il alors se traduire dans son comportement par un discours explicatif et revendicatif de cette légitimité qui peut lui être déniée dans ce type d’analyse ? Et dans cette hypothèse, quel serait le registre, les sources et le contenu argumentatif de ce discours ? On retrouve dans ces questions les deux grandes problématiques rencontrées par la communication politique contemporaine dégagées par Gerstlé : celles de son « ubiquité » et de la délimitation de son champ d’action, car activité « n’est pas assignée à résidence dans un site social fermé »25. En recentrant notre champ d’investigation sur une figure individuelle et les problèmes qu’elle peut rencontrer dans le cadre de l’exercice public de son activité de travail, il devient nécessaire de se pencher sur les analyses qui nous renseigneront sur la thématique des identités professionnelles. C’est notamment auprès des travaux réalisés par Claude Dubar que l’on pourra trouver les fondements théoriques de notre raisonnement. Dans son livre-somme La socialisation, il appui sa thèse sur les analyses préalables de Berger et Lückmann, chez qui il va recueillir l’idée développée par ces auteurs que la socialisation se définie comme la « construction d’un monde vécu ». Dubar pose en effet la socialisation comme « un processus 24 25 Gerstlé J., op. cit., page 66 Ibid., page 3 19 de construction, déconstruction et reconstruction d’identités liées aux diverses sphères d’activités [en ce qui nous concerne, professionnelle] que chacun rencontre »26. A cette première approche esquissée par Dubar, on pourra ajouter celle de Jean-François Blin, qui affirme quand à lui qu’une profession « se caractérise par des compétences spécifiques à partir desquelles des individus se reconnaissent et se nomment, par delà leurs contextes d’exercice »27. Il place alors au cœur de son analyse la notion de « professionnalité ». Il la définit comme « la question des multiples compétences mise en jeu dans le travail » qui ne peut « être séparée de la question du sens que les professionnels accordent à leurs pratiques et à leur interactions professionnelles »28. Il précisa alors que cette professionnalité ne peut se bâtir que sur l’expérience, « c’est-à-dire dans l’exercice concret du travail, en interaction avec d’autres professionnels »29. De là, il entreprend de distinguer activité « professionnelle », et activité « de travail », une profession n’étant pas simplement assimilable à un emploi ou uniquement réductible à un travail « car les professionnels détiennent une spécificité technique associée à une composante identitaire »30. On retrouve cette relation causale qui fait des compétences techniques l'origine du travail de définition identitaire d'un groupe professionnel chez les sociologues Robert et Tripier, qui dans leur article Rhétoriques professionnelles, décrivent ces constructions du monde comme organisées par une rhétorique précise selon laquelle : - « la profession est seule dépositaire de compétences techniques ; - le maintien de cette compétence suppose que l’on ferme le marché du travail de la profession en la réservant aux seuls " vrais dépositaires" de la compétence et en que la concurrence ne vienne troubler sa perpétuation ; - seuls les détenteurs de cette compétence sont capables de juger du caractère vrai ou faux, bon ou mauvais, de celle-ci, ils sont aussi seuls à pouvoir déterminer le ou les chemins critiques, les voies initiatiques, permettant effectivement son acquisition.»31. En ce qui concerne la présente étude, on se concentrera donc sur l’activité professionnelle et nous montrerons incessamment que ce choix a été en partie déterminé par des contraintes 26 Dubar C., La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Paris, A. Colin, 2000, page 10. 27 Blin J-F., Représentation, pratiques et identités professionnelles, Paris, L'Harmattan, 1997, page 15 28 Ibid., page 15 29 Ibid., page 15. 30 Ibid., page 15. 31 Robert D., Tripier P., « Rhétoriques professionnelles », in Dubar C., Lucas Y. (dir.), Genèse et dynamique des groupes professionnels, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires de Lille, 1994, page 246 20 d’investigation qui nous ont empêché d’observer empiriquement les acteurs choisis sur le lieu même de leur emploi et que de ce fait nous n’avons pas été à même d’examiner la démonstration "in situ" de leurs compétences de travail. C’est donc principalement sur la composante identitaire que nous ajusterons notre recherche. Le questionnement qui nous semble alors pertinent se retrouve centré autour du problème de légitimité de l’action de ces professionnels, situation née du décalage entre leur champ professionnel plus traditionnellement affilié à des logiques marchandes et privés et le champ d'exercice de l'activité politique au sein duquel viennent s'introduire leurs techniques professionnelles. Nous parlons ici de « légitimité », car si l’on considère que son activité professionnelle à des répercussions tangibles sur l’action politique, cet acteur aura comme nécessité de se présenter comme légitime pour faire reconnaître cette activité et la professionnalité qui y sera associée. Au regard du travail réalisé pour dégager la définition qu’il livrera et revendiquera de son statut professionnel (un statut au contour imprécis, à la croisé de plusieurs disciplines théoriques et catégories professionnelles), nous exprimons l’intuition forte qu’il pourrait avoir recours à des ressources théoriques issues du domaine des sciences humaines, peut-être même plus particulièrement des sciences sociales. Les références aux domaines scientifiques établis que représentent les Sciences Humaines (comme La Psychologie, l’Histoire, L’Anthropologie et L’Ethnologie, les Sciences Economiques, les Sciences Administratives ou encore la Théologie et la Philosophie) ainsi que les Sciences Sociales (au rang desquelles on trouve principalement la Sociologie, la Science Politique, la Géographie ou encore le Droit) pourraient alors fonctionner comme des vecteurs de revendication identitaire pour notre communicant en politique. Notre problématique ainsi définie aura pour ambition de répondre à la question suivante : Dans quelles mesures le professionnel en communication politique mobilise-t-il ses connaissances théoriques et savoir-faire pratiques en science sociale pour légitimer son activité professionnelle ? Les hypothèses d’enquêtes découlant de cette interrogation seront les suivantes : Les stratégies de légitimation de la participation à la production de l’objet politique s’accompagnent de la mobilisation et de la revendication d’un savoir théorique lié 21 autant, sinon plus, au champ des sciences sociales et politiques que des théories de marketing commercial. Ces mobilisations de connaissances théoriques et pratiques concourent à la revendication croissante des professionnels en marketing politique à intervenir directement dans la production même du matériel politique qu’ils sont chargés de faire accepter. De ce fait, le communicant en politique s’attache à rejeter les accusations de responsabilité dans la "marchandisation" de l’activité politique en investissant le discours public de références aux sciences sociales qu’il produit sur son statut professionnel. Ces stratégies de légitimation participent d’un mouvement de définition identitaire individuel mais qui s’inscrit dans le cadre d’une dynamique de constitution d’un groupe professionnel. Présentation de la démarche d’enquête et du plan d’argumentation Le lièvre de la fable : incapacité à investiguer le terrain et retournement de situation méthodologique. La réflexion sur notre terrain d’enquête nous a d’abord demandé de le délimiter précisément. Si l’on été parti sur la base de l’observation des activités de travail (telles que définies par Jean-François Blin), notre terrain d’enquête se devant d’être le lieu de travail de la catégorie professionnelle considérée, il se révélait être double, du fait de l’ubiquité constaté de cette pratique professionnelle. Il nous fallait alors être présent à la fois en son sein, à savoir les agences de communication, mais aussi sur le terrain politique, car ces deux aires s’avéraient être le cadre de la conception puis de l'exécution des campagnes de communication politique. Cela s’avérant être impossible dans le temps imparti à la réalisation de ce mémoire de fin d’étude, nous avons opté pour l’utilisation d’entretiens compréhensifs personnels, méthodologie qui cadrait d’autant plus avec notre aspiration à l’étude des représentations professionnelles. Des contacts ont alors été pris auprès des principaux 22 représentants de ce groupe professionnel (leur qualité de représentant étant estimée par leur forte présence médiatique plutôt que par une éventuelle reconnaissance ou qualification institutionnelle). Nous nous sommes donc adressés en priorité aux deux principales sociétés présentes sur le secteur français, ou plutôt auprès de leur agences spécialisées en communication publique et politique, à savoir Euro RSCG (société appartenant au grand groupe de communication et de médias Havas et gérée par les publicitaires Bernard Roux, Jacques Séguéla, Alain Cayzac et Jean-Michel Goudard qui s’est entre autre chargée de la campagne présidentielle de François Mitterrand de 1981) et Images et Stratégies Europe (société crée et gérée par Thierry Saussez jusqu’au mois d’avril 2008, qui était en charge de la conception d'une partie de la campagne électorale du candidat de l’UMP Nicolas Sarkozy pour les élections présidentielles de 2007). Nous avons par la suite étendu nos sollicitations au responsable de la communication de groupes politiques moins important, de par leur taille et leur soutient électoral, comme par exemple avec Alain Vizier, responsable de la communication du Front National, Romain Létang, directeur de la communication Internet du MPF de Philippe de Villiers, ou encore des professionnels plus orienté vers la communication publique des administrations et des collectivités territoriales, comme par exemple Franck Confino de l’agence Adverbia. Seulement, les conditions matérielles et les contraintes temporelles régissant l’organisation de l’activité de ces acteurs ne nous ont pas permis de mener à bien l’accomplissement de ce projet de collecte d’entretiens. Aux nombreuses requêtes non retournées et aux essais de rencontres infructueux, la raison principalement invoquée dans l’explication de leur indisponibilité aura été (nous devons en convenir, de façon finalement assez prévisible) celle de leurs responsabilités impliquées par l’échéance électorale de mai 2007. Mais cela n’aura pas été l’unique raison des difficultés rencontrées dans nos tentatives d’accession au terrain d’enquête, car, par exemple lors de la prise de contact téléphonique avec les responsables des agences RSCG 360 de Nantes et Rennes (qui est en charge de la communication visuelle du département d’Ille-et-Vilaine), il nous a été répondu que les personnes sollicitées ne souhaitaient pas communiquer sur leur activité. Suite à l’extension de notre calendrier de recherche consécutivement à la situation de redoublement que nous avons rencontrée pour l’année universitaire 2007-2008, nous avons choisi d’écarter définitivement les cadres temporels d’échéance électorale par peur de nous voir à nouveau opposer cette incapacité conjoncturelle des acteurs à l’organisation d’entretien. Nos efforts se sont donc concentrés sur la méthode retenue lors de notre précédente réévaluation méthodologique. 23 Car, s’il est vrai que notre problématique avait été dégagée relativement tôt dans l’organisation de notre démarche de recherche, il nous aura fallu, assez tardivement, nous décider à réorienter notre angle d’attaque méthodologique pour nous diriger vers l’étude de récits biographiques issus des publications de ces acteurs, afin de tenter d’y déceler les indicateurs pouvant nous renseigner sur les ressources intellectuelles ayant influencé leur argumentation identitaire. Dans cette nouvelle optique, nous avons choisi de nous appuyer sur l’approche développée par Robert Damien et Pierre Tripier dans leur article sur les rhétoriques professionnelles publié dans l’ouvrage collectif Genèse et dynamique des groupes professionnels. Ils y font remonter l’origine de l’étude de ces rhétoriques aux travaux d’Emile Durkheim et à son ouvrage de 1912 Les formes élémentaires de la vie religieuse. Pour Durkheim, la distinction s’opère systématiquement entre les catégories de profane et de sacré, donc, en ce qui nous concerne, de « professionnel ». On trouve ici une double dimension, à la fois inclusive et exclusive, caractéristique de la définition d’un groupe social. Cette distinction peut s’observer de façon régulière car pour lui, « ce modèle est généralisable : le droit, la morale, les beaux-arts, les sciences, les techniques, l’industrie ne sont-ils pas dérivés de la religion ?»32. Le modèle durkheimien opère comme un modèle général de l’étude des trames argumentatives des discours professionnels. Finalement, les difficultés d’accès au terrain nous ont fait mettre de côté l’angle des mécanismes à l’œuvre dans le processus de socialisation secondaire professionnelle (dont le concept nous a été apporté par Berger et Lückmann, dans The Social Construction of Reality33), pour nous concentrer sur l’étude des représentations dont témoignent les acteurs à travers leurs productions documentaires ou leurs interventions publiques. Il s’agira donc de rendre compte des stratégies identitaires de ce groupe professionnel en s’éloignant quelque peu de l’étude du processus en lui-même pour se pencher plus particulièrement sur l’expression et la diffusion de cette identité. Rares sont les spécialistes français de la communication politique qui choisissent d’offrir le témoignage public des conditions d’exercice de leur profession, et livrer ainsi les indications nécessaires à la classification des représentations qu’ils se font de leur activité et de leur milieu professionnel. Cette situation a restreint de fait la sélection des acteurs pouvant servir d’échantillons individuels à notre enquête. Nous avons ainsi retenu en premier lieu le plus médiatique des publicitaires et conseiller en communication politique : Jacques Séguéla. 32 Emile Durkheim cité par Robert D., Tripier P., dans « Rhétoriques professionnelles », in Dubar C., Lucas Y. (dir.), Genèse et dynamique des groupes professionnels, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires de Lille, 1994, page 246 33 Dubar, C., op. cit., page 9. 24 Nous avons sélectionné avec lui Thierry Saussez, qui semble présenter un profil commun de communicant originaire du marketing commercial ayant fait le voyage jusqu’à la communication politique. Face à ce que l’on pourrait considérer comme deux parfaits "spécimens" de techniciens de la communication politique, nous avons estimé intéressant d’y ajouter l’observation des travaux de René Zayan, professeur de Psychologie politique à l’Université Catholique de Louvain. Nous baserons alors notre exploration sur l’examen des principaux ouvrages des acteurs, qui pourront prendre essentiellement la forme de publications littéraires (pour Jacques Séguéla, nous avons surtout retenu son ouvrage autobiographique Ne dites pas à ma mère que je suis dans la pub, elle me croit pianiste dans un bordel, ainsi que La publicité, où il entreprend de recenser toutes les caractéristiques techniques qu'il associe à cette activité ; pour Thierry Saussez nous nous concentrerons sur les deux ouvrages où il développe ses théories concernant les liens existant entre l’activité communicante et le champ politique démocratique, Le temps des ventriloques et Nous sommes ici par la volonté des médias), mais aussi celle de sources audiovisuelles (le travail de René Zayan sera examiné au travers d’un documentaire réalisé pour la télévision ; nous aurons enfin recours aux interventions télévisées de ces différents acteurs disponibles aux archives de l’INA). Disposant de ces témoignages, nous entreprendrons de confronter les références relevées aux travaux sociologiques portant sur la communication politique à ceux nous renseignant sur les dynamiques d’identité professionnelle. Le premier mouvement de notre étude visera donc à déterminer le cadre spécifique qui régit de cette profession. Il nous faudra alors discerner les caractéristiques structurelles de ce cadre émergent aux contours imprécis ("à cheval" entre la politique et le marketing commercial) et le rôle qu’elles joueront dans l’établissement d’un statut professionnel incertain. Pour établir ce lien, nous nous focaliserons particulièrement sur l’influence que pourra exercer l’activité du communicant sur le fonctionnement de la vie politique. Dans un second temps, nous nous attacherons à la question des problèmes de construction identitaire qu’un tel contexte génère, en relevant dans les discours des professionnels les marqueurs comportementaux pouvant illustrer des concepts sociologiques partagés par ces acteurs. Cela nous permettra finalement de dégager les différents modèles stratégiques développés par les acteurs dans le processus de construction de leur identité professionnelle, en gardant à 25 l’esprit notre hypothèse du recours au registre des sciences sociales dans les argumentations qu'ils nous proposent. Finalement, si la deuxième partie de notre étude tentera de déterminer ce qu’il y a de "sociologique" dans les comportements du groupe étudié, la dernière cherchera à relever la part de "Sociologie" dans leurs discours. 26 CHAPITRE I La communication politique : un champ professionnel en soi ? Pour nous lancer dans l’étude des stratégies identitaires des professionnels en communication politique, encore nous faut-il préalablement établir la réalité et la pertinence de ce groupe professionnel. Ce volet de notre étude s’axera sur deux questions successives : celle de l’héritage technique que la communication politique recevrait du marketing commercial, puis celle des caractéristiques constitutives de cette communauté professionnelle. I. Le marketing politique : filiation et émancipation théorique. Après avoir établit les conditions de son émergence, nous chercherons à repérer les modèles techniques qui lient le marketing politique au marketing commercial. Cette première étape nous permettra de constater par la suite l’émergence d’un groupe professionnel à part entière, mais avant tout d’en dresser les contours, afin de rendre compte des particularités de ce groupe professionnel. Car nous seront par la suite amenés à envisager ce contexte comme un élément constitutif des choix stratégiques que les acteurs auront à formuler lors de la définition de leur processus identitaires. 27 A. L’importation du modèle technique de marketing commercial. L’ « American way » de la communication politique. Commençons par un bref détour historique, pour nous apercevoir que le marketing politique est à la fois parent de la publicité et de la propagande politique, sa genèse pouvant être précisément localisée et datée. L’acte de naissance de la communication politique est en effet communément reconnu dans les élections présidentielles américaines de 1952, plus précisément avec la campagne électorale du candidat Eisenhower. Philippe J. Maarek nous précise que c’est avec cet évènement que l’on observe « la première apparition véritable du " marketing politique" en tant que démarche globale organisée »34. Cette nouvelle modalité de l’action politique s’est ainsi rapidement propagée depuis l’Amérique du Nord, encouragée et facilitée par l’emploi croissant des nouvelles technologies de l’information et de la communication, au premier rang desquelles nous trouvons bien évidement les "mass médias" de presse et audiovisuels. Maarek précise que l’équipement très large des foyers américains en poste de télévisions (« en 1952, près de 40% […], ce chiffre montant même à plus de 60% dans le nord-est du pays »35) a pu expliquer que « l’avancée du marketing politique américain soit souvent parallèle à l’essor de la communication audiovisuelle, et en particulier du spot de pub »36. Maarek fait ensuite remonter l’arrivée tardive de cette démarche en France aux premières interventions radiophoniques régulières de Pierre Mendès-France en 1954. Mais le véritable départ du marketing politique "à la française" sera donner avec les élections présidentielles de 1965 et la première intervention d’un conseiller en communication politique, issu de la publicité, en la personne de Michel Bongrand, dont Jean Lecanuet s’était attaché les services. La segmentation du public comme outil fondateur de la discipline. Après cette précision généalogique, il convient maintenant d’établir un parallèle entre les techniques utilisées par les agences de marketing commercial et politique afin d’en éclairer les similitudes concernant la considération du public-cible, autant dans l’utilisation des 34 Maarek P. J., op. cit. , page 2 Ibid., page 13. 36 Ibid., page 13. 35 28 techniques de marketing classique que dans celles des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Dans la démarche marketing, la stratégie de communication consiste à identifier les cibles prioritaires, fixer le contenu du message et mettre au point un plan média. On retrouvera cette démarche ternaire de façon quasi identique dans la conception des campagnes politiques. Pour le prouver, Jacques Gerstlé décide de reprendre la classification générale de Gary A. Mauser qui distingue les trois niveaux suivants dans l’accomplissement d’un programme de communication politique : L’analyse de la situation politique, la définition de la stratégie de campagne, la conduite de la campagne. A son tour, Philip Kotler, professionnel reconnu en marketing international, propose en 1999 une typologie des étapes successives de la réalisation d’une campagne de communication électorale en "cartographiant" le plan marketing du candidat, cette typologie venant approfondir celle de Mauser : Premièrement, on se concentre sur l’analyse de la situation politique. C’est une étape de recherche sur les paramètres de l’environnement (l’activité économique, l’humeur de l’électorat,…). On réalise ensuite une évaluation de l’état de la concurrence du marché politique, les partis adverses jouant le rôle d’entreprises concurrentes. On juge donc du niveau des forces, internes et externes. La troisième étape est celle du marketing stratégique. On définira la stratégie de campagne en précisant : la segmentation de l’électorat, le « ciblage » - ou le choix du segment stratégique et enfin le « positionnement », à savoir la définition de l’image du candidat. Vient ensuite la détermination des buts et de la stratégie de campagne, avec la définition de la philosophie politique du candidat, de ses promesses électorales, etc. Enfin, la conduite concrète de la campagne se traduit dans le plan d’organisation des méthodes de communication et de distribution retenues. On fixe le « campaign mix » qui réparti les efforts entre « la vente au détail » et « la vente en gros », notions qui paraphrasent de façon évidente le marketing commercial. 29 On note ici que c’est par l’outil des sondages que l’on peut connaître le profil sociologique des électorats potentiels de chaque candidat et les thèmes qui assurent la spécificité et la crédibilité de leur positionnement politique et personnel. J-M. Cotteret propose également un découpage séquentiel du déroulement d’un programme de marketing politique en différentes étapes successives : Etude et analyse, dans le but de formuler un diagnostic. C’est une étape primordiale qui permet de construire une stratégie de campagne. Les études sont réalisées grâce à des outils statistiques, des enquêtes quantitatives et qualitatives, par exemple par des réunions regroupant de futurs électeurs. Cela rappelle les tests faits aux consommateurs pour déterminer les attentes en termes de nouveaux produits et pour dresser la liste des points faibles et forts du produit, qui sera ici le candidat. Puis on fait appelle aux sondages pour vérifier ces premières informations. Construction de la stratégie de communication. En jouant sur les variables de « notoriété » (faire connaître le candidat), « d’image » (faire connaître ses qualités) et « d’influence » du candidat (obtenir le vote)37. Cette étape traduit clairement les procédés de communication commerciale : dans les termes de Cotteret, il suffirait presque de s’amuser à remplacer simplement dans la phrase précédente les termes « candidat » par « produit » et « vote » par « achat » ! Choix des cibles. Pour Cotteret, cette étape est la conséquence logique des précédente, les études, notamment les sondages, favorisant la sélection d’une ou plusieurs tranches de l’électorat. Ici, on a recours à une technique traditionnelle de marketing commercial : la « segmentation » du marché. Le découpage stratégique de l’électorat rappelle l’ « étude de marché » des campagnes commerciales qui visent à définir les « niches commerciales envisageables ». Cotteret parle alors de « technique de communication ciblée »38. Conception des messages. « Une bonne campagne doit être résumé par un bon slogan »39. Il est notable qu’en faisant cette déclaration, Jean-Marie Cotteret ne précise même plus si l’on parle d’une campagne politique ou bien commerciale. Le procédé est selon lui rigoureusement identique. Diffusion des messages. Dans une optique de rentabilité, il prescrit l’utilisation des contacts impersonnels (« dix secondes de spots publicitaires peuvent toucher de 3 37 Cotteret J-M., op. cit., page 83. Ibid, page 83. 