Revue Médicale Suisse
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6 novembre 2013 2055
tend à se replier sur elle-même, émet de vives critiques
envers la structure d’accueil où elle prenait ses repas
et ne s’y rend plus ; il n’est pas clair dans quelle me-
sure elle se fait depuis lors régulièrement à manger.
Elle ne peut plus s’occuper elle-même de ses affaires
administratives et financières et ses déplacements sont
décrits par le CMS comme «lents avec risque de chute».
Le traitement prescrit consiste en acide acétylsalicylique
100 mg/jour, clopidogrel 75 mg/jour, métoprolol 100 mg/
jour, énalapril 15 mg/jour, citalopram 20 mg/jour, esomé-
prazole 40 mg/jour. Un semainier est préparé 1 /semaine
par le CMS.
Depuis deux à trois semaines, les soignants du CMS
notent une baisse de l’état général. A plusieurs reprises,
ils découvrent que Mme X. a oublié de prendre des mé-
dicaments. Elle dit qu’elle n’est plus tombée depuis l’an-
née précédente, mais on voit un hématome sur l’un de
ses bras. Elle a de la peine à suivre une conversation et
somnole par brefs instants. L’infirmière prend son pouls,
qui est normal, et sa pression, qui est un peu basse
(95/65 mmHg).
La semaine suivante, Mme X. est hospitalisée en ur-
gence par l’infirmière du CMS pour faiblesse. Son hémo-
globine d’entrée est à 65 g/l et l’endoscopie diagnos-
tique un ulcère gastrique.
Interprétation
Mme X. a présenté une anémie sur hémorragie digestive
haute dans un contexte de double antiagrégation pla-
quettaire et d’une posologie élevée de citalopram (qui
peut favoriser des troubles de la fonction plaquettaire par
son action d’inhibition de recapture de la sérotonine).
La normalité du pouls, dans ce contexte, était difficile
à juger sous bêtabloquant, traitement qui s’oppose aux
mécanismes de contre-régulation de la baisse de pres-
sion artérielle.
Un défaut d’adhésion thérapeutique a pu aussi bien
protéger la patiente (si elle ne prenait pas les médi-
caments ci-dessus) que lui nuire (si elle ne prenait pas
l’esoméprazole).
Ce tableau clinique peu spécifique, à première vue
paucisymptomatique, était difficile à évaluer correcte-
ment, ce d’autant plus que la patiente présentait un état
confusionnel aigu (troubles nouveaux et fluctuants de
l’attention, de la vigilance et du comportement).
Pour aider le praticien à identifier rapidement quelles
molécules peuvent entraîner des symptômes ou problèmes
fréquemment observés, nous avons élaboré deux tableaux :
• tableau 1 : médicaments fréquemment associés aux trou-
bles de la marche et de l’équilibre, aux chutes et aux trou-
bles neuropsychiatriques, cardiovasculaires, urogénitaux, de
la prise alimentaire et du transit ;
• tableau 2 : médicaments fréquemment associés aux syn-
dromes anticholinergique,6,7 parkinsonien,8 sérotoninergique
et au syndrome malin des neuroleptiques,9-11 syndromes
dont les caractéristiques cliniques sont brièvement rappe-
lées ci-après :
• Troubles sensoriels (principalement vision), de la motri-
cité fine, cognitifs et de l’humeur interférant avec la bonne
compréhension et la bonne prise du traitement. L’effet net
est impossible à prédire, car les troubles peuvent résulter
en un sous-dosage (par défaut d’adhésion thérapeutique),
un surdosage (par erreur de prise ou abus), ou simplement
en une prise erratique.
• Polymédication avec risque à la fois de mauvaise adhé-
sion thérapeutique (quel que soit leur âge, les patients
peuvent avoir de la peine à prendre plusieurs médicaments
tous les jours, surtout sur de longues périodes), d’augmen-
tation du nombre de xénobiotiques auxquels la personne
est exposée et d’interactions défavorables ou dangereuses.
L’effet net est également impossible à prédire.
• Polymorbidité avec risque d’interactions entre médica-
ment et une maladie autre que celle pour laquelle le médi-
cament a été prescrit (par exemple, aggravation d’un syn-
drome parkinsonien suite à la prescription d’un neurolep-
tique pour un état d’agitation), ou effets antagonistes de
deux médicaments prescrits pour des affections différentes
(par exemple, un bêtabloquant prescrit pour une insuffi-
sance cardiaque peut aggraver un syndrome obstructif).
Enfin, il n’est pas rare que la situation soit rendue encore
plus complexe par le fait que le patient, en raison même
de la polymorbidité et de la polymédication, soit exposé à
différents prescripteurs, à une multiplicité d’intervenants et
de lieux de soins. Le risque qui en découle est que le mé-
decin traitant n’ait plus la vision d’ensemble du traitement
et que les soignants individuels se sentent découragés ou
déresponsabilisés.4,5
repérer les médicaments potentiellement
responsables d’atteintes à la santé
Comme la plupart des affections médicales ou chirurgi-
cales chez la personne âgée, les EI se présentent volon-
tiers sous une forme aspécifique, ce qui ouvre un large diag-
nostic différentiel. Par ailleurs, les personnes âgées sont
moins enclines à se plaindre et leurs problèmes peuvent
être banalisés par l’entourage et les professionnels de la
santé qui peuvent les confondre avec «la vieillesse». Les EI
peuvent aussi se manifester sous la forme d’un déclin fonc-
tionnel progressif parfois difficile à préciser si l’on n’est pas
familier du patient et de son environnement.
La vignette clinique ci-dessous illustre une telle situa-
tion.
vignette clinique
Histoire
Mme X., 83 ans, est connue pour de nombreuses affec-
tions chroniques, dont une cardiopathie ischémique
avec mise en place d’un stent il y a cinq mois et un status
postfracture du col du fémur l’année précédente suite à
une chute. Elle vit seule dans son logement privé. Elle
reçoit de l’aide au quotidien de ses proches et du centre
médico-social (CMS) mais, depuis peu, elle paraît réti-
cente à l’intervention des soignants et a récemment an-
nulé un rendez-vous chez son médecin traitant. Elle
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