39 Ibid, page 87. 38 30 4 millions de personnes »40). Puis il effectue une distinction entre les différents supports publicitaires pouvant véhiculer le message politique (l’affichage étant défini comme moins efficace que l’audiovisuel,…). Ces différents auteurs effectuent chacun à leur façon un parfait parallèle entre les méthodes de communication politique et commerciale, regroupant toutes ces activités sous la même catégorie de marketing, sans jamais réellement mettre en avant le caractère potentiellement spécifique du produit politique. Jean-Marie Cotteret pour sa part encore plus loin, appelant de ses vœux un élargissement des techniques de communication politique à des systèmes de marketing de masse comme la publicité politique postale, le télémarketing politique, ou encore la levée de l’interdiction de la publicité politique antérieure aux six mois précédant une élection ou la publication des sondages durant la dernière semaine de campagne électorale (cela en réaction à la loi de 1995, évoquée en page 15). C’est donc dans ce cadre régi par les étroites relations conceptuelles et méthodologiques qu’entretiennent marketing "traditionnel" et politique que l’on verra se constituer progressivement une catégorie professionnelle, sinon émancipée dans ses principes d’actions du moins autonome dans son fonctionnement. En témoigne le regroupement dans les grands groupes de communication d’agences aux missions et personnels différenciés. Pour prendre l’exemple d’Euro RSCG, si ce groupe appartient à la nébuleuse Havas, il abrite lui-même des agences très diverses, spécialisées dans de multiples secteur, comme en témoigne le schéma organisationnel disponible sur leur site internet (cf. Annexe). B. L’émergence de la figure du conseiller en communication. La construction d’un modèle de formation professionnelle… L’intégration de cette discipline dans le cadre universitaire est encore très récente dans le cas français. Maarek ne la fait remonter qu’à une quinzaine d’années tout au plus. Mais si cette prise en compte a été tardive, elle n’en a pas moins été rapide et générale, la situation actuelle révélant que « presque tous les cursus des Sciences de l’Information et de la 40 Ibid, page 88. 31 Communication et ceux de Science Politique comporte des cours de Communication Politique »41. Cet état de fait est reconnu en premier lieu par les professionnels eux-mêmes, alors qu’ils n’avaient pas bénéficié en leur temps de cette possibilité. Jacques Séguéla par exemple, pourtant peu enclin à reconnaître la nécessité d’une formation scolaire spécifique à cette activité professionnelle, fait dans au fil de ses déclarations quelques concession à ces filières de formation. Il admet ainsi qu’il existent des « voies royales » menant à la fonction de communicant, et en particulier en politique. « Ne nous leurrons pas, il est plus facile d’entrer dans une agence avec un diplôme de HEC qu’avec un bac G. Ces grandes écoles de commerce (HEC, Essec, ESCP, Sup de Co…) restent souvent la référence, et moins grande l’école, moins ouverte la porte. Côté com’, les filières qui mêlent culture générale et sensibilisation aux problèmes de marques, de marchés et d’institution ont la meilleure cote (Celsa, Sciences po…) […]. Les écoles de pub et de com’, Sup de Pub-Campus en tête, ont le mérite de donner l’envie, la combativité et un bagage pratique aux fils et filles de pub »42 … participe à la reconnaissance d’un nouveau statut professionnel. Ce nouveau contexte amène l’intégration croissante de l’existence d’une nouvelle figure professionnelle par les acteurs et observateurs du secteur. Daniel Gaxie, entre autres, participe de ce constat en attestant que « de nouvelles professions (sondages, marketing politique, communication) se sont imposées et de nouveaux marchés se sont ouverts »43. Mais en quoi se distingue-t-elle de celles qui lui sont généralement associées, comme celle du publicitaire ? Quelle sont les caractéristiques qui l’établissent comme un groupe autonome ? On verra que ce qui la rend spécifique c’est sa propension à influer sur la sphère politique. 41 Maarek, P. J., op. cit., page 4. Séguéla J., Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel, Paris, Flammarion, 1979, page 50. 43 Gaxie, D., op. cit., page 56. 42 32 II. La place du communicant en politique : ambiguïtés et controverses d’un statut professionnel. On partira ici de l’idée selon laquelle l’introduction des structures professionnalisées de communication politique aurait eu pour effet de modifier les structures et les modalités de l’exercice de l’activité politique. Nous envisagerons aussi les conséquences engendrées par les modifications organisationnelles qu’implique l’arrivée du communicant dans le cadre de l’organisation politique, notamment sur la qualification négative du professionnel en marketing politique comme le responsable des dérives politiques actuelles. Cela nous conduira à envisager dans quelles mesures le contexte incertain qu’est celui du champ professionnel de la communication politique (champ pluriel, comme on l’a vu, en relation avec les aires conceptuelles commerciales et politiques) et l’imprécision de ses frontières génèrent paradoxalement les caractéristiques propres à ce groupe. On abordera alors les difficultés de positionnement que cela implique en termes de gestion d’influence et de pouvoir politique. A. Le marketing politique comme facteur de mutation du champ politique Le conseiller en communication : nouveau “bouc émissaire” politique. Cette catégorisation dépréciative, véritable « labellisation », selon la définition qu’en a donnée Howard Becker dans son livre Outsiders44, s’est développée en réaction à ce que l’opinion publique française considère désormais comme les dérives d’un système politique livré à la dictature de la communication. Philippe J. Maarek utilise alors l’exemple d’un chef d’Etat italien particulièrement présent dans les média de masse pour illustrer cet état d’esprit : « les hommes politiques se voient reprocher de ne plus agir ou communiquer qu’en fonction de la visibilité médiatique de leurs opérations, au risque d’une sorte de populisme modernisé, à la Silvio Berlusconi »45. 44 45 Becker H.S., Outsiders. Etudes de la sociologie de la déviance, Paris, Métailé, 1963. Maarek, P. J., op. cit., page 1. 33 La communication politique bouleverse la vie politique. Cette mauvaise réputation repose sur la considération par le plus grand nombre des effets que ne manquent pas d’avoir les pratiques communicationnelles sur les pratiques politiques. Pour Daniel Gaxie, « ces dispositifs de commentaire et de mesure ne sont pas sans rétroagir sur les pratiques politiques elles-mêmes, et une part croissante du travail politique cherche à agir sur les instruments d’observation »46. Cela rejoint l’analyse d’Erik Neveu, qui met en avant le pouvoir de construction de la réalité sociale dont dispose la communication. « En contribuant à faire et défaire les normes de l’esthétique corporelle, du bien-manger, de la réussite sociale, le travail symbolique [réalisé par les professionnels de la communication] contribue aussi à valoriser ou à dévaloriser des comportements et des normes qui sont aussi les marqueurs et les composantes d’identités collectives. Il accomplit là, souvent à son insu, un travail proprement politique. En ce domaine, les professionnels du travail symbolique ont amplifié de leur contribution propre des mouvements qu’avaient mis en branle des évolutions sociales et économiques de fond »47. Dans cette démonstration, il prend par la suite l’exemple de l’identité ouvrière qui s’est trouvée affaiblie en partie par la redéfinition des modèles de genres diffusés par les campagnes publicitaires qui ont fait, depuis l’après seconde guerre mondiale, la promotion d’une virilité moins affirmé. Il nous présente donc un premier niveau de la dimension politique de l’activité du communicant politique, de l’effet de son action sur les structures sociales et politiques de la société dans laquelle elle s’exerce. Jacques Gerstlé s’inscrit dans cette constatation de l’action du professionnel en communication sur l’activité politique. Car, en adoptant la vision instrumentale que nous avons définie précédemment, on ne peut nier que l’utilisation systématisée de ces techniques se traduira par des pratiques et des représentations spécifiques. Gerstlé peut ainsi définir la communication politique comme « un ensemble disparate de théories et techniques, mais [qui] désigne aussi les pratiques politiques »48 qui en sont directement issues. En suivant cette vision, « le recours croissant à ces techniques s’accompagne d’une transformation de l’espace public et de ses règles du jeu » car « les aspects techniques ne sont qu’une dimension du processus de communication »49. De plus, il nous indique que la communication politique est investie d’un rôle de dénomination et de précision de l’objet politique, notions 46 Gaxie D., op. cit., page 57. Neveu E., op. cit., page 118. 48 Gerstlé J., op.cit., page 3. 49 Ibid., page 14. 47 34 que ses tenants se doivent de diffuser vers la société. Ainsi, « les médias modifient les conditions du déroulement du jeu politique » 50 A. Le flou constitutif de la communication politique Il semblerait que le profil professionnel qui se dessine alors possède des similitudes avec la catégorie des métiers flous distinguée par Gilles Jeannot. Selon lui, ces professions sont caractérisées par une autodétermination du rôle professionnel et du sens donné à leur action, caractéristique qu’il avait soulevée dans une étude portant sur les cadres responsables de fonctions d’expertises dans l’action publique51. Le statut du communicant politique se construit effectivement dans un champ professionnel aux contours flous, évolutifs et perméables. Ayant la fonction de trouver un sens à la position de l’acteur dans l’organisation, ces métiers sont flous car que l’activité professionnelle se réalise, comme on l’a vu, dans un espace ouvert et parce que la définition même de cette action est sujette à ces imprécisions initiales. Ce flou de l’action va imprégner jusqu’à l’identité professionnelle des individus y prenant part (dans leurs pratiques quotidiennes, dans la définition de leur position institutionnelle, dans la construction et la représentation de leur parcours professionnel,…). L’acteur produira alors un registre propre de définition de son action en fonction du degré d’autonomie dont il dispose par rapport aux normes régissant son groupe professionnel, ainsi qu’en fonction des caractéristiques personnelles de son parcours professionnel et des interactions que suppose son activité. L’attitude de ce genre d’acteurs sera alors de revendiquer son appartenance à un métier, pour réussir à se construire suffisamment de repères. L’indétermination caractéristique des missions qui lui sont assignées (appelé le flou de la prescription) semble être bel et bien génératrice de l’imprécision dans la qualification de son métier (le flou de la position). Les prescriptions adressées au conseiller en communication politique sont effectivement imprécises car comprenant aussi bien la gestion des paramètres purement "marketing" (conception graphique, affichage,…) que des dimensions plus communicationnelles (gestion de la communication gestuelle, vocale,…). Cela se traduira effectivement par une approximation dans la détermination de la position et du statut professionnel (se qualifie–t-on et/ou est-on qualifié de « conseiller en 50 51 Ibid., page 9. Jeannot G., Les métiers flous. Travail et action publique, Toulouse, Octares, 2005. 35 communication », de « responsable de la campagne marketing », ou encore tout simplement de « publicitaire » ?). Les acteurs seront alors identifiés comme occupant une place de « marginaux-séquents », aussi qualifiés par le sociologue américain Thomas Medvetz d’ « hybrid intellectuals » car tenant une place à la croisée de multiples identités et pratiques professionnelles. Cette situation sera particulièrement observable dans le cas de Thierry Saussez dont le site internet personnel est organisé autour de trois pôles de compétences distincts (« Elu / Ecrivain / Conseiller »)52 Philippe Riutort, auteur d’une Sociologie de la communication politique parue récemment, faisait pour sa part état au cours d’une conférence donnée à l’IEP de Strasbourg d’un caractère nationale relevant d’un certain « amateurisme » dans la profession et du flou de l’activité en France car il n’existerait pas encore à l’heure actuelle de consensus sur la dénomination même de cette activité (« Il n’existe pas de termes en français qui ne se soit imposé à tous on parle de communicateur, de communiquant,…, là ou les anglo-saxons ont adoptés celui de « spin-doctor »)53. Ce flou sémantique vient en effet répondre autant au vide structurel et institutionnel que connaît ce champ professionnel qu’à la rareté théorique dont il fait l’objet et que nous avons évoqués plus tôt. Cette prise en compte des particularismes et des enjeux identitaires traversant notre objet d'étude nous permet maintenant de poser ce qui constituera les deux grands axes de questionnement de notre argumentation. Tout d’abord, nous aborderons le problème de légitimité que rencontre le communicant dans l’exercice de son activité professionnelle. Ensuite, nous observerons le fait que cette situation d’incertitude dont les professionnels du marketing politique font l’expérience les amène à développer des stratégies identitaires propres et spécifiques dans le but de conférer un sens à leur action. Nous verrons que ce travail identitaire se met en place en réaction au processus de labellisation qu'ils subissent, produisant alors leur propre définition identitaire afin de renverser ce stigmate professionnel. La suite de notre étude nous verra donc partir à la recherche des indicateurs de ces stratégies dont peuvent receler les différents récits que nous fournissent ces professionnels de 52 http://www.thierry-saussez.com/ Extrait de la conférence « La Campagne présidentielle de 2007 et les stratégies de Communication Politique de Nicolas Sarkozy » donnée le 24/01/2008 à l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg. 53 36 par leurs témoignages (manuscrits, audiovisuels, etc.), ces données documentaires nous renseignant sur la conception réflexive qu’ils possèdent de leur activité professionnelle. 37 CHAPITRE II L’identité professionnelle du conseiller en communication politique : objet d’étude sociologique ? S’inspirant des travaux de Renaud Sainsaulieu, Brigitte Delalande nous a amené l’idée selon laquelle « réglementation, mission et organisation contribuent à structurer les activités : en délimitant les devoirs, les droits, en organisant les négociations et les collaborations, en assignant des places et en distribuant les rôles. Leur articulation, la prégnance de l’un sur l’autre, influencent l’activité produite et les acteurs impliqués dans la situation. C’est précisément le jeu qui s’opère entre les contraintes juridiques, organisationnelles et d’habilitation et leur investissement subjectif par les acteurs qui détermine une des instances de la professionnalité »54. Cette représentation fait l’hypothèse que les structures (autant formelles qu’informelles) s’imposent comme l’élément contextuel déterminant la notion fondamentale de professionnalité des acteurs de ces champs professionnels et, de là, permet de les doter d’un statut professionnel effectif et reconnu. Pourtant, le secteur d’activité des professionnels en communication politique échappe, comme on vient de le voir, à ces cadres structurant. De fait, le travail de construction identitaire peut s’avérer, sinon plus complexe, du moins plus hétérogène. Comment alors envisager le processus de définition identitaire réalisé par ces acteurs, si ce dernier ne passe plus nécessairement par la revendication d’une professionnalité ? En souhaitant s’éloigner d’une vision trop "déterministe" des rapports professionnels (soit une conception purement fonctionnelle des rapports de production « ne laissant que peu d’espace de liberté aux acteurs »55), Jean-François Blin nous livre à son tour sa définition du professionnel. « Être professionnel, c’est exercer une activité généralement au sein d’une 54 Delalande B., Identité professionnelles et structuration identitaire : clinique de la professionnalité au regard de l’emploi empêché, thèse de doctorat à l’Université Rennes II, 2000. 55 Blin J-F., op. cit., page 15. 38 organisation publique ou privée après avoir suivi une formation garantissant une compétence spécifique et assurant, par l’obtention d’un diplôme, l’appartenance à une identité de métier valorisée socialement »56. Seulement, de la même façon qu’avec l’analyse de Delalande, il nous faut souligner que dans le cadre de la communication politique, les contours de ce statut de professionnel étant extrêmement flous, il devient difficile de recourir à cette interprétation pour qualifier les acteurs envisagés. Cette définition nous amènerait par exemple à exclure de la catégorie des « professionnels » de la communication politique l’ "icône" du marketing politique français qu’est Jacques Séguéla, cela au vue de son cursus et de son parcours professionnel atypiques. Pour pouvoir statuer sur les caractéristiques de l’identité du professionnel en communication politique, il nous faudra dégager les fondements théoriques relatifs aux identités professionnelles. L'étude du processus identitaire professionnel en action nous amènera à en concevoir notamment la dualité et les situations particulières que celle-ci induit. Partant de ce premier travail, nous tenterons par la suite de catégoriser les stratégies identitaires retenues par les acteurs. Ce cadre théorique des identités professionnelles nous servira alors de prisme à l’observation du comportement des communicants politiques. En ce sens, on observera les dénominateurs communs qui traduisent dans les comportements de nos communicants une posture particulière en rapport à un hypothétique corpus théorique partagé. I. Le processus identitaire au travail : de la dualité identitaire à la démarche transactionnelle Si le cadre des relations professionnelles offre une telle opportunité de voir à l’œuvre les dynamiques identitaires, c’est qu’il permet d’y déceler la dualité caractéristique des représentations identitaires dont chaque acteur social peut faire l’expérience. Cette dualité sera aussi le point de départ des stratégies identitaires qui seront investies par nos acteurs, et dont nous proposerons ici le recensement. 56 Ibid., page 47. 39 A. L’importance du cadre professionnel dans la construction identitaire. L’activité professionnelle : échelon pertinent de l’analyse identitaire. Selon Blin, « parler d’identités professionnelles, c’est reconnaître aux champs des activités professionnelles la capacité de construire des identités spécifiques à des groupes au cours de processus de socialisation significatifs des domaines considérés »57. En effet, « si le lieu d’exercice de l’activité professionnelle est un lieu social de rapports individuels et collectifs propre à produire de nombreuses formes identitaires, alors le lieu de travail devient, pour les individus, un univers social déterminant. […] Les activités professionnelles ont donc une fonction identitaire par production d’identités nouvelles dans le travail, les responsabilités, la négociation »58. Delalande le rejoint dans son analyse en affirmant que « parmi les multiples dimensions de l’identité des individus, la dimension professionnelle a acquis une importance particulière. Parce qu’il est devenu une denrée rare, l’emploi conditionne la construction des identités sociales ; parce qu’il connaît des changements impressionnants, le travail oblige à des transformations identitaires délicates »59. De fait, le champ professionnel est particulièrement marqué par la dynamique de construction identitaire car s’y réalise de façon notable le phénomène de concomitance entre les deux grandes composantes de cette mécanique : l’identité « pour soi » et l’identité « pour autrui ». Dualité sociale et identité professionnelle En prenant comme point de départ les travaux de Claude Dubar, on peut tout d’abord préciser que l’identité d’un individu repose sur ce qu’il définit comme une « trajectoire subjective », à savoir le résultat « à la fois d’une lecture interprétative du passé et d’une projection anticipative du futur »60. C'est ce qu'il définit comme l’axe « diachronique » de l’identité. On pourra illustrer cette notion par le recours systématique de Jacques Séguéla à de 57 Blin J-F., op. cit., page 178. Ibid., page 183 59 Delalande B., op. cit., page 16. 60 Dubar C., op. cit., page 11. 58 40 grandes figures reconnues de son secteur professionnel, quasi mythologiques, qui prennent alors la valeur de « supports d’argumentation »61. Il convoque en effet régulièrement dans ses livres Bill Bernbach, David Oligvy, Marcel Bleustein-Blanchet, Michel Bongrand, Philipe Michel ou encore Jean Feldman, ayant tous valeur de représentants illustres de la discipline publicitaire. Par la suite, l’acteur sera mis en relation avec un contexte d’action spécifique, dans le cadre d’un second axe « synchronique », où il délivrera une « définition de la situation » qui lui appartiendra en propre, déterminant ainsi une « définition de soi et des autres ». Pour Dubar, « c’est à l’articulation de ces deux axes que se jouent les manières dont chacun se défini, à la fois comme acteur d’un système déterminé [ou « définitions officielles »] et produit d’une trajectoire spécifique [qui constitue les « identifications subjectives »]»62. Dans ce jeu d’agencement des différentes propositions identitaires, les identifications subjectives sont effectivement revendiquées par soi et soumises à la reconnaissance d’autrui, car « l’individu ne la construit jamais seul [l’identité] : elle dépend autant des jugements d’autrui que de ses propres orientations et définitions de soi. L’identité est un produit de socialisations successives. »63. Ayant la volonté d’inscrire la construction identitaire dans un processus dynamique, il précise que « l’identité n’est autre que le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions ».64 Seulement, qu’advient-il du processus identitaire engagé par les acteurs si les deux dynamiques que nous venons de dégager entrent en concurrence? Car, toujours selon Claude Dubar, « la construction des identités […] peut se traduire aussi bien par des accords que par des désaccords entre identité « virtuelle » proposée ou imposée par autrui, et identité « réelle » intériorisée ou projetée par l’individu. […] Les configurations identitaires constituent alors des formes relativement stables mais toujours évolutives de compromis entre les résultats de ces deux transactions diversement articulés »65. 61 Ibid., page 247 Ibid., page 11. 63 Ibid., page 15. 64 Ibid., page 109. 65 Ibid., page 112. 62 41 L’identité professionnelle en conflit. On peut retrouver ce "tiraillement" identitaire dès la conception de la division du moi énoncée par Sigmund Freud qu’il qualifiait comme la dichotomie éprouvée par l’acteur dans son image par la discordance d’avec sa propre réalité. Il nous est tout autant possible de remonter encore au concept durkheimien d’ « homo duplex »66, qui rendait compte à son tour de la fragmentation identitaire existant entre un être individuel et un être social. Finalement, ces rapports entre l’identité pour soi et l’identité pour autrui se retrouvent résumés par la formule de Dubar de « division interne de l’identité »67 . Nous sommes ainsi renvoyés au processus « d’identification » que Dubar à placer au centre de ses recherches sur les identités professionnelles. Il se propose de catégoriser les différents processus conduisant à ces situations d’antagonisme identitaire. « Chacun est identifié par autrui mais peut refuser cette identification et se définir autrement. Dans les deux cas, l’identification utilise des catégories socialement disponibles et plus ou moins légitimes à des niveaux différents […]. On appellera actes d’attribution ceux qui visent à définir " quels type d’homme (ou de femme) vous êtes ", c’est-à-dire l’identité pour autrui ; actes d’appartenances ceux qui expriment " quel type d’homme (ou de femme) vous voulez être, c'est-à-dire l’identité pour soi ". Il n’y a pas de correspondance nécessaire entre l’identité " prédicative de soi " qui exprime l’identité singulière d’une personne déterminée, avec son histoire vécue individuelle, et les identités " attribuées par autrui " […] des identités génériques qui permettent aux autres de vous classer comme membre d’un groupe, d’une catégorie, d’une classe »68. C’est cette articulation problématique entre ces dimensions identitaires et les processus visant à les mettre en conformité que nous examinerons maintenant. B. Les stratégies identitaires professionnelles. 66 Dans Education et Sociologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1992 Dubar C., op. cit., page 108. 68 Ibid. page 109. 67 42 Les transactions identitaires. Comme on l’a vu précédemment, lorsque ces deux identités se refusent à coïncider, cela donne lieu à un désaccord entre l’identité sociale virtuelle prêtée à une personne et l’identité sociale réelle qu’elle s’attribue elle-même. Erwin Goffman s’est lui aussi penché sur cette mécanique. Selon le résultat de ses observations : « il en résulte des stratégies identitaires destinées à réduire l’écart entre ces deux identités. Elles peuvent prendre deux formes : soit celles de transactions externes entre l’individus et les autres significatifs visant à tenter d’accommoder l’identité pour soi à l’identité pour autrui (transaction appelée « objective ») soit celles de transactions internes à l’individu, entre la nécessité de sauvegarder une part de ses identifications antérieures (identités héritées) et le désir de se construire de nouvelles identités dans l’avenir (identités visées) visant à tenter d’assimiler l’identité-pour-autrui à l’identité-pour-soi. Cette transaction appelée subjective constitue un second mécanisme central du processus de socialisation conçu comme producteur d’identité sociale »69. Goffman a été rejoint sur ce point par Dubar, pour qui « il faut concevoir […] la transaction « objective » comme une confrontation entre les demandes et les offres d’identités possibles, et non simplement comme des produits d’attributions d’identités préconstruites. […] Cette négociation identitaire […] constitue un processus communicationnel complexe, irréductible à un "étiquetage" d’identités prédéfinies sur la base des trajectoires individuelles »70. Cette construction se présente comme le résultat des tractations réalisées entre les offreurs et les demandeurs d’identité, négociation soumise nécessairement à une « confirmation objective et subjective ». L'analyse faite par Brigitte Delalande vient compléter cette vision dynamique de l'identité professionnelle. « Inscrite dans un collectif, dans une communauté humaine, en tant qu’activité fondée sur de la participation et de l’échange, la situation professionnelle se définit aussi sur le plan temporel et spatial. La construction et le maintient de l’identité repose sur l’enracinement et le dépassement d’une histoire personnelle et culturelle. L’histoire complexe de la continuité de soi dans le changement, l’instauration des représentations mentales et l’actualisation continue d’identifications multiples sont particulièrement repérables au travers des récits de parcours et de trajectoires professionnels »71. Toute construction visant à son accomplissement, notons que les transactions objectives offrent chez Dubar deux issues alternatives : celle de la coopération et de la 69 Ibid., page 111. Ibid., page 112. 71 Delalande B., op. cit., page 206. 70 43 reconnaissance ou bien celle des conflits et de la non-reconnaissance. Pour les transactions subjectives, on pourra aboutir soit à une situation de continuité et donc de "simple" reproduction, ou alors à la rupture et à la production identitaire. Les modèles stratégiques identitaires. De ces situations de transaction identitaire, Claude Dubar en tire les archétypes des stratégies qu'elles appellent. Il construit ainsi ces modèles stratégiques autour des mécanismes biographique et relationnel qu'il définit en précisant que « si les deux processus qui concourent à la production des identités – le processus biographique (identité pour soi) et le processus relationnel, systémique, communicationnel (identité pour autrui) – sont hétérogènes, ils n’en utilisent pas moins un mécanisme commun : le recours à des schémas de typification (Berger et Lückmann, 1966) impliquant l’existence de types identitaires, c’est-àdire « d’un nombre limité de modèles socialement significatifs pour réaliser des combinaisons cohérentes d’identification fragmentaires » (Erikson, p. 53). Ces catégories particulières servant à identifier les autres et à s’identifier soi-même sont variables à la fois selon les espaces sociaux où s’exercent les interactions et selon les temporalités biographiques et historiques dans lesquelles se déroulent les trajectoires ».72 Précisant le processus identitaire biographique, Claude Dubar précise que « certaines trajectoires sont avant tout marquées par la continuité inter et intra-générationnelle, d’autres sont marquées par des ruptures de toute nature impliquant des remises en cause d’identités antérieurement acquises ou construites. Parmi les évènements les plus importants pour l’identité sociale, la sortie du système scolaire et la confrontation au marché du travail constitue désormais un moment essentiel de la construction d’une identité autonome […]. Mais c’est de son issue que dépend à la fois l’identification par autrui de ses compétences, de son statut et de sa carrière possible et la construction par soi de son projet, de ses aspirations et de son identité possible»73. L'un des acteurs que nous avons choisi de retenir comme échantillon d'étude de ces identités professionnelles se trouve être particulièrement concerné par ce processus identitaire biographique de rupture. Après être passé par la fac de pharmacie où il y a réalisé une thèse de 72 73 Dubar C., op. Cit., page 114. Ibid., page 117. 44 doctorat, Jacques Séguéla a effet décidé de marquer sa distance avec les parcours de formation universitaires "classiques" en réalisant un tour du monde en 2 CV pendant deux années. Ce parcours atypique fait figure de crise identitaire entre ses études et son entrée sur le marché du travail. Celle-ci se fait tout d'abord en tant que journaliste à Paris Match, puis au poste de rédacteur en chef du journal militaire TAM, lors de son service militaire tardif à 27 ans. Il désigne cette période comme « deux années supplémentaire d’apprentissage en communication, section travaux pratiques »74 Son entrée concrète en publicité se fait à l’agence Delpire, puis il passe à Axe Publicité. Enfin, il crée en 1969 l’agence Roux-Séguéla (qui deviendra plus tard RSCG). En retrouvant les catégories de Dubar, on peut dire que les personnalités qui ont marqué la carrière de Séguéla sont des « identités d’aspiration », qui lui ont permis « des projections d’avenir efficaces pour l’action »75. Il met ces identités en scène dans le récit de ses rencontres successives, à travers les mentors qui ont guidé le sens de ses réalisations (comme Pierre Lazareff, Jacques Prévert ou encore Bernard Brochant), mais aussi par les différents "acteurs-relais" qui lui ont permis d’accomplir ses objectifs (notamment Bernard Roux et Alain Cayzac). Tripier et Robert approfondissent la dimension biographique du travail identitaire en s'appuyant sur la définition livrée par Emile Durkheim des identités professionnelles. « Le modèle de Durkheim apparaît dans sa totalité quand le professionnel fait entrer l’histoire de son métier dans l’argumentation, une chronologie largement recomposée, utilisant le modèle ternaire (âge d’or, décadence, résurrection) de bien des mythes occidentaux »76.On retrouve ce modèle ternaire tel quel dans l’argumentation de Jacques Séguéla qui distingue des nœuds historiques avec ses trois âges de la publicité. Après la genèse d’après-seconde guerre, qui a vu se transformer la réclame et la propagande en publicité, on est arrivé à un âge d’or avec mai 1968, puis vers l’âge des extrêmes des années 1980 et un âge de raison dans les années 1990, pour enfin disparaître au tournant du siècle au profit de l’ère contemporaine du tout communication, qu’il semble regretter (« la pub, largement affaiblie par les féroces lois Evin et Sapin, s’en va et laisse place à la com’. A cette com’ de donner aux produits et surtout aux entreprises, gérées comme jamais avec froideur et rationalité, ce supplément d’âme qui leur permettra de racheter la leur »77). 74 75 76 77 Ibid., page 19. Ibid., page 118. Robert D., Tripier P, op. cit., page 246. Séguéla J., La Publicité, Toulouse, Milan, 1995, page 11 45 Les individus entrant nécessairement en interactions dans le cadre de leurs activités professionnelles, dans ce que l’on digne sous le terme générique de relations de travail, considérons maintenant le processus identitaire relationnel. Pour l'envisager, Dubar se réfère à la définition de Renaud Sainsaulieu de l’identité professionnelle. Ce dernier la caractérise comme « la façon dont les différents groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est fondée sur des représentations collectives distinctes, construisant des acteurs du système social d’entreprise »78. Selon Dubar « pour Sainsaulieu, l’identité est moins un processus biographique de construction de soi qu’un processus relationnel d’investissement de soi : la notion « d’acteur de soi » renvoie non pas à un simple rôle de passager sur une scène provisoire mais à un investissement essentiel dans les relations durables qui mettent en question la reconnaissance réciproque des partenaires. Il s’agit donc bien d’une transaction objectivement constatable […]. De l’issue de cette transaction dépendent les identités de ceux qui s’y engagent ou qui y sont engagés »79. Si l'on s'en tient aux conclusions de Dubar, «on peut donc faire avec Sainsaulieu l’hypothèse que l’investissement privilégié dans un espace de reconnaissance identitaire dépend étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et de la place qu’y occupe l’individu et son groupe d’appartenance »80. Mais nous avons vu que dans le cas des conseillers en communication politique les relations de pouvoir au sein d’un champ professionnel marqué par son "imprécision" sont relativement lâches. De ce fait, la négociation identitaire s’effectuera plus largement en rapport aux autres groupes situés hors du champ, qui seront dès lors les professionnels de l'action politique et les médias. C’est avec eux qu’ils auront à faire entendre et reconnaître leurs identités réelles, car c’est avec eux qu’ils pourront entrer dans des relations de pouvoir conflictuelles. I. L'identité stigmatisée : la construction identitaire face à la catégorisation. Suivant le modèle de transaction identitaire objective, quelle(s) voie(s) notre conseiller en communication politique suivra-t-il afin de composer entre les identités professionnelles 78 Sainsaulieu R., L’identité au travail : les effets culturels de l’organisation, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1988, page 118. 79 Dubar C., op. Cit.., page 118. 80 Ibid., page 121. 46 dont ils n'ont pas le contrôle et qui lui sont attribuées par les acteurs des divers champs qu'il investit de par son action transversale et sa volonté d’appropriation de référents théoriques communs qui seraient constitutifs d'une identité qui lui soit propre ? Plutôt que de s'appuyer sur la démonstration de leur appartenance à un groupe professionnel délimité par des cadres normatifs pragmatiques (par des normes juridiques, des filières de formation professionnelle, des réseaux institutionnels ou associatifs,…), on verra qu'il use de façon récurrente de traits comportementaux d'expert de "l'analyse sociétale" pour finalement offrir une reformulation, un retournement des catégorisations auxquelles il fait face. A. La catégorisation identitaire des communicants politiques. Ce phénomène de stigmatisation identitaire a été formalisé par Howard Becker par le concept de labelling où « l’identité se forge au cours d’un processus (career) » et est « le produit d’une transaction entre l’identification imposée par autrui et la sous-culture d’un groupe »81. On note alors avec intérêt que c’est ce processus qui se trouve très exactement être à l'œuvre lors des interventions télévisées des conseillers en communication. Régulièrement invités sur les plateaux des soirées télévisées électorales, les définitions identitaires qu'ils proposeront lors de leur intervention se verront soumises à la validation de leurs pairs ou des représentants des autres champs professionnels présents (les écrivains convoqués, les présentateurs ordonnant la prise de parole, etc.). L’imposition du label publicitaire. De façon générale, les acteurs rentrant en interaction avec les professionnels de la communication politique s'accordent pour les désigner sous l’étiquette professionnelle de publicitaire. Cette qualification professionnelle qui leur sera attribuée pourra être certifiée par exemple dans la dénomination formelle qui leur sera adjointe (par l’annonce orale du présentateur ou par l’inscription du titre de l’intervenant sur un bandeau apparaissant à 81 Becker H.S., Outsiders. Etudes de la sociologie de la déviance, Paris, Métailé, 1963, page 47 36. l’écran). Les journalistes audiovisuels qualifieront ainsi quasi systématiquement Jacques Séguéla, de façon discrétionnaire, de publicitaire (comme dans l’émission Vendredi sur FR3, le 01/02/1985 ), Thierry Saussez se verra quant à lui tour à tour qualifié de publicitaire et de spécialiste en communication (par exemple pendant la soirée électorale de France 3 pour le premier tour des présidentielles de 1995), et tous les deux sont qualifiés de publicitaire (Séguéla) et de spécialiste en communication politique (Saussez) à l’occasion de la retransmission sur Antenne 2 du deuxième tour de ces mêmes élections présidentielles. L'entre-deux identitaire : ni "homme de lettres", ni "homme de science". Cette catégorisation ne sera toutefois pas irrémédiablement inscrite de façon homogène et unilatérale, car à la figure du publicitaire et du spécialiste en marketing politique convoquées pour analyser les grands rendez-vous électoraux, on relèvera un deuxième type de catégorisation professionnelle dans le cadre de plateaux plus hétéroclites, le statut du communiquant politique pouvant évoluer en fonction des figures en présence. On pourra notamment relever cette catégorisation renvoyée à ces acteurs au travers de l'observation de la disposition spatiale et temporelle qui leur est réservée. Pour la soirée du premier tour des présidentielles de 1995, Jacques Séguéla se retrouvait ainsi placé aux côtés de Jacques Attali (mentionné en tant qu'écrivain lors de ses interventions) et Alain Touraine (auquel est accordé le titre de sociologue). La disposition de la soirée du deuxième tour, le 7 mai 1995, sur la même chaîne, sera d'autant plus explicite que Jacques Séguéla interviendra à la suite d’Alain Touraine et avant Paul-Loup Sulitzer, faisant ainsi office de trait d’union entre la sphère scientifique des sciences sociales est celle, économique, de l’entrepreneuriat. De même, Jacques Séguéla a pu se retrouver invité sur le même plateau que deux sociologues, Romain Laufer et Catherine Paradèse, dans l'émission de Bernard Pivot Apostrophe de mars 1982 et il avait déjà été associé à des professionnels du champ de la production littéraire dans le numéro d'Apostrophe du 14 décembre 1979 (aux côtés du romancier Lucien Elia et d’une étudiante en thèse de Lettres, Bénédicte Lavoisier). Il est aussi surprenant qu'au moment de consulter l'archive audiovisuelle proposée par l'INA concernant l'intervention de Jacques Séguéla en tant qu'invité du magazine Apostrophe à l'occasion de la sortie de son livre Hollywood lave plus blanc, nous renvoie aux mots-clefs « psychologie 48 sociale » et « sociologie » plutôt qu'à ceux de « publicité » ou de « communication », alors qu'il sera explicitement présenté comme un publicitaire durant toute cette émission. A. La transaction identitaire objective : du stigmate publicitaire à l'identité réelle. Maintenant que l'on a examiné les identités virtuelles affectées à nos acteurs, nous sommes à même de nous pencher sur les stratégies identitaires objectives qu'ils mettront en œuvre pour redéfinir leur statut professionnel (et ainsi, rappelons le, rendre possible l’articulation entre identités attribuées/proposées et identités assumées/incorporées). En cela, le recours à des champs d’activité extérieurs à la pure technique communicationnelle (sciences sociales, arts et littérature, politique) sert de véhicule à l’expression de ces revendications identitaire. Dubar évoque ce cheminement identitaire en avançant que « le fait de pouvoir" jouer avec différents espaces" et ne plus se restreindre à un seul "espace d’identification prioritaire" qui serait l’espace des relations de travail et de pouvoir ainsi "négocier" ses investissements et "gérer" ses appartenances constitue un élément essentiel de la transaction objective. Les partenaires de cette transaction sont en effet multiples »82. Ici, c’est le champ médiatique (par la télévision ou la publication littéraire) qui jouera ce rôle et permettra le travail de transaction identitaire objective. Ce terrain médiatique fonctionnera ainsi comme un « espace de légitimation des savoirs et des compétences »83. Sur un problème précis, dans un contexte particulier, le plus souvent lors des résultats électoraux, on fera appel à ces professionnels pour recueillir leurs analyses et ainsi valider leurs compétences comme on a pu le voir précédemment, mais par la même occasion, leur donner tout autant la possibilité de revendiquer l’identité qu’ils ont retenue à ce moment. Dans ce contexte de redéfinition identitaire, on remarque que ces professionnels développent des comportements et des postures qui peuvent être analysés en suivant une analogie au discours sociologique. Mis en situation, le professionnel de la communication politique prétend finalement ajouter à la présentation de ses uniques capacités professionnelles (l'analyse méthodologique de la campagne de communication électorale) une analyse personnelle plus générale délivrant des constats sur l’état de la société, qu’ils 82 83 Dubar, op. cit., page 121. Ibid., page 121. 49 expliquent par le recours à des concepts qui leur permettent d’avancer des conseils normatifs et même d’éventuelles prévisions. En s’inspirant de comportements "sociologisant", ils s’emploient à catégoriser des réalités sociales pour les rendre intelligibles et ainsi prendre en charge eux-mêmes la détermination de leurs compétences théoriques. L’analyse conceptuelle et normative : le constat social. La composition du panel d'intervenants habituellement présents lors des retransmissions télévisées de soirée électorale impose les spécialistes de la communication politique comme les uniques tenants d’une analyse à teneur sociologique des résultats électoraux. Pour celle du deuxième tour de l'élection présidentielle de 1995, on remarque, exception faite de la brève présence d'Alain Touraine, l’absence de " véritables " sociologues. Placés face aux journalistes et aux invités de la société civile (entrepreneurs, sportifs, célébrités de la chanson,…), les communicants occupent la place laissée vacante de l’analyste politique. Ils se retrouvent donc seuls détenteurs de qualités techniques d'examen et se font les représentants privilégiés du champ scientifique. Ils exploitent alors cette situation pour réinvestir, voire même définir des concepts qui leur serviront à dispenser un constat social. Thierry Saussez profitait par exemple d'un débat l'opposant à Philippe de Villiers pour proposer une définition de la notion politique de populisme : « dans le populisme, il y a la communication. Le rebel, le marginal, c’est aussi quelqu’un qui est un prophète, et qui croit que le verbe peut changer les choses. […]. Le populiste c’est aussi quelqu’un […], qui cherche des boucs-émissaire. Et souvent on se pose la question quand on entend l’attaque sur la technocratie »84. La soirée du deuxième tour 1995 a aussi été pour lui l'occasion de présenter sa conception de la notion politique générale que représente le concept de démocratie : « par rapport à toutes les observations qui ont été faite, la démocratie, on l’a dit, elle est plus fluide, elle est plus fragmentée, elle est plus éparpillée ». S'appuyant sur un équipement conceptuel fournit, Thierry Saussez dévoile de la même façon son "état des lieux social" à grand renfort de concepts imprégnés de science politique et de sociologie électorale, comme à l'occasion de la soirée électorale du 1er tour présidentiel d'avril 1995 : « On est entrés dans une société où les hommes politiques ont moins de moyens de communiquer par eux-mêmes, se sont interdit beaucoup de moyens de communication, de publicité. Il y a une 84 Le 20/03/1995Dans l’émission La France en direct » d’Antenne 2 du 20/03/1995. 50 sacralisation de l’image, il y a une sacralisation des sondages. Et il y a un effet d’instantanéité, qui fait qu’en réalité on juge les gens comme ça, dans le moment, dans l’instant, et l’électeur joue avec ça. Et d’ailleurs on voit qu’il joue entre son opinion et son comportement. Et ce soir il ne faut pas faire le procès des sondages. (…). Ce qu’on peut contester d’avantage, c’est que les sondages deviennent des médias qui pèsent sur l’électeur, qui deviennent des messages en eux-mêmes, qui sont repris par les caricaturistes, qui sont développés par les médias. Et que de ce fait on leur fait jouer un rôle dans cette campagne qui en réalité est un rôle déformant. Les hommes politiques sont soumis à ça (…). Les gens émettent une opinion. Mais quand on est dans l’élection, dans la campagne électorale, les gens jouent de ça. Et leur comportement peut être différent». Jacques Séguéla s'applique lui aussi à distribuer des concepts pour soutenir ses conceptions politiques et sociales. Argumentant avec André Fontaine, directeur du Monde nouvellement élu, sur FR3, le 1er février 1985 à propos de la crise traversée par le quotidien, il déclare : « Je crois que le concept des dix ans à venir est le concept des "racines du futur". Nous réussirons ce futur qui est là, il est inévitable, si nous emmenons à la semelle de nos chaussures nos racines », pour en venir à la constatation que « nous avons quitté la société de consommation, nous sommes dans une société de communication ». Cette dernière acceptation lui permettra d'adresser au nouveau dirigeant son évaluation de la situation du quotidien : « il n’y a pas de crise du Monde, c’est le monde qui est en crise. Le seul tord du Monde c’est d’avoir trop tardé à comprendre cette mutation ». Conscient que « la publicité à le pouvoir de distribuer les normes et les références »85, il s’attribue la faculté d’influencer les structures sociétales en sa qualité de producteur de normes et de valeurs sociales, ce qui nous renvoi directement à l’analyse d’Erik Neveu présentée plus haut dans cette étude (cf. page 32). Capable de dresser ce constat général, il se propose même de recenser les grandes tendances sociales qui marquent nos société contemporaines dans un inventaire où l’on retrouve : « les "menaces économiques" qui pèsent sur chacun, l’effritement des monolithes idéologiques, la perte du lien social, l’éclatement des cellules familiales […] »86, convoquant au passage, consciemment ou non, les grandes lignes des théories postmodernes telles que présentées par Jean-François Lyotard. La démarche de conceptualisation d'ordre sociologique à laquelle Jacques Séguéla recourt fréquemment lors de ses passages télévisés comporte toutefois le risque de laisser ses 85 86 Séguéla J., La Publicité, op. cit., page 4. Ibid., page 18. 51 interlocuteurs parfois quelque peu perplexe. S'adressant toujours à André Fontaine et entreprenant de lui prescrire la bonne vision à adopter pour concevoir la marche de la société contemporaine il lui affirme que: « non, il ne faut pas avoir honte ni de la mode, ni de la pub. Ne confondons pas la mode et le modernisme. Soyez le fond, mais la modernité. Et vous avez tout l’avenir devant vous » ce à quoi le journaliste réagit : « attention, vous employez trois mots : mode, modernisme, modernité ». Finalement, dans un certain excès de conceptualisation, Jacques Séguéla conclura en "précisant" : « Non, j’ai dit « la mode c’est la modernité ». Ne confondons pas mode et modernité. Oubliez la mode et soyez d’aujourd’hui ». La systématisation et la prédiction Leurs représentations étant régies par des concepts produisant une interprétation cohérente de l'ordre social, il leur apparaît désormais possible de s'appuyer sur le postulat du fonctionnement mécanique et systémique du champ politique pour formuler auprès de ses représentants les prédictions annonçant ses évolutions. A ce jeu là, Jacques Séguéla s'est fréquemment aventuré à faire part de ses perceptions intuitives concernant l'issue des grands rendez-vous électoraux. En mai 1991, il déclarait au journal de FR3 que « le prochain président de la République, pas là en 95 (parce que ce sera Michel Rocard), mais la fois d’après, je vous donne un scoop, qui n’engage que moi : ce sera une femme. J’ai même fais son affiche ». Ne se décourageant pas, il se risque à nouveau le 7 mai 1995 à assurer, dans les minutes précédant l'annonce des résultats, que : « Lionel Jospin est le vrai vainqueur du deuxième tour ; il a été très clair que Chirac a adopté une stratégie de non-débat […]. Je crois que l’on ne gagne jamais à ne pas se battre. Lionel Jospin a été plus moderne, plus pugnace, plus chaleureux. L’a-t-il été assez, nous le saurons dans dix minutes (…). Mais Lionel Jospin a nettement gagné, on le sait maintenant par les études, surtout sur les femmes, sur les jeunes et en région ». Mais la portée prédictive des techniques de communication politique atteint son paroxysme dans les déclarations du professeur de psychologie politique René Zayan. Cet enseignant de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Education de l’Université Catholique de Louvain a présenté l'état de ses recherches sur les techniques de communication politique dans un documentaire télévisé diffusé en mars 2007. Il y souligne le 52 rôle particulièrement important que peuvent jouer les méthodes de communication non discursive comme celles de la communication gestuelle et comportementale dans un contexte de concurrence électorale. Avançant l’idée qu’un candidat puisse se retrouver confronter et mis en comparaison avec le degré d’expressivité des autres candidats, Zayan déclare, certes à posteriori, que : « c'est ce « contraste comportemental » qui m’a permis de prédire plusieurs mois à l’avance, et au contraire des sondages, les défaites d’Edouard Balladur et de Lionel Jospin face à Jacques Chirac ». Il nous assure, toujours après le terme électoral, qu'il avait, dès 2002, jugé Lionel Jospin trop sérieux, anxieux, préoccupé, voire même triste. Il met aussi en cause son déficit de « contact corporel » avec le public, là où le président Chirac distribuait copieusement les poignées de mains et les baisers lors de ses fameux bains de foule, montrant systématiquement un visage plus jovial, et plongeant son corps dans la masse des électeurs. De fait, le résultat de 2002 était pour René Zayan, parfaitement prévisible. Sa psychologie politique, secondée par les méthodes précises et éprouvées de la psychosociologie, de la psychophonologie ainsi que de l’éthologie et de l’anthropologie, s’avèrerait donc plus fiable que les méthodes statistiques appliquées aux sondages d’opinion. Poursuivant dans ce registre prédictif, il révèle lors d'un entretien avec Edouard Balladur qu’il avait écrit dès novembre 1994 qu’il ne pourrait gagner les élections présidentielles du point de vue du charisme. Il basait alors son analyse sur l’étude de photographies qui le présentaient avec un « relèvement de sourcils anxieux, un regard évasif » qui formaient un « stéréotype » qui le désavantageaient. Face à la réaction d’Edouard Balladur (visiblement surpris et quelque peu vexé de ces remarques), il lui proposait la conclusion que son image aura été « filtrée par les médias » qui avaient choisi de mettre systématiquement en avant cette représentation anticharismatique. Ce dernier reconnaissait alors ne s’être peut-être pas assez préoccupé de cet aspect de son action politique concernant son image, son charisme et sa capacité de séduction. Puis, analysant les causes de la défaite électorale du Front National en mai 2002, Zayan, sans préciser si cela est dû à sa rencontre et à son intervention auprès de Jean-Marie Le Pen, nous affirme que, durant la campagne pour les élections présidentielles de 2007, le leader du FN cherchera à se monter « plus sociable que menaçant, [et] veillera à paraître plus rassurant ». A l'en croire, l'étude poussée des déterminants biologiques et psychosociologiques des comportements politiques a finalement fourni à ce chercheur un éventail de méthodes communicationnelles qu'il peut très pragmatiquement prescrire aux entrepreneurs politiques, les assurant d’être couronnés de succès électoral. 53 En réaction aux processus de labellisation subits par les professionnels de la communication politique, nous avions postulé la potentialité que leur travail identitaire passe par l’appropriation de référents théoriques communs plutôt que par celle de cadres normatifs pragmatiques (par des normes juridiques, des filières de formation professionnelle, des réseaux institutionnels ou associatifs,…). Si les références à un groupe professionnel structuré ne sont toujours pas évidentes, nous nous retrouvons néanmoins face à différentes pistes, parfois contradictoires, dans les rôles et les fonctions que s’assignent les professionnels en communication politique. La lecture de leurs ouvrages et le visionnage de leurs interventions nous a fait distinguer différents modèles de transaction identitaire objective correspondant à différents types de rapports qu’ils entretiennent avec les sciences sociales. Recevant des identités virtuelles multiples et distinctes pour chacun d’entre eux, nos trois archétypes de spécialistes en communication politique ont développé des revendications divergentes concernant leur identité réelle. C'est sur les modèles d'identité au travail découlant de ces stratégies que nous concentrerons maintenant notre étude. 54 CHAPITRE III Les sciences sociales : ressource identitaire du communicant en politique ? Après avoir établit que les théories de la sociologie professionnelle pouvaient aider à appréhender les comportements des professionnels de la communication politique, on relèvera maintenant les dispositions et les proportions dans les références théoriques de sciences sociales qu'ils peuvent injecter dans leur discours identitaire respectif. Si l'on vient de voir le regard que peut porter la sociologie sur leur activité professionnelle, on se concentrera désormais sur le rapport que chacun entretien avec les sciences sociales. Pour le présenter de façon triviale, il s’agira donc de déterminer si les sciences sociales deviennent "solubles" dans la communication politique. Ces renvois théoriques sous-tendent les usages identitaires adoptés dans leur activité professionnelle, et c'est pour cela que nous utiliserons les modes idéaux-typiques d'identités au travail catégorisés par Renaud Sainsaulieu. Ce dernier formule quatre modèles qui établissent dans le cadre de l’activité de travail : « des "modèles de normes et de valeurs" mais aussi de "modes d’identités collectives" et surtout des manières d’être en relation avec les collègues, chefs,… »87. Au titre de ces identités professionnelles, on compte : L’identité du « retrait » qui associe une attitude de « préférence individuelle » avec une stratégie d’opposition au champ professionnel, une identité « négociatoire » qui allie quant à elle une posture de « polarisation sur le collectif »88 avec là encore une stratégie d’opposition, 87 Dubar C., Tripier P., Sociologie des professions, Paris, A. Colin, 2003, page 238 Dubar C., La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Paris, A. Colin, 2000, page 120. 88 55 l’identité « affinitaire » qui fonctionnera au contraire en combinant la préférence d’un comportement marqué par une forte individualité pourtant liée à une stratégie d’alliance, enfin, l’identité « fusionnelle » qui combine la préférence collective avec la stratégie d’alliance, car comme le précise Claude Dubar, « l’identité de fusion implique une forme d’unanimisme faisant du collectif de travail une protection et repose sur l’identification aux leaders et aux chefs. Cette "figure professionnelle" désignée par l’expression "acteur de masse" n’est pas très éloignée de ceux chez qui dominent une "identité catégorielle"89. Si aucun des trois acteurs envisagés ne montre un comportement représentatif de cette identité de fusion, les caractéristiques sectorielles énoncées dans notre première partie empêchant la naissance de cette identité catégorielle, chacun d’entre eux pourra toutefois venir illustrer tour à tour l’une des trois autres stratégies identitaires professionnelles présentées. La question reste de savoir s’ils y exprimeront plus ou moins formellement leur volonté de dépasser le statut professionnel qui leur est assigné par le recours au registre des sciences sociales. I. Jacques Séguéla : les affinités électives. A. L'identité affinitaire. Pour Brigitte Delalande il nous faut faire l’hypothèse que « la structuration identitaire trouve, au travers de l’investissement de l’activité, un certain nombre de critères qui favorisent ou au contraire perturbe les sentiments […] d’individualisation (comme accès à la singularité sur la base de la différenciation) »90. Rejoignant l’analyse des identités typiques du travail de Sainsaulieu, nous retrouvons cette dimension individualisée dans la définition présentée précédemment de l’identité affinitaire. Faisant face à la labellisation de son statut professionnel, le communicant politique peut se voir développer des stratégies identitaires visant à imposer, selon le terme de Claude 89 90 Dubar C., Tripier P., Sociologie des professions, op. cit., page 238. Delalande B., op.cit., page 206. 56 Dubar, sa propre "forme identitaire". Il aura pour se faire recours à des registres discursifs visant à réorienter une identité qui peut être vécue comme stigmatisante car par trop restrictive. Si Jacques Séguéla nous apparaît dans ses propos quelque peu à "l’étroit" dans son rôle de simple publicitaire, on constate par l’observation de ses diverses déclarations qu’il tend à mettre en scène une extension de ses aptitudes professionnelles aux champs politique et littéraire. Ce processus a été envisagé dans les travaux de Jean-François Blin, sociologue des professions qui s’est penché plus particulièrement sur les représentations que les acteurs se faisaient de leur activité, mettant en avant la multiplicité des statuts qu’ils peuvent envisager. « Revendiquer, dans le champ professionnel, une place pour l’acteur et l’auteur, postuler une plus grande autonomie, cela oblige à mieux prendre en considération les différentes identités que le sujet mobilise selon la situation ou la représentation qu’il s’en fait »91. On assiste dans le cas de Jacques Séguéla à un véritable travail de redéfinition identitaire en réaction à un étiquetage social au sens de l’intériorisation active décrite par Dubar. Ce processus considère qu’à travers des « trajectoires sociales, les individus se construisent des « identités pour soi » qui ne sont rien d’autres que l’histoire qu’ils se racontent sur ce qu’ils sont »92. En cela, il reprend les travaux de Ronald D. Laing qui démontraient que le groupe de référence ainsi utilisé par l’individu « peut-être différent de celui auquel il appartient « objectivement » pour autrui. Il est pourtant le seul qui importe « subjectivement » pour l’individu. Sans cette légitimité « subjective » on ne peut pas parler d’identité-pour-soi »93. On retrouve bien ici le déchirement identitaire de Jacques Séguéla. Si, de par son histoire personnelle particulière, il souhaiterait que son identité soit définie de la même façon que celle d’un personnage politique ou d’un homme de lettres plutôt qu’en qualité de publicitaire, il lui faut dans ce but mettre en œuvre tout ce qui lui est envisageable pour sortir des pratiques et des discours classiques des professionnels en marketing. De cette volonté découle le sens particulier qu’il confère à ses écrits : à travers sa « littérature », il cherche à reconstruire son identité subjective et à la diffuser (à l’imposer ?) aux groupes capables de légitimer et de consacrer cette nouvelle identité composée. Seulement, cette forte individualité affirmée ne se départ jamais de références appuyées aux "grands hommes" de la publicité, qu’ils aient étés sur son chemin professionnel ou qu’ils fassent appel à une communauté conceptuelle formant un imaginaire professionnel sectoriel. C’est par ces renvois que s’affirme la stratégie d’alliance constituante de l’identité affinitaire adoptée par Jacques Séguéla. Ce double mouvement passera donc par une première 91 Blin J-F., Représentation, pratiques et identités professionnelles, op. cit., page 188. Dubar C., La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, op. cit., page 111. 93 Ibid., page 111. 92 57 intention, celle de s’éloigner des concepts scientifiques et techniques propres à la posture d’expertise communicationnelle pour approcher les champs littéraires et politiques, position rattrapée dans un second temps par des rappels à des bases conceptuelles proches de l’analyse sociologique. A. Une prise de distance avec la science positive. Le rapport au champ scientifique et à la posture rationnelle. Annonçant formellement ses intentions, Jacques Séguéla énonce que le métier de publicitaire est « passion avant d’être raison, don (et d’abord de soi) avant d’être technique, implication avant d’être fonction »94. Il faut aimer la pub pour ce qu’elle est à son sens « la porteuse des valeurs de notre société »95. Plutôt qu’en sociologue analyste de la société environnante, Séguéla se positionnerait plus en interprète, témoin de son temps, s’installant de ce fait dans une posture plus proche de celle du journaliste ou de l’écrivain. Cela se trouve confirmé par la suite lorsqu’il précise qu’il faudrait selon lui se garder de définir la notion de créativité comme le réinvestissement pragmatique de techniques précises mais plutôt comme une capacité irrationnellement issue de « l’accouplement de la connaissance et de l’inspiration »96. Cette position de quasi méfiance par rapport à la pensée positiviste devient l’un de ses leitmotivs discursifs permettant d’interpréter l’origine de sa professionnalité (« la course à l’invention est une perpétuelle déstabilisation, un pacte passé avec l’illogisme. Le cartésianisme est le plus grand castrateur que l’histoire ait jamais enfanté»97). Une anecdote relatée dans son livre phare Ne dites pas ma mère que je suis dans la publicité… résume bien cet état d’esprit. Il y raconte qu’avec l’entrée de d’Alain Cayzac au sein de l’agence RSCG (il est en fait le "C" de "RSCG") c’était en vérité pour lui « l’entrée de la raison au pays de la déraison »98. Son cursus universitaire plus classique en comparaison de ceux de ses partenaires (pour leur part passés par le journalisme) amenait en effet une aura de rationalisation de l’action à l’entreprise de communication. 94 Séguéla J., La publicité, op. cit., page 3 Ibid., page 4. 96 Ibid., page 6. 97 Ibid., page 6. 98 Séguéla J., Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel, Paris, Flammarion, 1979, page 92. 95 58 La proximité du champ littéraire. Rejetant en première instance la figure rigide et contraignante du "Professeur ès Communication Politique", Jacques Séguéla entreprend de s’affilier à un tout autre champ professionnel. Son style se fait parfaitement littéraire, parfois grandiloquent, voire lyrique. Il marque son appartenance à cet univers professionnel notamment par l’attestation de sa filiation à plusieurs personnalités de la littérature contemporaine. Ses qualités de publicitaire, sa professionnalité de communicant politique, c’est alors uniquement de son héritage particulier qu’il les tient. Et cet héritage est celui qui lui a été légué par ses mentors, ses « identités d’aspirations » (telles que définies à la page 43). L’exemple de Jacques Prévert devient éclairant afin de comprendre la rhétorique "séguélienne". Il révèle ainsi, sûr de provoquer l’étonnement chez son lecteur, que c’est Prévert qui lui a inspiré le goût de la publicité, l’ayant rencontré pour réaliser une campagne de publicité inspirée de son œuvre. Il raconte aussi dans nombre de ses livres le rôle fondamental qu’a joué sa rencontre d’avec Pierre Lazareff, le fondateur du journal France-Soir. Se trouve alors mêlés dans ces récits cette parenté professionnelle et les enseignements littéraires qu’elle a amenés. « A ses côtés [ceux de Lazareff], j’allais découvrir le pouvoir des mots. Un pouvoir sans limites, car ce sont les mots qui règnent sur la communication. Ils sont les maîtres du monde des medias. Ils font et défont les réputations. Donc les fortunes. Ils donnent la vie ou la mort à une nouvelle ou à un produit. Ils sont les dieux tout-puissants de la religion de l’écrit »99. Il inscrit pertinemment cette proximité du travail d’écriture dans un récit atypique par rapport à la profession. Il déclare ainsi que Bernard Roux et lui-même sont des « publicitaires par hasard »100, contrairement à Alain Cayzac qui le serait de son côté, de métier, « par vocation ». Il ne se revendique que rarement et jamais directement des méthodes de marketing commerciales traditionnelles car ses lignes de conduite publicitaire lui sont héritées de ses rencontres, comme l’axiome « en publicité, mentir c’est mourir »101qu’il reprend dans la plupart de ses textes et qui lui avait été transmis par Pierre Lazareff. Mis en selle par cet influent professionnel de la presse écrite, il connecte la communication politique avec une discipline littéraire plutôt que scientifique : celle du 99 Ibid. page 21. Ibid. page 91. 101 Ibid. page 62. 100 59 journalisme, en évoquant un parallélisme entre les techniques régissant ces deux activités. « Pour un publicitaire, la politique a un cousin germain, la presse. L’un parle, l’autre écrit. Chacun ne vit que pour se faire entendre. Le premier fait la course à l’électeur, le deuxième chasse le lecteur. Un marchand de lessive ou de café qui s’adresse à un publicitaire le fait sous le manteau, craignant la moindre fuite […]. Il ne parle qu’objectifs, moyens, distribution. […]. Un politicien ou un journaliste arrivent, précédés par une rumeur, le cœur battant la chamade. Ils disent : « j’ai une idée » »102. Et cette dimension d’inspiration presque "artistique" qu’il revendique pourra parfois lui être accordée et reconnue dans son identité virtuelle. Le 17 février 1990, l’animateur de l’émission Rue des entrepreneurs de Radio France l’introduisait en effet comme « le pape de la pub […] » qui « a fait de la publicité, ou essayer de faire, le huitième art ». Poussant encore plus loin le parallèle qu’il entend dessiner entre le métier de publicitaire et le champ artistique, il déclare qu’ « écrivains, peintres, cinéastes jouissent face au public d’une totale liberté d’expression. Art mineur, la pub aspire à la même indépendance. »103. Cette analogie se retrouve filée quand il aborde la question de la formation des communicants en déclarant que le cabinet Procter et Gamble est « la grande porte » d’entrée pour la publicité, comme Polytechnique ouvre au management, l’E.N.A. à l’administration et Normale à l’Enseignement. « Procter et Gamble c’est notre ComédieFrançaise », où « seuls y sont admis les premiers de liste du conservatoire »104, comprenez les étudiants majeurs de promo à H.E.C, l’expression employée achevant de construire un pont entre la publicité et les arts. Il poursuit dans cette voie en donnant sa définition des métiers de la publicité. L’idéal du commercial sera chez lui présenté d’un « un poète qui serait comptable, un coureur de fond qui n’hésiterait pas à sauter à la perche » ; le créatif devient un « artiste-artisan, facilement persuadé qu’on ne comprend rien à son art. Il est le trublion et l’âme d’un métier […], L’idéal du "créa" est précis et instinctif », ce qui rejoint les indications qu’il nous avait livré quant à sa vision de l’idéaltype du professionnel de son secteur d’activité. A l’opposé de ce costume singulier qu’il s’est taillé, on trouvera le conseilleur du service des études : « trader de la pub, il s’efforce de transformer la foire aux bestiaux en sciences 102 Ibid. page 186. Séguéla J., La Publicité, op. cit., page 9. 104 Séguéla J., Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel, op. cit., page 91. 103 60 exacte. Simulations, études, recoupements lui permettent de limiter l’incertitude de l’achat d’espace […]. L’intuition lui est interdite »105. Les arts sont donc omniprésents dans la rhétorique qu’il développe dans ses récits de carrière et les références faites aux différents auteurs seraient trop nombreuses et trop variées pour pouvoir être répertoriées de façon exhaustive dans ces lignes106. Cette familiarité qu’il entretient avec la sphère artistique s’observe enfin dans la liste qu’il expose de ses prestigieuses collaborations, qui sont allées, pour ne citer que les plus étonnantes, de l’icône artistique Salvator Dali au réalisateur Edouard Molinaro ou à la photographe Sarah Moon. Le recours constant aux grandes figures de style se révèle être encore un autre marqueur de sa volonté de s’affilier au champ littéraire. Multipliant les métaphores et les comparaisons, le publicitaire devient alors sous sa plume un « torero »107 ou un « accoucheur »108 , tandis que dans sa vision du marché de la communication « le consommateur se fait hérisson »109. Le rapport au champ politique Poète de la réclame et publicitaire maudit, Jacques Séguéla confère à son activité professionnelle une dimension inattendue, car voulant transcender le cadre des techniques du marketing pour conférer à l’action une dimension supplémentaire marquée par l’influence des modes d’écriture journalistiques et littéraires. Toujours interrogé dans l’émission Rue des entrepreneurs, il précise cette ambition tout en la teintant d’une aspiration politique. « Depuis le premier jour où je me suis engagé dans la communication, car j’étais journaliste, à Paris Match, et puis ensuite à France Soir, j’ai voulu faire avancer la communication française. Et je pense que la démocratie c’est la loi de l’alternance, et qu’on n’a le droit de n’accepter aucune hégémonie. Et que les vraies guerres qui doivent nous concerner sont de guerres 105 Ibid., page 48 On mentionnera à titre d’exemple, dans Ne dites pas à ma mère (…) les références hétéroclites faites à Céline (en page 73), Salvador Dali (l’épisode de leur rencontre est relaté de la page 74 à 81), Offenbach (page 117), Guy Béart (page 124), Orson Wells (page 133), etc. ; et dans La Publicité à Blaise Cendrars (page 4), Baudelaire (page 7), Jean Cocteau (p.12), Cervantès (page 12, 16), Peter Ustinov (page 24), Aldous Huxley (page 51), etc. 107 Ibid., page 31. 108 Ibid., page 176. 109 Séguéla J., La Publicité, op. cit., page 11. 106 61 idéologiques, de faire avancer son métier pour qu’on soit, à un moment donné, reconnu par le reste du monde. Si l’on n’est pas reconnu, on n’existe pas. Et j’ai senti que dans la presse je n’avais rien à apporter […]. Je suis allé dans la publicité pour que cette publicité française bouge, s’impose au monde, soit différente de la publicité américaine, ait ses heures de gloires et ses échecs, mais surtout, fasse avancer la communication ». Cette déclaration introduit la valeur politique qu’il entend conférer à ses actes de communication. L’épisode consacré à Bruno Petit dans Ne dites pas à ma mère (…) permet d’entrevoir ce volet de sa rhétorique identitaire. Cet entrepreneur polytechnicien avait demandé à RSCG de lancer la campagne de son projet de maisons individuelles (les Maisons Individuelles de France). Une affiche publiée dans France-Matin prenait le parti de s’adresser directement à François Mitterrand, alors en campagne électorale pour les présidentielles de 1974, l’interpellant sur des questions immobilières. A ce propos, Jacques Séguéla déclare qu’ « en trois mois, il [Bruno Petit], devint un homme public » grâce à cette campagne publicitaire qui lui aurait permis de « réveiller les consciences »110. On voit donc que pour Séguéla, la publicité dépasse le cadre purement médiatique ou culturel pour s’immiscer dans celui de la politique. Ici c’est la revendication de la liberté d’entreprendre face à la politique de logement du candidat socialiste qui se voit introduite dans le débat public grâce à l’action de communication. Suivant le raisonnement de Jacques Séguéla, il faut se convaincre que c’est l'idéologie politique qui précède la technique communicationnelle et non l'inverse. Toujours en considérant Ne dites pas à ma mère (…), on notera que l’agencement même de l’ouvrage pourra nous offrir des indices sur l’ampleur politique dont il veut doter son activité, car il est notable que ce livre s’ouvre et s’achève sur des références anecdotiques à deux fameux présidents étatsuniens. Il commence ainsi par un parallèle entre les parcours politiques et commerciaux du Président Carter, souhaitant lier ces deux professions l’une à l’autre et en prenant soin de se mettre lui-même en abîme de cet exemple. « Jimmy Carter est devenu président des Etats-Unis en vendant des cacahuètes. Je suis devenu publicitaire en vendant des pilules pour le foie. Les pilules Carter. Les métiers de président de la république et de publicitaire ont ceci en commun de n’exiger ni études ni diplômes »111. Puis, comme final de sa démonstration, il utilise le premier discours de J.F. Kennedy et sa célèbre phrase « ne vous demandez pas ce que l’Amérique peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez 110 Ibid. page 120. Séguéla J., Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel, op. cit., page 13. 111 62 faire pour l’Amérique »112 pour détourner cette formule et l’appliquer à sa conception du métier de communiquant. En 1988, il parle ainsi de la communication politique comme d’un « fantasme professionnel », et dit avoir toujours rêvé d’être « le publicitaire de la République »113. Entre une première approche et un rendez-vous manqué pour les élections présidentielles de 1974 (cf. Annexe) qui avait préfiguré la « force tranquille » de la fameuse affiche de l’élection victorieuse de 1981 (cf. Annexe), le parcours de Jacques Séguéla aura recroiser celui de François Mitterrand lors des municipales de 1977. Et chez l’homme politique, il déclare de façon surprenante être avant tout allé chercher les influences littéraires plutôt que le parcours politique. Il dit de lui : « fils de Proust et de Mauriac, son chemin est aussi celui de la littérature »114 et développe alors dans son récit une identification prononcée par rapport au candidat puis au chef d’Etat. Comme lui, il s’emploie à montrer que les cadres de l’action politique ne lui conviennent pas. Il semble se battre contre l’"establishment" des grands appareils politiques. Par exemple, quand l’efficacité de sa campagne de 1977 était mise en doute, il déclare avoir été convoqué « devant le conseil du Parti [socialiste] comme devant un conseil de discipline […]. S’y essayèrent à tour de rôle, Hernu, Dayan, Attali et les autres « sages ». J’entendis tout et le contraire de tout. […] La suite nous [avec François Mitterrand] donna raison contre tous »115. Cette expérience lui permet alors de conclure à la règle voulant que « en publicité comme en politique, à trop manier le goût du verbe on perd le goût de l’action »116. Pour établir des connections entre les rôles de publicitaire et d’homme politique, Séguéla s’appui sur leur capacité à la prise de décision instinctive qui les écarte des méthodes par trop rationnelles des grandes institutions, que peuvent constituer les groupes politiques comme les partis ou le cadre établi et routinisé des agences de communication. Les cadres organisationnels apparaissent de fait trop restrictifs et représentent un frein à l’inspiration et à l’action individuelle de ces personnalités. Ainsi, il affirme qu’il lui aura fallut seulement une semaine pour concevoir la campagne avec Mitterrand contre deux mois de tractations pour tenter de convaincre son entourage. Le parti socialiste lui-même est alors présenté comme une lourde machine bureaucratique qui multiplie les réunions afin de « rendre la raison »117 au publicitaire. Séguéla et Mitterrand sont ici présentés (romancés ?) comme des hommes faits 112 Ibid., page 259. Ibid. page 172. 114 Ibid. page 175. 115 Ibid. page 178. 116 Ibid. page 179. 117 Ibid. page 178. 113 63 du même bois, de celui dont sont construits les vrais décideurs, ceux capables de ressentir ontologiquement l’essence d’une personnalité afin de la traduire en campagne de communication ou en projet politique. Jacques Séguéla est convaincu de cette capacité de ressenti propre à ces deux fonctions et cela peut notamment se repérer lorsqu’il déclare qu’il avait « traduit d’emblée la pensée intime de François Mitterrand ». « J’avais lu dans ses yeux la première et totale acceptation de la campagne »118. Il nous éclaire alors sur ce rapprochement quasi intime qu’il estimait entretenir avec François Mitterrand quand il rapporte ses propos, tenu lors de son mariage, après une longue absence de relation entre les deux hommes : « Vous êtes le seul homme de publicité qui me comprennent aussi vite et me traduise aussi bien »119. Proximité donc, dans la conception de l’action, mais aussi dans le vocabulaire : « les élections législatives devaient se dérouler au printemps prochain. Il était temps de se mettre en campagne. Curieux mot que celui-ci ! Les hommes politiques et de la publicité le partagent et il les fait se retrouver »120. Enfin, comme pour souligner définitivement le parallèle qu’il entend établir entre l’activité politique et publicitaire, il affirme, non sans provocation, que « le plus grand publicitaire français n’est ni Douce ni Bleustein. C’est de gaulle. Sa première annonce, l’appel de juin 40, a gagné la guerre, son dernier spot, l’appel de mai 1968, a vaincu une révolution. »121. Proche dans l’esprit de la classe politique, et utilisant les modèles de ses représentants pour définir une identité individualisée par rapport aux cadres du groupe des professionnels de la communication, il ne distingue pourtant pas l’objet de la communication politique des méthodes de communication communes. Le message n’est pas ici envisagé comme un produit particulier qui nécessiterait une communication adaptée (« Comme si, parce que le produit est une idée, les publicitaires n’en trouvaient pas pour la défendre »122). Revenant sur son travail lors des élections législatives de 1978, il compare les hommes politiques à des labels commerciaux, leur donnant mêmes des caractéristiques facilement repérables pour leur accoler des « marques de référence »123. François Mitterrand serait ainsi de la trempe d’un produit Dior, Jacques Chirac devient Courrèges et Valéry Giscard d’Estaing Pierre Cardin. 118 Ibid. page 179. Ibid. page 181. 120 Ibid., page 182. 121 Ibid., page 259. 122 Séguéla J., La Publicité, op. cit., page 43. 123 Séguéla J., Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel, op. cit., page 182. 119 64 Plus loin, il dit être « passer de la défense de la lessive X à celle de la lessive Y » en rappelant son changement d’équipe pour son passage auprès de Jacques Chirac. « J’assure à l’agence à la fois la publicité de Carrefour, de Prisunic et du Bon marché, et personne ne s’en choque. En quoi les partis politiques sont-ils différents ? Le publicitaire est un télégraphiste. Il n’a pas à émettre de message, il transmet»124. Pour étayer son argumentation, il évoque l’une de ses discussions avec l’un des grands publicitaires français de l’époque : « Marcel BleusteinBlanchet m’accusa de trahison du consommateur. Un publicitaire, selon lui, doit se refuser à tout engagement de communication politique. Parce qu’un client qui n’est pas content d’une marque de lessive l’abandonne le soir même, alors qu’un citoyen mécontent de son député l’a sur les bras pour cinq ans. Je pense au contraire, qu’un électeur, lorsqu’il a son nouvel élu, est aussi content de lui qu’un automobiliste lorsqu’il a sa nouvelle voiture. Il n’y a pas un français sur mille qui se plaigne de son achat. Ce qui prouve qu’après tout c’est son « bon choix » et que la publicité ne choisit pour personne. Elle permet de mieux choisir, c’est tout »125. Il prend ainsi soin d’utiliser pertinemment le terme de « publicité politique »126 plutôt que « communication » politique. De plus, comme on a pu le voir avec les références introduisant et concluant Ne dites pas à ma mère (…), il s’attache à mettre en avant des figures individuelles, de grandes figures de la politique américaine ou française, représentant des "classiques" de la politique moderne. Il opère à chaque fois un parallèle entre sa profession et l’histoire de ces hommes, mais en prenant soin de ne pas sortir d’un parcours purement personnel qu’il cherche formellement à inscrire dans un cheminement téléologique mettant en scène un destin individuel et particulier, donc unique. Il présente son travail en politique comme celui d’un agitateur venu d’une sphère professionnelle indéterminée, qui ne serait pas proche du marketing commercial pur ou encore de l’entreprenariat et des techniques de gestions classiques, mais cependant pas non plus issu du champ académique des sciences sociales ou, plus largement, académiques. Il se considère finalement comme une « star » de la communication, au même titre que les « stars politiques » dont il proposait une longue (et quelque peu tortueuse) définition, invité dans une émission télévisée par Bernard Pivot127. 124 Ibid. page 184. Ibid. page 185. 126 Séguéla J., La Publicité, op. cit., page 42. 127 « Les stars politiques sont devenues des stars comme les acteurs, et dont certains deviennent des mythes », puis il prend les exemples de François Mitterrand et de Mikhaïl Gorbatchev, « la plus grande star des années à venir », le 27/01/1989, émission « Apostrophe », numéro « Des Tsars aux stars »). 125 65 Jacques Séguéla s’adonne donc à un véritable shopping ou zapping identitaire, gérant son particularisme identitaire en parcourant des registres variés et se posant en acteur extérieur du champ professionnel dans lequel il évolue pourtant. Pour Jean-François Blin « un même acteur est porteur d’identités professionnelles plurielles (« être poly-identitaire »), construites par identification à des groupes d’appartenance et de référence qui se différencient à partir de langage et de codes communs, de pouvoir au sein de l’organisation, de valeurs et de fonctions sociales. L’acteur mobilise l’une ou l’autre de ses identités professionnelles selon, d’une par un processus de « zapping identitaire » en fonction de la situation d’interaction où il se trouve ou de la représentation qu’il s’en fait et d’autre par d’un processus « d’assignation identitaire » mobilisé par l’Autre »128. C’est pourquoi il nous faudra évaluer dans quelles mesures ces références identitaires ne le pose toutefois pas de façon absolue et définitive en marge du champ professionnel de la communication politique. Car, si elle anoblit quelque peu sa fonction de publicitaire 129, la communication politique reste essentiellement pour Jacques Séguéla une communication comme les autres. Il faut ici considérer le candidat comme un « annonceur occasionnel », qu’il faut traiter avec la même régularité et « complicité » qu’avec les « annonceurs réguliers »130. Il peut ainsi demeurer publicitaire "engagé" dans une campagne publicitaire avant de s’engager dans le débat politique. Il ne s’inscrit pas dans un projet politique autrement que s’il réalisait une campagne commerciale, car il déclare dans toutes ses publications et interventions qu’il défend à chaque fois la « cause » des marques qu’il représente. La politique n’est donc que l’occasion d’appliquer à un autre champ, certes considéré publiquement comme plus légitime, son talent publicitaire. Pour lui, « la pub apporte ses techniques au politique, mais elle n’en est que le haut-parleur : le seul élu, c’est la valeur du candidat »131. Si pour lui, il ne faut pas se contenter de vendre uniquement des produits mais aussi un message politique, il ne déclare nul par qu’il faudrait pour autant le vendre autrement. Le champ politique est un champ périphérique qu’il est possible d’investir avec les même méthodes que pour la publicité traditionnelle et dans lequel « le communicant n’est que le metteur en scène d’une conviction »132. 128 Blin J-F., Représentation, pratiques et identités professionnelles, Paris, L'Harmattan, 1997, page 184. « J’ai toujours considéré que la publicité, si elle se contentait de vendre des lessives et des cafés, resterait à jamais simple réclame. Aussi, n’ai-je jamais laissé passer, lorsqu’elle m’était proposée, la défense d’une cause politique qui pourrait servir l’illustration de mon métier », Ibid., page 42. 130 Séguéla J., La Publicité, op. cit., page 43. 131 Ibid., page 43. 132 Ibid., page 43. 129 66 ii. Des références activées en cas de "crise" identitaire. Le choix des armes identitaires : le repositionnement du statut professionnel La posture sélectionnée par cet acteur varie donc selon le contexte conditionnant son expression. C’est ce que Blin évoque en précisant sa notion de « zapping ». « L’identité professionnelle est à entendre comme une dynamique, un processus contextualisé dans l’interaction et non comme une forme stable et univoque signifiant l’appartenance de l’acteur à une organisation. […] L’identité professionnelle conceptualisée comme un réseau d’éléments des représentations professionnelles permet de rendre compte du processus de « zapping identitaire » selon les contextes et les situations »133. Convié dans une émission littéraire en qualité de publicitaire ou encore en tant que tête de proue de la communication politique française moderne, il tâchera de se détacher de l’espace de la communication et de s’affilier aux acteurs présents. De même, invité comme personnalité censée représenter un regard externe au champ de la compétition politique, par exemple lors des soirées électorales, il sera capable de marquer une prise de distance avec l’action politique en faisant prévaloir une capacité d’analyse théorique et "technicienne". Mis en danger, parce qu’elle l’éloigne désormais trop de son champ d’activité professionnelle (qui demeure celui de la communication) il tentera une négociation identitaire pour réaliser une alliance avec ce groupe, et ce faisant alimentera son discours en référents lui conférant une certaine dose de professionnalité communicante. Ressources que pourront lui fournir les méthodologies des sciences sociales. C’est ce que l’on a pu observer sur Antenne 2 le soir du premier tour des élections présidentielles d’avril 1995. Jacques Séguéla s’y adressait aux hommes politiques présents et aux représentants des instituts de sondage animant la soirée dans un discours qui s’appliquait à reprendre au compte de son examen de la situation les grandes catégories caractéristiques d’une analyse politique (« les sondages ne sont que des sondages. C’est parce qu’ils sont devenu média qu’ils ont pris une telle importance. Les journalistes sont encore plus responsables que les sondeurs. […] Les français ont changé, il faut que les hommes politiques le comprennent). 133 Blin J-F., Représentation, pratiques et identités professionnelles, op. cit., page 187 67 Que cela soit chez lui le fruit d’une stratégie consciente ou que ce phénomène se produise de manière instinctive, comme un réflexe identitaire, le fait est que l’on peut observer dans le discours de Jacques Séguéla le recours ponctuel à des théories et concepts relevant du domaine des sciences humaines et sociales. C’est même lorsqu’il doit se justifier de l’action qu’il entend imprimer sur la société de par son activité de communication qu’il vient y faire appel. Les sciences sociales sont alors convoquées comme un outil pouvant fournir une méthodologie capable d’améliorer les performances des conseillers en communication. L’utilisation des grandes variables socioculturelles, d’habitude propres à la recherche en sciences sociales, se voient chez lui détournées dans le but de dresser les contours de l’idéaltype du consommateur français. C’est le cas du Centre de Communication Avancée (C.C.A.) qu’il convoque lors d’une campagne réalisée pour Carrefour en collaboration avec Bernard Brochand, autre grande figure de la communication. Ce service développait une méthode permettant de dresser un « nouveau portrait-robot psychosociologique du Français » en considérant les marqueurs des courants de motivations des populations ciblées issues de différentes études de marchés afin de déterminer ce qu’il appelait les « flux socioculturels »134. Réinterprétant ces outils méthodologiques, il crée ainsi un pont entre les techniques statistiques familières aux sciences sociales pour les inviter dans le champ professionnel de la communication, mettant ainsi en place sa stratégie d’alliance avec ce groupe professionnel. Ce désir d’accéder à une légitimité sociologique dont il ressent le besoin lors de ses déclarations dressant un état des lieux social peut se repérer dans l’emploi même qu’il fait du champ lexical sociologique. A nouveau sur le plateau de l’émission Apostrophe135, déclarant que les communicants font « fausse route », il invite à passer dans ce qu’il désigne alors comme « ce mouvement très rare de la sociologie française où l’on est sur le fil du rasoir d’une « société-fric » (regarder toutes les affaires en ce moment), et d’une « société-cœur » […]. Essayons, nous qui sommes les communicants, les journalistes, les critiques, les publicitaires dans leur petit coin, de faire basculer le monde dans la « société-cœur » ». Son usage du terme « sociologie » correspond en effet à un abus de langage, car il cherchait plus vraisemblablement à désigner la conjoncture nationale d’alors, la situation sociale de la France, plutôt qu’une étape de la discipline sociologique. 134 135 Séguéla J., La Publicité, op. cit., page 155. Le 27/01/1989, émission « Apostrophe » de Bernard Pivot, numéro « Des Tsars aux stars ». 68 Les sciences sociales ou la dernière instance du recours identitaire ? Les renvois qu’il fait aux théories sociologiques restent tout de même de l’ordre de la généralité. S’il les utilise dans sa stratégie d’alliance au champ de la communication, c’est avant tout par référence (et déférence) à un ensemble intellectuel plus global. Publicitaire de sang littéraire, il s’affirme, quand il le faut, tout de même au fait des doctrines communicationnelles. Il se veut donc à l’aise avec la Sociologie des Communications, comme lorsqu’il déclare que « les mass media sont des filtres culturels. Ils véhiculent notre information mais à leur rythmes sociologique et psychologique. […] L’affiche donne à son message une dimension de réalité culturelle »136. Dans cette optique, il va aussi teinter de références particulières le récit biographique de la création de RSCG, son agence de communication. Il fait par exemple référence à Sigmund Freud, selon qui « les six premières années déterminent la vie d’un homme »137, pour faire un parallèle avec la période de maturation de son agence, recourant à cette notion issue de la psychanalyse et nous livrant par la même occasion l’interprétation personnelle de son intégration à son champ d’activité professionnelle. Aussi, quand il entreprend d’expliquer la bonne entente d’avec ses collaborateurs, c’est sur les travaux du philosophe Gaston Bachelard qu’il s’appuie en liant les caractères humains de ces professionnels à leurs origines géographiques138. Puis c’est à la discipline ethnologique qu’il emprunte, l’employant comme une illustration de sa conception de l’organisation du champ professionnel publicitaire qu’il compare alors à une organisation tribale. « Les ethnologues ont constaté que les tribus vivant à la frange de leur habitat naturel avaient évoluées plus vite que les autres. A tout publicitaire de défricher la novation aux marges culturelles de la société »139. On donc relevé que s’il essayait de tirer son identité vers un espace marqué par une dimension artistique ou journalistique, en tout cas littéraire, Jacques Séguéla s’avérait être tout de même à l’aise avec la figure du communicant, à laquelle il cherche à associer une dimension analytique et critique. Le détour par les sciences sociales lui permet d’imposer la 136 Séguéla J., Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel, op. cit., page 120. 137 Ibid. page 44. 138 « Bachelard a décrit combien les lieux influencent les hommes », Ibid., page 94 139 Séguéla J., La publicité, op. cit., page 8. 69 communication politique comme n’importe quel autre acte de communication et par là même de puiser dans le corpus théorique sociologique pour l’appliquer à son activité professionnelle et ainsi se rattacher à son groupe d’appartenance. C’est ce jugement qui le différenciera de Thierry Saussez, autre grand conseiller en communication politique français. Ce dernier se positionnera en spécialiste de ce type de communication justement parce qu'il en proposera une conception différente. II. Thierry Saussez : Le professionnel. A. L’identité négociatoire. Pour illustrer la distance entre les stratégies identitaires de ces deux acteurs, il pourra être intéressant de débuter avec l’examen des styles de mise en page retenus pour les couvertures et quatrièmes de couverture de leurs livres phares. Chez Jacques Séguéla, on préférera des couvertures plus aérées et dépouillées. En prenant l’exemple de celle de son livre le plus célèbre, Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité, elle me crois pianiste dans un bordel (cf. Annexe ), en plus de remarquer que le titre contient déjà de nombreux articles et pronoms personnels à la première personne du singulier, on peut noter qu’il utilise une police typographique reproduisant une écriture manuscrite, ce qui souligne la volonté de mise en lumière de la personnalité de l’auteur, de son individualité et de son implication dans ce livre, insistant ainsi sur sa dimension autobiographique (que l’on retrouvera aussi dans le chapitrage chronologique par années). Le texte présenté en quatrième de couverture a été préparé par l’auteur. C’est une note d’intention personnelle, un extrait de sa "profession de foi" professionnelle plutôt qu’un résumé de l’ouvrage. Sur ses quatrièmes de couverture, Jacques Séguéla se verra aussi toujours présenté comme un « publicitaire ». Thierry Saussez est quant à lui annoncé en tant que « conseiller en communication ». Dans le cas par exemple de la couverture du Temps des ventriloques (cf. Annexe), on constate une plus grande prise de distance par rapport au sujet avec le choix d’une présentation qui rappelle plus les éditions académiques de sciences humaines. A cet effet, le 70 titre se trouve accompagné d’un sous-titre venant préciser l’objet d’étude, accolé à une illustration artistique mettant en perspective l’objet d’analyse. La quatrième de couverture est cette fois-ci écrite à la troisième personne et comporte une présentation de l’auteur et qui précise son parcours et sa situation professionnelle. On pourra encore retrouver cette divergence de stratégie identitaire dans le choix des auteurs de faire apparaître ou non leurs références bibliographiques à la fin des ouvrages. A ce titre, Thierry Saussez intègre à son livre Le Temps des ventriloques une bibliographie indicative faisant la part belle aux sociologues et autres spécialistes de sciences sociales (en allant des travaux de Dominique Wolton ou Lucien Sfez en passant par ceux de Pierre Domenanch, Roland Cayrol, Pascal Perrineau, Jacques Gerstlé, Joseph Mendelsohn, Catherine Marsh, Paul Whiteley, Alain Woodrow, ou encore des actes de colloques et les références de revues du CEVIPOF). L’identité négociatrice adoptée par Thierry Saussez peut donc se pressentir dans le repérage de ces premiers indices. "Conseiller en communication" avant toute chose, il effectue bien un travail de polarisation sur le collectif professionnel dont il relève. Mais il entrera en opposition avec les comportements ayant cours dans son champ d’activité en étayant son discours de références sociologiques. Claude Dubar nous éclaire sur ces « allers et retours » identitaires lorsqu’il explique que « l’identité de négociation met en jeu une forme de « solidarité démocratique » fondée sur le débat, le compromis et le calcul d’un « acteur stratège ». Elle est proche de l’identité d’entreprise »140. ii. La proximité au champ professionnel. Reprenant une intervention du député André Santini, Saussez inclut dans un même groupe « Séguéla, Saussez et Bongrand », qu’il associe à la même activité professionnelle. « On nous créditera, à tout le moins, d’essayer de créer un lien entre le message et l’image […], les plages d’expressions nous permettent d’esquisser un raisonnement, ce sont nos seules armes de négociation avec le système »141. Par la suite, et dans le cadre d’une stratégie identitaire objective biographique, il reconnaît à son tour des identités d’aspirations (cf. page 43), avec de grandes figures de la communication politique, comme celle du « "Professeur" 140 141 Dubar C., Tripier P., Sociologie des professions, op. cit., page 238. Saussez T., Nous sommes ici par la volonté des médias, Paris, Robert Laffont, 1990, page 140. 71 Bongrand [Michel Bongrand, avec qui il a longtemps collaboré], qui a initié ce métier »142. Il est symptomatique de le voir conférer à ce professionnel le titre académique de "professeur" et l’on verra qu’il s’attachera à préciser invariablement les titres universitaires des auteurs sur lesquels il s’appuiera. On repère bien ici toute la stratégie de négociation de Thierry Saussez qui transparaît à travers son argumentation. Car, s’il s’assimile effectivement à un groupe professionnel, il tente toutefois d’en redéfinir les contours et cherche à en livrer sa propre interprétation, cela en lien avec une identité empruntée à un autre champ d’activité. La proximité au collectif professionnel, il l’exprime aussi dans la description de sa méthode de communication. Pour la communication politique il utilise en effet un « planmédias » qu’il « adapte à la vie publique »143. Proche de ce groupe professionnel, il s’attache alors à valoriser le rôle de la publicité politique au sein des stratégies de communication globales. « La communication politique à la télévision est souvent un mauvais compromis entre le spectacle et le débat en profondeur. La publicité permettrait de bien dissocier ce qui est du domaine de l’image, du symbole, et de revaloriser ainsi le débat de fond par de vrais échanges »144. Sa stratégie devient évidente lorsqu’il en vient à citer Robert J. Maarek, de l’Université de Paris XII, pour affirmé que le message télévisé à vidé de son sens le discours politique, par l’appropriation des techniques et impératifs de la communication médiatique par les acteurs politique : « la télévision n’est pas neutre. Elle diminue le potentiel des messages quand elle ne les caricatures pas »145. C’est ce qu’il désigne par la suite sous les concepts de « média simplificateur » producteur d’un « discours réduit », concepts directement repris des travaux de Maarek. Ce faisant, il décide de prendre l’angle des sciences sociales, et en particulier de la sociologie de la communication, pour analyser le champ professionnel auquel il déclare pourtant appartenir. Appartenance au collectif et stratégie d’opposition se conjuguent alors dans une négociation identitaire, qui pourra par exemple l’amener à reprendre les conceptions d’Alfred Sauvy ou de Jacques Ellul sur la communication politique pour soutenir ses déclarations. A ce titre, il se révèle inspiré par la pensée d’Ellul qui désigne la communication politique sous l’expression de « propagande »146 142 Saussez T., Le Temps des ventriloques : médias, sondages et marionnettes menacent-ils la démocratie ?, Paris, Belfond, 1997, page 88. 143 Ibid., page 34. 144 Saussez T., Nous sommes ici par la volonté des médias, op. cit., page 182. 145 Ibid., page 171. 146 Ibid., page 121. 72 . De la même façon, il a encore recours aux travaux de Wolton et plus particulièrement à sa définition de la finalité de l’activité des médias (qui est « l’information et non la communication »147), pour finir de statuer sur son groupe d’activité professionnelle. iii. La déférence aux sciences sociales. Jacques Séguéla, Thierry Saussez : l’écart identitaire. Tout au long de ses publications, Thierry Saussez développe une démarche argumentative qui se révèle au fur et à mesure marquée par une rhétorique et des références empruntées aux écrits sociologiques. Il n’use pas de figures de styles littéraires mais plutôt de l’argument d’autorité par des citations d’auteurs (on remarquera à ce propos la présence de notes de bas de page, toujours absentes chez Séguéla). Le Temps des ventriloques s’impose comme un parfait exemple de sa démarche, car pour chacun des points de sa démonstration il a recours aux analyses des spécialistes du secteur envisagé. Sur la question des rapports entre médias et justice, il reprend, en page 48, les déclarations du secrétaire général de l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice ; puis c’est le président du CSA de l’époque Hervé Bourges qui est convoqué, page 55, sur les questions de déontologie journalistiques ; page 102, Laurence Parisot, alors directrice de l’IFOP, se voit citée sur la question du rôle des sondages ; enfin, sur le même sujet, les analyses de Pierre Weil, alors directeur de la SOFRES, interviennent à la page 104. Les divergences entre ces deux professionnels se font alors jour, car là où Séguéla veut, dans sa stratégie d’alliance, ériger un temple à la communication et à ses valeurs, à sa faculté à faire rêver les masses (« machine à rêves », « l’ultime marchande de bonheur dans nos médias grands annonciateurs des fléaux de ce monde »148), Saussez entreprend de son côté de dénoncer point par point ses dérives potentielles, alors que Séguéla se fait le devin de la communication, reprenant systématiquement sa "prophétie" selon laquelle la communication pourra « sauver le monde ». Saussez choisit tout autant de battre en brèche l’idée chère à Séguéla selon laquelle les années 1990 auraient été pour la communication les 147 148 Ibid., page 214. Séguéla J., la publicité, op. cit., page 4. 73 années de « la profondeur et de l’authenticité » ou les « années sens »149. Pour Saussez, le résultat en aurait plutôt était l’arrivée « des élus banalisés par la médiatisation, atteints par la sondagite aiguë, caricaturés par la rumeur et la dérision, aphone tant ils se privent de moyens autonomes de communiquer […]. Et une opinion qui fait de sa classe politique le bouc émissaire de tous ses renoncements à chercher à comprendre, à s’engager »150. La vision qu’il propose de son champ professionnel s’avère donc être beaucoup plus critique et sceptique que celle livrée par son néanmoins "collègue". Tranchant avec les références habituelles de Jacques Séguéla, il ouvre Le temps des ventriloques en citant Alain de Tocqueville et son ouvrage fondateur l’Ancien régime et la Révolution. De même, il referme cet opus en convoquant l’un des plus célèbre traité de science politique : Le Prince de Machiavel, citant son fameux adage « gouverner c’est paraître »151. Et là où Jacques Séguéla conviait à de nombreuses reprises des auteurs (comme Blaise Cendrars qu’il affectionne tout particulièrement), Thierry Saussez ne se permet l’évocation que d’un seul auteur de roman, celle d’Umberto Ecco, écrivain particulièrement docte qui conjugue son statut de romancier avec les titres universitaires de titulaire de la chaire de Sémiotique et de Directeur de l'École supérieure des Sciences Humaines à l'Université de Bologne (où il a réalisé de nombreux travaux universitaires en sémiotique, linguistique et philosophie). Ce dernier a notamment rédigé plusieurs études reconnues sur les moyens de communication de masse (la plus connue restant L’œuvre ouverte, publiée en 1965). Elément supplémentaire, Thierry Saussez s’appui à de nombreuses reprises sur les analyses de chroniqueurs politiques, alors que jacques Séguéla se contentait de références historiques et/ou littéraires. Sont ainsi évoqués à tour de rôle dans Le Temps des ventriloques Alain Minc et Alain Duhamel152. Il multiplie de même les références aux écrits des éditorialistes de grands quotidiens français ou encore des chroniqueurs les plus médiatiques, comme Daniel Schneiderman du Monde, Yves Guihannec du Point153, Paul Hogson de la BBC154 et Serge July de Libération155. 149 Ibid., page 11. Saussez T., Le Temps des ventriloques : médias, sondages et marionnettes menacent-ils la démocratie ?, op. cit., page 10. 151 Ibid., page 118 152 Ibid. page 64 et 65 153 Saussez T., Nous sommes ici par la volonté des medias, op. cit., page 17. 154 Ibid., page 27 155 Ibid., page 65 et 73. 150 74 C’est donc en tablant sur une communauté conceptuelle et des références théoriques particulières que Thierry Saussez développe sa stratégie de négociation identitaire en entrant en opposition aux simples cadres techniciens qui pourraient régir l’activité des professionnels en communication politique. Nous aborderons maintenant les théories reprises et formulées par cet acteur, théories qui soutiennent son positionnement antinomique. Les dangers de la société médiatique. C’est en s’inspirant de la pensée de Michel Rocard, et notamment de ses théories développées dans son livre Médias, pouvoirs et démocratie, qu’il introduit la question récurrente dans son discours de la perception du pouvoir médiatique comme d’un potentiel danger démocratique. Il cite l’ancien premier ministre sur la démocratie, ou encore la déontologie et lie directement la question du pouvoir médiatique (et par là du pouvoir de la communication) à des problématiques politiques. En conséquence, il affirme que « la démocratie passe de la représentation dans la durée à la performance dans l’instant. La tutelle des médias sur la vie collective use, banalise et pervertit la parole publique, alors que celle-ci, dans un vieux pays construit autour de l’Etat, à besoin d’être crédible et rayonnante »156. Il va même jusqu’à décrire un « transfert de légitimité du politique au médiatique »157. Il fixe avec ces conceptions théoriques un objectif tout autre que celui proposé par Jacques Séguéla. Si celui-ci considérait la communication politique comme un champ d’action interne du domaine général de la communication, Thierry Saussez place pour sa part l’acte de communication au sein d’un système politique, afin de poursuivre une action plus large. Ici, la communication est entendue de façon instrumentale comme un appareillage technique placé au service de l’action politique. En déclarant que « dans une société aussi troublée, fragmentée et contradictoire que la nôtre, il n’y a plus de parole magique » et que de ce fait « la communication accélère les phénomènes d’adhésion ou de rejet de l’opinion, elle ne les crée pas tout seul »158, il s’oppose au pouvoir de producteur de normes sociales de la communication tel qu’il était revendiqué par Séguéla. Car pour Thierry Saussez « dès lors, chacun à notre place, que nous soyons investis d’une responsabilité publique ou comme 156 Saussez T., Le Temps des ventriloques : médias, sondages et marionnettes menacent-ils la démocratie ?, op. cit., page 9. 157 Ibid., page 10. 158 Ibid., page 35. 75 citoyens, avec une plume ou une caméra, nous avons à faire reculer le risque de voir la démocratie s’installer dans le jeu des apparences »159. Il s’applique alors à inscrire sa réflexion dans le cadre de problématiques politiques contemporaines et accentue en cela les références à des évènements ponctuels de l’actualité politique160. C’est donc tout logiquement qu’il cite à plusieurs reprises Herbert Marshall Mac Luhan et sa théorie capitale de la société médiatique (condensée dans la célèbre formule, reprise par notre acteur, « le message, c’est le médium »)161. Se revendiquer de cette notion fondamentale prend ici valeur de "passage obligé" pour qui voudrait se revendiquer d’une analyse sociologique des phénomènes contemporains de communication. Il fait par la même occasion référence à Alain Touraine en reprenant sa reformulation de l’énoncé de Mac Luhan : « le médium devient le message » (car pour Touraine, cela « suppose que les messages sont aussi faibles que possible »162). Pour finir de conceptualiser sa vision de l’acteur politique évoluant dans cette société qu’il considère comme intrinsèquement communicationnelle, il rejoint enfin les conclusions de Marc Abelès qui a voulu condenser cet ensemble de réflexion en déclarant que : « à l’animal politique succède « l’homo loquens », l’animal communicant »163. L’effet de réalité communicationnel. Comme Jacques Séguéla pouvait le faire, Thierry Saussez dissémine au long de ses écrits des références aux théories du courant de la postmodernité. Mais plutôt que de les considérer de façon générale, en empruntant une acceptation commune et immédiatement repérable comme chez Jacques Séguéla, il les investit de façon plus poussée. Cela se note avant tout dans ses propres déclarations. Pour lui, « la parole publique, déjà aseptisée sur le 159 Ibid., page 22. Pour Le Temps des ventriloques : la catastrophe de Tchernobyl et les massacres de Timisoara (page 14), la mort de Khaled Kelkal (page15), les émeutes de Vaulx-en-Velin de 1991, les évènements de la place T’ien an Men (page 17), la vache folle (page 18), l’affaire des écoutes téléphoniques de 1995 (page 21), le dossier des essais nucléaires français de 1995 et le meurtre du petit Grégory (page 46), le procès d’OJ Simpson (page 47), la guerre du Golf (page 112) ; pour Nous sommes ici par la volonté des médias : les évènements entre la Syrie et le Liban de 1988 (p. 22), les évènements de la place T’ien an Men (p.27, 70), l’assassinat de J. F. Kennedy (p.27), l’éclatement de l’union Soviétique et la transition démocratique russe (pp. 49 à 55), l’affaire du trou de la couche d’ozone et de la déforestation (pp. 55 à 59), à nouveau les massacres de Timisoara (page 84), l’affaire Patrick Henry (page 124), l’affaire du Rainbow Warrior (p.165). 161 Saussez T., Nous sommes ici par la volonté des medias, pp 135 et 193. 162 Ibid., page 218 163 Ibid., page 144. 160 76 fond par la fin des idéologies (et les marges de manœuvre limités des gouvernants, est de plus en plus dosée, rapiécée, concédée, mise sous tutelle) »164. Mais l’on pourra identifier cette ressource discursive aussi bien dans la manière qu’il a de reprendre à son compte et d’appliquer au champ de la communication le concept de société de la « modernité avancée » de Georges Balandier, ou le « Professeur Balandier de la Sorbonne » comme il le désigne précisément. Il décrit ainsi « une réalité de seconde main [concept emprunté à Baudrillard et qu’il réutilise à plusieurs reprises dans son argumentation], une simulation permanente, une démocratie non pas d’opinion mais virtuelle qui abolit tant les frontières du réel que de l’information, la publicité et la fiction finissant par se fondre et se confondre dans une image qui devient, malgré son manque de fiabilité, le dernier lien collectif d’une société épuisée de ne plus croire en rien »165 Il précise encore plus loin que « les réseaux doublent la réalité matérielle, transmettent au réel une vie double et rendent plus confuses ses frontières jusqu’alors reconnues ». C’est le même processus que l’on rencontre à nouveau lorsqu’il réinvestit les travaux du grand politiste Pierre Rosanvallon, personnalité qu’il prend aussi soin de présenter sous son titre de « maître de conférence à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales », en retenant de son analyse la mise en lumière des « formes d’effritement des appartenances »166. C’est encore dans cet état d’esprit qu’il utilise les conceptions de la « fin de l’idéologie » de Daniel Bell et de « l’ère du vide et de l’empire de l’éphémère »167 de Gilles Lipovetsky. Faisant feu de tout bois postmoderne, il organise même un pont entre ses conceptions de la société de communication et les théories, controversées, de Francis Fukuyama (« de la fin de l’idéologie à la fin de l’histoire il n’y a qu’un pas »168). De plus, si l’on s’aventure à croiser les lectures qui ont composées le support théorique de ce travail de recherche, on pourra noter que Pierre Rosanvallon se retrouve cité à plusieurs reprises par Jacques Gerstlé dans La communication politique. Ce dernier étant luimême mentionné par Thierry Saussez, on fait face à une communauté d’esprit entre ces deux auteurs, de par leurs références collectives. Par la suite, désirant se pencher plus intensément sur le concept de réalité, il convoque directement le penseur Jean Baudrillard, se livrant de fait à une interprétation quasi philosophique du pouvoir médiatique sur la construction de la réalité. « La caméra non 164 Ibid., page 10. Ibid., page 42. 166 Ibid., page 189. 167 Ibid., page 189. 168 Ibid., page 190. 165 77 seulement construit le réel, mais incite ses acteurs à l’aménager en fonction de l’impératif télévisé »169. Sa critique de « l’effet de réalité » produit par les medias, dans la lignée des travaux de Baudrillard, s’achève par le constat de « la production d’une réalité souvent partielle et parfois fictive, caractéristique des médias »170. Cette idée de construction médiatique (et en particulier télévisuelle) de la réalité rappelle dans le même temps les analyses que Pierre Bourdieu a pu développer sur la télévision. Thierry Saussez affirme en effet que « les dangers politiques qui sont inhérents à l’usage ordinaire de la télévision tiennent au fait que l’image a cette particularité qu’elle peut produire ce que les critiques littéraires appellent des effets de réel, elle peut faire voir et croire à ce qu’elle fait voir. Cette puissance d’évocation a des effets de mobilisation. Elle peut faire exister des idées ou des représentations, mais aussi des groupes »171 . Il poursuit en affirmant que l’on se dirigerait « de plus en plus vers des univers où le monde social est décrit-prescrit par la télévision. La télévision devient l’arbitre de l’accès à l’existence sociale et politique »172 et qu’il serait alors nécessaire « de plus en plus produire des manifestations qui soient de nature à intéresser les gens de télévision étant donné ce que sont leurs catégories de perception, et qui, relayées, amplifiées par eux, recevront leur pleine efficacité »173. Il est étonnant de voir qu’il en arrive aux mêmes conclusions que Pierre Bourdieu concernant le fonctionnement du champ journalistique, sans même ne jamais faire explicitement référence à cet auteur majeur. « Les médias sont constamment déchirés entre l’exclusivisme et le suivisme. […] Cet univers microcosmique, de la lecture de Libération ou du Monde aux conférences de rédaction ou aux dépêches d’agence, s’auto-influence et se copie, se précipite et se reprend. L’actualité est un énervement »174. De telles affirmations nous renvoi indubitablement au concept de « circulation circulaire »175 de l’information défini par Bourdieu. Il nous expliquait en effet que « les produits journalistiques sont beaucoup plus homogènes qu’on ne le croit »176 et que « personne ne lit autant les journaux que les journalistes », ou encore que « pour savoir ce qu’on va dire, il faut savoir ce que les autres ont dit. C’est un des mécanismes à travers lesquels s’engendre l’homogénéité des produits 169 Ibid., page 14. Saussez T., Nous sommes ici par la volonté des médias, op. cit., page 7 171 Saussez T., Le Temps des ventriloques : médias, sondages et marionnettes menacent-ils la démocratie ?, page 20. 172 Ibid., page 21. 173 Ibid., page 22. 174 Ibid., page 18. 175 Bourdieu P., op. cit., page 22. 176 Ibid., page 23. 170 78 proposés. Si Libération fait sa une sur tel évènement, Le Monde ne peut lui rester indifférent », pour conclure au final, dans la théorie bourdieusienne, que « cette sorte de jeu de miroirs se réfléchissant mutuellement produit un formidable effet de clôture, d’enfermement mental »177. En poursuivant dans la proximité qu’il entretient avec les thèses de Bourdieu, il atteste que « les médias, dont la télévision, ne font pas que trier […], ils opèrent une distinction lourde de conséquences entre le connu et l’inconnu et, partant, entre le légitime et l’illégitime »178. C’est très exactement ce qui se voit développé dans le livre de Pierre Bourdieu Sur la télévision, où il nous est dit que les instances médiatiques créent des « catégories de perceptions […] qui organisent le perçu, déterminant ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas »179, puis que : « l’information sur l’information [les relations d’échanges et d’influence entre acteurs du champ journalistique] permet de décider ce qui est important, ce qui mérite d’être transmis ». Pierre Bourdieu nous renseigne encore sur ce processus en indiquant que « ce qui n’est pas médiatique n’a pas de réalité. Un mouvement social n’existe désormais que s’il est médiatisé, en fait télévisé. Et les manifestations sont le plus souvent pensées en fonction de cet impératif »180. Thierry Saussez reprend cette éclaircissement du conformisme des contenus rédactionnels médiatiques en complétant sa démonstration par une référence aux travaux du professeur Thomas M. Franck de l’Université de New-York qui a conceptualisé le « syndrome du merle » (les journalistes réagisse tous à la même information de façon identique, comme tous les merles perchés sur un fil électrique s’envoleraient dès la réception d’un stimulus provoquant l’envol du premier), ce qui rejoint la formule d’un autre spécialiste des théories de la communication, Rémy Rieffel, qui pose quant à lui l’ide selon laquelle « les médias proposent une explication identique des évènements »181. La démocratie téléviciée, pinacle de l’appareillage conceptuel. Non content de s’emparer de théories qui lui préexistent, il se risque à avancer un concept original qu’il développe à travers ses ouvrages successifs : la « Télédémocratie » ou 177 Ibid., page 24. Saussez T., Le Temps des ventriloques : médias, sondages et marionnettes menacent-ils la démocratie ?,., page 31. 179 Bourdieu, P., op. cit., page 18. 180 Ibid., page 27. 181 Saussez T., Nous sommes ici par la volonté des médias, op. cit., page 32. 178 79 « Démocratie téléviciée ». Il compte par ce biais dénoncer la « dérive communicative » qu’il constate. « Nous ne sommes pas ou plus dans le registre de l’information mais dans celui de la communication et malheureusement dans sa forme la plus perverse : un champ clos sans code ni déontologie »182. Pour expliciter cette notion, il fait appel à une formule couramment utilisée en sociologie : celle de « l’autoprophétie réalisatrice », ce qui lui permet de situer le rôle des médias dans l’émergence de la question de la « crise de représentation » des grandes institutions sociales « des Eglises aux partis en passant par les syndicats »183. C’est dans ce cadre conceptuel qu’il cite le travail d’Eliséo Véron, constatant que « la puissance du média serait nuisible à la parole politique et aux conditions d’authenticité et de vérité de ses effets »184. Il récupère enfin le terme « d’otage de la médiatisation »185 (pour parler du pouvoir législatif), terme défini par le Pr. Cohen Tanugi. Tous ces exemples nous indiquent incontestablement la manière dont il se sert des théories de sciences sociales pour étayer sa théorie de la dangerosité de la communication pour l’activité politique, s’opposant de ce fait à ce champ d’activité. Il est alors amusant de noté la ressemblance troublante entre ce concept de démocratie téléviciée de Saussez (dont ont suppose le postulat d’originalité) et le titre de l’ouvrage de 2006 de Jean-Marie Cotteret La Démocratie télé-guidée ainsi que sa proximité de l’idée de télécratie contre démocratie développée par Bernard Stiegler. Cela le conduit tout logiquement à s’approcher d’un autre grand concept sociologique, particulièrement présent dans l’étude des politiques publiques, celui de la « mise sur agenda ». Il y précise le rôle des médias et l’influence selon lui grandissante qu’ils y exercent. Il confronte à ce propos sa vision avec celle de Jean-Claude Guillebaud. Pour Thierry Saussez, les médias influent sur la mise sur agenda des politiques publiques car ils définissent les temporalités de cet agenda « La décision publique n’est plus seulement pensée en fonction de son impact médiatique mais tend à se construire au gré de l’agenda défini par les médias » ; mais aussi dans le lieu et le contenu même de sa construction : « le contrôle de l’agenda, c’est-à-dire le choix des thèmes et des messages, n’est plus ni dans les gouvernements ni dans les parlements. Il est dans les salles de rédaction »186. Suivant les travaux de Denis Mac Quail qui reprécise le rôle des médias comme participant « à la construction de la réalité pour tous »187, il réaffirme, selon les termes de G. Ray Funkhuser, 182 Ibid., page 28. Ibid., page 29. 184 Ibid., page 184. 185 Ibid., page 187. 186 Saussez, T., Le temps des ventriloques, op. cit., page 34. 187 Ibid., page 66. 183 80 leur statut « d’agents de persuasion ». Pour amplifier encore sa démonstration, il rapporte les résultats des travaux de Maxwell Mac Combs et Donald Shaw qui ont montré « la corrélation entre l’importance donnée par les médias à certains enjeux et celle attribuée par les électeurs »188 lors de la campagne présidentielle américaine de 1968, puis ceux de Elisabeth Noëlle Neumann qui ont rendu compte de la faculté conférée au média d’installer un « climat d’opinion » en se substituant aux groupes de références. Enfin, il reprend ceux de Benjamin Page, Robert Shapiro et Glenn Dempsey, qui ont eux parlé d’un « effet de consonance » médiatique qui « influence manifestement le climat d’une campagne, définit les angles de traitement, impressionne certains hésitants et indécis, remobilise ou démobilise des électeurs, bref organise pour partie les va-et-vient électoraux de la démocratie consumériste »189. Il en appel ensuite au directeur du CEVIPOF et grand spécialiste de la sociologie électorale Pascal Perrineau, plus particulièrement à son livre Le vote de crise. L’élection présidentielle de 1995190, en affirmant qu’il « enregistre avec moi [Pascal Perrineau avec Thierry Saussez] « l’état d’éclatement et de fragmentation de la donne politique » conduisant à une augmentation sans précédent des hésitants et des indécis et à un déplacement « vers ce qui reste de communication politique », c’est-à-dire les médias écrits et audiovisuels, à partir desquels les choix se façonnent »191. Dans la même voie, il cite finalement Dorine Bregman du CNRS qui s’est intéressée au « processus de sélection des enjeux et des informations par les médias »192 dans la favorisation d’un candidat politique et achève de rendre compte de l’extrême variabilité des mouvements électoraux en utilisant l’analyse de Philippe Habert sur le « zapping électoral »193. L’introduction des sciences « dures ». S’il concentre sa stratégie d’opposition identitaire dans ses renvois au cadre théorique des sciences sociales, au premier rang desquelles on a pu trouver les sociologies politiques et des communications, il ne se privera pourtant pas d’opérer quelques détours par des domaines académiques considérés comme relevant des sciences positives "dures". Il lui arrivera ainsi de 188 Ibid., page 69. Ibid., page 70. 190 Perrineau P., Le vote de crise : l’élection présidentielle de 1995, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Département d'études politiques du Figaro, 1995 191 Saussez T., Le temps des ventriloques, op. cit., page 77. 192 Ibid., page 34. 193 Saussez T., Nous sommes ici par la volonté des medias, op. cit., page 198. 189 81 faire appel à la Biologie cherchant à définir les facultés de réception des messages par les différentes aires du cerveau humain, ceci afin de déterminer, en s’appuyant sur les travaux de Lucien Sfez, les effets d’hypnose produits par le bombardement des électrons sur l’écran de télévision194. Il confirme ce constat en rappelant les résultats des travaux du chercheur anglais Jerry Mandler qui « assimile les effets du tubes cathodique à une hypnose régulière »195. Ce dernier positionnement identitaire gardera ici des proportions marginales alors qu’il constituera le recours privilégié de notre troisième acteur retenu pour cette étude et dont nous entamerons désormais l’examen. III. René Zayan : l’analyste analysé. A. L’identité du retrait. Claude Dubar nous rappelle que « l’identité de retrait est associée à la prudence et à la faible implication au travail de ceux qui sont « acteurs ailleurs ».196 Le professeur René Zayan, enseignant l’Ethologie et la Psychologie politique à l’Université Catholique de Louvain a ainsi choisit de s’individualiser et de marquer sa préférence individuelle par une utilisation particulière des grandes variables et grands instruments d’analyse utilisés habituellement en sciences sociales. N’ayant publié en France que la préface d'un seul ouvrage197 resté difficile d’accès, nous basons notre analyse sur l’examen du documentaire télévisé qu’il a signé en mars 2007. Il y adopte en effet une position d’analyste extérieur, qui sera à même d’offrir pourtant ses services à des hommes politiques participants à la compétition électorale, mais sans jamais s’inscrire dans les structures définies et reconnues par les professionnels du secteur de la communication politique. En effet, celui-ci n’appartient pas à une agence, ne se lie pas à un parti politique unique pour la durée de toute une campagne et n’envisage pas l’intégralité des formes et missions courantes de la 194 Ibid., page 16. Ibid., page 13. 196 Dubar C., Tripier P., Sociologie des professions, op. cit., page 238. 197 Mac Farland D., Le comportement animal, psychobiologie, éthologie et évolution, trad. de la 3e éd. anglaise par Jacqueline d'Huart; révision scientifique de René Zayan, De Boeck Université, 1999. 195 82 communication politique (relations médiatiques, techniques de marketing, rédaction de discours, …) mais se charge seulement de la partie concernant le coaching comportemental. Ensuite, il formule sa stratégie d’opposition au groupe professionnel des spécialistes de la communication politique en s’appuyant sur une méthode distinctive faisant la part belle aux sciences dites "dures". Il s’extrait du champ professionnel en collaborant avec les tenants de ces disciplines scientifiques, inscrivant de fait son appartenance au champ universitaire. ii. De la définition à la diffusion des communicationnelles politiques. La construction individuelle de l’activité communicationnelle. Pour délivrer sa définition de l’action de communication politique, il s’entoure de collègues universitaires afin de définir les outils méthodologiques qui pourraient permettre d’améliorer cette catégorie de communication. Le reportage débute avec l’intervention du professeur Roger D. Masters, spécialiste en Psychologie politique à l’Université américaine de Dartmouth, qui introduit sa réflexion en citant ensuite Aristote en ce qu’il décrivait l’homme comme « l’animal politique », ceci afin d’inscrire l’activité politique dans le cadre des activités naturelles de l’homme, en tant qu’un registre ontologique de son activité humaine. Puis il compare la compétition électorale à une recherche de leadership équivalente à celle de la domination au sein d’un groupe animal. Les chefs politiques se distinguent alors du groupe qui les soutient par leur position, plus élevée autant socialement que physiquement (ce que l’on pourra observer par exemple dans la disposition spatiale des meetings électoraux – estrade, scénographie imposante, etc.). René Zayan conceptualise cette attitude corporelle comme le modèle de la « ferveur gaullienne ». Ces deux experts décrivent ensuite de concert la variété et la complexité des expressions corporelles des acteurs en les exposant comme les éléments assurant le charisme de l’homme politique, en quelque sorte comme la garantie d’une « valeur communicante » que l’on pourrait décerner au professionnel de la politique respectant cette attitude. Au-delà des expressions faciales et des gestuelles corporelles, René Zayan précise que la démarche (entendu comme le style de marche et la tenue du corps) d’un candidat pourra tout autant jouer de façon conséquente dans la perception que l’on s’en fera. 83 Ils avancent ensuite l’idée de la particularité culturelle des gestuelles politiques. Certaines attitudes des politiciens français (comme la position spécifique des mains de François Mitterrand ou de Jacques Chirac lorsqu’ils font s’appuyer leurs mains l’une contre l’autre, faisant se toucher tous leurs doigts, cherchant ainsi à exprimer un certain contrôle sur leur discours) pourraient être perçues de façon très différentes par les acteurs d’autres cultures politiques (comme les américains qui pourraient y voir un signe d’élitisme). Sur cette notion de « geste » culturel, le professeur de Psychosociologie de l’Université du Texas, Jürgen Streek nous indique que « la tendance à modérer notre gestuelles est très liée à la conception que nous avons de notre corps dans la culture occidentale ». Cela est lié à la « capacité à modérer ses pulsions corporelles » ». Il affirme par la suite que « en tant qu’expert en communication, je peux vous dire que plus vous faites de gestes et plus vos gestes sont complexes et plus vous communiquez avec le public. Je pense que nous assistons à une vraie renaissance du geste, dans nos sociétés modernes fondées sur le visuel. ». Zayan poursuit dans cette voie en définissant des gestes d’ « autocontact » symptomatique d’une timidité, de froideur et parfois d’une distance autoritaire. Puis il entreprend de catégoriser des registres de communications qui seraient propres à chaque candidat et élu. Si le registre de François Mitterrand est « énigmatique, calme et distancié », celui Jacques Chirac s’appuie lui sur « une combinaison : énergie, autorité, jovialité ». Il inscrit ce charisme dans un processus dynamique de construction personnelle du modèle d’expressivité politique au cours de toute la carrière de la personnalité politique. Ainsi, un candidat sera plus dynamique et moins autoritaire que lorsqu’il accèdera à la fonction de chef d’Etat. Cela lui permet alors d’affirmer que cette transformation « a échappée à de nombreux journalistes qui ne croyaient qu’au sondage très défavorable pour lui [Jacques Chirac] au début de sa campagne victorieuse de 1995 contre Edouard Balladur ». Est alors montré l’extrait connu de l’interview durant laquelle la journaliste politique Arlette Chabot lui demande s’il comptait continuer sa campagne ou l’abandonner. Il affirme aussi qu’autant face à Edouard Balladur que Lionel Jospin « le très faible charisme de ses adversaires l’aura servi » car contrastant avec sa forte expressivité. Poursuivant sa démonstration, René Zayan élargie son argumentation aux caractères contenus dans l’expression orale des candidats (par la voix, la tonalité, les rythmes, le débit ou encore les silences – qu’ils soient d’hésitation ou d’autorité).Il consacre alors la voix « comme un moteur fondamental du charisme politique » car « la recherche scientifique montre qu’il existe des voix typiques de la confiance en soi, de l’autorité et même de la séduction ». 84 Le recours aux grands variables sociologiques : l’exemple du genre. S’établissant sur la conception d’une communication politique réglée par des instruments conceptuels issus de la psychologie et des études comportementalistes, le raisonnement développé par René Zayan n’en évacue pas pour autant les grandes variables explicatives "classiques", car caractéristiques de l’approche sociologique (telles que l’âge, le sexe, les catégories socio-économiques, etc.). Ainsi essaye-t-il d’introduire une distinction genrée dans son analyse de la communication politique. Pour enrichir son propos, il commence par s’entretenir avec la candidate Arlette Laguiller à qui il expose son idée selon laquelle cette dernière tend à exprimer son discours de manière caractéristiquement « féminine ». Cela passe par sa préoccupation constante à sourire et l’émotion que traduit sa voix, là où les autres femmes candidates « se masculinisent ». Pour Zayan, « en dehors de la politique, les femmes sourient et rient beaucoup plus fréquemment que les hommes. Elles expriment aussi d’avantage l’écoute, la compassion. Les hommes quand à eux expriment bien d’avantage l’agressivité, l’autorité et même le mépris. Or, en politique ce sont les hommes les plus populaires qui sourient et rient. Leur assurance joviale rassure. Inversement, la plupart des femmes politiques croient devoir manifester au moins autant d’autorité que les hommes pour être crédibles. Et on les taxe d’autoritarisme. Ou alors, elles sont souvent exagérément neutres sur le plan émotif. Pourtant, les rares fois où elles laissent jouer leurs registres émotionnels, les électeurs les écoutent avec attention. ». Et c’est à partir de cette conception qu’il entreprend d’interroger des femmes politiques sur leur perception du charisme politique. Roselyne Bachelot lui déclare ainsi que selon elle «les femmes ont un charisme différent en politique parce que les relations qu’elles ont avec les électeurs sont moins sur le mode de la séduction. » Elle poursuit en reprenant l’idée éthologique des rapports de distinction « entre un mâle dominant et le reste du groupe » et que « les hommes politiques fonctionnent sur le registre du mâle dominant » alors que « la femme est légitime en tant qu’elle exprime le consensus d’un groupe ». Cette déclaration vient alors parfaitement illustrer les premières notions qui nous avaient été présentés au début du documentaire par le professeur Masters. Et quand, lui demandant de déterminer pour elle qui serait la plus « charismatique » entre Michèle Alliot-Marie et Ségolène Royale elle opère une distinction entre deux « natures » de charisme, avec respectivement un « charisme de l’autorité » et un « charisme du consensus » (qu’elle ne considère pas comme exclusifs) « et 85 en cela, Mme Royale correspond plus aux archétypes féminin, et Mme Alliot-Marie plus aux archétypes masculins ». La prescription méthodologique : le conseil aux politiques. Se fondant sur ces préalables méthodologiques, René Zayan choisit de se confronter plus avant à son sujet d’étude en allant offrir son analyse aux acteurs politiques prêts à considérer ses recommandations. Il inscrit de ce fait son activité professionnelle dans une visée singulièrement normative. Il débute ce programme de conseils en allant rencontrer celui qu’il considère comme un « homologue » professionnel en la personne du « coach vocal » George Chétochine, ce dernier se conférant le titre de « comportementaliste ». Ayant entraîné pour la campagne présidentielle de 2007 le candidat Nicolas Dupont-Aignan, nous assistons aux séances durant lesquelles il lui dispense des conseils pratiques (le plus souvent de l’ordre de la formule « Simplifier – grossir – répéter »). Ensemble, ils établissent avec Zayan, lui-même exerçant cette activité de coaching auprès d’hommes politiques, ces pratique comme efficiente, tandis que certains voudraient les rejeter dans la même sphère d’irrationalité que l’astrologie. Mais pour eux « un mauvais comportement, une mauvaise gestuelle, un mauvais regard, ça coûte horriblement cher ! ». Pour Chétochine, le problème provient justement de la méconnaissance de ces outils de communication disponibles aux hommes politiques. « Ils viennent tous de l’ENA, lui (Dupont-Aignan), Villepin, tout le monde, ces gens là sortent tous de l’ENA… donc ils ont eu la même formation, ils ont la même disquette. Et puis, vous savez bien, qu’ils ont les mêmes modèles, et qu’ils imitent les mêmes modèles. ». Désirant trop se montrer « à l’aise », ils en oublient de s’occuper de la démonstration de leurs émotions. Il leur oppose alors des personnages politiques comme Jean-Marie Le Pen, Bernard Tapie et Nicolas Sarkozy qui ne viennent pas de ces grandes écoles et possèdent de ce fait un charisme naturel qui renferme un impact considérable. La neutralité de ton participerait ainsi d’une volonté de ne pas suivre un registre "populiste" dans le discours. Zayan prononce alors, comme une sentence, que « l’expressivité, la joie, la vraie autorité, sont des moteurs essentiels du charisme. Les leaders tristes, anxieux ou trop neutres ne pourront pas accéder aux fonctions suprêmes ». Il prend pour cela l’exemple de François Bayrou qui apparaît « trop neutre », la faute à « une voix monocorde », trop d’hésitations dans le discours et enfin à une inexpressivité et une trop grande raideur faciale et corporelle (peu de gestes, un regard 86 trop fixe). « Pas de froncement des sourcils, donc pas d’autorité ». Dans cette visée, la mesure du charisme politique des différents candidats permettrait donc de distinguer (infailliblement ?) ceux à même d’être investis des plus hautes fonctions de l’Etat par les électeurs. Rencontrant Jean-Marie Le Pen, il lui adresse la remarque qu’il se révèle être sympathique et jovial lors de ses meetings mais par contre trop autoritaire et agressif à la télévision. Pour appuyer sa démonstration, il lui présente deux de ses « mimiques universelles » qui le desservent. Dans le cadre des interviews télévisées, Zayan lui affirme que ces expressions se révèlent être improductives car « en télévision, ça ne peut pas être mobilisateur ». Il va pourtant l’encourager à être énergique, voire agressif, en s’appuyant sur l’exemple de son débat face à Bernard Tapie, car pour Zayan « les français aiment le combat politique ». JeanMarie Le Pen abondera dans ce sens, en disqualifiant les « débats lyophilisés » et fades, alors que lui reste « naturel » dans ces moments là. Pour lui, « si il y a une qualité qui s’attache au charisme, sauf quand il est obtenu par des méthodes professionnelles [et Zayan de rajouter « artificielles »] de comédie, c’est la sincérité. Et en particulier à la télévision. Car la télévision ne trompe pas, elle est très sévère et elle sent l’artifice. Par conséquent, je crois que l’orateur sincère, qui n’a pas besoin de son papier, ni de notes, ni de références, celui là a plus de chance d’attirer l’attention, de la capter et de convaincre et de séduire. Ainsi, J-M. Le Pen se défini lui-même comme un « orateur naturel », et dit être le premier orateur en France à procéder à la manière des prêcheurs américains. C’est-à-dire, « parler sans note pendant une heure et demie ou deux heures, en arpentant une scène, en m’asseyant, en descendant dans la salle, ou en allant à travers les tables d’un banquet par exemple, et éventuellement en dialoguant avec le public présent. » Selon lui, chez l’orateur politique « il y a une psychologie d’action qui est la même que celle du comédien ». Aussi, quand Le Pen parle des « moments de grâce », de la « relation réciproque » et « d’exaltation » avec le public qu’il peut connaître pendant ses meetings, il décrit sa méthode à Zayan (« l’orateur cible involontairement » et s’adresse aux spectateurs qui le regardent avec le plus d’intensité, « comme dans une conversation privée ») qui se montre d’accord avec son interprétation, et acquiesce, comme pour valider sa méthode et lui certifier son modèle de communication politique comme effectivement « charismatique ». Toujours dans l’optique de confrontation de son équipement conceptuel à la réalité de la compétition politique, René Zayan met en perspective le duel Ségolène Royale / Nicolas 87 Sarkozy avec sa notion de mise en comparaison et de « contraste » des gestes et des figures politiques. S’en suit la présentation d’une série de unes de titres de presses opposant les deux candidats. Résultat : « Mme Royale a séduit avant tout par son comportement non-verbal ». Alors qu’elle était critiquée par les cadres du Parti Socialiste pour ne pas avoir de programme, sa popularité auprès des militants restait stable. Pour l’expert en psychologie politique « sa combativité et sa ténacité devant les attaques personnelles lui ont permis de l’emporter sur la compétence trop verbale de ses deux rivaux masculins » lors de l’investiture à la candidature du Parti Socialiste. « Elle exprime des émotions faciales typique des femmes : sourire, sociabilité, réceptivité, rire » et « ne se masculinise pas » comme d’autres femmes politiques. Nicolas Sarkozy a pour sa part un sourire figé, qui ne laisse pas apparaître ses dents du haut et rie peu, ce qui caractérise donc « un comportement verbal [qui] se veut très masculin » : rapide, énergique, assuré. « L’autoritarisme de certains de ses gestes de la main, tendue vers l’avant, est un autre indice non verbal qui assimile Sarkozy à Le Pen aux yeux des électeurs de gauche ou du centre droit ». Il ajoute que « depuis quelque temps, il fait preuve d’un remarquable contrôle émotionnel, qui pourrait faire oublier l’image d’agité, d’énervé que certains lui donnent. Il est réceptif, écoute et explique avec des gestes beaucoup plus mesurés et des mimiques faciales bien tendues, même quand il est attaqué. A-t-il été bien conseillé ? ». « Quand à Ségolène Royale, elle devra veiller à combattre Sarkozy sans aucun signe d’autoritarisme masculin ou de stress, tout en conservant ses attitudes de transparence émotionnelle qui la rende populaire. Autrement, elle pourrait perde son charisme féminin ». On retrouve ici la posture prédictive qui caractérise l’attitude des professionnels en communication politique (cf. page 50), même s’il fait attention à préciser, dans un pléonasme évocateur, qu’en ce qui concerne l’élection présidentielle à venir « les prévisions sont très difficiles à faire, surtout quand elles concernent l’avenir ». iii. Le glissement vers les sciences dures. Le fondement psycho-biologique. De la définition de concepts psycho-sociologiques, la méthode d’étude exploitée par René Zayan s’oriente également vers l’utilisation de multiples procédés typiques des sciences dites 88 dures. La première expérience présentée dans le reportage expose ainsi une série de tests réalisés au sein de laboratoires de recherche universitaires où des vidéos de discours politiques sont montrées à plus de 500 étudiants de différentes universités dans différents pays, afin de recenser leur appréciation des registres de communication gestuelle de plusieurs candidats. Mais à cette méthode proche des travaux de psychologie sociale, Zayan ajoute l’utilisation d’un scanner (à l’aide de l’IRM fonctionnel) pour étudier les ondes du cerveau activées dans certaines aires du cortex à la vision du visage d’un candidat. Pour le professeur, « notre cerveau émotionnel nous fait réagir comme les primates à la vue d’un congénère ». On se retrouve ainsi sur les terrains de l’anthropologie, de l’ethnologie et de l’éthologie, en rejoignant les travaux de l’anthropologue Konrad Lorenz qui s’est attaché à définir un patrimoine gestuel commun de l’humanité, cette vise méthodologique étant rendue possible par le recours à un "arsenal" scientifique hautement technologique. Cette conclusion est appuyée par Roger Masters qui parle quant à lui d’un « héritage “primatologique” » que l’on retrouverait dans « la faculté que nous avons d’exprimer nos sentiments ou nos actions potentielles par des signes que les autres reconnaissent ». Ces affirmations sont accompagnées dans le montage du reportage par la projection d’images montrant en parallèle les mimiques et gestuelles d’hommes politiques et de primates. Un effet de montage discursif utilisant l’écran séparé en son long révèle alors un mimétisme appuyé entre ces deux catégories, en insistant sur les expressions faciales. Puis, il propose une classification du « répertoire facial » des humains et des primates associés. "Peur", "colère" et "joie" sont successivement analysées selon le positionnement des narines, l’inclinaison des sourcils ou encore l’ouverture de la bouche et l’apparition plus ou moins prononcée des dents, avec à chaque fois deux portraits mis côte à côte : celui d’un homme politique et celui d’un primate. Le passage par la biologie. Le renvoi aux sciences dures passe ensuite par le domaine des sciences de la vie et René Zayan en vient à se revendiquer de la biologie en expliquant la vaste diversité de nos expressions faciales, donc de notre plus grande variété de répertoire émotif, essentiellement de par l’existence d’un nombre supérieur de muscles par rapport aux primates (par exemple, le risorius servant à l’expression du mépris est absent chez les grands singes). Ces 89 considérations psycho-biologiques sont à nouveau conviée lorsqu’il examine le “one-man show” politique de Jean-Marie Le Pen. Face au candidat, il lui affirme que lorsqu’il s’emploi à faire rire son public, « tout le monde rit et décharge des neurotransmetteurs, activateurs de bonheur. L’endorphine, etc., anti-stressant fantastique » qui fait se libérer l’adrénaline, responsable de la dilatation des pupilles. Il décrit aussi un autre processus de libération d’hormones qui provoque une « contagion émotionnelle ». Cette théorie reçoit alors l’approbation de Jean-Marie Le Pen, qui concède que « la communication là a un véritable sens », à quoi Zayan rajoute que cela est dû à des « mécanismes psychobiologiques ». Il se rattache donc immédiatement à la science rationnelle pour tempérer l’affirmation de J-M. Le Pen, qui pourrait prendre des tournures par trop métaphysique pour le scientifique dur qu’est Zayan. Analyse comportementale assistée par ordinateur et communication politique : un mariage de raison (pure). Entre alors en scène le professeur Nicu Sébé, spécialiste des Systèmes d’Information Sensoriels Intelligents (Intelligent Sensory Information Systems) de l’Université d’Amsterdam. Avec une trame numérique appliquée aux visages des candidats, il propose de classer les émotions exprimées lors d’un discours ou sur la couverture de leurs livres. Ainsi, Nicolas Sarkozy exprimerait, selon les normes de cette expérience, plus de tristesse et de peur que d’autorité, trait de caractère qui lui sont habituellement attribués par ses partisans. Il propose ainsi de mesurer à l’aide de ce programme informatique le charisme de chaque hommes et femmes politiques (avec les exemples de Sarkozy, Le Pen et Royal) selon leur « combinaisons d’émotions ». De façon anecdotique, il va même jusqu’à comparer informatiquement les émotions faciales de Ségolène Royale et de Mona Lisa, concluant à un certain nombre de similarités. Puis, de façon particulièrement normative, il décrit les « mimiques mixtes » employées par les hommes politiques, comme le mélange de joie et de peur qui donne une expression de soumission, ou celui de l’amusement et de la menace qui provoque une attitude de mépris. Selon lui, ces expressions sont « anti-charismatiques » et il leur oppose les « mimiques charismatiques » qui sont des signes précis d’autorité ou de joie, qui se verront accompagnés de gestes soutenant ce discours. La notion de « geste » est alors précisée par le professeur Jürgen Streek, qui évoque pour cela l’exemple du « pincement de précision » (la mise en avant de la main présentant le pouce et l’index mimant un pincement) dont il fait remonter l’origine aux politiciens de la Rome 90 antique et que reprendraient de nos jours les hommes politiques contemporains. Il définit aussi la capacité d’emphase dans le discours que procure la mise en avant de l’index, dressé comme pour donner la leçon ou un avertissement physique. Les champions de l’ « expressivité gestuelle » en politique seraient dans ce cas Charles de Gaulle (pour son dynamisme lors de ses interventions télévisées, exprimé à grand renfort d’amples mouvements des bras) ou encore François Mitterrand, très actif lors de ses premières représentations à la tribune de meetings du Parti Socialiste. Un nouvel intervenant vient poursuivre ce "défilé" d’experts scientifiques. C’est le psychophonologue Jacques Bonhomme qui intervient maintenant pour relayer les conclusions de spécialistes en neurologie. Leurs études ont par exemple permit de conclure que la voix de Valéry Giscard d’Estaing a pour effet d’ « étirer les muscles de l’étrier, qui sont les muscles de l’écoute ». Il établit ainsi les signatures sonores des personnalités politiques en convoquant des concepts phonétiques comme la « prosodie montante » (à savoir l’ensemble des règles de prononciation d’une langue) de la voix d’Edouard Balladur, qui a pour effet de mettre l’auditeur à distance et ne permet pas un sentiment de sécurité. Bonhomme évoque ensuite des « voix de pharynx » (en prenant l’exemple de Raymond Barre), précisant à chaque fois leur type de « résonnance corporelle ». Avec ces conclusions, il pose l’idée que les types de voix trop affirmés (dans les aigues, dans les graves, etc.) de certains candidats (comme Michel Rocard, Lionel Jospin ou Jacques Chaban-Delmas) n’ont pu contribuer à amener ces candidats aux victoires électorales présidentielles du fait d’un certain « manque de chance au niveau vocal » (par des voix jugées trop aigues ou trop lentes). Cette notion nous fait donc directement retomber dans la prédictique et la rationalisation des résultats électoraux qui caractérise le raisonnement de Zayan. Ce dernier relie d’ailleurs la tonalité de la voix au « degré de masculinité ou de féminité » des visages, le timbre vocal traduisant le taux de testostérone. Du coup, la voix de Nicolas Sarkozy est définie comme « très charismatique » car « assez globale, assez timbrée et avec une résonnance thoracique », contrairement à celle de Philippe de Villiers qui n’est pas charismatique car « pincée, de tête » et sans « résonnance de poitrine ». François Bayrou a pour sa part « une voix rentrée, relativement aigue » et sans passion » Enfin, Ségolène Royale « a quant à elle une voix trop haut perchée, pas assez posée et soutenue. Mais elle a pour elle une grande variété vocale, tour à tour « maternelle », « rassurante, émouvante » ou au contraire « froide, arrogante, tueuse ». René Zayan entreprend de résumer ses postulats théoriques avec le choix d’une série de donner statistiques issues « des dernières recherches et qui affirme que « seulement 13% des 91 mensonges sont détectés par les mots, alors que 70% sont décelés par la vue du visage. 10% par les gestes, 7% par la voix ». Aussi, avec Paul Ekamn, professeur de psychologie du comportement à l’Université de Californie et spécialiste de la description du mensonge pour la CIA, ils entreprennent de mesurer la taille de l’espace séparant le sourcil de la paupière, indicateur de l’expression d’un véritable sourire de joie, et non pas un « faux-sourire » qui sera « de politesse, de conciliation ». A l’aide d’un autre programme informatique, ils délivrent alors un certificat d’authenticité au sourire sincère de Jean-Marie Le Pen, et dénoncent le sourire « social de politesse » systématique de Ségolène Royale. Il conclut finalement son exposé documentaire par un discours "face caméra" s'adressant directement au téléspectateur : « Maintenant vous savez que le charisme repose beaucoup sur le comportement non verbal. Alors apprenez à regarder différemment les hommes et les femmes politiques à la télévision. Je vous donne un conseil : coupez le son ! ». Vous savez » ; « apprenez » ; « je vous donne un conseil ». On vient donc bel et bien d’assister à un cours, à une conférence professée par un spécialiste en communication politique qui nous a livré ses clefs théoriques personnelles pour appréhender cette pratique professionnel. René Zayan recours ici à un argument d’autorité scientifique en multipliant les interventions de nombreux experts, professeurs émérites et spécialistes éminents venant soutenir ses conclusions en y apporter leurs analyses, lui permettant ainsi de légitimer son discours. Il se présente lui-même systématiquement comme le « Professeur René Zayan de l’Université de Louvain » lors de chacun de ses rendez-vous avec des hommes politiques, alors que face à Georges Chétochine il mettait en avant ses activités de conseiller en communication auprès d’hommes politiques. Ces analyses dorénavant légitimées par les différents corpus théoriques des sciences sociales et de la vie, l’expert en communication politique peut alors s’employer à prescrire sa méthode et ses modèles opérationnels d’expressivité politique. De réponse à un besoin de justification, le recours au cadre et à la méthode scientifique vient alors soutenir une démarche prédictive et normative, provoquant la prise de distance du champ des sciences sociales, par trop considérées comme inefficientes et trop abstraites. 92 CONCLUSION De ce dernier exemple, certes quelque peu atypique par rapport à l’image que l’on peut se faire communément du communicant politique, revenons-en maintenant au jugement de notre ménagère. Alors, la communication politique : fruit d’une pure et simple importation des méthodes de communication traditionnelles ? De toute évidence il n’en est rien. Et cette marge de manœuvre envisageable dans la réalisation des campagnes politiques, au vue de l’angle d’observation que retenu ici, nous postulons qu’elle est le résultat des jeux de construction identitaire mis en place par les représentants de ce champ professionnel. Partant des identités éclatées qu’ils peuvent développées, ils produisent en définitive une communication qui ne sera en aucune façon uniforme car parcourue par toutes les influences qui nourrissent l’identité de ces producteurs de communication politique. On peut alors réenvisager, à l’aune de ces nouvelles notions, les hypothèses annoncées au commencement de ce travail de recherche : Les mobilisations de connaissances théoriques et pratiques concourent dans les faits à produire chez les professionnels en communication politique une revendication croissante à l’intervention directe dans le processus productif de l’objet politique. La personnalité de Jacques Séguéla est en effet emprunte de cette notion de capacité productrice de normes et de valeurs sociales et politiques. Le communicant en politique s’attache effectivement à rejeter les accusations de responsabilité dans la "marchandisation de la communication politique". On peut formellement relever cette conduite au travers de la rhétorique mise en place par Thierry Saussez qui s’assure en références sociologiques pour "démonter" les rouages du péril que fait courir l’excès de communication sur l’activité politique. Les stratégies identitaires que nous avons mises à jour participent bien d’une construction de l’identité de ces professionnels, mais nous n’avons pu le vérifier méthodologiquement qu’au seul niveau individuel des acteurs concernés, sans donc 93 pouvoir déceler un quelconque cadre professionnel effectif attestant d’une dynamique d’identification professionnelle collective. Enfin, les stratégies de légitimation de la participation à la production de l’objet politique s’accompagnent effectivement autant de la mobilisation et de la revendication d’un savoir théorique lié au champ des sciences sociales et politique que des théories de marketing commercial, mais nous gardons pour autant de conclure ici aussi bien à l’unicité ou à l’univocité de cette ressource identitaire, car si elle est partagée par nos trois échantillons, l’objectif identitaire qui lui est assignée varie manifestement selon les stratégies identitaires adoptées. C’est donc certes dans une visée de légitimation de leur action qu’ils ont recours à ce registre scientifique, mais ce recours ne pourra être envisagé de manière systématique ou exclusive. Ce registre s’est en effet avéré revêtir un caractère pluriel et diversifié, investissant le champ artistique comme journalistique chez certains acteurs et cela à des degrés d’implication différents. Les ressources identitaires du professionnel en communication politique se révèlent donc être multiples et parfois même conjuguées, comme ce peut être le cas dans l’exemple de la stratégie de négociation retenue par Thierry Saussez. Rajoutons que cette construction identitaire doit s’envisager comme un processus dynamique et diachronique dans lequel les acteurs "jonglent" entre différents statuts (publicitaire, sociologue, chercheur), qui seront plus ou moins mis en avant selon l’interlocuteur pouvant influer sur cette identité, ainsi que selon le cadre d’expression de cette identité. Les résultats des dernières élections présidentielles de 2002 nous le rappellent, le champ de la compétition politique demeure une aire irrationnelle et imprévisible, marquée par une incertitude liée à sa structure concurrentielle, comme théorisée par Daniel Gaxie. La science positive se fait alors recours identitaire de l’acteur évoluant dans ce champ professionnel en même temps qu’elle vient rationnaliser son fonctionnement, rationalisation que nos conseillers en communication seraient tentés d’exploiter afin de proposer une "prédictique" de la compétition électorale. A la légitimation d’un discours professionnel s’ajoute donc la rationalisation de l’action. Par l’utilisation de sondage d’opinion, l’entretien de gestuelles garantes d’une valeur communicante ou autres procédés spécifiques, on cherche à cadrer l’action dans une visée normative et la communication politique s’appuie désormais sur un socle de connaissances 94 issues des sciences sociales mais aussi de la science cartésienne et newtonienne, les statistiques et les expériences technologiques en laboratoires étant aussi conviées. Les conclusions qui viennent d’être tirées pointent déjà les limites qui ont marqué notre démarche de recherche. En premier lieu, le choix restreint d’acteurs individuels nous a empêché d’entrevoir le groupe professionnel (potentiel) des conseillers en communication politique dans sa globalité. Les affirmations précédentes ne s’avèrent donc recevables qu’en ce qui concerne ces "échantillons" de professionnels et nous ne saurions nous prononcer sur une possible généralisation de ces résultats à l’ensemble du groupe concerné. On pourra aussi regretter l’absence de la portée comparative qui aurait pu être conférée à l’étude. L’observation aurait ainsi pu se voir élargie aux figures plus anglo-saxonnes des spin doctors et des think tanks. Les mêmes questionnements sur la légitimité des pratiques des acteurs pouvant se poser dans ce cas, d’autant plus que ces autres professionnels semble être encore plus impliqués dans la concertation et la prise de décision politique. Les cadres référentiels qu’ils mobilisent dans ses stratégies identitaires pourraient-ils ainsi se retrouver être les mêmes que chez les conseillers français? Plus particulièrement, le choix de Jacques Séguéla s’est avéré quelque peu problématique. Considérant le style rédactionnel singulier de ce communicant, nous estimons qu’il y avait une véritable opportunité à réaliser une analyse littéraire plus fouillée, en tenant compte des règles précises de l’analyse sémantique, et pouvoir se livrer à une étude de textes digne de ce nom. Le temps et les connaissances en la matière nous faisant défaut, il nous aura malheureusement fallut en rester à la surface de l’analyse. Et c’est aussi la personnalité même de ce professionnel nous aura pu nus mettre en difficulté. Il s’est en effet avéré être un exemple certes incontournable, mais un mauvais exemple. De par son style parfois exagérément grandiloquent, l’étude de ses textes est devenue quelque peu laborieuse. Il nous a fallut en effet déceler dans ses discours les marqueurs de ses nombreuses identités d’empruntées (car "sautant" fréquemment du costume d’auteur littéraire à celui de publicitaire en passant par ceux d’entrepreneur ou encore d’analyste politique) Aussi, il nous était parfois difficile de savoir comment considérer certaines des déclarations de celui qui a l’habitude de déclarer que : « pour être publicitaire […] il faut vouloir sauver le monde. La publicité peut sauver le monde, et le monde ne le sait 95 pas » car « la publicité, c’est le dernier bienfait de notre culture. »198. Il aura aussi fallu faire un certain tri dans les nombreuses répétitions de formules passant d’un ouvrage à un autre, ce qui conférait parfois une redondance particulière à l’ensemble de sa production littéraire. Car en bon fils de pub, Jacques Séguéla n’oublie jamais d’asséner ses réflexions comme des slogans, quitte à en faire les refrains de son discours identitaires. Finalement, le problème majeur aura été le manque de diversification de l’échantillonnage illustrant notre étude. Cela a essentiellement été le fait de la relative rareté des publications émanant de ce type d’acteurs bien particuliers et de leur difficulté d’accès (un ouvrage de Michel Bongrand nous aura par exemple été impossible à obtenir dans les délais impartis). Et ce manque de données nous a aussi freinées dans notre ambition d’exposer les divergences qu’ils pouvaient exprimer dans leurs stratégies identitaires. L’insuffisance des informations biographiques, notamment sur leur parcours universitaires et professionnels nous a privé d’une meilleure compréhension des situations personnelles, surtout concernant leurs trajectoires professionnelles. A ce titre, on aura été étonné par l’absence de sites internet personnels, ce qui rendait l’accès à des éléments fondamentaux comme les Curriculum Vitae bien plus laborieux. Ces informations précieuses auraient pu être obtenues par entretien et auraient permis de mieux préciser les trajectoires professionnelles qui ont construites ces identités et ces représentations, mais il nous aura fallu nous concentrer sur les bribes de récits de vie contenues dans les publications émises par les acteurs. Ces remarques ont pris une importance particulière en ce qui concerne l’étude de l’identité professionnelle de Thierry Saussez, personnalité livrant peu d’informations personnelles et professionnelles dans ses écrits, qui, plutôt que des essais, s’apparentent à des travaux sociologiques dégagés de toute implication et illustration personnelle. Ses ouvrages visent de fait plus à la montée en généralité, là où ceux de Jacques Séguéla annoncent clairement leur dimension égocentrée, et cela parfois dès leur introduction (comme avec la première phrase de Ne dites pas à ma mère(…) : « Je vais vous parlez du produit que je connais le mieux : moi »). Enfin, à titre personnel, cette expérience de recherche en sciences sociales m’aura appris, par la force des choses, combien pouvait être couteux une réorientation méthodologique trop proche du terme de l’exercice. Le réinvestissement du matériel original et l’abandon des 198 Emission « Apostrophes » de Bernard Pivot, épisode « Les publicitaires sont-ils des diables ? », diffusée sur Antenne 2 le 14/12/1979. 96 projets qui avaient porté l’ensemble de la démarche (comme des entretiens visant à répondre à nos attentes heuristiques mais que l’on n’obtiendra pas) s’avère être des évènements imprévus bien trop difficiles à négocier, quand bien même l’objet d’étude et la problématisation du sujet avait été définis avec une certaine avance sur le calendrier de recherche. Ces temps morts de la recherche nous renvoient à la fable et nous font, quelque peu amèrement, nous dire que finalement dans cette affaire, rien ne sert de partir à point quand il nous faudra ainsi courir. 97 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages sur la méthodologie de la recherche en sciences sociales : Beaud S., Weber F., Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2003. Quivy R., Van Campenhoudt L., Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 1995. Ouvrages sur le cadre conceptuel et sur les théories de la communication : Ansart P., La gestion des passions politiques, Lausanne, Age d'homme, 1983. Braud P., L’émotion en politique : problème d’analyse, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1996. Beaud P., Sociologie de la communication, Issy-les-Moulineaux, Réseaux, CENT, 1997. Bourdieu P., Sur la télévision, Paris, Raisons d’agir, 1996 Chomsky N., Propagande, medias et démocratie, Montréal, Ecosociété, 2005. 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Documentaire de l’émission « 90 minutes », réalisé par Thierry Berrod. Diffusé sur Canal+ le 8/03/2007. http://www.coupezleson.fr/ « Propagande, publicité, information et désinformation ». Documentaire de 70 minutes, réalisé par Serge Tisseron et Yves Michaud. Retranscrit une conférence du 8 juin 2000. Archive de L’INA. Interventions de Jacques Séguéla : (http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?action=ft&mc=S%E9gu%E9la,%20Jacques) : • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Jacqu es+S%E9gu%E9la&num_notice=1&total_notices=13 (Le 17/11/1993 - Pour défendre Bernard Tapie et dénoncer la cabale médiatique lancée contre lui dans l’affaire Testut). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Jacqu es+S%E9gu%E9la&num_notice=2&total_notices=13 (Le 27/01/1989 – Dans l’émission Apostrophe de Bernard Pivot, numéro « Des Tsars aux stars »). 100 • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Jacqu es+S%E9gu%E9la&num_notice=7&total_notices=13 (Le 14/12/1979 – Dans l’émission Apostrophe de Bernard Pivot, numéro « Les publicitaires sont-ils des diables ? »). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Jacqu es+S%E9gu%E9la&num_notice=3&total_notices=13 (Le 26/03/1982 – Dans l’émission Apostrophe de Bernard Pivot, numéro « Images de marque »). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Jacqu es+S%E9gu%E9la&cs_page=1&cs_order=0&num_notice=12&total_notices=13 (Le 23/04/1995 - Soirée électorale d’Antenne 2, 1er tour des élections présidentielles). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Thierr y+Saussez&num_notice=2&total_notices=5 (Le 07/05/1995 - Soirée électorale d’Antenne 2, 2ème tour des élections présidentielles). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Jacqu es+S%E9gu%E9la&cs_page=1&cs_order=0&num_notice=8&total_notices=13 (Le 15/05/1991 – Journal de France 3, reportage « Les femmes et la politique »). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Jacqu es+S%E9gu%E9la&cs_page=1&cs_order=0&num_notice=9&total_notices=13 (Le 14/03/1981 - Journal de 20 heures d’A2, reportage sur l’affiche de campagne de François Mitterrand). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Jacqu es+S%E9gu%E9la&num_notice=6&total_notices=13 (Le 01/02/1985 – Emission Vendredi, numéro « Il était une fois Le Monde », sur la crise traversée par le quotidien). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Jacqu es+S%E9gu%E9la&cs_page=1&cs_order=0&num_notice=13&total_notices=13 (le 17/02/1990 – Dans l’émission de radio « Rue des entrepreneurs », numéro « Faire naître et piloter à deux une entreprise »). Interventions de Thierry Saussez : (http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?full=Thierry+Saussez&action=ft&x=0&y=0) : 101 • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Thierr y+Saussez&num_notice=1&total_notices=5 (Le 20/03/1995 – Dans l’émission « La France en direct » d’Antenne 2, débattant sur le “populisme” face à Philippe De Villiers). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Thierr y+Saussez&num_notice=2&total_notices=5 (Le 16/03/1986 - Soirée électorale d’Antenne 2, 1er tour des élections législatives). • http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Thierr y+Saussez&num_notice=3&total_notices=5 (Le 23/04/1995 – Soirée électorale de France 3, 1er tour des élections présidentielles). http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=Thierry+Saus sez&num_notice=4&total_notices=5 (Le 07/05/1995 - Soirée électorale d’Antenne 2, 2ème tour des élections présidentielles). 102 ANNEXES Annexe : Organigramme simplifié des agences du groupe de communication Euro RSCG. 103 Annexe : Affiche réalisée par Jacques Séguéla pour la campagne des élections municipales de 1977. Annexe : Affiche réalisée par Jacques Séguéla pour la campagne des élections présidentielles de 1981. 104 Annexe : Couverture et quatrième de couverture du livre Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel de Jacques Séguéla. 105 Annexe : Couverture et quatrième de couverture du livre Le Temps des ventriloques : médias, sondages et marionnettes menacent-ils la démocratie ? de Thierry Saussez. 106